Sommaire
Présidence de Mme Monique Papon
Secrétaires :
MM. Jean-Noël Guérini, Marc Massion.
2. Décision du Conseil constitutionnel
3. Mise en œuvre anticipée de l’article 13 de la Constitution
4. Dépôt de rapports du Gouvernement
5. Transmission à la commission des finances d’une proposition de résolution
6. Conventions internationales. – Adoption de trois projets de loi en procédure d’examen simplifié (Textes de la commission)
Accord-cadre avec le Botswana sur l’éducation et la langue française. – Adoption d'un projet de loi
Accord avec la Roumanie sur l'enseignement bilingue. –Adoption définitive d'un projet de loi
7. Accord de coopération avec l'Inde pour le développement des utilisations pacifiques de l'énergie nucléaire. – Adoption d’un projet de loi (Texte de la commission)
Discussion générale : MM. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes ; Xavier Pintat, rapporteur de la commission des affaires étrangères.
MM. Aymeri de Montesquiou, Michel Billout, Didier Boulaud, Jacques Gautier, Pierre Fauchon.
Clôture de la discussion générale.
M. le secrétaire d'État.
Adoption de l'article unique du projet de loi.
8. Article 65 de la Constitution. – Discussion d'un projet de loi organique (Texte de la commission)
Discussion générale : Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés ; M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. François Zocchetto, Jean-Pierre Michel, Jacques Mézard, Patrice Gélard, Mme Virginie Klès, M. Hubert Haenel, Mme Alima Boumediene-Thiery, M. Robert Badinter.
Clôture de la discussion générale.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart
9. Modification de l’ordre du jour
10. Article 65 de la Constitution. – Suite de la discussion et adoption d’un projet de loi organique (Texte de la commission)
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
Amendements nos 2 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, 9 et 11 de M. Jean-Pierre Michel. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Pierre-Yves Collombat, Jean-Pierre Michel, Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois ; Mme le ministre d’État, M. Jacques Mézard. – Rejet des trois amendements.
Amendement n° 24 du Gouvernement. – Mme le ministre d’État, M. le rapporteur. – Rejet.
Adoption de l'article.
Amendements nos 3 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, 10 de M. Jean-Pierre Michel et 25 du Gouvernement. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Jean-Pierre Michel, Mme le ministre d’État, MM. le rapporteur, Jacques Mézard, François Zocchetto, M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. – Rejet des trois amendements.
M. Jean-Pierre Michel.
Adoption de l'article.
Articles 5, 6 et 6 bis. – Adoption
Amendements nos 26 du Gouvernement et 4 rectifié de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mmes le ministre d’État, Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. le rapporteur, Jean-Pierre Michel, Pierre Fauchon. – Rejet des deux amendements.
Amendement n° 36 de La commission. – M. le rapporteur, Mme le ministre d’État. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Articles additionnels après l'article 7
Amendements nos 37 de la commission et 23 rectifié de M. Jean-Pierre Michel. – MM. le rapporteur, Jean-Pierre Michel, Mme le ministre d’État. – Adoption de l'amendement no 37 insérant un article additionnel, l’amendement no 23 rectifié devenant sans objet.
Amendement n° 12 de M. Jean-Pierre Michel. – MM. Jean-Pierre Michel, le rapporteur, Mme le ministre d’État. – Rejet.
Adoption de l'article.
Amendement n° 13 rectifié de M. Jean-Pierre Michel. – MM. Jean-Pierre Michel, le rapporteur, Mme le ministre d’État, MM. le président de la commission, Christian Cointat, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Rejet.
Adoption de l'article.
Amendement n° 27 rectifié bis du Gouvernement. – Mme le ministre d’État, MM. le rapporteur, Jacques Mézard, Christian Cointat. – Adoption.
M. le président de la commission.
Amendement n° 5 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. le rapporteur, Mme le ministre d’État. – Rejet.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 28 du Gouvernement. – Mme le ministre d’État, MM. le rapporteur, Nicolas About, Jean-Pierre Michel, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Patrice Gélard, le président de la commission. – Rejet.
Amendement n° 38 de la commission. – M. le rapporteur, Mme le ministre d’État. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendements nos 29 du Gouvernement et 39 de la commission. – Mme le ministre d’État, MM. le rapporteur, Jean-Pierre Michel. – Rejet de l’amendement no 29 ; adoption de l’amendement no 39.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 14 de M. Jean-Pierre Michel. – MM. Jean-Pierre Michel, le rapporteur, Mme le ministre d’État. – Retrait.
Adoption de l'article.
Amendements identiques nos 6 rectifié de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 15 rectifié de M. Jean-Pierre Michel. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Jean-Pierre Sueur, le rapporteur, Mme le ministre d’État. – Adoption des deux amendements.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 16 de M. Jean-Pierre Michel. – MM. Jean-Pierre Michel, le rapporteur, Mme le ministre d’État. – Retrait.
Amendement n° 30 rectifié du Gouvernement. – Mme le ministre d’État, M. le rapporteur. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 17 de M. Jean-Pierre Michel. – MM. Jean-Pierre Michel, le rapporteur, Mme le ministre d’État. – Rejet.
Amendement n° 18 de M. Jean-Pierre Michel. – MM. Jean-Pierre Michel, le rapporteur. – Retrait.
Amendement n° 31 rectifié du Gouvernement. – Mme le ministre d’État, M. le rapporteur. – Adoption.
Amendement n° 40 rectifié de la commission. – M. le rapporteur, Mme le ministre d’État. – Adoption.
Amendement n° 7 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. le rapporteur, Mme le ministre d’État. – Rejet.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 32 rectifié bis du Gouvernement. – Mme le ministre d’État, M. le rapporteur. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 33 du Gouvernement et sous-amendement n° 42 de M. Jean-Pierre Michel. – Mme le ministre d’État, MM. Jean-Pierre Sueur, le rapporteur, Jean-Pierre Michel. – Rejet du sous-amendement ; adoption de l’amendement.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 19 de M. Jean-Pierre Michel. – MM. Jean-Pierre Michel, le rapporteur, Mme le ministre d’État. – Retrait.
Adoption de l'article.
Amendement n° 20 de M. Jean-Pierre Michel. – Devenu sans objet.
Amendement n° 34 rectifié du Gouvernement. – Mme le ministre d’État, M. le rapporteur. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 21 de M. Jean-Pierre Michel. – Devenu sans objet.
Amendement n° 22 de M. Jean-Pierre Michel. – Devenu sans objet.
Amendement n° 35 rectifié bis du Gouvernement. – Mme le ministre d’État, M. le rapporteur. – Adoption.
Amendement n° 41 rectifié de la commission. – M. le rapporteur, Mme le ministre d’État. – Adoption.
Amendement n° 8 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Devenu sans objet.
Adoption de l'article modifié.
MM. Christian Cointat, Jean-Pierre Sueur, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Jacques Mézard.
Adoption, par scrutin public, du projet de loi organique.
Mme le ministre d’État.
11. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de Mme Monique Papon
vice-présidente
Secrétaires :
M. Jean-Noël Guérini,
M. Marc Massion.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Décision du Conseil constitutionnel
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel, par lettre en date du 14 octobre 2009, le texte d’une décision du Conseil constitutionnel qui concerne la conformité à la Constitution de la loi tendant à favoriser l’accès au crédit des petites et moyennes entreprises et à améliorer le fonctionnement des marchés financiers.
Acte est donné de cette communication.
Cette décision du Conseil constitutionnel sera publiée au Journal officiel, édition des Lois et décrets.
3
Mise en œuvre anticipée de l’article 13 de la Constitution
Mme la présidente. J’informe le Sénat que M. le Premier ministre, par lettre en date du 14 octobre 2009, a estimé souhaitable, sans attendre l’adoption des règles organiques qui permettront la mise en œuvre de l’article 13 de la Constitution, de mettre la commission intéressée en mesure d’auditionner, si elle le souhaite, M. Christian Noyer, dont le mandat de Gouverneur de la Banque de France doit être prochainement soumis à délibération en Conseil des ministres.
Acte est donné de cette communication et ce courrier est transmis à la commission des finances.
4
Dépôt de rapports du Gouvernement
Mme la présidente. Monsieur le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre :
- le bilan de la mise en œuvre de la loi no 2008-790 du 20 août 2008 instituant un droit d’accueil dans les écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire, établi en application de l’article 14 de cette même loi ;
- et le rapport pris pour l’application du dernier alinéa du V de l’article 30-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.
Acte est donné du dépôt de ces rapports.
Ces rapports seront transmis à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Ils seront disponibles au bureau de la distribution.
5
Transmission à la commission des finances d’une proposition de résolution
Mme la présidente. En application de l’article 73 quinquies, alinéa 3, du règlement, a été transmise le 14 octobre 2009 à la commission des finances la proposition de résolution, adoptée par la commission des affaires européennes, contenue dans le rapport (no 41, 2009-2010) de M. Simon Sutour sur la proposition de résolution européenne (no 629, 2008-2009) présentée par M. Simon Sutour, Mme Nicole Bricq, MM. Richard Yung, François Marc, Bernard Angels et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, portant sur la proposition de directive du 13 juillet 2009 relative aux exigences de fonds propres pour le portefeuille de négociation et pour les retitrisations, et la surveillance prudentielle des politiques de rémunération (E/4632).
6
Conventions internationales
Adoption de trois projets de loi en procédure d’examen simplifié
(Textes de la commission)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen de trois projets de loi tendant à autoriser l’approbation de conventions internationales.
Pour ces trois projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure simplifiée.
Je vais donc les mettre successivement aux voix.
Convention avec la Libye relative à la coopération en matière de sécurité et de lutte contre la criminalité organisée
Article unique
Est autorisée l’approbation de la convention relative à la coopération en matière de sécurité et de lutte contre la criminalité organisée entre le Gouvernement de la République française et la Grande Jamahiriya arabe, libyenne, populaire et socialiste, signée à Paris le 10 décembre 2007, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, autorisant l’approbation de la convention relative à la coopération en matière de sécurité et de lutte contre la criminalité organisée entre le Gouvernement de la République française et la Grande Jamahiriya arabe, libyenne, populaire et socialiste (projet de loi no 314 2008-2009, texte de la commission no 10, rapport no 9 de M. André Trillard, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées).
(Le projet de loi est adopté.)
Accord-cadre avec le Botswana sur l'éducation et la langue française
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord-cadre de coopération sur l'éducation et la langue française entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Botswana, signé à Paris le 20 mars 2008, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord-cadre entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Botswana sur l’éducation et la langue française (projet de loi no 376 2008-2009, texte de la commission no 14, rapport no 13 de M. Robert del Picchia, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées).
(Le projet de loi est adopté.)
Accord avec la Roumanie sur l'enseignement bilingue
Article unique
Est autorisée l’approbation de l’accord sur l’enseignement bilingue entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Roumanie (ensemble trois annexes), signé à Bucarest le 28 septembre 2006, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’accord sur l’enseignement bilingue entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Roumanie (projet de loi no 355 2008-2009, texte de la commission no 12, rapport no 11 de M. Robert del Picchia, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées).
(Le projet de loi est définitivement adopté.)
7
Accord de coopération avec l'Inde pour le développement des utilisations pacifiques de l'énergie nucléaire
Adoption d’un projet de loi
(Texte de la commission)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l’Inde pour le développement des utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire (projet no 335 2008-2009, texte de la commission no 621 2008-2009, rapport no 620 2008-2009)).
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de soumettre aujourd’hui à votre approbation l’accord de coopération entre la France et la République de l’Inde pour le développement des utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire, signé à Paris le 30 septembre 2008.
En qualité d’ancien parlementaire et de président, pendant de nombreuses années, du groupe d’amitié France-Inde à l’Assemblée nationale, et pour avoir beaucoup travaillé sur les questions nucléaires, je suis très sensible au développement de nos relations avec ce pays dans un domaine, le nucléaire civil, qui constitue pour chacun de nos deux pays une priorité énergétique, stratégique et technologique.
La France et l’Inde se sont engagées depuis de nombreuses années dans un partenariat stratégique. Cet accord vise à décliner un volet prioritaire de ce partenariat identifié par le Président de la République et le Premier ministre indien dès 2005.
La France entend aujourd’hui, en approuvant cet accord de coopération, conférer une dimension concrète à l’autorisation donnée à l’Inde, par l’ensemble de la communauté internationale, d’aller plus loin dans ses activités nucléaires civiles, dans le cadre des engagements pris par Delhi pour se rapprocher du régime mondial de non-prolifération nucléaire.
C’est un pas en avant tout à fait décisif dans la relation franco-indienne.
Cet accord de coopération n’aurait pas pu voir le jour si nous n’avions assisté, ces vingt dernières années, à de profonds bouleversements des équilibres politiques, stratégiques et économiques mondiaux qui ont touché l’Inde au premier chef.
Ce partenariat franco-indien, que je vous propose aujourd’hui d’approuver sur le plan nucléaire civil, n’aurait pas été possible sans remise en cause par l’Inde de son positionnement stratégique dans le monde de l’après-guerre froide. Aux rapports privilégiés qu’elle a longtemps entretenus avec l’Union soviétique s’est substituée une nouvelle relation au monde, plus équilibrée et très largement tournée vers les États-Unis et les pays de l’Union européenne, la France en particulier.
Pour l’Inde, cette nouvelle configuration économique et politique vise à lui donner un nouvel élan vers l’Asie, l’océan Indien et, au-delà, l’Europe et le continent américain.
L’Inde entend jouer un rôle de tout premier plan sur la scène mondiale en modernisant son économie et en se dotant des moyens de diversifier son offre énergétique pour son immense marché intérieur.
L’Inde est devenue l’un des grands pays émergents de ce début de xxie siècle et l’une des sources potentielles majeures de croissance économique dans le monde. Parallèlement, elle est aussi l’une des sources importantes de dérèglements climatiques, et c’est une de nos préoccupations essentielles.
C’est là un fait incontournable dont témoignent l’essor de ses industries de haute technologie, l’arrivée sur la scène internationale de très grands groupes mondiaux dans des technologies de pointe et l’émergence de produits de qualité made in India désormais reconnus à travers le monde.
Lors de sa récente visite au Kazakhstan, le Président de la République, Nicolas Sarkozy, rappelait que l’Asie était devenue une région où il était nécessaire d’être présent. L’Inde, pour reprendre les propres termes du Président, fait partie de ces « pays qui sont des têtes de pont, des pays qui sont leaders et avec lesquels la France construira des partenariats du xxie siècle ».
Pour appuyer les propos du Président de la République, je voudrais citer un extrait du rapport du projet 2020 du National Intelligence Council américain, à propos de la carte géopolitique mondiale, qui résume à lui seul l’importance que prend l’Inde dans les relations stratégiques internationales du nouveau siècle.
« L’émergence probable de la Chine et de l’Inde, comme d’autres, en tant que nouveaux acteurs mondiaux importants, similaire à l’avènement d’une Allemagne unifiée au xixe siècle et des puissants États-Unis au début du xxe siècle, va transformer le paysage géopolitique, avec des impacts potentiellement aussi importants que ceux enregistrés au cours des deux derniers siècles. De la même façon que des commentateurs se réfèrent aux années 1900 comme le Siècle américain, le xxie siècle pourra être considéré comme l’époque où l’Asie, menée par la Chine et l’Inde, réalise sa destinée ».
On ne saurait mieux souligner toute l’importance que nous devons accorder, nous Français, au développement de l’Inde. Aider ce pays à apporter à nombre de ses ressortissants la prospérité économique qui leur fait encore défaut et travailler avec les Indiens à une énergie propre qui leur est nécessaire sont des défis qu’il nous faut relever en commun. L’industrie nucléaire française peut répondre à ces besoins de manière particulièrement appropriée. Les dirigeants indiens ont su se tourner vers de nouveaux partenaires industriels pour rénover et moderniser leurs industries, y compris le secteur nucléaire.
Vous le savez, les campagnes nucléaires militaires à partir de 1974 en Inde et à partir de 1990 au Pakistan furent des obstacles.
De plus, l’Inde n’est pas signataire du traité sur la non-prolifération, même si elle est membre, depuis sa création, de l’Agence internationale de l’énergie atomique de Vienne. C’est même l’un des très rares États au monde à ne pas avoir signé le traité sur la non-prolifération. C’est pourquoi l’accord qui vous est proposé entre l’Inde et la France a été conclu après que l’Inde a souscrit publiquement un nouvel accord de garanties avec l’Agence internationale de l’énergie atomique, qui soumettra un nombre croissant d’installations nucléaires indiennes au contrôle de l’agence.
De même, le Groupe des fournisseurs nucléaires, qui est, comme vous le savez, un régime multilatéral efficace de contrôle des exportations dans le secteur nucléaire comportant quarante-cinq États membres, a signé avec l’Inde un accord de coopération le 6 septembre 2008, qui a été unanimement salué.
Nous soutenions depuis longtemps, dans le cadre de notre partenariat stratégique franco-indien, l’ouverture de cette coopération nucléaire civile avec l’Inde, qui lui permettra de concilier la satisfaction de ses besoins énergétiques, sa lutte contre le changement climatique et le respect des règles de non-prolifération. La décision du Groupe des fournisseurs nucléaires de septembre 2008 a marqué un progrès important pour le régime de non-prolifération nucléaire, et nous nous étions félicités de la réaffirmation, par l’Inde, de ses engagements dans le domaine nucléaire à ce moment.
Il faut également noter que cet accord a permis la conclusion d’un traité similaire entre les États-Unis et l’Inde. Ainsi sommes-nous confortés dans notre volonté de nous engager dans ce partenariat nucléaire.
Pouvait-on dénier à l’Inde, qui est aujourd’hui à la fois une puissance nucléaire militaire et l’un des grands pays émergents ayant besoin d’énergie propre, le droit d’accéder à l’énergie nucléaire civile ? Tel était l’enjeu de cet accord de coopération.
L’Inde s’est engagée clairement à séparer ses activités nucléaires civiles et ses activités militaires, à maintenir son moratoire sur les essais, après ceux de 1998, et à appliquer des règles claires et strictes pour le contrôle aux exportations, sur le modèle de ce qui existe au sein du Groupe des fournisseurs nucléaires, conformément aux engagements qu’elle a pris en 2008.
L’Inde, on le voit, n’est donc pas la Corée du Nord. C’est l’inverse. Elle est une puissance nucléaire responsable, qui s’est engagée à se comporter, de facto, comme un État partie au traité sur la non-prolifération. Cet accord est l’exemple même de ce qu’il est possible de faire de bon en matière de coopération nucléaire dans le monde, à une époque où nous nous trouvons face à des impératifs liés au changement climatique.
L’Inde, je voudrais le rappeler, est désormais le sixième émetteur mondial de gaz à effet de serre. Le 29 septembre dernier, le Premier ministre indien, Manmohan Singh, a estimé, lors d’une conférence internationale sur le nucléaire à New Delhi, qu’une forte hausse de la part du nucléaire dans la production énergétique du pays dans les quarante prochaines années pourrait permettre à l’Inde de réduire de façon considérable son impact sur le réchauffement climatique de la planète.
M. Singh rappelait à cette occasion l’importance de l’accord de coopération dans le nucléaire civil signé l’an dernier avec les États-Unis, qui engageait une nouvelle ère pour une production énergétique plus sûre et plus propre en Inde. Le Premier ministre indien a clairement exprimé l’ampleur du défi à cette occasion : « L’expansion de notre programme d’énergie nucléaire va entraîner d’énormes opportunités pour l’industrie mondiale du nucléaire », parce que l’Inde doit « penser grand » pour les besoins énergétiques futurs de son 1,2 milliard d’habitants.
Concrètement, 470 000 mégawatts pourraient être produits par les centrales nucléaires indiennes d’ici à 2050, ce qui constituerait un bond en avant considérable et un changement d’échelle par rapport aux 4 120 mégawatts actuellement produits par les dix-sept réacteurs nucléaires en activité dans le pays. Le nucléaire ne représente aujourd’hui que 3 % de la production d’énergie en Inde. Le potentiel de croissance est donc immense.
Le développement de l’industrie nucléaire civile en Inde réduira grandement sa dépendance aux énergies fossiles et fournira indéniablement une contribution majeure à la lutte contre le changement climatique.
Or, à cinquante-quatre jours de l’ouverture de la conférence de Copenhague, il est bon de rappeler que la France peut aussi aider l’Inde à réduire ses émissions grâce au nucléaire, à l’expertise dont elle dispose dans ce domaine et à l’excellence des entreprises françaises, comme le Commissariat à l’énergie atomique, le CEA, Areva, GDF-SUEZ, EDF ou Alstom. Ils peuvent tous apporter à l’Inde ce dont elle a besoin dans les domaines énergétiques et environnementaux.
Pour illustrer mon propos d’exemples concrets, je rappellerai qu’Areva emploie déjà en Inde plus de 4 200 personnes et y compte huit sites industriels. En février dernier, Areva a annoncé la signature avec la Nuclear Power Corporation of India Limited d’un protocole d’accord ouvrant la voie à une collaboration dans le domaine de la production d’électricité nucléaire et visant à construire au moins deux réacteurs EPR, ou European Pressurised Reactor, à Jaitapur, dans l’État du Maharashtra, et à retenir une option sur quatre autres.
Ces projets sont, certes, utiles à l’Inde, mais ils le sont aussi à nous tous, si nous voulons engager ensemble une lutte efficace contre le réchauffement climatique. Nous avons tous à y perdre si rien n’est fait aujourd’hui pour enrayer ce processus.
Voilà donc les circonstances géopolitiques, environnementales et stratégiques de cet accord, qui, je le rappelle, décline les champs et les modalités de notre future coopération. L’accord prévoit bien évidemment l’encadrement de nos coopérations industrielles et de recherche. Il répond, me semble-t-il, aux attentes indiennes en matière de sécurité de ses approvisionnements énergétiques, de la fourniture en combustible, de sûreté et de sécurité nucléaire, sans contribuer aucunement, je le dis ici solennellement, à la production de matières fissiles à destination de la fabrication d’armes nucléaires. Il est aussi un élément clé de stabilité en faveur de la non-prolifération nucléaire de par les garanties qu’il apporte aux deux partenaires.
Telles sont, madame la présidente, monsieur le rapporteur – et je tiens à vous féliciter de votre excellent rapport –, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu’appelle, pour la France, l’approbation d’un tel accord de coopération avec l’Inde sur le développement commun des utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire.
C’est donc avec confiance et avec la plus grande détermination que je vous demande aujourd’hui, au nom du Gouvernement, d’approuver ce projet de loi, particulièrement marquant pour la relation franco-indienne et ses développements futurs. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Pintat.
M. Xavier Pintat, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’Inde est appelée à devenir l’un des grands acteurs de la vie internationale, au sein de laquelle elle joue un rôle positif et constructif.
La France entend renforcer, à juste titre, le partenariat stratégique qu’elle a noué voilà plus de dix ans avec ce pays, dont elle appuie notamment l’accession à un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies.
Notre pays dispose de compétences industrielles et technologiques correspondant aux principales attentes de l’Inde dans des domaines clés pour son développement économique.
Confrontée à d’immenses besoins énergétiques, l’Inde doit impérativement développer sa production d’électricité. Le recours à l’énergie nucléaire figure parmi les axes qu’elle a retenus, car il répond au double objectif de limiter sa dépendance énergétique et de ne pas alimenter le réchauffement climatique.
L’expertise acquise par la France dans ce domaine la rend particulièrement bien placée pour répondre aux attentes de l’Inde, en accord avec l’action qu’elle mène en faveur du développement responsable des usages pacifiques de l’énergie nucléaire.
Toutefois, l’accès de l’Inde aux coopérations internationales dans le domaine nucléaire civil, que ce soit avec la France ou avec d’autres pays fournisseurs, ne pouvait se concevoir que dans un cadre compatible avec le régime international de non-prolifération nucléaire.
C’est à la lumière de cette exigence que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné l’accord qui est aujourd’hui soumis à l’approbation du Sénat.
La commission a tout d’abord constaté que les conditions d’une ouverture de la coopération internationale à l’Inde dans le domaine nucléaire ont fait l’objet, dans les instances internationales compétentes, de négociations approfondies durant trois années.
L’Inde était restée jusqu’à présent non seulement en dehors du traité sur la non-prolifération, mais également hors de toutes les règles internationales relatives à la non-prolifération nucléaire.
Sous l’effet des discussions engagées avec les États-Unis, comme avec la France, sa position a notablement évolué.
L’Inde a adopté un plan de séparation de ses activités nucléaires civiles qui a été approuvé par son Parlement, puis officiellement transmis à l’Agence internationale de l’énergie atomique à l’été 2008.
Au terme de ce plan, les deux tiers des capacités nucléaires indiennes actuelles seront placées sous les garanties de l’AIEA, et il en ira de même pour tous les futurs réacteurs civils à construire.
Cette décision, consacrée par un nouvel accord de garanties et par un protocole additionnel qui donne à l’AIEA les pouvoirs d’inspection et de contrôle les plus étendus sur les installations et activités civiles soumises aux garanties, représente incontestablement une avancée.
Elle s’accompagne d’autres engagements importants vis-à-vis de la communauté internationale, d’une part, de ne pas transférer de technologies d’enrichissement et de retraitement aux États qui ne les possèdent pas et d’établir un système national de contrôle des exportations sur la base des listes de contrôle des exportations et directives du Groupe des fournisseurs nucléaires ; d’autre part, de maintenir son moratoire unilatéral sur les essais nucléaires et de collaborer à la conclusion d’un traité multilatéral d’interdiction de la production de matières fissiles pour les armes nucléaires.
La commission a également relevé que cette démarche avait recueilli l’aval du conseil des gouverneurs de l’AIEA et que la levée des restrictions à l’exportation avait été adoptée par consensus par les quarante-cinq États du Groupe des fournisseurs nucléaires, qui compte non seulement les pays de l’Organisation de coopération et de développement économique, l’OCDE, mais également la Russie, la Chine, l’Afrique du Sud, l’Argentine ou le Brésil.
Enfin, la commission tient à souligner la singularité de la situation indienne liée à ses besoins énergétiques et aux enjeux environnementaux qui en découlent, mais aussi à des faits objectifs attestant que l’Inde n’a jamais été à l’origine de flux de prolifération en matière nucléaire et qu’elle a fait l’objet d’un comportement responsable en ce domaine.
Nous avons considéré que les engagements pris par l’Inde constituaient autant de pas en direction d’un régime international de prolifération dont aucune discipline ne lui était jusqu’alors applicable.
L’accord de coopération du 30 septembre 2008 pour le développement des utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire est l’aboutissement de plusieurs années de discussions dans le cadre du partenariat franco-indien, mais il se conforme très strictement aux principes qui ont été arrêtés par les instances internationales au vu des engagements pris par l’Inde.
Il s’agit d’un accord-cadre, dont la mise en œuvre pourra s’effectuer au travers d’accords spécifiques.
Il prévoit cependant clairement, conformément à la décision du Groupe des fournisseurs nucléaires, que les exportations de biens et de technologies nucléaires vers l’Inde ne pourront s’effectuer que vers des installations soumises aux garanties de l’AIEA. Les matières, équipement et technologies transférés seront ainsi soumis aux garanties de l’AIEA.
En conclusion, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a estimé que cet accord était particulièrement important à plusieurs titres.
Il l’est, tout d’abord, pour les relations politiques franco-indiennes, car il constitue un élément majeur du partenariat stratégique que nous avons décidé de développer avec ce grand pays. Vous avez parfaitement souligné cette importance stratégique, énergétique et environnementale, monsieur le secrétaire d’État, parce que c’est un pays que vous connaissez bien.
Cet accord est également important par ses enjeux économiques, tant pour l’Inde, qui souhaite développer l’énergie nucléaire pour faire face à des besoins énergétiques en forte augmentation, que pour la France, dont les acteurs industriels sont bien placés pour participer au développement des capacités indiennes.
Enfin, cet accord s’inscrit, il faut le rappeler, dans le contexte d’une évolution notable du statut de l’Inde au regard du régime international de non-prolifération nucléaire, au travers d’engagements précis qui lui ouvrent désormais l’accès à la coopération nucléaire civile.
D’autres pays, à commencer par les États-Unis, vont contribuer à ces coopérations. Il nous paraît indispensable que la France puisse également s’y consacrer.
C’est pourquoi, mes chers collègues, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous demande d’adopter le projet de loi autorisant l’approbation de cet accord franco-indien. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pays émergent, l’Inde subit à la fois les contraintes d’un pays pauvre et les difficultés environnementales des pays riches.
Malgré une faible consommation d’énergie par habitant, l’Inde peine à satisfaire ses besoins de croissance sans pénaliser l’écologie, laquelle, comme l’a montré le blocage complet de la circulation à Delhi en 2001, est devenue une préoccupation majeure des classes moyennes.
Déjà néanmoins sixième consommateur mondial d’énergie en raison de son 1,2 milliard d’habitants, l’Inde subit un accroissement exponentiel de ses besoins énergétiques. Ils explosent en raison de sa démographie, de sa croissance économique et de sa volonté d’améliorer l’accès de sa population au réseau électrique, dont aujourd’hui 450 millions de personnes sont privées.
L’énergie nucléaire ne couvre actuellement que 3 % de ses besoins en électricité, avec 17 réacteurs en fonctionnement. Son développement est indispensable pour faire face à la progression de sa demande énergétique. En effet, la croissance indienne devrait, selon les estimations, dépasser celle de la Chine à l’horizon 2015. De plus, le plan gouvernemental indien veut favoriser les énergies propres, dont fait partie le nucléaire, et prévoit de multiplier par dix la capacité de production d’électricité d’origine nucléaire avant 2020 en se dotant de 25 à 30 nouveaux réacteurs de dernière génération.
Si le contexte indien milite en faveur du développement du nucléaire, la politique internationale tendant au développement durable l’y pousse aussi.
Cette ambitieuse politique environnementale et énergétique indienne a besoin d’une coopération internationale approfondie pour un nucléaire civil séparé, depuis 2006, du programme nucléaire militaire. L’Inde a ainsi conclu un accord de garanties avec l’Agence internationale de l'énergie atomique, l’AIEA, à qui elle reconnaît les pouvoirs d’inspection et de contrôle les plus étendus sur les installations et activités civiles soumises aux garanties. C’était la condition pour que l’Inde puisse bénéficier de cette coopération internationale dont son essai nucléaire de 1974 l’avait privée.
Les États-Unis avaient déjà conclu, dès 2005, un accord de coopération avec l’Inde prévoyant des transferts de technologies et la livraison de matériel nucléaire et non-nucléaire ainsi que de réacteurs. Ce sont d’ailleurs les États-Unis et le Canada qui avaient alors fourni les centrales en activité aujourd’hui.
C’est désormais à la France de concrétiser sa collaboration bilatérale en ratifiant l’accord de coopération signé en 2008. La promotion du développement responsable des usages pacifiques de l’énergie nucléaire est l’un des points majeurs de notre politique extérieure dans le domaine nucléaire. La France possède en la matière un savoir-faire internationalement reconnu, avec un opérateur, et même plusieurs opérateurs maîtrisant l’ensemble du cycle, depuis l’extraction des matières premières jusqu’à la production d’électricité en passant par la construction de centrales de quatrième génération. Notre pays détient donc tous les atouts pour être un partenaire stratégique incontournable dans un marché colossal.
Cependant, cette coopération en matière nucléaire est dépendante des positions de l’Inde vis-à-vis du régime international de non-prolifération.
L’Inde s’est engagée à ne pas transférer de technologies d’enrichissement et de retraitement aux États qui n’en sont pas possesseurs, et à établir un système national de contrôle des exportations. Elle s’est également engagée à maintenir son moratoire unilatéral sur les essais nucléaires et à collaborer à la conclusion d’un traité multilatéral d’interdiction de production de matières fissiles, matières premières pour les armes nucléaires. Cet élément est essentiel, car, frontalière d’une superpuissance nucléaire, la Chine, et du Pakistan, qui possède aussi l’arme nucléaire et avec lequel les relations sont très tendues, en particulier en raison de leur différend sur le Cachemire, l’Inde n’a jamais signé le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, le TNP.
Nous devons souligner que les engagements pris par l’Inde constituent des garanties unilatérales et qu’elles ne sont toujours pas consolidées par un traité juridiquement contraignant. Nous devons aussi considérer qu’un large consensus, incluant notamment la Chine, s’est établi sur la situation particulière de l’Inde, tant au sein du Groupe des fournisseurs nucléaires, connu sous le nom de NSG, qu’au conseil des gouverneurs de l’AIEA. À ce propos, quelle serait l’attitude du NSG si le Pakistan ou Israël, non-adhérents au TNP, venaient à demander à bénéficier du même traitement que l’Inde ? Il serait souhaitable, monsieur le secrétaire d’État, que vous puissiez nous éclairer sur ce point.
Face à la crise bancaire, financière et économique qui a submergé le monde, le Président Sarkozy a proposé d’élargir le G8 aux grandes puissances émergentes pour constituer un G20 afin de mieux affronter cette crise. Une telle initiative pourrait être reprise dans le domaine nucléaire et, puisque c’est un point majeur de notre politique extérieure, la France doit être à l’origine de la création d’un G20 nucléaire. Au côté de personnalités aussi diverses que le Président Obama, distingué par le comité Nobel notamment pour son refus de la prolifération nucléaire et sa volonté de dialogue, ou que le Président du Kazakhstan Nursultan Nazarbaev, qui a refusé l’arsenal nucléaire soviétique en 1991, le Président Sarkozy pourrait faire valoir l’expérience française.
« La règle d’or de la conduite est la tolérance mutuelle, car nous ne penserons jamais tous de la même façon, nous ne verrons qu’une partie de la vérité sous des angles différents » : ce conseil du Mahatma Gandhi est universel et s’applique aussi au sujet extrêmement sensible du nucléaire, situé au cœur de toutes les préoccupations mondiales et suscitant de plus en plus de revendications nationales. Cependant, nous n’évoluons pas dans le même contexte qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, où les membres permanents du Conseil de sécurité, ou plutôt les deux superpuissances, décidaient pour les autres.
Nous ne pouvons bien sûr faire semblant d’ignorer dans cette discussion la situation iranienne, qui provoque de très fortes tensions internationales. Le Conseil de sécurité de l’ONU a reconnu le 14 juin 2008 « le droit de l’Iran à développer la recherche, la production et l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques ». Depuis le début de la crise nucléaire iranienne, la politique de la France a toujours consisté à rechercher une solution négociée, dès lors qu’il n’y avait pas de doute sur le respect par l’Iran des engagements internationaux du TNP. Ce qui est mis en place avec l’Inde doit pouvoir l’être avec tout pays.
« Ne coupe pas les ficelles dont tu pourrais défaire les nœuds », nous enseigne un proverbe indien. La coopération nucléaire à des fins pacifiques doit devenir l’exemple d’une patiente négociation qui portera ses fruits en matière tant économique qu’écologique.
Le groupe du RDSE votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce texte tendant à autoriser la ratification d’un accord de coopération nucléaire civile signé entre la France et l’Inde le 30 septembre 2008 s’inscrit effectivement dans le cadre général de la politique extérieure française dans le domaine nucléaire civil.
Cependant, en permettant à l’Inde, pays non-signataire du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, de bénéficier de l’exportation de technologies en matière d’énergie nucléaire, cet accord déroge aux règles internationales dans ce domaine. En effet, les quarante-cinq pays du Groupe des fournisseurs nucléaires avaient adopté un mois auparavant, par consensus, une décision exemptant l’Inde de la clause « des garanties généralisées » édictée par l’Agence internationale de l’énergie atomique et interdisant l’exportation de ces technologies vers les États qui n’acceptent pas ses contrôles.
Cette décision a ainsi rendu possible la concrétisation d’accords avec trois grands pays : les États-Unis, la Russie et la France.
Il faut aussi noter que cet accord précise qu’il n’est pas envisagé pour l’instant de transférer des technologies liées à l’enrichissement ou au retraitement du combustible nucléaire.
Cette décision prend donc en compte la situation particulière de l’Inde, qui est une démocratie, mais aussi l’une des trois grandes puissances dites « émergentes » et le sixième consommateur mondial d’énergie, aux besoins énormes du fait d’une forte croissance économique et d’une croissance démographique exponentielle.
Mais elle a surtout pu être prise grâce à l’attitude très positive de l’Inde dans plusieurs domaines. Celle-ci a en effet accepté les contrôles de l’AIEA sur ses activités nucléaires civiles et pris plusieurs engagements concrets en matière de non-prolifération, notamment celui de contribuer à la conclusion d’un traité multilatéral d’interdiction de la production de matières fissiles pour les armes nucléaires. Cette attitude tranche, effectivement, avec celle de son voisin, le Pakistan.
Cependant, comment apprécier alors le lancement expérimental, très récent, de missiles de moyenne portée pouvant être équipés de têtes nucléaires ? Comment apprécier la volonté réaffirmée des dirigeants indiens de se doter de missiles nucléaires pouvant frapper à 5 000 kilomètres de distance ? L’Inde s’inscrit-elle alors dans le contexte de la récente assemblée générale de l’ONU, et tout particulièrement de la réunion exceptionnelle du Conseil de sécurité consacrée à la non-prolifération et présidée par le Président Obama ?
À l’unanimité de ses quinze membres, le Conseil a adopté une résolution appelant à l’instauration d’un monde dénucléarisé sous la houlette du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Rédigé par les États-Unis, le texte enjoint aux 189 États signataires du TNP de respecter leurs obligations, et aux non-signataires, dont l’Inde et le Pakistan, de le rejoindre pour le rendre universel. Il me semble qu’il reste encore beaucoup à faire pour que ces deux pays – et je pourrais ajouter Israël – décident, dans leurs discours et dans leurs actes, d’aller en ce sens. C’est pourquoi la décision du Groupe des fournisseurs nucléaires qui a permis la signature de ces accords, tout particulièrement de celui qui nous occupe aujourd’hui, soulève un certain nombre de questions.
Je m’inquiète tout d’abord du risque de fragilisation du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Il ne faudrait pas en effet que cette décision apparaisse comme une prime accordée aux pays non signataires, qui pourraient de la sorte bénéficier d’une coopération nucléaire civile bien qu’ils développent parallèlement un programme nucléaire militaire.
Je crains également que, si l’on n’y prenait garde, ce type d’accord de coopération nucléaire n’exacerbe les tensions et ne fragilise un peu plus encore la situation dans cette région du monde.
L’Inde apparaît en effet progressivement comme l’interlocuteur privilégié des grandes puissances, au détriment d’un Pakistan de plus en plus instable et inquiet de l’accroissement de l’influence de son voisin en Afghanistan. Le second attentat meurtrier contre l’ambassade indienne à Kaboul, jeudi dernier, en est une nouvelle illustration.
Comment, par ailleurs, justifier cet accord dérogatoire face à l'Iran, où le lien entre nucléaire civil et arme nucléaire est constamment posé ?
Ainsi, sur le fond, cet accord pose le problème de la difficulté à évaluer les risques du passage de certains pays du nucléaire civil au nucléaire militaire sans que la communauté internationale puisse intervenir efficacement.
Le développement du nucléaire civil doit donc s’accompagner d’un effort sans précédent pour que la communauté internationale renonce définitivement au développement de l’arme nucléaire en définissant un plan d’éradication totale de l’arsenal nucléaire existant.
Toutefois, nous pensons qu’il faut tenir compte favorablement des engagements pris par l’Inde en matière de contrôles, notamment par l’AIEA, et du fait que cet accord, bien encadré, ne concerne que le nucléaire civil.
Nous le pensons d’autant que cet accord, qui marque une nouvelle étape de notre partenariat stratégique avec ce pays, servira efficacement le développement de l’Inde et, espérons-le, le bien-être de ses populations.
Il est aussi un signe de reconnaissance de la qualité de notre technologie dans le domaine de l’énergie nucléaire, de la compétitivité de nos entreprises et du savoir-faire des salariés qui la mettent en œuvre. Il est donc également profitable à l’économie et aux emplois dans notre pays.
Pour cet ensemble de raisons, le groupe CRC-SPG votera en faveur du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération nucléaire civile avec l’Inde. Mais vous avez compris, mes chers collègues, que ce n’est pas sans réticence : nous considérons que la sagesse devrait conduire à l’avenir le gouvernement français et le Groupe des fournisseurs nucléaires à ce que tout nouvel accord dans ce domaine avec l’Inde soit subordonné à sa signature du traité sur la non-prolifération.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Boulaud.
M. Didier Boulaud. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je me suis inscrit pour un temps de parole de vingt-cinq minutes, mais rassurez-vous, mon intervention ne durera pas autant.
M. Pierre Fauchon. C’est dommage !
M. Didier Boulaud. C’était simplement pour le plaisir d’avoir pour une fois un très long temps de parole.
Je me suis d’ailleurs demandé ce qui était arrivé en conférence des présidents ! Lorsque nous avions abordé les problèmes de la dissuasion nucléaire dans cet hémicycle voilà deux ou trois ans, nous avions disposé en tout et pour tout de dix minutes pour nous exprimer.
Je pensais seulement vous effrayer, mes chers collègues, en vous annonçant que j’allais parler vingt-cinq minutes !
M. Didier Boulaud. Mes chers collègues, je saisis l’occasion offerte par le débat sur ce projet de loi pour aborder un sujet, hélas, peu traité dans notre enceinte : celui de la politique française de coopération nucléaire civile et de ses relations avec la politique de lutte contre la prolifération nucléaire.
D’ailleurs, je devrais plutôt dire politique de « contrôle de la prolifération nucléaire », ce serait une appellation plus proche de la réalité internationale.
Je ne reviendrai pas sur les aspects, si bien développés dans le très instructif rapport de notre collègue Xavier Pintat, relatifs à l’intérêt de cette convention.
En revanche, je m’attarderai sur ce qui apparaît comme une contradiction : le développement des utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire et la prolifération nucléaire à but militaire.
Bref, quelle est la politique française d’exportation du nucléaire civil et quelle est notre politique en matière de nucléaire militaire aussi bien en France que dans le monde ?
Très récemment, le dossier nucléaire a été mis sur la table de l’ONU par le président des États-Unis, Barack Obama ; dans la foulée, le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies a adopté à l’unanimité la résolution 1887 en faveur du désarmement nucléaire.
Ce texte « appelle tous les États à négocier en vue d’une réduction des arsenaux nucléaires et à œuvrer à l’élaboration d’un traité de désarmement général et complet sous strict contrôle international ».
S’agit-il d’une déclaration de principe – une de plus pourrait-on dire – ou s’agit-il d’une feuille de route ?
Nous devrions, dans ce dernier cas, faire une analyse fine et approfondie des conséquences pour la France d’une telle évolution.
Certains pensent qu’il n’y a pas de relation entre le nucléaire civil et le nucléaire militaire.
Toutefois, le cheminement de l’Inde hier, les prétentions de l’Iran aujourd’hui et peut-être demain, les accords passés ici ou là au sud de la Méditerranée, notamment avec la Libye, l’Algérie, montrent bien qu’il y a une relation entre nucléaire civil et nucléaire militaire.
Souvent l’essor de l’un accompagne – ou cache – le développement de l’autre. Foin d’hypocrisie ! À l’heure actuelle, la communauté internationale doit faire face à des régimes qui veulent acquérir la bombe atomique sous couvert d’un programme nucléaire civil.
Mais il y a aussi l’aspect économique et diplomatique. En la matière, le nucléaire, marchandise sensible, est difficile à manier et peut poser problème.
Le président Sarkozy a pris l’habitude, à chacun de ses voyages à l’étranger, de signer des contrats – je devrais plutôt dire des « promesses de vente »... – sur le nucléaire civil, avec des accords pour construire des réacteurs nucléaires ou offrir une assistance technique à un certain nombre d’États arabes, mais aussi asiatiques. À cet égard, certains ont même pu parler de « diplomatie nucléaire ».
Nous devrions pouvoir, à mi-mandat, effectuer un bilan de cette politique de coopération nucléaire et pouvoir étudier ses concrétisations aussi bien que les promesses non tenues et les engagements défaillants. Ce bilan doit être éclairé par une discussion prenant en compte des critères géopolitiques, sur les conséquences stratégiques d’une telle diplomatie.
Le dossier nucléaire de l’Inde est un bon modèle du mélange du nucléaire civil et militaire et de leurs interactions.
La réalisation par l’Inde, État non partie au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, d’un programme nucléaire militaire, attesté par un premier essai nucléaire en mai 1974, a entraîné un arrêt pratiquement complet de la coopération internationale en matière civile. Par la suite, l’Inde a accepté de placer sous le contrôle de l’AIEA une partie de son programme nucléaire civil, ainsi que toutes les activités futures susceptibles de bénéficier d’une coopération nucléaire civile. Cette décision, ainsi que les engagements pris par l’Inde en matière de non-prolifération ont conduit le Groupe des fournisseurs nucléaires à autoriser une reprise des transferts de biens et technologies nucléaires avec l’Inde.
Est-ce un exemple pour d’autres pays ? L’avenir seul le dira !
Cependant, nous savons que le comportement responsable de l’Inde en matière de non-prolifération nucléaire et les engagements nouveaux pris à cet égard par ce pays ont conduit le Groupe des fournisseurs nucléaires à lever les obstacles qui s’opposaient à la reprise de la coopération nucléaire civile avec l’Inde. En conséquence, cette évolution sera étudiée avec attention par d’autres pays qui voudront peut-être demain suivre un chemin similaire ; il faudra alors étudier attentivement les conséquences d’une telle « prolifération »... positive.
Toutefois, j’estime que la représentation nationale n’a pas suffisamment étudié cette question et les conséquences de la politique de notre pays en la matière.
Je ne souhaite pas critiquer, contester ou polémiquer. Mon objectif est simplement d’attirer votre attention, de présenter cette problématique et d’obtenir que la Haute Assemblée fasse preuve d’initiative en abordant sans complexes ni tabous cette question, parce que nous avons devant nous des échéances importantes.
D’abord, le traité de réduction des armes stratégiques, connu sous le nom de START, signé en 1991, arrive à son terme le 5 décembre. Entre Washington et Moscou, l’époque semble être à la détente. En juillet dernier, le président Obama et le président Medvedev se sont engagés à signer un nouveau traité réduisant leur nombre de têtes nucléaires. Comme nous savons que la Russie et les États-Unis possèdent environ 95 % des armes atomiques mondiales, ce mouvement décroissant pourrait avoir des conséquences sur les 5 % restants et cela nous concerne.
Ensuite, deuxième échéance importante, en 2010 aura lieu l’évaluation du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, le TNP.
Voilà un très bref récapitulatif de la situation de ce traité, conclu en 1968, entré en vigueur en 1970 et initialement prévu pour vingt-cinq ans, qui a été prolongé de façon indéfinie en 1995 avec une évaluation prévue tous les cinq ans.
Il a été ratifié par 189 pays, dont l’Iran et les cinq grandes puissances nucléaires, membres permanents du Conseil de sécurité.
Aux termes du TNP, les puissances nucléaires s’interdisent de transférer des armes nucléaires et d’aider un pays à s’en doter.
Les États signataires non dotés d’armes nucléaires s’engagent à ne pas en mettre au point ni en acquérir. En contrepartie, l’accès aux usages pacifiques de l’énergie atomique leur est garanti sous réserve d’un contrôle par l’Agence internationale de l’énergie atomique.
L’Inde et le Pakistan, devenus puissances nucléaires de facto en 1998 après des essais atomiques à leur actif, n’ont pas signé le TNP. Israël n’a jamais reconnu publiquement disposer d’un arsenal nucléaire et s’est toujours refusé à signer le traité. En septembre 2009, la Conférence générale de l’AIEA a exprimé « sa préoccupation » dans une résolution appelant Israël à abandonner l’arme nucléaire.
La Corée du Nord est sortie du traité en janvier 2003. En octobre 2006, elle a fait exploser sa première bombe atomique. Les discussions internationales pour obtenir sa dénucléarisation sont au point mort depuis le retrait de la table des négociations de Pyongyang en avril 2009. En mai 2009, elle a annoncé avoir réussi un nouvel essai nucléaire.
À la fin de l’année 2003, l’Iran a accepté un protocole additionnel, signé par une centaine d’États, qui permet un contrôle inopiné et approfondi des sites et activités nucléaires. En février 2006, le président Mahmoud Ahmadinejad a ordonné la fin de l’application du protocole.
La Corée du Nord, comme l’Iran, ont été visés par des sanctions de l’ONU pour leurs activités nucléaires ou balistiques.
La Syrie, l’Égypte, l’Irak, le Nigeria et Taïwan sont ou ont été soupçonnés d’avoir des activités nucléaires militaires. Plusieurs pays ont renoncé officiellement à un armement nucléaire : l’Afrique du Sud, l’Argentine, le Brésil, le Kazakhstan, le Bélarus, l’Ukraine et la Libye.
Voilà pour ce bref rappel destiné à mettre en lumière l’intérêt de ce dossier afin de nous inciter à nous occuper rapidement de ces questions.
Nucléaire civil, nucléaire militaire, exportation de technologies sensibles, politique de non-prolifération... voilà des sujets qui concernent directement la sécurité de notre pays, la sécurité de l’Europe et donc la paix dans le monde.
Quels sont les trois piliers du TNP ? La non-prolifération, le désarmement et la coopération pour les usages civils de l’énergie nucléaire.
J’estime que l’exemption décidée au bénéfice de l’Inde illustre une certaine inadaptation du TNP aux réalités actuelles. Il ne faudrait pas affaiblir cet édifice, comme cela a été dit, et ainsi faciliter à d’autres pays moins regardants que l’Inde des interprétations ou des lectures ad hoc du régime international de non-prolifération.
Quelle est la situation actuelle ?
Récemment, le Parlement européen s’est ému devant l’absence de progrès dans la réalisation des objectifs du TNP, comme en fait état le rapport d’Angelika Beer en avril 2009.
Cette situation est paradoxale : d’un côté, des inquiétudes sur une prolifération nucléaire militaire non maîtrisée et, de l’autre, une demande accrue, et une disponibilité plus grande, de technologies nucléaires !
Elle est paradoxale aussi, parce que coexistent en même temps des initiatives nombreuses prônant un désarmement nucléaire radical, telles la campagne « Global Zero » ou la proposition de désarmement de Henry Kissinger et de George Shultz, et une demande internationale croissante sur le nucléaire civil. Hier, nous avons pu lire dans le quotidien Le Monde un article transcourants sur ces questions.
Notre pays ne peut pas rester sur le bord de la route et regarder passer les débats et les propositions qui, directement ou indirectement, concernent aussi bien notre capacité de dissuasion nucléaire que la politique française de coopération dans le domaine nucléaire civil.
Ainsi, la prochaine conférence d’examen de 2010 des parties au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires revêt pour nous une très grande importance.
Monsieur le secrétaire d’État, quelle est la position de la France et quelles sont les initiatives que notre pays entend porter lors de cette conférence de 2010 ?
Je considère essentiel que notre pays ne soit pas isolé quand la communauté internationale, dans ses différentes enceintes, traite des questions de défense et de sécurité, le nucléaire, civil ou militaire, en faisant partie.
C’est pourquoi j’ai approuvé sincèrement l’adoption, par le Conseil européen le 12 décembre 2003, d’une stratégie de l’Union européenne contre la prolifération des armes de destruction massive.
Aujourd’hui, presque sept ans plus tard, nous sommes en droit de nous interroger sur le bilan et les effets d’une telle stratégie.
Avez-vous, monsieur le secrétaire d’État, des éléments à nous communiquer à cet égard ?
Par ailleurs, toujours sur l’Europe, concrètement, quel est l’avis du Gouvernement sur les propositions existantes en vue de placer la production, l’utilisation et le retraitement de tout le combustible nucléaire sous le contrôle de l’AIEA ?
La France soutient-elle le Conseil et la Commission européenne qui seraient disposés à contribuer financièrement, à hauteur de 25 millions d’euros, à la création d’une banque de combustibles nucléaires placée sous le contrôle de l’AIEA ?
Peut-on, doit-on soutenir d’autres initiatives visant à la multilatéralisation du cycle du combustible nucléaire en vue de l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire ?
Mes chers collègues, vous le voyez, les sujets sensibles ne manquent pas et, en dehors de tout esprit polémique, je souhaite que ces matières soient abordées par notre assemblée.
Il s’agit là d’une composante forte de notre politique étrangère et de notre politique de défense. Le nucléaire, sous toutes ses formes, ne doit pas rester à la porte de la Haute Assemblée. Pour autant, le groupe socialiste votera le projet de loi qui nous est soumis. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Gautier.
M. Jacques Gautier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’Inde est un pays démocratique et responsable et il est devenu un acteur incontournable de la vie internationale. Il se trouve aujourd'hui à un tournant essentiel de son développement.
Véritable puissance en devenir, ce géant démographique, au taux de croissance en constante augmentation, a un besoin vital de redéfinir sa politique énergétique afin de répondre à d’énormes besoins dans ce domaine.
Par ailleurs, l’Inde, sixième consommateur mondial d’énergie, se retrouve face un double défi : tout d’abord, limiter sa dépendance énergétique auprès d’autres pays et surtout prendre en compte les impératifs liés au réchauffement climatique.
L’Inde a fait le choix responsable de l’énergie nucléaire, ce qui suppose la reprise d’une coopération internationale rompue en 1974, lorsque ce pays a procédé à son premier essai nucléaire.
Depuis, nous le savons bien, la situation a évolué, notamment à l’issue des trois ans de négociations entre l’Inde, l’AIEA et le groupe des fournisseurs nucléaires ou NSG – Nuclear Suppliers Group.
En mai dernier, l’Inde a conclu avec l’AIEA un nouvel accord de garanties dotant l’AIEA de pouvoirs d’inspection et de contrôle des installations et activités nucléaires civiles.
Enfin, rappelons-le, bien que l’Inde ne soit pas un État partie au traité sur la non-prolifération nucléaire, ce pays – cela a été largement souligné sur tous les bancs – a adopté en 2006 un plan de séparation entre ses installations civiles et ses activités nucléaires militaires.
De son côté, la France, par l’expertise qu’elle a pu acquérir en tant que puissance nucléaire et en tant qu’État partie au traité sur la non-prolifération, se trouvait tout naturellement être un partenaire responsable et capable d’offrir à l’Inde le partenariat stratégique dont elle a besoin.
En outre, la France et l’Inde avaient posé le principe d’une coopération nucléaire civile en 2005 et en 2006, afin d’aboutir à un accord de coopération pour le développement des utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire.
Aujourd’hui, l’Inde répond aux critères du régime international de non-prolifération, ce dont nous nous réjouissons.
Cet accord est l’occasion d’un partenariat stratégique unique et de coopération avec la France dans des domaines tels que la recherche fondamentale, la gestion du combustible nucléaire et de ses déchets, la sûreté et la radioprotection, la fusion nucléaire dans le cadre d’ITER.
La mise en œuvre de l’accord est une formidable promotion de notre champion national, AREVA. C’est de bon augure pour conclure d’autres partenariats qui auront des répercussions importantes sur notre économie et sur l’emploi.
Cet accord conforte notre position en matière de réduction des gaz à effet de serre en faisant le choix du nucléaire comme source propre d’énergie, évitant ainsi le réchauffement climatique.
De plus, il est en cohérence avec notre politique extérieure dans le domaine du nucléaire civil, qui vise à promouvoir, à l’échelle mondiale, un développement responsable des usages nucléaires civils.
Je veux terminer en rendant un hommage particulier à l’action du Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, qui a su, par sa volonté politique, renforcer ce partenariat stratégique en dépassant les clivages d’influence traditionnels de notre diplomatie.
En effet, contrairement à ce que disait à l’instant notre collègue Didier Boulaud, je me félicite de l’engagement du Président de la République dans ce domaine.
Je veux aussi saluer l’excellent travail de notre rapporteur, M. Xavier Pintat, dont nous connaissons tous la compétence et la motivation.
Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera ce projet de loi autorisant l’approbation de cet accord de coopération. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Pierre Fauchon applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en tant que président du groupe interparlementaire d’amitié France–Inde du Sénat, vous comprendrez que j’approuve sans réserve cet accord de coopération.
Il marque une nouvelle étape dans le partenariat stratégique qui nous lie à la République de l’Inde depuis 1998.
Pour la France, il ouvre des perspectives de coopération bilatérale avec le pays qui deviendra bientôt – nous le répétons depuis un petit moment ! – le deuxième marché au monde en matière de nucléaire civil.
En Inde, la mise en œuvre de cet accord va contribuer à satisfaire les besoins énergétiques considérables – M. de Montesquiou nous a livré les données chiffrées – que génèrent le développement économique et la croissance démographique formidables de ce pays, qui ne tardera pas à être le pays le plus peuplé au monde et donc la plus grande démocratie. En effet, l’Inde, rappelons-le, est une authentique démocratie ; on ne peut pas en dire autant de tous les pays.
Au sein de la délégation qui accompagnait le Président de la République lors de sa visite d’État de janvier 2008 – vous en faisiez partie, monsieur le secrétaire d'État –, j’ai constaté l’ampleur des besoins énergétiques de ce pays. En Inde, près de 450 millions de personnes n’ont pas accès à l’électricité et de nombreuses régions sont confrontées à une pénurie chronique d’approvisionnement.
Enfin, au-delà des volontés concordantes qu’ont manifestées les deux gouvernements et des intérêts convergents des deux pays, cet accord est l’aboutissement d’un processus dont il faut souligner l’importance politique pour l’ensemble de la communauté internationale. J’ajouterai au passage que, dans ce processus, l’ancien Président de la République Jacques Chirac a joué, voilà bien des années, un rôle tout à fait important.
Grâce aux négociations qui ont jalonné ce processus, l’Inde a accepté de placer sous le contrôle de l’Agence internationale de l’énergie atomique, l’AIEA, une partie de son programme nucléaire civil ainsi que toutes les activités futures susceptibles de bénéficier d’une coopération nucléaire civile.
C’est cette décision, mais aussi les engagements pris en matière de non-prolifération, qui ont conduit le groupe des fournisseurs nucléaires à autoriser une reprise des transferts de biens et technologies nucléaires vers l’Inde. Tant mieux !
Les conditions qui ont été posées à la reprise de la coopération nucléaire civile avec l’Inde, un État non partie au traité sur la non-prolifération, dont aucune discipline ne lui était jusqu’alors applicable, l’ont incité à souscrire volontairement à des engagements concrets, notamment en matière de non-prolifération. On constate la fécondité des accords que l’on peut mener, même en dehors des voies officielles et consacrées ! Cette politique de conditionnalité stricte a permis de lancer un processus vertueux. Elle pourrait avoir valeur d’exemple.
Je n’ose pas penser à l’Iran, dont la situation est bien particulière et à l’égard de laquelle, personnellement, mes réflexions ne sont pas celles qui sont le plus officiellement proclamées. En effet, mes chers collègues, je m’interroge toujours sur la raison fondamentale et morale pour laquelle certains États détenteurs de l’arme atomique ont déclaré que d’autres n’avaient pas le même droit. En vertu de quelle loi inscrite dans les cieux ? Elle y est inscrite tellement haut qu’il est difficile de la lire ! (Sourires.)
M. Aymeri de Montesquiou. Très bien !
M. Pierre Fauchon. Je comprends très bien la position du point de vue de la politique de sécurité, de la Realpolitik qui, monsieur le secrétaire d'État, fait naturellement partie de nos obligations. Mais, de là à l’ériger en principe souverain... Voilà qui me laisse quelque peu perplexe ! Mais je referme cette parenthèse !
La relation de confiance que ce cheminement a permis de nouer entre le groupe des fournisseurs nucléaires et l’Inde est l’un des éléments qui permettront à ce pays d’occuper toute sa place au sein de la communauté internationale.
Au-delà de cet effet direct, il faut noter au passage qu’il s’agit d’une étape qui sera importante, en tout cas significative, vers l’accession de la République indienne à un siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies – cela dépasse bien évidemment le cadre de cet accord, mais cela n’en reste pas moins une question très importante – et, d’une manière plus générale, son association à un G8 élargi que la France appelle de ses vœux. Ce projet de loi est donc l’aboutissement d’une évolution très positive, porteuse de paix et de sécurité dans une région dont nous connaissons l’importance stratégique et pour laquelle notre pays éprouve une naturelle et spontanée sympathie, fort bien exprimée en son temps, je l’ai dit tout à l’heure, par le président Jacques Chirac et, plus récemment, par le président Nicolas Sarkozy.
Je ne pense pas vous surprendre en vous disant que nous voterons ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Je vais répondre brièvement aux questions qui m’ont été posées, dans un débat d’une grande qualité qui est à l’honneur du Sénat. Permettez, mesdames, messieurs les sénateurs, à celui qui, depuis sa thèse de doctorat, a consacré de nombreuses années de sa vie aux questions de non-prolifération nucléaire de rendre hommage non seulement au travail du rapporteur, mais aussi aux interventions de l’ensemble des membres de votre assemblée, dont l’analyse des faits comme les réflexions présentées ont été excellentes.
Je me félicite également du consensus qu’a recueilli, sur l’ensemble des travées, l’approbation de ce texte et donc la ratification de cette convention nucléaire franco-indienne. Parallèlement à celle qui lie l’Inde aux États-Unis et à la Russie, cette convention va permettre un développement de l’énergie nucléaire propre en Inde, qui compte 1,2 milliard d’habitants, et cela dans des conditions de sécurité permettant à l’AIEA d’être sûre qu’aucune de ces installations ne participe, de près ou de loin, au développement des programmes nucléaires militaires de ce très grand pays.
Vous avez, les uns et les autres, soulevé toute une série de questions de fond qui, je me permets de le dire, madame la présidente, appelleraient un vrai débat dans les deux assemblées, débat que, personnellement, je ne crains aucunement. En effet, plus on développera la connaissance de nos concitoyens sur ces sujets, mieux on confortera le consensus sur notre système de dissuasion militaire et sur nos programmes nucléaires civils, qui sont exemplaires et qui contribuent à faire aujourd’hui de la France l’un des pays pionniers à l’approche du sommet de Copenhague. En ce début de XXIe siècle il est bon de garder à l’esprit les questions stratégiques de fond.
Bien évidemment, je ne saurais ce matin me substituer ni au Premier ministre, ni à mes excellents collègues de la défense et des affaires étrangères. Toutefois, le modeste secrétaire d’État aux affaires européennes que je suis va tenter, sinon de vous répondre (M. Didier Boulaud rit.), du moins de donner un éclairage aux questions de fond qui ont été posées.
À M. de Montesquiou, qui a parlé de garanties unilatérales données par l’Inde, je me permets de répondre qu’un certain nombre des systèmes de contrôle acceptés par l’Inde ne sont pas unilatéraux. Ils résultent d’un accord passé avec l’AIEA, et donc de l’application d’un texte qui a une valeur juridique et qui va au-delà de simples garanties unilatérales ! L’Inde a adopté un plan de séparation entre ses installations nucléaires militaires, d’une part, et civiles, d’autre part.
Il en a été de même pour la France quand elle a signé, vingt-quatre ans après son ouverture à la signature, ce traité sur la non-prolifération des armes nucléaires.
Monsieur de Montesquiou, vous m’avez également interrogé, comme d’autres intervenants, sur le Pakistan et Israël ? Quid de l’élargissement à d’autres pays, particulièrement à ceux-là, de la dérogation au traité, qui revient à leur accorder un statut d’exemption ?
Vous connaissez la doctrine d’Israël. Ce pays ne reconnaît pas la possession d’armes nucléaires et n’est pas prêt, à l’heure actuelle, à accepter de signer le TNP, ni même d’ailleurs un système d’exemption. Mais cela peut changer…
S'agissant du Pakistan, la question a été posée. Pour m’y être rendu lorsque je m’occupais notamment de l’Afghanistan, je sais qu’un certain nombre d’officiels pakistanais ont émis le désir de voir se développer dans leur pays une industrie nucléaire civile et donc de trouver un système similaire à celui de l’Inde. À ce stade, et sans engager plus avant le Gouvernement, je note simplement que l’histoire du développement nucléaire au Pakistan n’est pas, de ce point de vue, particulièrement rassurante !
Si l’industrie nucléaire de l’Inde a proliféré à partir d’installations civiles et si ce pays a veillé ensuite à ne disséminer ni la connaissance, ni la technologie, et encore moins les installations nucléaires civiles, on peut être beaucoup plus critique à l’égard de la Corée du Nord, du Pakistan et de certains autres pays.
L’exemple du docteur Abdul Qadeer Khan, que j’ai jadis rencontré à Islamabad et dont la carrière va de l’usine d’enrichissement d’uranium hollandaise, Urenko, jusqu’à la création de la bombe atomique pakistanaise, n’est pas très rassurant à cet égard, d’autant qu’il a récemment été élargi par la justice pakistanaise !
Je n’en dirai pas plus. Mais, personnellement, je doute que soit étendu à d’autres pays le régime d’exemption accordé à l’Inde après des années de négociations et un examen très approfondi de la part non seulement des États-Unis, de la France et de la Russie, mais aussi de pays exportateurs. Cela me permet de répondre en même temps à d’autres orateurs, notamment MM. Didier Boulaud et Michel Billout, qui se sont inquiétés de la fragilisation du système du traité sur la non-prolifération. Vraiment, je ne pense pas que l’exemption indienne fasse immédiatement et massivement jurisprudence.
J’en viens à la question de l’Iran posée, entre autres, par MM. Boulaud, Billout et de Montesquiou. À la différence de l’Inde, ce pays est signataire du traité sur la non-prolifération. Dès lors comment obtenir l’arrêt de l’enrichissement, que nous appelons de nos vœux, alors que le traité signé en 1968 ne l’interdit pas expressément, pas plus qu’il ne prohibe le retraitement ?
Le traité de non-prolifération était en effet fondé sur le principe d’un échange entre l’accès au nucléaire civil et le renoncement aux armes nucléaires. Ce n’est que postérieurement, dans les années soixante-dix, avec la constitution du groupe des exportateurs de biens nucléaires au lendemain du premier essai indien, que le régime des garanties a été progressivement élargi, et les parties sensibles du cycle – l’enrichissement et le retraitement, qui permettent de développer soit le nucléaire civil, soit le nucléaire militaire –, sécurisées.
En ce qui concerne l’Iran, le problème est que ce pays a engagé un programme très important d’enrichissement, qui lui permet de disposer de plus d’une tonne et demie d’uranium enrichi, alors qu’il n’a toujours pas de réacteur nucléaire civil en fonctionnement. C’est ce décalage pour le moins frappant qui nous conduit à penser que la sécurité internationale impose d’obtenir l’arrêt de cet enrichissement et le démantèlement des installations qui y contribuent.
M. Robert Badinter. Et si nous ne l’obtenons pas ?
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Au-delà, il faudrait que l’enrichissement nécessaire au nucléaire civil se fasse en dehors de ce pays.
Ce point nous permet d’ailleurs de revenir à une autre question, fort intéressante, posée par M. Boulaud sur les méthodes d’enrichissement pour les pays qui ne sont pas tentés par la prolifération. Du côté français, nous avons essayé de mettre en œuvre cette fameuse idée de banque du combustible, annoncée dès 1946 dans le plan Baruch, EURODIF et URENCO pouvant finalement être assimilées à des installations multinationales d’enrichissement. La création d’une telle banque faisait partie des engagements de campagne du Président Sarkozy et nous soutenons naturellement les initiatives qui pourraient être prises des deux côtés de l’Atlantique, entre Européens ou avec les États-Unis.
Vous sembliez reprocher implicitement à la France de développer des programmes nucléaires civils, monsieur Boulaud. Ils me semblent pourtant indispensables aujourd’hui, tant pour le développement de nombreux pays que pour lutter sérieusement contre le réchauffement climatique, à condition de s’assurer qu’ils ne contribuent pas, à terme, à la fabrication de matières fissiles militaires. Il convient pour cela de sécuriser les aspects sensibles du cycle, de construire des installations multinationales d’enrichissement et de retraitement ou, sinon, d’organiser le rapatriement de ces matières.
En revanche, je vous rejoins sur le fait que l’on ne consacre ni assez de temps ni assez d’argent à cette question. Je souhaiterais pour ma part qu’elle soit évoquée dans le cadre d’une réflexion globale sur l’avenir de la non-prolifération.
J’en viens aux réflexions de M. Fauchon, qui s’interroge sur la raison pour laquelle les uns ont droit à la bombe, et les autres non. Quid du désarmement, quid de la résolution 1887 adoptée tout récemment lors de ce Conseil de sécurité très extraordinaire présidé par le Président Obama, en présence des chefs d’État ?
Partout dans le monde, on débat aujourd’hui du désarmement général – global zero –, et cette question faisait encore l’objet d’une convergence bipartisane à la une du journal Le Monde hier. À l’instar de M. Boulaud, je pense que nous devons débattre de ce sujet essentiel, mais en gardant les yeux ouverts. Si la France souhaite aller vers un désarmement général et complet, nous ne devons pas oublier ceux qui prolifèrent pendant que nous discutons de cette question à l’ONU. Ne soyons pas naïfs, monsieur Fauchon : il n’y a peut-être pas de principe général qui condamne les puissances à être inégales, mais il y a un principe de sécurité élémentaire. Contrairement au général Gallois, je crois en réalité que plus il y a de fous nucléaires, moins on rit… Par ailleurs, la non-prolifération paraît d’autant plus indispensable que des acteurs non-étatiques pourraient mettre la main sur des armes nucléaires.
Il faut continuer à sécuriser le traité de non-prolifération l’an prochain et encourager tout ce qui va dans le sens du désarmement. Si les États-Unis et la Russie s’entendent d’ici à la fin de l’année sur un traité limitant les armes offensives, la France s’en réjouira, tout comme elle a approuvé le démantèlement du bouclier anti-missile que les Américains envisageaient d’implanter en République tchèque et en Pologne, et qui faisait obstacle à un accord sur les armes offensives.
Oui, nous souhaitons une réduction du niveau d’armes, qui est bien trop élevé à l’heure actuelle – plusieurs dizaines de milliers d’armes sont en circulation. Nous souhaitons la fixation d’un seuil minimal d’armements. Nous y sommes du côté français : nous avons fait de gros efforts de désarmement unilatéral dans les années quatre-vingt-dix et deux mille, en réduisant notre arsenal de missiles à courte et moyenne portée et la voilure de notre système de dissuasion dans son ensemble. Je souhaiterais que d’autres nations en fassent autant et qu’à terme ce contrat entre les puissances nucléaires et les autres États passe par un renforcement du traité de non-prolifération.
Enfin, n’oublions pas que, dans la plupart des cas, les proliférateurs ne sont pas passés par les centrales électronucléaires pour fabriquer la bombe atomique, mais par des facilités dédiées et des technologies très précises portant sur ces segments sensibles du cycle que sont l’enrichissement et le retraitement. En général, un réacteur de recherche suffit largement. Le paradoxe est que l’exemption consacrée par cette convention concerne l’un des très rares pays, sinon le seul, qui ait proliféré à partir d’un réacteur électronucléaire acheté au Canada.
Mme la présidente. Nous passons à la discussion de l’article unique.
Article unique
Est autorisée l’approbation de l’accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l’Inde pour le développement des utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire (ensemble deux annexes), signé à Paris le 30 septembre 2008, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
8
Article 65 de la Constitution
Discussion d'un projet de loi organique
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique relatif à l’application de l’article 65 de la Constitution (projet n° 460 rectifié, 2008-2009 ; texte de la commission n° 636, 2008-2009 ; rapport n° 635, 2008-2009).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre d’État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Madame le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 organise la modernisation de nos institutions en vue de développer, au quotidien, la vie démocratique dans notre pays. Le projet de loi organique que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui vise à la mise en œuvre de la volonté ainsi exprimée en ce qui concerne le Conseil supérieur de la magistrature.
Permettez-moi tout d’abord de souligner le travail remarquable effectué sur ce texte par votre commission des lois, en particulier par son rapporteur.
La justice constitue l’un des piliers de l’unité de notre pays. Elle l’est aujourd’hui plus que jamais, au moment où la mondialisation, le développement d’un certain communautarisme et la contestation de l’autorité sont autant d’éléments centrifuges qui contribuent au délitement de notre unité nationale.
C’est pourquoi il est essentiel de réapprendre aux Français que les règles de droit, s’appliquant par définition à tous, incarnent cette unité et que la justice est sans doute l’institution la plus déterminante pour asseoir la conscience de cette unité.
Dans cette optique, le renforcement de la confiance dans la justice et l’adaptation de l’institution judiciaire aux exigences d’une démocratie moderne constituent les enjeux de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature.
Deux objectifs sont au cœur du texte : offrir de nouvelles garanties d’indépendance à l’autorité judiciaire – l’évolution des attributions et de la composition du Conseil supérieur de la magistrature y contribuera –, mais aussi rapprocher la justice du citoyen. À cet égard, la saisine directe du Conseil supérieur de la magistrature par le justiciable représente, sinon une révolution, à tout le moins une véritable avancée dans notre droit et dans les rapports du justiciable à la justice.
Les débats en commission ont permis à la fois d’atteindre ces objectifs et de respecter un juste équilibre entre l’effectivité de la saisine par le justiciable et la nécessaire sérénité de la justice, qui doit toujours demeurer l’une de nos préoccupations majeures.
Le projet de loi organique précise les attributions et la composition du Conseil supérieur à partir de trois principes : l’indépendance, l’ouverture, la transparence.
L’indépendance d’abord, parce que c’est un élément fondamental des valeurs de la justice. Le Président de la République cesse de présider le Conseil supérieur de la magistrature. Le garde des sceaux perd, par là même, sa qualité de vice-président. La procédure de nomination du secrétaire général et les modalités de réunion du Conseil doivent donc être adaptées en conséquence.
Deuxième principe : l’ouverture. De fait, notre société s’ouvre et il nous faut prendre en compte cette évolution. La composition du Conseil supérieur de la magistrature intègre cette exigence. Six personnalités qualifiées seront nommées par le Président de la République, le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat, comme c’est déjà le cas pour bien d’autres autorités. Le texte prévoit d’ailleurs l’application à ces nominations de la procédure de l’article 13 de la Constitution, modifié l’an passé, ce qui offre une garantie supplémentaire.
Le nouvel article 65 de la Constitution prévoit en outre la désignation d’un avocat en tant que membre du Conseil supérieur. Le texte que je vous soumets en précise les modalités et, notamment, lève les incompatibilités entre les fonctions de membre du Conseil supérieur et la profession d’avocat. Nous aurons sans doute l’occasion d’en discuter.
Troisième principe : la transparence. Les attributions du Conseil supérieur de la magistrature, dans le domaine des nominations, sont élargies. Il rendra désormais un avis sur toutes les nominations des magistrats au parquet, y compris sur les emplois pourvus en conseil des ministres, essentiellement le procureur général près la Cour de cassation et les procureurs généraux près les cours d’appel. L’indépendance des magistrats du parquet s’en trouvera renforcée.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je l’ai indiqué voilà quelques instants, l’autre volet du projet de loi organique, à savoir la saisine directe du Conseil supérieur par le justiciable, est une authentique innovation dans le droit français. Sa mise en œuvre vise à garantir l’effectivité du mécanisme tout en préservant la stabilité de l’autorité judiciaire : il y a là un équilibre essentiel, mais qui n’est pas facile à établir.
La saisine directe du Conseil supérieur porte d’abord sur la matière disciplinaire. Il faut le rappeler, il est déjà possible, par voie de recours, de contester éventuellement des décisions juridictionnelles ou de dénoncer le fonctionnement défectueux de la justice : ce sont l’appel et la cassation, d’un côté, l’action contentieuse sur le fondement de la responsabilité de l’État, de l’autre.
En revanche, à ce jour, en matière disciplinaire, le justiciable n’a aucune possibilité de saisir directement le Conseil supérieur. Seuls le garde des sceaux et les chefs des cours d’appel peuvent dénoncer à l’instance disciplinaire les manquements des magistrats.
Désormais, si ce texte est adopté, tout citoyen pourra directement saisir le Conseil supérieur de la magistrature lorsqu’il estimera que, à l’occasion d’une procédure judiciaire, le comportement – j’insiste sur ce terme – d’un magistrat mérite de faire l’objet d’une qualification disciplinaire.
Ce droit de saisine doit être accessible, mais il doit aussi être encadré.
L’encadrement du droit repose sur l’esprit même de la loi constitutionnelle. Le nouveau droit vise à protéger les libertés du citoyen ; il ne doit pas pour autant aboutir à une déstabilisation des magistrats ou de l’institution tout entière.
L’accessibilité est garantie par le fait que les exigences de forme sont finalement très peu contraignantes. Il suffit au justiciable d’écrire une lettre retraçant de manière détaillée les faits et griefs allégués. Il n’a pas besoin de recourir aux services d’un avocat.
Néanmoins, afin de parer à tout risque de déstabilisation, le projet de loi organique prévoit un filtrage à deux niveaux de la demande du justiciable.
Premièrement, la plainte devra être jugée recevable. En effet, il faut empêcher les dénonciations intempestives, susceptibles de porter atteinte à la sérénité du travail des magistrats. En tant qu’élus, nous savons bien que certains citoyens ont une vision telle de la justice qu’ils en viennent à contester systématiquement l’attitude des magistrats ou les décisions qu’ils rendent.
Le filtrage consistera d’abord, pour la section compétente – ou la commission des requêtes – du Conseil supérieur de la magistrature à vérifier qu’un certain nombre de conditions sont remplies, et en premier lieu que le requérant est bien concerné par la procédure à l’occasion de laquelle il conteste le comportement d’un magistrat.
En deuxième lieu, la plainte ne peut viser que le comportement du magistrat dans l’exercice de ses fonctions.
En troisième lieu, la plainte ne peut, en principe, être reçue que lorsque le magistrat du siège n’est plus saisi de la procédure en cause ou lorsque le parquet n’est plus chargé du dossier. Cette règle étant posée, il est néanmoins prévu que, à titre exceptionnel, et dans des procédures qui seraient particulièrement longues, le Conseil supérieur pourra être saisi au cours de la procédure. La commission des lois du Sénat a proposé cette avancée pour tenir compte d’une réalité que notre droit ne saurait effectivement ignorer. Il s’agit là d’une juste appréciation des différences de situation qui peuvent exister selon les procédures en cours.
Le président de la section pourra ainsi rejeter les plaintes qui ne remplissent pas ces conditions et qui apparaissent irrecevables, abusives ou manifestement infondées.
La plainte doit ensuite viser un comportement susceptible de recevoir une qualification disciplinaire : c’est le deuxième niveau du filtrage. Pour vérifier cette condition, des informations et des observations seront recueillies par la section du Conseil supérieur auprès des chefs de cour.
Afin de dissiper les doutes éventuels sur les qualités du magistrat, la procédure doit, dans le même temps, trouver une issue rapide. C’est la raison pour laquelle les chefs de cour se sont vu impartir un délai de deux mois pour répondre aux demandes d’information qui leur sont adressées par la section du Conseil supérieur.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je n’entrerai pas davantage dans le détail de ce texte, dont l’esprit et la philosophie correspondent simplement à la volonté de rapprocher la justiciable de la justice, en même temps que de conforter l’image d’indépendance de notre justice.
Le Conseil supérieur de la magistrature doit refléter ce que doit être la justice du xxie siècle, une justice moderne, reconnue, transparente, une justice qui soude l’unité nationale. Nous avons besoin plus que jamais d’une justice qui soit fière de ses valeurs, fière des principes sur lesquels elle repose, d’une justice irréprochable, consciente de la nécessaire exemplarité de chacun des magistrats, d’une justice proche des justiciables, en phase avec la société, au cœur de notre démocratie
Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les objectifs du projet de loi organique que j’ai l’honneur de soumettre aujourd’hui à votre appréciation et à votre vote. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, avec la révision du 23 juillet 2008, l’article 65 de notre Constitution, consacré au Conseil supérieur de la magistrature, est non seulement passé de neuf à onze alinéas, mais il a surtout fait l’objet d’une réécriture totale.
La composition, l’organisation et les attributions du Conseil supérieur en sont profondément modifiées. Le nombre de ses membres n’appartenant pas à la magistrature a été augmenté, les magistrats devenant minoritaires lorsque les formations statuent sur les nominations, mais siégeant à parité avec les non-magistrats dans les formations disciplinaires.
La révision met fin à la présidence du Conseil supérieur par le Président de la République, qui demeure cependant garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire. Elle met également fin à la vice-présidence du ministre de la justice. Ce dernier, bien que n’étant plus membre du Conseil, peut participer aux séances de ses formations, sauf en matière disciplinaire.
La nouvelle rédaction de l’article 65 de la Constitution élargit les attributions du Conseil supérieur en lui permettant de donner un avis simple au ministre de la justice sur les nominations aux emplois de procureur général.
Enfin, la récente loi constitutionnelle innove largement en permettant la saisine du Conseil supérieur de la magistrature par un justiciable. On peut d’ailleurs opérer, à cet égard, un rapprochement avec le projet de loi organique relatif à l’application de l’article 61–1 de la Constitution, qui ouvre la possibilité pour tout justiciable de saisir le Conseil constitutionnel aux fins d’un contrôle de constitutionnalité a posteriori et que le Sénat vient d’adopter.
Ces différentes réformes, touchant un organe essentiel au fonctionnement de la justice dans notre pays, seront mises en œuvre par le projet de loi organique qui est aujourd’hui soumis en premier lieu au Sénat.
Si l’on s’attache tout d’abord à ce droit de saisine directe du Conseil supérieur de la magistrature par les justiciables, on doit constater qu’il s’inscrit dans le cadre d’un débat récurrent sur la responsabilité des magistrats.
D’ailleurs, le législateur a déjà réfléchi récemment à un tel dispositif : lors de l’examen de la loi organique du 5 mars 2007 relative au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats. Le mécanisme alors adopté, qui aurait permis à toute personne, physique ou morale, estimant que le comportement d’un magistrat était susceptible de constituer une faute disciplinaire, de saisir d’une réclamation le médiateur de la République, a été censuré par le Conseil constitutionnel.
Cet aspect de la question de la déontologie et de la discipline des magistrats, qui se situe au cœur du débat sur la justice depuis une dizaine d’années, et qui a encore été exacerbé par les graves dysfonctionnements mis en évidence dans l’affaire d’Outreau, restait donc, au moins partiellement, sans réponse.
Au-delà, c’est tout le problème de la confiance des citoyens à l’égard de leur justice qui se trouve posé, même si une étude réalisée en 2008 par le Conseil supérieur de la magistrature montrait que 63 % des personnes interrogées maintenaient leur confiance dans la justice, score certes moins flatteur que pour les hôpitaux – 89 % de taux de confiance –, l’école – 82 % –, l’armée – 81 % –, la police – 76% – ou la fonction publique – 73 % –, mais sensiblement supérieur à la confiance exprimée, mes chers collègues, à l’égard des élus – 44% – ou des médias – 31%.
L’ambition du projet de loi, relayée par la commission, qui a adopté sur ce point un certain nombre d’amendements, réside dans la recherche d’un équilibre entre la responsabilité disciplinaire des magistrats, fondée sur leurs obligations déontologiques et la préservation de la sérénité et de l’indépendance de la justice.
Il convient donc de donner à la saisine du justiciable son plein effet, sans pour autant prendre le risque de déstabiliser les juges. Il s’agit là d’une évolution considérable dans la compétence du Conseil supérieur de la magistrature en matière disciplinaire, dont les saisines par le ministre de la justice ou les chefs de cour se comptaient jusqu’à présent, chaque année, sur les doigts des deux mains, voire d’une seule ; il y en aura vraisemblablement, dans les années à venir, des dizaines ou des centaines.
La révision constitutionnelle et le projet de loi organique répondent sur ce point à la demande, largement exprimée, d’un renforcement de la responsabilité disciplinaire des magistrats. Guy Canivet, ancien premier président de la Cour de cassation, et Julie Joly-Hurard ont écrit à juste titre : « L’époque où l’on présupposait que l’autorité et le crédit de la justice reposaient sur le silence gardé à propos des fautes commises par les juges, pour maintenir, par la dissimulation, le mythe du juge irréprochable, est aujourd’hui révolue. La culture du secret n’est socialement plus admise. Bien au contraire, l’autorité de la justice comme la confiance des justiciables en celle-ci sont actuellement et plus que jamais fondées sur la transparence de la procédure et de la jurisprudence disciplinaires, qui permet à tout citoyen de vérifier que les fautes révélées sont effectivement et proportionnellement sanctionnées. »
La commission des lois a également été animée par le souci de renforcer l’indépendance de la justice. Dans la mesure où le constituant, sur l’initiative du Sénat et notamment de Jean-Jacques Hyest, rapporteur du projet de révision constitutionnelle, a consacré une exigence de parité entre les membres magistrats et les membres non-magistrats pour la composition des formations du Conseil supérieur de la magistrature siégeant en matière disciplinaire, la commission a veillé à ce que cette règle ne puisse être contournée, par exemple en cas d’absence ou d’empêchement des présidents de formation.
Rappelons que tous les conseils de justice de l’Union européenne, les homologues de notre Conseil supérieur de la magistrature, sont majoritairement composés de magistrats, à deux exceptions près : la Belgique et la République slovaque, qui pratiquent une stricte parité. Cette exigence est également exprimée par plusieurs textes européens, dont la Charte européenne sur le statut des juges du Conseil de l’Europe.
Enfin, la commission s’est efforcée de garantir l’impartialité du Conseil supérieur de la magistrature. Elle a ainsi souhaité inscrire dans le texte organique les obligations déontologiques particulières d’indépendance, d’impartialité et d’intégrité auxquelles doivent satisfaire les membres du Conseil.
Dans le même esprit, elle a précisé les conditions dans lesquelles un membre doit s’abstenir de siéger en raison des doutes que sa présence ou sa participation au délibéré pourraient faire peser sur l’impartialité de la décision rendue.
Elle a également cherché à concilier la présence ès qualités d’un avocat au sein du Conseil supérieur, voulue par le constituant, avec les difficultés que peut créer, en raison d’éventuels conflits d’intérêt, la poursuite par cet avocat d’activités au sein des tribunaux, mais aussi avec le trouble que pourrait légitimement éprouver un justiciable apprenant que le conseil de son adversaire serait susceptible d’intervenir dans le déroulement de la carrière de celui qui juge leur différend.
Le souci de l’unité du corps judiciaire, à laquelle la commission demeure attachée en dépit des turbulences que connaît aujourd’hui le statut du parquet, a également inspiré certains amendements, portant par exemple sur la création de commissions des requêtes, en charge du filtrage des plaintes des justiciables, communes pour le siège et pour le parquet.
Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, c’est une étape importante de la mise en œuvre de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 que nous abordons aujourd’hui. Puisse-t-elle largement contribuer à réconcilier les Français avec leur justice et à développer des relations apaisées entre les différents pouvoirs.
La commission des lois vous invite, mes chers collègues, à adopter ce projet de loi organique enrichi des amendements qui l’ont d’ores et déjà modifié pour constituer le texte dont nous allons débattre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la présidente, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a réformé le Conseil supérieur de la magistrature.
Cette réforme était souhaitée par les magistrats, mais elle a aussi, il faut le dire, été imposée par le choc de la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire d’Outreau.
L’article 65 de la Constitution prévoit notamment la saisine du Conseil supérieur de la magistrature par un justiciable. Dans son principe, cette disposition constitue une incontestable avancée.
Cependant, cette réforme n’a, hélas ! pas créé les conditions d’une véritable indépendance du CSM, d’un retour de la confiance de nos concitoyens envers la justice et de la transparence que vous avez, madame le garde des sceaux, évoquée, ou invoquée…
D’abord, cette réforme est entachée par l’intervention permanente du politique auprès des acteurs de la justice, mais aussi par la mise au pas régulière des procureurs et par l’instrumentalisation des juges, dont la propagande sécuritaire fait volontiers de bien commodes boucs émissaires !
Elle est ensuite entachée par la chronique de la suppression annoncée du juge d’instruction, suivant la volonté du Président de la République, dont on sait qu’il est chef de l’exécutif, chef de la majorité, chef du parti majoritaire de la majorité et qu’il commande à la justice et aux médias.
Mais revenons au CSM lui-même. Certes, le Président de la République ne le préside plus – affichage oblige –, mais le poids de l’exécutif y reste tout à fait déterminant. Le garde des sceaux n’en est plus vice-président, certes, mais il participe de droit aux séances des formations du CSM, sauf en matière disciplinaire, et sa présence ne peut être considérée comme purement formelle.
Le Président de la République nomme deux des membres du CSM, selon la procédure de l’article 13 de la Constitution, c’est-à-dire après avis des commissions des lois des deux assemblées. Or cet avis est forcément acquis, puisqu’il faudrait les trois cinquièmes de leurs membres pour refuser les nominations proposées !
Il nomme aussi le secrétaire général du CSM, sur proposition du premier président de la Cour de cassation et du procureur général, après avis du CSM, étant entendu que le principe selon lequel cet avis devait être conforme n’a pas été retenu.
Contrairement à ce que nous aurions souhaité, magistrats et personnalités qualifiées ne sont pas à égalité : les non-magistrats sont majoritaires, sauf en matière disciplinaire, du moins si la parité est respectée, comme le propose notre commission.
Autrement dit, l’emprise de l’exécutif reste très forte sur les décisions du CSM, ce qui va à l’encontre de l’indépendance de cet organisme et continue de porter atteinte à sa crédibilité, en particulier au regard de l’autonomie de ces décisions.
Pour ces raisons, nous sommes opposés à l’article 65 tel qu’il résulte de la révision constitutionnelle. Or la loi organique ne fait qu’en organiser les modalités d’application, n’ayant pas le pouvoir d’en modifier la logique. Je développerai néanmoins quelques points qui pourraient être pris en compte.
Le justiciable va pouvoir déposer auprès du Conseil supérieur de la magistrature une plainte à l’encontre d’un magistrat. Cette saisine est soumise à un filtrage, dont je ne conteste pas le bien-fondé, par la commission des requêtes dont est pourvu le CSM. Cette commission devra statuer sur la recevabilité des plaintes. Elle pourra ainsi écarter celles qui sont manifestement infondées ou sont simplement dilatoires.
Il est à noter que le magistrat mis en cause est informé dès que la commission des requêtes décide de l’examen de la plainte et de la qualification disciplinaire qu’il convient de lui accorder. La commission dispose aussi de la possibilité d’entendre le magistrat visé par la plainte.
Cependant, les dispositions relatives à la commission des requêtes posent problème. En effet, lorsqu’il y a partage des voix au sein de cette commission, la plainte est tout de même transmise pour examen à la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature. Or le doute de la commission des requêtes devrait pouvoir bénéficier au magistrat mis en cause. C’est pourquoi il paraîtrait plus juste que le partage des voix entraîne un classement sans suite de la plainte. Une décision aussi grave pour la carrière d’un magistrat ne devrait pouvoir être prise qu’à la majorité. Serait ainsi respecté le principe selon lequel le doute bénéficie à la personne mise en cause.
De plus, cela permettrait de rendre plus cohérent l’ensemble du texte puisque la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature qui se prononce sur l’existence d’une faute doit, en cas de partage égal des voix, émettre « un avis en faveur de l’absence de sanction ». Il y a donc ici une incohérence qui doit être corrigée. L’uniformisation des effets du partage des voix doit être la règle, le principe étant qu’il bénéficie au magistrat.
J’en viens au problème essentiel, à savoir le maintien de l’exécutif dans la procédure de décision. En effet, si la plainte du justiciable est rejetée par la commission des requêtes, le garde des sceaux conserve la possibilité de saisir le Conseil supérieur de la magistrature. Il y a là une véritable atteinte à l’indépendance de la justice et à la crédibilité même de l’institution, qui pourra voir sa décision de ne pas poursuivre un magistrat être remise en question par le pouvoir. C’est manifestement une entorse au principe de la séparation des pouvoirs.
L’appréciation que porte à ce sujet l’Union syndicale des magistrats n’est pas de bon augure pour les relations entre le pouvoir exécutif et les magistrats. Elle estime en effet que cet aspect de la réforme est « la marque, même symbolique, que le pouvoir politique entend garder en toutes circonstances le contrôle de la discipline en revenant au besoin sur une décision du CSM. »
On peut aussi considérer que cette disposition porte atteinte à la règle qui veut que l’on ne soit pas jugé deux fois pour le même fait. Il nous semble en effet que la décision de rejeter la plainte du justiciable qui est prise par la commission des requêtes ne devrait pas être susceptible d’un quelconque recours.
L’immixtion de l’exécutif, sous la pression de l’opinion publique, n’est pas de nature à favoriser la sérénité des délibérations du Conseil supérieur de la magistrature lorsque celui-ci doit prendre une décision susceptible de remettre en cause la carrière d’un magistrat.
J’évoquerai à présent le mode de désignation de certains membres du CSM dont il conviendrait de renforcer la légitimité.
Ainsi, l’avocat doit être, à notre avis, élu par l’assemblée générale du Conseil national des barreaux, et la commission semble partager ce point de vue. Son élection par ses pairs ne peut que renforcer son autorité. De plus, cela le placerait sur un pied d’égalité avec le conseiller d’État membre du CSM, qui est, lui, élu par l’assemblée générale du Conseil d’État. Là encore, il s’agit donc d’assurer la cohérence de la réforme qui nous est soumise.
Le secrétaire général doit également voir son autorité renforcée en étant désigné à la suite d’un avis conforme de la formation plénière du Conseil supérieur de la magistrature.
Il est important, à mon sens, de conférer à ces personnalités la plus grande légitimité possible pour leur permettre d’exercer le rôle qui leur est imparti. Cela permettrait d’éviter des polémiques inutiles.
Je voudrais soulever, s’agissant de la formation plénière du Conseil, deux autres questions.
D’une part, je déplore que les prérogatives accordées à la formation plénière ne soient pas suffisantes. En effet, si la réforme prévoit que cette formation peut être amenée à répondre aux demandes d’avis formulées par le Président de la République, ainsi qu’à toute question relative à la déontologie des magistrats ou au fonctionnement de la justice dont la saisit le garde des sceaux, elle ne peut être à l’initiative d’avis portant sur des atteintes à l’indépendance de la justice. Or une telle faculté lui aurait permis de renforcer sa crédibilité vis-à-vis de l’opinion publique et d’éviter l’instrumentalisation de certaines affaires par les autorités politiques.
D'autre part, la formation plénière est complètement absente en matière disciplinaire, le projet de loi organique lui octroyant pour seule prérogative la possibilité d’élaborer et de rendre public « un recueil des obligations déontologiques des magistrats ». C’est, à mon sens, bien insuffisant.
Soulignons aussi que certaines des sanctions prévues dans le cadre du régime disciplinaire applicable aux magistrats paraissent excessives et disproportionnées. Il en est ainsi de la révocation avec suspension totale ou partielle des droits à pension : un magistrat qui a commis une faute avérée et punissable doit naturellement être sanctionné ; pour autant, il serait injuste de toucher à sa retraite alors même qu’il a cotisé. Le magistrat doit être traité comme n’importe quel justiciable, mais évitons tout acharnement à son égard. Prévoir une telle sanction, qui remet en cause l’égalité des citoyens devant la loi, confine à l’excès de zèle. C'est la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement visant à la supprimer.
Madame le garde des sceaux, mes chers collègues, si la réforme offre une avancée en faveur des justiciables, qui pourront dorénavant saisir l’institution, elle montre toute son ambiguïté en maintenant le droit pour l’exécutif d’intervenir sur une décision du Conseil supérieur de la magistrature.
Le projet de loi organique n’atteint pas, à l’évidence, les objectifs qui lui étaient, semble-t-il, assignés, à savoir renforcer l’indépendance des magistrats et accroître la transparence et la confiance. Conformément à la position que nous avons adoptée au moment de la révision constitutionnelle, nous voterons contre. ((Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, communément défini comme la clef de voûte de l’autorité judiciaire, gardien de son indépendance et symbole de l’unité du corps judiciaire, le Conseil supérieur de la magistrature, qui a déjà été modifié à la suite de l’adoption de la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993, a fait l’objet d’une refonte encore plus importante lors de la révision de la Constitution du 23 juillet 2008. Nous nous étions alors félicités de l’adoption de dispositions modifiant de façon substantielle sa composition et ses attributions.
Le projet de loi organique qui nous est aujourd'hui soumis vise à les adapter dans le détail. L’un de ses apports majeurs concerne, bien sûr, la composition du Conseil.
La révision constitutionnelle a mis fin à la présidence du CSM par le Président de la République et à la vice-présidence de droit du ministre de la justice. Nous avons approuvé ces dispositions sans aucune hésitation. La composition du Conseil a en outre été ouverte pour lui permettre d’accueillir désormais six personnalités qualifiées n’appartenant ni à l’ordre judiciaire ni à l’ordre administratif et qui ne sont pas membres du Parlement. Cela signifie en outre que les magistrats ne seront plus majoritaires au sein du Conseil : selon les circonstances, ils seront soit à parité avec les non-magistrats soit minoritaires. Il s’agit à nos yeux d’une avancée intéressante.
Par ailleurs, la réforme ouvre la possibilité pour les justiciables de saisir directement le CSM, question qui a déjà fait l’objet de très nombreux travaux parlementaires, notamment de la commission des lois du Sénat.
Cela a été rappelé à plusieurs reprises, il y a d’abord eu un avant-projet de loi organique en 1999. Plus récemment, à la suite de la commission d’enquête sur l’affaire dite « d’Outreau », a été imaginé, un peu laborieusement d’ailleurs, un mécanisme instaurant la saisine du Médiateur de la République. Le dispositif a finalement été censuré par le Conseil constitutionnel, ce qui, à l’époque, ne nous a pas contrariés outre mesure tant nous avions conscience qu’il méritait d’être amélioré.
Aujourd'hui, je me félicite de l’entrée en vigueur effective de cette nouvelle faculté ouverte aux justiciables, dès que sont réunies des conditions précises.
D'une part, Mme le ministre d’État l’a souligné tout à l’heure, pour être recevable, la plainte devra viser un magistrat qui, dans l’exercice de ses fonctions, a adopté un comportement susceptible de recevoir une qualification disciplinaire.
D'autre part, le texte met en place une commission des requêtes chargée d’assurer le filtrage des plaintes. Il s’agit d’éviter toutes les manœuvres dilatoires ou excessives aisément imaginables. Dans nos fonctions de parlementaire ou d’élu local, nous sommes nombreux à recevoir dans nos permanences des concitoyens qui n’ont pas forcément bien compris le fonctionnement de la justice. Il est clair qu’en l’absence d’un tel filtre les dérives ne manqueraient pas de se multiplier.
Bin entendu, une plainte ne pourra pas être dirigée contre un magistrat qui demeure saisi de la procédure. Pour autant, la commission des lois a dû prévoir un certain nombre de dérogations à ce principe. À cet égard, la formulation que nous avons retenue hier est intéressante : « À peine d’irrecevabilité, la plainte ne peut être dirigée contre un magistrat qui demeure saisi de la procédure, sauf si les manquements évoqués et la nature de la procédure considérée le justifient. » Nous aurons l’occasion d’y revenir.
Par ailleurs, la commission a adopté un amendement visant à interdire à l’avocat membre du CSM, pendant toute la durée de son mandat, de plaider devant les tribunaux ou d’agir en conseil juridique d’une partie engagée dans une procédure. Il s’agit, bien sûr, de limiter les situations dans lesquelles l’avocat aurait à se déporter parce qu’il serait confronté dans son exercice professionnel au magistrat sur le sort duquel le CSM est appelé à se prononcer.
Comme la quasi-totalité de mes collègues, j’ai approuvé cette disposition nécessaire, propre à prévenir les conflits d'intérêt. Peut-être faudrait-il la compléter pour prévoir tous les cas, notamment celui – certes, très rare, mais qui est susceptible de se produire – dans lequel le magistrat du siège membre de la formation du CSM compétente à l’égard des magistrats du parquet a jugé une affaire où le magistrat du parquet concerné représentait le ministère public. Nous aborderons sans doute cette question. Symétriquement, la même modification devrait être instaurée pour le magistrat du parquet membre de la formation compétente à l’égard des magistrats du siège.
Enfin, plusieurs membres du groupe de l’Union centriste ont exprimé des inquiétudes sur le sort de l’article 11 bis, introduit en commission, qui précise : « Lorsqu’elle siège en matière disciplinaire, la formation compétente comprend un nombre égal de membres appartenant à l’ordre judiciaire et de membres n’y appartenant pas. À défaut d’égalité, il est procédé par tirage au sort pour la rétablir. »
Le Gouvernement a déposé un amendement tendant à la suppression de ce dispositif, qu’il juge, si j’ai bien compris, « potentiellement inconstitutionnel ». Plutôt que cette position radicale, je soutiendrai la proposition défendue par M. le rapporteur, qui suggère de renvoyer au Conseil supérieur de la magistrature l’appréciation des modalités de rétablissement de la parité.
Pour conclure, madame le ministre d’État, mes chers collègues, je tiens à saluer l’excellent travail réalisé par M. le rapporteur. Il a permis aux membres de la commission des lois de mieux saisir la portée de ce texte et, partant, d’y apporter nombre d’améliorations substantielles. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et sur le banc de la commission. – MM. Patrice Gélard et .Jacques Mézard applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, nous sommes donc appelés à examiner aujourd'hui le projet de loi organique relatif à l’application de l’article 65 de la Constitution.
Au moment de la révision constitutionnelle, cet article avait donné lieu, ici même, à des débats fort importants. À l’époque, nous, membres du groupe socialistes, avions voté contre le texte, nous opposant notamment aux dispositions relatives au Conseil supérieur de la magistrature.
Nous ferons de même aujourd'hui, malgré les avancées, somme toute marginales, obtenues en commission des lois. Celle-ci, à l’occasion d’un débat très contraint, a suivi la position défendue par M. le rapporteur, Jean-René Lecerf, qui a pourtant toujours à cœur d’améliorer les projets de loi du Gouvernement. (M. le rapporteur sourit.)
En l’espèce, il s’agit à proprement parler non pas du CSM, mais de cinq CSM, puisqu’il siège en autant de formations différentes : deux pour la carrière des magistrats, deux pour la discipline et une cinquième, appelée « formation plénière », mais qui, en fait, n’en est pas une ! J’y reviendrai tout à l’heure.
La nouvelle architecture proposée aboutit, à mon avis, à accentuer la distinction entre le siège et le parquet, alors que la réforme constitutionnelle aurait dû être l’occasion de donner plus d’unité au corps. On entend toujours dire qu’il n’y a qu’un corps de magistrats, que les parquetiers sont des magistrats, etc. Or, force est de constater que tel n’est pas l’objectif recherché puisque la distinction est maintenue et que, ce faisant, on ne répond pas aux demandes répétées tendant à nous rapprocher des « standards européens » en la matière.
Si les projets de réforme de la procédure pénale qui ont été annoncés sont finalement présentés, mieux vaudrait que le magistrat du parquet bénéficie d’un certain nombre de garanties d’indépendance, notamment pour les cas où il aura à mener l’instruction des affaires pénales. Ces garanties, il ne les a pas aujourd'hui.
Par ailleurs, ce fractionnement fait perdre de l’influence au CSM et, notamment, à sa formation dite « plénière », qui, je le répète, porte bien mal son nom puisque tous les membres n’y participeront pas ! Plus grave encore, dans le projet initial du Gouvernement, celle-ci ne pouvait plus s’autosaisir et devait se limiter à répondre aux demandes d’avis formulées par le pouvoir exécutif.
La position du Gouvernement peut se comprendre. L’histoire récente a montré l’importance qu’a pu revêtir une telle autosaisine lorsque des magistrats étaient pris à partie par les autorités politiques et que le CSM était appelé à émettre un avis public. Là encore, c’est la présidentialisation – un mot que j’ai du mal à prononcer, sans doute parce que la réalité qu’il décrit n’est vraiment pas ma tasse de thé ! (Sourires.) – du régime que l’on accentue !
Certains d’entre vous vont sûrement me rétorquer que le Président de la République ne présidera plus le Conseil supérieur de la magistrature. La belle affaire ! Cette bien timide avancée a tout de même, à mon avis, une conséquence heureuse : aucun membre du cabinet présidentiel ne pourra plus, en toute logique, assister aux réunions du CSM…
Une telle modification ne manquera pas de susciter de nombreux débats et tout autant d’articles de doctrine puisque l’article 64 de la Constitution précise : « Le Président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire. Il est assisté par le Conseil de la magistrature. » Comment celui-ci pourra-t-il donc mettre en œuvre ses pouvoirs constitutionnels s’il ne préside plus le CSM ? Qu’aura-t-il entre ses mains pour garantir l’indépendance de l’autorité judiciaire ?
Pour la garantir, il devra surtout commencer par s’abstenir de toute critique portant sur des décisions judiciaires ou le comportement de tel ou tel magistrat. (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) Et il ne lui viendra vraisemblablement plus à l’idée de se porter partie civile devant les juridictions alors qu’il bénéficie d’une immunité totale pendant toute la durée de son mandat ! (Nouveaux sourires sur les mêmes travées.)
MM. Robert Badinter et Jean-Claude Peyronnet. Très bien !
M. Jean-Pierre Michel. La composition de ce nouveau CSM est-elle de nature à mieux garantir non pas l’indépendance – je n’aime pas beaucoup le terme –, mais, disons plutôt, l’impartialité et la liberté des magistrats ? La réponse, malheureusement, est négative. Elle ne donne pas satisfaction en ce sens qu’elle accentue encore la pression de l’exécutif sur la carrière des magistrats et leur observation de la discipline.
Les membres désignés sont choisis par le chef de l’exécutif et par les présidents des deux assemblées. À l’évidence, le fait majoritaire entravera l’expression du pluralisme nécessaire à l’équilibre démocratique.
La présence parmi eux d’un avocat pose de graves problèmes, et nous y reviendrons lors de la discussion des amendements. Personnellement, je ne vois rien qui puisse justifier cette présence d’un avocat parmi les membres du CSM. On aurait pu penser à d’autres personnalités qualifiées : le premier président de la Cour des comptes, un professeur de droit… Pourquoi un avocat ? Veut-on montrer par là que les défenseurs, ceux qui sont les porte-parole des justiciables, auront une place au sein du CSM ? Je ne pense pas que ce soit le cas !
En outre, cela pose des problèmes pratiques qui sont loin d’être négligeables, à commencer par ceux qui touchent aux modalités de désignation de cet avocat. Pourquoi devrait-il être désigné par le président du Conseil national des barreaux, alors que le conseiller d’État membre du CSM est élu par ses pairs ? La commission des lois revient heureusement sur ce choix, dont nous ignorons les raisons. Ne les cherchons pas trop, de crainte d’en trouver qui nous déplairaient sans doute…
Mais notre reproche essentiel porte sur une exception prévue par le projet de loi au profit de l’avocat : lui seul pourra continuer à exercer sa profession. Aucun des autres membres du Conseil ne peut, pendant la durée de ses fonctions, exercer la profession d’officier public ou ministériel ni aucun mandat électif ni la profession d’avocat. Cela veut au moins dire que le CSM ne comptera pas plusieurs avocats…
Cet avocat pourra donc plaider devant des magistrats dont il connaîtra le déroulement de carrière, voire les poursuites disciplinaires dont ils ont pu faire l’objet. Cela est, à l’évidence, totalement contraire aux règles du procès équitable établies par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il s’agit là d’un point gravissime, sur lequel nous reviendrons lors de la discussion des articles.
De notre point de vue, cet avocat ne doit plus pouvoir exercer sa profession pendant la durée de son mandat ni demeurer associé d’un cabinet de groupe, ce qui reviendrait au même.
Dans ces conditions, c’est la perle rare qu’il va falloir trouver : un avocat qui n’exercera plus ; un avocat qui ne sera pas membre associé d’un gros cabinet ; un avocat proche de la retraite ! (Sourires.)
On le voit bien, c’est en fait la présence même de l’avocat au sein du CSM qui pose problème.
La désignation des magistrats ne fait pas davantage apparaître de réels progrès. La haute hiérarchie judiciaire – membres de la Cour de cassation et chefs de cour, soit moins de 10 % du corps – sera représentée par quatre magistrats dans chaque formation, alors que l’ensemble des magistrats des cours et des tribunaux ne sera représenté que par trois magistrats !
Par ailleurs, le mode de désignation des magistrats qui composeront le CSM n’est pas modifié. Or il aurait fallu profiter de la révision constitutionnelle et de la loi organique pour permettre au CSM de mieux refléter la réalité de la profession. Cela supposait d’abandonner le système électoral par collège, qui accentue encore le poids de la hiérarchie au sein du CSM, au profit d’une élection au suffrage universel direct par l’ensemble des magistrats, quels que soient leur grade et leur fonction.
Et les pouvoirs, me dira-t-on ? Les prérogatives du CSM ne sortent-elles pas renforcées de cette nouvelle mouture ? Eh bien, non ! Le projet de réforme de 1998-1999, malheureusement non soumis au Congrès après avoir été voté par les deux assemblées, était bien plus satisfaisant. Il prévoyait, en effet, de soumettre l’ensemble des nominations des membres du parquet à l’avis conforme de la formation spécialisée du CSM.
Je veux dissiper toute méprise : il ne s’agit pas pour nous de revendiquer une quelconque indépendance des membres du parquet. Ce serait totalement contre-productif, et même idiot, puisque les membres du parquet sont soumis à l’autorité de leur hiérarchie et doivent appliquer la politique pénale définie par le Gouvernement !
Le seul problème qui puisse se poser à cet égard est celui qui apparaît lorsque la Chancellerie donne l’ordre aux membres du parquet de ne pas agir – cela s’est vu par le passé ! – ou de choisir telle procédure pénale plutôt que telle autre, car il y a tout de même une différence entre une instruction et une comparution immédiate, ou encore cette invention saugrenue du procureur de Paris, l’enquête préliminaire, avec mise à disposition des pièces auprès de celui qui en fait l’objet !
M. Pierre-Yves Collombat. Quelle innovation !
M. Jean-Pierre Michel. Ce que nous tenons à dire, c’est que les membres du parquet doivent, à l’instar des membres du Conseil d’État ou des membres de la Cour des comptes, bénéficier de garanties statutaires.
Si les membres du parquet sont amenés, demain, à mener instructions et enquêtes préliminaires, le juge d’instruction disparaissant, il me semble encore plus indispensable de les protéger par des garanties statutaires. En effet, on peut supposer qu’ils ne seront pas toujours disposés à suivre la ligne que leur indique le pouvoir exécutif. Souvenons-nous de ce qui est arrivé récemment aux procureurs généraux d’Angers et de Riom !
Seul point positif : la saisine directe du CSM par le justiciable. Il est vrai que, après l’affaire d’Outreau, le pouvoir politique s’est senti obligé de trouver une solution. Mais celle qu’il a mise au point dans un premier temps a été censurée par le Conseil constitutionnel.
Nous ne pouvons que nous féliciter de l’ouverture de la saisine disciplinaire du CSM aux justiciables. Je crois d’ailleurs que les syndicats de magistrats sont favorables à cette procédure. Ils font là, du reste, preuve d’un certain courage, car je doute que l’ensemble du corps en soit fanatique…
L’idée est bonne, car elle est de nature à restaurer la confiance des citoyens dans leur justice, dans les magistrats, en particulier.
À mon avis, il faut éviter deux écueils.
Le premier serait d’instrumentaliser cette procédure pour déstabiliser la juridiction ; c’est pourquoi il faut prévoir un certain nombre de garanties.
Le deuxième consisterait à faire naître des illusions dans l’esprit du justiciable. La décision rendue par le juge fait presque toujours au moins un mécontent ; au pénal, c’est évident ; au civil, en général, une des deux parties. Je me souviens d‘un discours de rentrée de la cour d’appel de Paris, dans les années soixante-dix, au cours duquel un haut magistrat avait développé cette idée.
Désormais, le justiciable mécontent va pouvoir saisir le CSM. Mais il devra invoquer le « comportement » de tel ou tel magistrat. En commission, nous avons débattu de cette notion. Que faut-il, en l’occurrence, entendre par « comportement » ?
Un président qui insulte des parties à l’audience, un juge d’instruction qui injurie une personne mise en examen, cela relève indéniablement d’un comportement susceptible de constituer une faute disciplinaire.
Mais est-ce que le fait de ne pas agir est un « comportement » ou un acte juridictionnel ? Je pense, par exemple, au juge d’instruction qui, malgré des demandes réitérées, refuse de faire procéder à des expertises, à des auditions ou à des confrontations, bref, laisse traîner. S’agit-il d’un « comportement » ? Après tout, il est libre de mener son instruction comme il l’entend, donc libre de ne rien faire, éventuellement, pendant un certain temps : c’est à lui d’apprécier. Peut-être a-t-il de bonnes raisons d’agir de la sorte !
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Jean-Pierre Michel. J’en termine, madame la présidente, et je vous remercie de votre patience.
Cette idée de comportement est également difficile à manier compte tenu du statut du parquet. Celui-ci est indivisible. Comme le substitut n’a pas d’autonomie, est-ce son procureur qui est responsable de son comportement ? Autrement dit, le substitut est responsable de son comportement si la faute est totalement détachable du service, non, si tel n’est pas le cas.
Tout cela appelle quelques précisions.
Par ailleurs, à quel moment la saisine pourra-t-elle intervenir ?
Je passe rapidement sur la petite divergence entre la commission des lois et la Chancellerie quant à la dénomination de l’organe chargé de procéder au filtrage, car je pense qu’elle pourra être facilement surmontée.
Dernier point : quels seront les pouvoirs d’investigation du Conseil supérieur de la magistrature ? Il n’en a aucun ! Il va donc renvoyer au chef de cour, auquel il demandera d’entendre le plaignant, d’entendre le magistrat et de faire un rapport. Ce point nous semble absolument essentiel et c'est la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement en vue de doter le CSM de réels pouvoirs d’investigation.
En réalité, au-delà de l’habillage, l’indépendance de l’autorité judiciaire, qui est indispensable au bon fonctionnement de notre état de droit, ne sortira pas renforcée des dispositions de ce texte. Au contraire, elle sera encore plus fragilisée par la nouvelle donne constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Madame la présidente, madame la ministre d’État, garde des sceaux, mes chers collègues, ce texte vise à mettre en application l’article 65 résultant de la révision constitutionnelle de juillet 2008.
Son objet est important puisqu’il touche à l’indépendance de la justice, l’un des piliers de tout État de droit, et qu’il doit permettre à tout justiciable de saisir directement le CSM lorsqu’il s’estime victime d’un comportement arbitraire.
Le groupe du RDSE considère que, quelle que soit notre approche de la révision constitutionnelle, ce texte va améliorer sur ces deux points la situation antérieure. Cela suffira-t-il à restituer chez nos concitoyens la confiance en la justice de notre pays ? C’est malheureusement moins sûr ! Va-t-on vraiment couper le cordon ombilical entre le pouvoir politique et la justice ? La plume doit-elle toujours être serve ? C’est l’objet d’un débat qui reste crucial.
Madame la ministre, nos compatriotes ont peur de notre justice. C’est une réalité ! Un sondage a montré, ces derniers jours, que près de la moitié d’entre eux doutait de son indépendance et ne lui faisait plus confiance, soit une détérioration de dix points en cinq ans.
On ne rétablit pas une image simplement par de la communication. En la matière, c’est par une action au quotidien, par des moyens et, disons-le, par la recherche d’un équilibre difficile à réaliser : assurant l’indépendance de la magistrature, évitant les errements du corporatisme, toujours néfaste, et garantissant le respect du citoyen justiciable qui attend – il y a d’ailleurs droit – un traitement équitable.
La justice est humaine et sera donc toujours faillible, mais travaillons à ce qu’elle soit… plus juste.
Respect du magistrat et respect du justiciable sont indissociables. La recherche de la sagesse est peu compatible avec le règne de la statistique et du carriérisme.
Au gré de ses 126 ans d’histoire, le CSM a déjà connu de nombreuses péripéties, qui éclairent avec acuité la conception toute tangente que les pouvoirs successifs se sont faite de cette indépendance de la justice.
Ce fut d’abord simple formation de la Cour de cassation : il aura quand même fallu attendre 1946 pour que le Constituant consacre enfin l’existence de cet organe dont le rôle est de statuer sur les questions disciplinaires relatives aux magistrats et de se prononcer sur leur nomination. Las, le ver était déjà dans le fruit dès lors que le pouvoir politique conservait ab initio la mainmise sur le Conseil !
La Constitution de 1958 n’a fait que prolonger un état de fait, d’abord en rabaissant le pouvoir judiciaire au rang « d’autorité », par comparaison aux pouvoirs législatif et exécutif, et en actant la préséance du Président de la République sur le CSM. Et c’est ainsi que, par un remarquable don d’ubiquité, le chef de l’État, dans notre pays, est devenu à la fois le garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire et son censeur !
II aura fallu une pathétique histoire d’hélicoptère dépêché au fin fond de l’Himalaya afin de récupérer un magistrat pour que le politique comprenne mieux la nécessité de rompre le cordon ombilical ! La réforme de Mme Guigou proposait ainsi d’en finir avec les instructions de la Chancellerie dans les dossiers individuels, de rendre les avis du Conseil conformes ou d’élargir les compétences du Conseil en matière de gestion des carrières. Mais, pour des raisons que chacun ici garde en mémoire et qui ont déjà été rappelées ici, cette réforme ne vit pas le jour.
Après les graves dysfonctionnements liés à l’affaire d’Outreau, qui fut un véritable choc pour nos concitoyens, tout le monde s’est accordé à dire qu’il fallait remettre les choses à plat, s’agissant tant de la façon dont devait être menée une instruction que de la gestion des carrières et des questions disciplinaires.
La réforme de l’article 65 fut donc introduite dans le toilettage de notre Constitution de juillet 2008 et l’on mit beaucoup de conviction pour nous assurer que, enfin, s’était achevé le temps où le politique se mêlait outrageusement de l’indépendance du pouvoir judiciaire.
N’hésitons pas à le dire, la réécriture de cet article comporte, bien sûr, un point positif à cet égard : le CSM n’est plus, désormais, présidé par le chef de l’État et le garde des sceaux n’y siège plus.
L’article 65 de la Constitution ne fait pas disparaître la tutelle du politique sur le Conseil dans la mesure où sa composition non paritaire et la mise en minorité des magistrats dans l’une et l’autre de ses formations impliquent que les personnalités extérieures qui y sont nommées reçoivent, de fait, l’adoubement du pouvoir politique. Même s’il est louable d’avoir voulu ouvrir le Conseil à d’autres légitimités, à notre sens, cela n’aurait pas dû se faire dans ces conditions.
De surcroît, le fait que le CSM ne fasse que donner son avis sur les nominations des membres du parquet jette le trouble sur l’utilité même de ces avis. Nombre de précédents connus montrent combien la notion d’avis peut parfois être rangée au rayon des accessoires démocratiques.
Le chemin est encore long pour garantir au CSM une pleine autonomie de décision et de moyens.
La mise en minorité des magistrats, en particulier, pose un problème. Je rappelle, mais vous le savez encore mieux que moi, madame le ministre d’État, que de nombreux textes internationaux recommandent la parité. Je citerai la recommandation n° R (94) 12 du comité des ministres du Conseil de l’Europe, qui impose que l’autorité compétente soit indépendante du Gouvernement et de l’administration ; la charte européenne sur le statut des juges, édictée par le Conseil de l’Europe en 1998, qui impose une instance indépendante des pouvoirs exécutif et législatif au sein de laquelle siègent au moins pour moitié des juges élus par leurs pairs ; l’avis n°10 du comité consultatif des juges européens, adopté à Strasbourg en octobre 2007, qui impose une instance comptant une majorité substantielle de juges élus par leurs pairs.
J’évoquerai également les graves préoccupations exprimées en mai 2008 par l’association européenne des magistrats quant à la réforme du CSM.
Ces critiques ou plutôt ces réserves s’inscrivent dans un contexte plus large, celui du souci largement exprimé en Europe quant à la politique pénale française.
Il n’est d’ailleurs pas possible, madame le ministre d’État, de délier cette réforme – et ses avancées – de l’ensemble de celles que vous menez et dont il faudra démontrer qu’elles vont améliorer l’impartialité, l’indépendance et l’efficacité de notre justice.
La suppression annoncée du juge d’instruction sera-t-elle un progrès pour la préservation des libertés publiques ? Les futurs procureurs omniscients ne devront-ils rendre de compte qu’au garde des sceaux ? Vous le savez, ce projet de réforme suscite d’ores et déjà l’inquiétude du Conseil de l’Europe.
En tout état de cause, le projet de loi organique qui nous occupe ce matin rend applicable un article de la Constitution entériné de façon régulière par le Parlement réuni en Congrès. Dont acte !
L’article 65 fait donc partie du droit de la République et les objectifs affichés ne peuvent que susciter notre adhésion puisqu’il s’agit de faciliter l’accès du justiciable au CSM, de renforcer l’indépendance de la justice et de garantir l’impartialité du Conseil.
S’agissant d’abord des deux formations compétentes à l’égard des magistrats du siège et du parquet, le texte détermine les modalités pratiques de désignation, de vacance ou encore d’incompatibilité des membres.
À cet égard, nous nous réjouissons que notre commission, grâce à l’approche toujours constructive et ouverte de son rapporteur, ait quelque peu limité les risques de conflit d’intérêt pour ce qui concerne l’avocat membre du CSM. Comme Jean-Pierre Michel, en ce qui me concerne en tant qu’avocat honoraire, je m’interroge toujours sur les raisons qui ont pu amener à prévoir cette présence d’un avocat au sein du CSM. Comme quoi nous ne sommes pas forcément corporatistes…
Quoi qu’il en soit, il est bon d’obliger l’avocat membre du CSM à s’abstenir de plaider ou de tenir le rôle, pour une partie engagée dans une procédure, de conseil juridique dans l’instance en cause.
Cette limitation est utile, mais sans doute n’est-elle pas suffisante : comme l’a expliqué le rapporteur, un membre de la formation compétente à l’égard des magistrats du siège est amené en quatre années à examiner la situation de quasiment l’ensemble des magistrats. On comprend aisément le risque d’atteinte à l’impartialité dans l’hypothèse où un avocat aurait à plaider face à un magistrat dont il est par ailleurs amené à influencer l’évolution de carrière.
Je rejoins d’ailleurs sur cette question l’analyse que développent nos collègues du groupe socialiste au travers de leurs amendements, auxquels j’apporterai mon soutien. Il aurait à notre sens été encore plus sûr, en effet, non seulement d’interdire purement et simplement à l’avocat membre de plaider ou de conseiller durant son mandat, mais encore de faire cesser tout autre risque en l’obligeant à céder, même provisoirement, les parts qu’il détient dans une société civile professionnelle ou dans une association.
Quant à la désignation de cet avocat par le président du Conseil national des barreaux sur avis conforme de l’assemblée générale, n’eût-il pas été plus normal de s’en remettre au vote de l’assemblée générale ?
Le projet de loi organique tire également les leçons de l’affaire d’Outreau en réformant en partie le système disciplinaire des magistrats. Il permet à tout justiciable qui estime qu’un magistrat a eu un comportement assimilable à une faute disciplinaire à l’occasion d’une procédure le concernant de saisir l’une des formations disciplinaires du CSM.
Des garde-fous, notamment un filtrage administratif préalable des requêtes, ont été mis en place ; nous y sommes favorables.
Le rapporteur a fait adopter un amendement relatif à la définition de la faute disciplinaire du magistrat en la rendant compatible avec les limitations fixées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 1er mars 2007.
L’engagement de poursuites disciplinaires sera un exercice difficile. Vous l’avez rappelé, madame le ministre d’État, nos concitoyens ne sont pas toujours prêts à accepter docilement les décisions qui les concernent, les plaideurs encore moins… Cet engagement sera donc subordonné à la constatation d’une violation par une décision de justice devenue définitive, garantie qui renforce les droits de la défense du magistrat mis en cause.
En toute hypothèse, les graves dysfonctionnements que peut occasionner le service public de la justice ne sauraient jeter l’opprobre sur l’ensemble de la magistrature. Les mesures ici proposées semblent, à cet égard, aller dans le bon sens, d’autant qu’elles ont été tempérées par notre commission : protéger le justiciable, oui, mais à condition de ne pas déstabiliser le juge, qui a besoin de sérénité et de liberté.
Nous nous interrogeons cependant sur certains aspects de l’article 18 du projet de loi organique.
D’une part, le délai d’un an après la fin de la procédure octroyé à tout justiciable pour saisir le CSM n’est-il pas trop bref eu égard aux enjeux qui peuvent être mis en cause ? Si nous concevons tout à fait que la nécessité de prévenir toute déstabilisation des magistrats impose de ne pas prévoir un délai trop long, nous estimons que ce délai aurait toutefois pu être rallongé.
D’autre part, nous aurions souhaité que l’on nous explique ce qu’est une « décision irrévocable mettant fin à la procédure » et la distinction réelle avec la décision passée en autorité de chose jugée. Je pense notamment aux requêtes en révision.
Madame le ministre d’État, lors de votre audition du 29 septembre, vous avez déclaré que ce texte visait à mettre en œuvre les trois principes d’indépendance, d’ouverture et de transparence du CSM. Nous sommes sur le chemin, mais pas au bout du chemin, parce que ces objectifs exigent qu’on avance sans réticence, sans prendre des demi-mesures.
Le premier président de la Cour de cassation et nombre de nos collègues ont ainsi souligné la nécessité d’assurer l’indépendance budgétaire du CSM, dont le budget dépend de la direction des services judiciaires.
Par ailleurs, les inquiétudes sur la transparence dans la motivation des avis sont, certes, compréhensibles, mais nous estimons, au regard de nos objectifs, que la motivation est nécessaire.
Je terminerai mon intervention, madame le ministre d’État, en évoquant une remarque que vous avez formulée, lors de votre audition par la commission, à propos des plaintes des justiciables et qui nous a interpellés. Autant la présence d’un avocat au sein du CSM ne nous paraissait absolument pas indispensable, autant l’absence d’assistance d’avocat au côté du plaignant dans la procédure nous pose problème. Vous avez en effet répondu, le 29 septembre dernier, que, s’agissant de l’éligibilité à l’aide juridictionnelle, la simplicité de la procédure ne justifierait guère en pratique l’intervention d’un avocat. Voilà donc un justiciable démuni qui vient se plaindre de son juge devant le CSM et qui n’a pas besoin d’un conseil !
Oui, madame le garde des sceaux, indiscutablement, sur ce point, il reste du chemin à parcourir...
Cela étant, notre groupe ne fera pas procès d’intention ; eu égard aux réserves exprimées par nombre de ses membres au moment de la révision constitutionnelle et à celles que je viens de formuler, majoritairement, il s’abstiendra et il n’y aura aucun vote contre. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Gélard.
M. Patrice Gélard. Madame la présidente, il m’est très difficile de parler après deux avocats et un magistrat, et c’est donc avec beaucoup de modestie que je vais maintenant intervenir. (Sourires.)
J’ajoute que, après la présentation qu’ont faite Mme le garde des sceaux et M. le rapporteur de ce projet de loi organique, tout ce que je voulais dire, ou presque, a déjà été dit. Je tiens néanmoins à formuler quelques commentaires et interrogations.
Tout d’abord, je dois constater qu’au cours des mois qui se sont écoulés depuis la révision constitutionnelle de juillet 2008 nous avons assisté à un développement constitutionnel démocratique sans précédent, et qui doit être souligné : nous avons considérablement accru les droits de nos concitoyens.
Mardi dernier, nous avons adopté le projet de loi organique relatif à l’application de l’article 61-1 de la Constitution, qui constitue une avancée majeure puisqu’il ouvre la saisine constitutionnelle par voie d’exception.
Aujourd'hui, nous examinons le projet de loi organique relatif à l’application de l’article 65 de la Constitution, qui porte sur le Conseil supérieur de la magistrature et qui va encore créer des droits nouveaux pour nos concitoyens, de nature à modifier profondément nos habitudes constitutionnelles.
Et ce n’est pas fini !
Nous aurons encore à examiner le projet de loi organique portant application de l’article 11 de la Constitution, qui donnera à nos concitoyens la possibilité d’agir directement en demandant l’organisation d’un référendum.
Il faut citer également le projet de loi organique à venir relatif au Défenseur des droits, qui, lui aussi, accroîtra très sensiblement les pouvoirs dont dispose le citoyen pour assurer la défense de ses droits et libertés.
Et je ne voudrais pas que l’on oublie les dispositions, qui n’ont pas encore été évoquées, du projet de loi organique portant application de l’article 13 de la Constitution. Elles s’appliqueront justement aux personnalités qualifiées désignées par le Président de la République – et il en ira de même, par exception, pour celles qui seront désignées par le président du Sénat et le président de l’Assemblée nationale – puisqu’elles ne pourront être nommées qu’avec l’accord de la commission compétente de chaque assemblée, ce qui constituera un filtrage.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pas l’accord, mais l’avis !
M. Patrice Gélard. Certes, mais l’on sait très bien ce qui se passera si l’avis est défavorable !
Je veux ensuite souligner le fait que le nouvel article 65 de la Constitution comporte des innovations spectaculaires.
Tout d’abord, le Président de la République n’est plus président du Conseil supérieur de la magistrature et le garde des sceaux n’en est plus le vice-président. Bien sûr, le garde des sceaux aura le droit d’assister aux séances, à condition qu’il ne s’agisse pas de séance en matière disciplinaire. Il reste que c’est une avancée assez considérable sous l’angle de la séparation des pouvoirs.
Je rappelle qu’en France nous n’avons pas de pouvoir judiciaire, mais, comme le prévoit la Constitution, une « autorité judiciaire ». C'est la raison pour laquelle le Président de la République présidait le Conseil supérieur de la magistrature et était le garant de l’indépendance de celle-ci.
Les choses vont donc évoluer petit à petit, et nous n’avons d’ailleurs pas encore mesuré toutes les conséquences des transformations à venir, mais je crois que le fait que le Président de la République ne soit plus le président du CSM et que le garde des sceaux n’en soit plus le vice-président aura des effets beaucoup plus importants que ceux que nous pouvons imaginer maintenant.
Ensuite, les magistrats seront dorénavant différemment représentés dans les deux formations du CSM, où ils deviennent légèrement minoritaires. Leur nombre passe en effet de six contre quatre non-magistrats, à sept contre huit.
Plusieurs intervenants se sont interrogés sur la nomination d’un avocat.
On me permettra de regretter, puisque j’interviens après deux avocats et un magistrat, l’absence d’un professeur de droit. (Sourires.) En effet, il y en a toujours eu un depuis que le CSM existe. Il n’est pas évident que ce soit le cas à l’avenir dans la mesure où chacune des trois instances pourra choisir les personnalités qu’elle souhaite voir siéger. En revanche, quoi qu’il arrive, il y aura toujours un avocat. Je m’interroge sur la raison profonde de ce choix, mais je ne veux pas revenir sur le texte de la Constitution que nous avons votée.
Ce projet de loi organique contient par ailleurs une innovation considérable, qui a été relevée par les orateurs précédents : dorénavant, le CSM pourra être saisi par un justiciable, ce qui n’était pas possible auparavant.
Avec vingt-neuf articles, ce projet de loi organique est relativement court et le nombre d’amendements déposés est, heureusement, assez réduit. Je tiens à souligner que ce texte ne remet pas en cause notre organisation judiciaire, et notamment le statut des procureurs, sujet sur lequel nous reviendrons sans doute dans le futur. Aussi bien tout amendement qui y aurait trait constituerait-il un cavalier législatif et serait-il contraire à l’esprit de la Constitution.
J’en viens au contenu même du projet de loi organique, qui s’organise autour de deux points : d’abord, une application stricte de la loi pour ce qui est de l’organisation et du fonctionnement du CSM ; ensuite, l’importante innovation que constitue la possibilité pour les citoyens de se plaindre auprès du CSM du comportement d’un magistrat.
Le premier point fait l’objet des articles 1er à 10 du projet de loi organique. Ce texte ainsi que les amendements adoptés tant par l’Assemblée nationale que par notre commission des lois complètent harmonieusement les dispositions de notre Constitution qui concernent le fonctionnement du CSM.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. L’Assemblée nationale n’a pas encore examiné ce texte, mon cher collègue ! Le Sénat est saisi en premier.
Certes, lorsque le travail est bien fait au Sénat, il n’y a plus grand-chose à dire. (Sourires.)
M. Patrice Gélard. Pardonnez-moi : c’est la force de l’habitude ! (Nouveaux sourires.) En tout cas, j’espère que l’Assemblée nationale suivra nos préconisations... (Nouveaux sourires.)
Notre commission a soulevé un certain nombre de problèmes, sur lesquels je ne reviendrai pas : le statut de l’avocat, prévu aux articles 4 et 6 bis du projet de loi organique ; le statut du secrétaire général, que nous proposons d’améliorer ; le maintien de la parité dans les formes disciplinaires, prévu à l’article 9, notamment lorsque l’un des magistrats se trouvera dans l’incapacité de siéger, son remplacement étant alors prévu afin de maintenir la parité.
L’article 12 étend les compétences de la formation plénière à un domaine dont elle n’était pas saisie auparavant : la déontologie. C’est un élément très important, qui conditionnera dans une certaine mesure la mise en jeu de la responsabilité des magistrats ou des procureurs.
Le texte comporte, enfin, des dispositions disciplinaires.
J’aborderai, tout d’abord, la partie du texte qui me paraît la plus novatrice pour l’avenir : la possibilité pour de simples citoyens de saisir le CSM.
Il s’agit d’une disposition très importante pour les raisons que j’ai déjà dites, mais aussi pour d’autres, qui n’ont pas été évoquées jusqu’à présent dans ce débat. Nous ne devons pas oublier, en effet, que notre CSM a servi de modèle dans les Constitutions de plusieurs pays de l’Union européenne ayant accédé assez récemment à la démocratie. Il se peut donc que cette nouvelle formule, si nous l’adoptons, soit suivie par d’autres États, comme la Bulgarie et la Pologne, qui ont mis en place, à cet égard, un système tout à fait comparable au nôtre.
Le point de départ de cette nouvelle procédure est le dépôt d’une plainte par un citoyen.
Dans un deuxième temps, ces plaintes seront filtrées par la commission des requêtes.
Je n’insisterai pas sur les divergences qui sont apparues à propos de ce « filtre ». Faut-il une ou plusieurs commissions des requêtes ? Faut-il deux commissions distinctes, l’une pour les plaintes concernant des magistrats du siège, l’autre pour celles impliquant des magistrats du parquet ? Cette question mérite que l’on s’y attache. Je crains, pour ma part, que la pluralité de ces commissions n’emporte un risque de divergence de jurisprudence au fil du temps.
Quoi qu’il en soit, un filtre est nécessaire, et nous y reviendrons dans la discussion des articles.
Pour pouvoir examiner ces plaintes, la commission des requêtes doit disposer de moyens. Le projet de loi organique prévoit en effet la possibilité de déléguer un magistrat de rang au moins égal à celui qui fait l’objet d’une plainte pour mener des investigations sur place. Les moyens financiers dont dispose actuellement le CSM suffiront-ils pour accomplir cette tâche ou faudra-t-il trouver des moyens supplémentaires ?
S’agissant des moyens, j’ajoute que le CSM comprendra désormais certains membres occupés à plein-temps, ce qui n’est pas toujours le cas actuellement. Il faudra bien financer leurs dépenses nouvelles et leurs déplacements professionnels. Nous devons envisager toutes ces éventualités.
Il faudra ensuite désigner un rapporteur. Je rappelle que les membres de la commission des requêtes ne pourront pas siéger dans la formation de jugement qui se réunira par la suite. Le rapporteur aura, lui aussi, la possibilité de déléguer pour mener les investigations qui lui seront nécessaires.
Enfin, la section disciplinaire se réunira pour statuer sur la plainte.
Je me dois, à ce stade, de formuler quelques remarques.
Premièrement, il est absolument nécessaire de dégager des moyens supplémentaires pour le CSM, notamment auprès de son secrétaire général, qui devra assumer des fonctions nouvelles par rapport à celles qui étaient les siennes jusqu’à présent.
Deuxièmement, nous risquons de connaître, tout au moins durant les premières années d’application de ce texte, un engorgement des commissions des requêtes, et peut-être aussi du CSM, en raison d’un afflux des recours engagés par les citoyens. Nous ne pouvons ni prévenir ce risque ni en prévoir l’ampleur, mais il faut être conscient que nous y serons confrontés. Chacun sait que, lorsqu’un droit nouveau est ouvert, après une période de latence plus ou moins longue, les citoyens se précipitent dans la brèche pour mettre en œuvre ce droit et voir comment l’institution réagit. Nous pouvons donc nous attendre que le CSM, dans un an, dans dix-huit mois, soit saisi d’un nombre de recours plus important que prévu.
Un certain nombre de magistrats risquent de s’en trouver fragilisés.
Je pense aux juges chargés des affaires familiales, qui sont souvent l’objet de la vindicte des personnes aux torts desquelles a été prononcé un divorce, ou qui n’ont pas obtenu satisfaction pour la garde des enfants ou pour l’octroi d’une prestation compensatoire. Des haines tenaces se font parfois jour, qui risquent d’être à l’origine de nombreux recours.
De même, les juges chargés des affaires impliquant des mineurs, dont la tâche est déjà très difficile, pourront être visés par des recours qui risquent de les déstabiliser.
Les juges chargés de l’application des peines feront probablement aussi l’objet de nombreuses plaintes.
Je n’aurai garde d’oublier le cas des magistrats du parquet. Un grand nombre de plaignants, mécontents d’un classement sans suite de leur affaire, verront là un moyen de contraindre le procureur à expliquer pourquoi il a fait ce choix.
Ces risques de déstabilisation ne sont pas négligeables et nous devrons trouver des solutions pour protéger les magistrats, dont les fonctions les placent en première ligne, alors qu’ils sont amenés à prendre des décisions délicates. Sans doute faudra-t-il prévoir des sanctions financières pour recours abusif, qui sont courantes devant les juridictions administratives.
M. Mézard a soulevé le problème de l’extension de l’aide juridictionnelle aux recours devant le CSM. Il paraît en effet évident que les personnes souhaitant introduire de tels recours devront être aidées sur un plan juridique. C’est une bonne question, à laquelle il convient de réfléchir, même si elle ne relève pas du domaine de la loi organique.
Compte tenu des progrès remarquables que ce texte apportera à nos concitoyens et au fonctionnement du CSM, dont la réforme est réclamée depuis de longues années, le groupe UMP votera à l’unanimité le présent projet de loi organique. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, le projet de loi organique que vous nous présentez est-il un bon texte ? Autrement dit, contribue-t-il à améliorer le fonctionnement de la justice ? Donne-t-il aux juges une plus grande sérénité, et à nous tous, citoyens justiciables ou membres de l’institution, la certitude qu’ils rendront désormais leurs jugements dans une plus grande impartialité, avec une plus grande indépendance, ou en faisant preuve d’encore plus d’intégrité qu’avant cette réforme ?
Il serait nécessaire, nous dites-vous, de renforcer la confiance du citoyen dans sa justice. Certes. Pour autant, il ne me semble pas que la confiance du citoyen dans sa justice serait aussi détériorée sans les multiples déclarations tonitruantes et caricaturales, émanant parfois du plus haut niveau de l’État, à la suite de faits parfois regrettables, parfois non vérifiés, ou même parfois non avérés, déclarations démagogiques et populistes indignes des fonctions exercées par ceux qui les ont proférées.
N’oublions pas que nombre d’enquêtes démontrent qu’une autre cause d’insatisfaction des justiciables français est liée à la lenteur de notre justice et aux délais nécessaires avant l’aboutissement des procédures, faute de moyens. Je fais d’ailleurs partie de ces insatisfaits !
Mais soit ! Modernisons, améliorons, luttons contre les reproches de corporatisme : fondés ou non, ils participent de l’image que la justice donne d’elle-même à nos concitoyens. Celle-ci se doit d’être particulièrement exemplaire, afin de restaurer la nécessaire confiance du citoyen envers notre justice, cette confiance reposant avant tout sur l’impartialité et l’indépendance des juges.
Pour autant, n’oublions pas qu’un arbre peut cacher une forêt. Ce texte peut sembler un détail parmi les multiples réformes judiciaires, mais aussi sécuritaires, sans oublier toutes celles qui touchent à l’information, à la communication, etc. Je suis malheureusement convaincue que nous assistons à la transformation de notre modèle républicain en une monarchie patrimoniale despotique, concentrant tous les pouvoirs entre deux seules mains.
Pour en revenir au seul domaine judiciaire, nous ne pouvons pas faire abstraction des autres réformes annoncées et à venir. Piège caché, le présent texte est à mes yeux une pierre, sans doute discrète, mais certainement indispensable, dans un dispositif ô combien complexe et redoutable par sa cohérence, sous des apparences banales.
Nous devons ainsi garder en mémoire, à l’occasion de l’analyse de ce texte, les perspectives annoncées quant aux prérogatives qui seraient réservées demain au parquet, aboutissant à lui confier un monopole dangereux, acquis sans même que son statut soit réformé dans le sens d’une indépendance réelle à l’égard de toute intervention politique.
On ne peut pas faire abstraction, quant à la nomination des magistrats du parquet, de l’indépendance du Gouvernement par rapport à l’avis émis par le CSM, contrairement aux règles fixées pour la nomination des magistrats du siège. Force est d’ailleurs de constater que le Gouvernement a largement usé, au cours des dernières années, de cette possibilité offerte de ne pas tenir compte d’un avis défavorable du CSM.
Indépendance de la justice, disions-nous ? Oui, si au moins une instance, au sein de l’ordre, reste complètement indépendante !
Une avancée significative doit pourtant être relevée : le Président de la République ne préside plus le CSM. Bravo ! Il n’y aurait donc plus d’ingérence du pouvoir politique dans les débats et délibérés du CSM ?... Bel effet d’annonce, mais encore une fois, selon une technique de communication maintenant éprouvée, poudre aux yeux des citoyens !
En effet, on se montre beaucoup plus discret sur le fait que les six personnalités extérieures à la magistrature qui seront membres du CSM seront nommées par le Président de la République, le président du Sénat et le président de l’Assemblée nationale ! Persistent donc le fait majoritaire et l’ingérence du politique.
Le CSM s’ouvre à l’extérieur en raison de la pluralité accrue de sa composition. Très bien ! Mais pourquoi faut-il – fait unique en Europe – qu’il soit composé majoritairement de non-magistrats lorsqu’il exerce des compétences de nomination ? Il est regrettable, à tout le moins, que la composition ne soit pas paritaire. Pourquoi, sur cette question comme sur tant d’autres, les professionnels ne sont-ils jamais écoutés par le Gouvernement ? Serait-ce de la défiance ? Ne s’agissait-il pas pourtant de redonner de la confiance ?
Il aurait été plus efficace, me semble-t-il, d’arrêter d’agiter le spectre du corporatisme et de manifester notre confiance à nos magistrats à travers des mesures de bon sens.
L’absence de définition de la qualification des personnalités désignées est-elle, d’ailleurs, de nature à renforcer la confiance et la transparence quant à leur indépendance vis-à-vis de l’autorité de nomination ? Permettez-moi d’en douter.
Autre noble objectif de ce projet de loi organique : adapter le fonctionnement de notre justice aux exigences d’une démocratie moderne. On nous le promet, la procédure de saisine par le justiciable du CSM va permettre cette révolution. Ce serait la deuxième avancée majeure de ce texte.
L’idée est belle, mais voilà : il s’agit encore d’une simple mesure d’affichage. En effet, les conditions de saisine du CSM, telles que vous les proposez, sont d’une grande complexité, ce qui rend difficile et pour le moins inégal selon les justiciables l’accès à ce nouveau droit : nécessité de distinguer ce qui relève du comportement et de l’acte juridictionnel, possibilités différentes de saisine du CSM suivant la nature des procédures, etc.
Il ne s’agit évidemment pas de proposer l’impunité au magistrat aux dépens du justiciable. Mais il devrait s’agir de rendre effectives et réalisables les dispositions mises en avant, afin qu’elles soient réellement utilisées et à bon escient.
D’autres possibilités de sanction d’un comportement éventuellement fautif d’un magistrat existent : la procédure disciplinaire de droit commun sur saisine du garde des sceaux, notamment. Malheureusement, des exemples existent, c’est vrai, de magistrats indélicats n’ayant fait l’objet d’aucune poursuite disciplinaire. Le gouvernement auquel vous appartenez, madame le garde des sceaux, affiche pourtant une politique volontariste en la matière, mais il agit peu !
Enfin, si les dispositions permettant d’écarter les plaintes irrecevables sont nécessaires, il est curieux que le texte conserve au garde des sceaux le pouvoir de saisir le CSM des faits dénoncés, alors même que la section de filtrage a rejeté la plainte du justiciable. Cette disposition autorise donc le pouvoir politique à garder en toutes circonstances le contrôle de la discipline, en revenant au besoin sur une décision du CSM.
Pourquoi tant de défiance et d’irrespect à l’égard d’une institution dont on prétend qu’elle est « renforcée dans son indépendance » ?
Alors, madame le ministre d’État, je réponds à la question que je me posais en exorde : pour toutes les raisons évoquées tant par moi-même que par certains de mes collègues, je ne pense pas que le texte que vous nous avez soumis soit un bon texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Hubert Haenel.
M. Hubert Haenel. Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, je veux tout d’abord saluer l’important travail effectué par notre collègue Jean-René Lecerf.
Ayant occupé des fonctions au Conseil supérieur de la magistrature, il y a certes fort longtemps, ayant été rapporteur, au nom de la commission des lois, de la réforme de 1993, ayant été moi-même magistrat, ancien membre du Conseil d’État, je me permets de vous livrer quelques réflexions sur un thème fondamental pour le bon fonctionnement de la démocratie et pour l’équilibre institutionnel : quelle indépendance pour la justice ?
Lors de l’audience solennelle de début d’année de la Cour de cassation, le Président de la République a souhaité « tracer le chemin » d’une « justice rénovée ». Fort justement, il soulignait que la « réflexion sur la justice ne saurait être le seul apanage des juges », mais devait, au contraire, « s’ouvrir sur la société tout entière ».
C’est le sens de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature opérée par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Elle a mis fin à la présidence du CSM par le Président de la République et à la vice-présidence de droit du ministre de la justice. Mais elle a aussi prévu que cette instance serait désormais composée en majorité de non-magistrats. Le CSM retrouve ainsi sa légitimité auprès de nos concitoyens.
Un CSM composé en majorité de magistrats revenait à faire de la magistrature une sorte de corps séparé de la société, ne rendant des comptes qu’à lui-même. Or, dans une démocratie, il n’est point de légitimité sans responsabilité.
En outre, la révision a ouvert aux justiciables la faculté de saisir le Conseil supérieur de la magistrature. Ce faisant, elle a garanti aux citoyens que leurs griefs concernant le comportement des magistrats seraient examinés de façon impartiale par une instance clairement identifiée. Il était temps !
Avec un fonctionnement plus transparent, la justice est confortée dans son indépendance comme dans son autorité:
Cette importante réforme invite à approfondir la réflexion sur ce que doit être l’indépendance de la justice. On s’accorde, en effet, à considérer qu’une justice qui fonctionne est une justice indépendante, indépendante du pouvoir politique, certes, mais, plus généralement, de toute forme de pression de nature à jeter la suspicion sur les décisions qu’elle rend.
Pour atteindre cet objectif, le remède, souvent évoqué, consiste à couper le cordon ombilical entre la justice et le pouvoir politique, car c’est là que prendrait racine au pire, le syndrome de la dépendance et, au mieux, le poison de la suspicion.
S’il s’agit de prohiber toute forme de manœuvre politique qui viendrait influer sur le cours normal de la justice, voire l’entraver, on ne peut que souscrire à la démarche.
En revanche, s’il s’agit de mettre en cause le lien fondateur et essentiel qui confère aux magistrats leur légitimité, aux juridictions leurs pouvoirs et à leurs décisions leur portée, alors, il faut rejeter toute remise en cause et, bien au contraire, je le dis au risque de vous choquer, mes chers collègues, conforter ce lien. Car il faut sans cesse revenir à la source de ce qui fonde notre justice dans le cadre de notre régime démocratique et républicain.
Dans la République, le juge n’est pas une institution dont la légitimité serait indéterminée ou fondée en quelque sorte sui generis. Sa légitimité procède du souverain, donc du peuple, représenté par le Parlement et par le Gouvernement. C’est ce qu’exprime parfaitement le fait que toute décision judiciaire est rendue « au nom du peuple français » et que son exécution est ordonnée « au nom de la République ».
Le juge exerce son office dans un but précis et dans des conditions déterminées : il doit appliquer la loi de façon égale et juste au cas d’espèce qui lui est soumis C’est à cette fin, précisément délimitée, que le souverain lui délègue temporairement son imperium.
Le juge n’est pas à la source de la loi ou d’une quelconque souveraineté. Les conditions de son office sont fixées par la Constitution, par les lois et règlements qu’il a la stricte obligation d’appliquer. Ainsi rappelé, ce lien apparaît consubstantiel à l’idée même d’une justice républicaine.
Je serais tenté de dire qu’il faudrait au moins autant se préoccuper d’un autre risque de dépendance du magistrat : sa dépendance par rapport à lui-même. Cette dernière peut résulter de ses propres préjugés, de son appartenance religieuse, philosophique, politique ou syndicale, voire, plus simplement, du souci de sa propre image. Dans le monde hypermédiatisé qui est le nôtre, le danger est de voir un magistrat se mêler de débats et de polémiques, au risque de susciter un soupçon qui pèsera ensuite sur les décisions qu’il sera susceptible de prendre.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Très juste ! Et belle allitération !
M. Hubert Haenel. Ainsi, par exemple, on apprend que tel juge qui a défrayé la chronique à une époque – une gloire de la magistrature ! – se présente à une élection sous telle ou telle étiquette. Dès lors, nos concitoyens peuvent se demander si les décisions qu’il a rendues sont insoupçonnables. Nous devons avoir ce débat : il faut appeler un chat un chat !
Bref, c’est le chantier de la déontologie qui ne doit pas être esquivé si l’on veut traiter complètement la question de l’indépendance de la justice.
En autorisant la saisine du CSM par les justiciables, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 apporte une réponse pertinente. Elle leur permet en effet d’exprimer devant cette haute instance leurs attentes relatives à l’éthique de la magistrature.
Plus complexe et ambivalent peut paraître le lien qui relie le procureur ou ministère public au pouvoir politique. Héritiers des procureurs du roi, les procureurs de la République puisent leur légitimité à la même source que les magistrats du siège. Mais leur particularité est d’être étroitement associés à l’action du Gouvernement à travers sa politique pénale. Chargés de mettre en œuvre l’action publique, avec une marge d’opportunité que la loi leur reconnaît et que je ne remets d’ailleurs pas en cause, ils exercent une mission située à la frontière entre justice et politique. Ils doivent, en effet, mettre en mouvement le bras séculier de l’État, mais ils ne peuvent agir dans ce but que dans le cadre de la politique pénale générale définie par le couple Parlement-Gouvernement.
Dès lors, on mesure que l’on ne peut couper complètement le lien entre l’action politique et l’action publique sans risquer de méconnaître les principes fondateurs.
Ne peut-on néanmoins réfléchir à une plus grande transparence qui permettrait de lever les suspicions qui entourent, dans certains cas, la mise en œuvre de l’action publique ?
Les comparaisons européennes sont à cet égard utiles. Deux pays – l’Italie et le Portugal – ont fait le choix de l’indépendance de leur ministère public, qui ne peut recevoir d’instruction du pouvoir exécutif. Dans des pays qui, comme l’Allemagne et les Pays-Bas, ont confié l’instruction au ministère public, ce dernier n’est pas indépendant et peut recevoir des ordres de l’exécutif. Mais la loi néerlandaise a pris soin d’encadrer le pouvoir du ministre de la justice.
En France, une plus grande transparence pourrait résulter – c’est une suggestion parmi d’autres – de l’organisation d’un débat annuel devant le Parlement qui serait l’occasion d’un véritable échange sur les constats à dresser et les orientations à retenir. Il serait suivi d’un vote. Par sa solennité et par la publicité qui lui serait donnée, une telle procédure conférerait une vraie légitimité aux circulaires et directives de politique pénale qui en résulteraient. Chaque parquetier disposerait ainsi d’une feuille de route précise et complète, dont la légitimité serait incontestable.
Cette relation entre ministère public et pouvoir politique doit aussi être étudiée en intégrant la dimension européenne. En effet, l’action du ministère public passe et passera de plus en plus par la coopération judiciaire au sein de l’Union européenne, qui s’exerce sous diverses formes, notamment dans des instances comme Eurojust, qui, je l’espère, montera en puissance. Le développement de la coopération judiciaire en Europe et le bon fonctionnement de l’instance de coordination qu’est Eurojust seront d’autant mieux assurés que les systèmes judiciaires européens seront, sinon identiques, du moins comparables dans leurs grandes lignes. Cela plaide en faveur de la réforme de l’instruction annoncée par le Gouvernement et qu’ont déjà réalisée la plupart de nos voisins.
D’aucuns ont objecté ou vont objecter que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe vient d’adopter une résolution qui, entre autres préconisations, invite la France à « revoir le projet de suppression des juges d’instruction » et à envisager de revenir sur la révision constitutionnelle de l’année dernière – celle dont nous parlons aujourd'hui ! –, afin de « rétablir une majorité de juges et de procureurs au sein du Conseil supérieur de la magistrature ».
On n’a pas manqué de se référer à ce texte – la presse s’en est fait l’écho – pour assurer que l’Europe condamnait la réforme envisagée de l’instruction pénale. Mais quelle Europe ?
M. Pierre-Yves Collombat. Celle des libertés !
M. Hubert Haenel. Pas celle des Vingt-Sept, mais le Conseil de l’Europe, à l’occasion d’un débat plus ou moins objectif et complet. (M. Robert Badinter s’exclame.)
Rappelons d’abord que le Conseil de l’Europe est complètement distinct de l’Union européenne ; il comprend pour sa part quarante-sept États membres, pratiquement tous ceux qui sont géographiquement classés comme « européens » selon la définition la plus large de cette Europe géographique.
Rappelons aussi que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, organe consultatif, n’a rien à voir avec le Parlement européen et qu’elle est complètement distincte de la Cour européenne des droits de l’homme, organe juridictionnel du Conseil de l’Europe.
On ne peut donc pas affirmer, comme l’ont certains journaux l’été dernier, que « l’Europe » – ou même simplement le Conseil de l’Europe – condamne la réforme française de l’instruction : nous sommes simplement confrontés à la prise de position d’une assemblée interparlementaire qui, en l’occurrence, semble s’être fondée principalement, même si cela reste à vérifier, sur l’information fournie par des représentants syndicaux, en ignorant à la fois les dysfonctionnements graves qui ont fait apparaître la nécessité d’une réforme et toute la problématique de l’harmonisation européenne.
Pour conclure, je soutiendrais volontiers que la justice française doit s’engager dans un double mouvement.
Tout d’abord, elle doit revenir à ses principes de base, ceux d’une justice républicaine, c’est-à-dire impartiale et non pas irresponsable.
Ensuite, il lui faut s’ouvrir sur l’Europe. L’espace judiciaire européen que nous avons commencé à construire est fondé sur la confiance mutuelle des États membres. Nous devons attendre des autres la même impartialité, les mêmes garanties qu’ils sont en droit d’espérer de nous, ce qui suppose un effort d’harmonisation pour rendre les procédures « eurocompatibles » – passez-moi l’expression, mes chers collègues – et, en même temps, une coopération judiciaire plus efficace, aujourd’hui avec un Eurojust renforcé, demain, je l’espère, si le traité de Lisbonne entre en vigueur, avec un parquet européen.
Les deux mouvements que je viens d’évoquer me paraissent complémentaires et cohérents. Une justice française mieux assurée sur ses principes de base sera d’autant plus capable de coopérer dans la clarté avec les autres systèmes judiciaires et d’exercer un rayonnement en Europe C’est ainsi que se développera cette justice plus légitime et plus efficace à laquelle nos concitoyens aspirent et à laquelle ils ont droit.
Madame la présidente, madame le ministre, mes chers collègues, pardonnez-moi de vous avoir fait part de quelques réflexions personnelles, qui n’engagent nul autre que moi ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur le banc de la commission.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Madame la présidente, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi organique qui nous est présenté aujourd’hui met en œuvre les dispositions de la Constitution qui sont relatives au Conseil supérieur de la magistrature, dans leur rédaction résultant de la loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République du 23 juillet 2008.
Notre marge de manœuvre est très étroite puisque l’article 65 de la Constitution définit, de manière détaillée, l’architecture du Conseil supérieur de la magistrature, notamment en ce qui concerne sa composition et les modalités de nomination de ses membres.
Le Gouvernement, aidé en cela par la majorité parlementaire, a souhaité verrouiller le débat, en gravant dans le marbre ce qui constitue pour nous une menace grave pour l’indépendance de la justice : la surreprésentation de personnes extérieures à la magistrature au sein d’un organe chargé de la sélection, de la carrière et de la discipline des magistrats.
Il s'agit là d’un cas unique en Europe : un ordre professionnel dirigé par un conseil dont les membres appartiennent en majorité à d’autres professions !
Ce « fait majoritaire » imposé par le Président de la République est un symptôme, parmi d’autres, de la volonté de reprise en main du pouvoir judiciaire par le pouvoir politique. Le Président de la République a réussi ce tour de force : inscrire dans la Constitution, à côté de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la justice, un autre principe qui vient ruiner les précédents, la mainmise du pouvoir politique sur l’ordre judiciaire !
Nos craintes ne sont pas inspirées par une quelconque paranoïa ; elles découlent d’un ensemble d’éléments qui, mis bout à bout, nous permettent de livrer une radiographie inquiétante de l’état de l’indépendance de la justice en France.
Jean-Pierre Michel s’étant exprimé sur des questions techniques, je m’attacherai à décrire ces éléments qui mettent à mal l’indépendance de notre justice.
Le premier d’entre eux, c’est la politisation du CSM à travers le présent projet de loi organique. La nomination d’une majorité des membres de ce conseil par le Président de la République et les présidents des deux assemblées n’est pas anodine. Elle ne saurait simplement constituer un rempart contre un prétendu corporatisme.
Cette politisation du CSM est dangereuse, non seulement pour la mission confiée au conseil, mais aussi pour l’équilibre démocratique dans son ensemble. Elle fait peser des soupçons légitimes sur la volonté du pouvoir politique de tenir entre ses mains le sort des magistrats, qu’il s’agisse de la carrière ou de la discipline de ces derniers.
Comment ne pas douter que ces nominations auront un impact sur l’exigence de neutralité et d’indépendance des membres du CSM ?
Les précisions apportées par notre rapporteur en ce qui concerne les compétences requises ne changent pas fondamentalement la situation : ces personnalités seront, avant tout, ressenties comme un corps étranger, dont la présence, téléguidée, est contraire au principe de l’indépendance de l’ordre judiciaire.
Je voudrais illustrer nos inquiétudes avec quelques textes qui émanent du Conseil de l’Europe, notamment la résolution adoptée le 30 septembre 2009, par l’Assemblée générale du Conseil de l’Europe. M. Haenel vient de l’évoquer et, en tant que président de la commission des affaires européennes, a demandé de quelle Europe il s’agissait. Eh bien, mon cher collègue, j’ai envie de vous répondre : « l’Europe des libertés » !
En effet, nous pouvons lire dans cette résolution ces quelques lignes lumineuses : « L’Assemblée invite la France à rétablir une majorité de juges et de procureurs au sein du Conseil supérieur de la magistrature ou à veiller à ce que, parmi les membres nommés par les organes politiques, figurent également des représentants de l’opposition. ».
Madame le ministre, que faites-vous de cette résolution du Conseil de l’Europe ? Quel sort réservez-vous aux innombrables décisions ou instruments européens qui présentent la même exigence, comme la Charte européenne sur le statut des juges de 1998 ou l’avis n° 10 du comité consultatif des juges européens des 21 et 23 novembre 2007 ?
La réponse est simple : votre majorité a décidé de les ignorer, tout comme elle cherche à méconnaître un certain nombre d’autres standards européens en matière de protection des droits.
Le deuxième élément que je souhaite souligner, c’est la mainmise plus générale du pouvoir politique sur une partie de la magistrature, à savoir le parquet.
À cet égard, il faut mettre un terme aux sempiternelles proclamations hypocrites selon lesquelles les procureurs sont indépendants, alors qu’ils reçoivent des instructions pénales du ministre de la justice !
La Cour européenne des droits de l’homme l’a rappelé récemment dans l’affaire Medvedev : le procureur n’est pas un juge indépendant. Il s'agit d’un constat clair et sans ambiguïté, auquel le Gouvernement ferait bien de prêter une attention plus soutenue. Or cette décision ne semble pas affoler outre mesure le Président de la République. Au contraire, celui-ci envisage même de renforcer les pouvoirs de poursuite et d’enquête des procureurs, en leur confiant, par exemple, les missions aujourd’hui dévolues au juge d’instruction.
À cet égard, la suppression du juge d’instruction constitue une véritable rupture avec notre tradition pénale. Si la France devait abandonner cette spécificité, il lui faudrait également revoir celle qui consiste à décider de renoncer à des poursuites selon des critères à géométrie variable, voire à la tête du client !
Le juge d’instruction gêne, et pour cause : il est indépendant, il ne dépend d’aucune autorité et ne répond que de ses fautes, il dispose de moyens pour mener à bien ses investigations. Il n’en fallait pas plus pour demander sa tête !
Avec sa disparition, les scandales politico-financiers resteront sous le boisseau et, bientôt, ne seront plus jugés.
Voilà donc le système judiciaire que l’on nous prépare : une immunité de convenance !
Le troisième élément, c’est le mépris assumé de nos dirigeants envers les juges.
Est-il tolérable, dans un État de droit, d’entendre un ministre de l’immigration critiquer la libération des réfugiés de Calais, en pointant du doigt le laxisme des juges des libertés et de la détention ?
Est-il tolérable d’entendre un ministre de l’intérieur critiquer une décision de remise en liberté et clamer haut et fort que, si la justice avait fait son travail, le drame relaté par les médias ne serait pas arrivé ? Il est insupportable que, dans notre pays, les juges soient tenus pour responsables d’une décision de mise en liberté alors qu’ils ne font qu’appliquer la loi !
Mes chers collègues, je vous l’affirme clairement : de tels propos sont inadmissibles ! Ils traduisent une culture de mépris à l’égard des juges, rendus responsables de tous les maux de notre société.
Dans un État de droit, la justice est indépendante et ses décisions ne doivent être ni commentées ni remises en cause par le pouvoir politique !
Enfin, le quatrième élément que je souhaite évoquer est la compression des moyens budgétaires et humains de la justice.
Le dénigrement constant à l’égard des juges se traduit aussi par la faiblesse des moyens qui leur sont alloués pour accomplir leur mission. Comment une justice peut-elle être perçue comme proche du citoyen lorsque, pour des raisons d’économie, les tribunaux sont supprimés et la collégialité, remise en cause ?
Il s’agit d’une question fondamentale : notre justice souffre cruellement d’arbitrages budgétaires défavorables et de la rationalisation des dépenses. Le projet de loi de finances pour 2010 en est une parfaite illustration. Les juges sont sommés de faire plus avec moins, au détriment de la protection des libertés !
En somme, nous assistons à une paupérisation de notre justice, qui se traduit de manière particulièrement affligeante par le recours croissant aux procédures accélérées comme la comparution immédiate ou l’utilisation des ordonnances pénales, une technique dont la rapidité d’exécution assure un haut rendement, conforme aux souhaits gouvernementaux de célérité et d’économie puisque, tout simplement, il n’y a plus d’audience !
Face à ce constat, une autre remarque s’impose : comment, dans ces conditions de défiance, la justice pourrait-elle remplir pleinement sa mission ? Comment l’indépendance de la justice peut-elle être effective si celle-ci subit régulièrement les assauts d’un pouvoir politique convaincu d’en assurer l’efficacité alors qu’il en réduit considérablement la crédibilité ?
À preuve, la volonté du Gouvernement de revenir sur les acquis qui avaient été obtenus en commission des lois et qui visaient à renforcer l’indépendance du Conseil supérieur de la magistrature. Le Gouvernement montre ainsi qu’il entend garder sa mainmise sur l’autorité judiciaire, au mépris du principe d’indépendance de la justice et de la séparation des pouvoirs.
C’est parce que nous avons la conviction qu’une justice soumise aux interférences du pouvoir politique ne saurait être indépendante que nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. Madame la présidente, madame le ministre, mes chers collègues, en cette ambiance intime d’avant-déjeuner (Sourires.), je suis heureux de pouvoir présenter quelques observations sur le climat dans lequel se déroulent nos débats.
Celui-ci est marqué par deux faits essentiels.
Tout d’abord, la magistrature française connaît un mal-être profond, qui n’est pas nouveau, mais qui s’est beaucoup aggravé depuis deux ou trois ans.
Cette situation a des causes diverses : le sentiment d’assurer une mission très difficile avec des moyens parfois insuffisants, l’absence de reconnaissance de la part des pouvoirs publics, qui se traduit notamment par les attaques ou les critiques évoquées à l’instant par Mme Boumediene-Thiery, enfin le sentiment que le public ne comprend pas ce que fait la justice française.
Madame le ministre, comme j’ai eu l’occasion de le faire remarquer à votre prédécesseur, voilà deux ans et demi, quand je l’ai rencontré pour la première fois, j’appartiens depuis plus de cinquante ans au paysage judiciaire et je ne me souviens pas d’avoir jamais observé pareil climat dans la magistrature française. Vous aurez véritablement à prendre en compte ce problème.
J'ajoute que le traitement médiatique de la justice est désolant. Je regardais mardi dernier l’émission de télévision Prise directe, à laquelle vous participiez d'ailleurs, et qui était intitulée – rendez-vous compte ! – « Faut-il avoir peur de la justice ? ». On y présentait la justice comme la source de maux divers : insuffisante exécution des décisions, erreurs judiciaires, ouverture des portes des prisons pour des récidivistes qui n’attendent que l’occasion de recommencer, indifférence ou surmenage des magistrats, misère extrême des locaux – il est vrai que le tribunal d’Aix-en-Provence n’est pas le mieux doté de France, mais j’espère que cette situation changera, et il existe tout de même d’autres juridictions qui sont fort bien logées. Bref, l’image qui était donnée de notre justice était à la fois misérabiliste et humiliante.
Ainsi que je le répète à chaque occasion, ce n’est pas juste !
Je connais bien un certain nombre de justices, en Europe et outre-Atlantique. Certes, la justice française ne peut certainement pas prétendre à se voir décerner la palme d’or des justices européennes. Il n’en reste pas moins qu’elle ne mérite pas d’être traitée ainsi, car elle est loin d’être la plus mauvaise d’Europe. Peut-être est-elle la plus mal aimée, mais c’est une autre question.
En matière civile, nous pouvons servir de modèle à bien des juridictions étrangères. Nous avons mis en place des procédures, notamment le référé, mais aussi de multiples modes de solution des conflits que d’autres pays ne connaissent pas et qui aident considérablement la marche de la justice.
En matière pénale, les innovations qui ont été apportées sont essentiellement dues aux initiatives du parquet lui-même, tirées de sa pratique.
À l’heure où il est question d’adopter le modèle accusatoire, il suffit de s’intéresser, comme c’est mon cas, à l’évolution des justices internationales pour constater que, dans les pays qui ont fait ce choix il y a longtemps – je pense aux pays anglo-saxons, qui ont de grandes justices –, le taux d’erreur judiciaire...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Est énorme !
M. Robert Badinter. ...est sans rapport avec le nôtre.
Je n’ai pas besoin de rappeler ce qui a récemment donné lieu à tant de tumulte en Grande-Bretagne.
Aux États-Unis, des études universitaires effectuées a posteriori ont montré que la proportion d’erreurs judiciaires était considérable. Dans un pays où se pratique la condamnation à mort, les conséquences sont absolument tragiques.
Telle n’est pas la situation de notre pays. C’est pourquoi la justice française mérite mieux que cette déconsidération dont on se plaît à l’accabler.
Cela étant, je le dis simplement mais avec fermeté : la révision constitutionnelle et le nouveau statut de la magistrature ne contribueront pas à dissiper le sentiment de malaise ou l’angoisse que je mentionnais au début de mon intervention. Au contraire ! Je ne m’attarderai pas sur les dispositions que, comme tous ici, je trouve nécessaires et innovantes, notamment la mise en cause de la responsabilité éventuelle, hors activité juridictionnelle, des magistrats. À cet égard, je salue les efforts réalisés par le rapporteur et le président de la commission des lois. Le dispositif doit encore faire ses preuves et des corrections seront probablement nécessaires, mais il était attendu, tout le monde s’accorde sur ce point.
À examiner avec objectivité les effets de la révision constitutionnelle sur l'article 65, on constate qu’il s’agit non pas d’un progrès ou d’une garantie supplémentaire accordée aux magistrats et à leur indépendance, mais au contraire d’une régression, d’une marque de défiance à leur égard. Heureusement, grâce à la résistance du Sénat et aux efforts de sa commission des lois, le principe de la parité entre magistrats et non-magistrats a pu être maintenu dans les formations disciplinaires.
J’en viens à la composition du Conseil supérieur de la magistrature.
Avec beaucoup de prudence ou d’habileté, Hubert Haenel a établi une distinction entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne. Point n’était besoin de la rappeler aux vieux Européens que nous sommes !
Mais le foyer des libertés judiciaires en Europe, l’organe à qui nous devons la Convention européenne des droits de l’homme et les protocoles qui l’ont suivie, la mère nourricière et constamment soucieuse des libertés en Europe, c’est le Conseil de l’Europe ! Cette instance est distincte de la Cour européenne des droits de l’homme, même si celle-ci interprète des conventions dont il est à l’origine.
Je ne le répéterai jamais assez, – nous en sommes convaincus, mais nous l’oublions souvent – l’indépendance est au cœur de la justice d’une démocratie. Si l’indépendance des magistrats n’est pas assurée, l’opinion publique n’accorde aucun crédit à la démarche judiciaire. Les Britanniques ont raison de le souligner, il ne suffit pas que justice soit rendue, encore faut-il que l’on pense qu’elle a été rendue. L’indépendance n’est pas une commodité pour la magistrature : c’est une exigence première pour une démocratie. L’égalité des justiciables devant la justice est à ce prix.
Le Conseil de l’Europe a rappelé en termes extrêmement fermes, dans la Charte européenne sur le statut des juges, que la composition de l’organe chargé de garantir et d’assurer l’indépendance des juges devait au minimum respecter la parité entre membres issus de la magistrature et personnalités nommées par des instances extérieures, politiques ou professionnelles. En France, il s’agit du Conseil supérieur de la magistrature.
Je ne parle pas de la primauté des magistrats au sein du Conseil, dont je ne suis pas partisan. Mais la parité est une exigence première ! Certes, en 1993, le Conseil supérieur de la magistrature comprenait une majorité de magistrats, si l’on considère que le Président de la République et le garde des sceaux jouaient des rôles particuliers.
Désormais, et c’est unique en Europe, chaque formation spécialisée, chargée de la promotion et de la carrière des magistrats, comprend quinze membres, sept magistrats et huit personnalités extérieures, nommées soit par le pouvoir politique, soit par le Conseil d’État, soit par le Conseil national des barreaux. La parité a donc disparu. Avantage est donné aux non-magistrats.
Cette situation est en elle-même la marque d’une défiance totalement infondée à l’égard de la magistrature.
Nous nous sommes souvent opposés à cette mesure. Nous vous avons exhortés à ne pas sortir du cercle des nations européennes, à ne pas méconnaître les exigences qui s’imposent en matière d’indépendance des magistrats. C’est leur carrière qui est en jeu ! Ainsi fut fait, pourtant. Par conséquent, nous avons assisté à cette régression, étant précisé de nouveau que l’intervention du Sénat a permis de sauver in extremis la parité en matière disciplinaire.
Nous assistons donc aujourd'hui à ce paradoxe prodigieux et révélateur de cette défiance à l’égard de la magistrature – c’est d’ailleurs ainsi qu’elle le ressent, et à juste titre – : la formation plénière, composée de quinze membres, comprend une majorité de non-magistrats. Or l’une des premières attributions dévolues à cette instance est de formuler des avis afin d’améliorer le fonctionnement de la justice ! Sur cette matière, on concevra que ces questions relèvent en priorité des magistrats et que ces derniers ont tout de même des compétences supérieures à celles des personnalités extérieures. Rien ne justifie donc qu’ils soient minoritaires au sein de cette instance.
Bien plus, et cela confine au ridicule, cette formation plénière a pour mission de définir un code de déontologie de la magistrature. À ma connaissance – par définition, celle-ci est limitée et ne saurait être encyclopédique (Sourires) –, il n’existe pas de grand corps dont la déontologie est confiée à une majorité de personnalités étrangères à ce corps. En réalité, ce recueil des obligations déontologiques de la magistrature résultera tout simplement de la jurisprudence au coup par coup. C’est le principe de la common law qui prévaudra, à partir des décisions du Conseil supérieur de la magistrature, surtout avec les procédures améliorées.
Pourquoi les magistrats subissent-ils un tel traitement ? Pourquoi cette suspicion pèse-t-elle sur eux ?
J’en viens maintenant à la question, qui, pour nous, Français, est fondamentale, celle de l’unité du corps des magistrats. Le Conseil constitutionnel a toujours reconnu ce principe. Il n’est qu’à consulter les décisions rendues. Je laisse de côté la question des règles d’organisation et de fonctionnement du parquet. C’est un problème fonctionnel. Le parquet est nécessairement hiérarchisé, indivisible et il a des rapports avec le pouvoir exécutif. Certes, nous pouvons avoir des divergences dans ce domaine, mais là n’est pas l’essentiel.
S’il existe un corps unique de magistrats, tous doivent avoir le même statut. Il est impossible d’opérer la moindre distinction entre eux et de donner à certains moins de garanties qu’à d’autres, selon les missions qu’ils exercent, surtout lorsque celles-ci sont temporaires. Cette dualité de traitement est inacceptable au regard du principe structurel d’unité de la magistrature.
D’aucuns prétendent que des progrès ont été réalisés, puisque le Conseil supérieur de la magistrature pourra désormais émettre un avis sur la nomination en conseil des ministres des magistrats du parquet. Cet avis sera-t-il suivi d’effet ? Rien n’est moins sûr ! Il n’est qu’à regarder la pratique du Gouvernement en matière de nomination depuis quelques années.
Les magistrats du parquet doivent bénéficier des mêmes garanties statutaires et du même système que les magistrats du siège, notamment en termes de carrière. Ce serait la moindre des choses ! Et cela n’a rien à voir avec le pouvoir légitime d’instruction ou de directive que doit exercer le ministre de la justice. C’est, je le dis avec fermeté, une question de dignité et d’indépendance.
Cette disposition nous place dans une incertitude juridique. Nous ne savons pas ce qu’il va advenir maintenant que la révision constitutionnelle a eu lieu. La législation est désormais soumise à un double système de contrôle – contrôle de constitutionnalité et contrôle de conventionnalité –, qui prend tout son sens avec la question prioritaire de constitutionnalité.
À partir de là, s’agissant de l’unité de la magistrature française, la jurisprudence du Conseil constitutionnel est claire.
Toutefois, à Strasbourg, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré expressis verbis dans un arrêt rendu en juillet 2008 que – c’était une jurisprudence prévisible pour qui connaît et suit la jurisprudence de la Cour – les membres du parquet français n’ont pas la qualité de magistrat au sens de la Convention parce qu’ils sont dans une situation de dépendance à l’égard de l’exécutif incompatible avec cette exigence première qu’est la garantie d’indépendance des magistrats. Cela étant, il existe de grandes justices dans lesquelles les membres du parquet n’ont pas la qualité de magistrat.
Au cours des débats, quand j’avais entendu votre prédécesseur dire qu’elle était chef du parquet, je m’étais récrié. Je savais que nous étions dans une période où la CEDH était appelée à se prononcer et que l’utilisation de ce terme ne pouvait que précipiter sa décision.
Cette dernière a été rendue et a été frappée d’appel. L’affaire a été plaidée et l’arrêt d’appel, imminent, devrait intervenir avant la fin de ce trimestre, vers la fin du mois de novembre ou en décembre.
Si la Cour maintient cette jurisprudence, mesurons la situation dans laquelle nous allons nous trouver. Elle n’est d’ailleurs pas imprévisible. Depuis très longtemps, nous, les juristes, nous avions soulevé cette question angoissante : qu’adviendra-t-il avec la dualité des exceptions – l’exception d’inconstitutionnalité et l’exception de conventionnalité – si, d’un côté, le Conseil constitutionnel dit « oui » et, de l’autre, la Cour européenne des droits de l’homme dit « non » à propos d’un même texte ?
En l’occurrence, nous y sommes presque. Nous aurons une situation dans laquelle, au regard de la Constitution, les magistrats du parquet seront considérés comme des magistrats, mais par rapport à la Convention européenne des droits de l’homme, ils n’auront pas cette qualité. S’ils ne l’ont pas dans le cadre de l’exception de conventionnalité, chacun voit ce que des avocats compétents et fermes en tireront.
Seule la magistrature est constitutionnellement gardienne des libertés individuelles. Il faudra donc modifier ou supprimer les pouvoirs du parquet qui touchent directement à ces libertés. Je pense en particulier, dans le domaine de l’enquête, à la question de la garde à vue.
Et au moment même où l’on s’interroge sur les pouvoirs du parquet, le Président de la République a décidé – il l’a fait savoir devant la Cour de cassation lors la dernière rentrée solennelle – que nous allions vers le système accusatoire et que le juge d’instruction serait supprimé.
Mais si nous nous trouvons en présence d’un tel renforcement objectif des pouvoirs du parquet, comment les conciliera-t-on avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, selon laquelle les membres du parquet n’ont pas la qualité de magistrat et ne peuvent donc agir dans le domaine des libertés individuelles ?
Je n’ai pas besoin de vous dire que ce sera l’heure d’une réflexion profonde, qui devra être menée très attentivement, en concertation avec tous les corps concernés, avant même que nous soyons saisis d’un projet.
Voilà ce que je voulais marquer. Non, la révision constitutionnelle n’a pas dissipé le mal-être, ou le malaise ; elle n’a fait que l’aggraver. Oui, nous sommes à une période d’interrogation majeure sur l’avenir sur notre justice pénale au regard des pouvoirs, de la qualité et du statut du parquet.
Par conséquent, si la jurisprudence de la Cour européenne est maintenue, nous devrons revoir le texte qui résultera de nos travaux aujourd'hui.
L’alternative est en effet la suivante : ou bien, comme je le souhaite, le demande, le réclame – et je ne suis pas le seul, tant s’en faut –, on donnera aux magistrats du parquet la reconnaissance de cette dignité de magistrat, qui implique les garanties d’indépendance en ce qui concerne leur nomination et leur promotion à égalité avec les magistrats du siège ; ou bien on persistera à maintenir la situation actuelle.
Je sais ce que les magistrats ressentiront, mais je sais aussi que, s’agissant de la mise en œuvre de la réforme de la procédure pénale, nous serons appelés à revoir complètement la question des pouvoirs du parquet au regard des libertés individuelles. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures quinze.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures vingt, est reprise à quinze heures quinze, sous la présidence de M. Roland du Luart.)
PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
9
Modification de l’ordre du jour
M. le président. M. le président du Sénat m’a demandé de vous informer qu’il se trouve dans l’impossibilité de prononcer l’éloge funèbre d’André Lejeune, prévu le mardi 20 octobre prochain.
Une nouvelle date sera fixée par la conférence des présidents qui se réunira le mercredi 21 octobre.
La séance de mardi prochain sera donc consacrée exclusivement au débat sur la situation dans les départements d’outre-mer, à partir de 14 heures 30.
10
Article 65 de la Constitution
Suite de la discussion et adoption d’un projet de loi organique
(Texte de la commission)
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi organique relatif à l’application de l’article 65 de la Constitution.
Je rappelle que la discussion générale a été close.
La parole est à Mme le ministre d’État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le débat de ce matin était moins une discussion que l’exposé de diverses positions, toutes fort intéressantes : je tiens donc à remercier chacun des orateurs pour ses propos. Je ne répondrai pas dans le détail à chaque intervention, car beaucoup d’entre elles recoupent des problématiques que nous évoquerons lors de la discussion des articles et des amendements. Ma réponse sera brève, pour ne pas retarder l’examen du fond des problèmes.
À mes yeux, trois positions se dégagent des interventions de ce matin.
Un premier groupe de sénateurs rejette catégoriquement la révision constitutionnelle de 2008. Ils en tirent la conséquence logique en annonçant leur volonté de voter contre ce projet de loi organique. Ils ont justifié ce rejet, chacun avec leur tempérament, certains avec talent, d’autres en faisant plus preuve d’a priori, mais en établissant tous le même constat : ce projet de loi applique une révision constitutionnelle que nous avons rejetée, nous le rejetons donc également.
Un autre groupe de sénateurs avait émis des doutes lors de la révision constitutionnelle, voire avait voté contre. Mais ils estiment que, cette révision ayant été adoptée, il convient d’examiner le projet de loi organique pour lui-même et de l’évaluer en fonction de leur propre conception de la justice. Ce point de vue est éminemment respectable : nous allons d’ailleurs procéder ensemble à l’examen des dispositions de ce texte.
Enfin, certains d’entre vous estiment que la révision constitutionnelle de 2008 représente une avancée importante pour notre démocratie, qu’elle renforce effectivement l’indépendance de la magistrature et permet à la justice d’évoluer vers plus de transparence, d’être mieux comprise et mieux reconnue par les Français. Ainsi, la possibilité ouverte à tout justiciable de saisir le Conseil supérieur de la magistrature lorsqu’il estime le comportement d’un magistrat répréhensible est bien un élément de la démocratie au quotidien.
Par conséquent, le texte du projet de loi organique, déjà amélioré par l’intervention de la commission des lois et de son rapporteur, devrait, au terme de nos débats, se trouver le plus conforme possible à la volonté, que nous partageons tous malgré nos divergences, de voir notre justice contribuer à la cohésion nationale. J’ai dit ce matin que cette cohésion était aujourd’hui menacée et qu’elle supposait une justice reconnue par tous comme indépendante, à l’abri de toutes les pressions – je dis bien « de toutes les pressions » –, qui n’émanent pas seulement des politiques, comme l’a rappelé avec beaucoup de talent le sénateur Haenel.
Je répondrai très rapidement aux différentes interventions.
Le rapporteur, M. Jean-René Lecerf, a rappelé son apport personnel et celui de la commission des lois, puisque nous travaillons sur le texte issu des travaux de la commission. Il a insisté tout particulièrement sur les problèmes posés par la parité et par la situation de l’avocat devant siéger au sein du Conseil supérieur de la magistrature en vertu de la révision constitutionnelle. Nous aurons l’occasion d’aborder ces questions lors de l’examen des articles.
Madame Borvo Cohen-Seat, votre intervention manifestait une telle outrance pour tenter de justifier un veto négatif a priori qu’il m’est difficile de répondre avec des arguments pertinents, tant vos propos étaient empreints de présupposés idéologiques. Chaque fois que nous critiquons notre système judiciaire ou nos magistrats, en faisant peser des suspicions sur eux – car c’est ce que vous avez fait ce matin –, c’est l’ensemble de la justice que l’on attaque, M. Badinter l’a bien souligné, même s’il ne s’adressait pas à vous.
Nous devons nous-mêmes être très prudents quant aux jugements que nous portons, en sachant que nous pouvons porter atteinte à la dignité et à l’honneur des magistrats, dont je sais – je le constate tous les jours – combien ils sont convaincus de leur rôle et combien ils sont soucieux de leur liberté et de leur indépendance dans les décisions qu’ils sont amenés à rendre.
Vous mettez en doute l’indépendance de la commission des requêtes, en arguant du fait que le ministre peut saisir le Conseil supérieur de la magistrature lorsque la commission rejette la plainte du justiciable – comme si chacun dans la vie n’avait pas le droit de former un recours ! Le ministre ne prendra pas la décision, c’est la formation compétente du Conseil qui tranchera. Pourquoi voulez-vous donc empêcher toute saisine par le ministre ? Vous faites preuve d’une curieuse conception de la démocratie !
Vous êtes également revenue sur un certain nombre de questions que nous aborderons tout à l’heure, puisque votre groupe a déposé un amendement sur les sanctions, prévoyant que la révocation ne puisse pas s’accompagner d’une suspension du droit à la retraite. Nous allons discuter de ce point précis, mais la présentation générale de votre argumentation me paraît trop excessive pour qu’il convienne d’y répondre en détail.
M. Zocchetto a effectivement reconnu, et je l’en remercie, les avancées contenues dans les deux parties de ce projet de loi organique relatives à la composition et à l’organisation du Conseil supérieur de la magistrature, d’une part, et à la possibilité pour le justiciable de saisir ledit conseil, d’autre part. Il a également présenté un certain nombre de suggestions, portant notamment sur la nécessité que la saisine soit dirigée contre un magistrat qui n’est plus saisi de la procédure et sur les problèmes liés à la parité au sein des formations du Conseil. Nous examinerons aussi ces sujets lors de l’examen des articles.
M. Michel a eu l’honnêteté d’annoncer – je sais qu’il est un homme éminemment honnête ! (Sourires) – que, de toute façon, il voterait contre le projet de loi organique. Il a eu raison de commencer ainsi, car cette entrée en matière avait le mérite de la clarté. Mais je n’ai pas très bien compris pourquoi vous ajoutiez, monsieur le sénateur, que ce n’était pas « votre tasse de thé ». Il me semble en effet que les problèmes abordés revêtent une certaine importance. Cela dit, j’ai noté que vous parliez plus de la révision constitutionnelle de 2008 ou d’autres problématiques qui ne relèvent pas du texte. Une partie de vos propos était donc hors sujet par rapport au débat d’aujourd’hui ; mais nous aurons l’occasion de parler de tous les sujets que vous avez évoqués ce matin, en dehors de la révision constitutionnelle, puisque celle-ci a été adoptée et fait partie, aujourd’hui, de notre droit positif. Reste à savoir, désormais, comment nous pouvons l’appliquer au mieux.
Vous avez évoqué les problèmes posés par la future réforme de la procédure pénale. Vous avez, en particulier, fait état de débats sur les comportements de juges. Je peux vous dire que cette réforme, telle que nous sommes en train de l’élaborer, en concertation avec un certain nombre de personnalités et avec les syndicats de magistrats, a bien pour but de permettre un contrôle des actes des magistrats, qui ne serait pas assuré par le procureur. La future réforme offrira davantage de garanties, conformément à votre attente. J’espère donc que, le moment venu, vous aurez toujours la même position, ce qui vous permettra de voter le texte que je vous soumettrai.
M. Mézard a reconnu que le projet de loi organique apportait une amélioration et s’est demandé s’il suffirait à rétablir la confiance. Il n’y suffira sans doute pas à lui seul, parce que tout un ensemble d’améliorations sont nécessaires pour rendre confiance aux magistrats, mais également pour rendre confiance aux Français dans leur justice. Je tiens d’ailleurs à nuancer l’affirmation selon laquelle les Français n’auraient pas confiance en leur justice. Un sondage a été évoqué, mais il me semble plutôt refléter la situation de 2005 que la situation actuelle : les sondages les plus récents montrent, heureusement, que les Français ont confiance dans la justice, même si l’institution judiciaire elle-même présente un certain nombre d’insuffisances, que je reconnais très volontiers. Mon rôle consiste justement à contribuer à les réduire dans les mois qui viennent.
Bien que cela ne concerne pas directement le projet de loi en discussion, vous avez évoqué, monsieur le sénateur, l’inquiétude qu’aurait exprimée le Conseil de l’Europe quant à la suppression du juge d’instruction. M. Haenel vous a répondu à ma place, en expliquant très brillamment comment fonctionnait le Conseil de l’Europe.
Je rappellerai simplement que la position du Conseil de l’Europe, lorsqu’il s’inquiète de la suppression du juge d’instruction, pose un double problème.
Premièrement, pour se faire une opinion, il n’a écouté qu’une partie des acteurs, ceux qui sont opposés à cette suppression. Nous n’avons été interrogés à aucun moment. Si j’avais pu m’exprimer, j’aurais d’ailleurs précisé que notre volonté est non pas de supprimer le juge d’instruction, mais de le remplacer par un juge de l’enquête et des libertés aux pouvoirs beaucoup plus étendus.
Ainsi, le juge d’instruction actuel ne s’intéresse qu’à moins de 5 % des dossiers, tandis que le juge de l’enquête et des libertés pourra exercer un contrôle, notamment un contrôle sur les actes d’instruction, pour la totalité des enquêtes, ce juge de l’enquête et des libertés étant un juge du siège. Voilà ce que nous aurions pu dire si nous en avions eu l’occasion !
Deuxièmement, il est parfois curieux de constater que certains s’expriment contre cette disparition du juge d’instruction alors que leur propre pays a déjà supprimé la fonction.
M. Mézard a également évoqué le problème lié à la présence d’un avocat au sein du Conseil supérieur de la magistrature – il n’est d’ailleurs pas le seul à le faire. Là, je ne comprends plus ! Comme M. le rapporteur me le rappelait, ce sont les syndicats de magistrats qui ont demandé qu’un avocat puisse siéger au Conseil. Peut-être cette information n’est-elle pas parvenue à tout le monde… Il me semble néanmoins qu’il conviendrait de se renseigner avant de formuler, au nom des magistrats, des critiques contre une mesure qui correspond à leur demande.
Sur la question des budgets, que M. Mézard a aussi soulevée, il a effectivement été prévu de renforcer les moyens accordés au Conseil supérieur de la magistrature, à la fois sur un plan financier et en termes d’emplois.
Quant à la possibilité pour un particulier qui saisirait le Conseil supérieur de la magistrature de se faire assister par un avocat, je rappelle que cette démarche n’engendre aucun débat contradictoire. Elle consiste simplement à faire part au Conseil, par simple lettre, d’un sentiment de mauvais comportement. La présence d’un avocat n’apparaît donc pas indispensable.
M. Gélard a bien dégagé le sens profond de la révision constitutionnelle et le lien entre celle-ci et le projet de loi organique. Toujours avec beaucoup de talent, il nous a exposé son point de vue sur le texte que nous avons à examiner. Il a regretté notamment qu’aucun professeur de droit ne figure parmi les personnes appelées à siéger au Conseil supérieur de la magistrature. Sur le principe, ce n’est pas moi qui dirait pas le contraire… Mais nous savons aussi parfaitement que, au travers des personnalités extérieures, l’Université retrouvera toute sa place.
M. Gélard m’a ensuite interrogée sur l’augmentation des moyens financiers correspondant aux nouvelles activités qui seront confiées au Conseil supérieur de la magistrature. Je viens d’apporter des éléments de réponse sur ce sujet. Il m’a également interrogé sur les risques d’engorgement des commissions des requêtes et du Conseil supérieur de la magistrature lui-même en ce qui concerne notamment des sujets très sensibles, tels que les affaires familiales, les affaires touchant les mineurs, l’application des peines, voire même les procureurs.
Certes, il existe toujours un risque en la matière et il faut y être très attentif. Mais il me semble que les filtres mis en place permettront d’éviter ces engorgements et que la jurisprudence qui se dégagera permettra assez vite de réduire ces types d’interventions.
Mme Klès, pour sa part, a procédé à une critique générale du texte, en liaison avec un certain nombre de positions qu’elle a précédemment prises sur la réforme constitutionnelle.
J’ai déjà apporté une réponse au sujet de la nomination des personnalités extérieures. Sur la question de l’absence de parité dans certains domaines, plusieurs amendements ayant été présentés, je vous répondrai, madame Klès, à l’occasion de leur examen.
Toutefois, je veux d’ores et déjà signaler que le constituant a souhaité une parité de l’institution, ce qui ne signifie pas une parité chaque fois qu’une décision doit être prise. De plus, se posent un certain nombre de difficultés techniques, puisqu’il y a, dans un cas, élection et, dans l’autre, nomination. Même si la parité pouvait être assurée d’un côté, le risque est fort qu’elle ne puisse pas exister systématiquement.
Quoi qu’il en soit, Mme Klès défend une position politique, que je respecte : elle s’oppose à la réforme constitutionnelle et par voie de conséquence – c’est elle-même qui le dit – à ce projet de loi organique.
Pour revenir à l’intervention de M. Haenel, celui-ci a posé des questions tout à fait fondamentales, notamment lorsqu’il a évoqué l’indépendance pour la justice. Quelle indépendance pour la justice ? Que signifie cette notion d’indépendance pour la justice ? Le véritable problème, c’est effectivement de savoir quel contenu nous donnons aux mots que nous utilisons et, dans le même temps, comment ces mots s’inscrivent dans un cadre plus large.
La réforme du Conseil supérieur de la magistrature, qui répond à des demandes formulées, pour certaines, depuis des décennies et qui va au-delà de ce que certains auraient pu envisager, apporte très largement des réponses. Vous avez raison, monsieur Haenel, c’est une réforme très importante, parce qu’elle conforte l’indépendance et l’image de la justice et parce que, dans le même temps, elle marque un rapprochement entre les citoyens et la justice.
Vous avez aussi éminemment raison de le rappeler, le juge tire sa légitimité du peuple français au nom duquel il rend la justice et de la loi que vous, législateurs, votez également au nom du peuple français. Il me semble qu’on l’oublie un peu trop souvent.
Certes, les travaux sur la déontologie sont essentiels. Mais, je tiens à le dire, ces préoccupations sont partagées par tous les magistrats. Depuis mon arrivée au ministère de la justice, je les rencontre fréquemment et je peux vous assurer qu’ils portent tous une vision, une attente, un espoir de voir reconnues leur éthique et leur déontologie.
Monsieur Haenel, vous souhaitez un débat annuel sur la politique générale pénale. Pourquoi pas ? Pour ma part, je n’y verrais que des avantages. Je ne sais pas quelle forme pourrait prendre ce débat, mais il me semble qu’il ne nécessite pas forcément un vote. En tout cas, il s’agit d’une excellente suggestion. (M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, s’exclame.) Monsieur le président Hyest, vous le savez parfaitement, je n’ai jamais refusé d’organiser un débat demandé par la commission des lois ou par le Sénat.
Enfin vous avez exprimé, monsieur Haenel, votre souhait d’un développement de la coopération européenne ; nous connaissons tous votre engagement dans ce domaine. J’estime que beaucoup a été fait au cours des dernières années. Nous continuons bien entendu à travailler à la construction d’un véritable espace judiciaire européen dans lequel les justiciables se repéreraient davantage et verraient mieux reconnus l’ensemble de leurs droits.
Mme Boumediene-Thiery fait partie de ceux qui se sont déclarés opposés à la réforme constitutionnelle et elle décline sa position en étant contre tout et, finalement, sans prendre en compte un certain nombre de réalités.
Je me suis déjà exprimée sur la résolution du Conseil de l’Europe, thème qu’elle a également abordé. J’ai indiqué voilà quelques instants qu’il était assez curieux d’adopter des résolutions sans avoir consulté tous les acteurs ayant une connaissance approfondie du dossier et une position à défendre.
Mme Boumediene-Thiery a également évoqué l’affaire Medvedev, en oubliant que la Cour n’a pas encore rendu sa décision. Elle anticipe donc une situation qui ne se présentera peut-être pas.
Enfin, j’ai été très gênée de l’entendre exprimer une forme de mépris personnel à l’égard des juges, en laissant entendre qu’ils se laisseraient influencés et n’oseraient pas assurer leur position ou garantir l’application du droit. Cela est tout à fait inadmissible, même si, il est vrai, à force d’excès, le propos perd totalement de sa pertinence ! (M. Pierre Fauchon applaudit.)
M. Badinter – j’allais presque dire maître Badinter… – a exprimé, avec le talent oratoire que chacun lui connaît, son opposition à la réforme constitutionnelle. Outre cette opposition, dont nous avions déjà connaissance, et les conséquences qu’il en tire, il a évoqué un certain nombre de véritables problématiques.
Je pense notamment au mal-être des magistrats. Effectivement, à mon arrivée au ministère, j’ai rencontré des hommes et des femmes profondément investis dans leur mission, fiers d’être magistrats, cultivant une vraie foi dans les valeurs et les principes qui sont les leurs et partageant le sentiment d’agir au nom du peuple français.
Parallèlement, j’ai eu le sentiment que le fonctionnement de l’institution judiciaire, et non de la justice – je pense qu’il faudrait davantage différencier les deux mots –, ne leur offrait ni les locaux ni le système informatique ni les règles qui leur permettraient de travailler au mieux et d’exprimer totalement leur envie d’une justice respectée, admirée, reconnue par les Français.
Il est effectivement important de rappeler la qualité de notre justice, qui est reconnue dans le monde entier, qui est un des éléments du rayonnement de la France, que je veux développer. Bien sûr, il faut être conscient des difficultés qui existent, car il ne servirait à rien de vouloir les occulter.
Ma volonté, c’est justement de mettre toute mon énergie, dans le cadre des attributions qui m’ont été confiées et de la mission que j’ai l’honneur d’exercer, au service de ce renouveau pour créer une justice du XXIe siècle, ancrée et fière de ses valeurs et de ses principes, mais également totalement en phase avec la société.
C’est pourquoi, je l’ai dit et j’aurai l’occasion de le redire au moment du débat budgétaire, je souhaite que la justice bénéficie des meilleures avancées possibles en termes d’organisation, de gestion, d’utilisation des technologies qui sont à notre disposition. Je veux une justice qui soit une référence parmi nos administrations nationales et une référence internationale.
La réforme de la Constitution, monsieur Badinter, n’est pas une marque de défiance à l’égard de la magistrature. Nous n’allons pas refaire le débat constitutionnel, même si vous y avez consacré de longs développements. Le retrait du Président de la République, et du garde des sceaux – mais c’est accessoire –, du Conseil supérieur de la magistrature démontre au contraire, d’une façon à la fois très symbolique et très évidente, que l’on fait confiance à l’institution pour fonctionner.
Le fait que cette institution s’ouvre vers l’extérieur montre qu’elle n’a pas la tentation de se replier sur elle-même, qu’elle ne cède pas au corporatisme et qu’elle est prête à intégrer l’ensemble de la société. Au XXI siècle, aucune institution ne peut effectivement jouer son rôle et se développer si elle est renfermée sur elle-même et si elle ne prend pas en compte tous ceux avec lesquels elle travaille.
Je ne reviens sur les problèmes de parité, dont nous débattrons au cours de l’examen des articles.
Je ne reviens pas non plus sur le statut des magistrats du parquet, que j’ai évoqué tout à l’heure. Nous aurons bien d’autres occasions d’évoquer cette réforme, puisque, comme je l’ai dit, l’avant-projet de texte sera prêt vers la fin du mois de janvier pour, je le souhaite, être discuté, avant l’été 2010. Il nous reste donc pratiquement cinq mois de discussion avant que le projet prenne une forme quasi définitive. Cela donnera l’occasion à chacun de s’exprimer.
Pour notre part, nous pourrons, je l’espère, apporter des assurances par rapport à certains des présupposés qui existent aujourd’hui et démontrer, à travers ce texte, que ce que nous voulons, c’est la justice qu’attendent les Français, c’est-à-dire une justice efficace, transparente et rapide. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. Nous passons à la discussion des articles.
Chapitre Ier
Dispositions modifiant la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature
Article 1er
(Non modifié)
Après l’article 4 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, il est inséré un article 4-1 ainsi rédigé :
« Art. 4-1. – Les magistrats siégeant dans la formation plénière du Conseil supérieur de la magistrature sont, outre son président :
« 1° Le premier président de cour d’appel mentionné au 2° de l’article 1er, pendant la première moitié de son mandat ;
« 2° Le procureur général près une cour d’appel mentionné au 2° de l’article 2, pendant la seconde moitié de son mandat ;
« 3° Le président de tribunal de grande instance mentionné au 3° de l’article 1er, pendant la seconde moitié de son mandat ;
« 4° Le procureur de la République près un tribunal de grande instance mentionné au 3° de l’article 2, pendant la première moitié de son mandat ;
« 5° Les deux magistrats du siège mentionnés au 4° de l’article 1er, pour toute la durée de leur mandat ;
« 6° Les deux magistrats du parquet mentionnés au 4° de l’article 2, pour toute la durée de leur mandat. »
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
(Non modifié)
À l’article 5 de la même loi, le mot : « deux » est remplacé par le mot : « trois ». – (Adopté.)
Article 3
Après l’article 5 de la même loi, sont insérés deux articles 5-1 et 5-2 ainsi rédigés :
« Art. 5-1. – L’avocat qui siège dans les trois formations du Conseil supérieur de la magistrature est désigné par le président du Conseil national des barreaux, après avis conforme de l’assemblée générale dudit conseil.
« Art. 5-2. – Les nominations des personnalités qualifiées mentionnées à l’article 65 de la Constitution concourent à une représentation équilibrée des hommes et des femmes. Elles sont soumises, dans les conditions prévues par cet article, à la commission compétente en matière d’organisation judiciaire de chaque assemblée. »
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 2, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. 5-1. - L'avocat qui siège dans les trois formations du Conseil supérieur de la magistrature est élu par l'assemblée générale du Conseil national des barreaux.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame le garde des sceaux, permettez-moi de vous dire que l’interprétation que vous avez faite de mes propos dénote un a priori idéologique. Nous n’éprouvons aucune défiance à l’égard des magistrats. La défiance que vous avez relevée dans mes propos visait le pouvoir politique qui lui-même manifeste souvent une certaine défiance envers la magistrature.
L’amendement n° 2 vise à renforcer la légitimité de l’avocat qui siège dans les formations du Conseil supérieur de la magistrature.
Même si la commission des lois a amélioré le texte en précisant que cet avocat serait désigné par le président du Conseil national des barreaux après « avis conforme » de l’assemblée générale de ce conseil, il nous paraît plus cohérent qu’il soit élu par ladite assemblée.
C’est déjà ce qui se fait pour le membre du Conseil d’État et il me semble que, pour l’avocat comme pour d’autres membres, il est plus légitime d’être élu par ses pairs.
M. le président. L'amendement n° 9, présenté par M. Michel, Mme Klès, MM. Collombat, Frimat et Sueur, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après le mot :
est
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
élu par le Conseil national des barreaux.
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Je vais abonder dans le sens de Mme Borvo Cohen-Seat.
Alors que le représentant des avocats est désigné, les représentants des magistrats et le représentant du Conseil d’État sont élus. Même si un progrès a été réalisé puisque notre commission a prévu que la désignation de l’avocat interviendrait après avis conforme de l’assemblée générale du Conseil national des barreaux, et non plus après avis simple, cela nous semble insuffisant. Par conséquent, nous demandons que l’avocat, lui aussi, soit élu.
Nous rejoignons ainsi les avis exprimés par M. Vincent Lamanda, Premier président de la Cour de cassation et par M. Jean-Louis Nadal, procureur général près la Cour de cassation, lors de leur audition devant la commission. Nous nous trouvons donc en excellente compagnie et je ne doute pas que, mes chers collègues, que vous aurez plaisir à nous rejoindre.
M. le président. L'amendement n° 11, présenté par M. Michel, Mme Klès, MM. Collombat, Frimat et Sueur, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
L'avocat qui siège au sein du Conseil supérieur de la magistrature est nommé dans la magistrature, à titre temporaire, dans les conditions prévues à l'article 41-10 et suivants de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.
La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Je ne sais pas si les organisations syndicales de magistrats ont réclamé la présence d’un avocat au CSM ; en tout cas, elles ne s’y sont pas opposées mais elles ont posé deux conditions.
La première tient au mode de désignation de l’avocat, dont M. Collombat vient de parler.
La seconde a trait au choix même de cet avocat. Celui-ci ne peut pas exercer sa profession pendant la durée de son mandat, ni être membre d’un cabinet associé qui plaiderait également.
C’est la raison pour laquelle nous avons déposé cet amendement qui est en lien avec l'amendement n° 10 présenté à l’article 4 et dans lequel il est spécifié que l’avocat ne peut pas exercer. Comme il n’exerce pas, il doit percevoir une indemnité substantielle. Aussi, nous proposons, par l’amendement n° 11, que, conformément au statut de la magistrature, cet avocat, qui est désigné en tant que tel, soit, après sa désignation, détaché pour un temps au sein de la magistrature afin de recevoir une rémunération.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Sur l’amendement n° 2, qui tend à organiser la désignation de l’avocat membre du Conseil supérieur de la magistrature par élection en lieu et place de sa désignation après avis conforme de l’assemblée générale du Conseil national des barreaux sur proposition de son président, la commission estime que l’élection n’apporte pas davantage de garanties que la procédure d’avis conforme.
Cette procédure s’apparente à une ratification par l’assemblée générale du choix du président. Cela signifie que le président, s’il n’avait pas l’avis conforme, serait obligé de formuler une nouvelle proposition.
Je signale que, comme nous l’ont fait observer très largement les avocats, la procédure d’élection présenterait quand même des inconvénients sérieux. Elle imposerait l’organisation d’une campagne électorale lourde et elle présenterait également un risque de déstabilisation du président du Conseil national des barreaux.
C’est pourquoi il semble préférable de conserver la procédure proposée par la commission. L’avis est donc défavorable.
Concernant l’amendement n° 9, l’avis est encore plus défavorable, parce que, cette fois-ci, l’avocat serait élu non par l’assemblée générale du Conseil national des barreaux, mais par le Conseil national des barreaux lui-même. Autrement dit, l’ensemble des avocats en activité et des avocats honoraires seraient amenés à prendre part à cette élection, qui serait donc une opération extrêmement lourde.
Quant à l’amendement n° 11, qui consiste à faire nommer de droit l’avocat membre du Conseil supérieur de la magistrature comme magistrat exerçant à titre temporaire, la commission considère que cette proposition est inconstitutionnelle puisqu’elle aurait pour conséquence immédiate de rompre l’égalité entre magistrats et non-magistrats imposée par le constituant.
Par ailleurs, cet amendement n’a effectivement de cohérence que si on le met en relation avec un autre amendement de nos collègues socialistes qui vise à interdire à l’avocat d’exercer sa profession. Or, sur ce point, nous pensons que la commission a trouvé une solution plus nuancée.
Enfin, d’après mes renseignements, l’avocat siégeant au CSM percevra une indemnité de 4 300 euros par mois. Ce n’est peut-être pas extraordinaire mais cela ne justifie pas qu’en outre il soit fait magistrat à titre temporaire !
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur les trois amendements.
Concernant les amendements nos 2 et 9, je ne reprendrai pas les arguments de M. le rapporteur. J’ajouterai simplement qu’il existe quand même une garantie importante puisque l’avocat sera désigné par le président du Conseil national des barreaux qui lui-même est élu par l’ensemble des avocats et que désormais un avis conforme de l’assemblée générale dudit conseil est requis. Toutes les garanties en la matière sont donc apportées et le retrait de ces amendements n’y changerait rien.
Quant à l’amendement n° 11, il présente un risque important d’inconstitutionnalité. Nous voyons bien, en la matière, que le constituant n’a nullement voulu restreindre l’exercice de la profession, sinon il l’aurait précisé puisque, dans d’autres cas, cette incompatibilité existe.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote sur l'amendement n° 2.
M. Pierre-Yves Collombat. D’habitude, je suis plutôt sensible aux arguments de M. Jean-René Lecerf mais, en l’occurrence, je suis un peu étonné qu’il confonde une élection, où l’on est libre de se présenter, et une désignation, fut-elle entourée de toutes les garanties ; ce n’est quand même pas la même chose.
Je sais bien que nous sommes en régime consulaire (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG) puisque, comme le disait Sieyès, « le pouvoir vient d’en haut et la confiance vient d’en bas ». Mais tout cela n’est guère démocratique. Preuve en est que, pour les magistrats, par exemple, une procédure d’élection est prévue.
Donc, très franchement, les arguments de fait et de droit ne nous paraissent pas convaincants.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Nous soutenons l’amendement n° 2 présenté par Mme Borvo Cohen-Seat.
En effet, je ne suis pas convaincu par les arguments de M. le rapporteur, c’est rare mais cela arrive. Il nous est proposé de prévoir que l’avocat sera désigné par le président du Conseil national des barreaux après avis conforme de l’assemblée générale dudit conseil et l’on nous explique que cela permettra de faire l’économie d’une lourde campagne électorale. Je connais la composition du Conseil national des barreaux, qui regroupe quelques dizaines de confrères avocats. Mieux vaut une campagne forte menée auprès de quelques dizaines de personnes qu’une campagne officieuse, qui, de toute façon, aura lieu.
On nous explique également que la désignation par le président après avis conforme équivaut à un vote du Conseil national. Pourquoi, alors, ne pas en revenir à la formule démocratique la plus simple : candidature puis élection par le Conseil national des barreaux ? Pourquoi manifester une défiance par rapport à un choix qui est important puisque l’on veut absolument un avocat dans le Conseil supérieur de la magistrature ? (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)
Nous considérons que la motivation de cette disposition n’est pas transparente, ce que nous regrettons.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Absolument !
M. le président. L'amendement n° 24, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 3, première et seconde phrases
Supprimer les mots :
concourent à une représentation équilibrée des hommes et des femmes. Elles
La parole est à Mme le ministre d'État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Je propose, par cet amendement, de supprimer le rappel de la représentation équilibrée des hommes et des femmes, parce que cet objectif est déjà prévu dans notre Constitution. C’est donc une redondance par rapport à ce qu’impose la Constitution.
Par ailleurs, cela risquerait de souligner la disparité entre hommes et femmes puisque la commission des lois a fait le choix de ne prévoir la parité que pour les six personnalités qualifiées et non pour les autres membres. De toute façon, il y a un moment où l’on est en porte-à-faux.
C’est la raison pour laquelle il me paraît inutile de rappeler l’objectif de parité, qui figure déjà dans la Constitution. Nous savons bien que, de toute façon, sur les nominations, le souci de parité est très souvent exprimé.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La commission diverge du Gouvernement sur ce point.
D’abord, si l’on s’interroge sur le nombre de femmes ayant été désignées depuis la réforme de 1994 parmi les personnalités extérieures, le compte est vite fait : …
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Zéro !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. C’est exact. Or, le moins que l’on puisse dire est que ce corps de magistrats se féminise de manière importante, comme peuvent s’en rendre compte tous ceux qui ont parfois le plaisir d’aller enseigner à l’École nationale de la magistrature. (Sourires.)
Par ailleurs, la commission ne fait pas exactement la même lecture que le Gouvernement de l’article 1er de la Constitution. Cet article prévoit que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales » ; il est bien écrit que c’est la loi qui favorise cet égal accès. Lorsque, dans le préambule de la Constitution, par exemple, il est inscrit que « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent », c’est un appel de la Constitution au législateur pour réglementer le droit de grève. Nous prenons donc l’article 1er de la Constitution comme un appel au législateur pour tenter de favoriser l’égal accès des femmes et des hommes à ces responsabilités professionnelles.
Aussi, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'article 3.
(L'article 3 est adopté.)
Article 4
Le deuxième alinéa de l’article 6 de la même loi est ainsi rédigé :
« Aucun membre ne peut, pendant la durée de ses fonctions, exercer la profession d’officier public ou ministériel ni aucun mandat électif ni, à l’exception du membre désigné en cette qualité en application du deuxième alinéa de l’article 65 de la Constitution, la profession d’avocat. Ce dernier ne peut toutefois, pendant toute la durée de son mandat, plaider devant les tribunaux ni agir en conseil juridique d’une partie engagée dans une procédure. »
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 3, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Supprimer les mots :
, à l'exception du membre désigné en cette qualité en application du deuxième alinéa de l'article 65 de la Constitution,
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous avons déjà débattu de cette question à l’article précédent. Nous considérons en effet qu’il n’est pas possible que l’avocat continue à exercer sa profession, car cela risque d’entraîner un conflit d’intérêts préjudiciable à l’impartialité des décisions du CSM.
La solution proposée par la commission des lois atténue certes ce risque. Pour ma part, je ne propose pas que l’avocat soit rémunéré davantage, je considère que, pendant la durée de son mandat, il ne doit pas exercer sa profession.
M. le président. L'amendement n° 10, présenté par M. Michel, Mme Klès, MM. Collombat, Frimat et Sueur, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 2, première phrase
Supprimer les mots :
, à l'exception du membre désigné en cette qualité en application du deuxième alinéa de l'article 65 de la Constitution,
II. - Alinéa 2, seconde phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Mon amendement a le même objet que celui de Mme Borvo Cohen-Seat. Je l’ai déjà défendu précédemment.
M. le président. L'amendement n° 25, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2, seconde phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à Mme le ministre d'État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Cet amendement tend à supprimer les restrictions professionnelles imposées à l’avocat membre du CSM, car une telle disposition risque d’être inconstitutionnelle.
Je ne reviendrai pas sur l’avis donné par M. le rapporteur sur les précédents amendements, mais il me semble que la règle qui peut être imposée à l’avocat c’est essentiellement le respect de la déontologie, règle qui s’applique d’ailleurs à l’ensemble des membres du CSM. Cela doit conduire l’avocat à se déporter lorsqu’il estime être intéressé à l’affaire ou que sa présence fait peser un risque de partialité sur la décision.
Nous voulons unanimement, me semble-t-il, éviter tout risque de suspicion s’agissant des décisions du CSM. Pour autant, il n’est pas nécessaire d’interdire l’exercice de la profession d’avocat.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Les amendements nos 3 et 10 sont diamétralement opposés à l’amendement n° 25. Je serais tenté de citer le proverbe In medio stat virtus pour justifier la position de la commission des lois.
Les amendements nos 3 et 10 tendent à interdire à l’avocat qui est nommé membre du CSM d’exercer sa profession durant son mandat. Une telle disposition nous semble contraire à la volonté du constituant : si ce dernier avait voulu qu’il s’agisse d’un avocat honoraire, il aurait clairement exprimé cette volonté. En l’espèce, il nous est difficile d’exiger cette condition. Cela étant, si le Conseil national des barreaux souhaitait, dans sa grande sagesse, désigner un avocat honoraire ou un avocat près de le devenir, nous ne nous en plaindrions pas nécessairement.
De plus, les garanties ajoutées par la commission des lois au texte initial paraissent suffisantes pour éviter, autant que faire se peut, que l’avocat ne soit placé, du fait de sa pratique, dans une situation de conflit d’intérêts. En effet, il lui est fait interdiction, pendant toute la durée de son mandat, de plaider devant les tribunaux ou d’agir en conseil juridique d’une partie engagée dans une procédure.
Rappelons également que, pour tous les autres cas litigieux, les règles exigeantes de déport maintenant définies à l’article 10-1 de la loi organique par un amendement de la commission auront vocation à jouer.
C’est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable sur les amendements nos 3 et 10.
L’amendement du Gouvernement tend à supprimer l’impossibilité pour l’avocat d’exercer intégralement ses fonctions d’avocat et de plaider. Cet amendement ne recueille pas non plus l’avis favorable de la commission, et ce pour deux raisons.
Premièrement, la commission n’est pas convaincue que cette disposition encoure le grief d’inconstitutionnalité. Elle n’empêche pas l’avocat de continuer à exercer sa profession, elle fixe simplement des limites : nous ne souhaitons pas que l’avocat soit amené à plaider ou à exercer un rôle de conseil juridique dans une procédure en cours. En revanche, l’avocat d’affaires aura toute possibilité de continuer à travailler sur les dossiers qu’il suit, s’il ne plaide pas lui-même. Il n’a pas à se faire omettre du barreau : il peut parfaitement demeurer avocat.
Deuxièmement, tous les magistrats que la commission des lois a auditionnés ou avec lesquels je me suis entretenu, qu’il s’agisse des plus hauts d’entre eux ou des représentants des organisations syndicales – l’Union syndicale des magistrats, le Syndicat de la magistrature ou Force ouvrière magistrats –, ont unanimement attiré notre attention sur une situation qui pourrait poser problème : un plaideur constate que le conseil de son adversaire est membre du CSM et que la solution du litige qui l’oppose audit adversaire passera par un juge dont la carrière est susceptible d’être influencée de façon décisive par l’avocat de son adversaire.
Cela remet en cause ma conception de la justice ! J’ai déjà eu l’occasion de le dire en commission, la justice ne doit pas seulement être juste - sur ce point, je fais totalement confiance à la déontologie de l’avocat – ; elle doit également donner toutes les apparences de la justice. Ici, tel n’est pas le cas. La solution proposée par la commission n’est peut-être pas extraordinaire, mais elle est, me semble-t-il, la plus respectueuse des parties en présence et de l’idée que l’on se fait de la justice et de la volonté du constituant. Cher Patrice Gélard, si le constituant avait prévu la désignation d’un professeur de droit, cela aurait effectivement évité quelques problèmes…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. À condition qu’il ne soit pas avocat !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Effectivement !
La commission émet donc un avis défavorable sur les trois amendements.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote sur l'amendement n° 25.
M. Jean-Pierre Michel. Nous partageons l’avis de M. le rapporteur en ce qui concerne l’amendement du Gouvernement. Pour ma part, je ne crois pas que le renvoi à des règles déontologiques soit suffisant.
Le CSM est saisi, chaque année, d’environ 8 000 dossiers relatifs à l’avancement ou à la mutation de magistrats. N’évoquons que l’avancement : l’avocat membre du CSM devra peut-être se déporter très souvent. En effet, supposons qu’il ait à plaider devant un magistrat ayant fait l’objet d’un avancement l’année précédente : il pourra se présenter avant l’audience au cabinet du juge pour lui faire remarquer que son avancement a été rendu possible grâce à son vote.
J’estime donc que les règles déontologiques sont totalement insuffisantes. C'est la raison pour laquelle nous nous opposerons à l’amendement du Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Nous sommes favorables à l'amendement de notre collègue Jean-Pierre Michel.
Quelques dizaines d’années passées dans les salles d’audience m’ont permis d’acquérir une certaine expérience. Mettons-nous à la place du justiciable : manifestement, il lui est difficile de considérer qu’un avocat membre d’un cabinet ou d’une SCPet appartenant au CSM puisse être neutre.
On parle de transparence et d’indépendance. Loin de moi l’idée de faire un procès d’intention au futur avocat qui siégera au CSM. Je ne doute pas que le président du CNB, après avoir recueilli l’avis conforme de l’assemblée générale, fera un bon choix.
Il n’en reste pas moins qu’autoriser l’avocat à exercer une activité professionnelle posera assurément un problème. Il aura à donner des avis sur la carrière des magistrats, à prendre des positions très importantes. Je le répète, je ne doute pas de la déontologie de l’avocat, de son sens de l’État et de la justice, mais l’apparence est fondamentale en la matière.
Même s’il est vrai que la Constitution évoque l’avocat, cela revient à mettre le doigt dans un engrenage tout à fait néfaste à l’image que l’on veut donner d’une justice parfaitement transparente et indépendante. C’est la raison pour laquelle ce point est beaucoup plus important qu’il n’y paraît.
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto, pour explication de vote.
M. François Zocchetto. Si l’on veut que l’avocat occupe toute sa place au sein du CSM, il ne faut pas qu’il puisse être soupçonné, à tort, je l’espère, de conflit d’intérêts.
Je me suis rallié à la rédaction proposée par la commission, parce que j’estimais qu’il fallait fixer des limites, mais je crains que nous n’ayons pas épuisé le débat.
Toutes les incompatibilités avec l’exercice de la profession d’avocat s’appliquent « directement » ou « indirectement ». Pour prendre un exemple, les associés des cabinets d’avocats sont soumis à ces règles d’incompatibilités ; c’est le cas pour les parlementaires, entre autres.
Interdire à l’avocat de plaider ou d’être le conseil juridique d’une partie engagée dans une procédure est une bonne idée, mais, je le répète, je crains que nous ne soyons pas au bout de l’exercice.
M. le président. La parole est à Mme le ministre d’État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Ces amendements outrepassent la volonté du constituant. Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, si celui-ci avait voulu interdire aux membres du CSM d’être avocats, il l’aurait mentionné explicitement, comme il l’a fait dans d’autres cas. Il est de mon devoir de signaler que les dispositions figurant dans ces amendements risquent d’être considérés comme inconstitutionnelles.
Je comprends tout à fait la préoccupation de M. le rapporteur qui est d’éviter qu’un justiciable ne puisse soupçonner un juge dont la promotion, ou éventuellement la sanction, aurait dépendu du CSM.
Toutefois, la demi-mesure proposée par la commission ne règle pas totalement le problème. D’abord, cela a été souligné, si l’avocat est membre d’un cabinet, comme c’est le cas aujourd'hui, la suspicion pourrait peser sur l’ensemble du cabinet. Or il n’est pas possible de bloquer tout le cabinet.
C'est la raison pour laquelle il vaudrait mieux s’en tenir à la solution que j’ai suggérée, c'est-à-dire des règles connues de tous, notamment des justiciables : l’avocat ne peut pas siéger lorsqu’il y a un risque de conflit d’intérêts. Mais, pour le reste, les choses doivent être claires : le constituant n’a pas voulu que l’avocat ne puisse pas continuer à exercer sa profession. Dont acte ! Si des problèmes déontologiques se posent, ils doivent être réglés par le rappel des règles de déontologie.
Monsieur le rapporteur, telle est ma proposition pour que la loi soit la plus compréhensible possible ; je le répète, elle répond parfaitement, me semble-t-il, aux préoccupations que vous avez exprimées.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je fus rapporteur du projet de révision constitutionnelle. La désignation d’un avocat comme membre du CSM ne recueillait pas l’adhésion de tous, et nous savions que cette mesure poserait plus de problèmes qu’elle n’en résoudrait.
Pour ma part, je serais tout à fait favorable à ce qu’un magistrat siège au conseil de discipline des avocats, comme c’est le cas pour tous les ordres professionnels.
M. Pierre-Yves Collombat. Excellente idée !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. La présence d’un avocat au CSM a été prévue en raison non pas de son activité, mais de sa qualité : en tant que principal partenaire de la justice, monde qu’il connaît bien, il a été considéré que son avis pouvait être extrêmement intéressant.
Madame le ministre d’État, permettez-moi de vous faire remarquer que la Constitution ne prévoit des incompatibilités que très rarement ; je pense aux fonctions de ministre et de parlementaire. Dans la très grande majorité des cas, il revient donc à la loi de les fixer.
On invoque un risque de conflit d’intérêts. M. Zocchetto a raison : nous ne sommes pas au bout de l’exercice ! Peut-être devrions-nous d’ailleurs fixer des règles plus rigoureuses…
Il demeure un risque évident : l’avocat peut exciper de sa fonction pour s’en servir contre les autres parties à un procès. Nous devons veiller à ce que cela ne se produise pas.
Le Conseil national des barreaux désignera vraisemblablement un avocat de grande expérience, dont la valeur ne sera plus à prouver. Si les choses se déroulent ainsi, comme je le pense, la question ne se posera pas. Mais nous devons être attentifs à ce que sa nomination ne soit pas entachée de suspicion. Personnellement, je ne vois pas où se trouve le risque d’inconstitutionnalité.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote sur l'article.
M. Jean-Pierre Michel. Je me félicite que le Sénat ait suivi l’avis de la commission des lois.
J’ajoute qu’il faudrait que les autorités compétentes du barreau, peut-être les conseils de l’ordre, indiquent à l’avocat qui sera désigné qu’il est interdit de faire figurer sa qualité de membre du CSM sur son papier à en-tête.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cela va de soi !
M. Jean-Pierre Michel. Nous avons en effet déjà vu par le passé, avant 1968, certains avocats en faire état. On imagine l’effet produit !
M. le président. Je mets aux voix l'article 4.
(L'article 4 est adopté.)
Article 5
Après le troisième alinéa de l’article 7 de la même loi, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’une vacance se produit avant la date normale d’expiration des mandats des autres membres du Conseil supérieur, ces derniers sont remplacés, dans les trois mois, selon les modalités prévues pour leur désignation initiale. Les membres ainsi désignés achèvent le mandat des membres qu’ils remplacent. » – (Adopté.)
Article 6
(Non modifié)
Au premier alinéa de l’article 8 de la même loi, les mots : « d’une promotion de grade » sont remplacés par les mots : « d’un avancement de grade, ni d’une promotion à une fonction hors hiérarchie, » et le mot : « mutation » est remplacé par les mots : « nomination à un autre emploi ». – (Adopté.)
Article 6 bis (nouveau)
Après l’article 10 de la même loi, il est inséré un article 10-1 ainsi rédigé :
« Art. 10-1. – Les membres du Conseil supérieur exercent leur mission dans le respect des exigences d’indépendance, d’impartialité et d’intégrité. Ils veillent au respect de ces mêmes exigences par les personnes dont ils s’attachent les services dans l’exercice de leurs fonctions.
« Aucun membre du Conseil supérieur ne peut délibérer ni procéder à des actes préparatoires sur une affaire lorsque sa présence ou sa participation pourrait entacher d’un doute l’impartialité de la décision rendue.
« Le président de chaque formation du Conseil supérieur prend les mesures appropriées pour assurer le respect des obligations du présent article. » – (Adopté.)
Article 7
Le premier alinéa de l’article 11 de la même loi est remplacé par les dispositions suivantes :
« Le secrétaire général du Conseil supérieur de la magistrature est nommé par décret du Président de la République sur proposition conjointe du premier président de la Cour de cassation et du procureur général près ladite Cour, après avis du Conseil supérieur de la magistrature, parmi les magistrats justifiant de sept ans de services effectifs en qualité de magistrat. Il est placé en position de détachement et ne peut exercer aucune autre fonction. Il est désigné pour la durée du mandat des membres du Conseil et peut être renouvelé une fois dans ses fonctions. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 26, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Supprimer les mots :
, après avis du Conseil supérieur de la magistrature,
La parole est à Mme le ministre d'État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Là encore, mon souci est d’éviter une éventuelle inconstitutionnalité.
L’article 65 de la Constitution n’attribue en effet à aucune des trois formations du Conseil supérieur de la magistrature une compétence pour émettre un avis sur le choix du secrétaire général.
Il serait donc préférable de supprimer cette disposition.
M. le président. L'amendement n° 4 rectifié, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Après les mots :
après avis
insérer les mots :
conforme de la formation plénière
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cet amendement est diamétralement opposé à celui qui a été présenté par le Gouvernement : la loi organique doit préciser dans quelle condition le secrétaire général est désigné.
Si l’on veut que le Conseil supérieur de la magistrature soit indépendant, il faut lui permettre de donner un avis conforme sur la nomination de son secrétaire général, même si ce n’est pas inscrit dans la Constitution. D’abord, cela renforcera son autorité. Ensuite, une loi organique sert justement à préciser les conditions de mise en œuvre des articles de la Constitution.
Je ne vois donc pas en quoi une telle mesure serait inconstitutionnelle.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. S’agissant de l’amendement n° 26, une fois de plus, la commission n’arrive pas à être convaincue par le risque d’inconstitutionnalité soulevé par le Gouvernement.
Il est vrai, madame le garde des sceaux, que l’article 65 de la Constitution n’attribue à aucune des trois formations du Conseil supérieur de la magistrature une compétence pour émettre un avis sur le choix du secrétaire général. Et pour cause : cet article ne fait jamais la moindre mention au secrétaire général. C’est en effet à la loi organique de déterminer les conditions d’application de cet article.
Autant certaines mesures peuvent effectivement présenter un risque d’inconstitutionnalité, que le Parlement peut d’ailleurs parfois assumer, autant je ne vois pas ici l’esquisse d’un risque. Dans le silence total du texte constitutionnel, il est donc de la compétence du législateur organique, et de lui seul, de fixer les modalités de désignation du secrétaire général.
La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
Elle a également émis un avis défavorable sur l’amendement n° 4 rectifié, qui vise à proposer un avis conforme.
Je rappelle que le texte établi par la commission des lois prévoit que le secrétaire général du CSM est désigné sur proposition conjointe du premier président et du procureur général près la Cour de cassation, après avis simple du CSM.
Le présent amendement tend à remplacer cet avis simple par un avis conforme de la formation plénière du CSM. Or pourquoi la formation plénière, puisque, en dépit de son nom, elle ne réunit pas l’ensemble des membres du Conseil supérieur de la magistrature ? Pourquoi, surtout, exiger un avis conforme, sachant qu’il faudra d’abord que le premier président de la Cour de cassation et le procureur général près de ladite Cour se mettent d’accord ? Il va de soi que leur proposition devra ensuite être agréée par la majorité des membres du Conseil supérieur de la magistrature.
Le secrétaire général doit être celui de l’ensemble du CSM et non pas simplement le secrétaire général du premier président de la Cour de cassation et du procureur général près ladite Cour. Le dispositif présenté par la commission apparaît donc à la fois plus large et suffisamment satisfaisant.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 4 rectifié ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Je rejoins totalement l’argumentation très claire de la commission.
Cela étant, je note que M. le rapporteur indique que le Parlement est prêt à assumer le risque d’inconstitutionnalité. Je rappelle simplement que mon devoir est de le mettre en garde.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote sur l'amendement n° 26.
M. Jean-Pierre Michel. Mon groupe suivra l’avis de la commission et votera contre l’amendement du Gouvernement.
M. le rapporteur a très bien expliqué que l’article 65 ne fait pas mention du secrétaire général du CSM et que celui-ci n’est pas le secrétaire général du premier président de la Cour de cassation et du procureur général près ladite Cour. Je pense que la proposition qui doit être faite au Président de la République doit non seulement émaner des deux chefs de la Cour de cassation, mais également être suivie d’un avis du Conseil supérieur de la magistrature.
Après le vote de cette loi organique, il serait souhaitable que la Chancellerie demande au Conseil supérieur de la magistrature de préciser les conditions de procédure de ses délibérations. Lors d’une affaire récente, l’opacité a à tel point prévalu que les décisions du CSM, notamment en matière de nomination, ont ensuite été contestées, y compris par les plus hautes autorités.
Il faut donc définir le rôle réel du secrétaire général. Il serait notamment utile que, à l’instar d’un greffier, par exemple, il signe les procès-verbaux de séance, afin de leur donner la valeur d’actes authentiques. Plus aucune contestation ne serait alors possible, ce qui nous éviterait de revivre l’épisode regrettable auquel nous avons assisté il y a quelques mois.
M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon, pour explication de vote sur l'amendement n° 4 rectifié.
M. Pierre Fauchon. Je préfère la rédaction de la commission.
En exigeant un avis conforme plutôt qu’un avis simple, on met en route toute une mécanique contentieuse, laquelle est moins favorable à la sérénité souhaitable pour désigner un secrétaire général.
M. le président. L'amendement n° 36, présenté par M. Lecerf, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 2, dernière phrase
Après le mot :
Conseil
insérer le mot :
supérieur
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Il s’agit d’un amendement purement rédactionnel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 7, modifié.
(L'article 7 est adopté.)
Articles additionnels après l'article 7
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 37, présenté par M. Lecerf, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l'article 7, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 12 de la même loi est ainsi rédigé :
« Art. 12. - L'autonomie budgétaire du Conseil supérieur est assurée dans les conditions déterminées par une loi de finances. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Cet amendement vise à mettre en place les conditions de l’autonomie budgétaire du Conseil supérieur de la magistrature.
L’article 12 de la loi organique du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature dispose : « Les crédits nécessaires au fonctionnement du Conseil supérieur sont individualisés au sein du budget du ministère de la justice. »
Cette mesure n'est pas conforme aux nouvelles règles budgétaires issues de la loi organique relative aux lois de finances. De plus, elle pourrait entrer en conflit avec le transfert, qui a été prôné à plusieurs reprises par la commission des lois, et notamment par notre collègue Yves Détraigne, des crédits alloués au CSM du programme « Justice judiciaire » de la mission « Justice » à la mission « Pouvoirs publics », qui intègre d'ores et déjà les crédits alloués au Conseil constitutionnel et à la Cour de justice de la République.
Le présent amendement tend donc à adopter une rédaction, qui, tout en posant le principe de l'autonomie budgétaire du Conseil supérieur de la magistrature, invite le Gouvernement à prendre, dans la loi de finances, les mesures nécessaires pour garantir celle-ci.
Permettez-moi d’établir un parallèle. Il s’avère que je représente le Sénat au conseil d’administration de l’OFPRA, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. Or le Conseil supérieur de la magistrature me donne l’impression d’être aujourd’hui dans la position qu’occupait hier la Commission des recours des réfugiés, devenue depuis Cour nationale du droit d’asile, lorsqu’elle dépendait pour son autonomie financière de l’établissement public qu’elle avait pourtant à contrôler. C’est pourquoi je pense que, sur ce point, une évolution est nécessaire.
M. le président. L'amendement n° 23 rectifié, présenté par M. Michel, Mme Klès, MM. Collombat, Frimat et Sueur, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 7, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le président du Conseil supérieur de la magistrature est ordonnateur des dépenses et des recettes du Conseil supérieur de la magistrature.
Le contrôle financier des opérations du Conseil supérieur de la magistrature s'exerce dans les conditions définies par le premier alinéa de l'article 1er et les articles 2 à 9 inclus du décret n° 70-1049 du 13 novembre 1970 relatif à la déconcentration du contrôle financier sur les dépenses de l'État effectuées au plan local.
La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Cet amendement va dans le même sens que celui de la commission des lois. Il vise en effet à accorder une autonomie financière au Conseil supérieur de la magistrature, organisme constitutionnel, à l’instar de la Cour de justice de la République ou du Conseil constitutionnel.
Si l’amendement de la commission était adopté, le mien deviendrait sans objet. Je me rallie donc au sien.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 23 rectifié ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Malheureusement, monsieur le rapporteur, je ne peux émettre qu’un avis défavorable sur votre amendement.
En effet, le présent projet de loi organique ne change pas la nature du CSM. Les modifications apportées par l’article 65 de la Constitution, tel qu’il résulte de la révision constitutionnelle, n’ont ni pour objet ni pour effet de transformer le Conseil supérieur de la magistrature en un pouvoir constitutionnel, au même titre que le Conseil constitutionnel.
La préservation du budget du Conseil supérieur de la magistrature est prévue, puisque celui-ci apparaît de façon séparée dans le projet de loi de finances que le Parlement vote. Donc, tous les contrôles nécessaires existent. Que l’on veuille préserver ce budget – je vous annonce d’ores et déjà qu’il sera en augmentation –, j’en conviens ! Mais, par une mesure qui apparaît technique et de bon sens, vous transformez la nature juridique de cette institution. Or telle n’est pas la volonté du constituant.
Je suis prête à examiner avec la commission la façon d’apporter des garanties supplémentaires, mais le faire sous cette forme me pose problème.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Nous n’en sommes qu’au début de la procédure législative et des adaptations pourront, bien sûr, être apportées.
Aujourd’hui, l’autonomie budgétaire du CSM dépend de la direction des services judiciaires. Une telle situation paraît curieuse pour un organisme qui mériterait d’être traité de la même manière que le Conseil constitutionnel ou la Cour de justice de la République.
Par ailleurs, nous n’imposons rien, avec cet amendement : nous nous contentons d’ouvrir une possibilité, plus pour le Gouvernement que pour le seul ministre de la justice, laquelle est aujourd'hui entravée par les dispositions devenues obsolètes de la loi organique du 5 février 1994. Loin de nous l’idée d’une quelconque injonction à l’égard du Gouvernement, bien évidemment. Mais si nous votons cet amendement et si vous souhaitez, demain, rejoindre les préconisations très anciennes du Sénat sur ce point, vous aurez la possibilité de le faire.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 7.
L’amendement n° 23 rectifié n’a plus d’objet.
Article 8
L’article 13 de la même loi est ainsi rédigé :
« Chacune des formations du Conseil supérieur de la magistrature se réunit sur convocation de son président. » – (Adopté.)
Article 9
L’article 14 de la même loi est ainsi modifié :
1° Avant le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« En cas d’empêchement, le premier président de la Cour de cassation et le procureur général près ladite Cour peuvent être suppléés respectivement par le magistrat hors hiérarchie du siège ou du parquet de la Cour de cassation, membre de la formation compétente. » ;
2° Le premier alinéa est ainsi rédigé :
« Pour délibérer valablement lorsqu’elles siègent en matière disciplinaire, la formation compétente à l’égard des magistrats du siège et celle compétente à l’égard des magistrats du parquet comprennent, outre le président de séance, au moins sept de leurs membres. Dans les autres matières, chaque formation du Conseil supérieur délibère valablement si elle comprend, outre le président de séance, au moins huit de ses membres. »
M. le président. L'amendement n° 12, présenté par M. Michel, Mme Klès, MM. Collombat, Frimat et Sueur, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéas 2 et 3
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Il s’agit de supprimer la possibilité pour le premier président de la Cour de cassation et le procureur général près ladite Cour de se faire suppléer en cas d’absence.
En effet, cette disposition n’apparaît aucunement légitime au regard du fonctionnement actuel du Conseil supérieur de la magistrature, qui prévoit une élection au sein de chaque formation du président de cette formation.
Par ailleurs, s’agissant de la formation dite « plénière », les magistrats du siège et du parquet de la Cour de cassation n’y siègent pas ; seuls y siègent le premier président et le procureur général. Il paraît donc surprenant de pouvoir désigner des magistrats qui ne siègent pas dans cette formation comme suppléant au cas où le premier président ou le procureur général ne pourrait être présent.
Pour ce qui est des nominations, la mise en minorité des magistrats au sein des formations, déjà contraire aux standards internationaux, serait en réalité accentuée, puisque l’effectif théorique serait de six magistrats et de huit membres extérieurs.
Enfin, concernant les audiences disciplinaires, la parité entre membres magistrats et membres non-magistrats imposée par le constituant serait rompue, l’effectif théorique étant de sept magistrats et de huit membres extérieurs. Cette rupture de parité à la seule discrétion des chefs de la Cour de cassation, qui seront à l’évidence appelés fréquemment à se faire remplacer compte tenu de l’ampleur de leurs attributions, est contraire à l’esprit de la loi constitutionnelle.
En définitive, le premier président et le procureur général se sont déclarés très satisfaits, lorsque la commission les a auditionnés, de pouvoir enfin présider le Conseil supérieur de la magistrature et de ne plus y voir le Président de la République et le garde des sceaux. Eh bien ! ils doivent être en mesure d’assumer la totalité de leurs fonctions, ainsi que la présence requise !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Nous souhaitons tous que le premier président et le procureur général assument effectivement leurs responsabilités. C’est ce qu’ils feront, vraisemblablement, dans 99 % des cas, mais nous ne pouvons tout de même pas leur interdire d’être malades, d’avoir un empêchement ou de représenter la France dans un congrès international. Le fait de prévoir un mécanisme de suppléance me paraît donc indispensable. Très honnêtement, il n’apparaît pas illégitime à la commission que les suppléants désignés soient alors les magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation.
C’est pourquoi la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Le Gouvernement est également défavorable à cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'article 9.
(L'article 9 est adopté.)
Article 10
(Non modifié)
À l’article 16 de la même loi, les mots : « autres que celles pourvues en conseil des ministres » sont supprimés.
M. le président. L'amendement n° 13 rectifié, présenté par M. Michel, Mme Klès, MM. Collombat, Frimat et Sueur, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... - L'article 16 est complété une phrase ainsi rédigée :
« Cet avis est rendu public. »
La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Cet amendement concerne la nomination des magistrats du parquet. Nous sommes plusieurs à déplorer que celle-ci ne soit pas sur le même plan que celle des magistrats du siège.
Il s’agit d’éviter les contestations. Celles-ci sont nombreuses, car les avis rendus par la formation compétente du CSM sont plus ou moins connus, comme le sont ceux du Conseil d’État, même s’ils ne devraient pas l’être : des articles relatant qu’untel a été nommé à tel endroit par le pouvoir politique malgré l’avis défavorable du CSM sont publiés dans la presse. C’est très mauvais pour la confiance que les magistrats peuvent avoir en leur justice, dans le pouvoir de nomination.
On ne connaît d’ailleurs pas la teneur de cet avis : tient-il à l’expérience des magistrats, à leur carrière passée ? Tous ces éléments sont inconnus.
C'est la raison pour laquelle je propose que l’avis soit rendu public. Ainsi, tout le monde connaîtra l’avis du CSM et ses motivations. Si le pouvoir de nomination veut passer outre, il pourra s’en expliquer.
Cette suggestion avait été formulée par le procureur général près la Cour de cassation au cours d’une audition devant la commission des lois.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Il est difficile au rapporteur de donner un avis, car l’amendement rectifié n’a pas été soumis dans cette forme à la commission.
Avant d’être rectifié, cet amendement visait à créer une obligation de motivation et de publicité pour les avis rendus par la formation compétente du CSM sur les propositions de nomination des magistrats du parquet.
La commission des lois avait alors rendu un avis défavorable, car elle avait estimé que la conjugaison de la publicité et de la motivation pourrait entraîner des situations dans lesquelles des justiciables contesteraient l’autorité de magistrats ayant fait l’objet d’un avis défavorable en prenant appui sur des éléments fournis dans la motivation de l’avis.
L’amendement a fait l’objet d’une rectification et seule l’obligation de publicité a été maintenue.
C’est la raison pour laquelle la commission s’en remettra à l’avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Le fait de rendre public l’avis va dans le sens des risques que soulignait le rapporteur et peut jeter une suspicion sur les personnes.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement ne peut émettre qu’un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous étions défavorables à la motivation, qui pouvait mettre en cause le magistrat et sa qualité.
Quand, très exceptionnellement, le garde des sceaux ou le Président de la République passe outre un avis défavorable du CSM, tout le monde le sait : il se dit qu’untel a été nommé procureur malgré l’avis négatif du CSM.
Madame le garde des sceaux, nous vous suivrons sur ce sujet Il me semble néanmoins que nous avons intérêt à réfléchir à cette question : ne serait-il pas préférable de rendre public un avis négatif ?
D’autres organismes émettent des avis qui sont rendus publics. Par exemple, la Constitution prévoit expressément la publicité des avis pour les propositions de nominations par le Président de la République.
M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote sur l'amendement n° 13 rectifié.
M. Christian Cointat. Qu’on le veuille ou non, l’avis du CSM est connu et cela crée un climat de suspicion. Il est donc de l’intérêt de tous, et au premier chef du Gouvernement, que les choses soient claires.
Je rejoins les propos du président Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je n’ai pas tranché : je me pose la question !
M. Christian Cointat. La clarté est un signe de force, non de faiblesse ; elle permet à chacun de prendre ses responsabilités. Si l’on veut en finir avec le climat quelque peu délétère qui entoure ces questions concernant le parquet, le meilleur moyen est d’adopter une symbolique forte : la publicité de l’avis, étant entendu que le Gouvernement est libre de le suivre ou de ne pas le suivre.
C’est la raison pour laquelle, à titre personnel, sans engager mon groupe, je voterai cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Si le Gouvernement souhaite la transparence, la moindre des choses est de rendre les avis publics. On évitera ainsi bien des polémiques.
M. le président. Je mets aux voix l'article 10.
(L'article 10 est adopté.)
Article 11
L’article 18 de la même loi est remplacé par les dispositions suivantes :
« Art. 18. – L'examen des plaintes dont les justiciables saisissent le Conseil supérieur de la magistrature est confié à une ou plusieurs commissions des requêtes. Chaque commission des requêtes est composée :
« - d’un magistrat du siège issu de la formation compétente pour la discipline des magistrats du siège, élu par cette formation ;
« - d’un magistrat du parquet issu de la formation compétente pour la discipline des magistrats du parquet, élu par cette formation ;
« - de deux personnalités élues, pour chacune d’entre elles, par la formation compétente à l’égard des magistrats du siège et par la formation compétente à l’égard des magistrats du parquet, parmi les membres du Conseil supérieur de la magistrature n’appartenant pas à l’ordre judiciaire.
« La commission des requêtes élit en son sein un président.
« Les membres de la commission des requêtes ne peuvent siéger dans la formation disciplinaire lorsque celle-ci est saisie d'une affaire qui lui a été renvoyée par la commission des requêtes dont ils sont membres, ou lorsque le Conseil supérieur de la magistrature est saisi par les autorités mentionnées aux articles 50-1, 50-2 et aux deux premiers alinéas de l’article 63 de la loi organique relative au statut de la magistrature de faits identiques à ceux dénoncés par un justiciable dont la commission des requêtes a rejeté la plainte.
« La commission des requêtes examine les plaintes présentées par les justiciables, dans les conditions prévues aux articles 50-3 et 63 de la loi organique relative au statut de la magistrature.
« Elle délibère valablement si trois de ses membres sont présents.
« Elle se prononce à la majorité des voix. En cas de partage égal des voix, l'examen de la plainte est renvoyé à la formation compétente du Conseil supérieur. »
M. le président. L'amendement n° 27 rectifié bis, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 2 à 9
Remplacer ces alinéas par cinq alinéas ainsi rédigés :
« Art. 18. - L'examen des plaintes dont les justiciables saisissent le Conseil supérieur de la magistrature est confié à une ou plusieurs commissions d'admission des requêtes. Chaque commission d'admission des requêtes est composée, pour chaque formation, de quatre de ses membres, deux magistrats et deux personnalités extérieures au corps judiciaire, désignés chaque année par le président de la formation.
« Le président de la commission d'admission des requêtes est désigné par le président de la formation.
« Ses membres ne peuvent siéger dans la formation disciplinaire lorsque celle-ci est saisie d'une affaire qui lui a été renvoyée par la commission d'admission des requêtes à laquelle ils appartiennent, ou lorsque le Conseil supérieur de la magistrature est saisi par les autorités mentionnées aux articles 50-1, 50-2 et aux deux premiers alinéas de l'article 63 de la loi organique relative au statut de la magistrature de faits identiques à ceux dénoncés par un justiciable dont la commission d'admission des requêtes a rejeté la plainte.
« La commission d'admission des requêtes examine les plaintes présentées par les justiciables, dans les conditions prévues aux articles 50-3 et 63 de la loi organique relative au statut de la magistrature.
« La commission d'admission des requêtes délibère valablement si trois de ses membres sont présents.
La parole est à Mme le ministre d’État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Cet amendement vise à revenir au texte du Gouvernement en retenant un dispositif de filtrage opéré par une ou plusieurs commissions d'admission.
La terminologie de ces commissions est elle-même importante. Ces commissions sont constituées au sein de chaque formation et composées de quatre membres de celle-ci, de deux magistrats et de deux personnalités extérieures au corps judiciaire.
Les commissions d'admission constituées dans la formation compétente à l'égard des magistrats du siège ne seront compétentes que pour examiner les plaintes visant des magistrats du siège, ce qui me paraît normal compte tenu de leur spécificité. De la même manière, celles qui sont constituées dans la formation compétente à l'égard des magistrats du parquet ne pourront examiner que des plaintes visant des magistrats du parquet. En effet, les types de plaintes sont assez différents et doivent être étudiés en fonction de la responsabilité et de la place de chacun.
Ainsi, on garantit la constitutionnalité du dispositif. Je rappelle en effet que les compétences des deux formations – siège et parquet – du Conseil supérieur de la magistrature sont fixées par l'article 65 de la Constitution. En matière disciplinaire, les membres de chaque formation ont donc une compétence limitée à la discipline des magistrats du siège ou à celle des magistrats du parquet. L'action disciplinaire est personnelle et la faute s'apprécie différemment pour un magistrat du siège et pour un magistrat du parquet.
Le dispositif que nous proposons correspond à la fois très clairement à la volonté du constituant et à la différence des deux fonctions, ainsi qu’à la façon dont celle-ci s’exprime.
C’est une mesure de bon sens et de cohérence constitutionnelle.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Cet amendement n’est pas conforme à la position adoptée par la commission.
En effet, la commission a fait le choix de commissions des requêtes communes pour le siège et pour le parquet. L’article 65 de la Constitution crée bien pour le justiciable une possibilité de saisir le CSM et non l’une de ses formations spécialisées, siège ou parquet. Dès lors, la commission a considéré qu’il était conforme à la Constitution de prévoir que le filtrage des plaintes des justiciables serait assuré par un organe commun.
De plus, le filtrage des plaintes des justiciables intervient en amont de la procédure disciplinaire : il est une étape administrative dans le cheminement des plaintes. Certaines saisines peuvent également concerner simultanément des magistrats du siège et des magistrats du parquet, comme ce fut le cas, par exemple, dans l’affaire d’Outreau.
Par ailleurs, la création d’un filtre commun permettrait d’éviter des divergences de traitement entre les plaintes qui visent le siège et celles qui concernent le parquet et de renforcer l’unité de la jurisprudence, comme l’a fait observer le doyen Patrice Gélard ce matin, dans son intervention.
Enfin, la commission a souhaité, par ce dispositif, réaffirmer l’unité du corps judiciaire et renforcer le socle commun des règles déontologiques pour les magistrats du siège et du parquet.
J’ajouterai deux choses.
Tout d’abord, je suis satisfait que l’expression « commission d’admission des requêtes » ait été préférée au mot « section », car, à tort ou à raison, le mot « section » heurtait cruellement les magistrats de l’ordre judiciaire, même s’il existe des sections et des sous-sections au Conseil d’État. Les magistrats judiciaires étaient totalement réfractaires à ce terme, qui leur évoquait des souvenirs historiques fort pénibles.
Je ne vous cacherai pas que, pour le rapporteur, l’unité de la commission de filtrage n’a pas la même importance que, par exemple, le problème de la parité entre magistrats et non-magistrats dans le cadre des formations disciplinaires.
Cela étant, en qualité de rapporteur de la commission des lois, je ne peux émettre qu’un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Une phrase de l’objet de l’amendement nous pose problème : « L’action disciplinaire est personnelle et la faute s’apprécie différemment pour un magistrat du siège et pour un magistrat du parquet ».
Après le débat très intéressant que nous avons eu, au cours de la discussion générale, sur le parquet et sur le siège, une appréciation différenciée de la faute en matière d’action disciplinaire pour un magistrat du siège et pour un magistrat du parquet me paraît aujourd'hui – dans l’attente des dispositions législatives à venir – anormale.
Nous ne sommes donc pas favorables à cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote.
M. Christian Cointat. C’est au nom du groupe UMP, dont j’ai l’honneur d’être le porte-parole dans le débat de cet après-midi, que je m’exprimerai.
Nous avons parfaitement compris l’approche de la commission des lois, qui est particulièrement structurée et cohérente avec le fil conducteur qui a été le nôtre tout au long de l’examen de ce projet de loi organique. Toutefois, les arguments d’inconstitutionnalité du Gouvernement sont également très pertinents. Il faut reconnaître que, dans la Constitution, la structure du CSM repose sur deux bases clairement définies.
Après mûre réflexion, et sans toutefois se désolidariser de l’excellent travail effectué par la commission des lois, le groupe UMP a finalement décidé de voter l’amendement du Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Monsieur le président, par coordination et pour prendre en compte la nouvelle dénomination de la commission d'admission des requêtes, les amendements du Gouvernement nos 31 rectifié, 32 rectifié et 35 rectifié devront également être modifiés.
M. le président. Je vous donne acte de votre observation, monsieur le président.
L'amendement n° 5, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 10, seconde phrase
Remplacer cette phrase par deux phrases ainsi rédigées :
En cas de partage égal des voix, la commission des requêtes décide qu'il n'y a lieu à saisir la formation compétente. La décision est notifiée au magistrat visé par la plainte et au justiciable auteur de la plainte.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cet amendement a été rédigé à partir du texte de la commission, bien entendu, mais la modification apportée par le Gouvernement ne change rien au problème.
Madame le garde des sceaux, tout à l’heure, vous avez dit que je ne faisais pas confiance aux magistrats : c’était un contresens !
Comme je l’ai indiqué dans la discussion générale, il nous semble étrange que le partage égal des voix au sein de la commission des requêtes – dénommée maintenant commission d’admission des requêtes – n’ait pas pour conséquence de mettre fin aux poursuites. En général – c’est le cas pour la formation disciplinaire –, le doute doit profiter à la personne mise en cause.
Dès lors que ladite commission a un véritable droit de filtrage sur le fond, pourquoi poursuivre la procédure s’il y a partage égal des voix ?
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La commission comprend parfaitement la préoccupation de Mme Borvo Cohen-Seat. J’avoue m’être interrogé de la même manière sur cette question.
Finalement, la commission a retenu la disposition du projet de loi organique qui prévoit que, en cas de partage égal des voix, la plainte est transmise à la formation disciplinaire, et ce pour deux raisons.
La première tient à l’efficacité du dispositif. À l’étape du filtrage, il importe de donner au justiciable la garantie que sa plainte sera examinée de façon sincère et approfondie. Il paraît donc préférable qu’à ce stade le doute profite au justiciable.
En outre, il convient de prendre en compte la composition paritaire de la commission des requêtes. Il est souhaitable, afin d’écarter tout soupçon de corporatisme, que deux magistrats ou deux non-magistrats ne puissent à eux seuls rejeter une plainte.
La seconde raison tient à l’équilibre du dispositif. Si nous n’avons pas été choqués par l’entorse faite aux règles habituelles au profit du justiciable, c’est parce que, au moment de la décision disciplinaire, tout rentre dans l’ordre, si je puis dire. En cas de partage des voix, les poursuites s’arrêtent et il n’y a pas de sanction.
Dès lors, le dispositif nous a paru équilibré : assurance pour le justiciable à l’étape du filtrage ; respect des droits du magistrat mis en cause au moment de la procédure disciplinaire.
Telles sont les raisons pour lesquelles, tout en comprenant parfaitement les intentions de notre collègue, la commission a émis un avis défavorable sur son amendement.
M. le président. L’amendement est-il maintenu, madame Borvo Cohen-Seat ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oui, je le maintiens, monsieur le président.
J’ai bien entendu ce qu’a dit M. le rapporteur, pour qui j’ai le plus grand respect. Certes, tout rentre dans l’ordre au moment de la décision disciplinaire. Mais, pour le magistrat, il y a eu doute – je ne m’appesantirai pas sur le fait de savoir si le doute était sérieux ou non – et la commission des requêtes n’a pas pu se mettre d’accord. Passer devant une commission disciplinaire n’est pas neutre pour un magistrat, quelle que soit l’issue de la procédure !
Dans ce domaine comme en d’autres matières, le doute doit profiter à l’accusé.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Le Gouvernement émet un avis défavorable pour les deux raisons que vient d’invoquer M. le rapporteur.
Si l’on veut rapprocher les justiciables de la justice tout en maintenant le filtre, qui est indispensable, il ne faut pas leur donner le sentiment qu’il y a une sorte d’autoprotection et que le problème ne sera pas examiné au fond.
Par ailleurs, la commission des requêtes ne représente qu’une partie du Conseil supérieur de la magistrature. En cas de doute, l’ensemble du CSM doit pouvoir se prononcer.
M. le président. Je mets aux voix l'article 11, modifié.
(L'article 11 est adopté.)
Article 11 bis (nouveau)
Après l’article 18 de la même loi, il est inséré un article 18-1 ainsi rédigé :
« Art. 18-1. – Lorsqu’elle siège en matière disciplinaire, la formation compétente comprend un nombre égal de membres appartenant à l’ordre judiciaire et de membres n’y appartenant pas. À défaut d’égalité, il est procédé par tirage au sort pour la rétablir. »
M. le président. L'amendement n° 28, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme le ministre d'État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Je comprends le souci de la commission des lois de faire en sorte que le Conseil supérieur de la magistrature soit toujours composé d’un nombre égal de magistrats et de non-magistrats en matière disciplinaire. Cela étant, un tel dispositif encourt un risque sérieux de censure par le Conseil constitutionnel, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, le constituant n’a pas imposé un fonctionnement paritaire du CSM : il a simplement prévu une composition paritaire, ce qui est différent. Du reste, un fonctionnement paritaire risquerait de conduire à des blocages dans un grand nombre de cas.
Ensuite, tous les membres du Conseil supérieur de la magistrature ont un droit égal à siéger en matière disciplinaire. Exclure certaines personnes, alors qu’elles ont un droit à siéger, pour parvenir à la parité, est en totale contradiction avec ce qu’a voulu le constituant.
Enfin, dans son amendement de suppression n° 38, la commission des lois ne précise pas le dispositif qui permettra de rétablir la parité. Nous nous trouvons donc dans le flou s’agissant de l’application d’une mesure constitutionnelle.
Je pense que tous essaieront, dans la mesure du possible, d’être présents et que le problème ne se posera pas, mais, je le répète, le risque de censure de ce dispositif par le Conseil constitutionnel est sérieux.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La commission ne partage pas l’avis du Gouvernement.
Comme vient de l’expliquer Mme le ministre d’État, l’amendement vise à supprimer la règle de parité entre les magistrats et les non-magistrats lorsque les formations siègent en matière disciplinaire et que l’un des magistrats a un empêchement.
Cet empêchement peut d’ailleurs être relativement fréquent. Nous l’avons vu, les présidents des formations disciplinaires sont le premier président de la Cour de cassation pour les magistrats du siège et le procureur général près la Cour de cassation pour les magistrats du parquet. Ce sont des personnalités exerçant d’éminentes responsabilités et à qui il arrivera parfois, à leur corps défendant, bien évidemment, de ne pas pouvoir être présents.
La règle de la parité dans les formations disciplinaires nous paraît un élément essentiel de l’indépendance de la justice. Comme l’a rappelé au cours des travaux parlementaires sur la révision constitutionnelle notre collègue Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois et rapporteur de ce texte, « la présence – j’y insiste – paritaire des magistrats et des non-magistrats au sein des formations du CSM exerçant une compétence disciplinaire constitue une condition de l’indépendance de la justice ».
Ce faisant, il résulte clairement des travaux préparatoires que l’intention du constituant – en tout cas telle que l’interprète la commission des lois – a été d’imposer le respect de la parité en matière disciplinaire. Il importe donc de remédier aux éventuelles ruptures d’équilibre qui pourraient être provoquées par l’empêchement légitime de l’un des membres de la formation ou par son déport.
Les arguments avancés pour contester la constitutionnalité de cette disposition ne nous ont pas convaincus, qu’il s’agisse de la comparaison avec le fonctionnement des formations siégeant en matière de nomination – ce point n’a pas fait l’objet des mêmes prises de position que pour les formations siégeant en matière disciplinaire : la Constitution prévoit donc des mesures différentes dans un cas et dans l’autre –, ou du fait que des membres seraient ainsi interdits de siéger. Je signale que la règle de déport, dont la constitutionnalité n’est pas contestée, permet d’interdire à un membre de siéger.
Il revient au législateur organique d’opérer la conciliation nécessaire entre les différentes exigences constitutionnelles, notamment la garantie de l’indépendance de la justice.
Je ne m’attarderai pas sur les normes européennes, dont il a été longuement question ce matin. Je rappellerai simplement que l’exigence de parité est de plus en plus générale au sein des États de l’Union européenne – je ne parle pas des membres du Conseil de l’Europe –, où les formations disciplinaires – exception faite de la République slovaque et de la Belgique, où la parité est stricte – sont systématiquement composées d’une majorité de magistrats.
Pour toutes ces raisons, l’avis de la commission est résolument défavorable.
M. le président. La parole est à Mme le ministre d'État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. J’interviens de manière un peu inattendue, parce que j’estime que nous sommes ici pour essayer de trouver le meilleur texte possible.
Aujourd'hui, on constate effectivement un déséquilibre : le nombre de magistrats est parfois inférieur au nombre de non-magistrats. Tel n’est pas notre objectif, qui est précisément d’améliorer la situation.
Je me demande si nous ne pourrions pas contourner la difficulté constitutionnelle à laquelle nous risquons de nous heurter – c’est du moins mon sentiment – en fixant la règle non pas de la parité, mais d’un nombre minimal de magistrats devant siéger.
Nous répondrions peut-être ainsi au souhait, que je peux partager, de M. le rapporteur, sans prendre le risque de nous heurter à un problème constitutionnel.
M. le président. La parole est à M. Nicolas About, pour explication de vote.
M. Nicolas About. À mon sens, la proposition qui vient d’être formulée par Mme le ministre d'État correspond à la voie que nous devrions emprunter.
Tout à l’heure, M. le rapporteur indiquait que la présence des uns comme des autres était essentielle. Or ceux qui sont présents ne doivent pas se trouver pénalisés en raison de l’absence des autres. Tous les membres du Conseil supérieur de la magistrature ont un droit égal à siéger en matière disciplinaire.
C'est la raison pour laquelle le groupe de l'Union centriste votera à l'unanimité l'amendement du Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. Pour notre part, nous soutiendrons évidemment la position de la commission, et nous sommes résolument hostiles à l'amendement du Gouvernement.
En effet, madame la ministre d'État, votre argument est spécieux : la Constitution a prévu les règles relatives à la formation, mais pas celles qui concernent le fonctionnement. De qui se moque-t-on ? Si la Constitution a prévu une formation paritaire, c’est bien pour que le principe du paritarisme s’applique lorsque la formation siège en matière disciplinaire. Sinon, elle ne l’aurait pas prévu. Cela me paraît évident !
Par ailleurs, je pense que l’amendement du Gouvernement encourt un risque important d'inconstitutionnalité, pour toutes les raisons qu’a indiquées M. le rapporteur.
Par conséquent, nous devons, me semble-t-il, nous en tenir à la position de la commission et refuser cet amendement, qui, s'il était adopté, nous placerait, je le crois, dans une situation très grave.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je partage l'argumentation de M. le rapporteur et je souscris également aux propos de notre collègue Jean-Pierre Michel.
Pourquoi le Constituant aurait-il imposé un principe de parité pour la composition de la formation compétente s’il ne souhaitait pas qu’elle fonctionne de manière paritaire ? Certains font une interprétation de la Constitution pour le moins curieuse…
Au demeurant, lorsque le texte constitutionnel n’est pas suffisamment clair, il appartient à la loi organique d’en préciser le sens.
En fixant un quorum et en imposant la présence d’un nombre minimal de magistrats et de non-magistrats, nous pénaliserions avant tout les présents, qui ne pourraient pas siéger lorsqu’une telle exigence ne serait pas remplie.
C'est la raison pour laquelle il me paraît plus sage de nous en tenir à la position de la commission.
M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard, pour explication de vote.
M. Patrice Gélard. J’irai dans le même sens que M. le rapporteur, en ajoutant quelques arguments.
Je ne pense pas du tout que le texte de la commission encourt un risque d’inconstitutionnalité, et ce pour plusieurs raisons.
D'abord, il existe un organe constitutionnel où la règle de la parité doit être respectée : la commission mixte paritaire.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
M. Patrice Gélard. En cas de déséquilibre, il y a déport, c'est-à-dire que l’un des parlementaires ne prend pas part au vote. Et cette pratique est conforme à la Constitution, puisque le Conseil constitutionnel ne l’a jamais contestée.
Dès lors, on peut estimer que le texte constitutionnel instaure bien une parité. C’est à la loi organique, et non à la Constitution, qu’il appartient d’entrer dans le détail du fonctionnement. À mon sens, le système dit du « pairing », qui est déjà en vigueur dans nombre d’autres pays, s'applique parfaitement en l’espèce.
Par conséquent, nous devons, me semble-t-il, nous rallier à l'interprétation de M. le rapporteur.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je suis sincèrement convaincu que le Constituant – d’ailleurs, c’était la volonté du Sénat – souhaitait la parité, au moins en matière disciplinaire.
Ne donnons donc pas le sentiment que le principe de la parité n’est pas important lorsque la formation compétente statue en matière disciplinaire. Nous devons exiger la parité !
Par ailleurs, monsieur About, sachez qu’au CSM les membres siègent véritablement. Nous nous posons des questions qui n’ont pas lieu d’être et nous semblons laisser penser que le principe de parité en matière disciplinaire pourrait, en fait, être remis en cause par le jeu des règles de déport ou en cas d’empêchement d’un membre. Pour ma part, une telle attitude me gêne énormément.
Madame le ministre d’État, nous avons déjà eu beaucoup de difficultés à imposer que le principe de parité s’applique au moins en matière disciplinaire, comme c’est le cas dans les pays européens. Ne donnons pas le sentiment de vouloir le remettre en cause !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ne paraissons pas le remettre en cause en disant que, le principe, c’est la parité, mais, après tout, si ce principe n’est pas respecté lors de l’exécution, ce n’est pas important ! Pour nous, le principe de parité doit être respecté y compris lors de l’exécution. Nous pourrions fixer le quorum à seize ! Ainsi, tous les membres seraient obligés de siéger. (Sourires.)
Je fais confiance aux membres des formations disciplinaires. D'ailleurs, l'expérience prouve que les magistrats et les non-magistrats sont présents, car ils sont appelés à se prononcer sur des affaires assez graves. La présence des personnes requises est donc assurée.
Madame le ministre d’État, je suggère de ne plus faire référence à un tirage au sort pour rétablir la parité, car celui-ci nous ramène effectivement au niveau de l’exécution. Mais respectons le principe de parité, qui a une valeur constitutionnelle.
À cet égard, l’argumentation selon laquelle le principe d’une parité effective lors des réunions des formations disciplinaires ne peut pas figurer dans la loi organique puisqu’il n’est pas mentionné dans la Constitution est parfaitement réversible : il faut préciser les conditions de mise en œuvre de la parité dans la loi organique puisqu’elles ne figurent pas dans la Constitution ! (Sourires.)
Pour ma part, je crois préférable de faire en sorte que le principe de parité en matière disciplinaire soit respecté en toute hypothèse.
M. le président. L'amendement n° 38, présenté par M. Lecerf, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 2, seconde phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Dans un premier temps, non seulement la commission des lois avait fixé le principe de la parité, en prévoyant que la formation compétente comprend un nombre égal de membres appartenant à l’ordre judiciaire et de membres n’y appartenant pas lorsqu'elle siège en matière disciplinaire, mais elle avait également prévu la technique permettant d’y parvenir en indiquant que, à défaut d’égalité, il est procédé par tirage au sort pour la rétablir.
D'ailleurs, avec un tel système, l’égalité fonctionne dans les deux sens. Si ce sont les magistrats qui sont majoritaires, il est également procédé au tirage au sort pour rétablir la parité.
Mais, dans une deuxième réunion, la commission des lois préféra supprimer la dernière phrase du texte proposé : « À défaut d’égalité, il est procédé par tirage au sort pour la rétablir. ». Elle souhaite en effet laisser la question du mécanisme permettant de rétablir la parité à l’appréciation du Conseil supérieur de la magistrature.
L’essentiel, c’est le respect, dans la loi organique, de ce que nous estimons être la volonté du Constituant. Il faut donc prévoir que magistrats et non-magistrats seront toujours présents en nombre égal au sein des formations du CSM siégeant en matière disciplinaire.
Les modalités du rétablissement de la parité pourront être définies dans le respect des exigences constitutionnelles par le Conseil supérieur de la magistrature, par exemple dans son règlement intérieur.
Cela étant, l’imagination a des limites, et il sera peut-être bien difficile au CSM d’envisager un dispositif autre que le tirage au sort pour rétablir la parité. Mais faisons-lui confiance !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. La phrase que cet amendement vise à supprimer est précisément celle qui est à l’origine de l’amendement du Gouvernement. Avec une telle disposition, nous nous serions retrouvés dans une situation impossible.
Dès lors que la commission propose la suppression de cette phrase, j’émets un avis de sagesse sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'article 11 bis, modifié.
(L'article 11 bis est adopté.)
Article additionnel après l’article 11 bis
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par MM. Collin, Charasse, Mézard et Plancade, est ainsi libellé :
Après l'article 11 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article 18 de la même loi, il est inséré un article 18-2 ainsi rédigé :
« Art. 18-2 - Chaque membre du Conseil supérieur de la magistrature comporte un suppléant désigné dans les mêmes conditions que lui. Le premier président de la Cour de cassation et le procureur général près ladite Cour désignent respectivement parmi les magistrats du siège et du parquet de la Cour de cassation la personne appelée à les suppléer. Les suppléants siègent à la place de leur titulaire dans la formation compétente siégeant en matière disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature en cas de nouvel examen de la situation d'un magistrat lorsque la première décision a fait l'objet d'une annulation contentieuse par le Conseil d'État. »
Cet amendement n’est pas soutenu.
Article 12
I. – Après l’article 20-1 de la même loi, il est inséré un article 20-2 ainsi rédigé :
« Art. 20-2. – La formation plénière du Conseil supérieur a compétence pour connaître des demandes formulées soit par le Président de la République, au titre de l’article 64 de la Constitution, soit par le garde des Sceaux, ministre de la justice, sur les questions énumérées par l’article 65 de la Constitution, et pour se prononcer sur les questions relatives à la déontologie des magistrats. Elle élabore et rend public un recueil des obligations déontologiques des magistrats. »
II (Non modifié). – Le dernier alinéa de l’article 20 de la même loi est abrogé.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 29, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase :
Supprimer les mots :
, et pour se prononcer sur les questions relatives à la déontologie des magistrats
La parole est à Mme le ministre d'État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Les attributions de la formation plénière sur les questions relatives à la déontologie des magistrats sont déjà prévues, d’une part, par la Constitution et, d’autre part, par les dispositions de l’article 12.
Dès lors, il n’apparaît pas nécessaire d’apporter davantage de précisions dans le texte proposé par cet article pour l’article 20-2 de la loi organique du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature.
M. le président. L'amendement n° 39, présenté par M. Lecerf, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Remplacer le mot :
et
par les mots :
ainsi que
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter cet amendement et pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 29.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Les problèmes dont nous débattons actuellement ne sont pas d’ordre purement rédactionnel. En fait, il s’agit, pour une très large part, d’une question d’interprétation du texte constitutionnel : peut-être n’avons-nous pas été suffisamment vigilants, lors de son élaboration – mais il est trop tard pour le regretter –, sur la signification de telle ou telle phrase.
Le huitième alinéa de l’article 65 de la Constitution, qui concerne la formation plénière du Conseil supérieur de la magistrature, est ainsi rédigé : « Le Conseil supérieur de la magistrature se réunit en formation plénière pour répondre aux demandes d’avis formulées par le Président de la République au titre de l’article 64. Il se prononce, dans la même formation, sur les questions relatives à la déontologie des magistrats ainsi que sur toute question relative au fonctionnement de la justice dont le saisit le ministre de la justice. […] »
Se pose donc un problème d’interprétation : soit le Conseil supérieur de la magistrature dispose d’une possibilité d’initiative pour se prononcer sur les questions relatives à la déontologie des magistrats, soit, à l’instar des règles applicables aux questions concernant le fonctionnement de la justice, c’est uniquement sur la saisine du ministre qu’il peut se prononcer.
Selon la commission, le CSM, qui réagit à la demande du ministre sur toute question relative au fonctionnement de la justice, peut en revanche se prononcer spontanément sur les questions relatives à la déontologie des magistrats. C'est la raison pour laquelle la précision souhaitée par la commission est utile.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Je me suis déjà exprimée et je crois que mon analyse converge avec celle de M. le rapporteur. Je suis favorable à la possibilité qui vient d’être évoquée. Toutefois, il me semble que les rédactions combinées répondent tout à fait à la préoccupation de la commission.
Cet amendement me paraît donc redondant.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. L’essentiel est effectivement que nous soyons d'accord sur le fond.
Néanmoins, ce qui va sans dire va encore mieux en le disant. Nous préférons donc que cette précision figure dans le projet de loi organique.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote sur l'amendement n° 29.
M. Jean-Pierre Michel. Cette question n’est pas anodine ; elle est même lourde, comme dirait M. le rapporteur !
Aujourd'hui, le Conseil supérieur de la magistrature peut s’autosaisir – il n’a pas manqué de le faire en diverses occasions – pour rendre un avis sur des points de déontologie des magistrats, sur des questions diverses, sur des projets de réforme…
Si la rédaction proposée par le Gouvernement était adoptée, cela ne serait plus possible et le Conseil supérieur de la magistrature perdrait toute autonomie : il ne se prononcerait plus qu’à la demande de l’exécutif.
Il s’agirait vraiment d’une régression par rapport à la situation actuelle. Une telle évolution ne serait pas de nature à renforcer l’indépendance de la magistrature et celle du CSM, ni à améliorer l’image de l’institution judiciaire. Nous sommes loin des envolées de Mme le garde des sceaux sur la justice du xxie siècle !
C’est la raison pour laquelle nous soutenons résolument la position de la commission.
M. le président. La parole est à Mme le ministre d'État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. L’interprétation de M. Michel est totalement erronée, mais ce n’est pas la première fois !
M. le président. Je mets aux voix l'article 12, modifié.
(L'article 12 est adopté.)
Chapitre II
Dispositions modifiant l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature
Article 13
(Non modifié)
L’article 38 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature est ainsi rédigé :
« Art. 38. – Les magistrats du parquet placés hors hiérarchie sont nommés par décret du Président de la République après avis du Conseil supérieur de la magistrature. » – (Adopté.)
Article 14
(Non modifié)
L’article 38-1 de la même ordonnance est ainsi rédigé :
« Art. 38-1. – La fonction de procureur général près une cour d’appel est exercée par un magistrat hors hiérarchie du parquet de la Cour de cassation, désigné à cet effet dans les formes prévues à l’article 38.
« S’il n’occupe pas déjà cet emploi lors de sa désignation en qualité de procureur général conformément à l’alinéa précédent, le magistrat est nommé concomitamment à un emploi hors hiérarchie du parquet de la Cour de cassation. En ce cas, les dispositions du troisième alinéa de l’article 39 ne sont pas applicables.
« Nul ne peut exercer plus de sept années la fonction de procureur général près une même cour d’appel.
« Six mois au moins avant l’expiration de cette période, le procureur général peut solliciter sa nomination en qualité d’inspecteur général adjoint des services judiciaires. Cette nomination est alors de droit au terme des sept années d’exercice de ses fonctions.
« À l’expiration de cette période, s’il n’a pas reçu d’autre affectation, le procureur général est déchargé de cette fonction par décret du Président de la République et exerce au sein de la Cour de cassation les fonctions auxquelles il a été initialement nommé. Il en est de même dans le cas où, avant ce terme, il est déchargé de cette fonction sur sa demande ou en application de l’article 45. »
M. le président. L'amendement n° 14, présenté par M. Michel, Mme Klès, MM. Collombat, Frimat et Sueur, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. L’article 14 du projet de loi organique vise à modifier l’article 38-1 de l’ordonnance portant loi organique relative au statut de la magistrature afin d’instaurer, pour les procureurs généraux près les cours d’appel, des garanties d’affectation au terme des sept années d’exercice de leurs fonctions identiques à celles qui sont prévues pour les premiers présidents de cour d’appel.
Le Conseil supérieur de la magistrature a, en effet, compétence pour émettre un avis sur les nominations à tous les emplois hors hiérarchie du parquet, de sorte qu’une nomination concomitante des procureurs généraux à un emploi hors hiérarchie de la Cour de cassation est désormais possible.
S’il paraît justifié qu’un magistrat, à l’expiration d’un délai de sept ans et dans l’hypothèse où il n’aurait bénéficié d’aucune affectation, soit nommé, même en surnombre, au parquet général de la Cour de cassation, rien ne justifie, en revanche, une nomination automatique en qualité d’inspecteur général adjoint des services judiciaires.
Cette disposition – souvenons-nous des affaires récentes d’Agen ou de Riom – n’a en fait qu’un seul objet, madame le garde des sceaux : permettre au Gouvernement de mettre fin aux fonctions des procureurs généraux qui résistent à leur nomination à la Cour de cassation en les nommant directement inspecteurs généraux adjoints des services judiciaires, ce qui autorise de plus une certaine discrétion, l’audience solennelle d’installation à la Cour de cassation pouvant donner lieu à la tenue de certains propos…
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer la faculté offerte aux procureurs généraux d’être nommés automatiquement inspecteurs généraux adjoints des services judiciaires au bout de sept années d’exercice effectif de leurs fonctions.
L’article 14 du projet de loi organique tend pourtant à aligner les garanties offertes aux procureurs généraux dans le cadre de leurs obligations de mobilité sur celles dont bénéficient d’ores et déjà les premiers présidents de cour d’appel. Nous n’allons pas nous en plaindre, nous qui souhaitons l’unité du corps !
Au nombre de ces garanties figure notamment la nomination automatique, sur demande de l’intéressé, en qualité d’inspecteur général adjoint des services judiciaires. Rien ne justifie d’exclure les procureurs généraux du bénéfice de cette garantie.
De plus, il est tout à fait pertinent que l’inspection des services judiciaires puisse bénéficier, par ce biais, de l’expérience d’un ancien procureur général.
La commission est donc défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Le Gouvernement est également défavorable à cet amendement.
Il n’y a en effet aucune raison de ne pas instaurer pour les procureurs généraux près les cours d’appel des garanties d’affectation identiques à celles qui sont déjà prévues pour les premiers présidents de cour d’appel.
Certains parlent beaucoup des garanties de statut et d’indépendance ; nous, nous agissons !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. M. Lecerf ne dit pas toute la vérité.
La nomination en qualité d’inspecteur général adjoint des services judiciaires des premiers présidents de cour d’appel intervient sur leur demande, puisqu’ils sont inamovibles et ne peuvent recevoir une autre affectation, même s’il s’agit d’un avancement, contre leur volonté.
En revanche, pour les procureurs généraux, il s’agira d’une nomination d’office ! Si un procureur général ne veut pas quitter sa cour d’appel au bout de sept ans d’exercice de ses fonctions, il sera possible de le nommer d’autorité inspecteur général adjoint des services judiciaires, ce qui est plus discret qu’une nomination en tant qu’avocat général en surnombre à la Cour de cassation.
M. le président. La parole est à Mme le ministre d'État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Une fois de plus, M. Michel se trompe : la nomination d’un procureur général en qualité d’inspecteur général adjoint des services judiciaires interviendra à la demande de l’intéressé.
M. le président. Monsieur Michel, l'amendement n° 14 est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Michel. Ce que vous affirmez n’est écrit nulle part, madame le garde des sceaux. Cela étant, je retire mon amendement, au bénéfice des assurances que vous venez de donner, qui figureront au Journal officiel et dont tous les parquets de France pourront prendre connaissance !
M. le président. L'amendement n° 14 est retiré.
Je mets aux voix l'article 14.
(L'article 14 est adopté.)
Article 14 bis (nouveau)
Après le premier alinéa de l’article 43 de la même ordonnance, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Constitue un des manquements aux devoirs de son état la violation grave et délibérée par un magistrat d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties, constatée par une décision de justice devenue définitive. » – (Adopté.)
Article 15
(Non modifié)
L’article 45 de la même ordonnance est ainsi modifié :
1° Au 1°, les mots : « La réprimande » sont remplacés par les mots : « Le blâme » ;
2° Au 7°, après le mot : « suspension » sont insérés les mots : «, totale ou partielle, ».
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 6 rectifié est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L'amendement n° 15 rectifié est présenté par M. Michel, Mme Klès, MM. Collombat, Frimat et Sueur, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
2° Au 7°, les mots : « avec ou sans suspension des droits à pension » sont supprimés.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l'amendement n° 6 rectifié.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cet article, qui vise des sanctions pouvant frapper un magistrat auteur d’une faute disciplinaire, pourrait à notre sens être amélioré.
À l’évidence, assortir la révocation d’une suspension, totale ou partielle, des droits à pension est une sanction disproportionnée. Même si cette sanction n’a quasiment jamais été prononcée, ce qui témoigne du peu d’empressement du Conseil supérieur de la magistrature à la mettre en œuvre, elle ne doit pas figurer dans la loi.
Le magistrat a cotisé pour sa retraite pendant toute la durée de son activité professionnelle. Il ne nous semble pas possible de le priver de sa pension, quelle que soit la faute commise. Je crois d’ailleurs que la suppression des droits à pension n’est prévue dans aucun autre corps de la fonction publique.
M. Patrice Gélard. Si, pour les militaires révoqués !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quoi qu’il en soit, une telle sanction est trop forte. Je propose donc de la supprimer.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l'amendement n° 15 rectifié.
M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement vise lui aussi à supprimer la possibilité d’assortir la révocation d’un magistrat d’une suspension totale ou partielle de ses droits à pension.
Certes, le 7° de l’article 45 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature prévoit, parmi les sanctions disciplinaires applicables aux magistrats, la révocation avec ou sans suspension des droits à pension.
Nous pensons qu’il ne faut pas maintenir une telle disposition. Je rappelle qu’elle a été supprimée du code de la fonction publique en 2003, dans le cadre de la réforme des retraites. Quel que soit le comportement d’un magistrat, rien ne justifie qu’on lui retire le bénéfice des cotisations qu’il a effectivement versées au long de sa carrière. Supprime-t-on les droits à pension aux salariés licenciés pour faute lourde ? Non, fort heureusement ! Chacun comprend que les droits à pension sont des droits acquis par le versement de cotisations.
Par ailleurs, il ne vous aura pas échappé, madame le garde des sceaux, que le Conseil d’État, dans l’arrêt Colombani du 7 janvier 2004, a jugé que les dispositions permettant de priver totalement un fonctionnaire de sa pension de retraite étaient contraires au droit au respect des biens protégés par l’article 1er du protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Ce sujet est tout à fait consensuel : nous sommes tous d’accord avec la proposition formulée par Mme Borvo Cohen-Seat et M. Sueur.
Je précise que la suspension des droits à pension n’a été prononcée qu’à trois reprises par le Conseil supérieur de la magistrature depuis 1959, à chaque fois pour sanctionner des magistrats qui avaient commis des fautes très lourdes, dont la dimension matérielle était évidente, tel le détournement de fonds publics ou l’enrichissement frauduleux.
Certes, prévoir dans le projet de loi organique que la suspension des droits à pension puisse n’être que partielle pouvait déjà apparaître comme un progrès, mais est-ce vraiment le cas ? En effet, le Conseil supérieur de la magistrature prononcerait peut-être plus facilement une telle sanction, moins radicale que la suspension totale des droits à pension.
En tout état de cause, nous assistons à une évolution du droit. M. Sueur a cité à juste titre l’arrêt Colombani. Il convient également de souligner que la suspension des droits à pension ne figure plus dans le statut de la fonction publique et a été supprimée, par coordination, du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans le cadre de la réforme des retraites de 2003. Il n’y a aucun intérêt à ce qu’un fonctionnaire, eût-il commis de très graves fautes, se trouve placé dans l’obligation soit de poursuivre ses activités répréhensibles, soit de dormir sous les ponts !
La commission est donc favorable à ces deux amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Lors de son examen du présent projet de loi organique, le Conseil d’État, dont je connais la jurisprudence, monsieur Sueur, n’a cependant formulé aucune observation sur ce point.
Cela tient sans doute d’abord au fait que les magistrats, vous le reconnaîtrez, ne sont pas tout à fait des fonctionnaires comme les autres : ils bénéficient, certes, de davantage de garanties, mais ils disposent également d’un certain nombre de pouvoirs exorbitants du droit commun. C'est la raison pour laquelle il est prévu que la gamme des sanctions pouvant les frapper soit extrêmement large.
Bien entendu, la révocation avec suspension des droits à pension n’est prononcée, comme l’a rappelé M. le rapporteur, que dans des cas tout à fait exceptionnels, où la faute est à la mesure des pouvoirs exorbitants que j’évoquais, notamment lorsqu’il y a eu malversations financières. De tels comportements, au-delà de l’opprobre qu’ils jettent sur leur auteur, peuvent nuire à la réputation et à l’image du corps tout entier. C’est pourquoi la sanction doit pouvoir être absolument dissuasive.
Les droits à pension constituant un droit patrimonial, toute atteinte à ces droits doit être proportionnée à la gravité des faits, afin que la sanction ne soit pas excessive. Dans cette optique, il conviendrait de prendre en compte d’éventuels revenus extérieurs de l’intéressé, tirés par exemple d’un patrimoine.
Bien entendu, seules des circonstances extraordinaires et d’une exceptionnelle gravité pourront justifier que la suspension des droits à pension soit prononcée. Pour autant, notre volonté de garantir, aux yeux de tous les Français, l’absolue intégrité et l’honneur des magistrats nous amène à souhaiter le maintien de cette sanction extrême.
Le Gouvernement est donc défavorable aux deux amendements identiques.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la garde des sceaux, je veux bien que les magistrats ne soient pas des fonctionnaires comme les autres et qu’il faille prévoir une palette très large de mesures pour sanctionner d’éventuels manquements, mais d’autres hauts fonctionnaires peuvent aussi commettre des actes très graves dans l’exercice de leurs responsabilités, sans pour autant être exposés à la suspension de leurs droits à pension, sanction qui ne figure plus dans le code de la fonction publique. Dans ces conditions, il ne me paraît nullement légitime que la suspension des droits à pension puisse continuer à être applicable aux seuls magistrats.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 6 rectifié et 15 rectifié.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 15, modifié.
(L'article 15 est adopté.)
Article 16
(Non modifié)
L’article 49 de la même ordonnance est ainsi rédigé :
« Art. 49. – Le conseil de discipline des magistrats du siège est composé conformément aux dispositions de l’article 65 de la Constitution et de l’article 14 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature. » – (Adopté.)
Article 17
L’article 50 de la même ordonnance est ainsi modifié :
1° Dans la première phrase du premier alinéa, avant le mot : « peut » sont insérés les mots : « saisi d’une plainte ou informé de faits paraissant de nature à entraîner des poursuites disciplinaires, » ; le mot : « avis » est remplacé par le mot : « consultation » et après le mot : « enquête » sont ajoutés les mots : « administrative ou pénale » ;
2° La deuxième phrase du premier alinéa est remplacée par les dispositions suivantes :
« Les premiers présidents de cour d’appel ou les présidents de tribunal supérieur d’appel, informés de faits paraissant de nature à entraîner des poursuites disciplinaires contre un magistrat du siège, peuvent également, s’il y a urgence, saisir le Conseil supérieur aux mêmes fins. Ce dernier statue dans les quinze jours suivant sa saisine. » ;
3° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La décision d’interdiction temporaire, prise dans l’intérêt du service, ne peut être rendue publique ; elle ne comporte pas privation du droit au traitement. » ;
4° Au dernier alinéa, après le mot : « mois » sont ajoutés les mots : « suivant la notification de l’interdiction temporaire prononcée par le conseil de discipline » ; les mots : « par le garde des Sceaux, ministre de la justice, » sont supprimés et les mots : « à l’article 50-1 » sont remplacés par les mots : « aux articles 50-1 et 50-2 ».
M. le président. L'amendement n° 16, présenté par M. Michel, Mme Klès, MM. Collombat, Frimat et Sueur, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. L’article 17, pour les magistrats du siège, et l’article 24, pour les magistrats du parquet, instaurent une procédure d’urgence d’interdiction temporaire d’exercice.
Ainsi, sur demande du garde des sceaux ou du chef de cour, et en cas d’impossibilité pour le Conseil supérieur de la magistrature de se réunir dans un délai de huit jours, le président de chaque formation du Conseil supérieur de la magistrature pourra prononcer, à titre conservatoire, une mesure d’interdiction temporaire « dans l’intérêt du service ». Cette interdiction devra ensuite être confirmée par la formation disciplinaire compétente dans un délai de quinze jours.
L’instauration d’une telle procédure d’urgence est extrêmement grave et ne paraît pas justifiée. En effet, la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature a toujours statué dans des délais compatibles avec l’urgence de la situation.
Si l’on peut, dans l’attente de la décision au fond, envisager d’imposer un délai butoir à la formation disciplinaire pour prononcer une interdiction provisoire, confier au seul président de cette formation une telle prérogative apparaît tout à fait exorbitant du droit commun et dénué de tout fondement.
Par ailleurs, à ce stade de la procédure – que l’on pourrait qualifier d’infraprocédural –, le texte ne prévoit aucune garantie pour le magistrat concerné, qui n’a pas encore accès à son dossier disciplinaire et ne peut donc se défendre valablement ni présenter ses observations.
Enfin, une fois cette décision prise, il sera difficile pour la formation disciplinaire concernée de désavouer son président en ne maintenant pas l’interdiction provisoire. C’est donc une espèce de « prédécision définitive » qui est prononcée par ce dernier.
Pour ces raisons, nous proposons la suppression de cet article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. L’argumentation de M. Michel me semble porter plutôt sur la rédaction initiale des articles 17 et 24, qui a été largement modifiée par la commission.
En effet, la commission a supprimé cette sorte de procédure de référé qui attribuait un pouvoir exorbitant au Premier président de la Cour de cassation, pour les magistrats du siège, et au procureur général près la Cour de cassation, pour les magistrats du parquet, avec le risque de mettre ces personnalités en situation difficile si elles devaient être désavouées ultérieurement par le Conseil supérieur de la magistrature.
La commission a donc supprimé cette procédure et simplifié quelque peu le dispositif du projet de loi organique. Il n’en demeure pas moins qu’il existe bien des situations d’urgence, où il faut agir dans les meilleurs délais. Certes, les chefs de cour disposent sans doute de moyens leur permettant d’écarter rapidement de ses fonctions juridictionnelles un magistrat soupçonné d’agissements particulièrement graves, mais il ne peut s’agir que d’une mesure de courte durée.
Le maintien de la procédure d’interdiction temporaire d’exercice est donc nécessaire. Le Conseil supérieur de la magistrature doit pouvoir se réunir dans des délais très brefs et être en mesure de s’organiser pour intervenir rapidement, y compris en plein mois d’août, par exemple dans les dix jours ouvrables.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Je suis défavorable à cet amendement.
Des mesures similaires existent dans l’ensemble des corps de l’État et elles répondent à une nécessité, comme l’a rappelé M. le rapporteur.
En outre, la commission a modifié la rédaction initiale de l’article 17 dans un sens qui me semble de nature à apaiser les craintes exprimées par M. Michel, que j’invite donc à retirer son amendement.
M. le président. Monsieur Michel, l’amendement n° 16 est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Michel. Dans la mesure où Mme le garde des sceaux se rallie à la position de la commission, je le retire.
M. le président. L’amendement n° 16 est retiré.
L'amendement n° 30 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 4, seconde phrase
Remplacer les mots :
quinze jours
par les mots :
dix jours ouvrables
La parole est à Mme le ministre d'État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Cet amendement est le fruit d’un travail commun avec la commission.
Aujourd’hui, les délais de prononcé de l’interdiction temporaire d’exercice sont le plus souvent supérieurs à quarante-cinq jours, ce qui n’a pas de sens.
Le Gouvernement a pris acte du souhait de la commission de ne pas retenir le dispositif permettant au Premier président de la Cour de cassation de prendre seul une décision d’interdiction temporaire d’exercice. Il faut laisser au Conseil supérieur de la magistrature un délai suffisant pour se réunir et examiner le dossier qui lui est soumis. Le fixer à dix jours ouvrables, quelle que soit la période de l’année, paraît raisonnable. Cela devrait permettre de donner au CSM le temps d’organiser l’audience tout en assurant la célérité indispensable compte tenu de la situation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Nous sommes parvenus à un bon accord, et la commission est donc favorable à cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'article 17, modifié.
(L'article 17 est adopté.)
Article 18
Après l’article 50-2 de la même ordonnance, il est inséré un article 50-3 ainsi rédigé :
« Art. 50-3. – Tout justiciable qui estime qu’à l’occasion d’une procédure judiciaire le concernant, le comportement adopté par un magistrat du siège dans l’exercice de ses fonctions est susceptible de recevoir une qualification disciplinaire, peut saisir le Conseil supérieur de la magistrature. La saisine du Conseil supérieur de la magistrature ne constitue pas une cause de récusation du magistrat.
« La plainte est d’abord examinée par une commission des requêtes composée dans les conditions prévues par l’article 18 de la loi organique sur le Conseil supérieur de la magistrature.
« À peine d'irrecevabilité, la plainte ne peut être dirigée contre un magistrat qui demeure saisi de la procédure, sauf si les manquements évoqués et la nature de la procédure considérée le justifient. La plainte ne peut être présentée après l’expiration d’un délai d’un an suivant une décision irrévocable mettant fin à la procédure.
« La plainte doit contenir l'indication détaillée des faits et griefs allégués. Elle doit être signée par le plaignant et indiquer son identité et son adresse, ainsi que les éléments permettant d'identifier la procédure en cause.
« Le président de la commission des requêtes peut rejeter les plaintes manifestement abusives ou irrecevables.
« Lorsque la commission des requêtes du Conseil supérieur n’a pas déclaré la plainte irrecevable ou manifestement infondée, elle en informe le magistrat mis en cause. Elle sollicite du premier président de la cour d’appel ou du président du tribunal supérieur d’appel dont dépend le magistrat mis en cause ses observations et tous éléments d’informations utiles. Le premier président de la cour d’appel ou le président du tribunal supérieur d’appel invite le magistrat à lui adresser ses observations. Dans le délai de deux mois de la demande qui lui en est faite par la commission des requêtes du Conseil supérieur, le premier président de la cour d’appel ou le président du tribunal supérieur d’appel adresse l’ensemble de ces informations et observations au Conseil supérieur de la magistrature, ainsi qu’au garde des Sceaux, ministre de la justice.
« La commission des requêtes peut entendre le magistrat mis en cause.
« Lorsqu’elle estime que les faits sont susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire, la commission des requêtes du Conseil supérieur renvoie l’examen de la plainte à la formation compétente pour la discipline des magistrats du siège.
« En cas de rejet de la plainte, les autorités mentionnées aux articles 50-1 et 50-2 conservent la faculté de saisir le Conseil supérieur de la magistrature des faits dénoncés.
« Le magistrat visé par la plainte, le justiciable, le chef de cour visé au sixième alinéa et le garde des Sceaux, ministre de la justice, sont avisés du rejet de la plainte ou de la poursuite de la procédure disciplinaire.
« La décision de rejet n’est susceptible d’aucun recours. »
M. le président. L'amendement n° 17, présenté par M. Michel, Mme Klès, MM. Collombat, Frimat et Sueur, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Après le mot :
judiciaire
insérer les mots :
devenue définitive
La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Je ne suis pas certain de la qualité de cet amendement, dont l’objet est plutôt d’ouvrir un débat.
Dans mon intervention liminaire, j’ai souligné les difficultés inhérentes à la saisine du Conseil supérieur de la magistrature par le justiciable. L’une d’elles tient à la définition du moment auquel le CSM pourra être saisi sans déstabiliser le magistrat ni l’institution judiciaire.
Il faut, nous dit-on, attendre que le magistrat ne soit plus chargé de l’affaire. Cela peut aisément se concevoir pour un juge d’instruction ou pour un magistrat d’un tribunal correctionnel, mais plus difficilement pour un juge des enfants, qui suit le jeune faisant l’objet de mesures d’assistance éducative jusqu’à son vingt-et-unième anniversaire, ou pour un juge des tutelles, qui est chargé d’un dossier pendant toute la durée de la tutelle. Et je ne parle pas des magistrats du parquet !
La situation ne me semble donc pas très satisfaisante. De surcroît, l’autorité de nomination peut avoir la tentation d’affecter à une autre juridiction, contre son gré, un magistrat du parquet contre lequel une saisine est en cours, afin que celle-ci puisse s’exercer.
Pour remédier à ces difficultés, nous proposons que la saisine du Conseil supérieur de la magistrature par le justiciable ne puisse intervenir qu’après que la décision est devenue définitive. Je n’ignore pas que l’attente peut être très longue, mais il s’agit d’une échéance juridique bien définie. J’ajoute que, si la situation l’exige, un magistrat peut aussi être sanctionné par le biais de la procédure disciplinaire normale, par le garde des sceaux ou par les chefs de cour. Certes, ces derniers ne s’engagent pas volontiers dans cette voie, parce qu’ils risquent de se trouver placés en position d’être juges et parties et qu’ils ont intérêt à ce que leur cour fonctionne le plus harmonieusement possible. Il est donc en fait très rare que des procédures disciplinaires soient mises en œuvre directement par des chefs de cour.
Enfin, lorsque le cas le justifie, il est aussi possible de recourir à la procédure pénale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Cet amendement se rapproche du texte initial du projet de loi organique. Fort curieusement – et je tiens à leur rendre hommage –, ce sont les organisations représentatives des magistrats qui ont attiré mon attention sur le caractère inégalitaire du dispositif.
En effet, alors que la plupart des magistrats cessent d’être saisis d’une affaire au terme d’un délai convenable, d’autres, en particulier les juges des tutelles ou les juges des enfants, qui assurent le suivi de mesures éducatives, traitent des dossiers au très long cours.
La commission a donc souhaité rétablir l’égalité entre tous les magistrats. À cette fin, elle a élaboré un texte prévoyant que le Conseil supérieur de la magistrature ne pourra être saisi par un justiciable si le magistrat en cause demeure chargé de la procédure, sauf si les manquements évoqués et la nature de la procédure le justifient. J’ajoute que la commission a adopté hier un amendement visant à préciser davantage encore ce dispositif, pour assurer la sérénité de la justice.
La commission souhaite maintenir une marge d’action utile pour le justiciable. Ce sera vraisemblablement une source de plaintes assez importante, en particulier en matière de tutelles, mais je considère qu’il ne serait pas satisfaisant de priver le justiciable de toute possibilité de saisine et de l’inviter à s’adresser au garde des sceaux ou au chef de cour, comme si la réforme n’existait pas.
Pour toutes ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Je suis également défavorable à cet amendement, pour les mêmes raisons que M. le rapporteur.
Lorsqu’une décision devient définitive dans des temps raisonnables, le dispositif s’applique normalement, mais nous devons tenir compte de l’existence de procédures très longues. De ce point de vue, l’amendement est trop restrictif. Mais peut-être ses auteurs n’ont-ils pas perçu les difficultés qui pourraient résulter de son adoption. Dans un souci de pragmatisme, j’invite M. Michel à bien vouloir le retirer.
M. le président. Monsieur Michel, l’amendement est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Michel. Oui, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 18, présenté par M. Michel, Mme Klès, MM. Collombat, Frimat et Sueur, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Après le mot :
siège
insérer les mots :
, à l'exclusion des actes juridictionnels,
La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Cet amendement, comme le précédent, vise à mettre en exergue une difficulté.
La saisine du CSM par le justiciable doit concerner uniquement le comportement du magistrat. Cela étant, entraînés par une certaine presse, nos concitoyens risquent de penser qu’ils pourront saisir le Conseil supérieur de la magistrature dès que la décision d’un magistrat leur déplaira.
Or, comme je l’ai indiqué tout à l’heure, les décisions des magistrats ne sont pas faites pour plaire. En matière civile, il y a toujours une des deux parties qui est déçue ; en matière pénale, à moins que le magistrat ne prononce la relaxe ou l’acquittement, le prévenu est forcément plus ou moins déçu de la décision qui est rendue.
C’est bien le « comportement » du magistrat qui est visé. Il peut s’agir d’une attitude injurieuse ou déplacée, bien entendu, mais le fait qu’un magistrat s’abstienne d’accomplir tel ou tel acte peut-il être considéré comme un comportement susceptible de recevoir une qualification disciplinaire ? Nous pensons que non. C’est la raison pour laquelle nous proposons d’exclure les actes juridictionnels.
J’ajoute que cette disposition relative au comportement des magistrats devrait avoir une portée éducative, car certains d’entre eux – j’en ai connu –, notamment des présidents de tribunal correctionnel, croyant faire de l’humour, tiennent des propos totalement déplacés à l’audience. J’ai également entendu des juges des enfants se livrer à des écarts de langage à l’égard de parents d’enfants délinquants ou faisant l’objet d’une mesure d’assistance éducative. De tels comportements n’honorent pas l’institution judiciaire, et j’estime qu’il convient de faire comprendre aux magistrats qu’ils doivent s’en abstenir.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La commission des lois a précisé, à l’article 14 bis, la définition de la faute disciplinaire, en reprenant une jurisprudence bien établie du Conseil supérieur de la magistrature et du Conseil d’État, confirmée en outre par le Conseil constitutionnel.
Ainsi, le Conseil supérieur de la magistrature ne pourra être saisi par un justiciable que si le comportement du magistrat mis en cause est susceptible de constituer une faute disciplinaire.
Les actes juridictionnels sont donc exclus de ce champ, monsieur Michel. Le Conseil supérieur de la magistrature ne pourra en connaître, sauf si le magistrat a violé de façon grave et délibérée des règles de procédure, de sorte qu’il a outrepassé ses fonctions et n’a plus que l’apparence d’un magistrat.
Dans ce cas, conformément à la jurisprudence précitée, le Conseil supérieur de la magistrature ne pourra être saisi que si une décision de justice devenue définitive a constaté la violation commise par le magistrat.
L’amendement paraît donc largement satisfait par l’article 14 bis. D’ailleurs, lors d’une récente émission de télévision, le président de l’Union syndicale des magistrats et la présidente du Syndicat de la magistrature ont déclaré qu’ils étaient totalement d’accord avec la rédaction de la commission des lois sur ce point.
En conséquence, la commission sollicite le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. Jean-Pierre Michel. Je retire mon amendement, monsieur le président !
M. le président. L’amendement n° 18 est retiré.
L'amendement n° 31 rectifié bis, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 3
Remplacer les mots :
commission des requêtes composée
par les mots :
commission d'admission des requêtes composée de membres de la formation compétente à l'égard des magistrats du siège,
II. - Alinéa 6, alinéa 7, première et dernière phrases, alinéas 8 et 9
Remplacer les mots :
commission des requêtes
par les mots :
commission d'admission des requêtes
La parole est à Mme le ministre d'État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Il s’agit d’un amendement de coordination rédactionnelle.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Favorable.
M. le président. L'amendement n° 40 rectifié, présenté par M. Lecerf, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 4, première phrase
À la fin de cette phrase, remplacer les mots :
sauf si les manquements évoqués et la nature de la procédure considérée le justifient
par les mots :
sauf si, compte tenu de la nature de la procédure et de la gravité des manquements évoqués, la commission d’admission des requêtes estime qu'elle doit faire l'objet d'un examen au fond
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Cet amendement vise à préciser les conditions dans lesquelles la plainte d'un justiciable pourra viser un magistrat qui demeure saisi de la procédure.
Il ne s'agit en aucun cas de permettre à un justiciable de déstabiliser le magistrat ; il s’agit seulement d'assurer l'égalité des justiciables dans l’exercice de leur droit de saisir le Conseil supérieur de la magistrature.
Par exemple, un juge des tutelles ou un juge des enfants restent saisis des mêmes procédures pendant des années. Il ne serait pas acceptable, dans de telles situations, de contraindre le justiciable à attendre la fin de la procédure pour dénoncer auprès du CSM le comportement d'un magistrat qui constituerait une faute. Dans de tels cas, parce que la procédure est d'une durée indéfinie et lorsque les faits sont suffisamment graves, il faut que le justiciable ait le moyen de faire cesser le comportement fautif.
Afin de préciser le dispositif retenu par la commission, le présent amendement tend à prévoir que si le magistrat demeure saisi de la procédure, la commission d’admission des requêtes ne pourra engager un examen au fond de la plainte, c’est-à-dire vérifier l'éventuelle qualification disciplinaire des faits, que si la nature de la procédure – il doit s'agir, par exemple, d'une procédure de tutelle ou de mesures éducatives, dont le magistrat reste saisi pendant de longues années – et la gravité des manquements évoqués le justifient. Si ces conditions sont remplies, la commission d’admission des requêtes pourra, par exception, admettre la recevabilité de la plainte et déterminer si les faits dénoncés sont susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire.
L'appréciation de la commission d’admission des requêtes devra se fonder d'abord sur la nature de la procédure, puis sur les manquements évoqués. Il s'agit seulement de permettre que la plainte puisse passer la première étape de la recevabilité, pour que la commission d’admission des requêtes examine ensuite si les faits dénoncés sont susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire, ce qui ouvrirait sur la troisième étape, à savoir la saisine de la formation disciplinaire.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Le Gouvernement partage totalement l’avis de la commission : il convient de prévenir les risques de déstabilisation des magistrats, tout en rendant effectif ce nouveau droit des citoyens, dans des conditions qui soient le plus égalitaires possible.
Le Gouvernement émet donc un avis favorable.
M. le président. L'amendement n° 7, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Notre proposition déplaît fortement à Mme la garde des sceaux, je ne l’ignore pas. Je persiste néanmoins à penser qu’accorder la possibilité au garde des sceaux et aux chefs de cour de saisir le Conseil supérieur de la magistrature des faits dénoncés après que la commission d’admission des requêtes aura rejeté la plainte pose problème.
On nous a expliqué tout à l’heure que lorsque la commission d’admission des requêtes aura un doute, la plainte sera tout de même transmise. Mais, en l’espèce, nous nous trouvons dans le cas où ladite commission aura jugé la plainte irrecevable : l’exécutif aura alors la faculté de saisir néanmoins le Conseil supérieur de la magistrature. Cela signifie donc que le pouvoir politique pourra décider de continuer la procédure, en fonction des circonstances et sans doute sous la pression de l’opinion publique…
Cela témoigne d’un manque de respect à l’égard des magistrats et de la procédure que le constituant a voulu instituer en faveur des justiciables. S’agit-il en fait de prévoir une voie de recours pour ces derniers ? Si tel est le cas, il faut le dire clairement, mais en tout état de cause cette immixtion de l’exécutif me paraît peu opportune.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Ouvrir au justiciable la possibilité de saisir le Conseil supérieur de la magistrature ne signifie pas que l’on doive la retirer au garde des sceaux ou aux chefs de cour !
En outre, la possibilité, pour le garde des sceaux ou les chefs de cour, de saisir le Conseil supérieur de la magistrature alors que la commission d’admission des requêtes aurait rejeté la plainte d’un justiciable peut constituer une forme de droit d’appel. Au fil du temps et, le cas échéant, après une enquête administrative de l’Inspection générale des services judiciaires, des informations complémentaires peuvent apparaître, justifiant une nouvelle saisine du Conseil supérieur de la magistrature.
Aussi semble-t-il préférable de maintenir cette possibilité de saisine par le garde des sceaux ou les chefs de cour. C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 18, modifié.
(L'article 18 est adopté.)
Article 19
L’article 51 de la même ordonnance est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, les mots : « du conseil de discipline » sont remplacés par les mots : « du Conseil supérieur de la magistrature » ;
2° Le deuxième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « Lorsque le Conseil supérieur de la magistrature a été saisi à l’initiative d’un justiciable, la désignation du rapporteur n’intervient qu’après l’examen de la plainte par la commission des requêtes du Conseil supérieur mentionnée à l’article 50-3. »
M. le président. L'amendement n° 32 rectifié bis, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer les mots :
commission des requêtes
par les mots :
commission d’admission des requêtes
La parole est à Mme le ministre d'État.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Favorable.
M. le président. Je mets aux voix l'article 19, modifié.
(L'article 19 est adopté.)
Article 20
Le premier alinéa de l’article 52 de la même ordonnance est ainsi rédigé :
« Au cours de l’enquête, le rapporteur entend le magistrat mis en cause et, s’il y a lieu, le plaignant et les témoins. Il accomplit tous actes d’investigation utiles et peut procéder à la désignation d’un expert. Il peut déléguer à un magistrat d’un rang au moins égal à celui du magistrat mis en cause, ou à un ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature désigné par celui-ci, l’accomplissement, sous son autorité, d’auditions et d’actes d’investigation. »
M. le président. L'amendement n° 33, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Au cours de l'enquête, le rapporteur entend ou fait entendre l'intéressé par un magistrat d'un rang au moins égal à celui de ce dernier et, s'il y a lieu, le plaignant et les témoins. Il accomplit tous actes d'investigations utiles et peut procéder à la désignation d'un expert. »
La parole est à Mme le ministre d'État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Cet amendement vise à prévoir qu’il ne sera pas possible, pour le Conseil supérieur de la magistrature, de déléguer ses missions à des membres extérieurs au-delà de ce qui est d’ores et déjà prévu par l’ordonnance.
Certes, il peut y avoir un surcroît de travail, mais nous ne saurions accepter, pour autant, que des pouvoirs d’investigation, en matière disciplinaire, soient confiés à des non-magistrats, fussent-ils d’anciens membres du Conseil. C’est une question de statut, et cela serait contraire à l’intention du constituant.
C’est la raison pour laquelle nous souhaitons supprimer la possibilité de désigner un ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature pour mener les investigations en matière disciplinaire.
M. le président. Le sous-amendement n° 42, présenté par M. Michel, Mme Klès, MM. Collombat, Frimat et Sueur, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Dernier alinéa de l'amendement n° 33
Compléter cet alinéa par deux phrases ainsi rédigées :
Il peut également faire appel à l'inspection générale des services judiciaires qui désigne un de ses membres. Ce dernier est placé sous l'autorité du Conseil supérieur de la magistrature pour l'accomplissement de sa mission.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Je comprends bien les arguments de Mme le garde des sceaux, mais, dès lors que l’on entend confier au Conseil supérieur de la magistrature la mission de procéder à des investigations, il convient de lui en donner les moyens.
Par ailleurs, les personnes qui conduiront ces investigations devront disposer de l’indépendance, des compétences et du temps nécessaires pour assumer leur mission.
De plus, la procédure d’investigation en matière disciplinaire doit être irréprochable et toutes les conditions doivent être réunies pour qu’elle se déroule dans le respect des droits des parties, notamment ceux de la personne mise en cause, ainsi que de l’intérêt général.
En conséquence, notre proposition, qui, je l’espère, retiendra votre attention, madame le garde des sceaux, consiste à permettre au Conseil supérieur de la magistrature de faire appel à l’Inspection générale des services judiciaires, afin qu’elle mette à sa disposition un ou plusieurs de ses membres, dont on connaît la compétence, pour mener ces investigations. Bien entendu, le temps de cette mission, ces membres de l’inspection générale seraient placés sous l’autorité du Conseil supérieur de la magistrature. Je ne vois pas en quoi le ministère de la justice pourrait y voir un inconvénient.
En tout état de cause, on ne peut confier au Conseil supérieur de la magistrature la mission de procéder à des investigations sans le doter de réels moyens pour ce faire.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La commission des lois souhaitait permettre qu’il soit recouru à l’expérience des anciens membres du Conseil supérieur de la magistrature, qu’il s’agisse de magistrats admis à faire valoir leurs droits à la retraite ou de non-magistrats, pensant renforcer, par ce biais, les moyens d’investigation du CSM.
Elle se range néanmoins à la position exprimée par le Gouvernement, qui ne peut accepter que des pouvoirs d’investigation en matière disciplinaire soient confiés à des non-magistrats, fussent-ils d’anciens membres du Conseil supérieur de la magistrature. Il restera toujours la possibilité de faire appel à des magistrats en exercice anciens membres du CSM.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La commission a donc émis un avis favorable sur l’amendement du Gouvernement.
Cela étant, le problème du renforcement des moyens d’investigation du CSM se pose toujours. Afin de contribuer à le résoudre, le sous-amendement tend à permettre au CSM de faire appel à des membres de l’Inspection générale des services judiciaires. Néanmoins, comme toute inspection générale, celle-ci est bien évidemment placée sous l’autorité du ministre.
Quoi qu’il en soit, les membres du CSM devront faire face à une charge de travail accrue : ils doivent siéger au sein des formations du Conseil en matière de nominations, en matière disciplinaire, certains seront membres de la commission d’admission des requêtes, d’autres encore sont rapporteurs des affaires disciplinaires. Le recours à l’inspection générale pour appuyer le CSM dans ses investigations créerait une deuxième « clef de tirage », si je puis m’exprimer ainsi, sur cette inspection. Je sais que ce ne serait pas simple ; c’est la raison pour laquelle la commission a souhaité s’en remettre, sur ce sous-amendement, à l’avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État. Bien sûr, il faut que le CSM ait les moyens de remplir les missions qui lui sont confiées, y compris les missions nouvelles, c’est-à-dire, en l’occurrence, mener des investigations.
J’ai indiqué dans mon intervention liminaire, monsieur Sueur, que nous avons prévu de donner au CSM les moyens nécessaires, et en termes financiers, et, le cas échéant, en termes de personnel. Pour l’heure, il semble qu’il dispose de ressources suffisantes, mais il est évident que nous devrons les adapter une fois que le système aura atteint son rythme de croisière. On peut supposer qu’une brutale poussée des requêtes interviendra d’abord, après l’entrée en vigueur de la loi, mais qu’ensuite les choses se calmeront très vite, lorsque les justiciables auront pu constater qu’il ne suffira pas de se montrer agressif pour qu’il soit donné suite à une plainte. Ainsi, ceux qui n’auront pas de raisons vraiment sérieuses de saisir le Conseil supérieur de la magistrature seront découragés, et une régulation s’instaurera assez rapidement.
Quoi qu’il en soit, monsieur Sueur, M. le rapporteur a très bien exposé quelles difficultés poserait un recours à l’Inspection générale des services judiciaires, dans la mesure où cette dernière est placée sous la seule autorité du garde des sceaux : ou bien le CSM dépendrait de la bonne volonté du garde des sceaux, ou bien il faudrait changer le système d’autorité et faire passer l’inspection générale, fût-ce provisoirement et partiellement, sous l’autorité du CSM, ce qui ne correspond nullement, m’a-t-il semblé, au souhait de la commission des lois.
L’avis du Gouvernement sur le sous-amendement n° 42 ne peut donc qu’être défavorable. Pour autant, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous donne, en quelque sorte, rendez-vous. La commission des lois va, très normalement, suivre la mise en œuvre de cette nouvelle disposition constitutionnelle : si nous constatons que, malgré les moyens que je mettrai à la disposition du CSM, des difficultés persistent, nous pourrons alors envisager de renforcer le système, dans le respect de l’institution. Comme vous l’avez fort justement dit, monsieur le rapporteur, recourir à des magistrats en exercice anciens membres du CSM pourrait être une bonne façon de régler le problème en apportant toutes les garanties nécessaires.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 42.
M. Jean-Pierre Michel. Nous maintenons le sous-amendement.
Mme le garde des sceaux s’est montrée sensible à la difficulté que nous soulevons. Elle promet des moyens financiers et humains pour le CSM. Cependant, en ce qui concerne les moyens humains, il s’agira d’administrateurs, de fonctionnaires : leur mission ne sera pas de mener des enquêtes en matière disciplinaire !
M. Jean-Pierre Michel. Dès lors, que fera le CSM ? Il renverra l’affaire au chef de cour ! Celui-ci, bien embarrassé, convoquera le magistrat concerné, ainsi, je suppose, que la partie plaignante, puis il adressera un petit rapport au CSM… C’est ainsi que cela se passera !
Je rappelle au passage que tous les membres du parquet sont placés sous l’autorité hiérarchique du garde des sceaux : leur situation est identique, de ce point de vue, à celle des membres de l’inspection générale !
Notre sous-amendement prend bien en compte le fait que l’Inspection générale des services judiciaires demeurera sous l’autorité du garde des sceaux. Nous souhaitons simplement que, dans les cas où il l’estime nécessaire, le CSM puisse demander à l’inspection générale de désigner un de ses membres pour mener l’enquête disciplinaire, ce dernier étant placé, le temps de cette mission, sous l’autorité du Conseil supérieur de la magistrature.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il sera détaché, alors !
M. le président. Je mets aux voix l’article 20, modifié.
(L’article 20 est adopté.)
Article 21
(Non modifié)
L’article 53 de la même ordonnance est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le Conseil supérieur a été saisi à l’initiative d’un justiciable, l’audience disciplinaire ne peut se tenir avant l’expiration d’un délai de trois mois après que le garde des Sceaux, ministre de la justice, a été avisé dans les conditions prévues au dixième alinéa de l’article 50-3. » – (Adopté.)
Article 22
(Non modifié)
Après l’article 57 de la même ordonnance, il est inséré un article 57-1 ainsi rédigé :
« Art. 57-1. – Lorsqu’elle se prononce sur l’existence d’une faute disciplinaire, la formation compétente du Conseil supérieur renvoie, en cas de partage égal des voix, le magistrat concerné des fins de la poursuite.
« Lorsque la formation compétente a constaté l’existence d’une faute disciplinaire, la sanction prononcée à l’égard du magistrat du siège est prise à la majorité des voix. En cas de partage égal des voix sur le choix de la sanction, la voix du président de la formation est prépondérante. »
M. le président. L’amendement n° 19, présenté par M. Michel, Mme Klès, MM. Collombat, Frimat et Sueur, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Lorsqu’elle se prononce sur l’existence d’une faute disciplinaire, la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature, en cas de partage des voix, relaxe l’intéressé. »
La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. L’article 22 du projet de loi prévoit que, « lorsqu’elle se prononce sur l’existence d’une faute disciplinaire, la formation compétente du Conseil supérieur renvoie, en cas de partage égal des voix, le magistrat concerné des fins de la poursuite ».
Cette disposition est en contradiction totale avec le principe selon lequel le doute doit profiter à l’accusé. Notre amendement vise à rétablir cette règle dans le domaine qui nous occupe.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Je m’étais moi aussi interrogé à la lecture de cette disposition de l’article 22, dont la rédaction me semblait recourir à une terminologie juridique relativement complexe.
Cela étant, je ne suis pas magistrat ! Lorsque je me suis ouvert de mes doutes à des magistrats, ils m’ont assuré que la formulation de la disposition était d’usage courant dans les juridictions et qu’elle leur était parfaitement intelligible…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Voilà pourquoi les justiciables ne comprennent rien aux jugements !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Je reconnais qu’il faudra peut-être un jour se décider à adopter, en matière juridique, un vocabulaire qui soit plus proche du vocabulaire courant. Dans l’immédiat, il n’y a pas l’ombre d’un problème ! (Sourires.) La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Michel, l’amendement n° 19 est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Michel. Compte tenu des éclaircissements que vient d’apporter M. le rapporteur, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 19 est retiré.
Je mets aux voix l’article 22.
(L’article 22 est adopté.)
Article 23
(Non modifié)
L’article 58 de la même ordonnance est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le recours contre la décision de la formation disciplinaire n’est pas ouvert à l’auteur de la plainte. » – (Adopté.)
Article 24
L’article 58-1 de la même ordonnance est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, les mots : « et sur proposition des chefs hiérarchiques, après » sont remplacés par les mots : « après consultation des chefs hiérarchiques et » et après le mot : « enquête » sont ajoutés les mots : « administrative ou pénale » ;
2° La deuxième phrase du premier alinéa est remplacée par les dispositions suivantes :
« Les procureurs généraux près les cours d’appel ou les procureurs de la République près les tribunaux supérieurs d’appel, informés de faits paraissant de nature à entraîner des poursuites disciplinaires contre un magistrat du parquet, peuvent également, s’il y a urgence, saisir la formation compétente du Conseil supérieur aux fins d’avis sur le prononcé, par le garde des Sceaux, ministre de la justice, d’une telle interdiction. Le Conseil supérieur rend son avis dans un délai de quinze jours suivant sa saisine. » ;
3° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La décision d’interdiction temporaire, prise dans l’intérêt du service, ne peut être rendue publique ; elle ne comporte pas privation du droit au traitement. » ;
4° Au dernier alinéa, après le mot : « mois » sont ajoutés les mots : « suivant la notification de l’interdiction temporaire prononcée par le garde des Sceaux, ministre de la justice, » et après le mot : « saisi » sont ajoutés les mots : « dans les conditions prévues aux deux premiers alinéas de l’article 63 ».
M. le président. L’amendement n° 20, présenté par M. Michel, Mme Klès, MM. Collombat, Frimat et Sueur, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
Je constate que cet amendement est devenu sans objet.
L’amendement n° 34 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 4, seconde phrase
Remplacer les mots :
quinze jours
par les mots :
dix jours ouvrables
La parole est à Mme le ministre d’État.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. Je mets aux voix l’article 24, modifié.
(L’article 24 est adopté.)
Article 25
L’article 63 de la même ordonnance est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est remplacé par un alinéa ainsi rédigé :
« Le Conseil supérieur de la magistrature est saisi par la dénonciation des faits motivant les poursuites disciplinaires que lui adresse le garde des Sceaux, ministre de la justice. » ;
2° Au deuxième alinéa, les mots : « Le procureur général près la Cour de cassation » sont remplacés par les mots : « Le Conseil supérieur de la magistrature » ;
3° Après le troisième alinéa, sont insérés dix alinéas ainsi rédigés :
« Tout justiciable qui estime, qu’à l’occasion d’une procédure judiciaire le concernant, le comportement adopté par un magistrat du parquet dans l’exercice de ses fonctions est susceptible de recevoir une qualification disciplinaire, peut saisir le Conseil supérieur de la magistrature.
« La plainte est d’abord examinée par une commission des requêtes composée dans les conditions prévues par l’article 18 de la loi organique sur le Conseil supérieur de la magistrature.
« À peine d’irrecevabilité, la plainte ne peut être dirigée contre un magistrat lorsque le parquet ou le parquet général auquel il appartient demeure en charge de la procédure, sauf si les manquements évoqués et la nature de la procédure considérée le justifient. Elle ne peut être présentée après l’expiration d’un délai d’un an suivant la décision irrévocable mettant fin à la procédure. Elle doit contenir l’indication détaillée des faits et griefs allégués. Elle doit être signée par le plaignant et indiquer son identité et son adresse, ainsi que les éléments permettant d’identifier la procédure en cause.
« Le président de la commission des requêtes peut rejeter les plaintes manifestement abusives ou irrecevables.
« Lorsque la commission des requêtes du Conseil supérieur n’a pas déclaré la plainte irrecevable ou manifestement infondée, elle en informe le magistrat mis en cause. Elle sollicite du procureur général près la cour d’appel ou du procureur de la République près le tribunal supérieur d’appel dont dépend le magistrat mis en cause, ses observations et tous éléments d’informations utiles. Le procureur général près la cour d’appel ou le procureur de la République près le tribunal supérieur d’appel invite le magistrat à lui adresser ses observations. Dans le délai de deux mois de la demande qui lui en est faite par la commission des requêtes du Conseil supérieur, le procureur général près la cour d’appel ou le procureur de la République près le tribunal supérieur d’appel adresse l’ensemble de ces informations et observations au Conseil supérieur de la magistrature, ainsi qu’au garde des Sceaux, ministre de la justice.
« La commission des requêtes peut entendre le magistrat mis en cause.
« Lorsqu’elle estime que les faits sont susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire, la commission des requêtes du Conseil supérieur renvoie l’examen de la plainte à la formation du Conseil supérieur compétente pour la discipline des magistrats du parquet.
« En cas de rejet de la plainte, les autorités mentionnées aux deux premiers alinéas du présent article conservent la faculté de saisir le Conseil supérieur de la magistrature des faits dénoncés.
« Le magistrat visé par la plainte, le justiciable, le chef de cour visé au huitième alinéa et le garde des Sceaux, ministre de la justice, sont avisés du rejet de la plainte ou de la poursuite de la procédure disciplinaire.
« La décision de rejet n’est susceptible d’aucun recours. » ;
4° Au quatrième alinéa, le mot : « cette » est remplacé par le mot : « la » et après le mot : « saisine » sont ajoutés les mots : « du Conseil supérieur de la magistrature » ;
5° Après la deuxième phrase du dernier alinéa, il est inséré une phrase ainsi rédigée : « Lorsque le Conseil supérieur de la magistrature a été saisi par un justiciable, la désignation du rapporteur n’intervient qu’après l’examen de la plainte par la commission des requêtes du Conseil supérieur visée aux alinéas précédents. »
M. le président. L’amendement n° 21, présenté par M. Michel, Mme Klès, MM. Collombat, Frimat et Sueur, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Après le mot :
judiciaire
insérer les mots :
devenue définitive
Cet amendement est devenu sans objet.
L’amendement n° 22, présenté par M. Michel, Mme Klès, MM. Collombat, Frimat et Sueur, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Après le mot :
parquet
insérer les mots :
, à l’exclusion des actes juridictionnels,
Cet amendement est devenu sans objet.
L’amendement n° 35 rectifié bis, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 7
Remplacer les mots :
commission des requêtes composée
par les mots :
commission d’admission des requêtes composée de membres de la formation compétente à l’égard des magistrats du parquet,
II. - Alinéa 9, alinéa 10, première et dernière phrases, alinéas 11, 12 et 17
Remplacer les mots :
commission des requêtes
par les mots :
commission d’admission des requêtes
La parole est à Mme le ministre d’État.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Avis favorable
M. le président. L’amendement n° 41 rectifié, présenté par M. Lecerf, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 8, première phrase
À la fin de cette phrase, remplacer les mots :
sauf si les manquements évoqués et la nature de la procédure considérée le justifient
par les mots :
sauf si, compte tenu de la nature de la procédure et de la gravité des manquements évoqués, la commission d’admission des requêtes estime qu’elle doit faire l’objet d’un examen au fond
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Il s’agit également d’un amendement de coordination.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 8, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 13
Supprimer cet alinéa.
Cet amendement est devenu sans objet.
Je mets aux voix l’article 25, modifié.
(L’article 25 est adopté.)
Article 26
(Non modifié)
Après le premier alinéa de l’article 64 de la même ordonnance, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le Conseil supérieur de la magistrature a été saisi à l’initiative d’un justiciable, l’audience ne peut pas se tenir avant l’expiration d’un délai de trois mois après que le garde des Sceaux, ministre de la justice, a été avisé dans les conditions prévues au douzième alinéa de l’article 63. » – (Adopté.)
Article 27
(Non modifié)
Il est rétabli, dans la même ordonnance, un article 65-1 ainsi rédigé :
« Art. 65-1. – Lorsqu’elle se prononce sur l’existence d’une faute disciplinaire, la formation compétente du Conseil supérieur émet, en cas de partage égal des voix, un avis en faveur de l’absence de sanction.
« Lorsqu’elle a constaté l’existence d’une faute disciplinaire, l’avis émis sur la sanction est pris à la majorité des voix. En cas de partage égal des voix sur le choix de la sanction, la voix du président de la formation est prépondérante. » – (Adopté.)
Article 28
(Non modifié)
L’article 66 de la même ordonnance est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le recours contre la décision prise à la suite de l’avis de la formation disciplinaire n’est pas ouvert à l’auteur de la plainte. » – (Adopté.)
Chapitre III
Dispositions finales
Article 29
I (Non modifié). – Jusqu’à sa première réunion dans sa composition issue de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République, le Conseil supérieur de la magistrature exerce les compétences qui lui étaient conférées en vertu de l’article 65 de la Constitution dans sa rédaction antérieure à la même loi.
II. – Toutefois, les dispositions des articles 17 et 24 s’appliqueront aux mesures d’interdiction temporaire dont le garde des Sceaux ou les chefs de cour saisiront le Conseil supérieur de la magistrature, à compter de la publication de la présente loi organique. – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi organique, je donne la parole à M. Christian Cointat, pour explication de vote.
M. Christian Cointat. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, ce projet de loi organique revêt une importance toute particulière, car il met en œuvre une réforme profonde d’un organe essentiel au fonctionnement de la justice de notre pays.
La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a, en effet, modernisé les attributions et le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature, qui joue un rôle crucial dans la nomination et la discipline des magistrats. N’oublions pas que la justice est rendue au nom du peuple français, qui a donc également son mot à dire.
Ainsi, ce projet de loi organique vise à appliquer les trois principes d’indépendance, d’ouverture et de transparence du Conseil supérieur de la magistrature posés par l’article 65 de la Constitution. Il constitue une véritable avancée démocratique, car il permet la mise en œuvre d’un nouveau droit pour les justiciables.
Ces derniers pourront désormais saisir directement le Conseil supérieur de la magistrature s’ils estiment que le comportement d’un magistrat dans l’exercice de ses fonctions peut justifier des poursuites disciplinaires. Il s’agit d’une avancée majeure, dont le groupe UMP se félicite, car elle permettra d’éviter certaines situations que nous avons connues dans le passé, où la sanction de certains magistrats dont le comportement n’était pas satisfaisant intervenait difficilement.
Je tiens à saluer, au nom de l’ensemble de mes collègues du groupe UMP, le travail de très grande qualité effectué par le rapporteur du texte, M. Jean-René Lecerf. Sur son initiative, la commission des lois, sous l’autorité ferme mais ouverte de son président, M. Jean-Jacques Hyest (Sourires),…
M. Jean-Pierre Michel. Autorité bienveillante !
M. Christian Cointat. … a, dans l’esprit de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, utilement complété la réforme du Conseil supérieur de la magistrature en donnant à cet organe des garanties d’indépendance et d’efficacité renforcées.
Mes chers collègues, la justice est l’un des piliers de l’unité de notre pays, et la confiance des Français dans l’autorité judiciaire est essentielle. Depuis mardi, un grand souffle vivifiant de démocratie traverse cet hémicycle. Nous avons déjà voté la saisine directe du Conseil constitutionnel, aujourd’hui nous votons celle du Conseil supérieur de la magistrature : c’est véritablement un grand pas en avant pour les droits de nos concitoyens.
Le groupe UMP adoptera donc sans réserve ce projet de loi, dont l’objet est bien de renforcer la confiance du citoyen dans sa justice et d’adapter celle-ci aux exigences d’une démocratie moderne.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, notre vote sera cohérent avec celui qui fut le nôtre lors de la révision de l’article 65 de la Constitution. Nous ne pouvons pas donner notre assentiment à un projet de loi organique qui, en dépit de certains aspects positifs, vise à appliquer une disposition constitutionnelle avec laquelle nous sommes en profond désaccord.
Des avancées incontestables ont pu être obtenues grâce, une fois encore, au Sénat et au travail de la commission. En outre, mon collègue et ami Jean-Pierre Michel a relevé avec beaucoup d’intérêt et d’attention que Mme le garde des sceaux avait levé quelques ambiguïtés, permettant ainsi une meilleure compréhension de certains aspects du texte. Par ailleurs, monsieur Cointat, nous estimons nous aussi qu’ouvrir aux justiciables la possibilité de saisir directement le Conseil supérieur de la magistrature constitue une avancée.
En revanche, nous restons totalement opposés à la manière dont sont nommés les membres du CSM…
M. Patrice Gélard. Ce n’est pas du domaine de la loi organique !
M. Jean-Pierre Sueur. Je n’en disconviens pas, monsieur Gélard !
M. Pierre Fauchon. L’essentiel, c’est qu’il le dise !
M. Jean-Pierre Sueur. La loi organique a pour objet d’appliquer la Constitution et je vous ai dit au début de mon propos que notre vote était en cohérence avec celui que nous avions émis lors de la révision de l’article 65 de la Constitution.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est logique !
M. Jean-Pierre Sueur. Par conséquent, si vous voulez me faire dire que le texte est en parfaite cohérence avec l’article 65 de la Constitution, je vous en donne volontiers acte.
M. Christian Cointat. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur. Cela étant, nous ne sommes pas d’accord avec les modalités de désignation des membres du CSM. Nous considérons que celles-ci ne garantissent pas l’indépendance nécessaire et, une fois encore, nous appelons l’attention sur le fait que la nomination par le pouvoir exécutif des membres du parquet, quel que soit l’avis du Conseil supérieur de la magistrature, pose un grave problème.
D’ailleurs, vous savez très bien, madame le ministre d’État, que les instances européennes ont fait valoir avec force que les conditions de nomination des membres du parquet et le statut du parquet dans notre pays étaient en contradiction avec les exigences d’un procès équitable. Nous pensons qu’il faut couper ce cordon ombilical et mettre fin à cette étroite dépendance de fait, confortée évidemment par la procédure de nomination des membres du parquet, qui, en l’espèce, est loin d’être neutre.
Ce point de vue a été longuement exposé, notamment par mes collègues Jean-Pierre Michel et Robert Badinter, lors de la révision constitutionnelle. Si nous votons contre ce projet de loi organique, c’est, encore une fois, par cohérence avec le vote que nous avions alors émis. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Effectivement, monsieur Gélard, la loi organique ne pouvait contrevenir à la réforme constitutionnelle.
Bien entendu, nous émettrons nous aussi un vote de cohérence sur ce texte, puisque, contrairement aux objectifs affichés, la réforme ne consacrera pas l’indépendance et la transparence de la justice ni ne renforcera la confiance de nos concitoyens en celle-ci. Au contraire, elle confirme la mainmise de l’exécutif sur le pouvoir judiciaire, qui certes ne date pas d’aujourd’hui mais qui perdure avec la révision de la Constitution.
M. le rapporteur a adopté une conception ouverte de l’article 65 de la Constitution et il a apporté quelques améliorations à la façon d’en concevoir l’application. En revanche, madame la garde des sceaux, le Gouvernement a montré, par sa détermination à revenir à son texte initial en s’opposant à la commission, qu’il ne partageait nullement cette vision et qu’il entendait maintenir sa conception très restrictive de l’indépendance de la justice. Il est regrettable que la réforme du Conseil supérieur de la magistrature aboutisse en définitive à un statu quo.
Nous voterons donc contre ce projet de loi organique.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, je vais m’efforcer d’avoir moi aussi une position cohérente par rapport à celle que les membres du groupe du RDSE avait adoptée lors de la révision de l’article 65 de la Constitution, ce qui ne sera pas aisé dans la mesure où leurs votes avaient été alors partagés…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Équilibre difficile !
M. Jacques Mézard. Aujourd’hui, la majorité du groupe s’abstiendra, tandis que trois d’entre nous voteront le texte.
Notre débat a manifestement donné lieu à la cristallisation de conceptions différentes de la justice, conceptions qui s’étaient exprimées lors de la discussion générale.
Ce texte comporte, nous semble-t-il, des avancées, notamment la possibilité de saisine par le justiciable du Conseil supérieur de la magistrature. Je vois mal comment on pourrait considérer qu’il ne s’agit pas là d’une avancée démocratique. L’expérience ne manquera sans doute pas de mettre au jour certaines difficultés, mais c’est incontestablement un point positif.
En revanche, nous regrettons pour notre part qu’il n’ait pas été possible d’aller plus loin dans la transparence et dans l’indépendance de la justice, et nous demeurons dubitatifs sur la désignation des membres du Conseil supérieur de la magistrature et sur le statut du parquet. Mais nous aurons certainement l’occasion d’y revenir dans les prochains mois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est sûr !
M. Jacques Mézard. Par ailleurs, nous nous satisfaisons de la sagesse manifestée par le Sénat sur la question de la parité en matière disciplinaire. Enfin, le travail réalisé par le rapporteur et par la commission nous a paru aller globalement dans le bon sens, une fois de plus.
Comme je l’ai déjà annoncé, la majorité du groupe du RDSE s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi organique.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 7 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 321 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 161 |
Pour l’adoption | 182 |
Contre | 139 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
La parole est à Mme le ministre d'État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Je tiens à remercier tous ceux qui ont participé à cette discussion, en particulier M. le rapporteur et M. le président de la commission des lois. Ces remerciements s’adressent tant aux membres de la Haute Assemblée qui ont voté ce texte qu’à ceux qui s’y sont opposés, en exprimant des points de vue toujours enrichissants.
Avec ce texte qui s’inscrit dans la logique de la réforme constitutionnelle, nous franchissons une étape décisive, à la fois pour l’inscription de la démocratie dans le quotidien et pour le renforcement de la confiance des Français dans la justice.
Ce texte conforte une nouvelle avancée de nos droits et de nos libertés et justifie le nouvel intitulé du ministère que j’ai l’honneur de diriger : ministère de la justice et des libertés. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. le président de la commission des lois et M. le rapporteur applaudissent également.)
11
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 20 octobre 2009, à quatorze heures trente :
- Débat sur la situation des départements d’outre-mer.
Rapport d’information de M. Éric Doligé, fait au nom de la mission commune d’information (n° 519, 2008-2009).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures trente.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD