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Points du permis de conduire
Discussion d'une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, présentée par MM. Nicolas About (UC) et Pierre Jarlier (UMP), tendant à assurer une plus grande équité dans notre politique de sécurité routière, notamment en matière de retrait des points du permis de conduire (proposition n° 378 rect. bis, 2007-2008 ; rapport n° 331).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Nicolas About, auteur de la proposition de loi.
M. Nicolas About. Monsieur le président, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord remercier M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, qui va représenter la ministre de la justice ou la ministre de l’intérieur.
Adversaire clairement affiché des excès de vitesse, je suis aussi un partisan des peines qui ont du sens, appliquées avec tact et mesure, ce tact et cette mesure que l’on exige tant des médecins. Je demande aussi du sérieux, du professionnalisme dans les contrôles et de la cohérence dans les mesures prises, comme dans les actions engagées.
Depuis le début des années soixante-dix, les efforts conjugués de l’État, du législateur, des collectivités publiques et des associations n’ont pas manqué, sur le plan tant des actions de sensibilisation entreprises, des travaux d’aménagement et des mesures réglementaires adoptées que des textes de loi votés.
L’efficacité de ces politiques publiques tient au fait que, dès l’origine, elles se sont appuyées sur des études en accidentologie réalisées par des organismes indépendants, avec le sérieux de l’objectivité scientifique.
Si l’on en croit les données récentes de l’accidentologie, même si celles-ci témoignent d’une nette amélioration dans les comportements des conducteurs, les causes des accidents sont, hélas ! toujours les mêmes : en tête, l’alcool, qui est devenu le premier facteur d’accident ; ensuite, la vitesse, laquelle est un facteur aggravant.
Un bon point, en revanche, pour nos concitoyens, en ce qui concerne leurs comportements et le respect des règles de sécurité, puisqu’on note une très nette amélioration dans le port de la ceinture, celui-ci étant respecté à plus de 97 %.
Cependant, au cours des vingt dernières années, l’accent a été mis prioritairement sur les comportements humains – vitesse, alcool, non-port des équipements de sécurité, prise excessive de risques…
On a eu tendance à accorder moins d’importance à d’autres facteurs, qui jouent pourtant, d’après les études, un rôle important dans les accidents.
Deux paramètres semblent avoir été tout particulièrement négligés : la localisation et les circonstances de l’accident – mais il y a une logique à cela !
Les statistiques démontrent, en effet, que 62 % des accidents mortels ont lieu, en réalité, sur les routes départementales, contre 6 % sur les autoroutes et 12 % sur les routes nationales.
Alors qu’il se caractérise par une forte densité de trafic, le milieu urbain enregistre, quant à lui, une baisse sensible de la gravité des accidents.
C’est donc en rase campagne que le risque d’accident est, paradoxalement, le plus élevé, sans doute favorisé par une fluidité de trafic qui autorise des vitesses élevées. L’un des grands facteurs de décès sur ces routes, ce sont les obstacles fixes : 1 248 tués en 2007, dont 552 sur des arbres et des poteaux.
Par ailleurs, le fait de rouler de nuit constitue un facteur aggravant. Alors que la période nocturne représente moins de 10 % du trafic, j’insiste sur ce chiffre, elle engendre 34 % des blessés et près de 45 % des tués. Cet élément ne semble pourtant pas susciter un grand intérêt.
On pourrait donc déduire de l’ensemble de ces chiffres trois grandes priorités d’action : l’alcool, la vitesse et le ciblage de la prévention et de la répression, en fonction des critères de temps et de lieu.
Dès lors, face à une telle clarté des données de l’accidentologie, on peut s’interroger sur les raisons profondes qui ont motivé récemment les pouvoirs publics à modifier les leviers traditionnels, ceux qui ont permis, pendant les trente dernières années, de faire reculer avec le plus d’efficacité la mortalité sur nos routes.
En imposant des radars automatiques, principalement sur les grands axes où le taux d’accidents n’est pas significatif, pour sanctionner le dépassement de vitesse même le plus insignifiant, l’État n’abandonne-t-il pas les priorités qu’il s’était lui-même fixées ?
La répression routière contre les usagers se substitue à la prévention routière et devient de plus en plus féroce. Quel est l’objectif ?
La multiplication récente des radars automatiques manifeste une véritable « industrialisation des sanctions », qui n’épargne pas le conducteur de bonne volonté. Pourquoi une telle dérive par rapport aux priorités initiales ?
Je rappelle qu’en 2008 nous atteignions sans gloire le chiffre de 9 millions de points retirés sur les permis de conduire des Français. Parmi les 4,5 millions d’infractions sanctionnées par des retraits de points en 2006, on note une forte augmentation de la part des excès de vitesse, ce qui pourrait constituer un bilan satisfaisant au regard de nos priorités. Toutefois, le souci d’objectivité commande de regarder la répartition de ces retraits de points. Si l’on en croit les statistiques du ministère de l’intérieur, plus de 80 % des retraits concernent en réalité des infractions n’entraînant qu’un point de retrait, soit un excès de vitesse inférieur à 10 kilomètres par heure, voire, parfois, à 20 kilomètres par heure !
Ce ne sont donc pas les grands excès de vitesse qui font l’objet de la plus forte répression. D’ailleurs, depuis quatre ans, les dépassements supérieurs à 30 et 40 kilomètres par heure n’ont pas baissé d’un iota, ce qui retire leur caractère dissuasif aux radars automatiques pour les vrais grands délinquants de la route.
La sécurité routière note même, dans son rapport, une hausse de ces infractions pour le deuxième quadrimestre de 2008.
En revanche, le conducteur-citoyen, le conducteur de bonne volonté se voit sanctionné au moindre écart de vitesse, fût-il de 1 kilomètre par heure. Cette répression systématique, qui frappe à l’aveugle ce conducteur, le place dans une situation dangereuse sur la route. Elle le contraint, pour éviter le moindre écart, à rouler les yeux le plus souvent rivés sur le compteur, pourtant trop imprécis pour lui indiquer la vitesse exacte.
Pire, beaucoup de nos concitoyens ont vu leur permis de conduire invalidé après plusieurs retraits d’un seul point, isolés ou associés à d’autres retraits de points : le conducteur qui n’a pas ajusté sa ceinture alors qu’il est en train de quitter son garage ou qu’il tente de se dégager de son lieu de stationnement dans des conditions difficiles est immédiatement sanctionné de trois points de suppression ; le conducteur qui a empiété de quelques centimètres sur la ligne continue pour dépasser un cycliste perd deux points. La sanction est identique pour l’utilisation du téléphone. Le motard que je suis est pleinement conscient du danger de l’utilisation du téléphone portable au volant. Mais – et lorsque j’étais maire, j’ai dû intervenir – un automobiliste qui décroche son portable à un feu rouge pour répondre très brièvement qu’il rappellera plus tard perd deux points. Tout cela est-il véritablement normal ?
Or, l’invalidation du permis, pour une période qui, dans la pratique, est supérieure à un an, constitue bien souvent pour les particuliers une sanction très lourde, car elle menace directement leur emploi.
Dans un arrêt de 1998, la Cour européenne des droits de l’homme avait même rappelé à la France que le retrait des points du permis, par la gravité de la sanction à laquelle il peut conduire, c’est-à-dire l’invalidation, constituait bien, par son caractère « punitif et dissuasif », une mesure d’ordre pénal, et non une simple mesure de police administrative.
Auteur en son temps d’une proposition de loi sur le sujet, M. Karoutchi le sait, la Cour a rappelé que le permis de conduire représente en effet, pour nombre de nos concitoyens, un moyen indispensable d’insertion sociale, un gage d’autonomie, une condition sine qua non du maintien ou de la recherche d’un emploi.
Rappelons que la loi du 1er août 2008 relative aux droits et devoirs des demandeurs d’emploi, que nous avons votée, mes chers collègues, prévoit, dans son article 1er, parmi les critères définissant une offre raisonnable d’emploi, une distance maximale de 30 kilomètres entre l’emploi proposé et le domicile !
Cet éloignement signifie donc, pour beaucoup de nos concitoyens, la nécessité de disposer d’un permis de conduire valide, document jugé, par ailleurs, indispensable par de nombreux employeurs.
Or, le site du ministère de l’intérieur affiche avec triomphalisme le nombre de permis de conduire invalidés : en 2006, 68 800 ; en 2007, 88 698. Les derniers chiffres sont tombés : pour 2008, 98 057 permis invalidés... record battu ! Cela représente une progression de plus de 560 % depuis 2002 ! Quel grand succès ! C’est bien le seul domaine dans lequel on enregistre de telles augmentations !
Qui peut décemment se réjouir de tels chiffres à l’heure où la crise économique touche si durement notre pays et où la perte d’emploi constitue un drame pour les familles ?
Les entraves répétées à la circulation automobile pour le citoyen ordinaire entraînent paradoxalement trois conséquences graves, précisément en termes de sécurité routière.
D’abord, elles poussent les gens à choisir par substitution, en l’absence de permis, les véhicules à deux roues, motorisés ou non, qui constituent le mode de déplacement le plus dangereux. Ce mode de transport, qui ne représente que 1 % du trafic, compte pourtant 18 % des victimes tuées, sans parler des personnes qui resteront lourdement handicapées toute leur vie. Où est le gain en matière de sécurité routière et pour la collectivité publique ?
Ensuite, certains conducteurs, respectueux de la sanction qui les frappe, roulent en voiture ne nécessitant pas de permis. Curieux paradoxe de ne plus posséder de permis de conduire et d’être autorisé à conduire un véhicule en ville et en rase campagne, les lieux les plus dangereux, et de ne plus être autorisé à conduire sur autoroute, lieu unanimement reconnu comme le plus sûr de l’ensemble du réseau français !
Curieux scandale que d’envoyer une partie du trafic autoroutier sur le reste du réseau de rase campagne quand le bilan de la sécurité routière nous confirme que le fait d’accroître le trafic « rase campagne » de 1 % équivaut à augmenter de 1 % le nombre de tués... Belle logique, une nouvelle fois !
Enfin, plus grave encore, pour conserver coûte que coûte leur emploi, certains conducteurs préfèrent prendre le risque de rouler sans permis, et donc sans assurance. Ainsi, 33 000 conducteurs ont été contrôlés sans permis en 2005 ! Ces chiffres ne concernant que les contrôles, on peut supposer qu’ils sont bien plus nombreux ! Si le contrevenant risque des sanctions pénales lourdes, il prend un risque non seulement pour la collectivité, mais aussi pour lui-même.
En effet, en cas de défaut de permis, et donc d’assurance, c’est le Fonds de garantie automobile qui prendra le relais pour indemniser les éventuelles victimes. Mais il ne prendra pas cet automobiliste en charge et se retournera finalement contre lui.
On le voit, l’excès de répression sur un conducteur ordinaire, un conducteur-citoyen, peut précisément conduire celui-ci à devenir, au mieux un danger public, au pire un véritable délinquant de la route. Où est le bénéfice en termes de sécurité routière ?
Personnellement, je vois dans cette « automatisation de la sanction » à l’égard des automobilistes ordinaires une véritable dérive de notre politique de sécurité routière.
En abandonnant leur lutte contre la grande délinquance routière, contre les prises excessives de risques des chauffards, mais aussi en renonçant aux grandes priorités qu’ils constatent eux-mêmes, dans leurs propres statistiques – je ne fais que citer le bilan 2007 de l’Observatoire national interministériel de sécurité routière : aggravation du nombre de tués chez les motocyclistes, stagnation des grands excès de vitesse, absence de progrès en matière d’alcool, détérioration du bilan pour les conducteurs âgés de 18 à 24 ans –, les pouvoirs publics ne se sont-ils pas affranchis, de cette façon simple et rentable, de leurs responsabilités à l’égard des priorités qu’ils s’étaient eux-mêmes fixées ?
La présente proposition de loi vise à revenir à un système de prévention et de répression routière qui ait du sens. La véritable justice du système consiste, en effet, à mettre en adéquation la gravité des sanctions et la gravité des infractions au regard du risque qu’elles créent. On ne peut pas faire respecter par nos concitoyens des règles qui n’ont pas de sens !
Un fossé est actuellement en train de se creuser entre les forces de police et la population,…
M. Dominique Leclerc. Eh oui !
M. Nicolas About. … et, plus grave, entre les pouvoirs publics et les citoyens, ce qui n’est pas bon pour la République !
C’est pourquoi, dans un souci de plus grande équité, le texte présenté comporte, d’une part, des dispositions visant à limiter la répression à l’égard des comportements des automobilistes qui ne génèrent aucun risque pour la collectivité – en lui préférant prioritairement la prévention – et, d’autre part, des dispositions visant à renforcer les sanctions à l’encontre des infractions commises sur la route véritablement dangereuses, parce que susceptibles de créer des victimes.
Je commencerai par les dispositions visant à limiter le caractère répressif du code de la route. La proposition de loi comporte une réforme du système de retrait de points, en particulier pour les petits excès de vitesse. Précisons tout de suite qu’il ne s’agit nullement de remettre en cause le bien-fondé du permis à points.
Toutefois, la réglementation prévoit qu’en cas de dépassement de la vitesse maximale autorisée de moins de 20 kilomètres par heure l’infraction entraîne automatiquement, outre l’amende – qui est déjà une peine –, la réduction d’un point sur le permis de conduire. Cette règle vaut que vous dépassiez de 20 kilomètres la vitesse autorisée ou que vous soyez dans l’épaisseur du trait, roulant alternativement 2 kilomètres en dessous et 2 kilomètres au-dessus de la limite supérieure autorisée, faute de précision du compteur. Vous êtes donc sanctionné de la même façon dans tous les cas !
Cette dernière disposition, je le répète, est particulièrement injuste, à moins que l’on ne nous démontre que les auteurs de ces petits dépassements sont vraiment des délinquants et des dangers publics. C’est pourquoi la présente proposition de loi vise à supprimer ce retrait de point lorsque l’excès de vitesse dépasse de moins de 5 kilomètres par heure la vitesse maximale autorisée. En revanche, la contravention sous forme d’amende serait toujours applicable, bien entendu.
Le dispositif proposé prévoit également la restitution immédiate des points de permis qui ont été retirés sous le chef de cette infraction. Vous le pensez bien, j’ai déposé un amendement de suppression de cette disposition que j’avais souhaité introduire. En effet, trop heureux seraient ceux qui s’appuieraient sur la présence d’une telle disposition pour rejeter l’ensemble de l’article 1er !
Par ailleurs, on peut s’interroger sur le bien-fondé d’une aggravation des sanctions relatives à l’obligation du port de la ceinture de sécurité. Il ne s’agit pas de contester ici le caractère globalement et hautement nécessaire de cette mesure de sécurité – je suis médecin ! –, il s’agit d’être le plus juste et le plus objectif possible en matière de sanctions.
Trois considérations doivent être retenues.
Premièrement, si le bouclage de la ceinture réduit statistiquement le nombre total des morts par accident, son efficacité est loin d’être la même selon les risques encourus : celle-ci dépend en grande partie de la vitesse. Comme l’ont démontré toutes les études, les forces mises en jeu, en cas de choc, varient en fonction de la vitesse au moment de l’accident. Si ces ceintures protègent bien pour un choc frontal à une vitesse de 70 kilomètres par heure et un choc latéral à 50 kilomètres par heure, tel n’est plus le cas à des vitesses plus élevées.
Deuxièmement, pour le conducteur, le fait de ne pas attacher sa ceinture ne fait courir aucun risque à autrui. Le sort de l’automobiliste est seul en cause. L’État peut-il dès lors interdire à l’automobiliste la liberté de choisir ce qu’il veut éviter ? Certains automobilistes ne cachent pas qu’ils appréhendent plus, en cas de choc à très grande vitesse, de se trouver conscients et bloqués par leur ceinture coincée que d’être assommés – un parlementaire élu d’une région où les routes sont particulièrement dangereuses me le confirmait récemment. Notons que, dans certains cas limites, le port de la ceinture de sécurité peut aggraver le sort des intéressés, jusqu’à constituer une cause spéciale de mort.
Troisièmement, la « neutralité » pénale du défaut de port de la ceinture est incontestable. Elle repose sur l’absence, essentielle et évidente, de droit éminent de la collectivité sur la personne physique des citoyens dès lors que l’intérêt d’autrui n’est pas en cause. C’est d’ailleurs ce raisonnement qui a abouti à ce que la législation française ne sanctionne plus pénalement le suicide, ni sa tentative suivie d’un début d’exécution, malgré les dépenses sociales et sanitaires que cet acte peut engendrer.
Toutefois, il me paraît normal, en cas d’infraction, que le contrevenant encoure une sanction financière.
Il nous faut donc supprimer la sanction « pénale », au sens de la Cour européenne des droits de l’homme, que constitue le retrait de trois points du permis, en cas de défaut de port de la ceinture de sécurité.
Je vous livre une réflexion sur ce sujet. Les Français passent en moyenne un peu moins de cinquante minutes par jour au volant de leur voiture. Si le port de la ceinture est si important pour eux en ville, comme le rappelle Mme Troendle dans son excellent rapport, pourquoi le pouvoir réglementaire en dispense-t-il tous ceux qui passent plusieurs heures par jour au volant : les chauffeurs de taxi, les postiers, les livreurs, les ambulanciers ? Sans parler des pompiers, des policiers et des gendarmes, dont on peut comprendre l’obligation d’intervention rapide. Le pouvoir réglementaire estime-t-il que ces métiers protègent des chocs ces conducteurs permanents ? Ou bien mettre sa ceinture constitue-t-il une corvée si longue, pénible et insurmontable pour toutes ces professions ?
Le pouvoir réglementaire est-il une garantie de sérieux quand, par exemple, il punit d’une amende élevée, 135 euros, le défaut de port de la ceinture dans les taxis, à l’exception du conducteur, des enfants – parce que l’on ne veut pas obliger les taxis à installer des sièges adaptés – et des bébés ? Le pouvoir réglementaire admet que, pour ces trois catégories d’usagers, le risque d’être gravement blessé n’a aucune importance. Surprenant ? Pas du tout ! Incohérent ? Certainement !
Voilà pourquoi je vous propose de mettre fin à l’abus que constitue cette sanction : à elle seule, elle supprime la moitié des points d’un nouveau conducteur et le prive de la possibilité d’obtenir les six autres points pendant une période de trois nouvelles années. Mme Troendle a évoqué dans son rapport, et je l’en remercie, la nécessité de revenir sur cette mesure, même si elle n’a pas osé aller jusqu’à déposer un amendement, au risque de s’attirer les foudres du ciel. (Sourires.)
Dans un second volet, le dispositif est complété, je le disais tout à l’heure, par un renforcement des sanctions à l’encontre des automobilistes présentant un comportement véritablement dangereux. Ainsi, le fait de conduire sans permis ou sans assurance est déjà puni et il convient de renforcer les peines prévues.
Enfin, comme je le signalais dans mon propos introductif, certains facteurs aggravants, dégagés par l’accidentologie, ont été trop souvent négligés. L’un d’entre eux est révélé par le taux particulièrement élevé d’accidents mortels au cours de la nuit. Bien qu’elle ne représente que 10 % du trafic total, la période nocturne enregistre près de la moitié des tués sur la route. De tels chiffres parlent, notamment aux associations de victimes de la route !
Pour remédier à cette surmortalité routière de nuit et afin d’être plus justes et efficaces dans notre politique de sécurité routière, il faut effectuer le contrôle de l’alcoolémie nocturne avec plus de sérieux et de moyens – cela relève des pouvoirs publics, mais coûte plus cher que les radars – et agir sur la vitesse – cet aspect, quant à lui, relève de la loi.
Aussi, je vous propose que le conducteur qui circule de nuit soit dans l’obligation de réduire sa vitesse. Le rapport de la sécurité routière montre que la vitesse moyenne est plus élevée la nuit que le jour, mais certains nous expliqueront qu’il ne faut surtout pas instaurer de mesure de ce type, car la vitesse excessive de nuit serait uniquement due à la consommation d’alcool ! La proposition que je défends est de nature à sauver 700 à 900 vies, sans parler de milliers de blessés en moins. N’oubliez pas que, lorsque la vitesse moyenne baisse de 1 kilomètre à l’heure, le nombre de tués diminue de 4 %.
Telles sont, en résumé, mes propositions.
Beaucoup d’autres choses restent encore à faire et je compte sur vos amendements, ceux du rapporteur et – pourquoi pas ? – ceux du Gouvernement, pour améliorer cette proposition de loi. On peut imaginer des aides aux régions et départements qui œuvrent plus que les autres pour sauver des vies. Est-il normal, en effet, comme c’est la réalité aujourd’hui, de courir trois fois plus de risques de se tuer sur la route dans tel département que dans tel autre ? On peut accélérer la suppression des passages à niveau, en y affectant, pourquoi pas, le produit des amendes.
Il serait facile de sauver aussi des vies en imposant à tous les poids lourds une vitesse maximale unique de 90 kilomètres à l’heure, par exemple, et en installant des radars « bizones » se déclenchant en fonction de la vitesse et de la hauteur, supérieure à deux mètres, de ces véhicules, pour mettre fin aux excès de vitesse commis par 47 % des poids lourds. Ou alors, on ne s’intéresse pas au sujet !
On pourrait sauver la vie de nombreux motards, en interdisant la conduite de motos de plus de 11 CV avant deux années de permis moto ; or nous voyons fleurir aujourd’hui des motos à trois roues, qui permettent d’échapper à l’obligation de détenir le permis moto, sans que personne ne fasse rien ! Par ailleurs, je tiens à vous rappeler que notre pays détient le triste record du nombre de veuves de moins de trente ans et 80 % d’entre elles ont au moins un enfant. Un tel constat incite à réfléchir et agir ! Enfin, si les forces de sécurité se répartissaient mieux, nous ferions baisser le nombre de tués la nuit.
Pour ma part et dans un premier temps, je souhaite voir les citoyens traités avec équité, comme le réclame la Cour européenne des droits de l’homme, et parvenir, grâce à une mesure simple, à sauver beaucoup de vies.
Je le sais, ma proposition de loi dérange, car elle renvoie aux priorités reconnues par tous, mais elle le fait en dissipant le rideau de fumée que constituent les sanctions automatiques des petits dépassements de vitesse et de défaut de port de la ceinture de sécurité, dont l’intérêt est d’assurer le financement des radars et des stages, qui ne pourraient être financés par les seuls grands excès de vitesse.
Chacun se rend compte que les mesures supplémentaires à mettre en œuvre coûteront cher à l’État et aux collectivités locales. Nous allons donc sans doute assister à la litanie des critiques entendues lorsqu’une proposition de loi dérange. Par exemple, « ces mesures sont inadaptées » ou bien, « ces mesures sont bonnes, mais elles relèvent du pouvoir réglementaire ». Chacun sait que ce dernier argument ne tient pas, car la Cour européenne des droits de l’homme, dans son arrêt en date du 23 septembre 1998, a confirmé que le retrait de point revêtait un caractère punitif et dissuasif et s’apparentait donc à une peine accessoire.
Notre commission des lois et notre assemblée ont déjà abordé ce thème dans le cadre de plusieurs lois, comme celle du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance : une des mesures majeures de prévention consistait à rendre plus rapidement un point de permis perdu ! Cette disposition m’avait stupéfait à l’époque, mais elle justifie que l’on en reparle… Nous pouvons donc espérer que cet argument « réglementaire » ne nous sera pas sérieusement opposé.
Un autre argument pourrait être que le système de contrôle et la sévérité des sanctions pénales ou administratives assurent l’égalité de traitement des conducteurs et qu’il ne faut surtout rien changer… Une telle affirmation est une contrevérité, car l’iniquité est la règle, au niveau du contrôle comme au niveau des sanctions !
Les poids lourds ne sont détectés par les radars que s’ils dépassent les vitesses autorisées pour les véhicules légers, soit 30 à 40 kilomètres à l’heure de plus que les vitesses limites les concernant. Le rapport de la sécurité routière indique que 47 % des poids lourds dépassent impunément les vitesses qui leur sont imposées... Les motards échappent à tous les radars fixes prenant de face. Enfin, l’ensemble des conducteurs échappent au retrait de points si le véhicule est pris au radar par l’arrière et s’ils contestent le fait d’être au volant, en affirmant qu’ils ne veulent pas donner le nom du conducteur hypothétique pour ne pas tomber sous l’inculpation de dénonciation calomnieuse.
L’impunité en ce qui concerne la perte de points est également garantie à tous ceux qui encombrent les tribunaux ! Mieux, même en cas de condamnation à l’issue d’un long et coûteux parcours judiciaire, ils perdront des points mais le temps écoulé grâce à la durée de la procédure leur permettra de retrouver les points qui leur manquent. Est-il donc équitable de pousser les contrevenants, et pas seulement les jeunes conducteurs, à une contestation systématique pour leur permettre de récupérer automatiquement chaque année deux points, voire trois ? Quand on connaît les délais de jugement de ces affaires, tous les jeunes conducteurs ont effectivement intérêt à contester leurs amendes !
Aujourd’hui, seuls les conducteurs trop honnêtes, trop naïfs, ou trop pauvres pour consigner des sommes supérieures à l’amende ou pour se payer des stages d’un coût représentant 19 % du SMIC, acceptent de perdre des points. Une loi qui, par ses défauts, frappe surtout les plus faibles et les plus pauvres n’est pas une bonne loi ! Le paragraphe consacré à ce sujet à la page 21 du rapport de Mme Troendle est édifiant. Je suis donc rassuré : on ne devrait pas nous opposer le caractère équitable et juste du permis à points dans sa version actuelle !
En revanche, je ne peux rien vous promettre car cette proposition est une vraie proposition de loi : elle n’a pas le caractère sacré, constant et parfait que confère l’origine gouvernementale à de trop nombreuses propositions de loi... Elle est marquée d’un sceau nouveau, peut-être même d’une tache, car elle est inscrite à l’ordre du jour à la demande d’un groupe minoritaire. Nous connaissions le sort réservé traditionnellement aux propositions de loi déposées par l’opposition ; nous allons découvrir le sort réservé à celles qui sont présentées par un groupe minoritaire, même lorsqu’il soutient majoritairement et régulièrement le Gouvernement.
Cette proposition de loi va-t-elle être écartée d’un revers de main ? Cette proposition de loi sera-t-elle jugée digne d’être amendée par la commission, par les sénateurs de la majorité, par le Gouvernement ?