Sommaire
Présidence de M. Roland du Luart
Secrétaires :
MM. François Fortassin, Jean-Pierre Godefroy.
2. Annonce d’élections au sein d’une commission
3. Candidatures à une commission mixte paritaire
4. Dépôt de rapports en application de lois
5. Démission de membres de commissions et candidatures
6. Protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet. – Discussion d'un projet de loi en procédure accélérée (Texte de la commission)
Discussion générale : Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés ; M. Michel Thiollière, rapporteur de la commission de la culture.
M. Serge Lagauche, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Jack Ralite, Mme Françoise Laborde.
MM. Jean Louis Masson, David Assouline, Alain Dufaut, Mme Alima Boumediene-Thiery.
M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication ; Mme la ministre d’État.
Clôture de la discussion générale.
Demande de renvoi à la commission
Motion no 18 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture ; Mme la ministre d’État. – Rejet par scrutin public.
7. Nomination de membres d'une commission mixte paritaire
8. Nomination de membres de commissions
9. Protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet. – Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi en procédure accélérée (Texte de la commission)
Amendements nos 1, 7, 8 rectifié bis, 9 de Mme Alima Boumediene-Thiery et 10 de M. Jack Ralite. – Mmes Alima Boumediene-Thiery, Brigitte Gonthier-Maurin, MM. Michel Thiollière, rapporteur de la commission de la culture ; Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication ; Mme Marie-Christine Blandin. – Rejet des amendements nos 1, 7, 10 et 9 ; adoption de l’amendement no 8 rectifié bis.
Adoption de l'article modifié.
Amendements identiques nos 2 de Mme Alima Boumediene-Thiery et 11 de M. Jack Ralite. – Mmes Alima Boumediene-Thiery, Brigitte Gonthier-Maurin, MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet des deux amendements.
Adoption de l'article.
Articles 1er quater et 1er quinquies. – Adoption
Amendement n° 12 de M. Jack Ralite. – Mme Brigitte Gonthier-Maurin, MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendements identiques nos 3 de Mme Alima Boumediene-Thiery et 13 de M. Jack Ralite. – Mmes Alima Boumediene-Thiery, Brigitte Gonthier-Maurin, MM. le rapporteur, le ministre, Mme Marie-Christine Blandin. – Rejet des deux amendements.
Adoption de l'article.
Amendements identiques nos 4 de Mme Alima Boumediene-Thiery et 14 de M. Jack Ralite. – Mmes Alima Boumediene-Thiery, Brigitte Gonthier-Maurin, MM. le rapporteur, le ministre, Mme Marie-Christine Blandin. – Rejet des deux amendements.
Amendement n° 17 de M. Jack Ralite. – Mme Brigitte Gonthier-Maurin, MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 15 de M. Jack Ralite. – Mme Brigitte Gonthier-Maurin, MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Adoption de l'article.
Amendements identiques nos 5 de Mme Alima Boumediene-Thiery et 16 de M. Jack Ralite. – Mmes Alima Boumediene-Thiery, Brigitte Gonthier-Maurin, MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet des deux amendements.
Adoption de l'article.
Articles 3 ter, 4, 4 bis et 5. – Adoption
M. Yannick Bodin, Mme Marie-Christine Blandin, M. Jean-Pierre Plancade, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture.
Adoption, par scrutin public, du projet de loi.
10. Communication relative à des commissions mixtes paritaires
11. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
12. Dépôt de documents parlementaires
13. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Roland du Luart
vice-président
Secrétaires :
M. François Fortassin,
M. Jean-Pierre Godefroy.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Annonce d’élections au sein d’une commission
M. le président. J’ai le plaisir d’informer le Sénat que Mme Muguette Dini a été élu présidente de la commission des affaires sociales et M. Alain Vasselle, rapporteur général de la même commission.
En votre nom à tous, je leur adresse nos plus chaleureuses félicitations. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
3
Candidatures à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire m’a fait connaître qu’elle a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de programmation relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement.
Cette liste a été affichée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l’article 12 du règlement.
4
Dépôt de rapports en application de lois
M. le président. M. le président du Sénat a reçu :
- du Premier président de la Cour des comptes, le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques établi en application de l’article 58-3 de la loi n° 2001-692 du 1er août 2001.
- du Gouverneur de la Banque de France, le rapport annuel pour 2008 de la Commission bancaire.
Acte est donné du dépôt de ces rapports.
Ces documents seront transmis à la commission des finances et seront disponibles au bureau de la distribution.
5
Démission de membres de commissions et candidatures
M. le président. J’ai reçu avis de la démission :
- de M. Simon Loueckhote comme membre de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale ;
- et de M. Christophe-André Frassa comme membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Le groupe intéressé a fait connaître à la Présidence le nom des candidats proposés en remplacement.
Ces candidatures vont être affichées et leur nomination aura lieu conformément à l’article 8 du Règlement.
6
Protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet
Discussion d'un projet de loi en procédure accélérée
(Texte de la commission)
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet (nos 498, 511 et 512).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre d’État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Monsieur le président, monsieur le président de la commission de la culture, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la loi du 12 juin 2009, dite loi « HADOPI », destinée à protéger la création littéraire et artistique contre le pillage sur internet, a été adoptée par les deux assemblées au terme d’un débat approfondi. Il n’est donc pas question de revenir sur le vote des assemblées ni sur les dispositions de fond validées par le Conseil constitutionnel.
En revanche, en ce qui concerne les modalités d’application, la décision du Conseil constitutionnel du 10 juin 2009, qui a censuré certaines dispositions, nous conduit aujourd’hui à compléter le texte adopté. C’est l’objet du projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique soumis aujourd’hui à votre examen.
Par ce texte, le droit de propriété intellectuelle et artistique est réaffirmé. Pour répondre aux exigences posées par le Conseil constitutionnel, il permet d’apporter de nouvelles garanties au regard des sanctions prévues par la loi.
Comme l’a reconnu le Conseil constitutionnel dans sa décision du 10 juin 2009, la liberté d’accéder à internet est une composante essentielle de la liberté d’expression et de communication.
Le projet de loi place donc la liberté d’accéder à internet sous la protection du juge judiciaire. Seul le juge pourra suspendre temporairement l’exercice par un abonné de son droit d’accéder au réseau internet en cas de téléchargements illégaux, et ce au terme d’un processus de réponse graduée.
Il s’agit d’établir une sanction juste et proportionnée, strictement et évidemment nécessaire, au sens de l’article viii de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je me félicite du climat de très grande confiance qui a présidé à nos travaux sur ce texte. Il illustre une nouvelle fois l’équilibre voulu par le constituant dans l’élaboration de la loi.
Je salue le travail accompli par la Haute Assemblée, en particulier par son rapporteur, Michel Thiollière. Lors de mon audition, le 1er juillet dernier, j’ai pu constater, avec Frédéric Mitterrand, la grande qualité des travaux qui ont été conduits au sein de la commission de la culture.
Les amendements déposés par la commission ont incontestablement permis de rendre le texte plus clair et plus intelligible. Ce point est essentiel. En effet, si nous voulons que la loi soit comprise, acceptée et donc respectée par nos concitoyens, il est indispensable qu’elle soit claire et que sa rédaction, par le sens de la mesure qui l’inspire, permette d’établir une juste sanction. En rendant plus clairement apparentes les dispositions pénales, on évite les ambiguïtés, parfois sources d’un risque d’arbitraire ou de la crainte de l’arbitraire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’en viens au sens profond de ce projet de loi.
Pour mieux protéger les œuvres contre le « pillage » sur internet, le texte repose non seulement sur la pédagogie, mais aussi sur l’efficacité de la sanction.
La sanction est avant tout pédagogique. C’est la raison pour laquelle deux types de comportement ont été distingués.
Dans la première hypothèse, les auteurs de téléchargements illégaux se rendent coupables du délit de contrefaçon. Il s’agit d’une atteinte intentionnelle à la propriété intellectuelle ou artistique. Dans ce cas de figure, je vous le rappelle, le code de la propriété intellectuelle prévoit une sanction maximale de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende.
La nouvelle peine complémentaire prévue par le texte, qui pourra être prononcée à la place de la peine d’emprisonnement, permettra de suspendre l’accès à internet pour une durée maximale de un an. Cette peine paraît plus adaptée aux cas de téléchargement illégal.
Dans la seconde hypothèse, un abonné à internet laisse une autre personne utiliser sa ligne pour commettre des téléchargements illégaux, faisant ainsi preuve d’une négligence caractérisée. Le Gouvernement fait, dans ce cas, le choix de la responsabilisation, en prévoyant une réponse graduée et progressive.
Première étape, la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet constate des téléchargements illégaux.
Deuxième étape, l’abonné est averti à deux reprises, d’abord par courriel, puis par lettre recommandée. Le Gouvernement est d’ailleurs favorable à ce que celle-ci soit assortie d’un accusé de réception,…
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Il a raison !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. … ce qui permet de garantir que la lettre d’avertissement a bien été reçue par son destinataire.
Troisième étape, si, après ce double avertissement, l’abonné qui laisse commettre des téléchargements illégaux refuse toujours de se conformer à la loi, alors, la réponse pénale intervient.
Je suis convaincue que les deux premières mesures auront un effet dissuasif sur les contrevenants. C’est d’ailleurs bien ce que nous recherchons. Selon moi, la répression pénale aura donc, dans les faits, une dimension tout à fait subsidiaire.
Dans le cas d’un défaut de surveillance, l’abonné commet une contravention de la cinquième classe passible d’une suspension d’internet de un mois.
Conformément aux exigences posées par le Conseil constitutionnel, cette démarche ne fait peser sur l’abonné aucune présomption de culpabilité. Il n’y a donc aucune atteinte à la présomption d’innocence. En effet, il reviendra au parquet, sous le contrôle du juge, de prouver la négligence caractérisée, sur la base de faits objectifs et tangibles.
Le seul fait que des téléchargements illégaux soient commis sur sa ligne ne suffit donc pas à engager la responsabilité d’un abonné : il devra avoir été averti. Il devra également être établi qu’il n’a pas pris des mesures pratiques et concrètes pour mettre un terme à ces téléchargements.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous ai entendus émettre un certain nombre de doutes quant à l’efficacité du dispositif. Certains d’entre vous ont notamment évoqué la possibilité, pour un internaute dont l’abonnement aurait été suspendu, de se réabonner par le truchement de l’un de ses proches.
Soyons lucides : il y aura toujours des personnes pour enfreindre ou contourner la loi. Mais ce n’est pas parce qu’il y a des chauffards que nous n’avons pas besoin de code de la route ! L’existence même des infractions prévues par la loi permettra d’exercer un effet dissuasif sur l’immense majorité de nos concitoyens, qui n’ont pas forcément conscience aujourd’hui de commettre un acte illégal.
Pour garantir l’efficacité du dispositif, le Gouvernement s’est fixé trois objectifs.
Le premier est d’améliorer le travail d’investigation préalable aux poursuites. Pour ce faire, les agents assermentés de la HADOPI auront la possibilité de dresser des procès-verbaux constatant les délits de contrefaçon par internet et la contravention de négligence caractérisée. Ils pourront également recueillir par procès-verbal les déclarations de l’internaute relatives à l’infraction.
Je tiens à le souligner, les pouvoirs confiés aux agents de la HADOPI seront strictement limités aux constatations. Leurs procès-verbaux constitueront des éléments de preuve parmi d’autres, à charge ou à décharge.
Ces agents agiront sous le contrôle complet de l’autorité judiciaire, conformément à la demande du Conseil constitutionnel. Le parquet, une fois saisi, sera libre d’apprécier les éléments fournis et de poursuivre ou d’approfondir l’enquête.
Il n’y a donc pas d’exercice abusif des pouvoirs de police judiciaire par les agents de la HADOPI, ce qui répond aux préoccupations du Conseil constitutionnel et ôte tout fondement à la crainte d’une censure.
Le deuxième objectif du projet de loi est de simplifier le traitement judiciaire de la procédure.
Les atteintes aux droits d’auteur sur internet étant fort répandues, elles doivent faire l’objet d’une procédure adaptée et simplifiée, celle de l’ordonnance pénale, qui relèvera de la compétence du juge unique. Cette réactivité de la réponse contribuera également à la pédagogie du dispositif.
Je vous rappelle que la procédure de l’ordonnance pénale, fréquente en droit pénal français, respecte les droits de la défense et le principe du contradictoire, règles procédurales protégées par les principes fondamentaux du droit et la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
En l’espèce, le texte veille au respect du droit de toutes les parties.
Premièrement, la procédure n’est pas obligatoire. Il suffit que les parties manifestent leur opposition pour que l’affaire soit jugée de manière classique devant le juge, en audience publique.
Deuxièmement, la procédure est exclue si les ayants droit veulent se constituer parties civiles. Dans ce cas, on revient à la procédure classique.
Troisièmement, même si l’ordonnance pénale est prononcée, les parties civiles pourront se présenter devant le juge civil pour réclamer des dommages et intérêts.
Enfin, quatrièmement, le recours à cette procédure ne sera pas systématique. Dans les cas les plus graves d’atteintes à la propriété – par exemple, en cas de téléchargements massifs -, les poursuites auront lieu directement devant le tribunal correctionnel.
Il s’agit donc de répondre d’une façon rapide et adaptée aux cas les plus banals, au moyen d’une sanction pédagogique.
Le moment venu, j’adresserai une instruction en ce sens aux procureurs, mais, étant donné que je réunis les procureurs généraux le 20 juillet prochain, j’en profiterai pour les sensibiliser d’ores et déjà à cette question.
Le troisième objectif de ce projet de loi est de garantir l’effectivité de la suspension, car il n’y a rien de pire que des sanctions qui ne peuvent pas être mises en œuvre.
C’est la raison pour laquelle le fournisseur d’accès à internet, ou FAI, sera impliqué ; il sera avisé par la HADOPI de la mesure judiciaire de suspension qui aura été prise et pourra ainsi suspendre l’abonnement pour la durée qui aura été déterminée par le juge.
Pendant ce laps de temps, l’abonné n’aura pas le droit de se réabonner auprès d’un autre fournisseur, la violation de cette interdiction constituant alors un délit.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte que j’ai aujourd’hui l’honneur, avec Frédéric Mitterrand, de vous soumettre, est équilibré.
Il est cohérent par rapport aux finalités de la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, dite loi HADOPI, votée par le Parlement.
Il est pragmatique, car il prévoit des sanctions adaptées à la réalité du téléchargement illégal, en privilégiant la prévention et la dissuasion par rapport à la répression.
Il renforce les libertés et la protection des personnes : tout d’abord, la liberté des créateurs et des artistes ; ensuite, la liberté d’expression des internautes, rappelée par le Conseil constitutionnel ; enfin, les libertés fondamentales du citoyen, garanties par l’autorité judiciaire, gardienne des libertés individuelles et collectives. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Thiollière, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment où nous nous retrouvons pour évoquer, une nouvelle fois, le problème de la création sur internet, je ne crois pas inutile de rappeler les raisons qui ont présidé à l’élaboration de ce texte et celles qui me conduisent à penser que nous sommes engagés dans un processus législatif d’envergure.
Il me semble tout d’abord nécessaire de souligner que nous sommes tous porteurs d’une tradition française qui se traduit, et depuis de nombreuses décennies, par un attachement viscéral aux valeurs de la création, et donc au droit d’auteur.
Nous sommes également attachés à la diversité culturelle, une autre exigence française.
Dans le monde globalisé d’aujourd’hui, nous devons également soutenir l’économie de la création. Sans vouloir alourdir le débat par un excès de chiffres, je voudrais rappeler qu’aujourd’hui, pour un titre musical téléchargé légalement, quatorze sont téléchargés illégalement. Quant au chiffre d’affaires des éditeurs de musique, il a diminué de 53 % en cinq ans.
Alors, si double peine il y a, puisque l’expression a été utilisée à propos de ce texte, elle frappe surtout la filière de la création, qui subit à la fois la crise économique et le piratage. Nous devons donc nous efforcer de trouver des solutions susceptibles de remédier à une telle situation.
Le constat étant posé, et très largement partagé, pourquoi est-ce si difficile d’agir ?
Tout d’abord, le consommateur comme l’artiste se défient en permanence de tout ce qui peut apparaître comme contraignant. Or internet donne précisément l’illusion inverse, celle de la liberté et de la gratuité.
Ensuite, la technologie contribue à faire évoluer en permanence les usages. Ainsi, de nouvelles pratiques s’installent qui, même si elles constituent une autre forme de « vivre ensemble » sur la toile, se jouent des codes républicains auxquels nous sommes attachés.
Il faut bien reconnaître aussi que le temps de l’action publique est démesurément long dans notre pays. À cet égard, nous ne pouvons que déplorer le délai qui s’est écoulé entre l’adoption de ce texte en première lecture par le Sénat, le 30 octobre 2008, et son examen par l'Assemblée nationale. Selon moi, c’est autant de temps perdu, et cela nuit aussi bien à la bonne compréhension de nos intentions qu’à l’effectivité de la législation que nous sommes en train d’élaborer.
Mais ce constat ne saurait pour autant nous inciter à renoncer.
Même si le Conseil constitutionnel a invalidé une partie du texte que nous avions voté, il faut aussi reconnaître, comme vous l’avez fait, madame le garde des sceaux, qu’il a consolidé la partie pédagogique de la loi, et n’a nullement remis en question le processus que nous avons élaboré aux côtés du Gouvernement.
Puisque l’on parle de pédagogie, il n’est pas inutile de rappeler le contenu de la décision.
Le Conseil constitutionnel a validé l’ensemble des avancées prévues en faveur du développement et du renforcement de l’offre légale d’œuvres culturelles. Le Sénat avait d’ailleurs contribué à enrichir de façon substantielle ce volet en première lecture, à l’automne dernier.
Le Conseil a également validé le dispositif pédagogique et préventif de lutte contre le piratage de masse confié à la HADOPI, dont le nom nous est désormais familier, en considérant, notamment, qu’il ne méconnaissait pas les exigences constitutionnelles liées au respect de la vie privée, parce qu’il était fondé sur les signalements des actes de téléchargement illégal réalisés par les agents assermentés des sociétés d’ayants droit. S’il était encore besoin de le rappeler, ce texte n’organise en rien une « surveillance généralisée » des réseaux numériques, contrairement à ce que d’aucuns ont pu dénoncer ou regretter. Ainsi, sur la base de ces signalements, la HADOPI pourra adresser des messages d’avertissement aux internautes contrevenants.
Qu’a donc censuré le Conseil constitutionnel ? Vous l’avez rappelé, madame le garde des sceaux : le « volet sanction » de la loi, qui prévoyait notamment la possibilité pour la HADOPI, en cas de récidive de l’internaute, de suspendre son accès à internet pour une durée allant de deux mois à un an. Le Conseil constitutionnel a considéré qu’une autorité administrative comme la HADOPI, en dépit des garanties entourant sa composition et son fonctionnement, ne pouvait prononcer une sanction de cette nature, estimant qu’« en l’état actuel », le droit à la liberté d’expression et de communication « implique » la liberté d’accès à internet, compte tenu notamment de son « développement généralisé ». En conséquence, seule une juridiction peut être habilitée à prononcer une sanction de cette nature.
Dans son commentaire de cette décision, le Conseil constitutionnel souligne que cette interprétation ne revient pas pour autant à affirmer que l’accès à internet est un droit fondamental. Il estime en effet qu’« affirmer la liberté d’accéder à internet ne revient pas à garantir à chacun un droit de caractère général et absolu d’y être connecté ».
Par ailleurs, le Conseil a validé le principe d’une obligation de surveillance de l’accès à internet par l’abonné, laquelle sert de fondement au mécanisme d’avertissement. Il a toutefois considéré que le dispositif prévu introduisait une présomption de culpabilité à l’encontre du titulaire de l’accès à internet, notamment parce que ce dernier devait apporter la preuve de l’utilisation frauduleuse de son accès par un tiers pour échapper à une sanction.
Au final, la HADOPI pourra donc continuer à adresser des messages d’avertissement aux abonnés, mais cette action préventive ne pourra plus déboucher, compte tenu des dispositions censurées par le Conseil constitutionnel, sur une sanction, laquelle avait l’avantage de conférer au dispositif un caractère dissuasif et pédagogique.
Les seules sanctions possibles sont donc celles encourues sur le fondement du délit de contrefaçon, à savoir, comme vous l’avez rappelé, madame le garde des sceaux, des peines maximales de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende. Nous avions relevé, lors des débats sur le projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, le caractère manifestement disproportionné de cette sanction pénale, qui nous semblait inadaptée et inefficace pour prévenir le « piratage de masse ».
Entre, d’une part, les conclusions du Conseil constitutionnel et, d’autre part, l’action préventive de la HADOPI, qui s’ajoute à la voie pénale existante, on voit bien qu’il faut trouver une articulation, une sorte de nouveau maillon dans la chaîne allant de la prévention jusqu’à, éventuellement, la répression.
Comment donc articuler au mieux l’action préventive et d’éventuelles sanctions adaptées, et ce dans le respect renforcé des droits de la défense et de la proportionnalité de la peine ?
C’est inspirée par cette question que la commission a travaillé, et je voudrais très sincèrement remercier son président, Jacques Legendre, ses membres ainsi que vous-mêmes, madame le garde des sceaux, monsieur le ministre, qui avez été particulièrement à l’écoute durant nos travaux.
La commission a souhaité améliorer le projet de loi initial sur quatre points, pour garantir la lisibilité et l’intelligibilité de la loi, renforcer son caractère pédagogique et dissuasif, mieux garantir le respect des libertés publiques et des principes constitutionnels et, enfin, permettre aux ayants droit de faire valoir le cas échéant leurs droits auprès des autorités judiciaires.
En premier lieu, donc, la commission a cherché à améliorer la lisibilité et l’intelligibilité du texte, en en renforçant la cohérence et, par différentes dispositions de coordination, son articulation avec la loi, aujourd'hui promulguée, favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet du 12 juin 2009.
À l’article 3 bis nouveau, elle a clarifié le dispositif prévu par le dernier alinéa de l’article 3 du projet de loi initial, qui concerne le « piratage de masse ».
Rappelons que cet alinéa tend à conférer un fondement législatif à la création, par décret, d’une sanction contraventionnelle visant le titulaire d’un abonnement à internet qui, sans être lui-même contrefacteur, aura néanmoins fait preuve d’une négligence caractérisée dans le contrôle de son accès à internet. Contrairement à ce que nous avons parfois pu lire ou entendre, la commission n’a pas créé cette nouvelle sanction, mais a complété et clarifié le dispositif proposé.
L’article 3 bis du texte que nous avons adopté à cette fin rend donc la loi beaucoup plus compréhensible par tout un chacun, ce qui est fondamental pour un texte qui se veut pédagogique.
Tout d’abord, la commission a prévu que ce dispositif fera l’objet d’un article spécifique du code de la propriété intellectuelle, afin de distinguer clairement le délit de contrefaçon de la contravention pour négligence caractérisée visant le titulaire de l’abonnement à internet.
Ensuite, la commission a mieux caractérisé l’infraction, sachant qu’il appartiendra bien entendu au pouvoir réglementaire d’apporter les précisions nécessaires. Le fondement de l’amende de la cinquième classe, qui pourra, si le juge en décide ainsi, être assortie d’une suspension de l’accès à internet d’une durée maximale de un mois, repose sur la négligence caractérisée du titulaire de l’accès à un service de communication au public en ligne ou de communications électroniques préalablement averti au moyen d’une lettre recommandée, ou d’un autre moyen équivalent, par la commission de protection des droits de la HADOPI.
Certains s’interrogent sur le respect de la présomption d’innocence. Je crois que nous pouvons les rassurer sur ce point : les dispositions censurées par le Conseil constitutionnel dans sa récente décision, en ce qu’elles opéraient un « renversement de la charge de la preuve », étaient d’une nature différente ; dans le cas présent, l’abonné est présumé innocent et il reviendra au juge de rassembler des éléments de preuve caractérisant sa négligence.
La commission propose, en outre, que la sanction encourue en cas de réabonnement par la personne condamnée dans le cadre contraventionnel soit moins sévère que lorsque le non-respect de cette interdiction est réalisé dans le cadre d’une sanction pour délit de contrefaçon.
Ainsi, dans le premier cas, la sanction serait une peine d’amende de 3 750 euros, et non une peine de prison, comme cela résultait de l’article 4 du projet de loi initial. En effet, ce dernier renvoie à l’article 434–41 du code pénal, qui punit de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende la violation, par une personne condamnée par le juge, d’obligations ou d’interdictions résultant de certaines peines.
Enfin, toujours dans un but de lisibilité du droit, la commission a procédé à une renumérotation du code de la propriété intellectuelle, rendue nécessaire à la suite de l’invalidation par le Conseil constitutionnel d’une partie du texte de la loi « Création et internet » votée par le Parlement.
La commission a également souhaité renforcer le caractère pédagogique et dissuasif du dispositif de lutte contre le piratage. À cette fin, elle a prévu, à l’article 1er ter, de renforcer l’information des abonnés sur les sanctions encourues en vertu du présent projet de loi, à la fois dans les contrats passés avec les fournisseurs d’accès à internet et au stade des avertissements envoyés par la HADOPI.
À l’article 3, elle a aligné le montant de l’amende encourue par le fournisseur d’accès à internet qui ne mettrait pas en œuvre la peine de suspension à lui notifiée sur le montant qui avait été voté par le Parlement dans le texte « Création et internet », soit 5 000 euros au maximum, au lieu des 3 750 euros prévus dans le présent projet de loi.
Toujours à l’article 3, elle a prévu que la sanction de suspension de l’accès à internet, lorsqu’elle est prononcée dans le cadre de l’infraction contraventionnelle de négligence caractérisée, ne figurera pas au bulletin n° 3 du casier judiciaire. L’objectif est que le caractère pédagogique et dissuasif du nouveau dispositif proposé, avec la création d’une sanction de suspension d’accès à internet, n’emporte pas de conséquences fâcheuses pour les personnes en recherche d’emploi ou souhaitant se présenter à un concours administratif. Cela se comprend d’autant plus pour les plus jeunes de nos concitoyens.
Par ailleurs, la commission a souhaité mieux garantir le respect des libertés publiques et des principes constitutionnels. Elle a adopté un article 1er quater visant à garantir que la Haute autorité ne conservera pas les données à caractère personnel relatives à l’abonné plus longtemps que la procédure ne l’exige. Le fournisseur d’accès devra informer la HADOPI du début et de la fin de la suspension. À l’issue de la période de suspension fixée par le juge, la Haute autorité devra procéder à l’effacement des données à caractère personnel.
Cette disposition a aussi pour avantage de permettre le contrôle du respect de son obligation de suspension par le fournisseur d’accès à internet.
À l’article 3, la commission a également précisé le délai dans lequel le FAI doit mettre en œuvre la suspension, afin d’encadrer l’appréciation du juge et de respecter ainsi pleinement le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines. Un délai de quinze jours semble suffisant aux fournisseurs d’accès pour procéder à la suspension de l’accès à internet.
Enfin, la commission a souhaité permettre aux ayants droit de faire valoir leurs droits auprès des autorités judiciaires ; à cette fin, elle a adopté un article 1er quinquies.
En effet, les représentants des ayants droit ont exprimé certaines préoccupations. Ils craignent notamment de ne plus pouvoir se constituer parties civiles et solliciter des dommages et intérêts auprès du juge, à partir du moment où les autorités judiciaires, une fois saisies par la Haute autorité, pourraient recourir à la procédure accélérée de l’ordonnance pénale.
Rappelons que les ayants droit peuvent toujours saisir directement le juge pénal, le recours à la HADOPI ne leur étant bien entendu pas imposé. Tel ne devrait pas être le cas, néanmoins, en cas de « petit piratage de masse ».
Aussi, afin de répondre à leur souhait légitime, la commission a prévu que la Haute autorité puisse informer les représentants des ayants droit sur les éventuelles saisines de l’autorité judiciaire.
Ainsi, ceux-ci pourront décider s’ils souhaitent ou non se constituer parties civiles et, le cas échéant, se signaler auprès du procureur de la République. Il serait ainsi fait obstacle à la procédure de l’ordonnance pénale, au bénéfice d’une procédure classique. Les ayants droit doivent, en effet, pouvoir intervenir au cours de la procédure si la gravité des faits leur semble le justifier et s’ils souhaitent demander des dommages et intérêts, compte tenu du préjudice subi.
Au total, nous avons tout fait pour que la pédagogie soit encore renforcée. Nous avons travaillé pour concilier les droits des créateurs et des internautes. Nous avons aussi voulu une information plus approfondie de chacun d’entre eux et des abonnés.
Maintenant, il est légitime de se poser la question de savoir si la loi résoudra tous les problèmes.
Nous sommes français et, en tant que tels, nous adorons légiférer, mais, disons-le clairement, si la loi est en l’occurrence nécessaire, elle est loin d’être suffisante.
À travers ce projet de loi, qui entrera progressivement en application, nous adressons un signal très fort : arrêtons de détruire l’une de nos richesses nationales ! Dans le même temps, il faut envoyer un autre signal fort : accéder légalement aux œuvres doit être simple et bon marché.
Tous ceux qui ont signé les accords de l’Élysée, voilà près de vingt mois maintenant, nous ont dit : « Donnez-nous une loi et nous ferons les efforts qui conviennent ! »
Nous y sommes ! Il faut maintenant faire émerger une offre légale de biens culturels à un niveau à la fois économiquement raisonnable pour nos concitoyens et suffisamment rémunérateur pour les auteurs et artistes.
La commission a adopté une position équilibrée et on ne peut plus logique : elle a insisté tout autant sur la nécessité de payer un juste prix pour la « consommation » de biens culturels que sur l’obligation, pour l’industrie culturelle, d’améliorer l’offre légale disponible en ligne.
Il faut reconnaître que des efforts ont été faits, mais ils sont encore trop peu visibles, parce que le piratage de masse écrase tout.
Cela étant, des offres nouvelles existent. Il faut donc très vite qu’un nouveau modèle économique s’impose. À la fois pour favoriser l’émergence de nouveaux talents et pour renouveler les biens culturels, on doit pouvoir aller sur internet autant et aussi souvent qu’on le voudra pour puiser à leur source les œuvres culturelles.
Nous avons aussi le devoir de satisfaire un besoin de consommation culturelle croissant chez nos concitoyens. Chaque jour, en moyenne, les Français écoutent de la musique pendant cinquante-quatre minutes et regardent la télévision pendant plus de trois heures. C’est dire si nos concitoyens sont avides de consommation de musique et de tout ce qui peut apparaître sur nos écrans !
Il n’en demeure pas moins que les offres en ligne sont encore insuffisantes et trop peu visibles. Des efforts sont indispensables si l’on veut que l’effet de bascule joue à plein : il faut freiner le piratage pour accélérer le téléchargement légal.
C’est à ces conditions-là que nous pourrons évoluer vers des pratiques nouvelles qui, au lieu de tarir la création à la source, lui permettront de se renforcer.
Tel est l’enjeu des mois qui viennent.
À ceux qui considèrent que ces débats ont trop duré, je réponds qu’une cause noble comme celle que nous défendons peut exiger de remettre l’ouvrage sur le métier autant de fois que nécessaire.
Au moins depuis Beaumarchais, cette cause intéresse non seulement le législateur, mais encore le pays tout entier.
À d’autres qui observent et se demandent, assez goguenards, à quoi tout cela sert, je réponds qu’il faut bien prendre en compte cette double nécessité de garantir l’accès de tous à internet et le respect de la création. Ce n’est pas l’un ou l’autre ; ce sont bien l’un et l’autre !
À défaut, autant renoncer tout de suite à notre combat pour la diversité culturelle et pour une économie française de la création !
Mais, comme je n’entends pas renoncer - heureusement ! - et comme je ne vois aucune autre solution que celle que nous propose le Gouvernement, je suis confiant dans la sagesse, mais aussi et surtout dans la volonté sans cesse affirmée du Sénat de promouvoir une culture adaptée à notre temps.
C’est pourquoi la commission de la culture, de l’éducation et de la communication vous propose, mes chers collègues, d’adopter ce projet de loi tel qu’elle l’a modifié. (Applaudissements sur les travées de l’UMP ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Serge Lagauche.
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, madame le ministre d’État, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 10 juin 2009, le Conseil constitutionnel censurait, aux articles 5 et 11 de la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, toutes les dispositions relatives au pouvoir de sanction de la commission de protection des droits de la HADOPI.
La loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, promulguée le 12 juin 2009, a donc été amputée de son volet répressif. Seule la phase d’avertissement par l’envoi de courriels suivis d’une lettre recommandée avec accusé de réception a été validée. En raison de son caractère pédagogique, il s’agit d’une phase importante permettant de sensibiliser les internautes aux conséquences néfastes du piratage pour la création artistique.
Tel qu’il avait été imaginé par M. Olivennes et les quarante-six signataires des accords de l’Élysée, conclus le 23 novembre 2007, le dispositif de la riposte graduée s’appuyait sur l’effet dissuasif que devait produire, auprès des titulaires de l’abonnement à internet, la possible coupure temporaire de l’accès aux services de communication en ligne.
L’efficacité des messages d’avertissement préalables reposait donc sur l’effectivité de la suspension temporaire de l’abonnement à internet pouvant être prononcée par la HADOPI.
La censure du Conseil constitutionnel et la décapitation de la riposte graduée ouvraient deux issues possibles au Gouvernement : soit il décidait de prendre le temps de la réflexion et de la concertation en lançant un grand débat national afin de dégager les pistes d’un nouveau modèle économique pour la diffusion culturelle via internet ; soit il suivait à la lettre les recommandations du Conseil constitutionnel en confiant à l’autorité judiciaire les pouvoirs de sanction.
Lors de son discours à Versailles, le Président de la République a voulu « aller jusqu’au bout », selon son expression. C’est donc cette dernière solution qui a été choisie, laquelle nous semble être plutôt du ressort de la commission des lois, ce qui ne nous empêche pas de rappeler notre avis sur l’ensemble du texte.
Des habitudes très néfastes pour la création ont été prises depuis une dizaine d’années et les jeunes internautes, principalement, n’ont plus l’impression de porter atteinte aux auteurs en piratant des fichiers numériques.
Les industries culturelles ont mis un temps coupable à mettre en place des offres légales attractives. Elles sont aujourd’hui plongées dans un marasme économique dangereux pour l’avenir de la création française. C’est pourquoi un grand débat national sur ces questions pourrait être l’occasion de sensibiliser et de responsabiliser les internautes, en particulier les plus jeunes.
Il y a là une possibilité d’action pédagogique à grande échelle en rapprochant les internautes des auteurs et des créateurs.
Pour satisfaire aux exigences du Conseil constitutionnel, le projet de loi « pénalise » la procédure de suspension d’abonnement à internet et substitue le pouvoir judiciaire à la HADOPI pour prononcer cette sanction, qui devient peine complémentaire à la peine de prison et d’amende encourue par ceux qui commettent le délit de contrefaçon prévu par le code de la propriété intellectuelle.
Avec ce texte, on se retrouve dans une situation pour ainsi dire de statu quo s’agissant du traitement pénal de la sanction encourue pour le téléchargement illégal, l’édition ou la mise à disposition illégales d’œuvres protégées par le droit d’auteur. C’est le retour du délit de contrefaçon.
Les deux seules innovations résident, d’une part, dans la possibilité pour le juge judiciaire d’accompagner sa sanction d’une éventuelle suspension de l’abonnement à internet, et, d’autre part, dans la mise en place de la procédure simplifiée - juge unique et ordonnance pénale - pour traiter plus rapidement ces contentieux.
Il semblerait toutefois que le choix de la procédure simplifiée du juge unique et de l’ordonnance pénale fasse l’objet de controverses quant à la constitutionnalité du dispositif.
La procédure que vous avez choisie, madame le ministre d’État, pourrait peut-être porter atteinte au principe de la séparation des pouvoirs.
Par ailleurs, la peine « millefeuille » – amende de 300 000 euros, peine de trois ans de prison et suspension de l’abonnement à internet – pourrait ne pas être proportionnée.
L’article 3, récrit intégralement par le rapporteur, Michel Thiollière, en raison de son imprécision, dispose que le pouvoir réglementaire peut prévoir une contravention de 1 500 euros majorée d’une suspension de l’accès à internet pendant un mois.
Cette contravention serait fondée sur la négligence du titulaire de l’abonnement à internet, titulaire qui, par son défaut de surveillance, aurait laissé un tiers télécharger ou mettre à disposition de manière illicite des œuvres protégées par le droit d’auteur. Ce dispositif pourrait constituer une présomption de culpabilité.
Au-delà des risques, ne perdons pas de vue l’objet de ce texte, objectif que nous approuvons, au demeurant.
Il faut donner de la cohérence à l’ensemble du dispositif de la riposte graduée pour protéger les auteurs contre le piratage de leurs œuvres. Les messages d’avertissement adressés par la HADOPI ne seront efficaces et dissuasifs que si la phase judiciaire est effective et réelle.
Le risque est grand que la HADOPI ne se transforme en machine à envoyer des courriels dont peu d’internautes tiendront compte. Or les juridictions risquent d’être encombrées et les délais de traitement des dossiers, faute de moyens suffisants, pourraient se révéler très longs.
Si ce scénario doit se réaliser, le bouche à oreille sera immédiat et la HADOPI aura vécu. Leurs destinataires traiteront ses messages d’avertissement par l’indifférence et rien n’aura avancé. Les créateurs seront toujours en danger et le « petit piratage de masse » continuera sa progression. C’est pourquoi il est nécessaire qu’il y ait suffisamment de moyens humains, ce qui est loin d’être évident, compte tenu de la révision générale des politiques publiques.
Nous sommes d’autant plus inquiets que l’offre légale est très loin d’être arrivée à maturité et que les efforts des professionnels restent lents et insuffisants.
Le prix des titres musicaux à l’unité, qu’il est possible de télécharger légalement sur son baladeur numérique, son ordinateur ou son téléphone mobile, est encore beaucoup trop élevé : un euro par titre, quand les éditeurs font des économies considérables, en comparaison de ce que coûte l’édition physique de musique, c’est beaucoup trop onéreux !
Certes, des efforts ont été faits pour supprimer les fameux DRM, mais que ce fut long et difficile ! Que de temps perdu devant le Parlement pour voter la loi du 1er août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, dite loi DADVSI, donnant une base légale aux DRM, et finalement obsolète avant même d’avoir été votée !
La vente de musique numérique représentait un chiffre d’affaires de 50,8 millions d’euros en 2008, soit une augmentation de 16,6 % par rapport à l’année précédente. Elle reste cependant marginale au regard du chiffre d’affaires global de l’industrie phonographique, qui s’élève à 713 millions d’euros.
L’offre légale de cinéma en ligne connaît une progression comparable et le marché de la vidéo à la demande est en forte croissance, avec des catalogues de plus en plus étoffés. Cependant, si 67 % des internautes déclarent connaître ce service, ils ne sont que 9 % à y recourir.
Nous partageons tout à fait l’état d’esprit de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, la SACD, qui regrette que les termes de l’accord interprofessionnel sur le réaménagement de la chronologie des médias, signé le 6 juillet dernier, ne permettent pas aux offres légales de constituer des alternatives suffisamment crédibles aux téléchargements illicites. Il aurait fallu s’inspirer de la philosophie de l’accord signé le 15 septembre 2008 entre le site de partage de vidéos Dailymotion et trois sociétés d’auteurs.
Que ce soit pour le cinéma ou pour la musique, l’offre légale numérique n’a donc pas encore rencontré la demande.
Cet aspect est fondamental. Nous considérons que l’immobilisme des industries culturelles est le principal facteur du développement du piratage, qui ne sera réellement devenu obsolète et inutile que lorsque les offres légales seront suffisamment attractives.
Comme je l’indiquais à titre liminaire, il aurait fallu faire une pause, lancer un débat national sur ces questions, sensibiliser les internautes et les industriels aux difficultés rencontrées par les uns et les autres avec, en toile de fond, la défense des auteurs et de la création.
Tout cela explique notre scepticisme sur l’efficacité de ce texte pour protéger la création et nos auteurs.
Nous avions accepté de voter le projet de loi « Création et internet » en urgence lorsqu’il nous avait été présenté en première lecture, le 30 octobre 2008. Nous estimions alors qu’il était de notre responsabilité de manifester notre soutien aux auteurs, aux créateurs, aux artistes, aux industries culturelles de toutes natures, les grandes et celles qui évoluent de manière plus indépendante.
Placés sous la contrainte de l’urgence, nous avions, le 9 avril 2009, lors de l’examen par le Sénat des conclusions de la commission mixte paritaire, dénoncé l’état d’improvisation et les lacunes du texte de Mme Albanel pour favoriser l’émergence d’une offre légale attractive. Nous nous étions alors abstenus, afin de témoigner notre soutien indéfectible aux auteurs.
Avant-dernier rebondissement de cette histoire parlementaire peu commune, le rejet par l’Assemblée nationale des conclusions de la commission mixte paritaire nous avait conduits, le 13 mai 2009, à une nouvelle lecture de ce texte sur lequel nous avions déjà tout dit. Nous avions alors refusé de jouer le second rôle de supplétif d’une majorité parlementaire défaillante et avions décidé de ne pas participer au vote.
Le texte que vous nous présentez ici pour pallier les vides juridiques résultant de la censure du Conseil constitutionnel montre la difficulté de mettre en œuvre les accords de l’Élysée.
Presque trois années auront été nécessaires depuis le vote de la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information du 1er août 2006, et tout cela pour mettre en place une procédure simplifiée dont la constitutionnalité est sujette à réserve.
Le piratage, lui, n’a pas attendu que le Gouvernement veuille bien se départir de son amateurisme, et ce alors même que la défense du droit pour les auteurs de vivre de leurs œuvres était annoncée comme une priorité par le chef de l’État. Le piratage s’est développé avec une telle ampleur que les auteurs sont aujourd’hui menacés dans leur subsistance.
Aucune réflexion alternative n’a été développée ni même initiée par les pouvoirs publics afin de rechercher des solutions innovantes pour adapter l’économie de la diffusion culturelle sur internet.
Ce texte porte la marque de l’entêtement, de la volonté d’aller « jusqu’au bout », alors qu’il aurait été nécessaire de prendre le temps de la concertation devant les difficultés rencontrées.
Le groupe socialiste du Sénat espère bien entendu que la conjugaison de la phase d’avertissement et de la phase judiciaire permettra d’améliorer la lutte contre le piratage.
Cependant, nous redoutons que l’efficacité attendue d’un dispositif destiné à réduire le piratage des œuvres ne soit pas suffisante pour faire basculer les internautes vers les offres légales. Des efforts restent à faire pour améliorer l’attractivité de ces offres.
Nous considérons qu’il faut repenser l’économie de la diffusion culturelle sur internet afin de dégager de nouvelles sources de revenus pour les auteurs, sans pour autant travestir le principe du droit d’auteur.
Il faut rechercher avec les auteurs et les internautes un système de régulation et de soutien à l’ensemble de la création sur internet, permettant le respect du droit d’auteur tout en favorisant la diffusion culturelle pour le plus grand nombre.
Monsieur le ministre, vous avez annoncé, mercredi 1er juillet, en commission comme devant nos collègues de l’Assemblée nationale, une concertation future sur la rémunération des créateurs par le biais des réseaux numériques. Vous connaissez la difficulté de la tâche et nous ne pouvons que vous soutenir dans votre volonté de dialogue. Il vous faudra beaucoup de temps et d’opiniâtreté, mais nous savons que vous en avez.
Cette consultation devra être l’occasion de rappeler à nos concitoyens que la gratuité n’existe pas.
L’accès légal à l’information ou à une œuvre, que ce soit par la voie du téléchargement à l’acte, de l’abonnement ou du streaming, est toujours payant, quel que soit le support de diffusion.
Les catalogues de musique mis en ligne sur les plateformes légales d’écoute comme Deezer proposent aux internautes un accès qui peut, certes, sembler gratuit, mais ces sites sont financés par les recettes publicitaires versées par les annonceurs, lesquels répercutent bien entendu l’achat des espaces publicitaires sur le prix des services ou des produits qu’ils proposent au consommateur. Il en est de même pour la presse dite « gratuite ».
Non seulement la gratuité est un leurre, mais aussi elle recèle deux risques majeurs.
D’une part, elle formate les supports d’information et de lecture en réduisant les informations à leur plus simple expression. C’est le cas des journaux gratuits, avec tous les risques de collusion qui peuvent exister entre les intérêts des annonceurs et la nature des informations ou des œuvres qui y sont proposées.
D’autre part, elle repose sur un modèle économique peu fiable, car exclusivement lié au montant des recettes publicitaires. La crise économique majeure que nous traversons n’est pas sans conséquences sur les supports s’appuyant sur ce modèle de pseudo-gratuité.
La chute des investissements publicitaires est vertigineuse et de nombreux journaux gratuits sont contraints à des plans de licenciement drastiques.
Il faudra donc marteler, lors de cette concertation, que, contrairement aux idées reçues, la culture n’est pas seulement une activité artistique faite d’altruisme et de don de soi. Elle est aussi une industrie qui nécessite de puissantes capacités d’investissement.
Le cinéma français a réussi à maintenir sa vitalité grâce à son formidable système de mutualisation des recettes dégagées par les films tout le long des différentes fenêtres d’exploitation de la chronologie des médias.
La littérature française et le secteur de l’édition ont maintenu leur diversité grâce au prix unique du livre, mais la mise en place du livre numérique, difficile en France, traverse une période dangereuse en raison des obstacles à la mise en œuvre d’une plateforme commune.
Le secteur de l’édition phonographique ne connaît pas de tels systèmes de régulation. Il y a sans doute là une réflexion à mener.
L’enjeu est majeur. Il s’agit ni plus ni moins du maintien de la diversité et de l’exception culturelle française.
Pour l’heure, nous sommes sceptiques quant à l’efficacité du dispositif que vous nous proposez.
Depuis la signature des accords de l’Élysée, le 23 novembre 2007, la démarche gouvernementale n’a pas été très pertinente. Pour votre arrivée, nous ne pouvons que vous souhaiter de parvenir à réunir votre majorité à l’Assemblée nationale afin qu’elle soutienne votre texte.
Pour notre part, nous souhaitons que ce dispositif diminue notoirement le piratage et nous donne le temps de trouver de nouvelles sources de financement de la création des œuvres diffusées sur internet.
Après les achoppements successifs de la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information et de la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, nous laissons au Gouvernement et à sa majorité la responsabilité de ce troisième dispositif.
Trois ans après la loi DADVSI, un an après la présentation en conseil des ministres du projet de loi « Création et internet », les parcours législatifs chaotiques de ces deux textes, examinés l’un et l’autre en urgence et l’un et l’autre sanctionnés par le Conseil constitutionnel, auraient dû vous enseigner la prudence.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Serge Lagauche. Dans un domaine aussi sensible, complexe et fondamental pour l’avenir de la création artistique, l’urgence n’est un gage ni de rapidité ni d’efficacité.
Monsieur le ministre, aujourd'hui c’est vous qui avez accepté une lourde responsabilité, celle de défendre la vie culturelle de notre pays, quelle que soit l’évolution des technologies. Vous dites en avoir le courage, nous souhaitons que vous en ayez aussi les moyens.
Compte tenu des événements qui ont précédé votre prise de fonction, nous ne pouvons approuver ce texte, mais nous resterons vigilants sur l’évolution de la situation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, madame le ministre d’État, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour mener à bien, je l’espère, la dernière étape d’un processus législatif long et pour le moins mouvementé.
Après avoir donné lieu à un événement rare, à savoir le rejet par l’Assemblée nationale des conclusions d’une commission mixte paritaire, le projet de loi « Création et internet » devait finalement être censuré partiellement par le Conseil constitutionnel.
J’avais évoqué, à l’issue de la CMP, les réserves de plusieurs membres de notre groupe sur certains aspects du projet de loi.
J’avais également souligné qu’il nous fallait rester humbles dans le traitement de ce sujet tout à la fois complexe, sensible et très évolutif.
La décision des sages du Palais-Royal n’a pas remis en question ce qui a toujours été pour nous une dimension essentielle du texte, à savoir son volet pédagogique et préventif, dimension qui, il faut bien le reconnaître, faisait défaut dans la loi DADVSI.
La décision des Sages nous permet d’affiner le délicat équilibre à atteindre, respectueux des parties. La loi « Création et internet », promulguée le 12 juin 2009, a marqué l’entrée en vigueur des premières étapes de la « riposte graduée ». Pour le volet répressif, dernier échelon de cette riposte, un nouveau texte était nécessaire afin de tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel.
Le nouveau projet de loi que nous examinons aujourd’hui corrige le principal grief formulé à l’encontre du texte « Création et internet » : la décision de suspension de l’abonnement en cas de téléchargement illégal d’œuvres protégées ne peut être du ressort d’une autorité administrative indépendante et doit nécessairement être prononcée par un magistrat.
Le présent projet de loi vise donc à instaurer une nouvelle procédure. La Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet joue toujours un rôle central puisqu’elle reste chargée de rassembler l’ensemble des éléments qui seront fournis au juge afin qu’il puisse rendre sa décision.
Mais ce sera désormais un juge, et non plus la HADOPI, qui prononcera une coupure de l’abonnement à internet. Cette suspension pourra être décidée pour des durées maximales de un an en cas de délit de contrefaçon et de un mois en cas de manquement à l’obligation de surveillance de l’accès à internet.
L’intervention d’un magistrat de l’ordre judiciaire permettra de renforcer la légitimité de cette décision de suspension et garantira une impartialité et une indépendance supérieures.
La procédure que le projet de loi vise à instaurer devrait certes être rapide, mais nous restons néanmoins quelque peu dubitatifs sur l’applicabilité à long terme du dispositif. Nous redoutons, je le répète, les risques de saturation des tribunaux. Mais peut-être, madame le ministre d’État, avez-vous des précisions à nous apporter à cet égard ?
Ces observations étant faites, j’exprimerai ici deux regrets.
Tout d’abord, le calendrier d’examen de ce projet de loi n’a pas donné à la Haute Assemblée la possibilité matérielle d’organiser des auditions au sein des différents groupes. J’aurais souhaité, par exemple, pouvoir interroger des magistrats ou d’autres praticiens du droit afin de mieux mesurer l’impact de la nouvelle procédure. Nous n’avons que trop peu de temps pour analyser les enjeux de ce texte.
Ensuite, compte tenu de la nature de ce projet de loi, qui est présenté par Mme le garde des sceaux, je déplore que la commission des lois du Sénat n’ait pas été saisie pour avis. Il serait en tout cas logique que la commission de la culture, de l’éducation et de la communication ait un droit de suite sur l’examen de ce texte.
Les débats « passionnés et chaotiques », pour reprendre les termes que M. Michel Thiollière utilise dans son rapport, autour de ce projet de loi et du projet de loi HADOPI, aussi bien au sein des deux assemblées que dans l’opinion publique, ont montré à quel point ces sujets sont sensibles et nous concernent tous.
Notre groupe a toujours montré son attachement à la prévention et à un système mesuré de gradation des sanctions.
Un système de riposte graduée intégrant une suspension de l’accès à internet n’est pas, il faut le rappeler, une exception française. La spécificité française est d’avoir confié à une autorité publique indépendante le soin de mettre en œuvre une politique d’avertissements préalables qui, dans d’autres pays, est assurée par les fournisseurs d’accès à internet dans un cadre purement contractuel.
Dans l’étude d’impact du projet de loi que nous examinons sont d’ailleurs cités plusieurs exemples de pays qui viennent d’adopter des procédures similaires, notamment l’Irlande, la Corée du Sud ou encore Taïwan.
Nous sommes conscients que cette loi, qui s’inscrit dans le prolongement de celle du 12 juin dernier, ne règle pas définitivement la question du téléchargement illégal. Ce dernier sera, nous l’espérons, fortement limité mais pas éradiqué, nous en sommes tous conscients.
La question du piratage numérique en général reste posée. En effet, les technologies évolueront toujours plus vite que le droit. Il faudra sans doute s’adapter et le législateur devra, à la lumière des travaux de la HADOPI, qui est chargée tout à la fois de limiter les mauvaises pratiques et de susciter les bonnes, réfléchir à des améliorations, voire à des évolutions futures.
Il existe déjà des lieux d’observation sur lesquels nous pouvons nous appuyer. Je pense à l’Observatoire de l’offre de la vidéo à la demande, qui a été mis en place en 2005 par le Centre national de la cinématographie, le CNC. Cette initiative innovante permet de contribuer à l’analyse des tendances du marché mais aussi des comportements et à alimenter les échanges entre les professionnels.
Nous devrons encore approfondir le débat, notamment autour de la manière dont les droits de la propriété intellectuelle peuvent être garantis en dépit des évolutions technologiques. Il est nécessaire de réfléchir aussi sur l’économie de la diffusion culturelle, qui est forcément remise en cause par les nouveaux supports.
Il faudra apporter des réponses aux auteurs et à l’ensemble des acteurs du monde culturel si la piraterie devait perdurer, ce que je ne souhaite pas.
Bien entendu, il ne saurait être question de remettre en cause la juste rémunération due aux auteurs et aux créateurs, ni même le financement de la création, mais il conviendra certainement, nous en sommes tous conscients, d’ouvrir de nouvelles pistes et de continuer à explorer celles qui existent déjà.
Cette réflexion pourrait, par exemple, monsieur le président de la commission, prendre la forme d’une table ronde qui réunirait l’ensemble des acteurs culturels et économiques, qui doivent désormais travailler main dans la main avec les parlementaires pour prolonger la réflexion.
On peut regretter le retard qui a été pris dans la mise en place de cette fameuse riposte graduée, quand on connaît l’urgence de trouver une réponse plus adaptée aux artistes et aux créateurs confrontés au développement du téléchargement illégal. Comme l’a rappelé M. le rapporteur, un milliard de fichiers d’œuvres seraient illégalement échangés chaque année en France.
Ce phénomène d’atteinte massive à la propriété intellectuelle et à la création met chaque jour un peu plus en péril les industries culturelles, musicales et cinématographiques.
Contrairement à ce que l’on a pu entendre, il s’agit ici non pas d’enrichir les grandes majors, mais bien plutôt, et surtout, d’enrayer la destruction massive d’emplois qu’entraîne ce phénomène : on estime à près de 5 000 le nombre d’emplois détruits du fait du piratage numérique en 2007 et, au cours des cinq dernières années, on évalue à 30 % la baisse de l’emploi dans les maisons de production, sachant que cela concerne très majoritairement de petites structures, de moins de vingt salariés.
Sur un autre plan, le préjudice pour les comptes de l’État s’élève à près de 200 millions d’euros par an !
Ces chiffres une fois rappelés, il faut, certes, garantir les libertés individuelles, mais on ne peut pas laisser dire que le fait d’encadrer l’utilisation des œuvres est une atteinte aux droits essentiels de l’homme revêtant un caractère liberticide. C’est pourtant la thèse qu’accréditent à tort certains de nos collègues, adoptant une posture que je trouve bien coupable.
Il est donc essentiel que cette loi, qui sera certainement transitoire car elle devra être améliorée, marque une étape importante dans une prise de conscience collective.
Cette prise de conscience doit tout d’abord être celle des internautes. Il est indispensable de leur faire passer un double message clair : la culture a un coût, la gratuité n’existe pas, et les droits de propriété intellectuelle doivent être respectés. Je l’ai dit, à quoi bon multiplier les canaux de diffusion si, à terme, la diversité des contenus disparaît ou, pis, s’il n’y a plus de contenu du tout ?
Une prise de conscience est également nécessaire de la part des créateurs. En effet, ils doivent, eux aussi, être force de proposition et chercher à trouver de nouveaux modèles économiques plus adaptés à l’ère du net. Cette nouvelle loi, sur laquelle ils comptent beaucoup, ne résoudra pas tous les problèmes. Il faut aussi qu’ils se rendent compte des évolutions et qu’ils aient conscience que le phénomène internet n’est pas temporaire ; c’est une réalité durable qu’il faut transformer en atout plutôt que de chercher à la combattre.
Pour finir, je tenais à revenir sur les avancées obtenues grâce à l’adoption en commission de plusieurs amendements de notre rapporteur. Ces amendements visent à renforcer la portée dissuasive et pédagogique du dispositif.
Tout d’abord, le texte prévoit maintenant que les abonnés seront informés des sanctions encourues dans les contrats passés avec leurs fournisseurs d’accès à internet et dans les messages d’avertissement envoyés par la Haute autorité.
Ensuite, la sanction de suspension de l’accès à internet ne sera pas inscrite au casier judiciaire, ce qui est très important. Les condamnations ne seront inscrites qu’au bulletin n° 1 du casier judiciaire, accessible aux seules autorités judiciaires. Elles ne figureront ni dans le bulletin n° 2, accessible aux administrations, ni dans le bulletin n° 3, dont l’intéressé peut demander un extrait pour le communiquer à son employeur.
Introduite par la loi DADVSI de 2006, l’obligation de surveillance de l’accès à internet par l’abonné a été rappelée par la loi du 12 juin 2009. Le manquement à cette obligation sert désormais de fondement juridique au dispositif pédagogique d’avertissement mis en œuvre par la Haute autorité.
Afin de souligner clairement l’indépendance des deux voies administrative – sous l’égide de la Haute autorité – et pénale – avec le délit de contrefaçon –, je me félicite qu’un amendement ait permis de bien préciser que le manquement à cette obligation de surveillance n’aurait pas pour effet d’engager la responsabilité pénale de l’abonné.
Enfin, la Haute autorité devra détruire les données personnelles de l’internaute sanctionné, une fois son accès à internet rétabli.
L’ensemble de ces amendements permet à la fois de renforcer le caractère pédagogique et dissuasif du dispositif, mais aussi de mieux garantir le respect des libertés publiques et des principes constitutionnels.
Avant de conclure, je tiens à saluer le travail de chacun, et plus particulièrement celui qui a été réalisé par M. le rapporteur.
Une majorité des membres du groupe de l’Union centriste votera ce texte. Il ne faut pas perdre de vue que l’enjeu de ce projet de loi est de garantir l’équilibre entre les droits légitimes des auteurs, sans lesquels il ne saurait y avoir de création artistique et culturelle, et les droits des citoyens à l’accès, au partage et à la diffusion de la culture, des savoirs et de l’information que permet ce formidable espace de liberté qu’est internet.
Comme tout espace de vie partagé, internet doit malgré tout respecter un certain nombre de valeurs fondatrices de notre République, qui garantissent le « vivre ensemble », le « bien vivre ensemble », le respect de l’autre ainsi que les droits et devoirs de chacun. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jack Ralite.
M. Jack Ralite. Monsieur le président, madame le ministre d’État, monsieur le ministre, mes chers collègues, « Jamais il ne faut se raidir. Jamais il ne faut se bunkeriser. Jamais il ne faut détester », « L’un des plus grands problèmes de la France, c’est le sectarisme », a déclaré le Président de la République dans un entretien au Nouvel Observateur. Il y demande aussi « pardon » à quelques personnes qu’il avait maltraitées. Il s’engage à avoir de la « retenue », à organiser la « transparence », à refuser « l’hypocrisie ». Il va jusqu’à regretter Le Fouquet’s.
Mais il ne s’excuse pas auprès des jeunes « racailles » à « nettoyer au kärcher » de La Courneuve et d’Argenteuil. (Murmures sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.) Il affirme qu’il va continuer imperturbablement sa politique néolibérale et antisociale.
Avec la décision du Conseil constitutionnel, certains ont espéré que le réexamen de la loi HADOPI allait être l’objet d’un toilettage salutaire. Eh bien, non : le vocabulaire change, mais l’esprit demeure ! Et si Mme le garde des sceaux, héritière du dossier, rend à la justice ce que la loi HADOPI 1 lui avait confisqué, elle y introduit subrepticement « l’ordonnance pénale », celle-là même que le Sénat, lors de la discussion de la loi du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allégement des procédures avait écartée dans un rapport de notre collègue Bernard Saugey.
Écoutons-le : « Votre commission est particulièrement réservée face à cette extension massive du champ de l’ordonnance pénale […]. Il s’agit d’une procédure écrite et non contradictoire basée essentiellement sur les faits établis par l’enquête de police et au cours de laquelle la personne n’est, à aucun moment, entendue par l’institution judiciaire. Si l’ordonnance pénale a montré son utilité dans le traitement de contentieux entièrement simples, telles les infractions au code de la route, elle n’est pas nécessairement adaptée pour des contentieux plus complexes.
« Comme l’ont fait observer les magistrats entendus lors de l’examen de ce texte, étendre le champ d’une procédure rapide et dépourvue de publicité apparaît contradictoire avec la volonté affichée par les pouvoirs publics de renforcer la transparence de l’institution judiciaire. Un recours systématisé à la procédure de l’ordonnance pénale pourrait affecter la qualité de la justice.
« Votre commission s’était déjà, à l’occasion de la loi Perben II, opposée à une extension massive du domaine de l’ordonnance pénale. Elle en a supprimé les dispositions dans l’article 63 de la proposition de loi ».
Or ce retour inadmissible de l’ordonnance pénale « bunkerise » HADOPI 2 et concerne toutes les contrefaçons. En fait de « retenue » présidentielle, il n’y en a aucune dans ce texte, pas plus que dans la loi HADOPI 1, où avait été introduit, in extremis, un cavalier sur le droit d’auteur des journalistes non conforme à l’esprit des États généraux de la presse de l’automne dernier.
Et cela se passe sans consultation de la commission des lois, sans que son président, pourtant interrogé sur ce point par la présidente du groupe CRC-SPG, Nicole Borvo Cohen-Seat, en ait demandé la saisine.
C’est un mépris, une déqualification du travail parlementaire, une démission ! Et, madame le ministre d’État, il n’est pas convenable de m’avoir dit en commission des affaires culturelles, quand j’ai abordé cette question, que c’était faux.
Le ministre de la culture a été plus loin. Sur l’ensemble de mon exposé, il a commenté : « C’est brillant, mais tout faux ». Je connaissais Les Fausses Confidences de Marivaux, La Fausse Maîtresse de Balzac, Les Faux-monnayeurs de Gide, Le Faussaire de Schlöndorff ; je connaissais la « fausse note », le « faux pas » ou « le faux-fuyant » dans un débat, mais, comme le ministre du travail a agi de la même façon avec le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale en lui répondant, le 30 juin, lors des questions d’actualité, « C’est faux ! », avant de passer à son ordre du jour, j’ai l’impression que c’est un nouveau mot de passe du Gouvernement ou bien, avec le remaniement ministériel, l’arrivée d’un personnage digne des Caractères de La Bruyère, un « Monsieur Toufo » qui, entre un faux plafond et un faux plancher, raisonne à plafond bas ! (Rires.)
La Bruyère ajouterait : « Il y a des gens qui parlent un moment avant que d’avoir pensé. »
En tout cas, si je suis « tout faux » – je ne demandais d’ailleurs pas à être « tout bon » (Nouveaux rires.) –, je suis en bonne compagnie, notamment celle du Conseil d’État, dont le journal La Tribune du 30 juin rapporte la vive préoccupation sur HADOPI 2. Ne me rétorquez pas qu’il existe le précédent du code de la route : le Conseil constitutionnel a estimé le 10 juin qu’il n’y a « pas d’équivalence possible entre la situation de l’internaute et de l’automobiliste ».
On me dira : « Tout cela est fait pour ce droit qui vous est si cher, vous qui, depuis tant d’années, combattez fidèlement pour lui, le droit d’auteur ».
Je ne suis pas naïf, et quand, dans Le Nouvel Observateur, le Président déclare : « J’ai compris, mon rôle était de défendre la création et les artistes », je suis stupéfait ! Sa lettre de mission à Mme Albanel, du 1er août 2007, les méfaits de sa RGPP, la « réduction générale des politiques publiques », déstabilisante, voire « volatilisante » pour un ministère qui fête le cinquantième anniversaire de sa création, le rétrécissement du budget de la culture, tout cela milite à l’opposé.
Et ce n’est pas tout !
Sur le droit d’auteur, seuls les actes départagent. Or le Sénat et l’Assemblée nationale avaient voté à l’unanimité, voilà deux ans, une définition des œuvres patrimoniales. Le Gouvernement n’en a jamais assuré la moindre application. Lors de la discussion – déjà en urgence – en mai 2006 de la loi DADVSI destinée à transposer la directive européenne du 22 mai 2001, on pouvait lire, au considérant 7 de celle-ci que « le cadre législatif communautaire relatif à la protection du droit d’auteur et des droits voisins doit [...] être adapté et complété dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur ».
Le droit moral, essentiel au droit d’auteur, n’a été évoqué que douze fois au cours du débat à l’Assemblée nationale, où la majorité déclarait chercher l’équilibre en la matière, alors que le marché l’a été cent quatorze fois. De plus en plus, l’équilibre entre droit d’auteur, droit des publics et droit de l’exploitant, qui a toujours été le résultat d’un compromis – le droit d’auteur en étant le centre et la dynamique –, est aujourd’hui rompu par l’accroissement de l’emprise de l’économie financiarisée sur la vie de la société.
Le centre de gravité du droit d’auteur s’est clairement décalé vers la protection des investissements, sous la pression de puissants groupes d’intérêt avec qui le Gouvernement travaille en fertilisation croisée.
Ainsi se développe un « droit d’auteur sans auteur » dans le cadre du nouvel Esprit des lois, « la concurrence libre et non faussée », qui n’est pas pour rien dans la crise actuelle.
C’est pourquoi, le 13 mai dernier, lors de la discussion – encore en urgence – de la loi HADOPI 1 au Sénat, nous avons déposé un amendement sur la réaffirmation solennelle du droit d’auteur comme un droit fondamental comprenant le droit moral et garantissant la rémunération de l’auteur et de ses ayants droit.
À la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 10 juin 2009 et afin de renforcer la protection du droit moral des auteurs – spécificité française –, nous réfléchissons au dépôt d’une proposition de loi qui tendra à faire reconnaître le droit moral comme principe constitutionnel.
Le 13 mai dernier, nous avions aussi déposé un amendement sur la reconnaissance de l’accès égalitaire à internet à haut débit comme droit fondamental de tous les citoyens, sur l’ensemble du territoire.
Nous avions proposé, dans un troisième amendement, la création d’un conseil pluraliste « Beaumarchais-internet-responsabilité publique et sociale », comprenant d’abord ceux qui font les programmes, ceux qui les regardent et les chercheurs qui analysent leur rencontre, amendement clef, car ces trois catégories de citoyens sont absentes de toutes les structures d’études gouvernementales.
Un quatrième amendement tendait à instituer une contribution des opérateurs de télécommunications au financement des droits d’auteur et de la création, ce qui n’efface pas la nécessité d’une contribution raisonnable des internautes.
Un autre amendement concernait la constitution d’une plateforme publique de téléchargements, votée à l’unanimité en 2006 et toujours pas appliquée !
Enfin, un dernier amendement portait sur la garantie des droits d’auteur des journalistes et des photojournalistes. J’étais hier à l’inauguration des rencontres de photographie d’Arles et je vous assure que les photographes sont très inquiets.
La majorité a refusé tous ces amendements, ce qui lui interdit décemment de se dire défenseur des auteurs et des artistes et, plus généralement, de la création.
Dans le texte de la commission de la culture, en familiarité avec le Gouvernement, il n’y a pas de réponse au défi que doit relever ce secteur de la vie sociale, humaine et culturelle. Ce projet de loi crée un monde des issues fermées.
Nous étions dans une situation hadopitoyable ? Le texte d’aujourd’hui crée une situation hadopire ! Et, même si vous avez la majorité, monsieur le ministre, vous n’aurez qu’une victoire à la hadopyrrhus… (Sourires.)
Rappelons que M. Olivennes, actuellement directeur général délégué du Nouvel Observateur, mais alors PDG de la FNAC, chargé par l’Élysée d’établir les bases d’une loi, avait réalisé un document traitant le problème au bénéfice des grandes affaires et blessant les internautes et les auteurs. Les cloisons et les clivages Olivennes, superficiels et déséquilibrés, sont restés tels quels dans HADOPI 2.
Le droit d’auteur est un grand héritage, « nous devons le défendre et dans un même mouvement nous en défendre, sinon nous serions inaccomplis ». Pierre Boulez a beaucoup travaillé cette question. Dans l’un de ses cours au Collège de France, j’ai lu ceci : « La mémoire du créateur ne doit pas le rassurer dans l’immobilité illusoire du passé, mais le projeter vers le futur avec peut-être l’amertume de l’inconfort, mais plus encore avec l’assurance de l’inconnu. » Et Pierre Boulez poursuivait : « Avoir le sens de l’aventure ne veut pas dire pour autant brouiller les traces, ignorer l’antécédent. Curieusement, la création s’appuie constamment sur deux forces antinomiques : la mémoire et l’oubli. »
Je n’ai pas trouvé de plus forte métaphore que dans Le Soulier de satin, où Claudel fait dire à Rodrigue : « La création est un jeu de racines qui font éclater la pierre, l’organique détruisant le minéral. » Nous sommes pour l’exploration des territoires de l’inédit sachant se nourrir des éclats du passé. Nous sommes pour travailler dans l’espace du doute actif. Nous partageons la pensée de poète palestinien Mahmoud Darwich quand il dit : « Je ne reviens pas, je viens. »
Le numérique est un grand dérangement. C’est tout avoir, tout savoir, tout voir dans l’instant. C’est l’omniprésence de l’événement. Tout voir sans être vu et dans les plus grands espaces. S’affranchir de l’apesanteur, réussir à être partout à la fois, à mener ses affaires, à parler toutes les langues. Le numérique, c’est une efficacité insolente pourvu que l’on ne rencontre pas de bugs. Il provoque un effet de dépaysement. C’est un nouvel âge de l’humanité qui doit déboucher sur de grandes libertés, et non sur un grand système géré par un grand ou un petit suprême.
Or votre projet de loi a organisé un clivage entre ces deux secteurs, la création et le numérique, qui doivent se réguler ensemble pour proposer aux grandes affaires une convention d’usages, d’avenir. Personne ne peut s’exonérer de cette obligation de société. Personne ne doit éviter, dans le respect réciproque, de mener une dispute authentique, profonde, constructive. C’est pourquoi les États généraux de la culture, qui depuis 1987 ont participé à tous les combats, dont ils ont parfois eu l’initiative, pour ne pas avoir de « retard d’avenir », organiseront au Sénat, le lundi 28 septembre, une rencontre entre tous les acteurs intellectuels et populaires de la vie culturelle qui peuvent et doivent « travailler à la fin de l’immobile » et déboucher, en multipliant les occasions de penser, sur une régulation moderne, qui « bourdonne d’essentiel », de sens.
M’adressant aux forces du travail et de la création, je leur transmets ce texte de Jean-Luc Godard :
« Je ne dirais pas de mal
« de nos outils
« mais je les voudrais utilisables
« s’il est vrai, en général
« que le danger n’est pas dans nos outils
« mais dans la faiblesse
« de nos mains
« il n’est pas moins urgent
« de préciser
« qu’une pensée qui s’abandonne
« au rythme de ses mécaniques
« proprement
« se prolétarise
« je veux dire
« qu’une telle pensée
« ne vit plus de sa création »
Notre groupe, le groupe CRC-SPG, veut construire. Le Sénat a débattu sur ces questions vingt heures et quinze minutes les 4, 9 et 10 mai 2006, dix heures et trente minutes les 29 et 30 octobre 2008, et deux heures et quarante minutes le 13 mai 2009, soit, en tout, trente-trois heures et vingt-cinq minutes. Notre groupe a voté contre le projet de loi la première fois, s’est abstenu la deuxième, et a refusé de participer au vote la troisième.
Dans un premier réflexe, je voulais garder cette troisième attitude ; elle demeure sur la durée. Mais nous avons beaucoup réfléchi, en familiarité avec deux grands penseurs et résistants : Jean Cavaillès appelant à assurer une « révision perpétuelle des contenus par approfondissement et rature » et Georges Canguilhem, selon lequel il faut « dégager une place vacante pour un concept mieux avisé ».
Cette loi ne réglera rien ni pour les internautes ni pour les auteurs, elle accroît leurs oppositions entre eux et leurs divisions internes, ce qui paralysera l’imagination et embarrassera les juges. C’est tellement vrai que le ministre de la culture a annoncé en commission son intention de créer une coordination sur la rémunération des auteurs.
De plus, cette loi étend de façon biaisée et inacceptable le champ d’application de l’ordonnance pénale, procédure qui s’appliquera à l’ensemble de la contrefaçon – et quand s’appliquera-t-elle à toute la justice ? –, frappera les internautes, heurtera l’attachement fondamental des auteurs à la liberté et concernera toute la société.
En fait, vous vous êtes raidis, bunkerisés, sectarisés, sans retenue et sans transparence. Face à cette agression contre la liberté, contre les libertés, face à une loi qui dit une chose et en fait une autre, nous ne pouvons que nous opposer, dans l’esprit de ce qu’écrivait André Malraux, premier titulaire du ministère des affaires culturelles, en 1959 : « L’homme ne devient homme que dans la poursuite de sa part la plus haute »...
Nous voterons non ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame le ministre d’État, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici rassemblés une fois de plus pour légiférer en matière de téléchargement d’œuvres culturelles sur internet.
Aujourd’hui, deux nouveaux ministres sont chargés du dossier avec pour mission de régler ce problème une bonne fois pour toutes...
Le 13 mai dernier, le Sénat adoptait la loi désormais dite « HADOPI 1 ». Avec la majorité des membres de mon groupe, je l’avais votée pour les raisons que j’avais eu l’occasion de préciser à maintes reprises.
Nous étions parvenus à l’accord de principe selon lequel informer et responsabiliser ceux que l’on nomme, parfois injustement, les « pirates », éduquer les plus jeunes de nos concitoyens, était la voie la plus noble pour parvenir à nos fins. Cette sensibilisation des consommateurs à la notion de droit d’auteur sera, à l’avenir, l’une des clés de la réussite du sauvetage de la production culturelle.
Le principe de riposte graduée, adopté dans la loi « Création et internet », me semblait l’outil parfaitement efficace et réaliste dont nous avions besoin. Il consistait en une démarche consensuelle, pédagogique et novatrice pour lutter contre le piratage.
La décision éclairée du Conseil constitutionnel nous a permis de hisser clairement au rang de liberté fondamentale l’accès aux services de communication en ligne. Je m’en réjouis d’autant plus vivement que c’est aussi la position du Parlement européen. Cependant, le Conseil des Sages a censuré, je pourrais même dire décapité le dispositif de « riposte graduée ».
En réponse, le Gouvernement nous propose la voie des sanctions pénales. Non seulement ce choix est disproportionné, mais, je le répète, il va à l’encontre des dispositions votées par le Parlement européen en ce domaine. De surcroît, dans les modalités de sa mise en œuvre, il fait fi de la réalité, celle des contournements rendus possibles par le streaming, technologie de plus en plus sophistiquée et répandue.
Plus grave, dans son principe, ce texte est purement et simplement inapproprié en matière de libertés publiques et d’économie globale à long terme.
Pourtant, en 2007, face à la gravité de la crise du secteur culturel, le Président de la République avait mis en place une mission de « sauvetage » de l’industrie culturelle qui avait abouti au rapport Olivennes. Ce dernier a inspiré la loi HADOPI 1. Ses maîtres mots étaient : lutte contre le téléchargement sauvage, notamment par la pédagogie, et mesures en faveur de l’épanouissement de l’offre légale.
Il est regrettable que cette montagne ait accouché d’un arsenal disproportionné en matière pénale et d’une souris en matière de politique culturelle relative aux technologies de l’internet. Nous avons d’autres leviers que la peur du gendarme pour relancer l’économie de la culture sur internet et promouvoir la création artistique !
Comment garantir la juste rémunération des auteurs, en particulier celle des indépendants ? Le projet de loi ne répond pas à ce défi, et je regrette, vous l’avez compris, qu’il ne crée pas de véritable économie de la culture internet.
Combien de temps le Gouvernement laissera-t-il les artistes s’appauvrir ? Combien de temps encore avant la mise en place d’une licence globale, seule solution « gagnant-gagnant » tant pour les libertés publiques que pour la rémunération des artistes et l’économie en général ?
Ce nouveau système de rémunération est le seul qui puisse satisfaire à la fois les auteurs, les artistes, les éditeurs, les producteurs et les diffuseurs, et c’est pour cette raison qu’il doit inspirer le Gouvernement et les professionnels pour trouver une solution de sortie de crise, avant la faillite complète de notre si chère exception culturelle française.
Le texte que nous allons examiner prévoit une procédure pénale simplifiée, à juge unique, sans débat contradictoire, sans enquête préalable, celle de l’ordonnance pénale, la même qui est prévue en matière de contraventions au code de la route ou encore de consommation de produits stupéfiants... Cette loi, une fois votée, instituera l’infraction aux droits d’auteurs !
Ces solutions ne sont donc pas satisfaisantes.
D’une part, nous avons déjà eu l’occasion de tester l’efficacité du recours à un arsenal juridique sévère : trois ans après l’adoption de la loi DADVSI, le délit de contrefaçon, jugé excessif, n’a toujours pas été appliqué, et c’est tant mieux. D’autre part, le pouvoir d’appréciation du juge sera entaché par une procédure peu respectueuse des droits de la défense.
Ce texte retire à la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet le pouvoir de sanction pour le rendre à l’autorité judiciaire. Mais quel sera le rôle de cette dernière si le dossier préparé par la Haute autorité ne laisse au juge qu’une marge de manœuvre ténue ?
Pour toutes ces raisons, il y a fort à parier que le texte que nous examinons aujourd’hui ne passera pas, lui non plus, le barrage du Conseil constitutionnel, qui invoquera certainement les principes de séparation des pouvoirs et de proportionnalité des peines, sans oublier le respect des droits de la défense.
Madame le ministre d’État, monsieur le ministre, vous nous proposez un texte pénal, alors que nous voulions seulement instituer la responsabilisation des utilisateurs d’internet par la riposte graduée tout en redonnant du souffle à l’économie de la filière culturelle.
S’entêter à considérer les jeunes qui échangent des fichiers comme d’épouvantables criminels en puissance, c’est l’inverse de la philosophie qui nous avait inspirés jusqu’à maintenant. Pourquoi choisir de faire glisser le Parlement sur la pente répressive ?
Comment redonner du souffle en faveur des artistes et de leur rémunération ? Car, ne nous leurrons pas, à l’instar de la musique, ni le cinéma, ni la littérature, ni aucun pan de la création culturelle ne sera épargné par ces problématiques. La question qui reste en suspens est bien celle de l’économie globale du secteur culturel.
Monsieur le ministre, ce nouveau projet de loi ne mettra pas un point final à la saga législative du numérique. Il est urgent d’envisager, comme les États-Unis sont déjà en train de le faire, la mise en place d’un système de licence globale.
Rien dans ce projet de loi ne permet pour l’instant d’envisager l’avenir de la culture avec optimisme. C’est pourquoi je m’abstiendrai. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, madame le ministre d’État, monsieur le ministre, mes chers collègues, internet intervient à l’échelle du monde. Il relève donc, à tout le moins, d’une coordination européenne. Or, sur ce dossier, il est extrêmement regrettable que l’Union européenne n’ait pas fixé de manière plus précise – nous n’en sommes actuellement qu’à des ébauches – une ligne d’action applicable dans tous les États membres.
L’Union européenne s’occupe de bien des choses : peut-on fabriquer du vin rosé en mélangeant du vin rouge avec du vin blanc ? Jusqu’à quel point peut-on tolérer des cornichons courbés ou des carottes fourchues ? (Sourires.) Oui, chers collègues, l’Union européenne vient de remettre en cause la réglementation qui existait depuis plusieurs années et qui interdisait la vente de carottes fourchues…
L’Union européenne s’occupe donc de mille choses qui n’ont vraiment aucune importance, mais elle est quasi absente dans certains domaines où elle pourrait être efficiente. On ne peut que le regretter.
Certes, actuellement, des réflexions sont en cours. Il aura donc fallu attendre de nombreuses années, et assister à l’explosion d’internet, pour que les institutions européennes, notamment le Parlement, commencent à envisager la possibilité de s’intéresser au dossier !
Si la situation est aujourd’hui ce qu’elle est, c’est du fait de la carence européenne : l’Europe n’a pas fait son travail, laissant chaque pays essayer de gérer au mieux le système.
Ce n’est pas pour autant, mes chers collègues, que je suis favorable au projet de loi qui nous est soumis.
Lorsque nous avons examiné le premier projet de loi HADOPI, j’avais souligné qu’il n’était manifestement pas conforme à la Constitution et que le Conseil constitutionnel le censurerait. C’est ce qui est arrivé !
Je ne comprends pas l’entêtement dont fait preuve le Gouvernement, sur ce point comme sur beaucoup d’autres. Je trouve extrêmement regrettable qu’il tente un passage en force. Le texte a été retoqué par le Conseil constitutionnel ? Le Gouvernement revient à la charge !
C’est comme pour le travail du dimanche. Quand les choses ne vont pas dans votre sens, vous revenez à la charge jusqu’à obtenir ce que vous voulez.
Cette attitude des pouvoirs publics, en particulier de ceux qui nous dirigent au plus haut niveau, est extrêmement regrettable, raison pour laquelle je voterai contre ce projet de loi.
M. le président. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Monsieur le ministre, en novembre 2003, votre prédécesseur travaillait déjà à un texte visant à protéger le droit d’auteur dans la société de l’information.
Quatre ministres, deux présidents de la République, presque six années et bientôt trois lois plus tard, il est d’autant plus triste de constater que nous en sommes toujours au même point, que le débat public sur le sujet s’est enlisé dans une impitoyable guerre de tranchées entre défenseurs du droit d’auteur et tenants d’une liberté sans limite sur internet.
Que de temps perdu au nom de l’urgence !
Comme les lois du 1er août 2006 et du 12 juin 2009, ce texte s’inscrit, en effet, dans une stricte perspective de défense d’un modèle économique préexistant, sans jamais sérieusement envisager son adaptation à ce qu’il est convenu d’appeler la « révolution numérique ».
Pourquoi serait-il impossible de faire évoluer ce modèle tout en préservant le principe fondateur et proprement révolutionnaire de notre droit d’auteur, à savoir ce droit moral auquel sont si attachés les artistes, aux quatre coins du monde, et si redevables à la France d’en avoir été la pionnière ? Comme l’affirmait si hautement Victor Hugo dans son discours d’ouverture du Congrès littéraire international de 1878 : « L’écrivain propriétaire, c’est l’écrivain libre. Lui ôter la propriété, c’est lui ôter l’indépendance. »
Nous, sénateurs socialistes, n’oublions jamais l’origine révolutionnaire du droit d’auteur, avec les lois fondatrices de 1791 et de 1793 ! Ne perdons jamais de vue qu’il fallut des majorités de gauche pour réformer, dans le consensus – j’y insiste –, le régime du droit d’auteur au XXe siècle, avec la loi Defferre du 11 mars 1957, puis avec la loi Lang du 3 juillet 1985 !
Or, comme les législations précédentes, celle que l’on a sous les yeux fait le pari qu’une nouvelle autorité administrative indépendante apportera, quasiment à elle seule, des réponses suffisantes à une véritable question de société, touchant tant à l’avenir de la création artistique qu’à l’évolution des usages économiques et sociaux d’internet.
Bien sûr, comme les deux textes l’ayant précédé, le projet de loi HADOPI 2 est discuté avec engagement de la procédure accélérée, donc en urgence, quelques jours seulement après la censure par le Conseil constitutionnel du projet HADOPI 1 initial.
Ainsi notre commission a-t-elle été saisie du projet de loi le 24 juin pour rendre son rapport le 1er juillet ! Qui plus est, le contenu du texte modifie la loi pénale, sans pour autant que notre assemblée puisse bénéficier de l’avis des membres de la commission des lois.
En tout état de cause, personne n’ignore les réticences du Conseil d’État quant à la régularité des dispositions pénales dont HADOPI 2 est le support pour pallier les failles de HADOPI 1, ce qui a d’ailleurs amené notre rapporteur – toujours volontaire – à travailler, apparemment sans guère de conviction, à la « sécurisation juridique » du dispositif.
Mais il est vrai que le Gouvernement n’avait d’autre possibilité que d’en passer par la loi pénale, sauf à priver la fameuse « riposte graduée » de son volet réellement dissuasif.
Or, selon les représentants des ayants droit, la dissuasion n’opérera chez les adeptes du téléchargement illégal que si les sanctions tombent en nombre suffisant pour ne pas laisser place aux calculs de probabilité ; c’est bien sur ce point que se fondent les promoteurs du texte.
Sur ce plan, l’étude d’impact annexée au projet de loi laisse songeur : sur 450 000 échanges quotidiens de fichiers illégaux – c’est, me semble-t-il, une appréciation a minima – seuls 10 000 seraient suivis de l’envoi d’un « message primaire » et 3 000 de l’envoi d’une lettre par la HADOPI.
Finalement, 50 000 actes de ce type feraient l’objet d’un signalement à l’autorité judiciaire, soit moins de 0,03 % du volume total des infractions supposées. Autrement dit, une goutte d’eau dans la mer !
De surcroît, la situation misérable de notre justice ne permet pas d’envisager le traitement efficace de 50 000 affaires supplémentaires par an. Sauf à maintenir ces tribunaux de proximité victimes de la nouvelle carte judiciaire, madame le garde des sceaux...
Pour contourner ce sérieux problème d’administration de la justice, le Gouvernement a choisi d’assimiler les infractions instaurées par son texte à celles qui sont prévues par le code de la route et, en conséquence, de les soumettre aux mêmes procédures de jugement simplifiées dites du juge unique et de l’ordonnance pénale, et ce alors que la commission des lois du Sénat s’est toujours opposée à l’extension du champ d’application de cette dernière procédure.
Cependant, ni dans ses caractéristiques matérielles ni dans ses conséquences potentielles pour la société, l’infraction au code de la propriété intellectuelle principalement visée par le projet de loi, c’est-à-dire le si vague « manquement à l’obligation de surveillance de son accès à internet », n’est comparable aux comportements délictuels de certains chauffards.
Perpétuellement confrontés à la multiplication de lois pénales bavardes et imprécises dont ils cherchent souvent vainement les justes modalités d’application, les magistrats vont donc devoir digérer très vite ce nouveau texte, alors qu’ils sont déjà notablement en sous-effectifs pour rendre correctement la justice à droit constant.
À cet égard, madame le garde des sceaux, des questions simples me viennent à l’esprit.
Vous évaluez à quatre-vingt-trois le nombre d’emplois à temps plein nécessaires pour assurer l’application de ce projet de loi. Pouvez-vous dès lors nous informer de la date prévisionnelle de création de ces postes ?
Ces fonctions devront-elles être plutôt assurées par des magistrats et des fonctionnaires expérimentés ou par de jeunes recrues ?
Quel budget sera affecté en année pleine à la formation de ces personnels ?
Faute de réponses concrètes à ces questions, le côté bancal du dispositif nous semble évident.
Mais, au-delà des moyens, l’application des dispositions du projet de loi soulève de multiples questions juridiques. Ainsi, le ministère public ne peut-il recourir à l’ordonnance pénale que lorsqu’il résulte de l’enquête judiciaire que les faits reprochés au prévenu sont établis.
Parallèlement, les renseignements concernant notamment les ressources et les charges de la personne poursuivie doivent être suffisants pour permettre la détermination de la peine.
Or l’établissement des faits reprochés aux prévenus et la connaissance de leur situation exigeront vraisemblablement la conduite de perquisitions à leur domicile ou la saisie de pièces à conviction, comme des disques durs d’ordinateur, toutes opérations devant être autorisées par une ordonnance motivée du président du tribunal de grande instance compétent et devant se dérouler avec l’assistance d’officiers de police judiciaire.
Autrement dit, les dispositifs de poursuite des auteurs présumés des délits prévus aux articles L. 335-2, L. 335-3 et L. 335-4 du code de la propriété intellectuelle risquent de devenir rapidement, pour paraphraser un représentant d’un syndicat de magistrats, « monstrueux à gérer ».
Votre étude d’impact, madame le garde des sceaux, semble donc bien peu réaliste.
Dans ces conditions, il est quasiment utopique d’imaginer que pourra être rapidement traité un contentieux de masse, car c’est bien de cela qu’il s’agira.
Pourquoi avoir donc bricolé à la va-vite, sans prendre le temps de la concertation ni même celui d’un travail parlementaire serein, ce dispositif pénal bancal, qui complexifie encore un peu plus l’arsenal répressif existant, en particulier depuis la loi DADVSI ? Car nous ne sommes pas dépourvus de lois, mes chers collègues, songez-y…
Après la décision du Conseil constitutionnel du 10 juin dernier, la sagesse aurait voulu que le Gouvernement se range au conseil que nous lui donnions sur ces travées, dès la discussion de la future loi d’août 2006, en l’appelant à organiser un large processus de concertation mettant en présence tous les acteurs concernés.
Loin de nous l’idée de vouloir par là valoriser quelques thuriféraires des nouvelles technologies, voyant uniquement dans le World Wide Web un espace de liberté sans contrainte, c’est-à-dire un poulailler libre ouvert à n’importe quel renard libre. Au risque, naturellement, de voir disparaître les plus faibles...
Malheureusement, HADOPI 2, comme HADOPI 1, passe à côté de la question essentielle restée pendante depuis les prémices de la révolution numérique : quel avenir souhaitons-nous réserver au droit d’auteur « à la française » auquel nous tenons, c’est-à-dire au droit moral, fondement indiscutable de notre exception culturelle et vecteur primordial de diffusion et de diversité des œuvres ?
Ce ne sont pas les quelques mesures de la loi du 12 juin dernier supposées inciter au développement des offres légales qui suffiront à répondre. Depuis le début, on nous presse : faites vite une loi, nous dit-on, et, en attendant, nous allons développer une offre concurrente qui diminuera le téléchargement illégal. Mais nous ne voyons rien venir de significatif, ou si peu… D’autant moins que, pour ce qui est du cinéma, le CNC s’est montré incapable de trouver un terrain d’entente avec l’ensemble de la filière pour remettre concrètement à plat la chronologie des médias.
Quel est donc le sens de tout le processus législatif initié il y a trois ans, dans les conditions et avec les résultats que l’on connaît, si l’usine à gaz mise en place par HADOPI 1 et HADOPI 2, qui est destinée à dissuader nos concitoyens d’échanger des fichiers illégaux, n’est pas accompagnée d’offres légales aux contenus riches, diversifiés, accessibles à tous de manière simple et bon marché ?
À l’heure de la révolution numérique, qui brise nombre de traditions et de codes culturels multiséculaires, il s’agit plus fondamentalement pour les responsables politiques de relever un défi d’une rare complexité : réussir à réguler les usages et le fonctionnement des nouveaux réseaux de communication électronique afin de permettre la diffusion la plus large possible des œuvres culturelles sur support numérique, dans le respect du droit exclusif des artistes de décider du sort de leurs créations.
Comme vous l’avez vous-même reconnu, monsieur le ministre, ce chantier d’ampleur historique nécessitera évidemment d’engager une réflexion approfondie sur le devenir de la rémunération des créateurs.
En effet, dans un pays comme le nôtre, où plus de 18 millions d’internautes bénéficient d’un accès à haut débit, il est primordial de rechercher le consensus, de cesser de diviser les Français et de les monter les uns contre les autres, notamment les créateurs et les « consommateurs de culture », pour inventer de nouvelles formes de rémunération des créateurs, sans céder à la logique facile du copyright à l’américaine, alternative que nous rejetons.
Dans cette perspective, il sera sans doute inévitable de mettre à contribution les fournisseurs d’accès à internet, dont l’essor de l’activité est notamment lié à la richesse et à la qualité des contenus culturels disponibles, et qui bénéficient donc d’un transfert de valeur économique substantiel, en partie au détriment du financement de la création.
Monsieur le ministre, si vous lancez ce chantier, et le plus tôt serait le mieux, vous trouverez chez les sénateurs socialistes des partenaires responsables et vigilants, animés de l’esprit de Jean Zay, le ministre de l’éducation nationale et des beaux-arts du Front populaire, lorsque celui-ci lança, en août 1936, un grand projet visant à redéfinir la place des « travailleurs intellectuels » dans la société démocratique.
Cessez de faire croire qu’une digue virtuelle peut tenir face à la déferlante de la révolution numérique ! Inventons ensemble, monsieur le ministre, et nous serons présents, le nouveau modèle économique de la diffusion culturelle à l’heure de la révolution numérique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Alain Dufaut.
M. Alain Dufaut. Monsieur le président, madame le ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici donc de nouveau réunis pour compléter le dispositif que nous avons adopté le 13 mai dernier et que nous avions déjà voté au Sénat le 30 octobre 2008.
Cette ultime étape est nécessaire puisque le Conseil constitutionnel a censuré le pouvoir de sanction de la HADOPI en matière d’accès à internet.
Pour le Conseil constitutionnel, en effet, la décision de suspension de l’abonnement du fraudeur ne saurait être prise par une autorité administrative. Dont acte !
On peut regretter que la décision du Conseil constitutionnel nous oblige à modifier le projet initial dans la mesure où le Gouvernement souhaitait éviter au contrevenant la voie pénale : il distinguait la situation du fraudeur occasionnel, du pirate du dimanche, relevant de l’autorité administrative de la HADOPI, du cas beaucoup plus grave du fraudeur « massif » ou se livrant au piratage de masse dans un but lucratif, jugé pour contrefaçon par les tribunaux.
Cependant, comme il n’est pas possible d’éviter une judiciarisation de la procédure, le Gouvernement s’est attaché à mettre en place un dispositif simple et rapide.
Je souhaite tout d’abord souligner que le Conseil constitutionnel ne revient pas sur le principe de riposte graduée, n’ayant pas considéré l’accès à internet comme un droit fondamental.
Le cœur du dispositif mis en place par la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet demeure donc dans son principe, ce dont on ne peut que se féliciter. Je me devais de le rappeler aux opposants à la loi, qui prétendaient que le Gouvernement menaçait les libertés individuelles, des propos que je viens encore d’entendre à l’instant. (M. David Assouline fait un signe de dénégation.)
Bien au contraire, ce projet de loi vise simplement à restaurer l’équilibre actuellement rompu entre deux séries de droits fondamentaux qui doivent être nécessairement conciliés : le droit de propriété et le droit moral des créateurs sur leurs œuvres, d’une part, le droit au respect de la vie privée des internautes, d’autre part.
La liberté n’est-elle pas de pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ? La seule liberté à laquelle il est mis aujourd'hui fin, c’est celle de se servir abondamment dans le répertoire de nos artistes, sans leur rendre des comptes. Qui peut être contre ?
En effet, les conséquences du piratage de masse sont désastreuses pour l’économie des industries culturelles et, par conséquent, pour toute la création. Je citerai quelques chiffres récents communiqués par le syndicat national de l’édition phonographique : le marché des ventes de CD et de DVD a connu une chute de 18,5 % pour le seul premier trimestre de 2009. Depuis le début de la crise du disque, voilà sept ans, ce marché a été divisé par trois, mes chers collègues !
Or cette chute est loin d’être compensée par les ventes numériques légales – internet et téléphonie mobile –, qui ne représentent que 15 % du total des ventes musicales. Si l’on veut que les offres légales progressent, il faut donc stopper le piratage ou y mettre un frein important.
La lutte sera essentiellement préventive et pédagogique. Selon un sondage IPSOS réalisé en 2008 et une étude du même type menée au Royaume-Uni, 90 % des personnes interrogées cessent de « pirater » après deux avertissements successifs.
Le rapporteur l’a souligné, ce projet de loi tend à restaurer la crédibilité de la sanction dans l’esprit des internautes. Le dispositif est, j’y insiste, particulièrement dissuasif, ce qui devrait limiter considérablement les contentieux. Pour les réfractaires, est prévue la possibilité de recourir aux ordonnances pénales et au juge unique. Le déroulement de la procédure judiciaire est ainsi facilité et gagnera en rapidité. Comme il est indiqué dans l’étude d’impact préalable, les conséquences budgétaires en seront limitées d’autant.
L’étude conclut que le système de sanctions prévu par le projet de loi évitera aussi bien la « criminalisation » des pirates ordinaires que l’engorgement des services d’enquête et des tribunaux.
Je tiens à souligner que la commission de la culture a adopté plusieurs amendements visant à perfectionner le dispositif. Elle propose ainsi de clarifier la situation du titulaire de l’abonnement à internet « négligent » n’ayant pas protégé suffisamment son accès. Celui-ci sera averti par courrier recommandé préalablement à toute sanction.
Par ailleurs, la commission souhaite éviter des sanctions disproportionnées : elle propose en particulier que le fraudeur qui se réabonnerait malgré la décision de suspension ne puisse encourir une peine d’emprisonnement.
J’adhère également aux garanties proposées pour protéger la vie privée, notamment l’effacement des données personnelles une fois la période de suspension de l’abonnement terminée. Un amendement prévoit que la sanction de suspension en cas de négligence ne soit pas inscrite au bulletin n° 3 du casier judiciaire, accessible aux employeurs, ce qui est une très bonne chose.
Notre rapporteur, Michel Thiollière, qui s’est beaucoup investi dans l’étude de la loi HADOPI, …
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. C’est vrai !
M. Alain Dufaut. … et de ce nouveau texte, doit être félicité pour sa volonté de clarifier et rendre plus efficace encore le dispositif, et ce dans le respect des droits de chacun.
Comme l’a dit Mme le garde des sceaux dans son propos introductif, il s’agit d’un texte équilibré. Bien évidemment, le groupe UMP votera ce projet de loi essentiel pour garantir le respect de la création dans notre pays. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, madame le ministre d’État, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte dont nous sommes aujourd’hui saisis est le résultat du parcours chaotique de la loi HADOPI, texte dont le Conseil constitutionnel n’a pas manqué de souligner les graves insuffisances et les travers dans sa décision du 10 juin 2009.
Cette décision est éclairante à plus d’un titre. Le Conseil constitutionnel ne se contente pas de censurer un dispositif de riposte graduée contraire au principe de la séparation des pouvoirs ; il affirme également la compétence de principe de l’autorité judiciaire, gardienne des libertés individuelles, notamment pour ce qui concerne les droits de la défense et la présomption d’innocence.
Après une telle décision, on aurait pu imaginer que le nouveau texte se conformerait à ces sages prescriptions, et nous offrirait toutes les garanties en termes de respect des droits constitutionnellement protégés.
Or, je regrette de le dire, le texte qui nous est aujourd'hui présenté est pire que le précédent ! Au lieu de se conformer aux principes développés dans la décision du Conseil constitutionnel, il cherche à les esquiver, maladroitement, parfois même de manière éhontée. La manœuvre est peu habile, puisque ce texte est, au final, un ensemble de bricolages juridiques, indigeste et inapplicable. Il ne tire donc aucune conséquence de la censure du Conseil constitutionnel !
À cet égard, je citerai quatre difficultés soulevées par la procédure mise en place pour juger des infractions de contrefaçon sur internet ou de négligence dans la surveillance de sa connexion internet.
Premièrement, j’aborderai la nature du pouvoir d’enquête de la commission de protection des droits de la HADOPI.
Selon le projet de loi, une autorité administrative dite « indépendante » peut exercer des prérogatives normalement dévolues au juge judiciaire, au mépris du principe de séparation des pouvoirs !
La question est simple : les membres de la commission de protection des droits ont-ils des pouvoirs de police judiciaire leur permettant de constater des infractions et d’en récolter les preuves ?
Il est écrit dans l’exposé des motifs du projet de loi, de manière très explicite, que les membres de la commission ont des pouvoirs de police judiciaire. Or, devant la commission de la culture, Mme le garde des sceaux avait souligné qu’il n’y avait « pas lieu de reconnaître à ces agents une habilitation aux pouvoirs d’enquête de police judiciaire dans la mesure où ils n’ont pas vocation à prononcer de mesure répressive ».
Cette contradiction révèle un malaise profond, pour ne pas dire de réelles difficultés. En effet, qui croire ? L’exposé des motifs du projet de loi ou Mme le garde des sceaux ? Dans les deux cas, il y a manifestement entorse au principe de la séparation des pouvoirs.
Soit ces agents ont des pouvoirs de police judiciaire et, dans ce cas, il faut donner au juge la possibilité de contrôler leurs opérations ; soit ils n’ont aucun pouvoir de police judiciaire, et, dès lors, leurs constatations ne valent pas plus que celles d’un enquêteur privé, que notre justice répugne, à juste titre, à considérer comme des auxiliaires de justice !
Il est donc absurde de dire que leurs procès-verbaux font foi jusqu’à preuve du contraire. C’est donner à ces agents des pouvoirs de police judiciaire que Mme le garde des sceaux leur a explicitement refusé devant la commission de la culture !
Au passage, je tiens à rappeler à Mme le garde des sceaux que la qualité d’officier ou d’agent de police judiciaire ne donne pas compétence pour prononcer des mesures répressives, contrairement à ce qu’elle a sous-entendu devant la commission. Il revient au juge de prononcer de telles mesures, et vous l’avez d’ailleurs appris à vos dépens, avec la décision du Conseil constitutionnel.
Il revient à la police judiciaire dans l’exercice de ses pouvoirs de faire respecter la régularité de la procédure et les droits du prévenu. C’est l’équilibre même de la procédure pénale qui en dépend, indispensable à tout procès équitable !
Dans la procédure que vous nous proposez, il n’y a aucun encadrement de la constatation des infractions. Ni juge ni officier de police judiciaire ! Une personne simplement assermentée peut mener des actes d’investigation, allant, je le rappelle, jusqu’à la saisie de données, sans qu’un juge en soit même une seule fois tenu informé !
Madame le garde des sceaux, vous avez pris en exemple les agents de la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Toutefois, vous avez oublié de préciser que ces derniers agissent sous l’autorité du procureur de la République, qui peut s’y opposer !
Avec ce projet de loi, vous préférez malheureusement sacrifier les droits fondamentaux sur l’autel de la répression et du chiffre ! Voici revenue la politique du chiffre ! C’est absolument scandaleux !
Ce texte fait fi des principes constitutionnels, pourtant rappelés par le Conseil constitutionnel dans sa dernière décision, pour confier à des entreprises privées le soin de récolter des preuves qui relèvent normalement du pouvoir judiciaire !
Cette pratique aura des conséquences importantes dans la procédure qui s’ensuivra. Le juge qui devra statuer aura donc compétence liée, puisqu’il ne pourra se prononcer que sur le fondement des éléments qui lui auront été fournis par la HADOPI, des preuves dont la récolte n’aura pas été contrôlée et dont la loyauté est douteuse, en l’absence de tout contrôle de l’autorité judiciaire !
C’est une méthode qui est dangereuse pour l’avenir des libertés publiques, puisqu’elle organise en réalité le « muselage » des juges au profit d’officines privées !
Madame le garde des sceaux, je vous rappelle que nos juridictions ne sont – heureusement ! – pas des chambres d’enregistrement, ni les juges les pourvoyeurs d’une justice expéditive et secrète ! Incarnation du pouvoir judiciaire, les magistrats sont, à ce titre, les garants de nos libertés individuelles en vertu de la Constitution !
Mes chers collègues, oui, ce texte est un bricolage juridique qui n’a d’autre objectif que de sauver les meubles dans la précipitation et l’impuissance à trouver une solution équilibrée aussi respectueuse des droits de la défense que de ceux des auteurs et de leurs ayants droit.
Cet équilibre, nous aurions peut-être pu le trouver au sein de la commission des lois, dont je suis membre, si celle-ci avait été saisie, au moins pour avis ! Or vous avez soigneusement évité de la consulter au fond, et ce pour une simple raison : vous connaissez la méfiance de ses membres à l’égard des procédures expéditives, qui, trop souvent, font peu de cas des principes constitutionnels.
Deuxièmement, j’évoquerai l’absence de garanties d’un procès équitable.
Dans votre texte, madame le garde des sceaux, la personne poursuivie ne pourra pas automatiquement être entendue par les membres de la commission de protection des droits.
En effet, il est prévu que cette commission « peut » recueillir les observations des personnes mises en cause. Il s’agit donc d’une possibilité, qui ne repose que sur le bon vouloir de ladite commission, au gré de son humeur ou du nombre des affaires à traiter ! Certains auront droit de s’exprimer, tandis que d’autres ne l’auront pas ! Voilà, en somme, des garanties à géométrie variable !
Mes chers collègues, le principe du droit à un procès équitable commande que toute personne mise en cause soit convoquée afin de pouvoir faire valoir, si elle le souhaite, ses observations et soit informée des charges retenues contre elle. C’est ce que disposent non seulement l’article préliminaire du code de procédure pénale, mais également l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. D’autant que les principes directeurs du procès équitable ne s’appliquent pas seulement au prononcé d’une sanction ; ils irriguent toute la procédure en amont, qu’elle soit pénale, administrative ou fiscale.
En conséquence, la procédure que vous nous présentez ne respecte pas le droit à un procès équitable.
Troisièmement, je dénoncerai la violation du principe de la présomption d’innocence.
Dans le cadre de la procédure prévue, c’est non plus le parquet qui instruit, mais une autorité indépendante. Le juge est écarté, et la HADOPI agit comme une autorité investie de pouvoirs d’enquête, au mépris du principe de la présomption d’innocence.
En effet, la culpabilité de la personne est établie sur le fondement d’un constat d’infraction porté sur un procès-verbal. Ce même procès-verbal est réputé faire foi jusqu’à preuve du contraire. Il faut donc en déduire que la personne poursuivie doit apporter la preuve contraire.
Or, vous le savez, en droit pénal, ce n’est pas à la personne poursuivie d’apporter la preuve de son innocence : c’est justement ce que recouvre la notion même de « présomption d’innocence » ! C’est au parquet de fournir les preuves de la culpabilité. Or, il faut se rendre à l’évidence, il est totalement absent de votre dispositif !
Votre système organise ici un renversement complet de la charge de la preuve, ce qui est contraire à l’article IX de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Quatrièmement, enfin, je relèverai le recours abusif à la procédure simplifiée.
Le recours à l’ordonnance pénale pour juger les infractions de contrefaçon est un non-sens absolu. C’est même, à mon avis, un détournement de procédure !
Ceux qui ont lu les propositions de la commission sur la répartition des contentieux, présidée par M. Serge Guinchard, savent que le développement de telles procédures n’est pas recommandé. À l’occasion de l’examen du projet de loi de simplification du droit, nous avons d’ailleurs repoussé le recours à de telles procédures dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice dans plusieurs contentieux.
Le Gouvernement connaît la méfiance de la commission des lois du Sénat à l’égard de ces procédures expéditives, et c’est certainement l’une des raisons – une de plus ! - pour lesquelles elle a tout simplement été écartée de l’examen de ce projet de loi !
Ces ordonnances pénales sont habituellement réservées aux infractions « simples et parfaitement constituées », comme les infractions routières. Dans ces cas, en effet, il n’y a en général pas de doute sur la culpabilité de l’auteur de l’infraction, par exemple grâce à un éthylotest, et aucune ambiguïté sur l’identité de l’auteur et l’imputabilité de l’infraction. C’est souvent celui qui conduisait la voiture qui souffle dans le ballon pour que soient constatés le taux d’alcoolémie et donc l’infraction…
Mais, dans le cas de la contrefaçon sur internet, les choses ne sont pas aussi évidentes ! En l’occurrence, le support qui permettra au juge de rendre son ordonnance pénale est le procès-verbal établi par la commission de protection des droits, qui est loin de présenter toutes les garanties de fiabilité. Par exemple, il n’y a aucune certitude sur l’identité de l’auteur, vous le savez, puisque n’importe qui peut s’emparer d’une adresse IP. Les logiciels visant à pirater des adresses IP sont d’ailleurs déjà disponibles !
Le juge ne disposera d’aucun autre élément lui permettant de statuer que ceux qui sont fournis par le procès-verbal. Il ne cherchera donc pas plus loin et prononcera les peines de manière quasi automatique. Il s’agit ainsi d’une présomption de culpabilité contraire à notre droit, puisque le juge n’exerce, in fine, aucun contrôle sur l’établissement de la culpabilité.
Cette procédure est également contraire au principe de proportionnalité : comment serait-il possible de rendre une décision dont la peine serait proportionnelle à la gravité de l’infraction si l’identité de l’auteur n’est pas établie avec certitude et si la véracité de l’infraction n’est pas incontestable ?
Mes chers collègues, nous voyons bien qu’il s’agit en réalité d’organiser une justice expéditive, afin de permettre au juge de rendre toujours plus d’ordonnances pénales, en somme, de faire de l’abattage judiciaire !
Selon les statistiques dont nous avons connaissance, un juge rend environ 120 ordonnances pénales par semaine, soit 15 000 environ par an. Et c’est pour ces raisons que l’ordonnance pénale a été choisie : pas de présence du prévenu, pas de droit à la représentation ; bref, une justice au rabais !
En principe, le système du juge unique permet de mieux prendre en compte les droits de la défense de l’individu. En effet, il existe une confrontation, et donc une présence physique de l’individu apte à assurer sa défense. Ce n’est pas le cas ici.
Mais il reste que ce dispositif est une dérogation au principe de collégialité, laquelle constitue un rempart contre la justice secrète ou les égarements individuels de juges, et donc la garantie d’une justice équitable.
En conclusion, mes chers collègues, nous devons réellement nous demander à qui va bénéficier ce projet de loi.
Prenons l’exemple d’un CD à 15 euros, dont le prix de revient réel est de 7 euros. Il rapporte exactement 70 centimes à l’auteur ou 14 centimes à chacun des artistes qui interviennent dans ce CD lorsqu’ils sont cinq. Pour mieux valoriser leur travail, n’y avait-il aucun autre chantier à ouvrir de préférence à celui de la régulation pénale et répressive ?
Permettez-moi de vous le dire en toute franchise : ce texte est une insulte à l’égard tant des juges que de nos règles constitutionnelles, des règles violées qu’il s’agisse tant de présomption d’innocence que du droit à un procès équitable. C’est encore une insulte à l’égard des parlementaires, saisis d’un texte mal rédigé, incomplet et inconstitutionnel.
Donnez-nous la possibilité de modifier ce texte par voie d’amendements, afin de le rendre acceptable. À défaut, le Conseil constitutionnel s’en chargera !
Je regrette, mais, en l’état, les élus Verts ne peuvent pas soutenir ce projet de loi. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier Mme le ministre d’État de la contribution essentielle qu’elle vient d’apporter à l’élaboration de ce texte relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet, qui complète la loi HADOPI.
Je ferai quelques observations en réponse aux orateurs qui ont ouvert un débat extrêmement intéressant à la suite de la présentation du projet de loi et du rapport de M. Michel Thiollière.
Je précise tout d’abord à M. David Assouline que l’accord relatif à la chronologie des médias a bel et bien été signé, à l’exception d’un organisme ou de deux sur plus de vingt. C’est le signe que le « troisième volet » de la loi HADOPI est déjà en cours d’élaboration.
En effet, après avoir mis en chantier les deux premiers volets que sont la loi HADOPI et le présent texte, un troisième volet existe dans les faits, à la demande du président de la République et du Premier ministre, avec l’engagement que j’ai pris de rencontrer un certain nombre d’organisations pour établir une meilleure rétribution des créateurs, trouver davantage de ressources pour les industries culturelles et améliorer l’offre mise à la disposition des internautes.
Je rappelle que tout ce dont nous parlons constitue essentiellement un préalable : il s'agit d’organiser tout à la fois la pédagogie et la répression des sanctions.
Le débat tout à fait intéressant que nous venons d’avoir a permis de rappeler l’étendue du drame vécu actuellement par les créateurs : un milliard de fichiers sont chaque année consultés illégalement, les ventes de CD et de DVD ont baissé respectivement de 50 % et de 30 %, avec inévitablement, à la clé, des pertes d’emplois dans des proportions considérables.
Au cours de ce débat, quelques-unes des grandes voix de la République, voire de la littérature, furent appelées au secours. Si l’on ne peut que saluer le brio avec lequel elles le furent, on peut aussi se poser quelques questions...
Les deux idées importantes qui ont été évoquées sont en fait contradictoires. En effet, pour les uns, on est allé trop lentement dans l’élaboration de mesures envisagées pourtant depuis des années. Mais, pour les autres, on est allé trop vite et l’on n’a pas pris le temps de la concertation nécessaire.
En vérité, on ne va ni trop lentement, car tous les problèmes de société nécessitent une certaine maturation, ni trop vite, dans la mesure où la situation ne cesse de s’aggraver avec le développement accéléré de nouvelles techniques. En fait, nous respectons le bon tempo pour élaborer une loi ni bricolée, ni bâclée, mais qui est, au contraire, le fruit d’une large réflexion.
Par conséquent, je vous demande, mesdames, messieurs les sénateurs, d’adopter le texte qui vous est proposé. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme le ministre d'État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Monsieur le président, avec votre permission et celle de la Haute Assemblée, je voudrais, après Frédéric Mitterrand, m’exprimer sur quelques aspects plus juridiques et judiciaires de ce texte.
Auparavant, je tiens à remercier les orateurs qui, à une exception près, ont apporté leur réflexion, dont je ne doute pas qu’elle soit sincère et souvent profonde, sur la problématique qui nous occupe et qui concerne à la fois la protection et la sanction.
Je voudrais rassurer ceux qui ont exprimé, de bonne foi, certaines inquiétudes, et tordre le cou à des arguments avancés avec beaucoup moins de bonne foi !
M. Alain Gournac. C’est nécessaire !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. À M. Jack Ralite et à Mmes Françoise Laborde et Alima Boumediene-Thiery, qui ont soulevé le problème, je rappelle que l’ordonnance pénale est une procédure respectueuse des droits de la défense ; personne ne peut affirmer le contraire !
En effet, il est possible de faire opposition et de saisir le juge si l’on a le moindre doute ou si l’on veut faire valoir ses droits, notamment en se constituant partie civile.
En tout état de cause, l’autorité judiciaire conserve son total pouvoir d’appréciation.
Le procureur saisi des procès-verbaux établis par les agents de la commission de protection des droits pourra ouvrir une enquête, laquelle sera ensuite confiée à la police. Le juge n’entrera en voie de condamnation qu’au vu du dossier et des preuves, avec toutes les garanties en matière de perquisition et de saisie.
Autrement dit, si l’on a bien voulu écouter et entendre ce que j’ai dit, la HADOPI se bornera à faire des constatations.
Aussi, madame Boumediene-Thiery, quand je vous entends parler d’« égarements individuels des juges », vous comprendrez que je réagisse, car je ne peux pas admettre que soient proférées du haut de cette tribune de telles attaques contre la magistrature et contre nos institutions.
M. Alain Gournac. Très bien !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Nous sommes dans un État de droit. Nous nous devons, y compris en termes d’exemplarité, d’être respectueux de nos institutions et de la personne des magistrats. J’ai toujours dit que, si des erreurs sont commises et si des magistrats commettent des fautes, des sanctions seront prises selon les procédures prévues. (Exclamations sur certaines travées du groupe socialiste.)
Par conséquent, en aucun cas je ne laisserai accuser injustement les magistrats sur la base de tels présupposés et de tels a priori. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. - Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Selon vous, madame, le texte serait une insulte. Pour moi, ce sont certains de vos propos qui sont une insulte à la magistrature, et ce n’est pas admissible ! (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. Alain Gournac. Oui !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est quoi, ça ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Vous avez le droit de contester le texte sur le fond ; c’est sans doute ce que vous avez fait auparavant. Vous avez le droit de soutenir ceux qui, via internet, pillent la création artistique de notre pays.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Il ne s’agit pas de cela, madame le garde des sceaux !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais c’est quoi, ça ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Assumez vos positions, mais ne prenez pas de faux prétextes...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est incroyable !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. ... pour attaquer des femmes et des hommes éminemment responsables qui sont les garants de nos droits et de nos libertés ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est scandaleux !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. M. Assouline m’a posé des questions très précises, notamment sur les moyens qui vont être dédiés à ces mesures. Je lui ai déjà répondu en citant un certain nombre de chiffres.
Je vous rappelle que le dispositif va monter en puissance de manière progressive. Les moyens seront alloués au fur et à mesure que le besoin s’en fera sentir.
Je suis profondément convaincue que la sanction pénale aura un effet dissuasif, et c’est bien tout l’intérêt ici. Par conséquent, une régulation s’opérera rapidement.
Si une enquête est nécessaire pour établir les faits, je répète qu’elle sera placée sous la direction du procureur, ce qui donne toutes les garanties nécessaires.
Monsieur le président, voilà les quelques éléments purement techniques que je tenais à ajouter, car il est un certain nombre de propos que je ne pouvais laisser passer ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Alima Boumediene-Thiery. C’est de l’affichage !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est scandaleux !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par Mme Borvo Cohen-Seat, MM. Ralite, Renar et Voguet, Mme Gonthier-Maurin et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche, d'une motion n° 18.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement du Sénat, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, le projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet (n° 512, 2008-2009) (Procédure accélérée).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la motion.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, madame le garde des Sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant de défendre cette motion visant au renvoi à la commission des lois du présent projet, je voudrais présenter une observation.
Je regrette que la majorité sénatoriale ait refusé que les motions soient défendues avant la clôture de la discussion générale, comme cela se fait à l’Assemblée nationale, et comme je l’avais moi-même proposé. Il est finalement assez absurde, en effet, de présenter une motion à laquelle il a en quelque sorte été déjà répondu par avance ! Mais il en est ainsi, et je n’y suis évidemment pour rien !
Le présent projet de loi a déjà fait couler beaucoup d’encre avant même qu’il ne vienne devant le Parlement. En effet, il a été présenté par la Chancellerie pour répondre à la critique portant sur la constitutionalité du premier texte. Mais le dispositif de ce projet de loi, dit « HADOPI 2 », n’est à mon avis même pas assuré d’échapper à une nouvelle censure, tant son dispositif est critiquable !
Il n’aura échappé à personne que le projet de loi que nous examinons aujourd’hui n’a pas grand rapport avec la protection du droit d’auteur, puisqu’il concerne uniquement la procédure pénale et les sanctions applicables en cas d’échanges illégaux de fichiers sur internet.
J’ai donc été étonnée – et votre présence, madame le garde des Sceaux, ne fait que me conforter dans mon opinion – de constater que ce projet était renvoyé non pas à la commission des lois, mais à la commission de la culture.
Ma surprise a été encore plus grande de constater que la commission des lois n’était pas même saisie pour avis. J’ai donc demandé moi-même à son président, M. Jean-Jacques Hyest, par un courrier en date du 2 juillet, que la commission des lois, dont je suis membre, s’autosaisisse pour avis de ce projet de loi, comme elle en a le pouvoir. Ma demande étant restée sans réponse, je présente aujourd’hui, au nom de mon groupe, une motion de renvoi à la commission.
Deux raisons justifient cette demande de renvoi. D’une part, sur la forme, et comme je viens de le dire, ce projet de loi ne traite que des sanctions. Celles-ci sont d’ailleurs d’ordre pénal. À ce titre, elles intéressent donc évidemment de près la commission des lois et soulèvent de nombreuses questions, quoi que vous en disiez !
D’autre part, sur le fond, la loi HADOPI 1, telle qu’elle a été votée par la majorité parlementaire, prévoyait de donner à la Haute autorité, qui, on s’en souvient, est une autorité administrative, le pouvoir de suspendre l’accès à internet d’une personne qui n’aurait pas cessé de télécharger après les avertissements reçus. C’était le système de la riposte graduée.
Durant les débats parlementaires, nombreux sont ceux qui vous ont avertis de l’atteinte au principe de séparation des pouvoirs qu’entraînait une telle disposition. Dès juin 2008, dans son avis sur le projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, le Conseil d’État avait critiqué l’absence d’une autorité judiciaire dans le processus.
En septembre 2008, le Parlement européen avait adopté un amendement énonçant qu’« aucune restriction aux droits et libertés fondamentales des utilisateurs finaux ne doit être prise sans décision préalable de l’autorité judiciaire », sauf exceptions relatives à la sécurité publique.
Cet amendement fut de nouveau adopté lors de la deuxième lecture du « paquet télécom », en mai dernier. La majorité n’a pourtant pas voulu tenir compte du vote massif au Parlement européen en faveur de cet amendement, et le projet de loi HADOPI a été adopté en conservant le processus de la riposte graduée.
Le Conseil constitutionnel a censuré ce dispositif pour deux raisons.
D’une part, il a considéré que la compétence reconnue à la HADOPI « n’est pas limitée à une catégorie particulière de personnes mais s’étend à la totalité de la population ; que ses pouvoirs peuvent conduire à restreindre l’exercice, par toute personne, de son droit de s’exprimer et de communiquer librement [...] ; que, dans ces conditions, eu égard à la nature de la liberté garantie par l’article 11 de la Déclaration de 1789, le législateur ne pouvait, quelles que soient les garanties encadrant le prononcé de ces sanctions, confier de tels pouvoirs à une autorité administrative ».
D’autre part, il a estimé que le renversement de la charge de la preuve prévu par le texte était contraire au principe de la présomption d’innocence. C’était en effet au titulaire de l’abonnement de produire les éléments de nature à établir que l’atteinte portée au droit d’auteur procédait de la fraude d’un tiers.
Le Sénat a d’ailleurs eu l’occasion d’affirmer, dans d’autres circonstances, notamment en ce qui concerne les femmes, qu’on ne pouvait renverser la charge de la preuve.
La HADOPI et la commission de protection des droits ne disposeront donc d’aucun pouvoir de sanction propre, car seul le juge est compétent pour pouvoir suspendre l’accès à internet et limiter ainsi l’exercice de ce qui constitue une liberté fondamentale.
Le Gouvernement a alors créé un problème là où il n’y en avait pas. Considérant que les magistrats seraient dans l’incapacité de gérer ce contentieux de masse – c’est possible –, il a décidé de recourir au juge unique et à l’ordonnance pénale pour le délit de contrefaçon.
La suspension de l’abonnement à internet devient une peine complémentaire, encourue par les auteurs du délit de contrefaçon.
Dans ces conditions, je ne comprends pas, encore une fois, pourquoi ce projet de loi a échappé à l’examen de la commission des lois, d’autant plus que la solution retenue par le Gouvernement de recourir à l’ordonnance pénale pose des problèmes juridiques et constitutionnels de fond.
Vous avez contesté cette analyse, madame le garde des Sceaux, mais il n’en reste pas moins que le texte aurait mérité un examen attentif de la commission des lois. Telle est la raison pour laquelle je demande que cette commission soit saisie.
En effet, le projet prévoit une extension du champ de l’ordonnance pénale à l’ensemble des délits de contrefaçon, énumérés aux articles L. 335-2, 335-3 et 335-4 du code de la propriété intellectuelle.
Le champ d’application de l’ordonnance pénale ne se limite donc pas aux seuls échanges illégaux de fichiers audio et vidéo sur internet, comme veut le faire croire le Gouvernement et comme le sous-entend l’intitulé du projet de loi. En effet, sont également visés les éditions d’écrits, de dessins, de peintures ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier ou en partie, en violation des droits d’auteur, ainsi que toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit.
À l’origine, l’ordonnance pénale a été créée pour les contraventions au code de la route. Ensuite, son champ a progressivement été élargi à un certain nombre de délits. La loi Perben I de 2002 l’a étendu aux délits routiers et la loi Perben II de 2004 aux contraventions connexes aux délits prévus par le code de la route et aux délits en matière de réglementations relatives aux transports terrestres.
La loi relative à la prévention de la délinquance de 2007, quant à elle, a étendu le champ au délit d’usage de produits stupéfiants, ainsi qu’au délit d’occupation des halls d’immeubles.
Cette procédure est simplifiée à l’extrême, écrite et non contradictoire ; le prévenu n’est même pas entendu par le procureur, qui communique au président le dossier de la poursuite et ses réquisitions. Ce dossier a pour base la seule enquête de police, souvent menée de façon extrêmement rapide.
Le président statue ensuite sans débat préalable par une ordonnance pénale portant relaxe ou condamnation. Dans cette procédure, les droits de la défense sont inexistants ou presque, sauf, bien sûr – vous l’avez dit –, si l’on refuse de recourir à l’ordonnance pénale. C’est pour cette raison que le groupe CRC-SPG s’est toujours opposé à cette procédure.
Aucune peine d’emprisonnement ne peut être prononcée par une ordonnance. De plus, le prévenu doit être majeur. En outre, la victime ne doit pas avoir formulé, au cours de l’enquête, une demande de dommages et intérêts.
Or, le délit de contrefaçon est puni de trois ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende, voire, lorsqu’il est commis en bande organisée, de cinq ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende ! Nous voyons bien que le projet de loi détourne la procédure de l’ordonnance pénale pour l’appliquer à un délit sanctionné par de l’emprisonnement et une lourde amende.
De plus, la victime – en l’occurrence l’auteur – ne doit pas avoir formulé de demande de dommages et intérêts. Mais l’objectif du Gouvernement n’était-il pas justement de protéger les intérêts, notamment financiers, des auteurs ?
L’utilisation de l’ordonnance pénale ne permettra donc pas aux auteurs et à leurs ayants droit de demander la réparation du préjudice, ce qui est une curieuse façon de défendre leurs intérêts !
Enfin, l’ordonnance pénale n’est pas applicable quand le prévenu est mineur. Vouloir l’appliquer en cas de téléchargement illégal sur internet revient à ignorer le fait que ce sont des mineurs qui, pour une large part, téléchargent illégalement sur internet de la musique ou des films.
Si l’on s’en tient au strict point de vue du droit, la procédure d’ordonnance pénale n’est pas appropriée à la contrefaçon, même si on peut ne pas l’appliquer. Nous aurions apprécié d’avoir l’avis de la commission des lois sur ce point.
Nous aurions également aimé connaître son avis sur les problèmes d’atteinte aux droits de la défense et à la présomption d’innocence que cette procédure, appliquée au délit de contrefaçon, ne manquera pas de créer.
En effet, dans le cadre de l’ordonnance pénale, les règles de preuve sont très limitées. La décision du parquet s’impose sans même que l’accord du prévenu ou la reconnaissance des faits qui lui sont reprochés soit requis. Dans ces conditions, l’ordonnance pénale doit être limitée à des contraventions et délits simples à établir.
Le dernier alinéa de l’article 495 du code de procédure pénale n’autorise le recours par le ministère public à l’ordonnance pénale « que lorsqu’il résulte de l’enquête de police judiciaire que les faits reprochés au prévenu sont établis et que les renseignements concernant la personnalité de celui-ci, et notamment ses charges et ses ressources, sont suffisants pour permettre la détermination de la peine ».
Dans le cas de la contrefaçon, il faudra que l’enquête apporte la preuve que la personne soupçonnée a effectivement téléchargé une œuvre protégée, ce que la simple production de son adresse IP ne suffit pas à établir, comme l’a expliqué ma collègue Alima Boumediene-Thiery.
Il y a donc de fortes chances pour que l’enquête, forcément limitée car nous sommes dans le cadre d’une procédure accélérée, ne suffise pas à établir la matérialité du délit de contrefaçon.
De surcroît, l’enquête sera menée non par des officiers de police judiciaire, mais par des agents assermentés, autrement dit par une autorité administrative. Il est donc plus que probable que les conditions posées par le dernier alinéa de l’article 495 du code de procédure pénale ne soient pas remplies dans les cas de délit de contrefaçon.
Pis encore, il est à craindre que la plupart des ordonnances pénales demandées sur la base des dossiers montés par la commission de protection des droits ne soient refusées par le juge pour cause de preuve non rapportée et n’alourdissent très nettement la procédure, ce qui est le contraire de l’objectif que semble rechercher le Gouvernement !
De nombreuses critiques ont été formulées sur la procédure de l’ordonnance pénale dans le passé, mais aussi, très récemment, par le Conseil d’État, dans l’avis qu’il a rendu sur le présent projet de loi.
La commission des lois du Sénat s’est à deux reprises exprimée contre une extension massive de cette procédure.
En 2004, d’abord, quand le projet de loi Perben II prévoyait d’étendre l’ordonnance pénale à l’ensemble des délits punis d’une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à cinq ans d’emprisonnement, la commission s’était dite « réservée face à une extension aussi massive du champ d’application de cette procédure. » Elle avait souligné ceci : « Si l’ensemble des procédures devient applicable à l’ensemble des délits, il existe un risque d’application hétérogène de la loi selon les juridictions et les situations. » Cela constitue évidemment un risque réel et très important.
En mars dernier, ensuite, la proposition de loi de simplification et de clarification du droit et d’allégement des procédures prévoyait quant à elle que l’ensemble des délits pouvait faire l’objet d’une ordonnance pénale, à l’exception des délits de presse, des délits d’homicide involontaire, des délits politiques, des délits prévus par le code du travail et des délits pour lesquels la procédure est fixée par une loi spéciale.
Le rapporteur de la commission des lois a fait alors la démonstration – et il pourrait certainement la faire de nouveau sur le présent texte si la commission était consultée – du danger qu’il y a à étendre la procédure d’ordonnance pénale à l’ensemble des délits.
Est-ce parce qu’elle s’est opposée deux fois de suite à une extension du champ de l’ordonnance pénale que la commission des lois n’a pas été saisie au fond et qu’elle ne s’est pas saisie elle-même, fût-ce pour avis, sur le présent projet de loi ? Je ne sais pas, car aucune réponse ne m’a été apportée !
Il est regrettable, mais fort probable, que tel est pourtant bien le cas : si elle avait de nouveau marqué son opposition à la procédure d’ordonnance pénale, la commission des lois, à travers cette position, aurait pu dresser un obstacle à l’adoption rapide d’un projet de loi devenu, comme chacun le sait, encombrant politiquement, puisque les deux assemblées du Parlement en sont, au total, au quatrième examen de ce « bébé » !
Or, plus aucun barrage ne doit désormais se dresser devant votre projet. Tant pis pour la commission des lois ! L’avis du Conseil d’État, extrêmement réservé, ne doit pas, lui non plus, constituer un obstacle.
Le rapporteur du Conseil d’État, lorsqu’il a examiné le projet de loi, a pourtant soulevé plusieurs problèmes d’inconstitutionnalité.
Pour lui, les garanties apportées par le juge sont réduites à la portion congrue, ce qui pourrait porter atteinte, une fois encore, au principe de la séparation des pouvoirs.
Une autre critique porte sur la proportionnalité des peines infligées avec, en toile de fond, le problème de la présomption de culpabilité. En effet, le projet de loi prévoit que, en cas de négligence caractérisée, qui aura ainsi permis à un tiers de pirater, une amende pour les contraventions de la cinquième classe et la suspension de l’accès à internet d’une durée d’un mois pourront être prononcées à l’encontre du titulaire de l’abonnement à internet, c'est-à-dire à l’encontre du malheureux qui aura fait preuve de négligence caractérisée ! Autrement dit, cette sanction se basera sur un piratage présumé de l’internaute facile à établir grâce à son adresse IP.
Le rapporteur du Conseil d’État s’est alors demandé si la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui admet qu’on se fonde sur une présomption de culpabilité « à titre exceptionnel, notamment pour les amendes », s’appliquerait en l’espèce.
Le Conseil constitutionnel a de lui-même répondu à cette question : dans le commentaire de sa décision du 10 juin sur la loi dite « HADOPI », il considère « qu’il est autrement plus difficile, pour un internaute, de savoir et, a fortiori, de démontrer que son accès à internet est utilisé à son insu, que, pour le propriétaire d’un véhicule, de savoir que ce dernier a été volé ». Il faut avouer que ce n’est pas tout à fait aussi facile !
Une saisine de la commission des lois aurait été nécessaire afin d’examiner plus précisément tous les problèmes juridiques et constitutionnels soulevés par le présent projet de loi. Nous demandons, par conséquent, que celui-ci soit renvoyé à la commission de la culture, de l'éducation et de la communication afin que la commission des lois puisse s’en saisir.
J’aimerais bien que l’on me démontre qu’un tel renvoi en commission n’est pas possible !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Pauvre projet de loi et pauvre commission de la culture, de l’éducation et de la communication !
M. Alain Gournac. Ça oui !
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. Le problème ne doit pas être vraiment important puisque nous en avons débattu bien des fois et que nous avons eu à nous prononcer sur un texte qui vise à protéger les auteurs, ceux dont les droits sont actuellement spoliés – le fait est reconnu sur toutes les travées –, ce qui les met en difficulté et constitue incontestablement une violation du droit de la propriété intellectuelle, droit que tous les régimes depuis la Révolution française se sont donné comme devoir de faire respecter. Ça n’est pas rien !
Je rappelle que la commission des affaires culturelles avait été chargée, au Sénat, de la loi DADVSI, et que tout le monde a trouvé naturel qu’elle soit saisie au fond de la loi HADOPI 1. Ce texte prévoyait un dispositif pédagogique. Il s’agissait justement d’éviter de recourir systématiquement, s’agissant de la contrefaçon, à des sanctions judiciaires tellement lourdes qu’elles en deviennent peu applicables, voire inapplicables. Voilà pourquoi nous avions confié à une haute autorité administrative les mesures pédagogiques et les éventuelles sanctions en cas de persistance dans l’erreur.
Le Conseil constitutionnel a souhaité que la sanction soit prononcée non par une haute autorité, mais par la justice.
Quoi qu’il en soit, le point de départ est toujours le même : c’est un problème qui est constaté. Nul ne peut s’étonner sur les travées de la Haute Assemblée que la commission chargée initialement de traiter ce problème continue de se préoccuper du dossier des sanctions et se saisisse au fond de l’examen de ce texte.
Les sénateurs appartenant à d’autres commissions peuvent s’exprimer s’ils le souhaitent, et Mmes Alima Boumediene-Thiery et Nicole Borvo Cohen-Seat nous ont offert la démonstration qu’elles pouvaient développer en séance publique une argumentation juridique sur ce texte.
En tout état de cause, je persiste à penser que le fait que la commission de la culture ait été saisie au fond …
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous voulons seulement que la commission des lois soit saisie pour avis !
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. … d’un problème qui concerne au premier chef la culture, les hommes de culture et les auteurs ne disqualifie pas le débat actuel.
Voilà pourquoi, mes chers collègues, je vous demande de ne pas donner suite à cette demande de renvoi à la commission.
M. Alain Gournac. Bien sûr !
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. Nous avons beaucoup travaillé, beaucoup échangé sur toutes les travées de la Haute Assemblée.
MM. Pierre Hérisson et Alain Gournac. Très bien !
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. Jusqu’ici, je le souligne, nous avons travaillé dans un esprit de dialogue, ce qui a conduit à un certain niveau de consensus, …
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. … notamment sur le constat des graves méfaits de la situation auxquels il faut porter un terme.
Mes chers collègues, ne nous livrons pas à des arguties et allons au fond des choses : il est temps, maintenant, que le Sénat se prononce ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant au renvoi à la commission.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC-SPG.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 193 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 140 |
Contre | 198 |
Le Sénat n'a pas adopté. (Bravo ! sur les travées de l’UMP.)
7
Nomination de membres d'une commission mixte paritaire
M. le président. Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de programmation relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement.
La liste des candidats établie par la commission de l’économie, de l’aménagement du territoire et du développement durable a été affichée conformément à l’article 12 du règlement.
Je n’ai reçu aucune opposition.
En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :
Titulaires : MM. Jean-Paul Emorine, Bruno Sido, Dominique Braye, Daniel Soulage, Daniel Raoul, Thierry Repentin et Mme Évelyne Didier.
Suppléants : MM. Jean Bizet, Marc Daunis, François Fortassin, Pierre Hérisson, Jackie Pierre, Paul Raoult et Mme Esther Sittler.
8
Nomination de membres de commissions
M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe Union pour un mouvement populaire a présenté une candidature pour la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et une candidature pour la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame :
- M. Simon Loueckhote, membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, en remplacement de M. Christophe-André Frassa, démissionnaire ;
- M. Christophe-André Frassa, membre de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, en remplacement de M. Simon, démissionnaire.
9
Protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet
Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi en procédure accélérée
(Texte de la commission)
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
(Texte modifié par la commission)
Après l'article L. 331-21 du code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, il est ajouté un article L. 331-21-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 331-21-1. - Les membres de la commission de protection des droits, ainsi que ses agents habilités et assermentés mentionnés à l'article L. 331-21, peuvent constater les infractions prévues au présent titre lorsqu'elles sont punies de la peine complémentaire de suspension de l'accès à un service de communication au public en ligne et de communications électroniques mentionnée aux articles L. 335-7 et L. 335-7-1.
« Ils peuvent en outre recueillir les observations des personnes concernées.
« Leurs procès-verbaux font foi jusqu'à preuve contraire. »
M. le président. Je suis saisi de cinq amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 1, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le texte proposé par cet article pour l'article L. 331-21-1 du code de la propriété intellectuelle :
« Art. L. 331-21-1. - Outre les procès-verbaux des officiers ou agents de police judiciaire, la preuve de la matérialité des infractions prévues au présent titre peut résulter des constatations des membres de la commission de protection des droits, ainsi que des agents habilités et assermentés mentionnés à l'article L. 331-21, lorsqu'elles sont punies de la peine complémentaire de suspension de l'accès à un service de communication au public en ligne et de communication électronique.
« Les opérations de constatation se déroulent sous le contrôle de l'autorité judiciaire.
« Le procureur de la République en est préalablement informé et peut s'y opposer. Il désigne un officier de police judiciaire qui est chargé d'assister à ces opérations et d'en vérifier le bon déroulement.
« Les membres de la commission de protection des droits, ainsi que des agents habilités et assermentés mentionnés à l'article L. 331-21 convoquent et entendent les personnes concernées. Toute personne convoquée a le droit de se faire assister d'un conseil de son choix. Les modalités de cette convocation et les conditions dans lesquelles est assuré l'exercice de ce droit sont déterminées par décret.
« Les procès-verbaux établis à la suite de ces opérations de police judiciaire sont remis au procureur de la République dans les cinq jours suivant leur établissement. Une copie des procès-verbaux est également remise à la personne concernée. »
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement a pour objet de substituer à la procédure prévue par le projet de loi une procédure conforme aux principes constitutionnels de séparation des pouvoirs et de respect de la présomption d’innocence.
En effet, la procédure que vous nous proposez est inconstitutionnelle à double titre.
Premièrement, elle vise à organiser la possibilité pour les membres d’une autorité administrative de constater la matérialité d’infractions pénales sans que ses agents aient de pouvoirs de police judiciaire.
Dans ces circonstances, un juge devrait non seulement autoriser de telles constatations, mais également en surveiller le bon déroulement par la désignation d’un officier de police judiciaire.
En effet, mes chers collègues, il s’agit bel et bien d’opérations de police judiciaire, qui devraient être menées sous le contrôle du parquet.
Selon le Conseil constitutionnel, « la poursuite et la répression des crimes et délits relève, par principe, du pouvoir de contrôle de l’autorité judiciaire ».
Le Conseil poursuit ainsi : « l’autorité judiciaire devait être informée au plus tôt et prendre le contrôle du reste de la procédure sous sa surveillance en cas de poursuite d’une infraction ou d’existence de raisons plausibles qu’une infraction va être commise ».
Nous sommes bien dans le cadre d’une poursuite d’infraction puisque le procès verbal en constate une. Par conséquent, logiquement, le juge devrait être impliqué.
Dans ce projet de loi, la commission de protection des droits remplace à elle seule la police judiciaire et le parquet pour la poursuite des infractions ! Il s’agit d’une privatisation grave des poursuites pénales, qui est contraire au principe de séparation des pouvoirs.
Deuxièmement, cet article soulève le problème de la violation du principe de la présomption d’innocence.
Selon le Conseil constitutionnel, il ne peut être établi en matière répressive de présomption de culpabilité. Le principe de la présomption d’innocence s’y oppose : on est innocent jusqu’à preuve, devant le juge, de sa culpabilité. Or dire que le procès-verbal fait foi jusqu’à preuve du contraire, c’est justement mettre en place une présomption de culpabilité ! L’internaute est présumé coupable, et c’est à lui d’apporter la preuve qu’il ne l’est pas : c’est un comble !
Un tel renversement de la charge de la preuve n’est accepté que dans des domaines très précis où la matérialité de l’infraction et l’identité de l’auteur sont incontestables, par exemple les infractions routières.
La contrefaçon sur internet est plus complexe qu’un délit routier, et on ne peut transposer aveuglement la poursuite d’une infraction routière à l’infraction de contrefaçon simplement pour mieux condamner !
Vous mettez en place une procédure d’exception, qui s’assoit sur les principes fondamentaux du procès équitable et des droits de la défense ! La Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, la HADOPI, n’est pas au service de la justice, c’est la justice que vous mettez à son service ! La personne n’est ni convoquée ni rendue apte à faire valoir ses observations systématiquement, et elle n’est pas assistée dans ce cas par son avocat !
Un pauvre procès-verbal suffit à établir la matérialité de l’infraction : l’imputabilité découlera de l’adresse IP, qui n’est pas forcément celle de l’auteur de l’infraction puisque ce type d’adresse peut aujourd’hui être détourné…
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cela n’a plus rien à voir avec le conducteur qu’on fait souffler dans un ballon et dont on établit facilement l’identité ! Il s’ensuit donc que l’article 1er viole le principe de la présomption d’innocence.
Notre amendement est une proposition de bon sens : rendre la procédure conforme à la Constitution sur tous ces points, en rendant au juge la place qui lui revient en vertu de la Constitution, celle de garant de nos libertés !
M. le président. Je rappelle au Sénat que, depuis l’adoption de notre nouveau règlement, les orateurs disposent de trois minutes au maximum pour présenter leur amendement.
L’amendement n° 7, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Dans le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l’article L. 331-21-1 du code de la propriété intellectuelle, après le mot :
peuvent
insérer les mots :
, après en avoir préalablement informé le procureur de la République qui peut s’y opposer,
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Je présenterai cet amendement en moins d’une minute, et je pense que cela compensera, monsieur le président ! En effet, l’amendement n° 7 est un amendement de repli, partiellement défendu lors de la présentation de l’amendement n° 1.
Le problème central du dispositif prévu par l’article 1er est l’éviction du juge : à aucun moment celui-ci n’est consulté, et à aucun moment les opérations de constatation des infractions ne sont contrôlées.
Le statut des membres de la commission de protection des droits souffre d’une ambiguïté évidente : ceux-ci exercent-ils des pouvoirs de police judiciaire ? Non, selon Mme la ministre d’État ; oui, d’après l’exposé des motifs du projet de loi !
Afin de lever cette ambiguïté, il vous est proposé de soumettre la mise en œuvre de la procédure de constatation d’infractions à l’autorisation implicite du procureur de la République. Cette mesure n’entraînera aucune augmentation des charges du ministère de la justice puisque – faisons pour une fois confiance à la commission des finances sur ce point ! – cet amendement ne s’est pas vu opposer l’irrecevabilité financière au titre de l’article 40 de la Constitution.
Cette mention aura pour effet de placer la procédure sous le contrôle de l’autorité judiciaire, seule compétente en matière de poursuite d’infractions. Faisons confiance aux juges, madame la ministre d’État !
M. le président. L’amendement n° 10, présenté par MM. Ralite, Renar et Voguet, Mme Gonthier-Maurin et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Remplacer les deux derniers alinéas du texte proposé par cet article pour l’article L. 331-21-1 du code de la propriété intellectuelle par un alinéa ainsi rédigé :
« Ils dressent un procès-verbal de leurs déclarations. Les personnes entendues procèdent elles-mêmes à sa lecture, peuvent y faire consigner leurs observations et y apposent leur signature. Si elles déclarent ne pas savoir lire, lecture leur en est faite par l’agent assermenté préalablement à la signature. Au cas de refus de signer le procès-verbal, mention en est faite sur celui-ci. »
La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. La procédure instaurée par ce projet de loi pose plusieurs problèmes, en particulier celui de l’absence de garantie des droits de la défense. Compte tenu de la définition des nouvelles missions d’enquête de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, qui se voit confier un pouvoir d’enquête et de constatation des infractions d’ordinaire dévolu à la police judiciaire, et de l’introduction, pour le traitement des actes de contrefaçon, de deux procédures judiciaires simplifiées, nous sommes en présence d’un dispositif qui ne prévoit à aucun moment que le citoyen soit entendu, ni au stade de l’enquête ou de l’instruction ni lors du jugement.
Or, le droit d’être entendu constitue la première garantie de jugement équitable, la prérogative minimale de la défense, ainsi que l’établissent à la fois l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article préliminaire du code de procédure pénale. Le droit d’enquête accordé à la Haute autorité est donc exorbitant.
Le droit d’être entendu doit donc non seulement être introduit dans la procédure d’enquête de la Haute autorité, mais également être formalisé et normalisé, dans la mesure où il s’agit du premier stade d’un jugement ultérieur. Précisons-le immédiatement, si l’avant-dernier alinéa de l’article L. 331-26 du code de la propriété intellectuelle offre aux internautes accusés la possibilité d’envoyer leurs observations à la Haute autorité, cette faculté ne saurait se substituer à un recueil formel et obligatoire de leurs observations par un agent assermenté lors de ce qui est bien une phase d’enquête, voire d’instruction.
Par ailleurs, parmi les deux derniers alinéas, que nous proposons de récrire, le dernier indique que les procès-verbaux de la Haute autorité « font foi jusqu’à preuve contraire »…
Dans un contexte où le citoyen visé par les accusations n’est pas nécessairement entendu, cet alinéa renverse la charge de la preuve, en créant une véritable présomption de culpabilité qui constitue une atteinte au principe constitutionnel de présomption d’innocence.
Souvenons-nous que, dans sa décision sur la conformité à la Constitution du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, le Conseil constitutionnel a estimé que « le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive ». Il est donc nécessaire, sous peine d’inconstitutionnalité, de supprimer le dernier alinéa de l’article 1er du présent projet de loi.
Modifier la procédure d’enquête de la Haute autorité en y réintroduisant un minimum de garanties des droits de la défense et s’assurer que ne soit pas inscrit dans la loi que le jugement ne se fera qu’à charge, tel est le sens de la récriture des deux derniers alinéas de cet article. Ces deux points ont fait l’objet de commentaires dans la décision rendue le 10 juin 2009 par le Conseil constitutionnel, mais la majorité ne semble pas les avoir totalement entendus !
M. le président. L’amendement n° 8 rectifié bis, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Après le deuxième alinéa du texte proposé par cet article pour l’article L. 331-21-1 du code de la propriété intellectuelle, insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Ils convoquent et entendent les personnes concernées, lorsqu’elles le demandent. Toute personne convoquée a le droit de se faire assister d’un conseil de son choix.
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Il s’agit également d’un amendement de repli, qui concerne de manière spécifique le droit pour toute personne faisant l’objet de poursuites de faire valoir ses observations devant les membres de la commission de protection des droits.
L’article 1er du projet de loi prévoit que les membres de la commission de protection des droits « peuvent recueillir les observations de la personne intéressée ». Cela signifie que les droits de la défense seront respectés si cette commission le désire.
Or, le code de procédure pénale, qui s’applique à cette procédure puisqu’il s’agit de mettre en œuvre des poursuites, dispose que toute personne poursuivie pour une infraction peut être entendue, au besoin en présence d’un conseil.
La procédure que vous proposez d’instaurer prive la personne suspectée du droit d’être entendue et, surtout, du droit d’être assistée. Si l’on y ajoute la procédure écrite de l’ordonnance pénale, à aucun moment l’intéressé ne pourra faire valoir ses observations sans l’autorisation de la commission de protection des droits. C’est pourquoi nous vous proposons d’intégrer un dispositif permettant la convocation de la personne poursuivie, au besoin assistée d’un avocat, « si elle le souhaite », comme le précise la rectification que j’ai apportée à mon amendement.
Afin d’éviter d’alourdir le dispositif en imposant une convocation systématique, nous vous proposons donc de donner la possibilité à toute personne qui le désire d’être entendue.
Je précise qu’il est important, dans ce cas de figure, que la personne concernée soit informée de la possibilité de faire valoir ses observations. Sans cette information, la convocation ne sera pas effective et les droits de la défense ne seront pas garantis. C’est la raison pour laquelle je vous demande, madame la ministre d’État, d’indiquer dans le décret en cours de préparation que l’information doit être délivrée, qu’elle doit mentionner toutes les procédures, toutes les voies de recours, la possibilité de se faire assister d’un conseil et le droit d’être entendu en présence de ce conseil.
M. le président. L’amendement n° 9, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Supprimer le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l’article L. 331-21-1 du code de la propriété intellectuelle.
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement a également été partiellement défendu. Il concerne la présomption de culpabilité établie par le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l’article L. 331-21-1 du code de propriété intellectuelle.
Dans sa décision du 10 juin 2009, le Conseil constitutionnel a clairement défini le principe de la présomption d’innocence en réaffirmant que les présomptions de culpabilité en matière répressive étaient proscrites, sauf si elles répondent à des critères déterminés.
En réalité, cette présomption ne peut jouer que dans le cas d’une infraction parfaitement constituée. Ainsi, si une personne est arrêtée en état d’ivresse, l’infraction est simple à établir grâce à un examen sanguin ou à un éthylotest, et son identité est souvent également facile à établir grâce au permis de conduire.
Or, ce projet de loi nous propose d’étendre ce dispositif à une infraction de contrefaçon sur internet, beaucoup plus complexe qu’une infraction routière. En effet, le procès-verbal ne suffit pas à imputer l’infraction à une personne sur la seule base de l’adresse IP. Vous le savez, mes chers collègues, les logiciels visant à brouiller les identités existent déjà, avant même que la loi ne soit votée ! Par ailleurs, les internautes savent détourner les adresses IP : rien ne garantit donc que celui qui possède l’adresse soit l’auteur de la fraude. La situation est encore plus complexe lorsque l’infraction est commise, par exemple, dans un cybercafé : un nombre indéfini de personnes sont alors susceptibles d’avoir commis l’infraction !
Comment, dans ces conditions, établir avec certitude l’identité de l’auteur de l’infraction ? Ainsi, les procès-verbaux de constatation se borneront à établir une identité – peu importe que ce soit la bonne –, et cette personne devra prouver qu’elle n’a pas commis d’infraction ! C’est un renversement scandaleux de la charge de la preuve, qui est ici inopérant, et même contraire au principe de la présomption d’innocence. C’est la raison pour laquelle nous vous proposons de supprimer la mention de la force probante des procès-verbaux, étant entendu que, dans ce cas, ces derniers pourront être produits sans pour autant revêtir la valeur que le texte souhaite leur conférer : celle d’une vérité absolue !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Thiollière, rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Les auteurs de l’amendement n° 1 contestent la procédure qui sera suivie par la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, la HADOPI, au motif qu’elle ne respecterait pas la séparation des pouvoirs et ne garantirait pas la présomption d’innocence.
Le premier argument ne peut être retenu, si l’on songe aux prérogatives de nature similaire confiées à d’autres autorités administratives indépendantes. Par ailleurs, ces pouvoirs s’exercent toujours sous le contrôle des autorités judiciaires et en application des dispositions du code de procédure pénale : celui-ci prévoit, par exemple, des délais de transmission des procès-verbaux.
La commission repousse également le second argument, relatif à la présomption d’innocence, dans la mesure où il reviendra au seul juge de qualifier l’infraction, le procès-verbal établi par la Haute autorité lui étant transmis pour apprécier la nécessité d’ordonner ou non une enquête.
C’est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 1.
L’amendement n° 7 recueille aussi un avis défavorable de la commission, car il imposerait à la Haute autorité d’informer le procureur de la République préalablement à la constatation des infractions.
Je rappelle que l’action des agents à qui seront confiés des pouvoirs de police judiciaire sera conduite sous le contrôle des autorités judiciaires, en application des articles 12 et suivants du code de procédure pénale. On ne voit pas pourquoi il conviendrait d’adopter dans le cas présent des dispositifs différents de ceux qui sont retenus pour d’autres autorités administratives indépendantes, telle la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE.
Quant à l’amendement n° 10, la commission a suggéré à ses auteurs, ce matin, lors de sa réunion, de le rectifier. Elle a ainsi demandé que, dans la première phrase de l’alinéa, les mots : « Ils dressent un procès-verbal de leurs déclarations. » soient remplacés par les mots : « Lorsqu’il est procédé à leur audition, il est dressé un procès-verbal de ces déclarations. », l’alinéa présenté par l’amendement s’insérant de surcroît après le deuxième alinéa du texte proposé par la commission pour l’article L. 331-21-1 du code de la propriété intellectuelle, et non à la place des deux derniers alinéas.
Mais Mme Brigitte Gonthier-Maurin, en présentant l’amendement, n’a fait aucune allusion à une éventuelle rectification. Si elle acceptait de modifier l’amendement dans le sens que je viens d’indiquer, la commission émettrait un avis favorable. Dans le cas contraire, l’avis de cette dernière serait évidemment défavorable.
S’agissant de l’amendement n° 8 rectifié bis, je remercie Mme Boumediene-Thiery d’avoir répondu positivement à la demande exprimée ce matin en commission, en acceptant de rectifier son amendement. Par conséquent, l’avis de la commission est favorable.
Enfin, la commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 9, car la disposition selon laquelle les procès-verbaux de la Haute autorité font foi « jusqu’à preuve contraire » est une disposition classique qui reprend les dispositions générales de l’article 431 du code de procédure pénale et qui est applicable dans beaucoup d’autres cas, par exemple aux procès-verbaux établis par les inspecteurs du travail.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Cinq amendements étaient déposés sur cet article 1er : je souhaite rappeler, dans un premier temps, l’utilité et la portée juridique de cet article pour bien faire comprendre la position du Gouvernement.
L’article 1er donne aux agents de la Haute autorité, saisis par les ayants droit, des pouvoirs limités de police judiciaire pour constater les infractions : d’une part, les délits de contrefaçon commis par les « pirates », d’autre part, la contravention de négligence caractérisée commise par un abonné.
L’objectif est que les procédures dressées par la Haute autorité puissent, de façon non pas systématique mais au moins fréquente, servir de base à l’engagement de poursuites sans qu’il soit nécessaire de les compléter par une enquête confiée à la police ou à la gendarmerie nationale. Pour autant, de telles enquêtes seront toujours possibles si elles sont nécessaires pour établir les faits et si le procureur le décide.
Par ailleurs, en confiant des pouvoirs de police judiciaire à ces agents, la loi les place automatiquement dans le champ d’application des dispositions des articles 12 et suivants du code de procédure pénale. Leur action sera donc nécessairement menée sous la direction, le contrôle et la surveillance du procureur de la République, du procureur général et de la chambre de l’instruction, en application des articles dudit code.
Les procès-verbaux qu’ils dresseront devront être transmis au procureur. Une circulaire cosignée par les ministres de la justice et de la culture pourra préciser les modalités pratiques de leurs interventions et l’articulation de celles-ci avec les autorités judiciaires.
J’en viens maintenant à la position du Gouvernement sur les cinq amendements.
Je ne suis pas favorable à l’amendement n° 1, qui vise à réécrire totalement l’article 1er, afin notamment de rappeler que les opérations de ces agents se déroulent sous le contrôle de l’autorité judiciaire. Cette précision est inutile puisque cela découle déjà des dispositions que je viens de citer.
Il est par ailleurs excessif d’exiger que tous les actes des agents de la HADOPI soient réalisés en présence d’un officier de police judiciaire. L’intérêt de ce texte est de donner à ces agents des pouvoirs propres de police judiciaire, comme c’est le cas pour d’autres autorités ou d’autres administrations.
Il est de même inutile d’exiger que les procès-verbaux soient transmis dans un délai de cinq jours au procureur, car, si une infraction est constatée, ces procès-verbaux devront lui être transmis sans délai, en application des dispositions générales de l’article 40 du code de procédure pénale.
Je ne suis pas non plus favorable à l’amendement n° 7, qui exige l’information préalable du procureur avant tout acte des agents de la HADOPI. Ce n’est évidemment ni justifié ni matériellement possible. Quand un agent de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ou de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité entend une personne soupçonnée de pratiques anticoncurrentielles ou de discrimination, il ne prévient pas préalablement le parquet.
L’amendement n° 8 – c’est la version initiale de l’amendement n° 8 rectifié bis – et l’amendement n° 10 traitent tous les deux de la question des auditions effectuées par les agents de la HADOPI, le premier prévoyant que la personne peut venir avec un avocat, le second précisant les modalités de signature du procès-verbal de l’audition.
Le Gouvernement n’est pas opposé aux objectifs visés à travers ces deux amendements, mais ceux-ci sont contradictoires entre eux, car ils visent à remplacer le même alinéa de l’article.
Par ailleurs, ils écrasent cet alinéa, qui prévoit que les agents de la HADOPI peuvent recueillir les observations des personnes concernées. Or, cet alinéa doit être absolument conservé, car il fait de l’audition une faculté à laquelle la Haute autorité peut recourir si c’est utile dans le cas d’espèce. Si ce n’est pas le cas et que les abonnés préfèrent présenter leurs observations par courrier ou par mail, il est inopportun de leur imposer systématiquement une audition, qui implique un déplacement, pour un enjeu qui pourra parfois être très réduit.
Je rappelle que les avertissements adressés par la HADOPI sont dépourvus par eux-mêmes de toute portée juridique et que seule l’autorité judiciaire dispose du pouvoir de sanction.
Les dispositions proposées à travers ces amendements doivent compléter le texte et non remplacer cet alinéa.
Le Gouvernement est donc favorable à l’amendement n° 8 rectifié bis dès lors que, insérant un alinéa après le deuxième alinéa du texte proposé par l’article 1er pour l’article L.331-21-1 du code de la propriété intellectuelle, il ajoute la possibilité pour les abonnés de demander une audition afin de présenter leurs observations.
En revanche, le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 10.
Enfin, le Gouvernement n’est pas favorable à l’amendement n° 9, qui tend à supprimer l’alinéa précisant que les procès-verbaux des agents de la HADOPI valent jusqu’à preuve contraire. Il ne s’agit évidemment pas, contrairement à ce qui a été dit, d’une présomption de culpabilité. Cet alinéa se borne à décliner un principe général posé à l’article 431 du code de procédure pénale concernant les agents qui ont reçu de la loi le pouvoir de constater les infractions.
M. le président. Madame Gonthier-Maurin, l'amendement n° 10 est-il rectifié ?
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Non, monsieur le président. Selon nous, le droit pour la défense d’être entendu est primordial. C’est pourquoi le texte proposé par le Gouvernement et la commission pour l’article L.331-21-1 du code de la propriété intellectuelle nous paraît porteur d’un glissement très dangereux : alors que les procès-verbaux faisant aujourd'hui foi jusqu’à preuve contraire concernent uniquement les contraventions, il s’agit en l’espèce d’un délit. L’évolution me semble donc très inopportune.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote sur l'amendement n° 9.
Mme Marie-Christine Blandin. L’amendement n° 9, sur lequel la commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable, a pour but de supprimer la force probante des procès-verbaux en matière de téléchargement.
Les cas reconnus de force probante cités par Mme Boumediene-Thiery – excès de vitesse, alcoolémie – ou par M. le rapporteur – transgression du droit du travail – se justifient par la preuve flagrante : le radar, l’analyse chimique de l’éthanol, le constat de travailleur au contact de l’amiante sans scaphandre, le non-respect des règles de sécurité sur un échafaudage.
En revanche, l’usager – je ne dis pas « le client » – d’internet dont un voisin indélicat aura utilisé l’adresse IP sera totalement dépourvu devant le procès-verbal. Allumez vos ordinateurs et regardez les noms de vos voisins ayant souscrit des abonnements internet : vous découvrirez qu’une constellation de réseaux est à votre disposition. S’il y a cinq réseaux, vous en trouverez toujours un qui ne sera pas sécurisé et sera donc accessible !
À ce sujet, le législateur a prévu plus loin dans le texte le cas où le titulaire d’un abonnement aura fait preuve de négligence. J’attire votre attention sur cette notion de « négligence » ou de « non-négligence ». La non-négligence revient à utiliser un certain logiciel et à acheter un certain type de pare-feu et d’antivirus. Avec votre texte, faire preuve demain de « négligence », ce sera utiliser Linux ou tout logiciel libre ! Seront négligents tous ceux qui auront choisi d’autres systèmes que celui d’une grande multinationale voulant dominer l’informatique !
C'est pourquoi je soutiens cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour explication de vote.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Admettre qu’un procès-verbal qui n’est pas rédigé par un officier de police judiciaire fait foi dans le cours de l’instruction, durant l’enquête et tout au long de la procédure, c’est s’acheminer doucement vers la disparition du juge d’instruction.
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Article 1er bis (nouveau)
Le code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 précité est ainsi modifié :
I. - Le dernier alinéa de l'article L. 331-22 est supprimé.
II. - L'article L. 331-25 est abrogé. – (Adopté.)
Article 1er ter (nouveau)
Le code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 précitée est ainsi modifié :
I. - La première phrase du premier alinéa de l'article L. 331-26 est complétée par les mots suivants : « et l'avertissant des sanctions encourues en application des articles L. 335-7 et L. 335-7-1 ».
II. - Le premier alinéa de l'article L. 331-35 est complété par les mots suivants : « et en application de l'article L. 335-7-1 ».
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 2 est présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller.
L'amendement n° 11 est présenté par MM. Ralite, Renar et Voguet, Mme Gonthier-Maurin et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Dans le I de cet article, remplacer les mots :
et l'avertissant des sanctions encourues en application des articles L. 335-7 et L. 335-7-1
par les mots :
, l'avertissant des sanctions encourues en application des articles L. 335-7 et L. 335-7-1 et l'informant des voies et délais de recours
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour présenter l'amendement n° 2.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement vise à inscrire dans le projet de loi la nécessaire information de la personne sur les voies et délais de recours contre la sanction encourue.
Il s’agit d’un amendement de bon sens, que j’avais déjà présenté lors de l’examen de la loi HADOPI 1 et que notre assemblée avait à l’époque accepté.
Nous sommes totalement opposés au dispositif que vous avez créé. Néanmoins, la moindre des choses, c’est qu’il respecte un certain nombre de principes et, au premier chef, celui du droit à un recours.
Ce principe est respecté si, en tout premier lieu, une menace de sanction est accompagnée de manière claire d’une information sur les voies et les délais de recours, de manière à éviter qu’une personne condamnée n’ait même pas la possibilité de contester les charges pesant contre elle.
Cet amendement rejoint par ailleurs l’objectif de prévention et de pédagogie qui est censé inspirer ce projet de loi.
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour présenter l'amendement n° 11.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Le dispositif prévu par ce projet de loi est peut-être « simplifié » du point de vue technique, encore que, ainsi que nous l’avons montré dans la discussion générale et en présentant la motion de renvoi à la commission, il n’est pas certain que ce soit le cas. Cependant, il est très opaque du point de vue du citoyen, susceptible d’être poursuivi pour un délit à l’occasion duquel c’est sa culpabilité et non son innocence qui sera présumée.
Face à des dispositifs tels que ceux qui sont envisagés pour sanctionner le téléchargement illégal, les internautes ne disposent dans le système proposé ni du droit d’être entendu, ni des pièces et motifs de l’accusation qui doivent être transmis au juge, ni des informations concernant la procédure dans son ensemble ou des droits qui leur sont ouverts dans ce cadre.
Or il est essentiel de disposer de toutes ces informations dans le contexte d’une procédure de type exceptionnel – les citoyens n’y sont pas accoutumés –, non contradictoire, écrite et dans laquelle les délais et les voies de recours sont différents des procédures de droit commun.
Nous sommes opposés, nous l’avons déjà dit, à tout le dispositif construit par cette loi, car, loin de résoudre le problème auquel est confrontée la création, il engendre de surcroît une situation pénale attentatoire au droit des citoyens. Cet amendement de repli a donc vocation à prévoir un minimum de protection pour ces derniers.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Thiollière, rapporteur. Tout est question de chronologie dans ce texte de loi, comme on l’a dit à plusieurs reprises. Il nous paraît donc tout à fait légitime que, au moment où la recommandation est envoyée à l’internaute, celui-ci puisse connaître les sanctions éventuellement encourues en application du projet de loi. C’est l’objet de cet article 1er ter, introduit dans le texte par amendement de la commission.
En revanche, quand on en est au stade de la recommandation, on n’en est pas, par définition, au moment de l’inculpation. S’il y a éventuellement inculpation – mais nous ne souhaitons pas qu’on en arrive là puisqu’il y a la recommandation –, le justiciable sera alors bien entendu informé des voies de recours.
Mais ce n’est pas la bonne chronologie, et c'est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable sur les amendements identiques nos 2 et 11.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Je rappelle que les avertissements adressés par la Haute autorité sont précisément destinés à éviter toute sanction en attirant l’attention de l’abonné sur l’utilisation de son accès.
Si une sanction est finalement prise par le juge, elle sera notifiée à l’intéressé comme tout autre jugement et mentionnera évidemment les voies et les délais de recours. Cela découle des dispositions générales du code de procédure pénale, par exemple de l’article 495-3 si le juge a utilisé la voie de l’ordonnance pénale.
Mais, au stade de l’avertissement, cela n’a pas de sens d’informer la personne des voies de recours : cette dernière n’est pas condamnée et ne sera peut-être jamais poursuivie.
Le Gouvernement est donc défavorable à ces deux amendements identiques.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 2 et 11.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er ter.
(L'article 1er ter est adopté.)
Article 1er quater (nouveau)
L'article L. 331-36 du code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 précitée est complété par un second alinéa ainsi rédigé :
« La personne dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne est tenue d'informer la commission de protection des droits de la date à laquelle elle a débuté la suspension ; la commission procède à l'effacement des données à caractère personnel relatives à l'abonné à l'issue de la période de suspension. » – (Adopté.)
Article 1er quinquies (nouveau)
Au deuxième alinéa de l'article L. 331-37 du code de la propriété intellectuelle dans la rédaction issue de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 précitée, les mots : « et de tous les actes de procédure afférents » sont remplacés par les mots : « , de tous les actes de procédure afférents, et de l'information des organismes de défense professionnelle et des sociétés de perception et de répartition des droits des éventuelles saisines de l'autorité judiciaire ainsi que des notifications prévues au cinquième alinéa de l'article L. 335-7 ». – (Adopté.)
Article 2
(Non modifié)
I. - Après le onzième alinéa (9°) de l'article 398-1 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« 10° Les délits prévus aux articles L. 335-2, L. 335-3 et L. 335-4 du code de la propriété intellectuelle. »
II. - Après le sixième alinéa (5°) de l'article 495 du même code, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« 6° Les délits prévus aux articles L. 335-2, L. 335-3 et L. 335-4 du code de la propriété intellectuelle. »
M. le président. L'amendement n° 12, présenté par MM. Ralite, Renar et Voguet, Mme Gonthier-Maurin et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. L’objectif de cet article est de permettre de beaucoup réprimer, à moindre coût. C’est ce qui ressort de l’exposé des motifs du projet de loi : il y est en effet indiqué que, si le législateur a décidé de recourir à la procédure du juge unique et aux ordonnances pénales en matière de délits de contrefaçon, c’est non parce que la nature des délits permettrait le recours à ce type de procédure, mais parce que les atteintes aux droits d’auteur et aux droits voisins, lorsqu’elles sont commises par l’intermédiaire d’internet, sont très répandues. L’important est non pas de garantir les conditions d’une justice équitable, mais de faire de l’abattage.
Pourtant, l’adoption de ce projet de loi entraînera un surcroît de travail pour des magistrats déjà bien souvent surmenés. C’est ce que révèle l’étude d’impact demandée par le Gouvernement sur la mise en œuvre du nouveau texte anti-piratage.
Les chiffres ont effectivement de quoi donner le tournis aux magistrats. Le rapport prévoit que la justice traitera chaque année 50 000 cas, ce qui nécessitera 109 postes supplémentaires, dont 26 de magistrats. Selon l’étude, le temps consacré à chaque dossier sera d’environ 35 minutes : 5 minutes pour le traitement de l’ordonnance pénale et 30 minutes comprenant la préparation de l’audience, le temps d’audience et la rédaction de la décision. En cas d’appel, il faudra compter 50 minutes de plus. L’étude prévoit que la moitié des internautes feront appel : en effet, « le taux d’opposition peut être important dans la mesure où la peine de suspension de l’accès à l’internet aura des conséquences pratiques évidentes pour les condamnés ».
Pour combler les brèches ouvertes par le Conseil constitutionnel, vous avez cru bon de transférer le volet répressif de la commission de protection des droits au juge, mais cela ne fait que déplacer le problème. En effet, malgré les efforts du Gouvernement, avec un tel dispositif, le risque d’inconstitutionnalité n’est toujours pas écarté. Le Conseil constitutionnel a déjà eu l’occasion en 2002, avec la loi Perben I, de se prononcer sur la procédure simplifiée appliquée aux délits : cette dernière doit être réservée aux cas où sont « assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l’existence d’une procédure juste et équitable » et où « il résulte de l’enquête de police judiciaire que les faits reprochés au prévenu sont établis et que les renseignements concernant la personnalité de celui-ci, et notamment ses charges et ses ressources, sont suffisants pour permettre la détermination de la peine ».
Or, en l’espèce, il n’y aura pas d’enquête de police judiciaire puisque c’est une autorité administrative qui réunira les preuves. Alors qu’une adresse IP est très largement insuffisante pour savoir qui utilise l’ordinateur en question, comment connaître la personnalité et les ressources de l’abonné ?
La justice est engorgée et fonctionne à flux tendus. Lui confier un contentieux de masse crée une menace d’asphyxie, ou suppose l’abandon de poursuites dans d’autres domaines ; mais lesquels ? Les violences conjugales ? Le trafic de stupéfiants ?
Le Gouvernement exclut de fournir à la justice les moyens dont elle a besoin ; il préfère étendre plus encore le champ d’action des procédures les plus bureaucratiques et expéditives au détriment du vrai travail des magistrats, celui de l’enquête, de l’investigation et de la justice.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Thiollière, rapporteur. La possibilité de recourir à l’ordonnance pénale en matière de délit de contrefaçon via internet, comme celle de recourir au juge unique, répond à un souci d’efficacité des procédures : le caractère massif du piratage justifie le recours à des procédures accélérées lorsque les autorités judiciaires l’estimeront souhaitable.
Il faut préciser que le recours à une procédure simplifiée n’est pas automatique : le choix est d’abord laissé à l’appréciation du parquet, qui ne peut suggérer de recourir à l’ordonnance pénale que lorsque les faits poursuivis sont établis et que les renseignements sont suffisants pour permettre de déterminer la peine. Ensuite, le juge peut refuser cette voie et opter pour une procédure classique, s’il considère qu’il ne dispose pas des éléments suffisants.
D’après les informations fournies par le Gouvernement, l’action des parquets quant à l’opportunité et aux conditions d’utilisation des ordonnances pénales sera encadrée par une circulaire du ministre de la justice. Mme le garde des sceaux pourra certainement nous apporter un éclairage à cet égard.
Je précise enfin que la commission a prévu, à l’article 1er quinquies, que la Haute autorité pourra informer les ayants droit des éventuelles saisines de l’autorité judiciaire pour leur permettre de décider s’ils souhaitent ou non se constituer partie civile. Dans ce cas, il serait fait obstacle à la procédure de l’ordonnance pénale, au bénéfice d’une procédure classique.
Pour ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Le recours au juge unique et aux ordonnances pénales est couramment admis pour les affaires simples, commises à grande échelle, ce qui est précisément le cas de la contrefaçon d’œuvres sur internet. Ces procédures bien connues, qui existent depuis fort longtemps dans notre droit, respectent les droits de la défense.
Le recours aux procédures simplifiées n’est d’ailleurs qu’une simple faculté : c’est le procureur qui apprécie, au vu du dossier dont il dispose, l’opportunité de recourir ou non à l’ordonnance pénale. Ce choix peut être remis en cause par le président du tribunal si son appréciation diffère de celle du parquet. La procédure normale reprend alors son cours.
Par ailleurs, les ayants droit peuvent également faire obstacle à l’utilisation de l’ordonnance pénale en se portant partie civile pour obtenir des dommages et intérêts.
Enfin, le prévenu lui-même peut faire opposition à cette procédure.
En ce qui concerne le juge unique, le tribunal pourra toujours renvoyer une affaire devant une formation collégiale si la complexité ou la gravité de l’affaire le justifie.
Le Gouvernement a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 3 est présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller.
L'amendement n° 13 est présenté par MM. Ralite, Renar et Voguet, Mme Gonthier-Maurin et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer le II de cet article.
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour présenter l'amendement n° 3.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement a pour objet de supprimer le recours automatique à l’ordonnance pénale.
Tout d’abord, l’ordonnance pénale a été créée pour faire face aux contentieux de masse, qui ne soulèvent guère de problèmes de preuve. Une telle procédure est absolument impraticable pour les délits de contrefaçon sur internet. En effet, le dernier alinéa de l’article 495 du code de procédure pénale prévoit ceci : « Le ministère public ne peut recourir à la procédure simplifiée que lorsqu’il résulte de l’enquête de police judiciaire que les faits reprochés au prévenu sont établis et que les renseignements concernant la personnalité de celui-ci, et notamment ses charges et ses ressources, sont suffisants pour permettre la détermination de la peine ».
Ensuite, en vertu du neuvième alinéa de l’article 495 du code de procédure pénale, l’ordonnance pénale suppose que la victime ne demande pas de dommages et intérêts. Alors même que la protection contre la contrefaçon est un outil de protection des auteurs et artistes, le recours à l’ordonnance pénale les prive du droit de demander réparation de leur préjudice, ce qui absolument contre-productif.
Par ailleurs, l’ordonnance pénale n’est pas applicable aux mineurs en vertu du huitième alinéa de l’article 495. Or, nous le savons, ceux qui recourent le plus au piratage sont des mineurs.
Enfin, dans sa décision du 29 août 2002, le Conseil constitutionnel a considéré que, « si l’article 495-1 du même code donne au ministère public le pouvoir de choisir la procédure simplifiée, dans le respect des conditions fixées par l’article 495, c’est en raison du fait que la charge de la poursuite et de la preuve lui incombe ».
L’article 495 fait très clairement référence à la charge de la preuve, qui incombe au ministère public, alors que le projet de loi prévoit que le procès-verbal établi par la commission de protection des droits fait foi jusqu’à preuve du contraire. Cette contradiction doit être levée, car elle est contraire au principe de la présomption d’innocence.
Mes chers collègues, la procédure d’ordonnance pénale n’est recevable que si le prévenu a bénéficié de toutes les garanties d’un procès équitable. Or, le dispositif proposé dans le projet de loi a justement pour but de contourner le principe constitutionnel du droit à un procès équitable. La place faite au juge est réduite à la portion congrue : il n’aura d’autre pouvoir que de prononcer la peine au vu du dossier monté par la Haute autorité, sans aucune marge de manœuvre.
Contrairement à ce que vous avez dit ou à ce que vous avez voulu faire croire, madame la ministre d’État, nous faisons confiance au juge et demandons un contrôle judiciaire.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Or, votre projet de loi ne fait pas place au parquet et induit même – vous devez l’avouer – la disparition du juge d’instruction. Vous n’avez donc pas confiance en les juges ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Michel Charasse. Ça, ce n’est pas grave ! On s’en remet ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour présenter l'amendement n° 13.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. L’ordonnance pénale a d’abord été créée pour faire face aux contentieux de masse posant peu de problèmes de preuve, à savoir les contraventions routières. Ces contraventions sont matériellement simples et obéissent à des règles de preuve qui limitent considérablement les droits de la défense ; un extrait du casier judiciaire est suffisant pour que le juge fixe une peine adéquate.
Cette pratique, qui permet d’augmenter, à budget constant, le nombre de condamnations, était alléchante. C’est pourquoi, selon la technique habituelle de l’exception qui s’élargit discrètement, cette procédure qualifiée de « simplifiée » a été étendue à plusieurs autres délits, notamment par les lois Perben I et II.
Or, on le voit bien, cette procédure ne peut fonctionner que pour des délits simples à établir, ce qui n’est absolument pas le cas de la contrefaçon, surtout par voie informatique.
Il faut en effet que le parquet puisse apporter la preuve que l’œuvre téléchargée était protégée, que l’abonné savait qu’il téléchargeait une œuvre protégée, et tout simplement identifier ce dernier, ce que l’adresse IP ne suffit pas à établir. Il y a donc fort à parier que la plupart des ordonnances pénales seront refusées par le juge pour preuves insuffisantes. Le parquet devra alors ouvrir une enquête de police, ce qui fait perdre tout l’intérêt simplificateur : la police étant le bras séculier du parquet, la faire enquêter sur des contrefaçons l’empêche de s’occuper d’autres affaires.
De plus, pour des raisons tout à fait justifiables, l’ordonnance pénale n’est pas applicable aux mineurs. Or les adolescents forment une part non négligeable des pirates du web et sont souvent parmi les plus compétents et inventifs.
Enfin, il a été répété que l’objectif de cette loi était avant tout de protéger les artistes. Or, amusant paradoxe, le recours à l’ordonnance pénale suppose que la victime ne demande pas de dommages et intérêts. Les ayants droit ne pourront pas demander réparation de leur préjudice. Cette loi ne les protégera donc pas.
Bref, le recours aux ordonnances pénales est, en l’espèce, tout sauf opportun et ne sert qu’à combler une soif de répression. C'est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de ce dispositif.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Thiollière, rapporteur. La commission n’est pas favorable à la suppression du II de cet article. Elle a donc émis un avis défavorable sur les amendements nos 3 et 13, pour les mêmes raisons que celles qui ont été évoquées pour l’amendement précédent.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Je ne reviendrai pas sur ce que j’ai déjà dit au sujet de l’amendement n° 2 concernant le recours aux ordonnances pénales. Je rappelle simplement qu’il ne s’agit que d’une faculté déjà utilisée dans de nombreux autres contentieux, tels ceux qui sont liés au code de la route ou au droit de la concurrence.
J’ajoute que, si le dossier établi par la Haute autorité et transmis au parquet est insuffisant pour établir l’infraction, celui-ci pourra toujours demander à la police judiciaire d’effectuer les actes d’enquête complémentaires nécessaires.
En tout état de cause, comme pour tout procès, personne ne sera condamné si les faits ne sont pas établis.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. M. le ministre a appelé notre attention sur le fait que la contrefaçon était simple à identifier. Sans doute, mais le contrefacteur, lui, est plus difficile à identifier. C’est à partir de ce moment-là que l’on commence à ouvrir la boîte de Pandore.
Pour justifier son avis défavorable, le Gouvernement nous précise que, en cas de doute, des actes d’enquête complémentaires pourront être demandés. Compte tenu de mes connaissances en informatique, je peux vous dire que, pour obtenir des éléments de preuve, les enquêteurs seront obligés d’inventorier le contenu des ordinateurs des voisins pour voir ce qui y entre et ce qui en sort.
Cette voie répressive nous promet une ambiance absolument délétère dans les quartiers. Nous voulons tous sauver les créateurs, mais il faut choisir une autre solution !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 3 et 13.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3
(Texte modifié par la commission)
Après l'article L. 335-6 du code de la propriété intellectuelle, il est inséré un nouvel article ainsi rédigé :
« Art. L. 335-7. - Lorsque l'infraction est commise au moyen d'un service de communication au public en ligne ou de communications électroniques, les personnes coupables des infractions prévues aux articles L. 335-2, L. 335-3 et L. 335-4 peuvent en outre être condamnées à la peine complémentaire de suspension de l'accès à un service de communication au public en ligne ou de communications électroniques pour une durée maximale d'un an, assortie de l'interdiction de souscrire pendant la même période un autre contrat portant sur un service de même nature auprès de tout opérateur.
« Lorsque ce service est acheté selon des offres commerciales composites incluant d'autres types de services, tels que services de téléphonie ou de télévision, les décisions de suspension ne s'appliquent pas à ces services.
« La suspension de l'accès n'affecte pas, par elle-même, le versement du prix de l'abonnement au fournisseur du service. L'article L. 121-84 du code de la consommation n'est pas applicable au cours de la période de suspension.
« Les frais d'une éventuelle résiliation de l'abonnement au cours de la période de suspension sont supportés par l'abonné.
« Lorsque la décision est exécutoire, la peine complémentaire prévue au présent article est portée à la connaissance de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, qui la notifie à la personne dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne afin qu'elle mette en œuvre, dans un délai de quinze jours au plus à compter de la notification, la suspension à l'égard de l'abonné concerné.
« Le fait, pour la personne dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne, de ne pas mettre en œuvre la peine de suspension qui lui a été notifiée est puni d'une amende maximale de 5 000 euros.
« Les dispositions du 3° de l'article 777 du code de procédure pénale ne sont pas applicables à la peine complémentaire prévue par le présent article. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 4 est présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller.
L'amendement n° 14 est présenté par MM. Ralite, Renar et Voguet, Mme Gonthier-Maurin et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour défendre l’amendement n° 4.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Avec cet article, le Gouvernement réintroduit la suspension de l’abonnement à internet, qui devient ainsi une peine complémentaire à la peine principale applicable en matière de contrefaçon de droits d’auteur.
Malgré la censure du Conseil constitutionnel et la profonde injustice que constituerait la suspension de l’abonnement, le Gouvernement persiste dans sa logique en privant des internautes de leur droit de communiquer librement.
Cette nouvelle peine complémentaire est profondément scandaleuse et reste totalement disproportionnée à la réalité des infractions poursuivies. En outre, elle ne tient absolument pas compte des difficultés techniques qui apparaîtront forcément à la suite de sa mise en œuvre.
Tout d’abord, le problème des offres composites en zone groupée n’a pas été réglé. En effet, aucune garantie n’existe aujourd’hui sur le fait que la télévision et le téléphone ne seront pas coupés. D’une double peine – une amende et la suspension de l’abonnement –, cette sanction se transformera en triple peine en ajoutant la privation de la télévision et du droit à la correspondance.
Ensuite, cet article introduit un cavalier législatif honteux, qui a pour effet d’étendre à toutes les formes de contrefaçon sur internet la sanction de peine complémentaire. Seront donc non seulement visées les pratiques de pair à pair, mais également toute forme de mise à disposition d’un document pour lequel une autorisation n’a pas été demandée à l’auteur. Songez, mes chers collègues, aux millions de vidéos accessibles sur les sites YouTube ou Dailymotion.
Ce texte crée un appel d’air phénoménal qui permet à n’importe quelle chaîne de télévision, à n’importe quel artiste, à n’importe quelle major de demander la condamnation d’une personne qui aura voulu partager avec ses amis une courte vidéo qu’il apprécie ou une musique qu’il aura ajoutée à un film de vacances. Dès lors, la HADOPI sera confrontée non pas à quelques milliers de demandes, mais à des millions, soit bien plus qu’elle ne pourra en traiter.
À ces questions techniques se greffe une injustice terrible qui consiste à obliger une personne à payer un abonnement dont elle ne dispose plus. Le droit pénal vient ici troubler l’exécution d’un contrat où une partie n’aura plus de contrepartie à l’exécution de ses obligations.
En cette période où la majorité fait la promotion du télétravail, même en cas de congé pour maladie, le Gouvernement crée les conditions de la précarité : des milliers de personnes, si on les prive de connexion, perdront par la même occasion leur source de revenus. Dans ce contexte, comment le juge réagira-t-il ?
Après le permis blanc réhabilité par le Conseil d’État, on verra demain l’abonnement blanc rétabli par le juge pour les personnes qui travaillent avec internet. La raison en est simple : cette suspension d’abonnement à internet aura un effet retentissant dans certains foyers. Ces derniers seront privés à la fois de connexion, de revenus, et donc de moyens de subsistance !
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, nous vous demandons de supprimer cette peine complémentaire.
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour présenter l'amendement n° 14.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Si nous demandons la suppression de l’article 3, c’est pour réaffirmer notre opposition au dispositif proposé par le projet de loi.
Lors du premier débat sur le projet de loi HADOPI, nous avions déjà montré combien la coupure était une sanction disproportionnée et inadaptée aux problèmes posés par internet aux industries culturelles. Avec cet article, il est clair que, contrairement à ce que prétend le Gouvernement, le volet pédagogique de ce texte n’est que le masque, bien mince, d’un projet à l’esprit répressif.
Le mécanisme présenté par l’article 3 est à la fois inutile, inapplicable et constitue quasiment une réponse « hors sujet » à la problématique de la transformation des industries culturelles et du droit d’auteur à l’ère numérique.
Il est inutile, parce que la coupure passe, avec cette version du projet de loi HADOPI, du statut de sanction principale à celui de sanction complémentaire. Ce passage s’effectue au sein d’un système pensé pour accélérer l’application de l’arsenal législatif anti-contrefaçon déjà existant. Dans ces conditions, on peut se demander l’intérêt qu’il y a à ajouter cette sanction qui soulève tant de problèmes en termes de droits des individus.
Inapplicable, le projet l’est à divers égards. Pour ce qui concerne l’article 3 en particulier, la disposition visant à ce que la coupure ne concerne que la connexion internet dans les offres composites est, de l’aveu même des professionnels, techniquement impossible à appliquer sur la majeure partie du territoire.
Enfin, le mécanisme présenté par l’article 3 constitue une réponse hors sujet dans la mesure où ce projet de loi, de façon regrettable, fait de nouveau l’impasse sur l’instauration de nouveaux mécanismes de financement de la création au profit d’une réponse mécanique et à courte vue comme celle de la coupure de la connexion internet.
Ériger l’article 3 en réponse aux défis contemporains des industries culturelles est le signe de la volonté d’ignorer l’évidente nécessité d’adapter le régime de la propriété littéraire et artistique à l’ère numérique. C’est également la preuve que le véritable objet du projet de loi est la protection de modèles économiques inadaptés aux nouvelles pratiques culturelles.
Telles sont les raisons pour lesquelles, parmi d’autres que nous soulèverons avec d’autres amendements, nous ne pouvons voter l’article 3.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Thiollière, rapporteur. Après les amendements visant à supprimer l’article 2, voici les amendements de suppression de l’article 3. Comme nous le disions ce matin en commission, en supprimant tous les articles, le débat risque d’être réduit à pas grand-chose ! Reste qu’alors nous n’aurions pas rempli notre mission, à savoir protéger les auteurs et la culture.
Ces amendements tendent à supprimer le cœur du dispositif. L’article 3 tire en effet les conséquences de la décision rendue par le Conseil constitutionnel en confiant au juge, et non plus à une autorité administrative, le pouvoir de sanctionner des auteurs d’actes de piratage d’œuvres protégées par un droit d’auteur sur internet en décidant la suspension de leur accès. Cette sanction pourra être prononcée à titre de peine complémentaire, c’est-à-dire qu’elle pourra compléter ou se substituer aux peines aujourd’hui prévues en cas de délit de contrefaçon, à savoir jusqu’à 300 000 euros d’amende et trois ans de prison.
La suspension de l’accès à internet pour une durée d’un an tout au plus nous a semblé, lors de l’examen du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, constituer une sanction plus pédagogique et mieux adaptée à la lutte contre le « piratage de masse » que le cadre ultra-répressif actuel, que nous avions jugé disproportionné. Contrairement à ce que soutiennent les auteurs de ces amendements, l’arsenal juridique n’était pas adapté, et il était donc nécessaire de le compléter.
Par ailleurs, la commission a toujours considéré que la sanction encourue en cas de piratage devait être suffisamment dissuasive pour que le dispositif soit efficace. C’est pourquoi le Sénat avait souhaité, au moment de la réunion de la commission mixte paritaire, que le paiement de l’abonnement soit maintenu pendant la durée de la suspension, comme le prévoit d’ailleurs aujourd’hui le projet de loi.
Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur les deux amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Frédéric Mitterrand, ministre. L’article 3 vise simplement à tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 10 juin dernier en confiant au juge le soin de prononcer la peine de suspension de l’accès à internet. C’est un élément important du dispositif de dissuasion du piratage de masse.
Pour assurer cette dissuasion, pourquoi ne se reposerait-on pas plutôt, comme le sous-entendent ces amendements, sur les peines de prison et d’amende actuellement en vigueur ? Tout simplement, parce que la suspension de l’accès à internet, qui est directement en rapport avec le comportement auquel on veut mettre fin, est plus pédagogique. Je rappelle d’ailleurs que la résiliation de l’abonnement à internet est déjà prévue dans tous les contrats passés par les fournisseurs d’accès avec leurs abonnés pour les cas où ceux-ci ne s’acquitteraient pas de leurs factures ou bien se livreraient à un usage inapproprié.
J’ajoute que l’inconfort occasionné à l’internaute doit être ramené à sa juste mesure. Le retrait du permis de conduire signifie l’impossibilité de recourir à quelque véhicule que ce soit. En revanche, la suspension de l’accès à domicile ne prive bien évidemment pas d’internet. Rien dans le projet de loi ne fait en effet obstacle à ce qu’un abonné ait recours aux services d’un prestataire spécialisé – un cybercafé, par exemple – ou encore à ceux de ses amis ou de sa famille pour consulter sa messagerie ou accomplir des démarches administratives ou commerciales. Il existe donc de nombreuses possibilités de continuer à communiquer par internet en cas de suspension.
J’ai bien entendu ce qui a été dit concernant le paiement du prix de l’abonnement par l’abonné suspendu. Je voudrais y répondre, car ce point a fait débat lors de l’examen du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet.
Il convient tout d’abord de circonscrire l’enjeu. Le montant moyen d’un abonnement haut débit triple play est de moins de trente euros. Si l’on admet que l’internet représente un tiers ou un quart de cette somme, le montant en jeu est de sept à dix euros par mois pour l’internaute. De deux choses l’une, soit la suspension est de courte durée, et la somme versée au fournisseur d’accès est de vingt ou trente euros, soit elle est de longue durée, et, dans ce cas, l’internaute peut résilier son abonnement pour éviter des paiements prolongés.
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. Bien sûr !
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Ensuite et surtout, priver le fournisseur d’accès du montant de l’abonnement, alors que son comportement n’est pas en cause, poserait un problème constitutionnel, car il s’agirait d’une atteinte injustifiée à son droit de propriété.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. Je soutiens ces amendements, mais je n’aborderai qu’un aspect de la question.
Nous connaissons l’argument qui permet de justifier que l’abonné continue de payer son forfait, même en cas de suspension de l’abonnement : l’usager d’EDF, nous dit-on, ne paie-t-il pas sa facture même en cas de suspension ? Or cette comparaison n’est pas valable. En effet, l’internaute paie à la fois sa connexion et son forfait de consommation alors que, en cas de coupure du compteur électrique, on ne demande pas à l’usager de payer une consommation fictive en plus de son abonnement !
M. le ministre vient de mettre en scène les trente euros que l’internaute doit payer pour un forfait d’abonnement. Je veux donc attirer votre attention, mes chers collègues, sur les affiches publicitaires de plusieurs opérateurs que j’ai récemment vues dans le métro : on peut y lire non seulement que le piratage nuit à la création – cette affirmation va dans le sens des aspirations d’une majorité – mais aussi que, désormais, quarante-cinq euros seront demandés pour le rétablissement de la connexion ! Ce sera ainsi la quadruple peine !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 4 et 14.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 17, présenté par MM. Ralite, Renar et Voguet, Mme Gonthier-Maurin et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Dans le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 335-7 du code de la propriété intellectuelle, supprimer (deux fois) les mots :
ou de communications électroniques
La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Cet amendement vise à ce que les mots « communications électroniques » soient supprimés de la définition du champ de téléchargement illicite des fichiers protégés par le droit d’auteur.
Voilà encore une disposition réintroduite subrepticement alors qu’elle avait été unanimement rejetée par le Parlement et que l’ancienne ministre de la culture et de la communication, Mme Albanel, s’était engagée à ce qu’elle ne soit pas maintenue.
Souvenez-vous : à la suite de l’adoption d’un amendement du député Franck Riester par la commission des lois de l’Assemblée nationale, l’expression « communication électronique » avait été ajoutée à l’article 6 du projet HADOPI 1, pour étendre le champ de la surveillance des réseaux.
De nombreux parlementaires s’étaient élevés, à juste raison, contre un élargissement définitionnel aux conséquences importantes. En effet, si l’expression « communication électronique » peut paraître vague, elle est juridiquement très bien établie.
D’après l’article L.32 du code des postes et télécommunications, cette expression désigne les « émissions, transmissions ou réceptions de signes, de signaux, d’écrits, d’images ou de sons, par voie électromagnétique ». Ainsi les « communications électroniques » désignent aussi bien les mails ou la messagerie instantanée – c’est donc de la correspondance privée – que la communication au public par voix électronique : téléchargement, mais aussi streaming, par exemple.
Nous ferons deux remarques à ce propos.
Dans la mesure où les échanges de mails ont le statut de correspondance privée, ainsi que la jurisprudence l’a établi, cet élargissement constitue une atteinte à la vie privée, principe établi par l’article 9 du code civil français et par l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.
De plus, cet élargissement fait office d’aveu de l’insuffisance du projet HADOPI puisque les dispositifs de contournement du peer to peer qui s’offrent aux internautes sont nombreux – le courrier et le streaming en font partie – et que ce projet de loi, plus qu’inapplicable, est déjà dépassé. Il ne répond pas – nous n’aurons de cesse de le dire – au défi posé à la création par les nouvelles technologies.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Thiollière, rapporteur. Dans sa décision du 27 juillet 2006, le Conseil constitutionnel a considéré qu’il ne pouvait y avoir de rupture d’égalité injustifiée entre les auteurs d’atteintes à la propriété intellectuelle, selon que ces atteintes seraient commises au moyen d’un logiciel de pair à pair ou d’un autre mode de communication en ligne. C’est sur ce fondement que le texte fait référence aux communications électroniques.
La commission a adopté ce texte, et c’est pourquoi elle a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Dans sa décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006, le Conseil constitutionnel a considéré qu’il n’était pas possible, sans méconnaître le principe d’égalité, de traiter les auteurs d’infractions commises en utilisant internet de façon différente selon qu’ils utilisent tel ou tel type de service.
Par conséquent, la violation des droits de propriété littéraire et artistique, qu’elle prenne la forme des échanges de pair à pair ou de l’envoi de pièces jointes par messagerie électronique, doit être sanctionnée de la même façon.
C’est pourquoi le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 15, présenté par MM. Ralite, Renar et Voguet, Mme Gonthier-Maurin et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Supprimer les troisième et quatrième alinéas du texte proposé par cet article pour l'article L. 335-7 du code de la propriété intellectuelle.
La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Avec les quatrième et cinquième alinéas de l’article 3, les dispositions rejetées par la porte parlementaire reviennent par la fenêtre gouvernementale ! C’est un procédé auquel nous nous trouvons malheureusement trop souvent confrontés, procédé qui est inquiétant au regard de la place donnée à la concertation, à la décision pluraliste et, bien sûr, au travail parlementaire.
Souvenons-nous de ce qu’il est advenu du « blanc » issu des États généraux de la presse concernant le droit d’auteur des journalistes, par exemple.
En l’espèce, il faut rappeler que, à l’occasion de la première lecture du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet, les députés avait adopté à l’unanimité un amendement selon lequel, en cas de coupure de l’accès à internet – la sanction finale de la riposte graduée –, l’internaute n’aurait pas à payer cette prestation de service dès lors non assurée. La commission mixte paritaire était revenue sur cette disposition début avril, sans que l’on comprenne bien pourquoi, instituant ce qui a été qualifié de « double peine » par certains parlementaires.
Les alinéas dont nous discutons réaffirment le principe du paiement de l’abonnement, y compris en cas de coupure de l’accès à internet.
Nos protestations contre ces dispositions dépassent bien évidemment la seule critique du procédé : elles valent sur le fond, d’autant plus que nous discutons aujourd’hui du règlement judiciaire et pénal.
En effet, le statut du maintien de l’obligation de paiement est très discutable : soit la peine de coupure est une peine complémentaire et, dans ce cadre, l’obligation de paiement s’assimile à une amende et doit donc être adressée au Trésor public ; soit c’est la coupure seule qui fait office de peine complémentaire, dans un contexte où le code pénal prévoit déjà une peine principale qui peut prendre la forme d’une amende.
Pour reprendre les propos d’un collègue socialiste de l’Assemblée nationale, Christian Paul, qui se référait à ceux du Gouvernement et de la majorité lorsqu’ils comparent le règlement pénal du délit de téléchargement aux délits commis sur la route, ce maintien de paiement pourrait être comparé à l’obligation de faire le plein pour un automobiliste à qui l’on aurait retiré le permis !
On arguera que l’arrêt du paiement lèsera les FAI, qui ne sont pas responsables du délit. On peut répondre que le droit des contrats s’applique en la matière, et que celui-ci prévoit une résiliation en cas de force majeure. Or une suspension par décision pénale est bien un cas de force majeure.
Enfin, convenons-en, la problématique posée par le téléchargement illégal des œuvres soumises au droit d’auteur est plus complexe que la seule culpabilité d’internautes supposés inconscients et égoïstes. N’oublions pas que les industries elles-mêmes ont contribué à la situation, en ne développant pas l’offre légale – mais là, ils ne sont pas les seuls responsables, les propriétaires de catalogues le sont également grandement – et en s’appuyant sur la possibilité du téléchargement pour se développer commercialement.
Dans ces conditions, accepter le maintien du paiement, c’est accepter que seuls les internautes soient responsables d’une situation économique autrement plus complexe.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Thiollière, rapporteur. Le Sénat a longuement débattu sur ce point. Nous en avons conclu que, en cas de suspension de l’accès à internet, l’abonné devra continuer à payer son abonnement, en application du contrat qu’il a souscrit auprès de son fournisseur d’accès à internet.
Je vous rappelle que cette question avait fait l’objet d’un débat serré entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Nous avions obtenu gain de cause sur ce point en commission mixte paritaire, pour une raison de bon sens.
Pour reprendre une analogie qui a souvent été utilisée dans ce débat, en cas de suspension du permis de conduire, l’automobiliste continue à payer le crédit de sa voiture, celui-ci n’étant pas suspendu en même temps que le permis !
Par ailleurs, si l’internaute ne paye pas son abonnement pendant la suspension, le fournisseur d’accès à internet sera lésé et risque de se retourner contre l’État. Paradoxalement, l’État, et donc le contribuable, serait obligé de payer pour permettre le piratage, qui serait en quelque sorte favorisé.
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. Eh oui !
M. Michel Thiollière, rapporteur. Ce n’est pas ce que nous souhaitons, et c’est pourquoi la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Le Gouvernement s’est déjà exprimé à ce sujet lors de l’examen de l’amendement n° 4. Il n’est pas possible du point de vue tant du droit que de la simple équité de priver les fournisseurs d’accès du prix de l’abonnement.
Tout d’abord, la suspension du paiement aurait pour effet de pénaliser les fournisseurs d’accès à cause d’un comportement, celui de l’abonné, dont ils ne peuvent pas être tenus pour responsables. Elle se heurterait donc au principe posé à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, selon lequel nul n’est responsable que de son propre fait.
La suspension du paiement poserait également un problème au regard du respect du droit de propriété des fournisseurs d’accès. En effet, ces opérateurs disposent d’un droit de propriété « incorporelle » sur leur clientèle, constituée de l’ensemble de leurs abonnés. Ce droit est constitutionnellement protégé. Or, suspendre le paiement de l’abonnement, c’est priver le fournisseur d’accès de l’usufruit de son droit de propriété.
Ces atteintes aux droits seraient d’autant moins justifiables que l’enjeu financier pour les abonnés qui se seront placés dans l’illégalité sera très faible, d’une vingtaine d’euros dans le pire des cas.
Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'article 3.
(L'article 3 est adopté.)
Article 3 bis (nouveau)
Après l'article L. 335-7 du code de la propriété intellectuelle, il est inséré un article L. 335-7-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 335-7-1 - Pour les contraventions de la cinquième classe prévues par le présent code, lorsque le règlement le prévoit, la peine complémentaire définie à l'article L. 335-7 peut être prononcée selon les mêmes modalités en cas de négligence caractérisée, à l'encontre du titulaire de l'accès à un service de communication au public en ligne ou de communications électroniques préalablement averti par la commission de protection des droits en application de l'article L. 331-26, par voie d'une lettre remise contre signature ou de tout autre moyen propre à établir la preuve de la date d'envoi de la recommandation. Dans ce cas, la durée maximale de la suspension est d'un mois.
« Le fait pour la personne condamnée à la peine complémentaire prévue par le présent article de ne pas respecter l'interdiction de souscrire un autre contrat d'abonnement à un service de communication au public en ligne et de communications électroniques pendant la durée de la suspension est puni d'une amende de 3 750 euros ».
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 5 est présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller.
L'amendement n° 16 est présenté par MM. Ralite, Renar et Voguet, Mme Gonthier-Maurin et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour présenter l’amendement n° 5.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet article concerne spécifiquement le piratage de masse. Il donne un fondement législatif à la création d’une lourde contravention – 1 500 euros à 3 000 euros en cas de récidive –, assortie d’une suspension d’abonnement pour celui qui n’aurait pas suffisamment contrôlé son accès à internet et permis un téléchargement illégal.
Cette infraction de négligence est en effet prévue par un projet de décret que nous nous sommes procuré. Celui-ci vise, en son article 1er, à punir le titulaire d’un abonnement à internet qui aura « laissé par négligence, au moyen de son accès à internet, un tiers commettre une des infractions prévues aux articles L. 335-2, L. 335-3 et L. 335-4 ».
Cette disposition revient de nouveau à faire peser une présomption de culpabilité sur l’internaute en cas de téléchargement illégal par quelqu’un d’autre.
Il s’agit d’une atteinte évidente au principe de la présomption d’innocence : celui qui sera poursuivi devra prouver qu’il n’a pas fait preuve de négligence. Là encore, c’est un renversement de la charge de la preuve, ce qui est anticonstitutionnel.
Cet article se fonde sur une jurisprudence du Conseil constitutionnel, déjà citée, qui concerne les infractions au code de la route.
Il est évident que celui qui possède un véhicule flashé en excès de vitesse paie une contravention. Il est logiquement, présumé coupable. S’il veut contester la décision, c’est à lui d’apporter la preuve qu’il n’est pas l’auteur de l’infraction.
Si la preuve qu’il ne conduisait pas sa voiture au moment où il a été flashé est tout à fait possible à apporter pour un conducteur, ce sera plus difficile pour l’internaute qui devra prouver que sa connexion à internet a été utilisée, à son insu, par quelqu’un qu’il ne connaît pas.
À l’évidence, il s’agit d’un renversement de la charge de la preuve qui est totalement contraire au principe de présomption d’innocence.
C’est pour ces raisons que nous vous demandons la suppression pure et simple de cet article. À défaut, je suis d'ailleurs convaincue que le Conseil constitutionnel s’en chargera !
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour présenter l'amendement n° 16.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le président, au vu de nos précédentes interventions, vous comprendrez que nous demandions la suppression de l’article 3 bis, introduit par la commission.
Cet article a pour objet, selon M. le rapporteur, de préciser et de clarifier le dispositif prévu par le dernier alinéa de l’article 3 du projet de loi pour s’appliquer au piratage de masse. Dans cette perspective, il crée une nouvelle infraction dite de « défaut de sécurisation de sa ligne ».
C’est l’aveu même des limites du texte que nous étudions ! Chacun sait qu’il sera très difficile de prouver matériellement la culpabilité d’une personne dont l’adresse IP sera mise en cause dans un délit de téléchargement. Nombreux sont les juristes qui l’ont dit, écrit, démontré. Nombreux sont également ceux qui ont montré que l’on aurait affaire à une inversion de la charge de la preuve doublée d’une atteinte à la présomption d’innocence.
La commission a donc trouvé une nouvelle infraction pour contourner ce problème. On sait que prouver « la négligence caractérisée » sera tout aussi problématique : sécuriser totalement une adresse IP n’est pas possible. Certaines institutions publiques elles-mêmes, obligées d’abandonner certains types de firewall, en ont fait les frais.
La commission, qui en est très consciente, renvoie d’ailleurs la question au pouvoir réglementaire. Quoi qu’il en soit, il est toujours porté atteinte, par ce dispositif, à la présomption d’innocence, puisque l’abonné devra prouver qu’il n’a pas été coupable de « négligence caractérisée ». On demande aux simples internautes une bien grande capacité technique !
De plus, que deviennent, avec une telle règle, les espaces « ouverts » du net, tels que le wi-fi, mais aussi les pratiques de partage bénévole d’un réseau ? Quelle société des issues fermées et des barrières communicationnelles prépare une telle disposition ?
C’est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à adopter notre amendement de suppression.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Thiollière, rapporteur. Après la demande de suppression des articles 2 et 3, nous en venons à la demande de suppression de l’article 3 bis ! La commission émet également un avis défavorable à la suppression de cet article, et ce pour les raisons que je vais vous indiquer.
L’article 3 bis a été introduit par la commission pour préciser et pour clarifier une disposition qui figurait initialement au dernier alinéa de l’article 3 dans des termes nous paraissant peu intelligibles.
La commission a donc souhaité que cette disposition fasse l’objet d’un article spécifique, afin de distinguer clairement le délit de contrefaçon, qui est visé à l’article 3, de celui de la négligence caractérisée du titulaire de l’abonnement à internet, dont il est ici question.
En effet, cet article donne un fondement juridique à une sanction de nature contraventionnelle qui pourra s’appliquer à l’abonné préalablement averti à plusieurs reprises par la HADOPI et qui n’aura pas mis en œuvre les moyens nécessaires pour éviter que des actes de piratage ne soient commis depuis son accès à internet. Cette sanction pourra donc s’appliquer à l’abonné même s’il n’est pas l’auteur des actes de contrefaçon constatés. Dans ce cas, il sera puni d’une amende d’un montant maximal de 1 500 euros, voire d’une suspension de son accès à internet pour une durée d’un mois tout au plus.
Contrairement à ce que soutiennent les auteurs dans l’objet de leur amendement, il n’y a pas de présomption de culpabilité puisqu’il reviendra au juge de qualifier l’infraction et d’apprécier la négligence caractérisée. Ce sera notamment le cas si après plusieurs avertissements par la HADOPI, dont une mise en demeure par lettre recommandée, l’abonné ne sécurise toujours pas son accès.
Je rappelle que, lorsque nous avons examiné la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, nous y avons inséré la possibilité pour la HADOPI de labelliser un certain nombre de logiciels destinés à sécuriser l’accès à internet. Un abonné ayant sécurisé son accès en utilisant un logiciel labélisé par la HADOPI sera assuré de ne pas avoir de problèmes : en cas de convocation devant le juge, il pourra prouver qu’il a sécurisé son accès.
Dans le texte censuré par le Conseil constitutionnel sur le fondement de la présomption de culpabilité, la situation était différente de celle que prévoit aujourd’hui le projet de loi : pour échapper à une sanction de la HADOPI sur le fondement du manquement à l’obligation de surveillance de son accès à internet, l’abonné devait établir la preuve, notamment, que son accès avait été utilisé frauduleusement par un tiers. Il y avait donc renversement de la charge de la preuve.
Dans le cas présent, l’abonné est présumé innocent. C’est au juge qu’il reviendra de rassembler des éléments de preuve caractérisant sa négligence.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission émet un avis défavorable sur les amendements identiques nos 5 et 16.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Le Gouvernement est également défavorable à ces amendements identiques.
L’article 3 bis ne procède à aucun renversement de la charge de la preuve et n’instaure aucune présomption de culpabilité.
La culpabilité de l’intéressé, à savoir l’abonné qui aura fait preuve d’une négligence caractérisée, devra être établie par l’accusation, dans le cadre de la procédure pénale.
La sanction n’aura aucun caractère automatique : le juge se livrera à une appréciation globale du cas qui lui est soumis, pour évaluer si l’abonné a fait preuve ou non d’une négligence caractérisée. Toutes les circonstances de l’espèce seront prises en compte : l’abonné qui a reçu de multiples avertissements a-t-il pris les précautions élémentaires pour protéger son accès à internet ? Exerce-t-il ou non une autorité sur la personne qui a utilisé à son insu son accès à internet ?
De telles infractions, dites « d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité », sont bien connues de notre droit. Elles sont mentionnées à l’article 121-3 du code pénal.
Je conteste donc les critiques qui viennent d’être formulées.
Par ailleurs, l’opportunité de cette mesure se justifie pleinement. Internet ne peut échapper aux principes généraux qui régissent la vie en société, notamment au principe de responsabilité. Tel est l’objet de la sanction prévue en cas de négligence caractérisée : favoriser chez les internautes une prise de conscience de leurs droits, mais aussi de leurs devoirs.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 5 et 16.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 3 bis.
(L'article 3 bis est adopté.)
Article 3 ter (nouveau)
Le dernier alinéa de l'article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 précitée est complété par les mots suivants : «, sous réserve des dispositions des articles L. 335-7 et L. 335-7-1 ». – (Adopté.)
Article 4
(Texte modifié par la commission)
À la fin du premier alinéa de l'article 434-41 du code pénal, après les mots : « ou 131-17 » sont ajoutés les mots : « , d'interdiction de souscrire un nouveau contrat d'abonnement à un service de communication au public en ligne et de communications électroniques résultant de la peine complémentaire prévue en matière délictuelle par l'article L. 335-7 du code de la propriété intellectuelle. » – (Adopté.)
Article 4 bis (nouveau)
I. - Le code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 précitée est ainsi modifié :
A. - A l'article L. 331-17, la référence : « L. 331-26 » est remplacée par la référence : « L. 331-25 » ;
B. - Aux articles L. 331-5, L. 331-6, L. 331-7, L. 331-41, L. 331-44 et L. 342-3-1, la référence : « L. 331-39 » est remplacée par la référence : « L. 331-31 » ;
C. - Aux articles L. 331-5 et L. 331-44, la référence : « L. 331-40 » est remplacée par la référence : « L. 331-32 » ;
D. - Aux articles L. 331-6, L. 331-39 et L. 342-3-1, les références : « L. 331-41 à L. 331-43 et L. 331-45 » sont remplacées par les références : « L. 331-33 à L. 331-35 et L. 331-37 » ;
E. - Les articles L. 331-26, L. 331-32, L. 331-35, L. 331-36, L. 331-37, L. 331-38, L. 331-39, L. 331-40, L. 331-41, L. 331-42, L. 331-43, L. 331-44 et L. 331-45 deviennent respectivement les articles L. 331-25, L. 331-26, L. 331-27, L. 331-28, L. 331-29, L. 331-30, L. 331-31, L. 331-32, L. 331-33, L. 331-34, L. 331-35, L. 331-36 et L. 331-37.
II. - Au II de l'article 19 de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 précitée, la référence : « L. 331-45 » est remplacée par la référence : « L. 331-37 ». – (Adopté.)
Article 5
(Non modifié)
La présente loi est applicable sur l'ensemble du territoire de la République, à l'exception de la Polynésie française. – (Adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Yannick Bodin, pour explication de vote.
M. Yannick Bodin. Madame la ministre d’État, monsieur le ministre, je ne vous rappellerai pas ici la position qui fut celle du groupe socialiste lors des débats sur la loi dite « HADOPI 1 ». Vous connaissez notre souci, assez largement partagé d’ailleurs, de parvenir à un équilibre entre la protection des droits des créateurs et la préservation de la liberté des internautes assoiffés de culture, liberté qui impose bien sûr un minimum de devoirs.
La loi a été votée, et certaines de ses dispositions ont été censurées par le Conseil constitutionnel.
Aujourd'hui, vous nous proposez une solution à caractère pénal. Or, au terme de notre débat, cette solution nous paraît fragile, peu efficace, voire ambiguë. Elle peut donner lieu à des interprétations diverses, et les moyens à mettre en œuvre ne sont pas encore connus. Nous avons en fait le sentiment que vous nous dites : « Écoutez, on va essayer, on verra bien ! »
Cela étant dit, nous plaignons ceux qui devront faire appliquer les dispositions du présent projet de loi, lesquelles auraient mérité un travail en profondeur beaucoup plus sérieux. En nous soumettant ce texte dans la précipitation, vous nous donnez le sentiment de vouloir faire oublier au plus vite le désaveu que vous a infligé le Conseil constitutionnel.
Par ailleurs, monsieur le ministre, nous vous avons interrogé à plusieurs reprises, sous différentes formes, sur un sujet d’avenir, à savoir la plateforme légale. Sur cette question de fond qui n’est pas réglée, un débat doit nécessairement s’engager entre toutes les parties prenantes. Nous craignons en effet que le présent projet de loi ne résolve rien et que, si cette question n’est pas traitée au fond et durablement, le débat, voire la polémique, ne rebondisse de plus belle dès le vote du texte par l’Assemblée nationale.
Nous n’avons obtenu ni réponse à nos questions ni garanties à ce sujet. Telles sont les raisons pour lesquelles je ne peux que confirmer la position annoncée par les orateurs du groupe socialiste dans la discussion générale : nous voterons contre ce projet de loi.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. C’est de culture, donc de création et de soutien aux créateurs que nous devrions parler… Avant la grande mutation numérique, il y avait déjà beaucoup à faire, et tel est toujours le cas.
Ma collègue Alima Boumediene-Thiery a évoqué la juste répartition des droits. Sur un CD coûtant 14 euros, cinq musiciens toucheront chacun 14 centimes d’euros ! Voilà qui ne peut qu’interpeller les responsables politiques !
Malgré le vote du Parlement, la plateforme publique de téléchargement des œuvres libres de droits n’a jamais vu le jour. C’est un scandale !
Par ailleurs, il convient de rétablir la prééminence du droit d’auteur sur les droits de l’industrie, celle-ci vivant aux dépens des créateurs au lieu de servir ces derniers et de n’être rémunérée que pour le service technique et promotionnel qu’elle leur rend.
Osons revoir le rôle des sociétés de droits d’auteur. Osons développer des conventions-cadres pour ne pas laisser les musiciens en tête à tête avec les toutes puissantes majors du disque.
Il faut lutter contre la revente spéculative des billets de spectacle, exiger la simultanéité de la mise en ligne commerciale et des ventes de disques, ainsi que la baisse du prix du téléchargement. Songez que le téléchargement d’un titre coûte 99 centimes d’euros ! Or, après quelques heures passées à télécharger des disques, vous avez payé aussi cher que si vous aviez acheté ces derniers dans le commerce, mais vous ne disposez ni de la pochette, ni des images, ni du coffret ! C’est vraiment décourageant !
C’est de choix de société que nous aurions dû parler. Entre commerce et échanges, entre la jeunesse éduquée au « tout gratuit », tentée de façon indécente par la publicité et les riches opérateurs, et le financement ancien, voire archaïque de la création, les sujets à aborder sont nombreux. Nous avons du travail. Et des devoirs.
Les dispositions que vous nous avez soumises aujourd'hui risquent de mettre fin à la présomption d’innocence, de provoquer un encombrement de la justice, d’aboutir à ce que le « piraté » soit considéré comme le « pirateur » et de créer des précédents douteux quant à la disparition du juge d’instruction.
Après les hérésies de la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, dite « loi DADVSI », après la loi dite « HADOPI 1 », vous nous avez proposé « HADOPI 2 ». Ces textes n’honorent pas le travail du législateur, lequel, affrontant le regard du public, s’entend dire : « Mais que faites-vous pour les créateurs ? Votre dispositif ne fonctionne pas ! »
Votre dispositif est entaché constitutionnellement. Il n’est pas juste et ne fonctionnera pas. Telles sont les raisons pour lesquelles nous voterons contre.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.
M. Jean-Pierre Plancade. Nous avons eu largement le temps de réfléchir à ce texte. Si certains n’ont pas encore compris de quoi il s’agit, c’est qu’ils n’ont pas beaucoup écouté nos débats ou qu’ils ont été souvent absents.
Ce texte a fait l’objet d’une longue discussion au sein du RDSE. Les mêmes craintes se sont exprimées sur toutes les travées. La plupart des orateurs qui sont intervenus dans le débat connaissent le sujet, le maîtrisent, parlent avec sincérité et émettent des opinions parfaitement respectables, même si on peut ne pas partager ces dernières.
Cela étant dit, il faut avancer, car cela fait plusieurs années que les créateurs, les auteurs et les compositeurs sont à la dérive. De nombreux intervenants ont décrit les conséquences économiques des téléchargements illégaux. Nous devons donc être pragmatiques, même si nous avons en effet un peu l’impression de construire une ligne Maginot. Nous sommes certes conscients des limites du présent projet de loi, mais il faut bien agir et envoyer un signal tant aux créateurs qu’aux tricheurs. Je rappelle d’ailleurs, car c’est important, que le projet de loi prévoit une réponse graduée.
Ce que vous avez dit, monsieur le ministre, est parfaitement juste : nous faisons effectivement face à un problème de société.
Les sénateurs du RDSE voteront ce projet de loi sans états d’âme, à la quasi-unanimité. Il nous paraît en effet important de poser une première pierre et d’envoyer un message à la société, même si nous serons certainement obligés de revenir sur ce sujet.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est un drôle de message !
M. Jean-Pierre Plancade. En tout cas, c’est le nôtre, et il est extrêmement libre, chère collègue. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Je n’avais pas prévu d’intervenir en explication de vote sur l’ensemble, car j’ai été assez explicite sur les raisons pour lesquelles le groupe de l’Union centriste, dans sa très grande majorité, votera ce texte.
Toutefois, les propos de nos collègues socialistes m’interpellent. Le groupe socialiste avait en effet voté la loi HADOPI 1. Aujourd’hui, il se prononce contre le texte qui nous est soumis. Mais si nos collègues socialistes pensent que d’autres solutions à mettre en œuvre immédiatement existent, qu’ils les présentent !
Nous le savons, ce sujet est très complexe. Que vaut-il mieux faire ? Vaut-il mieux rester les bras ballants et conserver la condamnation extrêmement forte – 300 000 euros d’amende, trois ans de prison – prévue dans la loi DADVSI ou tenter de mettre en place une riposte graduée et un système de sanctions modérées ? À mon sens, il s’agit là d’une véritable question.
Nous partageons une vraie responsabilité, même si nous sommes conscients du fait que la loi n’apportera pas toutes les garanties attendues et qu’elle posera peut-être des problèmes d’application. Sans doute faudra-t-il même la faire évoluer en fonction de ce que nous aurons observé dans la pratique.
Mais il est important d’envoyer un signe aux internautes et aux acteurs de la culture. Nous ne pouvons pas rester inactifs face aux chiffres dramatiques des atteintes aux droits d’auteur, et nous devons appeler les internautes à une prise de conscience collective.
Nous allons évidemment continuer à réfléchir ensemble, afin de progresser. Mais il faut agir, et l’adoption de ce projet de loi est une première étape, la première pierre de l’édifice. Nous nous sentons suffisamment responsables pour la poser ensemble.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, madame la ministre d’État, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me demande si nous ne travaillons pas à la manière de Pénélope, en remettant sans cesse l’ouvrage sur le métier… (Sourires.) C’est en effet la quatrième fois que nous devons débattre d’un sujet très important, qui justifie notre acharnement : la défense des droits des créateurs.
M. Jean-Pierre Fourcade. Bravo !
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. Il y a d’abord eu la loi DADVSI. On nous explique à présent que nous avions tapé trop fort et que les sanctions étaient trop lourdes. Comme cela a été rappelé, cette loi prévoyait des peines d’emprisonnement ou de très fortes amendes à l’encontre de ce qu’il faut tout de même bien appeler de la contrefaçon.
Il faut, nous dit-on, une loi pédagogique, afin de sanctionner une délinquance petite mais massive, souvent commise par des jeunes qui ne sont pas nécessairement conscients du problème.
Après la table ronde voulue par le Président de la République, le Sénat avait été saisi de la mise en application législative des accords Olivennes, soutenus par les différentes parties. Sur toutes les travées du Sénat, nous avions cherché de bonne foi à nous mettre d'accord et nous avions adopté à la quasi-unanimité un texte au mois d’octobre, ce qui était, me semble-t-il, très réconfortant. Cela illustrait la volonté du Sénat, toutes tendances politiques confondues, de trouver une solution.
Je regrette que ce texte n’ait pas été ensuite présenté suffisamment vite à l’Assemblée nationale. En effet, entre-temps, nous avons vu un courant, très présent aujourd'hui dans notre société, multiplier les démarches, les interventions et les actions, nous exposant à des risques très importants sous couvert de présenter les choses d’une nouvelle manière. Ses partisans raisonnent ainsi : « Sur internet, je fais ce que je veux, je prends ce que je veux et pratique l’économie de cueillette. Si une musique me plaît, je l’écoute sans la payer. Si j’ai envie de voir un film, je le télécharge gratuitement ! » Ce courant, libertaire au sens le plus général du terme, dispose de moyens, et certaines personnes ayant intérêt à son développement se sont efforcées de bloquer la mise en œuvre de la loi.
Cette loi, nous a-t-on dit, sera inopérante, car l’évolution technique permettra de la contourner, donc de ne pas la respecter. Mais, mes chers collègues, que faudrait-il penser d’un État qui refuserait a priori d’adopter des lois sous prétexte que certains individus se prévaudraient de leur capacité à les violer ? En effet, c’est bien de cela qu’il s’agit !
Je pense que nous sommes nombreux, sur toutes les travées, à refuser de tels raisonnements. Dans un État comme le nôtre, il y a des règles. Le Parlement débat, puis il vote la loi. Et tant que la loi n’a pas été modifiée, elle doit s’appliquer ! Il est vraisemblable que nous devions un jour revenir sur ce texte, en raison, précisément, des évolutions technologiques. Mais nous légiférons aujourd'hui en fonction de nos connaissances techniques actuelles.
Nous avons essayé d’éviter au maximum de recourir à des dispositions trop lourdes. C'est la raison pour laquelle nous avions, dans un premier temps, décidé de confier la responsabilité de prononcer des sanctions non pas à la justice, mais à une haute autorité indépendante. Aujourd'hui, nous faisons simplement en sorte de répondre aux exigences du Conseil constitutionnel, qui impose l’intervention d’un juge. Et, conformément à l’adage, nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude pour refuser l’application de la loi !
Nous arrivons à présent à l’issue du processus législatif. L’adoption du projet de loi conclura une longue période de réflexion et de travail de notre commission. (Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat et Brigitte Gonthier-Maurin rient.) C’était – pardonnez-nous, madame Borvo – la commission de la culture, et non la commission des lois ! Mais la commission de la culture est dans son rôle lorsqu’elle veut protéger les créateurs, les droits d’auteur, et que cette volonté se manifeste dans les actes ! C’est le sens de notre vote d’aujourd'hui. Nous avons souhaité que ce projet de loi soit adopté, et nous en assumons la responsabilité ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous aimerions bien entendre des discours aussi musclés à l’égard des patrons qui touchent de l’argent public !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe du RDSE.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 194 :
Nombre de votants | 336 |
Nombre de suffrages exprimés | 331 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 166 |
Pour l’adoption | 189 |
Contre | 142 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
La parole est à M. le ministre.
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à remercier la Haute Assemblée de son vote, qui permet de franchir une étape décisive dans la protection des créateurs.
Je tiens également à rendre hommage, du fond du cœur, à Mme la ministre d’État, ministre de la justice, qui a voulu et qui su porter avec tant de talent cette partie du texte, lui donnant ainsi le sens approprié après les modifications demandées par le Conseil constitutionnel.
Je remercie M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture, M. Michel Thiollière, rapporteur, ainsi que les groupes parlementaires de l’UMP, de l’Union centriste et du RDSE, qui ont bien voulu soutenir ce projet de loi. Je remercie également les membres de l’opposition, qui ont participé au débat d’une manière extrêmement intéressante.
Une fois que nous aurons franchi l’étape de l’Assemblée nationale, grâce – je le répète – au concours éminent de Mme le ministre d’État, nous examinerons quels sont les meilleurs moyens de rémunérer les créateurs et de favoriser la diffusion des œuvres sur internet. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’Union centriste et du RDSE.)
10
Communication relative à des commissions mixtes paritaires
M. le président. J’informe le Sénat que les commissions mixtes paritaires chargées de proposer des textes sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la gendarmerie nationale et du projet de loi relatif à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique sont parvenues à l’adoption de textes communs.
11
Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre les textes suivants, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l’article 88-4 de la Constitution :
E 4558 : Projet de règlement de la Commission modifiant l’annexe II du règlement (CE) n° 998/2003 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne la liste des pays et territoires
E 4559 : Projet de règlement de la Commission portant modalités d’application de la directive 2007/2/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les services en réseau
E 4560 : Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant création d’une agence pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle dans le domaine de la liberté, de la sécurité et de la justice
E 4561 : Proposition de décision du Conseil confiant à l’agence créée par le règlement XX les tâches relatives à la gestion opérationnelle du SIS II et du VIS en application du titre VI du traité UE
E 4562 : Proposition de décision du Conseil relative aux contributions financières à verser par les États membres pour financer le Fonds européen de développement (2e tranche 2009)
E 4563 : Proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 73/2009 du Conseil établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct en faveur des agriculteurs dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs, modifiant les règlements (CE) n° 1290/2005, (CE) n° 247/2006 et (CE) n° 378/2007, et abrogeant le règlement (CE) n° 1782/2003
E 4564 : Budget Général - Exercice 2009 - Section III - Commission Titres 06, 18 - Virement de Crédits - n° Dec 19/2009 - Dépenses Non Obligatoires
E 4565 : Recommandation de la Commission au Conseil autorisant la Commission à entamer des négociations en vue d’un accord entre la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom) et le gouvernement de la république de l’Inde dans le domaine de la recherche et la formation.
12
Dépôt de documents parlementaires
M. le président. Le mercredi 8 juillet 2009, M. le président du Sénat a reçu :
dépôt d’une proposition de loi
- n° 551, 2008-2009. – Proposition de loi de M. Michel Houel visant à généraliser la faculté pour les maires de renoncer au recueil des images numérisées pour l’établissement de tous les titres sécurisés, envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement ;
dépôt de rapports et de textes de commission
- n° 533, 2008-2009. – Rapport de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale, sur la proposition de loi de MM. Philippe Marini et Yann Gaillard tendant à modifier la loi n° 2000-642 du 10 juillet 2000 portant réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques (n° 210, 2007-2008) ;
- n° 534, 2008-2009. – Texte de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale sur la proposition de loi de MM. Philippe Marini et Yann Gaillard tendant à modifier la loi n° 2000-642 du 10 juillet 2000 portant réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques (n° 210, 2007-2008) ;
- n° 535, 2008-2009. – Rapport de M. Jean-Pierre Vial, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale, sur le projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, prorogeant le mandat des membres du Conseil économique, social et environnemental (n° 515, 2008-2009) ;
- n° 536, 2008-2009. – Texte de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale, sur le projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, prorogeant le mandat des membres du Conseil économique, social et environnemental (n° 515, 2008-2009) ;
- n° 537, 2008-2009. – Rapport de M. Antoine Lefèvre, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale, comportant le texte de la commission, sur la proposition de résolution européenne de M. Richard Yung, présentée au nom de la commission des affaires européennes, en application de l’article 73 quinquies du Règlement, sur la création d’un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets (n° 414, 2008-2009) ;
- n° 538, 2008-2009. – Rapport de M. Robert del Picchia, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sur le projet de loi autorisant l’approbation de la convention de partenariat entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire (n° 334, 2008-2009) ;
- n° 539, 2008-2009. – Texte de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le projet de loi autorisant l’approbation de la convention de partenariat entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire (n° 334, 2008-2009) ;
- n° 540, 2008-2009. – Rapport de Mme Catherine Tasca, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et l’Organisation internationale de la Francophonie relative à la mise à disposition de locaux pour installer la Maison de la Francophonie à Paris (n° 356, 2008-2009) ;
- n° 541, 2008-2009. – Texte de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et l’Organisation internationale de la Francophonie relative à la mise à disposition de locaux pour installer la Maison de la Francophonie à Paris (n° 356, 2008-2009) ;
- n° 542, 2008-2009. – Rapport de M. Philippe Marini, fait au nom de la commission des finances, sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, de règlement des comptes et rapport de gestion pour l’année 2008 (n° 502, 2008-2009) ;
- n° 547, 2008-2009. – Rapport de M. Jean Faure, rapporteur pour le Sénat, fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale après déclaration d’urgence, relatif à la gendarmerie nationale (n° 530, 2008-2009) ;
- n° 548, 2008-2009. – Avis de MM. François Trucy, Jean-Pierre Masseret et Charles Guené, fait au nom de la commission des finances, sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses dispositions concernant la défense (n° 462, 2008-2009) ;
- n° 550, 2008-2009. – Rapport de M. Hugues Portelli, rapporteur pour le Sénat, fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale après déclaration d’urgence, relatif à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique (n° 531, 2008-2009) ;
dépôt de rapports d’information
- n° 543, 2008-2009. – Rapport d’information de Mme Fabienne Keller, fait au nom de la commission des finances, par le groupe de travail sur la fiscalité environnementale, sur l’instauration d’une contribution « climat-énergie », le fonctionnement et la régulation des marchés de quotas de CO2 ;
- n° 544, 2008-2009. – Rapport d’information de M. Alain Vasselle, fait au nom de la commission des affaires sociales, sur l’état des comptes de la sécurité sociale en vue de la tenue du débat d’orientation des finances publiques pour 2010 ;
- n° 545, 2008-2009. – Rapport d’information de M. Jean-Marc Juilhard, fait au nom de la commission des affaires sociales, sur l’accueil des jeunes enfants en milieu rural ;
- n° 546, 2008-2009. – Rapport d’information de MM. Jean-Claude Etienne et Roland Courteau, fait au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, déposé par M. Jean-Claude Etienne, premier vice-président, sur les dispositifs d’alerte aux tsunamis en France et dans le monde (Compte rendu de l’audition publique du 23 juin 2009) ;
- n° 549, 2008-2009. – Rapport d’information de M. Philippe Marini, fait au nom de la commission des finances, pour le débat sur les orientations des finances publiques.
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Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 9 juillet 2009, à quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
Délai limite d’inscription des auteurs de questions : jeudi 9 juillet 2009, à onze heures.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD