compte rendu intégral

Présidence de M. Roland du Luart

vice-président

Secrétaires :

M. François Fortassin,

M. Jean-Pierre Godefroy.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Annonce d’élections au sein d’une commission

M. le président. J’ai le plaisir d’informer le Sénat que Mme Muguette Dini a été élu présidente de la commission des affaires sociales et M. Alain Vasselle, rapporteur général de la même commission.

En votre nom à tous, je leur adresse nos plus chaleureuses félicitations. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

3

Candidatures à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire m’a fait connaître qu’elle a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de programmation relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement.

Cette liste a été affichée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l’article 12 du règlement.

4

Dépôt de rapports en application de lois

M. le président. M. le président du Sénat a reçu :

- du Premier président de la Cour des comptes, le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques établi en application de l’article 58-3 de la loi n° 2001-692 du 1er août 2001.

- du Gouverneur de la Banque de France, le rapport annuel pour 2008 de la Commission bancaire.

Acte est donné du dépôt de ces rapports.

Ces documents seront transmis à la commission des finances et seront disponibles au bureau de la distribution.

5

Démission de membres de commissions et candidatures

M. le président. J’ai reçu avis de la démission :

- de M. Simon Loueckhote comme membre de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale ;

- et de M. Christophe-André Frassa comme membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Le groupe intéressé a fait connaître à la Présidence le nom des candidats proposés en remplacement.

Ces candidatures vont être affichées et leur nomination aura lieu conformément à l’article 8 du Règlement.

6

 
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet
Discussion générale (suite)

Protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet

Discussion d'un projet de loi en procédure accélérée

(Texte de la commission)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet
Demande de renvoi à la commission (début)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet (nos 498, 511 et 512).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre d’État.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Monsieur le président, monsieur le président de la commission de la culture, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la loi du 12 juin 2009, dite loi « HADOPI », destinée à protéger la création littéraire et artistique contre le pillage sur internet, a été adoptée par les deux assemblées au terme d’un débat approfondi. Il n’est donc pas question de revenir sur le vote des assemblées ni sur les dispositions de fond validées par le Conseil constitutionnel.

En revanche, en ce qui concerne les modalités d’application, la décision du Conseil constitutionnel du 10 juin 2009, qui a censuré certaines dispositions, nous conduit aujourd’hui à compléter le texte adopté. C’est l’objet du projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique soumis aujourd’hui à votre examen.

Par ce texte, le droit de propriété intellectuelle et artistique est réaffirmé. Pour répondre aux exigences posées par le Conseil constitutionnel, il permet d’apporter de nouvelles garanties au regard des sanctions prévues par la loi.

Comme l’a reconnu le Conseil constitutionnel dans sa décision du 10 juin 2009, la liberté d’accéder à internet est une composante essentielle de la liberté d’expression et de communication.

Le projet de loi place donc la liberté d’accéder à internet sous la protection du juge judiciaire. Seul le juge pourra suspendre temporairement l’exercice par un abonné de son droit d’accéder au réseau internet en cas de téléchargements illégaux, et ce au terme d’un processus de réponse graduée.

Il s’agit d’établir une sanction juste et proportionnée, strictement et évidemment nécessaire, au sens de l’article viii de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je me félicite du climat de très grande confiance qui a présidé à nos travaux sur ce texte. Il illustre une nouvelle fois l’équilibre voulu par le constituant dans l’élaboration de la loi.

Je salue le travail accompli par la Haute Assemblée, en particulier par son rapporteur, Michel Thiollière. Lors de mon audition, le 1er juillet dernier, j’ai pu constater, avec Frédéric Mitterrand, la grande qualité des travaux qui ont été conduits au sein de la commission de la culture.

Les amendements déposés par la commission ont incontestablement permis de rendre le texte plus clair et plus intelligible. Ce point est essentiel. En effet, si nous voulons que la loi soit comprise, acceptée et donc respectée par nos concitoyens, il est indispensable qu’elle soit claire et que sa rédaction, par le sens de la mesure qui l’inspire, permette d’établir une juste sanction. En rendant plus clairement apparentes les dispositions pénales, on évite les ambiguïtés, parfois sources d’un risque d’arbitraire ou de la crainte de l’arbitraire.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’en viens au sens profond de ce projet de loi.

Pour mieux protéger les œuvres contre le « pillage » sur internet, le texte repose non seulement sur la pédagogie, mais aussi sur l’efficacité de la sanction.

La sanction est avant tout pédagogique. C’est la raison pour laquelle deux types de comportement ont été distingués.

Dans la première hypothèse, les auteurs de téléchargements illégaux se rendent coupables du délit de contrefaçon. Il s’agit d’une atteinte intentionnelle à la propriété intellectuelle ou artistique. Dans ce cas de figure, je vous le rappelle, le code de la propriété intellectuelle prévoit une sanction maximale de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende.

La nouvelle peine complémentaire prévue par le texte, qui pourra être prononcée à la place de la peine d’emprisonnement, permettra de suspendre l’accès à internet pour une durée maximale de un an. Cette peine paraît plus adaptée aux cas de téléchargement illégal.

Dans la seconde hypothèse, un abonné à internet laisse une autre personne utiliser sa ligne pour commettre des téléchargements illégaux, faisant ainsi preuve d’une négligence caractérisée. Le Gouvernement fait, dans ce cas, le choix de la responsabilisation, en prévoyant une réponse graduée et progressive.

Première étape, la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet constate des téléchargements illégaux.

Deuxième étape, l’abonné est averti à deux reprises, d’abord par courriel, puis par lettre recommandée. Le Gouvernement est d’ailleurs favorable à ce que celle-ci soit assortie d’un accusé de réception,…

M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Il a raison !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. … ce qui permet de garantir que la lettre d’avertissement a bien été reçue par son destinataire.

Troisième étape, si, après ce double avertissement, l’abonné qui laisse commettre des téléchargements illégaux refuse toujours de se conformer à la loi, alors, la réponse pénale intervient.

Je suis convaincue que les deux premières mesures auront un effet dissuasif sur les contrevenants. C’est d’ailleurs bien ce que nous recherchons. Selon moi, la répression pénale aura donc, dans les faits, une dimension tout à fait subsidiaire.

Dans le cas d’un défaut de surveillance, l’abonné commet une contravention de la cinquième classe passible d’une suspension d’internet de un mois.

Conformément aux exigences posées par le Conseil constitutionnel, cette démarche ne fait peser sur l’abonné aucune présomption de culpabilité. Il n’y a donc aucune atteinte à la présomption d’innocence. En effet, il reviendra au parquet, sous le contrôle du juge, de prouver la négligence caractérisée, sur la base de faits objectifs et tangibles.

Le seul fait que des téléchargements illégaux soient commis sur sa ligne ne suffit donc pas à engager la responsabilité d’un abonné : il devra avoir été averti. Il devra également être établi qu’il n’a pas pris des mesures pratiques et concrètes pour mettre un terme à ces téléchargements.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous ai entendus émettre un certain nombre de doutes quant à l’efficacité du dispositif. Certains d’entre vous ont notamment évoqué la possibilité, pour un internaute dont l’abonnement aurait été suspendu, de se réabonner par le truchement de l’un de ses proches.

Soyons lucides : il y aura toujours des personnes pour enfreindre ou contourner la loi. Mais ce n’est pas parce qu’il y a des chauffards que nous n’avons pas besoin de code de la route ! L’existence même des infractions prévues par la loi permettra d’exercer un effet dissuasif sur l’immense majorité de nos concitoyens, qui n’ont pas forcément conscience aujourd’hui de commettre un acte illégal.

Pour garantir l’efficacité du dispositif, le Gouvernement s’est fixé trois objectifs.

Le premier est d’améliorer le travail d’investigation préalable aux poursuites. Pour ce faire, les agents assermentés de la HADOPI auront la possibilité de dresser des procès-verbaux constatant les délits de contrefaçon par internet et la contravention de négligence caractérisée. Ils pourront également recueillir par procès-verbal les déclarations de l’internaute relatives à l’infraction.

Je tiens à le souligner, les pouvoirs confiés aux agents de la HADOPI seront strictement limités aux constatations. Leurs procès-verbaux constitueront des éléments de preuve parmi d’autres, à charge ou à décharge.

Ces agents agiront sous le contrôle complet de l’autorité judiciaire, conformément à la demande du Conseil constitutionnel. Le parquet, une fois saisi, sera libre d’apprécier les éléments fournis et de poursuivre ou d’approfondir l’enquête.

Il n’y a donc pas d’exercice abusif des pouvoirs de police judiciaire par les agents de la HADOPI, ce qui répond aux préoccupations du Conseil constitutionnel et ôte tout fondement à la crainte d’une censure.

Le deuxième objectif du projet de loi est de simplifier le traitement judiciaire de la procédure.

Les atteintes aux droits d’auteur sur internet étant fort répandues, elles doivent faire l’objet d’une procédure adaptée et simplifiée, celle de l’ordonnance pénale, qui relèvera de la compétence du juge unique. Cette réactivité de la réponse contribuera également à la pédagogie du dispositif.

Je vous rappelle que la procédure de l’ordonnance pénale, fréquente en droit pénal français, respecte les droits de la défense et le principe du contradictoire, règles procédurales protégées par les principes fondamentaux du droit et la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

En l’espèce, le texte veille au respect du droit de toutes les parties.

Premièrement, la procédure n’est pas obligatoire. Il suffit que les parties manifestent leur opposition pour que l’affaire soit jugée de manière classique devant le juge, en audience publique.

Deuxièmement, la procédure est exclue si les ayants droit veulent se constituer parties civiles. Dans ce cas, on revient à la procédure classique.

Troisièmement, même si l’ordonnance pénale est prononcée, les parties civiles pourront se présenter devant le juge civil pour réclamer des dommages et intérêts.

Enfin, quatrièmement, le recours à cette procédure ne sera pas systématique. Dans les cas les plus graves d’atteintes à la propriété – par exemple, en cas de téléchargements massifs -, les poursuites auront lieu directement devant le tribunal correctionnel.

Il s’agit donc de répondre d’une façon rapide et adaptée aux cas les plus banals, au moyen d’une sanction pédagogique.

Le moment venu, j’adresserai une instruction en ce sens aux procureurs, mais, étant donné que je réunis les procureurs généraux le 20 juillet prochain, j’en profiterai pour les sensibiliser d’ores et déjà à cette question.

Le troisième objectif de ce projet de loi est de garantir l’effectivité de la suspension, car il n’y a rien de pire que des sanctions qui ne peuvent pas être mises en œuvre.

C’est la raison pour laquelle le fournisseur d’accès à internet, ou FAI, sera impliqué ; il sera avisé par la HADOPI de la mesure judiciaire de suspension qui aura été prise et pourra ainsi suspendre l’abonnement pour la durée qui aura été déterminée par le juge.

Pendant ce laps de temps, l’abonné n’aura pas le droit de se réabonner auprès d’un autre fournisseur, la violation de cette interdiction constituant alors un délit.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte que j’ai aujourd’hui l’honneur, avec Frédéric Mitterrand, de vous soumettre, est équilibré.

Il est cohérent par rapport aux finalités de la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, dite loi HADOPI, votée par le Parlement.

Il est pragmatique, car il prévoit des sanctions adaptées à la réalité du téléchargement illégal, en privilégiant la prévention et la dissuasion par rapport à la répression.

Il renforce les libertés et la protection des personnes : tout d’abord, la liberté des créateurs et des artistes ; ensuite, la liberté d’expression des internautes, rappelée par le Conseil constitutionnel ; enfin, les libertés fondamentales du citoyen, garanties par l’autorité judiciaire, gardienne des libertés individuelles et collectives. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Thiollière, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment où nous nous retrouvons pour évoquer, une nouvelle fois, le problème de la création sur internet, je ne crois pas inutile de rappeler les raisons qui ont présidé à l’élaboration de ce texte et celles qui me conduisent à penser que nous sommes engagés dans un processus législatif d’envergure.

Il me semble tout d’abord nécessaire de souligner que nous sommes tous porteurs d’une tradition française qui se traduit, et depuis de nombreuses décennies, par un attachement viscéral aux valeurs de la création, et donc au droit d’auteur.

Nous sommes également attachés à la diversité culturelle, une autre exigence française.

Dans le monde globalisé d’aujourd’hui, nous devons également soutenir l’économie de la création. Sans vouloir alourdir le débat par un excès de chiffres, je voudrais rappeler qu’aujourd’hui, pour un titre musical téléchargé légalement, quatorze sont téléchargés illégalement. Quant au chiffre d’affaires des éditeurs de musique, il a diminué de 53 % en cinq ans.

Alors, si double peine il y a, puisque l’expression a été utilisée à propos de ce texte, elle frappe surtout la filière de la création, qui subit à la fois la crise économique et le piratage. Nous devons donc nous efforcer de trouver des solutions susceptibles de remédier à une telle situation.

Le constat étant posé, et très largement partagé, pourquoi est-ce si difficile d’agir ?

Tout d’abord, le consommateur comme l’artiste se défient en permanence de tout ce qui peut apparaître comme contraignant. Or internet donne précisément l’illusion inverse, celle de la liberté et de la gratuité.

Ensuite, la technologie contribue à faire évoluer en permanence les usages. Ainsi, de nouvelles pratiques s’installent qui, même si elles constituent une autre forme de « vivre ensemble » sur la toile, se jouent des codes républicains auxquels nous sommes attachés.

Il faut bien reconnaître aussi que le temps de l’action publique est démesurément long dans notre pays. À cet égard, nous ne pouvons que déplorer le délai qui s’est écoulé entre l’adoption de ce texte en première lecture par le Sénat, le 30 octobre 2008, et son examen par l'Assemblée nationale. Selon moi, c’est autant de temps perdu, et cela nuit aussi bien à la bonne compréhension de nos intentions qu’à l’effectivité de la législation que nous sommes en train d’élaborer.

Mais ce constat ne saurait pour autant nous inciter à renoncer.

Même si le Conseil constitutionnel a invalidé une partie du texte que nous avions voté, il faut aussi reconnaître, comme vous l’avez fait, madame le garde des sceaux, qu’il a consolidé la partie pédagogique de la loi, et n’a nullement remis en question le processus que nous avons élaboré aux côtés du Gouvernement.

Puisque l’on parle de pédagogie, il n’est pas inutile de rappeler le contenu de la décision.

Le Conseil constitutionnel a validé l’ensemble des avancées prévues en faveur du développement et du renforcement de l’offre légale d’œuvres culturelles. Le Sénat avait d’ailleurs contribué à enrichir de façon substantielle ce volet en première lecture, à l’automne dernier.

Le Conseil a également validé le dispositif pédagogique et préventif de lutte contre le piratage de masse confié à la HADOPI, dont le nom nous est désormais familier, en considérant, notamment, qu’il ne méconnaissait pas les exigences constitutionnelles liées au respect de la vie privée, parce qu’il était fondé sur les signalements des actes de téléchargement illégal réalisés par les agents assermentés des sociétés d’ayants droit. S’il était encore besoin de le rappeler, ce texte n’organise en rien une « surveillance généralisée » des réseaux numériques, contrairement à ce que d’aucuns ont pu dénoncer ou regretter. Ainsi, sur la base de ces signalements, la HADOPI pourra adresser des messages d’avertissement aux internautes contrevenants.

Qu’a donc censuré le Conseil constitutionnel ? Vous l’avez rappelé, madame le garde des sceaux : le « volet sanction » de la loi, qui prévoyait notamment la possibilité pour la HADOPI, en cas de récidive de l’internaute, de suspendre son accès à internet pour une durée allant de deux mois à un an. Le Conseil constitutionnel a considéré qu’une autorité administrative comme la HADOPI, en dépit des garanties entourant sa composition et son fonctionnement, ne pouvait prononcer une sanction de cette nature, estimant qu’« en l’état actuel », le droit à la liberté d’expression et de communication « implique » la liberté d’accès à internet, compte tenu notamment de son « développement généralisé ». En conséquence, seule une juridiction peut être habilitée à prononcer une sanction de cette nature.

Dans son commentaire de cette décision, le Conseil constitutionnel souligne que cette interprétation ne revient pas pour autant à affirmer que l’accès à internet est un droit fondamental. Il estime en effet qu’« affirmer la liberté d’accéder à internet ne revient pas à garantir à chacun un droit de caractère général et absolu d’y être connecté ».

Par ailleurs, le Conseil a validé le principe d’une obligation de surveillance de l’accès à internet par l’abonné, laquelle sert de fondement au mécanisme d’avertissement. Il a toutefois considéré que le dispositif prévu introduisait une présomption de culpabilité à l’encontre du titulaire de l’accès à internet, notamment parce que ce dernier devait apporter la preuve de l’utilisation frauduleuse de son accès par un tiers pour échapper à une sanction.

Au final, la HADOPI pourra donc continuer à adresser des messages d’avertissement aux abonnés, mais cette action préventive ne pourra plus déboucher, compte tenu des dispositions censurées par le Conseil constitutionnel, sur une sanction, laquelle avait l’avantage de conférer au dispositif un caractère dissuasif et pédagogique.

Les seules sanctions possibles sont donc celles encourues sur le fondement du délit de contrefaçon, à savoir, comme vous l’avez rappelé, madame le garde des sceaux, des peines maximales de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende. Nous avions relevé, lors des débats sur le projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, le caractère manifestement disproportionné de cette sanction pénale, qui nous semblait inadaptée et inefficace pour prévenir le « piratage de masse ».

Entre, d’une part, les conclusions du Conseil constitutionnel et, d’autre part, l’action préventive de la HADOPI, qui s’ajoute à la voie pénale existante, on voit bien qu’il faut trouver une articulation, une sorte de nouveau maillon dans la chaîne allant de la prévention jusqu’à, éventuellement, la répression.

Comment donc articuler au mieux l’action préventive et d’éventuelles sanctions adaptées, et ce dans le respect renforcé des droits de la défense et de la proportionnalité de la peine ?

C’est inspirée par cette question que la commission a travaillé, et je voudrais très sincèrement remercier son président, Jacques Legendre, ses membres ainsi que vous-mêmes, madame le garde des sceaux, monsieur le ministre, qui avez été particulièrement à l’écoute durant nos travaux.

La commission a souhaité améliorer le projet de loi initial sur quatre points, pour garantir la lisibilité et l’intelligibilité de la loi, renforcer son caractère pédagogique et dissuasif, mieux garantir le respect des libertés publiques et des principes constitutionnels et, enfin, permettre aux ayants droit de faire valoir le cas échéant leurs droits auprès des autorités judiciaires.

En premier lieu, donc, la commission a cherché à améliorer la lisibilité et l’intelligibilité du texte, en en renforçant la cohérence et, par différentes dispositions de coordination, son articulation avec la loi, aujourd'hui promulguée, favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet du 12 juin 2009.

À l’article 3 bis nouveau, elle a clarifié le dispositif prévu par le dernier alinéa de l’article 3 du projet de loi initial, qui concerne le « piratage de masse ».

Rappelons que cet alinéa tend à conférer un fondement législatif à la création, par décret, d’une sanction contraventionnelle visant le titulaire d’un abonnement à internet qui, sans être lui-même contrefacteur, aura néanmoins fait preuve d’une négligence caractérisée dans le contrôle de son accès à internet. Contrairement à ce que nous avons parfois pu lire ou entendre, la commission n’a pas créé cette nouvelle sanction, mais a complété et clarifié le dispositif proposé.

L’article 3 bis du texte que nous avons adopté à cette fin rend donc la loi beaucoup plus compréhensible par tout un chacun, ce qui est fondamental pour un texte qui se veut pédagogique.

Tout d’abord, la commission a prévu que ce dispositif fera l’objet d’un article spécifique du code de la propriété intellectuelle, afin de distinguer clairement le délit de contrefaçon de la contravention pour négligence caractérisée visant le titulaire de l’abonnement à internet.

Ensuite, la commission a mieux caractérisé l’infraction, sachant qu’il appartiendra bien entendu au pouvoir réglementaire d’apporter les précisions nécessaires. Le fondement de l’amende de la cinquième classe, qui pourra, si le juge en décide ainsi, être assortie d’une suspension de l’accès à internet d’une durée maximale de un mois, repose sur la négligence caractérisée du titulaire de l’accès à un service de communication au public en ligne ou de communications électroniques préalablement averti au moyen d’une lettre recommandée, ou d’un autre moyen équivalent, par la commission de protection des droits de la HADOPI.

Certains s’interrogent sur le respect de la présomption d’innocence. Je crois que nous pouvons les rassurer sur ce point : les dispositions censurées par le Conseil constitutionnel dans sa récente décision, en ce qu’elles opéraient un « renversement de la charge de la preuve », étaient d’une nature différente ; dans le cas présent, l’abonné est présumé innocent et il reviendra au juge de rassembler des éléments de preuve caractérisant sa négligence.

La commission propose, en outre, que la sanction encourue en cas de réabonnement par la personne condamnée dans le cadre contraventionnel soit moins sévère que lorsque le non-respect de cette interdiction est réalisé dans le cadre d’une sanction pour délit de contrefaçon.

Ainsi, dans le premier cas, la sanction serait une peine d’amende de 3 750 euros, et non une peine de prison, comme cela résultait de l’article 4 du projet de loi initial. En effet, ce dernier renvoie à l’article 434–41 du code pénal, qui punit de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende la violation, par une personne condamnée par le juge, d’obligations ou d’interdictions résultant de certaines peines.

Enfin, toujours dans un but de lisibilité du droit, la commission a procédé à une renumérotation du code de la propriété intellectuelle, rendue nécessaire à la suite de l’invalidation par le Conseil constitutionnel d’une partie du texte de la loi « Création et internet » votée par le Parlement.

La commission a également souhaité renforcer le caractère pédagogique et dissuasif du dispositif de lutte contre le piratage. À cette fin, elle a prévu, à l’article 1er ter, de renforcer l’information des abonnés sur les sanctions encourues en vertu du présent projet de loi, à la fois dans les contrats passés avec les fournisseurs d’accès à internet et au stade des avertissements envoyés par la HADOPI.

À l’article 3, elle a aligné le montant de l’amende encourue par le fournisseur d’accès à internet qui ne mettrait pas en œuvre la peine de suspension à lui notifiée sur le montant qui avait été voté par le Parlement dans le texte « Création et internet », soit 5 000 euros au maximum, au lieu des 3 750 euros prévus dans le présent projet de loi.

Toujours à l’article 3, elle a prévu que la sanction de suspension de l’accès à internet, lorsqu’elle est prononcée dans le cadre de l’infraction contraventionnelle de négligence caractérisée, ne figurera pas au bulletin n° 3 du casier judiciaire. L’objectif est que le caractère pédagogique et dissuasif du nouveau dispositif proposé, avec la création d’une sanction de suspension d’accès à internet, n’emporte pas de conséquences fâcheuses pour les personnes en recherche d’emploi ou souhaitant se présenter à un concours administratif. Cela se comprend d’autant plus pour les plus jeunes de nos concitoyens.

Par ailleurs, la commission a souhaité mieux garantir le respect des libertés publiques et des principes constitutionnels. Elle a adopté un article 1er quater visant à garantir que la Haute autorité ne conservera pas les données à caractère personnel relatives à l’abonné plus longtemps que la procédure ne l’exige. Le fournisseur d’accès devra informer la HADOPI du début et de la fin de la suspension. À l’issue de la période de suspension fixée par le juge, la Haute autorité devra procéder à l’effacement des données à caractère personnel.

Cette disposition a aussi pour avantage de permettre le contrôle du respect de son obligation de suspension par le fournisseur d’accès à internet.

À l’article 3, la commission a également précisé le délai dans lequel le FAI doit mettre en œuvre la suspension, afin d’encadrer l’appréciation du juge et de respecter ainsi pleinement le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines. Un délai de quinze jours semble suffisant aux fournisseurs d’accès pour procéder à la suspension de l’accès à internet.

Enfin, la commission a souhaité permettre aux ayants droit de faire valoir leurs droits auprès des autorités judiciaires ; à cette fin, elle a adopté un article 1er quinquies.

En effet, les représentants des ayants droit ont exprimé certaines préoccupations. Ils craignent notamment de ne plus pouvoir se constituer parties civiles et solliciter des dommages et intérêts auprès du juge, à partir du moment où les autorités judiciaires, une fois saisies par la Haute autorité, pourraient recourir à la procédure accélérée de l’ordonnance pénale.

Rappelons que les ayants droit peuvent toujours saisir directement le juge pénal, le recours à la HADOPI ne leur étant bien entendu pas imposé. Tel ne devrait pas être le cas, néanmoins, en cas de « petit piratage de masse ».

Aussi, afin de répondre à leur souhait légitime, la commission a prévu que la Haute autorité puisse informer les représentants des ayants droit sur les éventuelles saisines de l’autorité judiciaire.

Ainsi, ceux-ci pourront décider s’ils souhaitent ou non se constituer parties civiles et, le cas échéant, se signaler auprès du procureur de la République. Il serait ainsi fait obstacle à la procédure de l’ordonnance pénale, au bénéfice d’une procédure classique. Les ayants droit doivent, en effet, pouvoir intervenir au cours de la procédure si la gravité des faits leur semble le justifier et s’ils souhaitent demander des dommages et intérêts, compte tenu du préjudice subi.

Au total, nous avons tout fait pour que la pédagogie soit encore renforcée. Nous avons travaillé pour concilier les droits des créateurs et des internautes. Nous avons aussi voulu une information plus approfondie de chacun d’entre eux et des abonnés.

Maintenant, il est légitime de se poser la question de savoir si la loi résoudra tous les problèmes.

Nous sommes français et, en tant que tels, nous adorons légiférer, mais, disons-le clairement, si la loi est en l’occurrence nécessaire, elle est loin d’être suffisante.

À travers ce projet de loi, qui entrera progressivement en application, nous adressons un signal très fort : arrêtons de détruire l’une de nos richesses nationales ! Dans le même temps, il faut envoyer un autre signal fort : accéder légalement aux œuvres doit être simple et bon marché.

Tous ceux qui ont signé les accords de l’Élysée, voilà près de vingt mois maintenant, nous ont dit : « Donnez-nous une loi et nous ferons les efforts qui conviennent ! »

Nous y sommes ! Il faut maintenant faire émerger une offre légale de biens culturels à un niveau à la fois économiquement raisonnable pour nos concitoyens et suffisamment rémunérateur pour les auteurs et artistes.

La commission a adopté une position équilibrée et on ne peut plus logique : elle a insisté tout autant sur la nécessité de payer un juste prix pour la « consommation » de biens culturels que sur l’obligation, pour l’industrie culturelle, d’améliorer l’offre légale disponible en ligne.

Il faut reconnaître que des efforts ont été faits, mais ils sont encore trop peu visibles, parce que le piratage de masse écrase tout.

Cela étant, des offres nouvelles existent. Il faut donc très vite qu’un nouveau modèle économique s’impose. À la fois pour favoriser l’émergence de nouveaux talents et pour renouveler les biens culturels, on doit pouvoir aller sur internet autant et aussi souvent qu’on le voudra pour puiser à leur source les œuvres culturelles.

Nous avons aussi le devoir de satisfaire un besoin de consommation culturelle croissant chez nos concitoyens. Chaque jour, en moyenne, les Français écoutent de la musique pendant cinquante-quatre minutes et regardent la télévision pendant plus de trois heures. C’est dire si nos concitoyens sont avides de consommation de musique et de tout ce qui peut apparaître sur nos écrans !

Il n’en demeure pas moins que les offres en ligne sont encore insuffisantes et trop peu visibles. Des efforts sont indispensables si l’on veut que l’effet de bascule joue à plein : il faut freiner le piratage pour accélérer le téléchargement légal.

C’est à ces conditions-là que nous pourrons évoluer vers des pratiques nouvelles qui, au lieu de tarir la création à la source, lui permettront de se renforcer.

Tel est l’enjeu des mois qui viennent.

À ceux qui considèrent que ces débats ont trop duré, je réponds qu’une cause noble comme celle que nous défendons peut exiger de remettre l’ouvrage sur le métier autant de fois que nécessaire.

Au moins depuis Beaumarchais, cette cause intéresse non seulement le législateur, mais encore le pays tout entier.

À d’autres qui observent et se demandent, assez goguenards, à quoi tout cela sert, je réponds qu’il faut bien prendre en compte cette double nécessité de garantir l’accès de tous à internet et le respect de la création. Ce n’est pas l’un ou l’autre ; ce sont bien l’un et l’autre !

À défaut, autant renoncer tout de suite à notre combat pour la diversité culturelle et pour une économie française de la création !

Mais, comme je n’entends pas renoncer - heureusement ! - et comme je ne vois aucune autre solution que celle que nous propose le Gouvernement, je suis confiant dans la sagesse, mais aussi et surtout dans la volonté sans cesse affirmée du Sénat de promouvoir une culture adaptée à notre temps.

C’est pourquoi la commission de la culture, de l’éducation et de la communication vous propose, mes chers collègues, d’adopter ce projet de loi tel qu’elle l’a modifié. (Applaudissements sur les travées de lUMP ainsi que sur certaines travées du RDSE.)