Sommaire
Présidence de M. Bernard Frimat
Secrétaires :
M. Jean-Pierre Godefroy, Mme Anne-Marie Payet.
3. Deuxième journée mensuelle réservée aux groupes de l'opposition et aux groupes minoritaires
MM. Jean-Pierre Bel, le président.
Suspension et reprise de la séance
M. le président.
5. Création d’une contribution exceptionnelle de solidarité des grandes entreprises du secteur de l’énergie. – Discussion d'une question orale avec débat
M. François Rebsamen, auteur de la question.
M. Didier Guillaume, Mme Odette Terrade, MM. Ladislas Poniatowski, Aymeri de Montesquiou, François Patriat, Alain Houpert, David Assouline.
MM. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services ; François Rebsamen.
Clôture du débat.
6. Points du permis de conduire. – Discussion d'une proposition de loi
Discussion générale : M. Nicolas About, auteur de la proposition de loi ; Mme Catherine Troendle, rapporteur de la commission des lois.
MM. Yves Détraigne, Dominique de Legge, Yvon Collin, Jacques Mahéas, Alain Fouché.
7. Modification de l’ordre du jour
Suspension et reprise de la séance
8. Points du permis de conduire. – Suite de la discussion et rejet d'une proposition de loi
Discussion générale (suite) : M. Christian Cambon.
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État chargé des transports.
Clôture de la discussion générale.
Article additionnel avant l'article 1er
Amendement no 4 de M. Alain Fouché. – M. Alain Fouché, Mme Catherine Troendle, rapporteur de la commission des lois ; MM. le secrétaire d'État, Nicolas About, Jacques Mahéas. – Rejet par scrutin public.
Amendements nos 5 de M. Jacques Mahéas et 1 de M. Nicolas About. – MM. Jacques Mahéas, Nicolas About, Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois ; Mme le rapporteur, M. le secrétaire d'État. – Adoption, par scrutin public, de l’amendement no 5 supprimant l’article, l’amendement no 1 devenant sans objet.
Amendement no 6 de M. Jacques Mahéas. – M. Jacques Mahéas, Mme le rapporteur, MM. le secrétaire d'État, Nicolas About. – Adoption, par scrutin public, de l'amendement supprimant l'article.
Amendement no 7 de M. Jacques Mahéas. – M. Jacques Mahéas, Mme le rapporteur, MM. le secrétaire d'État, Nicolas About. – Adoption, par scrutin public, de l'amendement supprimant l'article.
MM. Nicolas About, le président de la commission.
Amendement no 8 de M. Jacques Mahéas. – M. Jacques Mahéas, Mme le rapporteur, M. le secrétaire d'État. – Adoption de l'amendement supprimant l'article.
Amendement no 9 de M. Jacques Mahéas. – Adoption de l'amendement supprimant l'article.
Amendement no 10 de M. Jacques Mahéas. – Adoption de l'amendement supprimant l'article.
Amendement no 11 de M. Jacques Mahéas. – Adoption de l'amendement supprimant l'article.
La suppression de l’ensemble des articles entraîne le rejet de la proposition de loi.
MM. Nicolas About, le président de la commission, Jacques Mahéas, Mme le rapporteur, M. le secrétaire d'État.
9. Aides publiques aux entreprises. – Rejet d'une proposition de loi
Discussion générale : MM. Robert Hue, auteur de la proposition de loi ; Albéric de Montgolfier, rapporteur de la commission des finances ; Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi.
MM. Bernard Vera, Alain Gournac, Yvon Collin, Mme Nicole Bricq.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.
Clôture de la discussion générale.
MM. Bernard Vera, le rapporteur, Mme la ministre.
Rejet, par scrutin public, de l’article.
MM. Robert Hue, le président de la commission, Mme Nicole Bricq, MM. Alain Gournac, Hugues Portelli, le rapporteur.
Rejet de l’article.
Amendement no 1 de M. François Rebsamen. – Mme Nicole Bricq, M. le rapporteur, Mme la ministre, M. Bernard Vera. – Rejet.
Rejet de l’article.
Amendement no 2 de M. François Rebsamen. – Mme Nicole Bricq, M. le rapporteur, Mme la ministre. – Rejet.
Rejet de l’article.
La suppression de l’ensemble des articles entraîne le rejet de la proposition de loi.
10. Décès d’un ancien sénateur
11. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Bernard Frimat
vice-président
Secrétaires :
M. Jean-Pierre Godefroy,
Mme Anne-Marie Payet.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Conférence des présidents
M. le président. La conférence des présidents a établi comme suit l’ordre du jour des prochaines séances du Sénat :
SEMAINES RÉSERVÉES PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT
Mardi 12 mai 2009
À 9 heures 30 :
1°) Dix-huit questions orales :
L’ordre d’appel des questions sera fixé ultérieurement.
- n° 476 de Mme Bernadette Bourzai à Mme la ministre du logement ;
(Aide à la gestion locative sociale) ;
- n° 479 de Mme Maryvonne Blondin à Mme la secrétaire d’État chargée de la solidarité ;
(Difficultés rencontrées par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH)) ;
- n° 483 de M. Michel Boutant à M. le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique ;
(Situation financière des communes engagées dans des opérations de renouvellement urbain) ;
- n° 488 de Mme Françoise Férat à M. le secrétaire d’État chargé des transports ;
(Avertissement de l’employeur en cas de perte de permis de conduire d’un employé ayant des obligations de conduite) ;
- n° 489 de M. Claude Bérit-Débat à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche ;
(Mise en œuvre du plan licence et de l’autonomie des universités) ;
- n° 493 de M. Marc Laménie à Mme la ministre de la santé et des sports ;
(Formation des infirmiers et infirmières) ;
- n° 497 de M. Jacques Blanc à M. le secrétaire d’État chargé des transports ;
(Transports scolaires et interprétation de l’article 29 de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d’orientation des transports intérieurs) ;
- n° 498 de M. Jacques Mézard à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice ;
(Suppression de trois des quatre tribunaux des affaires de sécurité sociale en Auvergne) ;
- n° 500 de Mme Bernadette Dupont transmise à Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi ;
(Heures supplémentaires et modalités de calcul de l’APL) ;
- n° 501 de M. Jean-Claude Danglot à M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville ;
(Rattrapage des retraites minières) ;
- n° 502 de Mme Catherine Dumas à Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi ;
(Développement des magasins de déstockage alimentaire) ;
- n° 503 de M. Hervé Maurey à Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi ;
(Contrats d’assurance vie non réclamés) ;
- n° 505 de Mme Marie-Thérèse Hermange à Mme la ministre de la santé et des sports ;
(Suicide des jeunes) ;
- n° 506 de M. Jean-Jacques Mirassou à Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi ;
(Délocalisation injustifiée de l’entreprise Molex) ;
- n° 507 de M. Pierre-Yves Collombat à M. le ministre de l’agriculture et de la pêche ;
(Évolution et usage des crédits du conservatoire de la forêt méditerranéenne) ;
- n° 511 de M. Guy Fischer à M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville ;
(Projet de décret relatif à la création d’un répertoire national commun de la protection sociale) ;
- n° 512 de M. Michel Teston à M. le ministre d’État, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire ;
(Sécurisation des réseaux de distribution d’électricité) ;
- n° 513 de M. Alain Vasselle à M. le ministre d’État, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire ;
(Coordination entre projets de traitement des déchets et plans départementaux en cours de révision) ;
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
À 16 heures et le soir :
2°) Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires (n° 290, 2008 2009) ;
(La conférence des présidents a fixé :
- à quatre heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe (les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant dix-sept heures, le lundi 11 mai 2009) ;
- au jeudi 7 mai 2009, à dix-sept heures, le délai limite pour le dépôt des amendements, sauf pour le titre IV « Organisation territoriale et du système de santé » pour lequel le délai limite a été reporté au lundi 11 mai à quatorze heures ;
La commission des affaires sociales tiendra une première réunion pour examiner les amendements le lundi 11 mai 2009, à dix heures, quinze heures et le soir ainsi que le mardi 12 mai au matin).
Mercredi 13 mai 2009
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
À 14 heures 30 et le soir :
1°) Nouvelle lecture, sous réserve de sa transmission, du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet ;
(La conférence des présidents a fixé :
- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe (les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant dix-sept heures, le mardi 12 mai 2009) ;
- à la clôture de la discussion générale, le délai limite pour le dépôt des amendements) ;
2°) Suite éventuelle du projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires (n° 290, 2008 2009).
Jeudi 14 mai 2009
À 9 heures 30 :
1°) Suite du projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires (n° 290, 2008 2009).
À 15 heures et le soir :
2°) Questions d’actualité au Gouvernement ;
(L’inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance avant onze heures) ;
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
3°) Suite de l’ordre du jour du matin.
Vendredi 15 mai 2009
À 9 heures 30 et à 15 heures
Lundi 18 mai 2009
À 15 heures et le soir
Mardi 19 mai 2009
À 14 heures 30 et le soir
Mercredi 20 mai 2009
À 14 heures 30
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
- Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires.
SEMAINE SÉNATORIALE DE CONTRÔLE
DE L’ACTION DU GOUVERNEMENT
ET D’ÉVALUATION DES POLITIQUES PUBLIQUES
Mardi 26 mai 2009
À 9 heures 30 :
1°) Dix-huit questions orales :
L’ordre d’appel des questions sera fixé ultérieurement.
- n° 444 de M. Claude Biwer à M. le secrétaire d’État chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services ;
(Difficultés de financement des PME) ;
- n° 508 de M. Jean-Pierre Chauveau à Mme la ministre de la santé et des sports ;
(Zones franches urbaines et géographie médicale) ;
- n° 509 de M. Alain Fauconnier à Mme la ministre de la santé et des sports ;
(Projet de création d’une maison médicale de garde) ;
- n° 514 de M. Roland Ries à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice ;
(Délocalisation de la direction interrégionale des services pénitentiaires Est) ;
- n° 515 de M. Georges Patient à Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi ;
(Crise dans les secteurs du bois, de l’or, de la pêche et du riz en Guyane) ;
- n° 517 de M. Philippe Madrelle à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche ;
(Défense des IUT) ;
- n° 519 de Mme Odette Terrade à M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville ;
(Moyens de fonctionnement de la caisse d’allocations familiales du Val-de-Marne) ;
- n° 520 de M. Bertrand Auban à Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi ;
(Situation d’airbus et évolution du dossier A400M) ;
- n° 521 de M. René-Pierre Signé à Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi ;
(Suppression annoncée de la taxe professionnelle) ;
- n° 523 de Mme Jacqueline Alquier à M. le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique ;
(Situation des contrôleurs des impôts promus inspecteurs des impôts avant le 1er janvier 2007) ;
- n° 524 de M. Alain Fouché à M. le ministre d’État, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire ;
(Atteintes à l’environnement engendrées par l’installation d’une porcherie industrielle sur la commune de Chauvigny dans la Vienne) ;
- n° 525 de Mme Esther Sittler à Mme la ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales ;
(Situation des sapeurs-pompiers volontaires) ;
- n° 526 de M. Martial Bourquin à Mme la ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales ;
(Calcul de la population légale des petites communes) ;
- n° 529 de M. Gilbert Barbier à M. le secrétaire d’État chargé de l’emploi ;
(Application de la réduction dite Fillon aux entreprises adaptées publiques) ;
- n° 530 de M. Jacques Mézard à M. le ministre d’État, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire ;
(Raccordement d’une caravane, située sur un terrain agricole, aux réseaux d’eau potable et d’électricité) ;
- n° 532 de Mme Patricia Schillinger à Mme la ministre de la santé et des sports ;
(Création d’unités d’éveil en Alsace) ;
- n° 533 de M. Jean-Jacques Lozach à Mme la secrétaire d’État chargée de la prospective et du développement de l’économie numérique ;
(Accès à la télévision numérique terrestre (TNT) dans la Creuse) ;
- n° 534 de M. Charles Gautier à Mme la secrétaire d’État chargée de la famille ;
(Politique d’aide au développement des crèches d’entreprise) ;
À 15 heures :
2°) Débat sur le service civil volontaire (demande du groupe RDSE) ;
(La conférence des présidents :
- a attribué un temps d’intervention de quinze minutes à un orateur du groupe RDSE ;
- a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ;
Les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant dix-sept heures, le lundi 25 mai 2009) ;
3°) Question orale avec débat n° 32 de M. Martial Bourquin (Soc.) à Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi sur la crise de l’industrie ;
(La conférence des présidents a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; (les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant dix-sept heures, le lundi 25 mai 2009) ;
L’auteur de la question disposera d’un temps de parole de cinq minutes pour répondre au Gouvernement).
Mercredi 27 mai 2009
À 14 heures 30 :
1°) Débat sur les travaux de la mission commune d’information sur la politique en faveur des jeunes ;
(La conférence des présidents :
- a décidé d’attribuer un temps de parole de trente minutes à la mission commune ;
- a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe (les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant dix-sept heures, le mardi 26 mai 2009) ;
Pendant une heure, les sénateurs pourront intervenir (deux minutes maximum) dans le cadre d’un débat spontané et interactif comprenant la possibilité d’une réponse de la mission ou du Gouvernement) ;
2°) Question orale avec débat n° 34 de Mme Marie-France Beaufils (CRC-SPG) à Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi sur la réforme de la taxe professionnelle ;
(La conférence des présidents a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe (les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant dix-sept heures, le mardi 26 mai 2009) ;
L’auteur de la question disposera d’un temps de parole de cinq minutes pour répondre au Gouvernement).
Jeudi 28 mai 2009
À 9 heures :
1°) Question orale avec débat de Mme Bernadette Dupont (UMP) sur le plan « Autisme » ;
(La conférence des présidents a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe (les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant dix-sept heures, le mercredi 27 mai 2009) ;
L’auteur de la question disposera d’un temps de parole de cinq minutes pour répondre au Gouvernement) ;
2°) Question orale avec débat n° 37 de M. Jean-Jacques Mirassou (Soc.) sur l’avenir du programme de l’Airbus A400M ;
(La conférence des présidents a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe (les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant dix-sept heures, le mercredi 27 mai 2009) ;
L’auteur de la question disposera d’un temps de parole de cinq minutes pour répondre au Gouvernement) ;
À 15 heures et le soir :
3°) Questions d’actualité au Gouvernement ;
(L’inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance avant onze heures) ;
4°) Débat européen sur le suivi des positions européennes du Sénat (demandes de la commission des affaires européennes, de la commission des affaires économiques et de la commission des affaires sociales) :
- profils nutritionnels ;
- vin rosé ;
(Chacun de ces sujets donnera lieu à un débat ;
Dans le cadre de chacun des débats, interviendront le représentant de la commission compétente (dix minutes), le Gouvernement (dix minutes), puis une discussion spontanée et interactive de vingt minutes sera ouverte sous la forme de questions-réponses (deux minutes maximum par intervention)).
SEMAINE D’INITIATIVE SÉNATORIALE
Mardi 2 juin 2009
À 15 heures et le soir :
1°) Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, tendant à modifier l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et à compléter le code de justice administrative (n° 373, 2008-2009) ;
(La conférence des présidents a fixé :
- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe, (les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant onze heures, le mardi 2 juin 2009) ;
- au jeudi 28 mai 2009, à onze heures, le délai limite pour le dépôt des amendements ;
La commission des lois se réunira pour examiner les amendements le mardi 2 juin 2009, à neuf heures trente) ;
2°) Proposition de résolution tendant à modifier le règlement du Sénat pour mettre en œuvre la révision constitutionnelle, conforter le pluralisme sénatorial et rénover les méthodes de travail du Sénat, présentée par M. Gérard Larcher, Président du Sénat (n° 377, 2008-2009) ;
(La conférence des présidents a fixé :
- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe, (les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant onze heures, le mardi 2 juin 2009) ;
- au jeudi 28 mai 2009, à onze heures, le délai limite pour le dépôt des amendements ;
La commission des lois se réunira pour examiner les amendements le mardi 2 juin 2009, à neuf heures trente).
Mercredi 3 juin 2009
À 14 heures 30 et, éventuellement, le soir :
- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, tendant à favoriser l’accès au crédit des petites et moyennes entreprises (n° 288, 2008-2009) ;
(La conférence des présidents a fixé :
- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe (les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant dix-sept heures, le mardi 2 juin 2009) ;
- au mardi 2 juin 2009, à onze heures, le délai limite pour le dépôt des amendements).
La commission des finances se réunira pour examiner les amendements le mercredi 3 juin 2009, au matin).
Jeudi 4 juin 2009
Journée mensuelle réservée aux groupes de l’opposition et aux groupes minoritaires :
À 9 heures, à 15 heures et, éventuellement, le soir :
1°) Proposition de loi visant à créer une contribution exceptionnelle de solidarité des entreprises ayant réalisé des bénéfices records, présentée par MM. François Rebsamen et Jean-Pierre Bel et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (n° 363, 2008-2009) ;
(La conférence des présidents a fixé :
- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe (les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant dix-sept heures, le mercredi 3 juin 2009) ;
- au mardi 2 juin 2009, à seize heures, le délai limite pour le dépôt des amendements ;
La commission des finances se réunira pour examiner les amendements le mercredi 3 juin 2009, au matin) ;
2°) Question orale européenne avec débat n° 4 de M. Richard Yung à M. le Premier ministre sur l’avenir de la politique sociale européenne (demande du groupe socialiste) ;
(La discussion de cette question orale européenne s’effectuera selon les modalités prévues à l’article 83 ter du règlement ;
L’auteur de la question disposera d’un temps de parole de cinq minutes pour répondre au Gouvernement) ;
3°) Proposition de loi pour le développement des sociétés publiques locales, présentée par M. Daniel Raoul et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (n° 253, 2008-2009) ;
(La conférence des présidents a fixé :
- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe (les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant dix-sept heures, le mercredi 3 juin 2009) ;
- au jeudi 28 mai 2009, à onze heures, le délai limite pour le dépôt des amendements ;
La commission des lois se réunira pour examiner les amendements le mercredi 3 juin 2009, au matin) ;
4°) Le sujet réservé au groupe Union centriste sera déterminé ultérieurement.
Y a-t-il des observations sur les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue des séances à l’ordre du jour autre que celui résultant des inscriptions prioritaires du Gouvernement ?...
Ces propositions sont adoptées.
3
Deuxième journée mensuelle réservée aux groupes de l'opposition et aux groupes minoritaires
M. le président. Mes chers collègues, nous abordons notre deuxième journée mensuelle réservée aux groupes de l’opposition et aux groupes minoritaires en application des nouvelles dispositions du dernier alinéa de l’article 48 de la Constitution entrées en vigueur le 1er mars.
4
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, nous assistons ce matin à un spectacle que nous dénonçons depuis plusieurs jours : ces journées d’initiative parlementaire donnent lieu à une caricature de débat parlementaire !
Ceux qui ont été à l’origine de la réforme de la Constitution, qui avait pour objet de réhabiliter le Parlement et d’améliorer les conditions dans lesquelles les parlementaires exercent leurs missions, ne peuvent que constater qu’il s’agit d’une mascarade.
Aussi, monsieur le président, pour permettre à nos amis des groupes majoritaires de prendre conscience de la situation et de venir participer à un débat important auquel les Français attachent du prix, je vous demande, au nom de mon groupe, une suspension de séance.
Mme Odette Terrade. Très bien !
M. le président. Monsieur Bel, je vous donne acte de votre rappel au règlement.
Je constate que les membres de certains groupes ne peuvent pas manifester d’opposition à votre demande. (Sourires.) Afin de créer les conditions d’un débat serein, nous allons interrompre nos travaux pendant un quart d’heure.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à neuf heures cinq, est reprise à neuf heures vingt.)
M. le président. La séance est reprise.
Mes chers collègues, je ferai part à M. le président du Sénat des conditions « quantitatives » de ce débat. Néanmoins, je vous propose de commencer la discussion de la question orale avec débat inscrite à notre ordre du jour, puisque le règlement du Sénat contient cette phrase magique : « Le Sénat est toujours en nombre pour délibérer. » (Sourires.)
5
Création d’une contribution exceptionnelle de solidarité des grandes entreprises du secteur de l’énergie
Discussion d'une question orale avec débat
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 30 de M. François Rebsamen à Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi sur la création d’une contribution exceptionnelle de solidarité des grandes entreprises du secteur de l’énergie.
Cette question est ainsi libellée :
« M. François Rebsamen attire l’attention de Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi sur une contribution exceptionnelle de solidarité des grandes entreprises du secteur de l’énergie. En effet, pleinement touchée par la crise financière, économique et sociale, la France est rentrée en 2009 dans une période de récession. Le Gouvernement a révisé son hypothèse de croissance pour 2009 à moins 1,5 %, tandis que l’INSEE annonce un acquis de croissance à la fin du deuxième trimestre très nettement négatif (moins 2,9 %). Par ailleurs, le deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2009 présente une détérioration massive des finances de l’État.
« L’emploi, c’est-à-dire les salariés, est la première victime. Face à cette situation sociale extrêmement difficile, il est fondamental de mettre en œuvre rapidement des mesures en faveur de nos concitoyens et des entreprises les plus fragiles. Pourtant, face à ce constat, le Gouvernement s’entête à maintenir le bouclier fiscal, malgré son coût pour les finances publiques, tout en se privant de recettes générées par les superprofits des grandes entreprises, particulièrement celles qui interviennent dans le secteur de l’énergie. En effet, GDF-Suez affiche, pour 2008, un résultat net de 6,5 milliards d’euros, quand Total annonce un bénéfice record de 14 milliards d’euros. Non seulement ces profits faramineux ont été obtenus par une politique de prix supportée par les consommateurs - pour lesquels la baisse de 10 % du tarif du gaz intervient trop tard et après la saison hivernale par exemple -, mais, pire encore, Total annonce simultanément la suppression de 555 postes.
« Pour toutes ces raisons, il l’interroge sur les mesures qu’entend prendre le Gouvernement pour augmenter la contribution de ces grandes entreprises à l’effort national de solidarité. »
La parole est à M. François Rebsamen, auteur de la question. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. François Rebsamen. Monsieur le président, je tiens tout d’abord à remercier nos collègues d’être présents ce matin, notamment nos trois collègues de la majorité. Comme vous venez de le rappeler, le Sénat est toujours en nombre pour délibérer ! (Sourires.)
Je vous remercie également, monsieur le secrétaire d'État, d’être venu pour cette question orale avec débat. Il s’agit, paraît-il, de revivifier les droits du Parlement. Sans le Gouvernement, nous discuterions entre nous !
Certes, ce débat fera l’objet d’un compte rendu au Journal officiel et restera dans les annales ! Ce sont des moments de la vie parlementaire... (Sourires.)
Il est vrai qu’il ne s’agit que d’un petit sujet, puisque cette question orale avec débat ne porte que sur la création d’une contribution exceptionnelle de solidarité des grandes entreprises du secteur de l’énergie.
Sans me lancer dans un historique détaillé, je rappelle que nous traversons une crise financière, économique et sociale très grave et que nous sommes entrés dans une période de récession. Avec des prévisions de décroissance d’environ 3 % en 2009, cette crise est incontestablement l’une des plus graves enregistrées depuis les années trente, et non depuis les années quarante-cinq, comme cela avait été annoncé de prime abord.
La succession des lois de finances rectificatives pour 2009 en est la preuve : la dernière présente une détérioration massive et inquiétante des finances de l’État. Le déficit révisé s’établit dorénavant à plus de 5,6 points du PIB, soit près de 105 milliards d'euros, ce qui représente quasiment le double du déficit prévu en loi de finances initiale. La dette publique devrait, quant à elle, atteindre 80 % en 2011.
M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, vient de rappeler que la dette publique avait bondi de 20 points lors de la crise de 1993. Il en déduit que la crise que nous subissons actuellement provoquera le même effet.
Décidément, l’actuel Président de la République, qui était en 1993 ministre du budget, aura marqué notre histoire budgétaire : dans les deux cas, la dette publique aura bondi de 20 points. Il n’a pas de chance ; il s’agit de grandes périodes de crise.
La crise actuelle a lieu sur fond de moins-values de recettes fiscales, qu’il s’agisse de la TVA, de l’impôt sur le revenu ou de l’impôt sur les sociétés. Près de 15 milliards d'euros manqueront au budget de l’État et les finances publiques ont tout à craindre des récentes annonces du Président de la République sur une future baisse des impôts. Tout cela nous préoccupe, alors même que, aux États-Unis, le président Obama entend vérifier que les entreprises paient bien leurs impôts à l’État fédéral.
L’emploi et les salariés sont les premières victimes de cette crise. Les manifestations qui ont eu lieu depuis le début de l’année témoignent de la profonde mobilisation et de la vive inquiétude des salariés et de leurs familles, qui sont touchés par la crise et ne peuvent plus envisager l’avenir sans crainte.
La baisse de l’emploi marchand frôlera le million de postes pour l’année 2010. Même si nous nous félicitons que ce chiffre soit moins important que dans d’autres pays, cela représente tout de même à peu près 2 800 chômeurs de plus par jour, sans compter le recours au chômage partiel !
La défense de l’emploi et le refus des licenciements sont au cœur des engagements de tous les hommes politiques. Ils sont également à l’origine de conflits de plus en plus nombreux, qui peuvent dégénérer, tant est forte l’exaspération provoquée par les plans sociaux. Dans la plupart des cas, ceux-ci apparaissent comme le parent pauvre de la politique de l’entreprise, notamment au regard des conditions de départ et des indemnités de licenciement octroyées aux salariés. Les réactions des Français sont d’autant plus vives qu’ils comparent cette situation à la générosité dont font preuve ces mêmes entreprises à l’égard de leurs dirigeants : parachutes dorés, retraites chapeau, multiples bonus, etc.
Il y a un malaise profond et général. Pour l’heure, je m’en tiendrai au secteur économique.
Face à cette situation économique et sociale extrêmement difficile, il est fondamental de mettre en œuvre des mesures en faveur de nos concitoyens et de trouver des ressources financières pour éviter de creuser encore plus le déficit. Tel est l’objet de la question orale de ce matin.
On ne peut donc valider ce qui a été fait depuis 2007. Bien que cela agace nos collègues de la majorité et le Gouvernement, nous avons le droit de considérer calmement et courtoisement que la loi TEPA était une erreur de début de mandat. Les conséquences de cette faute économique sont visibles chaque jour. Perseverare diabolicum !
Tous les Français ne peuvent pas être mobilisés pour faire face à la crise quand l’injustice fiscale est érigée en dogme. Le Président de la République comme le Gouvernement font preuve en la matière non pas, comme j’ai cru l’entendre, de pragmatisme, mais d’un dogmatisme avéré, d’une idéologie néolibérale « à la sauce Thatcher ». Si je me permets d’utiliser cette expression, mes chers collègues, c’est tout simplement afin de rendre mes propos plus facilement compréhensibles par tous.
Comme d’autres collègues, j’ai rappelé que la défiscalisation des heures supplémentaires détériore un peu plus l’emploi dans la situation économique actuelle.
Par ailleurs, nous revenons, certes régulièrement, sur le bouclier fiscal. Mais force est de constater, selon la dernière étude de l’INSEE, que les écarts se creusent entre les revenus des 5 % ou 10 % des Français les plus aisés et ceux des 10 % de nos concitoyens les plus pauvres. Lorsque l’on sait que 14 000 contribuables reçoivent des chèques de 33 000 euros, on comprend qu’il s’agit d’un privilège et que tout le monde ne fait pas le même effort face à la crise.
Le Gouvernement continue de gaspiller ses marges de manœuvre par le maintien, voire l’augmentation d’une politique fiscale injuste. La reprise de la croissance par l’aggravation des déficits est un pari risqué.
Les sénateurs socialistes ont fait des propositions à plusieurs reprises. Certaines d’entre elles ont été considérées comme intéressantes par les membres du Gouvernement présents dans l’hémicycle. Nous avons déposé des amendements. L’un d’entre eux, intitulé « amendement Obama » – il fallait lui donner du lustre – tendait à instaurer une surimposition de solidarité par la création d’une cinquième tranche d’imposition pour les revenus supérieurs à 380 000 euros, part fixe et part variable confondues. Cette somme est loin d’être négligeable !
Nous avions également proposé une taxation à 100 % des rémunérations différées des dirigeants dont la société a bénéficié de l’aide directe de l’État.
Ces quelques exemples attestent de notre volonté de refondre un système sur la base d’une plus grande justice. Nous ne pouvons accepter une société sans garde-fou, dans laquelle la justice sociale n’est ni la priorité, ni un objectif, mais est un obstacle que l’on franchit de plus en plus facilement.
Parallèlement, les citoyens assistent aux annonces répétées d’entreprises qui ont dégagé des profits importants, reversés aux actionnaires sous forme de dividendes. Je précise que nous ne sommes pas hostiles à de tels profits.
À titre d’exemple des plus importantes redistributions de dividendes, relevons l’entreprise Total – je la cite, car elle fait chaque jour de la publicité dans les journaux afin de redorer son image –, qui a reversé 5,4 milliards d’euros, ou encore GDF-Suez. Certes, pour l’instant, cette société n’a pas encore fait de publicité, mais elle le fera peut-être.
Pour nombre de sociétés, l’année 2008 restera économiquement mauvaise, voire désastreuse. En revanche, le secteur de l’énergie semble épargné. Il est loin de connaître les difficultés économiques que rencontrent aujourd’hui des centaines de petites entreprises installées sur notre territoire.
En 2008, Total a dégagé 14 milliards d’euros de bénéfices, soit une hausse de 14 % par rapport à 2007, tandis que GDF-Suez a réalisé 6,5 milliards d’euros de bénéfices, soit une augmentation de 13 %. Ces deux entreprises reconnaissent elles-mêmes avoir réalisé, l’année dernière, des bénéfices exceptionnels.
Ce fait est, selon moi, lié aux prix. Ainsi, les importantes hausses du prix du pétrole ont permis à Total d’engranger des bénéfices importants. La hausse des prix du gaz décidée en 2008 a permis à GDF-Suez de dégager des profits, même si c’était pour faciliter la fusion.
L’augmentation de ces bénéfices s’est faite, à n’en pas douter, sur le dos des consommateurs ; personne ne le niera. Ces surprofits sont dus à une politique de prix supportée par les consommateurs pour lesquels la baisse des tarifs du gaz est intervenue, alors que la période de chauffe était terminée.
De son côté, Total annonçait 14 milliards d’euros de bénéfices – ce dont on peut se féliciter – et, en même temps, la suppression de 555 postes. Selon nous, ce n’est pas normal. D’ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, l’un de vos collègues s’était lui aussi étonné et avait trouvé assez provocateur l’annonce simultanée de suppressions de postes et de bénéfices importants.
La bonne santé de Total est indéniable. Cette société fait partie des très rares entreprises qui ont systématiquement connu une performance supérieure à l’indice boursier européen de référence pendant près de quatorze ans sur les vingt dernières années. Son bénéfice net progresse. Cette croissance ne s’est pas traduite mécaniquement par des hausses des investissements productifs, compte tenu de la politique de maximisation du retour aux actionnaires que vous connaissez très bien, mes chers collègues.
Cette entreprise a procédé au rachat d’actions pour rester opéable. Ses dirigeants ont largement profité du versement de dividendes. Cette politique a permis aux dividendes de progresser.
On m’a indiqué que le montant du chèque que Total signe tous les ans à l’État français, au titre de l’impôt sur les sociétés, est presque classé confidentiel défense. N’étant plus habilité « secret défense », je me tourne vers vous, monsieur le secrétaire d'État.
L’ancien P-DG du groupe Total, après la catastrophe qui a eu lieu à Toulouse, indiquait que donner le montant des bénéfices de Total en France ou celui de son chèque au Trésor pourrait être mal interprété. Sachez que le holding basé en France affiche un crédit d’impôt de 200 millions d’euros en 2006, succédant à 700 millions d’euros en 2005 !
Même si certains collègues ne veulent pas le reconnaître, admettons qu’à situation exceptionnelle des réponses exceptionnelles s’imposent.
Monsieur le secrétaire d'État, indépendamment de la grande campagne que mène aujourd’hui Total pour se refaire une santé, si vous me permettez cette expression, cette société a octroyé généreusement au fonds d’expérimentation pour les jeunes de votre collègue Martin Hirsch 50 millions d’euros, soit, selon mes calculs, 0,072 % des bénéfices qu’elle a réalisés en 2008. Même si cette générosité doit être relevée, c’est encore plus le caractère condescendant des relations de cette entreprise avec les pouvoirs publics et le Gouvernement qui pose un problème. On le constate lorsque Mme la ministre de l’économie reçoit le P-DG de Total en l’embrassant. Certes, ce n’est pas José Bové, mais ils ont tous les deux une moustache ! (Sourires.)
Les entreprises du secteur pétrolier polluent. Souvenez-vous de l’épisode de l’Erika, qui a coûté à Total l’équivalent de six jours de bénéfices… Dont acte !
Ces entreprises profitent pleinement de la hausse du baril du brut et ne répercutent pas les baisses à la pompe. Vous êtes d’ailleurs obligé, monsieur le secrétaire d’État, de les rappeler sans cesse à l’ordre.
Ces entreprises licencient. N’est-il pas légitime de considérer qu’une partie des bénéfices exceptionnels qu’elles réalisent doit être redistribuée au profit de l’ensemble des Français, afin de soutenir leur pouvoir d’achat ? Les plus défavorisés sont confrontés à ce problème et n’ont aucune raison d’être deux fois pénalisés.
On pourrait d’ailleurs s’interroger sur la faible participation de ces sociétés aux plans de relance, par comparaison à d’autres entreprises au capital très majoritairement public. Elles n’ont d’ailleurs pas pris part au premier plan de relance d’un montant de 26 milliards d’euros en partie financé par les entreprises publiques. Il a été demandé 2,5 milliards d’euros à EDF ; la RATP, la SNCF, La Poste ont également été sollicitées. Heureusement que quelques entreprises publiques participent encore aux plans de relance du Gouvernement !
Dans un système économique qui s’affole et qu’il faudra consolider, on ne peut pas, d’un côté, dilapider des milliards d’euros aux frais des contribuables pour venir au secours des milieux bancaires – je répète que c’était indispensable – et, de l’autre, rester sourd aux difficultés grandissantes de milliers de familles.
On ne peut pas s’appuyer encore plus sur des entreprises publiques alors que des entreprises privées aujourd’hui largement bénéficiaires et leurs dirigeants ne sont pas sollicités et responsabilisés.
Je veux maintenant vous citer certains propos tenus par le Président de la République : « Il faut que chacun comprenne que, si l’on demande aux salariés de porter une partie du fardeau dans la crise, il est normal que les mêmes salariés […] bénéficient du fruit de leur travail quand cela va bien ! »
En même temps, quand nous demandons pourquoi ces entreprises ne consentent pas aujourd’hui un effort plutôt que de redistribuer des bénéfices à leurs actionnaires, on nous répond que ce n’est pas possible.
Nous souhaitons donc obtenir de vraies réponses sur ce point. Il est fondamental de mettre fin à de tels phénomènes de confiscation des richesses produites par la collectivité.
Il s’agit non pas d’avoir une meilleure redistribution, car elle existe déjà, mais de mieux répartir.
Pour l’établissement d’un nouvel ordre financier, il faut aussi s’interroger. Qui touche quoi ? N’est-il pas temps de modifier les proportions entre capital et travail ?
Vous avez, comme nous, entendu le Président de la République reprendre la proposition des trois tiers.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. François Rebsamen. Je conclus, monsieur le président.
Quand nous voulons que cette proposition soit mise en application, le Gouvernement la refuse !
Avec mes collègues du groupe socialiste, j’avais déposé, lors de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2009, deux amendements visant à accroître la justice fiscale.
Le premier tendait à moduler l’impôt sur les sociétés selon le principe du bonus-malus, c’est-à-dire en encourageant celles qui investissent et en pénalisant celles qui ne songent qu’à servir leurs actionnaires. M. Éric Woerth m’avait répondu que cette question méritait un débat approfondi.
Le second visait à créer une contribution exceptionnelle acquittée par les sociétés qui obtiennent des superprofits.
En conclusion, au moment où l’on tente de trouver des solutions, et alors que la présidente du MEDEF, fière de l’annonce de la suppression de la taxe professionnelle, suggère aux collectivités locales de « travailler sur des gains de productivité » pour compenser la perte de ressources – ce que l’on peut appeler faire preuve d’audace ou d’irresponsabilité, selon le point de vue – les grandes entreprises, notamment celles du secteur de l’énergie, doivent prioritairement concourir, dans un contexte de crise, à la solidarité nationale.
Dès lors, monsieur le secrétaire d’État, je vous demande pourquoi vous n’envisagez pas, compte tenu de la situation que j’ai exposée, d’établir de façon temporaire une contribution de solidarité touchant ces grandes entreprises.
Le prélèvement effectué, dont le montant serait débattu au Parlement, puisque c’est son rôle, pourrait permettre d’abonder le fonds stratégique d’investissement, ce que nous approuverions, ou encore de doubler l’enveloppe du fonds d’investissement social, dont le Président de la République a annoncé la création et qui est doté aujourd’hui de 1,5 milliard d’euros.
La justice et la solidarité sont des éléments clés de l’efficacité économique. Je lance donc ce matin un appel afin que, ensemble, nous fassions bouger les lignes ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume.
M. Didier Guillaume. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la question que vient de poser François Rebsamen est importante à l’heure où notre pays traverse une crise sans précédent. Il s’agit, certes, d’une crise financière mondiale, mais aussi d’une crise de notre modèle républicain.
Au moment de dresser le bilan des deux premières années du mandat du Président de la République, les tensions dans notre pays sont exacerbées. Le « chacun pour soi » et l’individualisme sont érigés en modèles.
Il est temps aujourd’hui d’apaiser les tensions.
Il est temps de rassembler les Français au lieu de les diviser. Une nation rassemblée saura réagir. Des Français mobilisés sauront se serrer les coudes pour affronter les difficultés.
Il est temps de donner des signes forts en direction des Français, notamment de ceux qui ont l’impression que ce n’est jamais pour eux, de ceux qui se sentent dépossédés du droit à la parole, de ceux qui triment sans recevoir les fruits de leur travail, de ceux qui aimeraient travailler, mais qui n’ont aucune perspective.
Cet hémicycle est le lieu où chaque mot, chaque engagement doit peser. Il faut mettre au cœur de nos débats des mots qui représentent des valeurs que les Français attendent et appellent de leurs vœux.
Ces mots, ces valeurs, justice, solidarité et exemplarité, sont des mots simples et des valeurs sûres que chaque Français peut comprendre.
Oui, il faut redonner espoir.
Oui, il faut que les Français croient à nouveau à l’action publique. Nous devons faire la démonstration que l’action politique peut transformer leur quotidien.
Oui, il est urgent d’introduire plus de justice au sein de notre système, parce que c’est une valeur par laquelle on rend à chacun ce qui lui est dû.
Le sentiment d’injustice est aujourd’hui de plus en plus fort. Il suffit d’entendre ces grévistes qui, séquestrant leurs dirigeants, disent qu’ils ont tout perdu et n’ont donc plus rien à perdre.
Ce qui était acceptable par le passé, parce que des perspectives existaient, est aujourd’hui devenu intolérable. Le seuil de tolérance des Français est atteint.
M. François Patriat. Absolument !
M. Didier Guillaume. Quand vous vivez dans un bassin d’emploi et une région sinistrés, quand vous allez, après des années de fidélité à votre entreprise, vous inscrire au chômage, quand les files d’attente au pôle emploi anéantissent tout espoir de retrouver du travail, il est naturel d’en appeler aux pouvoirs publics pour réclamer plus de justice.
Quand en même temps les Français découvrent que certains profits, bonus ou parachutes dorés représentent plusieurs centaines d’années de SMIC, quand un journal titre aujourd’hui : « Le temps des inégalités fait son grand retour », « Hausse des salaires : des cadres gâtés », « Le niveau de vie des riches progresse plus vite que celui des pauvres », comme le révèle l’étude de l’INSEE mentionnée par François Rebsamen, alors il ne faut pas s’étonner de trouver dans la rue des centaines de milliers de gens aux profils différents : salariés craignant pour leur emploi, chômeurs de fraîche date dont l’avenir s’est obscurci et dont les perspectives de retour à l’emploi ont été anéanties, étudiants qui s’interrogent sur la valeur de leurs études et de leur bagage, fonctionnaires qui s’inquiètent de l’avenir du service public où rentabilité et profits ont remplacé devoir et solidarité, et tout simplement citoyens qui ne veulent plus de cette société bloquée reproduisant les injustices et les inégalités sociales et se disant que décidément non seulement l’ascenseur social est bloqué, mais qu’il a aussi tendance à descendre !
C’est notamment ce que disent les jeunes générations qui, dans un sondage récent, dont chacun a pris connaissance, pensent que leurs conditions de vie seront moins bonnes que celles de leurs parents.
Les Français demandent donc une redistribution sociale et un soutien au pouvoir d’achat. Avec plus de justice sociale, il est indispensable qu’il y ait plus de solidarité.
J’évoquerai maintenant la situation que connaissent les collectivités locales. Le désengagement financier de l’État à leur égard se poursuit. Ce sont pourtant elles qui portent également de façon très forte les valeurs de solidarité. Il s’agit bien sûr de solidarité territoriale, mais aussi de solidarité envers les plus démunis.
Je veux prendre, sur ce sujet, deux exemples concernant plus particulièrement le département que j’ai l’honneur de présider, mais qui valent pour l’ensemble des départements. Je ne dispose pas des chiffres consolidés.
Je veux évoquer le fonds d’urgence pour l’habitat et le logement et le revenu minimum d’insertion.
L’utilisation du fonds de solidarité énergie permet d’intervenir spécifiquement pour l’aide au maintien dans leur logement des personnes les plus fragiles : aide aux impayés de loyers et participation au paiement des factures d’eau, d’électricité et de chauffage...
Dans mon département de la Drôme, depuis le mois de janvier, 600 personnes sont concernées chaque mois, contre 300 en 2008. Le nombre de bénéficiaires a donc doublé, ce qui représente plus de 1 million d’euros de dépenses supplémentaires, soit une augmentation de 32 %, à la seule charge du département.
En ce qui concerne la prise en charge du RMI, qui participe évidemment à la solidarité nationale, là encore le constat est le même. Pour les trois premiers mois de 2009, on compte 580 RMIstes supplémentaires, ce qui représentera 3 millions d’euros de plus à la charge du département, absolument non compensés.
Pour ces raisons et pour beaucoup d’autres, le Gouvernement doit donner un signal fort. C’est le sens de cette question, qui vise à demander une plus grande justice sociale et une solidarité nationale accrue.
Permettez-moi de vous livrer cette citation : « Ce système où celui qui est responsable d’un désastre peut partir avec un parachute doré, […] où l’on exige des entreprises des rendements trois ou quatre fois plus élevés que la croissance de l’économie réelle, ce système a creusé les inégalités, il a démoralisé les classes moyennes et alimenté la spéculation sur les marchés […]. L’économie de marché, c’est le marché régulé, le marché mis au service du développement, au service de la société, au service de tous. Ce n’est pas la loi de la jungle, ce n’est pas des profits exorbitants pour quelques-uns et des sacrifices pour tous les autres. »
M. Jean-Pierre Bel. Qui a pu dire cela ? (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Didier Guillaume. C’est un discours prononcé non pas par le Premier secrétaire du parti socialiste, mais par le Président de la République, à Toulon, voilà quelques mois. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Sur les points que je viens de citer, je pense que nous pouvons être tous d’accord.
Il est donc temps de passer aux actes et de ne pas se contenter de belles paroles, voire d’incantations qui dépendent du public en face duquel on se trouve !
Il est temps de s’attaquer à certains symboles, afin que la notion d’exemplarité soit remise à l’ordre du jour. Après le temps de l’argent-roi, il faut introduire de la moralité et de l’exemplarité dans notre société.
Il est temps de prendre les mesures qui s’imposent à tous afin que les grands groupes du secteur de l’énergie participent à cette solidarité nationale.
C’est le sens du débat de ce matin, organisé sur l’initiative de notre collègue François Rebsamen et de notre groupe.
Parce que les bénéfices de ces grands groupes se font au détriment des consommateurs, qui sont leurs clients, parce qu’il est immoral de s’enrichir et en même temps de licencier, parce que ces grands groupes en ont les moyens et qu’ils en ont aussi le devoir, parce que cet effort, au lieu d’opposer les entreprises aux citoyens, les en rapprochera, parce qu’il en va de la cohésion de notre société, cette contribution spécifique de solidarité doit marquer le signal fort d’un retour à des valeurs devant refonder notre cohésion nationale. Ces valeurs sont la justice sociale, la solidarité et l’exemplarité. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il est indéniable que les profits faramineux des grandes entreprises du secteur de l’énergie pourraient être mis à contribution pour créer de l’emploi, augmenter les salaires et diminuer les factures des consommateurs, plutôt qu’à poursuivre les distributions de dividendes à leurs actionnaires et de bonus qui s’ajoutent aux salaires indécents de leurs dirigeants.
Les mouvements sociaux qui se développent au sein d’EDF, de GDF-Suez comme du groupe Total depuis plusieurs semaines mettent en lumière les incohérences et les contradictions, que nous dénonçons depuis des années, de l’application du modèle libéral au secteur de l’énergie.
Les effets pervers de la crise financière et économique, qui pèsent chaque jour plus lourdement sur nos concitoyens, ne sont pas ressentis de la même façon, on le sait, selon que l’on est salarié d’un grand groupe comme Total ou GDF-Suez et de leurs filiales, ou que l’on en est actionnaire !
Les profits du groupe pétrolier Total ont été, je le rappelle, de 14 milliards d’euros en 2008 et ils seront sans doute équivalents en 2009 si l’on extrapole à partir des chiffres du premier trimestre de l’année. Or, ils sont avant tout le résultat de restructurations drastiques dans la plupart des activités qui touchent notamment le raffinage : 200 à 300 suppressions de postes ont été annoncées le 10 mars dernier et, dans la société Hutchinson, filiale du groupe, 6 000 salariés sont au chômage partiel depuis janvier.
De même, chez GDF-Suez, alors que l’assemblée générale des actionnaires du 4 mai dernier décidait d’attribuer 6,8 milliards d’euros aux détenteurs de parts sociales, alors que le bénéfice net du groupe s’élève pour 2008 à 6,5 milliards d’euros, les salariés ont manifesté leur colère plus que légitime et rappelé que les négociations salariales, malgré les mouvements de grève qui durent depuis sept semaines, étaient dans l’impasse du fait d’une direction sourde à leurs revendications de justice sociale.
Cette même direction n’a renoncé à une distribution providentielle de stock-options pour les principaux dirigeants qu’à la suite de cette mobilisation des personnels et de leurs représentants.
Le fameux rapport Cotis, commandé au directeur général de l’INSEE le 5 février dernier par le Président de la République, et qui devrait, nous a-t-on dit, donner lieu prochainement à une proposition de loi portée par la majorité parlementaire, montre que les écarts de salaires n’ont fait que croître.
En l’espèce, les plus hauts salaires se sont envolés. La part des salaires dans la valeur ajoutée des entreprises est stable depuis le milieu des années quatre-vingt, ce qui signifie, en clair, plus d’argent pour les actionnaires et toujours moins pour les salariés !
Les entreprises n’investissent plus ni dans le capital humain ni dans l’outil de production, car le dogme de la valeur ajoutée pour l’actionnaire est devenu dominant.
Les grandes entreprises du secteur de l’énergie cotées en bourse, qui nous occupent aujourd’hui, entrent parfaitement dans ce modèle absurde, où l’on verse des dividendes aux actionnaires et où l’on supprime des emplois : « Les dividendes nets représentent 16 % de l’excédent brut d’exploitation des sociétés non financières en 2007, contre seulement 7 % en 1993 », précise ce rapport.
Pour mémoire, le groupe Total bat des records de rentabilité depuis 2005, puisque, comme l’ont déjà souligné certains de nos collègues, ses profits sont passés de 11 milliards d'euros à 14 milliards d’euros au cours des trois dernières années.
Pourtant, les suppressions de postes au sein de ce groupe se comptent par centaines sur la même période – 329 à la raffinerie de Gonfreville en Seine-Maritime, 200 chez Paulstra sur les sites de Vierzon et Chateaudun –, tandis que 6 000 salariés sont placés en chômage partiel à hauteur de dix jours par mois depuis janvier dernier et jusqu’en juillet prochain chez Hutchinson.
Faut-il rappeler que Hutchinson est une filiale à 100 % de Total et que cette entreprise a reversé 115 millions d’euros à sa maison mère en 2008 ? Il apparaît clairement que la construction du profit et l’obsession de la rentabilité financière se font au prix de restructurations drastiques, qui pèsent directement sur les salariés et, plus largement, sur tous les bassins d’emplois.
Pour cette entreprise comme pour tant d’autres, il est plus que jamais urgent de légiférer, comme l’avait réclamé notre groupe en mars dernier à travers une proposition de loi visant à interdire les licenciements boursiers aux entreprises qui distribuent des bénéfices. Et ce n’est malheureusement pas en taxant de façon ponctuelle les résultats financiers de telle ou telle entreprise que nous parviendrons à moraliser le capitalisme et à rendre leur dignité aux salariés !
La taxation des profits des compagnies pétrolières était déjà inscrite dans le projet de loi de finances pour 2001, une disposition d’ailleurs qui a été rapidement supprimée ! Le capitalisme n’est ni moral, ni juste.
En outre, les salariés des petites comme des grandes entreprises, dans tous les secteurs économiques, demandent autre chose qu’un impôt ponctuel ou qu’une contribution exceptionnelle de solidarité : ce qu’ils veulent, c’est que le législateur leur reconnaisse « des droits pour empêcher tout licenciement visant à accroître la rentabilité financière au détriment des intérêts collectifs », comme le soulignait Charles Foulard, coordinateur CGT du groupe Total.
Nous reprendrons son propos à notre compte, et le prolongerons même : il est urgent que les salariés soient mieux représentés dans les enceintes de décisions des entreprises et disposent d’un véritable droit de veto permettant de bloquer les projets de licenciements en cas de bénéfices. À l’appui des revendications des salariés et des organisations syndicales représentatives, c’est à une remise en cause du système que nous appelons.
Pour ce qui est des consommateurs, il est à noter que le système de concurrence libre et non faussée qui a conduit à la recomposition du marché de l’énergie partout en Europe, et surtout en France, n’a pas conduit à une baisse des tarifs pour les usagers : les marchés spéculatifs de matières premières énergétiques fonctionnent parfaitement bien à la hausse, mais les freins à la baisse des prix acquittés par les consommateurs finaux sont toujours de moindre ampleur !
À cet égard, les pratiques commerciales de GDF-Suez, la principale entreprise intermédiaire en matière de fourniture de gaz naturel, ont été largement dénoncées par les associations de consommateurs. Pourtant, les tarifs réglementés sont l’outil qui aurait pu servir au Gouvernement pour faire baisser les prix.
Or, en dépit de la disparition programmée de ces tarifs réglementés dans le cadre de l’Europe libérale, les nouveaux contrats de service public, dont la renégociation est quasiment bouclée pour la période 2009-2013, ne modifieront pas cette situation. Le prix du gaz continuera à ne plus être calculé en fonction des résultats comptables de l’entreprise.
Taxer les profits reviendrait donc, dans ce cadre, à imposer indirectement les consommateurs, ce qui n’est pas satisfaisant. Et les mêmes causes produisant les mêmes effets, il est à craindre que d’autres fournisseurs d’énergie, comme EDF, dont le contrôle public est de moins en moins effectif, ne s’arrangent avec leurs concurrents pour augmenter les prix, dans une logique similaire.
C'est pourquoi la constitution d’un pôle public de l’énergie, que nous réclamons depuis des années, constituerait un substitut à ce système qui détruit l’emploi et brime les consommateurs.
Ce pôle public permettrait de mettre en place un véritable contrôle citoyen sur les ressources et l’approvisionnement, donc sur les prix et les missions de service public qui reviennent aux entreprises de ce secteur. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Ladislas Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je ne contesterai pas la réalité de la crise financière, ni la gravité de ses conséquences économiques et sociales pour notre pays. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Il s’agit, sans conteste, de la crise la plus inquiétante, par sa vitesse de propagation comme par son extension, qu’ait connue le monde depuis la Seconde Guerre mondiale.
Je n’interviendrai pas non plus en défense des choix réalisés par le Gouvernement en réponse à cette crise. Non que je n’en sois pas solidaire, mais je suis convaincu que M. Hervé Novelli pourra nous en exposer les raisons bien mieux que je ne saurais le faire.
Mon propos sera plus limité, néanmoins éclairant, je l’espère, pour notre débat d’aujourd’hui. Je m’exprime au nom du groupe UMP, bien sûr, mais c’est en ma qualité de président du groupe d’études de l’énergie du Sénat que je voudrais vous convaincre, mes chers collègues, que surtaxer les entreprises du secteur de l’énergie serait une bien mauvaise idée.
Certes, l’énergie apparaît comme un secteur relativement épargné par la crise, si l’on s’en tient aux seuls résultats financiers. Comme plusieurs de nos collègues l’ont rappelé, les grandes entreprises qui travaillent dans ce domaine ont annoncé pour l’année 2008 des résultats que nombre d’autres sociétés peuvent leur envier.
Toutefois, il serait erroné de considérer les entreprises énergétiques comme de véritables vaches à lait, dans la trésorerie desquelles on pourrait puiser pour boucher les trous du budget de la France ! (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)
Tout d’abord, une telle mesure poserait un problème de principe.
Lorsque les bénéfices d’une entreprise s’accroissent, il est normal que celle-ci paye davantage d’impôt sur les sociétés et de taxe professionnelle. En revanche, il serait contraire aux principes de stabilité et de prévisibilité de l’impôt de tirer argument de cette situation pour instaurer une contribution exceptionnelle. En d’autres termes, toute taxe dérogatoire et exceptionnelle me paraît suspecte.
Ce genre d’arbitraire fiscal serait de nature à inciter les entreprises qui possèdent une dimension internationale, car ce sont celles que vous visez à travers votre proposition, monsieur Rebsamen, à délocaliser leurs bénéfices dans d’autres pays que la France. Elles peuvent le faire aisément en jouant sur les prix de transfert entre leurs différentes filiales, mais aussi, de manière plus définitive, en privilégiant leurs investissements à l’étranger. J’appelle donc à la plus grande prudence les partisans de la fiscalité d’exception.
Au-delà de cette réserve de principe, une contribution exceptionnelle sur les entreprises du secteur de l’énergie constituerait surtout une grave erreur économique.
Monsieur Rebsamen, dans le texte de votre question orale, vous citez plus particulièrement le montant des résultats réalisés en 2008 par GDF-Suez et par Total, même si vos propositions visent toutes les entreprises de l’énergie. Ces résultats, effectivement impressionnants, s’expliquent en grande partie par l’envolée des cours des hydrocarbures.
Or il ne vous a pas échappé que, sous l’effet de la crise, ces cours se sont aujourd’hui effondrés. Même s’il est encore trop tôt pour l’affirmer, les résultats de ces entreprises seront, de toute évidence, moins flamboyants en 2009.
Plus fondamentalement, au-delà de ces fluctuations temporaires, il faut avoir bien conscience que les entreprises du secteur de l’énergie ont besoin de ressources financières importantes pour faire face à des besoins d’investissements considérables et à long terme.
Dans le texte de votre question, mon cher collègue, vous mentionnez le résultat de certaines entreprises. Pour ma part, je voudrais vous citer d’autres chiffres, …
M. François Rebsamen. De grâce, pas de bataille de chiffres !
M. Ladislas Poniatowski. … qui concernent les investissements réalisés par ces groupes.
Ainsi, en 2008, GDF-Suez a investi 11,8 milliards d’euros dans le monde, dont 3 milliards en France. Cette même année, Total a investi 12,4 milliards d’euros dans le monde, dont 1,7 milliard en France.
Vous savez comme moi que la prospection des hydrocarbures représente un effort constant, dont les coûts marginaux s’accroissent toujours. Dans une perspective stratégique, cet effort doit être soutenu en permanence, indépendamment des fluctuations des cours et des résultats.
Mes chers collègues, ce serait rendre un bien mauvais service à l’économie de notre pays que d’afficher une surtaxation des profits exceptionnels des entreprises du secteur de l’énergie. Je peux vous garantir que les seuls qui s’en réjouiraient seraient, bien sûr, les concurrents étrangers !
En outre, si l’on poursuit votre raisonnement jusqu’à son terme, monsieur François Rebsamen, il faut aussi appliquer cette contribution exceptionnelle de solidarité à EDF, qui a également réalisé un résultat important, soit 4,3 milliards d’euros, en 2008.
Ce serait logique ; nous ne pouvons nous contenter de surtaxer les concurrents d’EDF ! Or le président-directeur général de cette entreprise, M. Pierre Gadonneix, a fait des déclarations fort intéressantes lorsqu’il est venu devant les membres du groupe d’études de l’énergie la semaine dernière, à l’invitation de M. le président du Sénat. Plusieurs d’entre vous, mes chers collègues, ont d'ailleurs participé à cette rencontre.
À cette occasion, il nous a fait part des besoins d’investissements colossaux de l’entreprise qu’il préside, qui sont nécessaires pour assurer à la fois l’indépendance énergétique de notre pays et le renouvellement du parc électronucléaire de la France.
Ainsi, EDF investira 8 milliards d’euros en 2009, puis au moins 4 milliards d'euros chaque année pendant dix ans. C’est pourquoi, en dépit de ses résultats plus qu’honorables, l’entreprise devrait malheureusement accroître cette année son endettement de quelque 4 milliards d’euros ; elle envisage d'ailleurs de prendre des mesures pour remédier à ce problème.
Dans ce contexte, il ne serait vraiment pas pertinent, me semble-t-il, d’instaurer une contribution exceptionnelle sur les résultats des entreprises du secteur de l’énergie.
Vous auriez pu citer d'ailleurs un autre exemple, mon cher collègue : le président d’Alstom a présenté voilà deux jours les résultats de son groupe, avec un chiffre d’affaires de 18,7 milliards d'euros et un résultat de 1,1 milliard d'euros, dans deux métiers que vous connaissez bien, à savoir, d'une part, les transports – TGV, tramways et métros –, et, d'autre part, l’énergie. Toutefois, ses activités dans ce dernier domaine sont encore davantage soumises à la concurrence des pays étrangers. Si vous instaurez une taxe exceptionnelle contre Alstom, vous pénaliserez une entreprise française, l’un des fleurons de l’économie de notre pays !
La capacité d’investissement de toutes ces entreprises garantit leur croissance de demain, mais aussi celle de notre pays.
Mes chers collègues, je n’ai pas besoin de souligner combien l’énergie est vitale pour une économie avancée comme celle de la France. Ce sont des flux d’énergies qui irriguent notre tissu économique national. Même des activités dites immatérielles, comme celles du secteur des nouvelles technologies, en ont besoin pour fonctionner. Et si la hausse de la consommation d’énergie des secteurs industriels marque le pas, celle des ménages continue de croître rapidement, en raison de la diffusion des nouveaux matériels informatiques et électroniques.
C’est pourquoi, à mon avis, ce serait une grave erreur d’instaurer une contribution exceptionnelle de solidarité sur les entreprises de ce secteur.
Cette mesure, loin de constituer une solution miracle pour combler les déficits publics, serait parfaitement contre-productive. En venant réduire la capacité d’investissement des entreprises concernées, une telle surtaxe porterait atteinte à l’un des atouts majeurs de l’économie française.
Je vous rappelle que toutes les entreprises énergétiques françaises contribuent à assurer l’indépendance de notre pays. Il faut qu’elles demeurent en bonne santé financière, pendant la crise que nous traversons, notamment pour être en état de réagir rapidement, lorsque les premiers signes d’un retour de la croissance en France se feront sentir. Elles pourront alors accompagner les autres secteurs de l’économie nationale dans leur développement et participer ainsi à la création d’emplois.
Telles sont, mes chers collègues, les considérations qui me conduisent à me prononcer très nettement, au nom de mon groupe, contre l’idée d’instaurer une contribution exceptionnelle de solidarité sur les entreprises du secteur de l’énergie.
Une telle mesure serait néfaste à tous égards. Elle affaiblirait l’un des secteurs essentiels de l’économie de notre pays.
Certes, il est tout à fait légitime que les entreprises du secteur de l’énergie participent normalement au financement des charges publiques, en acquittant les impôts auxquels elles sont tenues. Toutefois, il n’y a aucune raison de les désigner comme boucs émissaires et de les soumettre à une surtaxation arbitraire et parfaitement contre-productive. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, tous les secteurs de la vie financière et économique sont frappés par la crise.
Pourtant, il existe au moins un secteur qui affiche des bénéfices considérables : celui de la production énergétique. Parmi les plus groupes les significatifs, Total affiche un bénéfice net pour 2008 de près de 14 milliards d’euros, celui de Suez-GDF atteint 6,5 milliards d’euros et celui d’EDF dépasse les 5 milliards d’euros, tous ces résultats étant en notable augmentation depuis 2007.
Ces chiffres confirment que les entreprises françaises de l’énergie sont parmi les plus performantes du monde : Total est le quatrième groupe pétrolier mondial, EDF le premier groupe de création et d’approvisionnement électrique, Areva est présent dans plus de quarante pays.
La prospérité de ces entreprises nous amène à nous interroger sur une participation exceptionnelle des grandes entreprises énergétiques françaises aux efforts nécessaires pour lutter contre les effets de la crise. On peut certes concevoir que des entreprises affichant des bénéfices toujours plus importants soient mises à contribution. Cependant, nous ne devons pas pour autant les affaiblir dans la très dure compétition internationale.
Conformément à l’article 34 de la Constitution, c’est au Parlement de décider du principe d’une participation financière du secteur énergétique aux efforts nationaux à l’occasion du plan de relance. Le Parlement a adopté l’ensemble des mesures contenues dans ce plan et le projet de loi de finances rectificative pour 2009 : c’est donc à lui de s’exprimer sur le bien-fondé de la création d’une contribution exceptionnelle de solidarité des grandes entreprises du secteur de l’énergie, comme le réclame notre collègue François Rebsamen.
Il existe une alternative : soit une solution contraignante, par l’établissement d’une taxe additionnelle exceptionnelle, soit une solution partenariale, par une incitation fiscale. Les deux visent à obtenir de la part des grands groupes français des contributions significatives afin d’assurer une partie du financement des dernières mesures de lutte anti-crise, en s’appuyant sur le principe de solidarité nationale. Elles pourraient aussi corriger les effets peu adaptés au contexte de crise du « bouclier fiscal ».
Dans la première hypothèse, on pourrait envisager l’établissement par le Parlement d’une taxe additionnelle à l’impôt sur les sociétés, sous réserve que les conditions suivantes soient remplies : qu’elle soit temporaire, avec une assiette la plus large possible et un taux qui ne porte pas atteinte à la gestion et aux investissements des entreprises concernées.
M. François Rebsamen. Bien sûr !
M. Aymeri de Montesquiou. Le rôle de l’État consisterait à affecter le produit de cette taxe.
La France étant déjà le deuxième État le plus imposé de l’Union européenne,…
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services. Absolument !
M. Aymeri de Montesquiou. … il serait très contre-productif d’aggraver la fiscalité des entreprises, qui représentent des centaines de milliers d’emplois : cela pourrait les inciter à délocaliser leur siège social.
Nous avons encore tous à l’esprit que, sous le gouvernement de Lionel Jospin, alors que M. Fabius était ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, la holding Renault a été implantée aux Pays-Bas, où la fiscalité était plus clémente.
M. Aymeri de Montesquiou. Au premier abord, la proposition de François Rebsamen peut sembler séduisante. Pourtant, il est important de bien peser les risques induits de délocalisation des sièges sociaux des entreprises.
Dans le cas où l’État ne détient aucune participation financière, et où il ne peut donc décider de la localisation du siège social, il semble difficile de rivaliser avec des pays beaucoup plus attractifs fiscalement. Je n’ai pas besoin de mentionner les territoires figurant sur la liste des paradis fiscaux dressée lors du dernier G20, ni même ceux qui sont membres à part entière ou associés de l’Union européenne.
Est-il souhaitable que le Parlement ne raisonne qu’en termes de fiscalité de circonstance, alors que la France aurait réellement besoin d’une réforme approfondie et durable de sa fiscalité ?
Il s’agit là d’un enjeu majeur, qui concerne directement l’attractivité de notre pays par rapport à celle de nos partenaires européens. Ne faisons pas fuir les fleurons de notre industrie quand d’autres s’évertuent à maintenir les leurs à l’intérieur de leurs frontières !
On sait que, le plus souvent, la recherche et l’innovation sont liées à la localisation du siège. Or il est indispensable de les encourager dans tous les domaines, en particulier dans le secteur de l’énergie. Une nouvelle forme de taxation pourrait être contraire aux efforts engagés par nos entreprises dans un contexte de compétitivité acharnée entre les grands groupes mondiaux.
Dès lors, il convient d’envisager l’autre branche de l’alternative, qui est celle de l’incitation fiscale ; c’est celle qui a la préférence du groupe RDSE.
Elle reposerait sur le principe d’une libre participation financière des entreprises des grands groupes du secteur énergétique en contrepartie d’avantages fiscaux dans des domaines liés au développement de leurs activités ou d’autres : la recherche et le développement, l’innovation, la participation au capital de start-up ou le mécénat. Cette participation pourrait être directement affectée à des fonds ou à des actions ciblées, comme l’aide au financement de la formation par des stages ou le soutien à des PME sous-traitantes.
On peut aussi envisager que les investissements puissent également être orientés vers les BOT – build operate transfer –, ce qui permettrait un retour sur investissement à caractère structurel rentable, les infrastructures préparant l’avenir.
Le débat reste ouvert. Vu l’urgence de la situation, nous souhaitons qu’avec l’accord du Gouvernement le Sénat soit à même de proposer sans tarder des propositions innovantes et adaptées à la situation de crise, des propositions qui seraient fondées sur trois piliers chers au groupe RDSE : souplesse fiscale, efficacité économique et justice sociale.
Puisque nous sommes en période de guerre économique, je citerai Winston Churchill, qui dirigea son pays dans une guerre autrement redoutable, et qui déclarait : « On considère le chef d’entreprise comme un homme à abattre, ou une vache à traire. Peu voient en lui le cheval qui tire le char. » (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Pierre Fourcade. Bravo !
M. le président. La parole est à M. François Patriat.
M. François Patriat. Monsieur le président, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par le groupe socialiste ne repose ni sur le manichéisme ni sur la démagogie ; elle repose plutôt sur le bon sens et l’équité.
Il n’y a pas, d’un côté de cet hémicycle, des parlementaires qui voudraient sans cesse baisser les impôts et, de l’autre côté, des parlementaires qui seraient des parangons de l’impôt et qui voudraient toujours l’augmenter.
M. Ladislas Poniatowski. Un peu quand même !
M. François Patriat. Non, nous sommes pour un impôt juste et équitable.
Monsieur Poniatowski, sur deux points au moins, je suis en désaccord avec vous et j’aurai l’occasion de vous répondre.
Mes chers collègues, peut-on considérer que, depuis 2007, la situation a changé…
M. François Patriat. … et que les certitudes affichées hier ont débouché sur une autre réalité ?
La loi TEPA était censée, notamment grâce au bouclier fiscal, provoquer un choc, le « choc de la croissance ». Or, loin de relancer notre économie, cette loi a, au contraire, aggravé une situation de crise qui, certes, est née ailleurs, est mondialisée, voire systémique, selon certains membres du Gouvernement, mais qui, en fin de compte, aboutit à une France industrielle et économique à deux vitesses.
Au vu des grands indicateurs, messieurs les secrétaires d’État, chers collègues de la majorité, l’entêtement n’est plus de mise.
Vous dites, monsieur Poniatowski, que les grandes entreprises payent beaucoup d’impôts. Or le plafonnement à 3,5 % de la valeur ajoutée de la taxe professionnelle des entreprises – M. Didier Guillaume l’a souligné tout à l’heure, s’agissant des départements – a aujourd’hui des conséquences très douloureuses pour les collectivités.
Ainsi, s’agissant de la région Bourgogne, c’est une somme de 20 millions d’euros qui n’est pas perçue par les collectivités, bien qu’elle ait été votée, et qui pourrait être affectée à l’accompagnement du plan de relance, plan auquel le Gouvernement demande à ces mêmes collectivités de participer à 50 %, après avoir par ailleurs bloqué leurs ressources !
Il existe bel et bien un plafonnement qui fait que les grandes entreprises sont aujourd’hui favorisées par rapport aux autres. Les profits des géants du CAC 40 n’ont, jusqu’en 2008, jamais été aussi élevés : 220 millions d’euros par jour pendant cinq ans ! Certes, ils ont un peu baissé depuis, mais ces grands groupes faisaient-ils alors, en matière d’investissements ou de salaires, des efforts à la hauteur de ces profits record ?
En réalité, la prospérité des grandes entreprises, qui peuvent jouer à plein la carte de la mondialisation, n’a pas, sur le reste de l’économie, autant de retombées qu’on pourrait l’espérer.
Monsieur Novelli, pour avoir jadis exercé à peu près les mêmes fonctions que vous, je n’ignore rien des difficultés de votre tâche. Vous et moi le savons, la crise révèle que notre tissu économique de PME est, en comparaison des grands groupes, aujourd’hui à la peine. Or c’est le dynamisme des PME qui est créateur d’emplois nouveaux.
Avant la déflagration boursière, en 2008, le taux de profit des PME, calculé par l’INSEE, était déjà pratiquement au plus bas depuis dix ans.
La France est donc coupée en deux : d’un côté, des entreprises prospères, aux dirigeants surpayés, aux actionnaires choyés et, de l’autre côté, une économie à bout de souffle, où se développent la précarité, les CDD et l’intérim, quand il y en a encore…
Dans une situation exceptionnelle, nécessité fait loi : alors que les déficits explosent – je n’insiste pas ! –, la contribution exceptionnelle, et donc limitée dans le temps, est une solution à envisager.
Pourquoi refuser la possibilité de renforcer l’investissement dans les nouveaux secteurs économiques qui feront l’offre de la France dans la reprise ?
La politique fiscale est une arme anti-crise, incontournable dans le cadre de tout plan de relance. La majorité la refuse et, comme François Rebsamen l’a rappelé tout à l’heure, elle a rejeté nos propositions dans ce sens, qu’elles portent sur la fiscalité des ménages ou sur celle des entreprises. Au reste, cette arme manque aussi aujourd’hui au plan de relance européen. Or c’est la fiscalité qui détermine la capacité des régions à l’investissement et l’emploi.
François Rebsamen et d’autres ont évoqué le cas de Total.
Faut-il le préciser, 13 milliards d’euros de bénéfice, cela ne fait pas 13 milliards d’impôt sur les sociétés qui vont rentrer dans les caisses de l’État, contrairement à ce qu’a prétendu M. Frédéric Lefebvre, porte-parole de l’UMP. Pour lui, le fait qu’une très grande entreprise fasse des bénéfices en période de crise est simplement une bonne nouvelle, et il est vrai que nous ne pouvons que souhaiter voir nos entreprises dégager des bénéfices.
Cependant, le calcul de M. Lefebvre est d’autant plus étrange que Total ne réalise que 5 % de ses profits en France. Nous aimerions d’ailleurs savoir, messieurs les secrétaires d’État, combien le groupe Total verse à l’État français au titre de l’impôt sur les sociétés.
M. François Rebsamen. Voilà !
M. François Patriat. Tout à l’heure, on nous a fait le chantage à la délocalisation : ainsi, lorsque les entreprises font des profits, il ne faudrait surtout pas les mettre à contribution de crainte qu’elles ne partent à l’étranger !
Mais ce sont les consommateurs, notamment les consommateurs français, qui ont payé leurs profits colossaux ! Au moment où les prix de l’essence et du gazole ont augmenté, parfois presque d’un euro par litre, a-t-on reproché au groupe Total de pénaliser les salariés et les ménages ? (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.) Aujourd’hui, ne pourrait-on pas le pénaliser ? Il conviendrait de faire preuve d’un minimum de décence et de dignité à l’égard des deux parties de l’échiquier !
D’ailleurs, le gouvernement britannique n’a-t-il pas décidé de taxer pas les énormes profits tirés du gaz de la mer du Nord ? Et il l’a fait sans craindre une délocalisation de siège social !
D’un point de vue économique, les revenus de Total et, de façon générale, ceux des compagnies pétrolières et énergétiques, sont une rente « ricardienne » – du nom de l’économiste David Ricardo –, c’est-à-dire qu’ils proviennent simplement de la détention par l’entreprise de l’accès exclusif à une ressource non reproductible. C’est une rente pure : à partir d’un baril de pétrole à 15 dollars, l’entreprise a rémunéré ses facteurs de production. Au-dessus, tout n’est que profit.
Dans un secteur d’activité classique, cette situation de rente peut être empêchée par la concurrence. Cependant, les ressources pétrolières sont déjà limitées et contrôlées, notamment par des États : il n’y a donc pas de nouveaux acteurs possibles, pas de concurrence, et les profits sont élevés. C’est aussi pourquoi, dans ce secteur d’activité, les opportunités d’investissement sont finalement aussi limitées.
Ce serait donc un mécanisme tout à fait sain que de permettre la restitution de ces capitaux pour qu’ils soient investis dans des secteurs où ils seraient plus productifs.
Je souhaiterais d’ailleurs qu’aujourd’hui nous nous prononcions en faveur du lancement d’un véritable plan pour l’innovation. J’ai compris la volonté du Gouvernement de développer l’innovation. Toutes nos entreprises, au premier rang desquelles les entreprises environnementales, notamment celles qui œuvrent dans les secteurs des nouvelles technologies, en ont besoin.
Eh bien, le produit de cette taxe pourrait être utilisé en faveur des ménages, bien sûr, mais aussi en faveur de la recherche, de l’innovation dans les secteurs d’avenir, qui sont aujourd'hui dramatiquement délaissés, d’autant que les grands groupes, en reportant la production sur un éventail de sous-traitants toujours plus nombreux, toujours plus contraints en termes de marge, ont contribué à la diminution du taux de profit des PME.
La question qui est posée est donc une question de justice et d’efficacité.
Messieurs les secrétaires d’État, je vais vous faire une confidence : nous proposons de créer une taxe ; vous pourrez dire partout que c’est à nous qu’en incombe la responsabilité : nous sommes prêts à l’assumer ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Alain Houpert.
M. Alain Houpert. Monsieur le président, messieurs les secrétaires d'État, mes chers collègues, j’ai écouté attentivement l’intervention de M. François Rebsamen et, surtout, lu avec soin le texte la proposition de loi visant à créer une contribution exceptionnelle de solidarité sur les grosses entreprises de l’énergie.
Ne confondons pas les objectifs et les moyens, mais revenons-en aux bases !
L’énergie est tout simplement l’unité de transformation du monde et, aujourd’hui, environ 35 % de cette unité de transformation provient du pétrole, dont le prix détermine celui des autres énergies.
Il est vrai qu’il est indécent de continuer à consommer sans compter cette énergie que la Terre a mis des millions d’années à accumuler et de lui faire traverser les océans ou les continents.
Si ce sont les profits de Total qui vous dérangent, chers collègues de gauche, il faut plutôt inciter ou aider les gens à changer de comportement. On ne consomme pas de l’énergie fossile par plaisir : si l’on pouvait faire autrement, on le ferait !
Pour cela, encore faut-il ne pas pénaliser les entreprises en mutation…
Premièrement, monsieur Rebsamen, votre constat est partial.
Que signifie un « superprofit », sinon un « profit conjoncturel » ? À stigmatiser des entreprises comme Total, vous faites peser sur l’ensemble d’un secteur le poids de vos préjugés.
Certes, des sociétés du secteur de l’énergie ont dégagé des profits en 2008 : 13 milliards d’euros pour Total ; 6,5 milliards d’euros pour GDF Suez. Mais pourquoi n’avez-vous pas aussi mentionné EDF, Areva, Poweo ? Que dites-vous des autres sociétés du secteur ? Altergaz et Sebdo ont tout juste été bénéficiaires en 2008 ; Vergnet a affiché une perte de 5,9 millions d’euros. Ces sociétés, même si elles se consacrent respectivement à la fourniture de gaz naturel, à la production d’énergie solaire ou à celle d’énergie éolienne, mériteraient tout autant votre attention, monsieur Rebsamen...
Les grandes entreprises du secteur de l’énergie sont très différentes les unes des autres et ne méritent pas toutes l’honneur de faire l’objet de vos « bons soins ». Si diverses soient-elles, elles sont néanmoins confrontées à des problèmes semblables.
Le secteur de l’énergie est marqué par la forte fluctuation des cours des matières premières. Par exemple, le prix du baril de pétrole est passé de 146 à 35 euros en quelques semaines. L’enjeu, pour ces entreprises, est de pouvoir investir, donc emprunter à long terme, en assurant une certaine stabilité des prix aux consommateurs finaux. De fait, les marges dépendent essentiellement des coûts d’approvisionnement, lesquels sont aléatoires.
Une taxe franco-française aurait-elle un sens dès lors que les multinationales réalisent l’essentiel de leurs bénéfices dans les activités de production localisées à l’étranger ?
En France, en revanche, les entreprises de l’énergie sont essentiellement présentes dans les activités de distribution et, pour certaines, dans la production d’énergies alternatives. Prenons l’exemple du département que vous et moi, monsieur Rebsamen, connaissons le mieux : en Côte-d’Or, le secteur de l’énergie représente plus de 300 entreprises et 4 000 emplois. Ce secteur est donc, par sa diversité, loin des clichés que vous énoncez !
Créer une taxe sur les seules entreprises françaises ferait augmenter les coûts de la distribution de l’énergie, ainsi que les coûts de production des énergies alternatives. Est-ce bien raisonnable ?
Deuxièmement, créer une nouvelle taxe reviendrait avant tout à envoyer un mauvais signal au consommateur, c'est-à-dire au payeur final. Cela signifie que vous ne pouvez pas appeler simultanément à une baisse du prix de l’énergie et à la création d’une nouvelle taxe.
J’ai conscience que les consommateurs ont généralement le sentiment d’être perdants.
M. Jean-Jacques Mirassou. Toujours !
M. Alain Houpert. Mais, si l’on suit votre proposition, ils le seront effectivement !
Vous ne pouvez ignorer que la hausse des taxes et des impositions que vous voulez créer sera in fine supportée par les petits revenus. En effet, toute hausse des taxes sera directement répercutée sur les prix de revient des entreprises et, de facto, sur les consommateurs.
Les plus faibles d’entre nous sont contraints de se chauffer au fioul. Malgré les aides, ils ne peuvent pas changer de moyen de chauffage et envisager l’achat d’une chaudière à condensation, à bois ou de panneaux solaires.
En toute honnêteté, il n’appartient pas aux élus de la nation de prendre une quelconque part de responsabilité dans une hausse du prix de l’énergie, notamment si l’on considère que jusqu’à 50 % du prix de l’essence correspond déjà à un prélèvement de l’État.
Certains de nos villages souffrent suffisamment de l’éloignement pour que nous ne songions pas à leur faire supporter une nouvelle hausse du prix de l’essence ! Les personnes âgées de nos villages souffrent suffisamment du froid pour qu’on leur épargne une nouvelle hausse du prix du fioul !
M. David Assouline. Qui parle de ça ?
M. Alain Houpert. Nos aînés continuent à s’approvisionner en fioul par 500 litres, leur trésorerie ne leur permettant pas de remplir totalement leur cuve d’un seul coup.
Il convient de ne jamais oublier que le consommateur et le citoyen sont une seule et même personne !
II semble plus responsable de prendre des mesures en faveur des consommateurs plutôt que des mesures contre les entreprises. En ce sens, il est préférable de retenir des dispositions ciblant le consommateur : crédit d’impôt pour l’isolation des logements ou l’adaptation des systèmes de chauffage, prime à la cuve, etc. C’est cela qui va dans le bon sens.
Il reste qu’il faut aller plus loin et rendre ces dispositions accessibles aux plus démunis. Vous avez ainsi décidé, monsieur le secrétaire d’État, de doubler la prime à la cuve, la faisant passer de 75 à 150 euros, pour alléger la facture des ménages.
De plus, aujourd’hui, les consommateurs bénéficient en France de prix à la pompe plus faibles que dans le reste de l’Europe.
M. Alain Houpert. C’est le résultat des efforts du Gouvernement.
Troisièmement, la création d’une contribution sur les grandes entreprises représente aussi un mauvais signal adressé à tous les acteurs du marché de l’énergie.
Pour stabiliser les prix, susciter l’investissement et la concurrence, une certaine sécurité fiscale est nécessaire. On ne peut pas se résoudre à créer autant de taxes que vous avez de désirs, chers collègues de l’opposition !
En France, nombreux sont les entrepreneurs qui s’engagent dans la production d’énergie durable : le bois énergie, les éoliennes ou encore les carburants verts. Les projets essaiment dans tous les territoires et, rapidement, nous allons voir émerger dans ce secteur des entreprises qui réaliseront plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires.
L’État doit donc garantir une sécurité fiscale optimale, favorable à l’investissement.
Par ailleurs, il appartient à l’État d’orienter ces investissements.
Plutôt que de condamner le secteur de l’énergie, nous devons nous le réapproprier, par exemple en élargissant les conditions d’éligibilité au crédit d’impôt recherche.
Refusez-vous, chers collègues, d’accompagner ces changements décisifs pour les générations à venir ? Ne voyez-vous pas quel est le sens de l’histoire ?
Dans nos territoires, la production d’électricité d’origine thermique, à base de paille ou de bois, est une réelle voie de progrès. Je vous rappellerai qu’elle représente un large vivier d’emplois potentiels, durablement attachés à nos territoires, au sein d’établissements qui, dans certaines communes, représentent parfois la seule source de taxe professionnelle et d’emplois.
Ces nouvelles sources de production permettront de relocaliser l’économie dans nos territoires et d’éviter les mouvements pendulaires entre les villes et les campagnes.
Vous évoquez la « création d’une contribution sociale »... Soit ! Mais, si nous sommes si dépendants de la conjoncture actuelle, c’est parce que, pendant trop longtemps, le pays a fait preuve d’une trop grande frilosité dans l’orientation des investissements vers des métiers d’avenir.
Le vrai problème en France, en Bourgogne, à Dijon, ce n’est pas le fait que des entreprises puissent prospérer ! C’est la gestion calamiteuse de l’argent public et l’impérieuse nécessité, pour les collectivités, de trouver de nouvelles sources de financement et de sortir d’une gestion à court terme.
Alors que nous vivons de profondes mutations dans nos comportements, en termes tant de production que de consommation d’énergie, vous proposez de créer de nouvelles taxes avec cette fiscalité d’exception. Au contraire, il importe de faire des propositions plus proches de ce que vivent les Français ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Monsieur le président, messieurs les secrétaires d’État, chaque parlementaire, chaque élu de notre pays est actuellement directement confronté à la triste réalité de la crise sociale qui frappe les Françaises et les Français.
Dans ses permanences, au cours de ses visites de terrain, il mesure la gravité de cette crise à l’aune de la multiplication des demandes d’intervention auprès des services sociaux, demandes émanant la plupart du temps de salariés et liées à une impossibilité de payer le loyer, la cantine des enfants, les factures d’eau ou d’électricité. Et je ne parle même pas du nombre croissant de bons d’alimentation distribués par les mairies…
Dans cette situation, le gouvernement auquel vous appartenez, messieurs les secrétaires d’État, a une responsabilité, celle de faire tout ce qui est en son pouvoir pour préserver la cohésion de la société française, en évitant à des centaines de milliers de ménages de connaître encore plus de précarité et de détresse.
C’est d’ailleurs tout le sens de l’appel que le président de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, a lancé aux gouvernements de la zone euro, lundi dernier, en pronostiquant « une crise sociale » en Europe du fait de la forte hausse attendue du chômage. M. Juncker a ainsi affirmé : « Tous les efforts doivent être orientés vers l’encadrement social et économique de cette situation. » Il a invité les gouvernements à amortir le choc pour les salariés appelés à perdre leur emploi et les chefs d’entreprise à éviter « les licenciements massifs et prématurés » en faisant preuve « de responsabilité sociale ».
C’est aussi, depuis plusieurs semaines déjà, tout le sens des politiques des collectivités locales dirigées par la gauche. Malgré le désengagement financier de l’État et la paupérisation organisée des services publics, celles-ci déploient des moyens exceptionnels en faveur de l’économie et de l’emploi de leurs territoires.
Ainsi, un conseil général aux moyens limités comme celui de l’Ardèche mobilise 106 millions d’euros, alors que celui des Bouches-du-Rhône en réunit 1 milliard. Ainsi, la Ville de Paris apporte sa garantie à 57 millions d’euros de crédits réservés aux PME, tandis que le conseil régional de Poitou-Charentes a voté, il y a seulement quelques jours, l’entrée de la région au capital d’Heuliez, à hauteur de 5 millions d’euros.
Or, dans le même temps, qu’observent les 50 000 nouveaux chômeurs qui s’inscrivent chaque mois à Pôle emploi, dans les conditions déplorables dues à la restructuration du service public de l’emploi engagée par le Gouvernement ?
Ils voient Dexia, sauvé de la faillite par les gouvernements belge et français au prix de 6,4 milliards d’euros de crédits publics, distribuer au même moment 8 millions d’euros de primes à ses cadres dirigeants français.
Ils voient les banques, aux bilans plombés par leurs engagements dans des produits financiers complexes, demander à l’Autorité des marchés financiers d’agréer de nouveaux produits de ce type, qui n’ont pas de raison d’être moins toxiques que leurs prédécesseurs.
Ils voient la pression accrue que les directions des grandes entreprises font subir aux salariés pour diminuer toujours plus les coûts et accroître toujours plus les rendements.
Ils voient les multinationales du CAC 40 rendre publics des résultats en baisse – une décroissance globale de 42 % entre 2007 et 2008 – et gratifier simultanément leurs actionnaires de dividendes au moins aussi élevés que l’année passée. Ainsi, les sociétés cotées au CAC 40 ont distribué, au titre de l’exercice 2008, près des deux tiers, 64 %, de leurs bénéfices nets en dividende, soit 37,5 milliards d’euros.
Ce choix des grands groupes en faveur de la rémunération du capital s’inscrit parfaitement, malgré une récession économique historique, dans l’orientation prise par les entreprises depuis le début des années 1990 en défaveur de leur capacité propre d’investir et, donc, de développer leur activité.
Jean-Philippe Cotis, le directeur général de l’INSEE, missionné par le Président de la République pour étudier l’évolution du partage de la valeur ajoutée au cours des dernières années, montre dans son rapport que « les dividendes nets représentent 16 % de l’excédent brut d’exploitation des sociétés non financières en 2007, contre seulement 7 % en 1993 ».
Qui plus est, cette explosion des profits financiers au détriment de l’investissement dans le capital productif s’est accompagnée d’une dérive exponentielle des plus hautes rémunérations, celles qui dépassent 200 000 euros annuels, dont la part dans la masse salariale n’a cessé de progresser au cours des dix dernières années.
Dans ce contexte, la question que François Rebsamen pose au nom du groupe socialiste est de celles que se posent tous les jours beaucoup de nos concitoyens, qu’ils soient artisans ou patrons de PME réduits au dépôt de bilan à cause de banques ayant coupé le « robinet du crédit » ou qu’ils soient salariés menacés par le chômage et la précarité.
Votre réponse, monsieur Novelli, est donc attendue bien au-delà de nos travées.
Elle est notamment attendue par les centaines de salariés de Total, victimes de la restructuration des activités de pétrochimie et de raffinage en France, que le quatrième groupe pétrolier mondial a eu l’indécence de rendre publique concomitamment à l’annonce d’un résultat net au titre de l’exercice 2008 constituant le plus important bénéfice jamais réalisé par une entreprise française en valeur, soit 13,92 milliards d’euros.
Que la France dispose, dans un secteur aussi stratégique que l’énergie, d’un incontestable leader mondial, tout le monde s’en félicitera. Que l’activité de cette entreprise soit très profitable, personne ne s’en plaindra. Mais que cette rentabilité, qui est largement le fruit du travail et des efforts de productivité des milliers de salariés de Total, enrichisse principalement les actionnaires, là, il y a un problème !
M. François Patriat. Bien sûr !
M. David Assouline. En effet, ce n’est pas le niveau en soi du bénéfice réalisé par le groupe pétrolier français qui pose problème, c’est la manière dont ses dirigeants ont décidé de le répartir : en distribuant un dividende total de 5,4 milliards d’euros, Total s’installe résolument comme le « champion des dividendes » du CAC 40, pour reprendre les termes d’un hebdomadaire financier.
Ces 5,4 milliards d’euros sont à comparer aux 109 millions d’euros versés aux employés au titre de l’épargne salariale et aux 50 millions d’euros que le groupe pétrolier a généreusement proposé d’affecter au Fonds d’investissement des expérimentations pour les jeunes.
M. Daniel Raoul. Et sur cinq ans !
M. David Assouline. Les dirigeants de Total se donnent ainsi bonne conscience à peu de frais, et Laurent Wauquiez, secrétaire d’État chargé de l’emploi, peut faire semblant de ne pas avoir crié au scandale en vain !
Quant aux jeunes, auxquels le plan de Martin Hirsch n’offre que quelques centaines de contrats aidés, précaires et sous-qualifiés, quant aux salariés des sites de Total touchés par les 555 suppressions de postes prévues, quant à ceux des sous-traitants et des fournisseurs des activités concernées du géant pétrolier, ils n’ont qu’à ravaler, en silence, leur sentiment d’humiliation !
Pour éviter que ce silence ne se transforme en révolte, il faut que ce gouvernement et sa majorité renoncent à leur désastreuse politique fiscale, qui est une politique de classe.
Alors que des responsables politiques de droite du niveau d’Alain Juppé préconisent de suspendre temporairement l’application du bouclier fiscal, il est révoltant de lire, comme tout récemment, dans un grand quotidien, que, selon le secrétaire général de l’UMP, « augmenter les impôts serait une absurdité ».
Messieurs les secrétaires d’État, chers collègues de la majorité, sur la loi TEPA, allez-vous rester enfermés dans votre prison doctrinaire ?
M. David Assouline. Ôtez donc vos œillères ! Quand finirez-vous par entendre la société française appeler, quasiment d’une seule voix, à moins d’inégalités et à plus de solidarité ?
Si le président Sarkozy veut sortir de la posture du volontarisme virtuel pour agir réellement en faveur de l’intérêt général, il lui reste à prendre des mesures courageuses et déterminées en ce sens, comme celles qui consisteraient à soumettre les bénéfices commerciaux aux cotisations sociales ou à conditionner véritablement le bénéfice des aides publiques à des objectifs en termes d’investissement productif et de création d’emplois.
En 1777, Condorcet écrivait : « Si l’on me demandait quelle est la première règle de la politique ? C’est d’être juste. Quelle est la seconde ? C’est d’être juste. Et la troisième ? C’est encore d’être juste. »
En cette période de crise, messieurs les secrétaires d'État, mes chers collègues, le Gouvernement de la République devrait faire de cette maxime un impératif catégorique. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Ladislas Poniatowski. Nous faire traiter de doctrinaires par M. Assouline, cela ne manque pas de sel ! (M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement s’esclaffe.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services.
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à saluer les diverses interventions qui ont eu lieu tout au long de cette matinée. Quelle que soit la sensibilité politique de leurs auteurs, elles ont toutes été intéressantes, et le Gouvernement partage un certain nombre des réflexions formulées. Pour autant, bien sûr – ce n’est pas un scoop ! –, il ne souscrit pas aux conclusions qu’en tire M. Rebsamen.
M. Jean-Jacques Mirassou. Forcément…
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État. Je voudrais commencer par évoquer ce qui peut nous rassembler, avant d’aborder ce qui nous divise.
Premier constat : personne, à quelques rares exceptions près, ne fait porter à ce gouvernement la responsabilité de la crise financière actuelle. C’est déjà très bon signe si chacun considère que cette dernière, qui a frappé l’ensemble du monde et qui se traduit par un ralentissement économique sans précédent, s’impose à nous et nous contraint à prendre un certain nombre de mesures. Du reste, beaucoup de gouvernements, d’orientations politiques diverses, en ont adopté de semblables.
Second constat partagé : mieux vaut que les entreprises, les grandes comme les petites, fassent des bénéfices.
M. David Assouline. Oui !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État. J’apprécie donc particulièrement cette prise en compte de la réalité tant par M. Rebsamen que par MM. Patriat et Assouline.
En effet, lorsque les entreprises françaises, comme d’autres, sont frappées par la crise et qu’elles enregistrent des pertes, lorsque leur situation les conduit à des restructurations ou, pis encore, à la cessation d’activité, ce sont d’abord nos territoires, puis l’ensemble du pays qui sont affectés. Cela démontre, a contrario, à quel point nous avons besoin d’entreprises florissantes et puissantes.
Je veux dire ici combien nous devons tirer une légitime fierté des activités de nos entreprises, en particulier celles du secteur énergétique : EDF, GDF Suez, Total, mais aussi Areva et Alstom, en remportant des contrats importants à l’exportation et en affichant leurs ambitions en termes d’internationalisation, sont ainsi en mesure de soutenir favorablement la comparaison avec les grandes entreprises étrangères. Il est pour le moins réjouissant de constater la relative bonne santé de ces entreprises françaises.
Cela étant, mesdames, messieurs les sénateurs de gauche, nombre d’éléments nous opposent.
Premier motif de division, le fait que vous pointiez du doigt les bénéfices spectaculaires réalisés en 2008. C’est une réalité que nul ne peut nier. Cependant, vous avez omis de donner les chiffres d’évolution du résultat des grandes compagnies pétrolières pour le premier trimestre 2009, parus mardi dernier, qui devraient tous nous interpeller : Total affiche ainsi un bénéfice en baisse de 44 % par rapport au premier trimestre 2008.
M. Jean-Jacques Mirassou. Au vu de l’importance du bénéfice obtenu l’an dernier, cela doit tout de même représenter un montant non négligeable !
M. David Assouline. Pourquoi alors distribuer autant de dividendes ?
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État. Une diminution de près de 50 % n’a tout de même pas de quoi porter à l’optimisme ! Il faut prendre en compte l’ensemble des chiffres, et non pas retenir uniquement ceux qui vous arrangent !
Dès lors, est-il bien judicieux d’envisager de taxer – fût-ce à titre exceptionnel, comme on nous le dit – les profits réalisés, au moment où l’entreprise emblématique qu’est Total, citée à de nombreuses reprises ce matin, a vu son bénéfice diminuer de près de moitié sur les trois premiers mois de l’année ?
Le deuxième motif de division entre nous tient à l’analyse que vous faites de la genèse de ces profits, lesquels, selon vous, sont largement liés aux prix supportés par les consommateurs.
Comme l’ont relevé MM. Poniatowski et Houpert, les prix de l’électricité sont, en France, inférieurs de 20 % à ce qu’ils sont dans les autres pays européens,…
M. Ladislas Poniatowski. C’est exact !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État. …et ceux du gaz, de 10 %. Cela montre bien que la politique de prix menée dans ce secteur ne pèse pas plus sur les consommateurs français que sur les autres.
En outre, je tiens à rappeler que la hausse des tarifs de l’électricité en 2008 a été, pour les particuliers, inférieure à l’inflation : 2 % contre 3,6 %.
Quant aux évolutions du prix du gaz naturel distribué par GDF Suez, celles-ci sont dues, vous le savez bien, à l’application d’une formule tarifaire qui a été validée par la Commission de régulation de l’énergie, laquelle la présente d’ailleurs sur son site en toute transparence. Par les hausses qu’il a décidées en 2008, le Gouvernement n’a fait que répercuter strictement l’augmentation des coûts d’approvisionnement en gaz supportée par l’entreprise.
Monsieur Rebsamen, à vous entendre, le Gouvernement aurait négligé d’appliquer cette formule, alors que cela aurait pu permettre de faire baisser le prix du gaz durant l’hiver dernier. Toutefois, si nous avons choisi de geler les tarifs au cours de cette période, c’est justement parce que, s’agissant d’une formule « à déclenchement lent », nous aurions été contraints, en l’appliquant, d’augmenter les tarifs pour l’hiver. Nous avons donc préféré un gel des prix, en répercutant, dès que cela a été possible, la baisse du prix du pétrole. Les tarifs du gaz ont ainsi baissé de 11,3 % au 1er avril 2009.
Contrairement à ce que vous dites, ce n’est pas parce que notre stratégie a échoué que nous organisons régulièrement, à Bercy, des réunions avec les compagnies pétrolières. Ces rencontres hebdomadaires n’ont d’autre but que de faire le point, et force est de constater que les engagements qu’elles ont pris, c’est-à-dire lisser les hausses et répercuter immédiatement les baisses, ont été respectés.
Troisième motif de désaccord entre nous, vous semblez oublier que les bénéfices de GDF Suez et de Total proviennent, pour l’essentiel, de leurs activités hors de France. Il s’agit pourtant d’un point très important : la vente de gaz aux particuliers français représente moins de 20 % du chiffre d’affaires de GDF Suez ; pour Total, le marché français ne contribue que pour moins de 5 % à son résultat net.
Sans vouloir offenser quiconque, j’estime tout de même qu’il est un peu « léger » de prétendre que de tels bénéfices tirent leur origine de l’activité de ces sociétés en France, alors qu’ils sont réalisés au niveau mondial.
Par ailleurs, vous soutenez que ce sont les plus faibles et les plus fragiles qui supportent le plus difficilement la situation économique.
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est incontestable !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État. Mais c’est l’évidence même ! Malgré tout, le Gouvernement a su réagir, et je tiens à le souligner, car cela n’a été évoqué qu’à de rares reprises, et encore de manière peu explicite.
Nous avons élargi les critères d’éligibilité au tarif social de l’électricité. Depuis le mois d’août dernier, le nombre de foyers éligibles a quasiment doublé, passant de 1,1 million à 2 millions, ce qui n’est tout de même pas négligeable. À cette même date, nous avons créé le tarif social du gaz en faveur de ces mêmes foyers. Il s’agit d’une réduction forfaitaire, pouvant atteindre 120 euros, qui est financée par un prélèvement sur le fournisseur de gaz.
En ce qui concerne la prime à la cuve, que nous avons créée, je voudrais rappeler les chiffres exacts : celle-ci est passée de 150 euros pour l’hiver 2007-2008 à 200 euros pour l’hiver 2008-2009, et ce sont près de 830 000 foyers qui en bénéficient.
J’en viens maintenant à la situation de Total, entreprise dont, je le rappelle, nous pouvons être fiers, et à ses investissements en France.
Au prix de raccourcis faciles, certains ont un peu rapidement évoqué des licenciements. Je ne peux pas laisser proférer de tels propos. Certes, 555 postes ont bien été supprimés, mais sans aucun licenciement. En parallèle, le groupe pétrolier investit un milliard d’euros en vue d’adapter son outil industriel au marché. D’un côté, il réduit la production d’essence ; de l’autre, il augmente celle du gazole.
En outre, Total a fait le choix, ô combien important, d’investir également dans l’industrie de l’énergie solaire photovoltaïque, dont M. Houpert a souligné tout l’intérêt.
Par ailleurs, plus de 10 % des investissements du groupe sont effectués en France, alors que, je le répète, celui-ci y réalise moins de 5 % de son résultat. Telle est la réalité !
Vous avez quelque peu ironisé sur l’engagement de Total au côté de Martin Hirsch, mais cet engagement représente tout de même une enveloppe spécifique de 50 millions d’euros sur cinq ans pour soutenir l’emploi des jeunes et il ne mérite pas qu’on l’accueille avec une telle désinvolture. Je rappelle que cette mesure prise par Total n’était ni obligatoire ni même stipulée.
M. David Assouline. C’est la mesure qui est désinvolte !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État. Certains ont dénoncé la faible contribution des grandes entreprises du secteur de l’énergie au plan de relance. Or EDF a investi 2,5 milliards d’euros et GDF Suez 200 millions d’euros. Quant au groupe Total, il contribue au plan de relance par ses investissements en France à hauteur de 1,5 milliard d’euros en 2009.
Je tiens également à citer une action quelque peu méconnue que mène, de façon exemplaire, le groupe Total : l’accompagnement des PME à l’exportation. Je peux vous dire, pour en avoir rencontré un certain nombre des dirigeants de PME concernés, qu’ils sont loin de juger négligeable l’action de Total, car elle a contribué à leur croissance à l’international.
J’en viens à la question de la taxation des profits des entreprises, que M. Rebsamen, qui croit en la bonté de la nature humaine, qualifie de « contribution exceptionnelle ».
M. David Assouline. Oui, exceptionnelle !
M. François Rebsamen. Et donc temporaire !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État. Dois-je vous rappeler, monsieur le sénateur, que la vignette automobile avait également été créée à titre temporaire en 1951 et qu’elle n’a été supprimée qu’en 2001 ? Il y a des mesures temporaires qui durent !
M. David Assouline. Il suffisait d’attendre que les socialistes arrivent au pouvoir ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État. Moi, je ne partage pas la fièvre fiscale qui vous atteint. Méfiez-vous : la fièvre fiscale, tout comme d’autres fièvres, peut être très dangereuse !
M. David Assouline. Dites-le à Barack Obama !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État. Vous n’ignorez probablement pas que les bénéfices des grandes entreprises du secteur de l’énergie, en France, sont soumis à l’impôt dans les mêmes conditions que ceux des autres entreprises. Ils sont ainsi taxés au titre de l’impôt sur les sociétés au taux de 33,33 %, à quoi s’ajoute une contribution sociale de 3,3 %, ce qui fait un taux effectif d’imposition de 34,43 %. Et laissez-moi vous dire que ce taux d’imposition ne place pas la France en position favorable par rapport à nos partenaires européens ! On sait les problèmes que peut entraîner une taxation trop importante…
Je vous rappelle que les résultats annoncés par les grandes entreprises françaises du secteur de l’énergie concernent leurs bénéfices comptables mondiaux consolidés, et non les bénéfices imposables en France, c'est-à-dire ceux qui sont réalisés uniquement sur notre territoire. En cas d’option pour le régime consolidé, il faut déduire des bénéfices mondiaux les impôts déjà réglés par les entreprises dans les pays étrangers. Ainsi, la majeure partie des bénéfices dégagés par les deux sociétés que vous avez évoquées, Total et GDF, ne sont pas susceptibles d’être imposés en France, car ils ont été réalisés principalement à l’étranger.
De surcroît, les opérations d’exploration-production sont déjà lourdement taxées dans les pays producteurs de pétrole et de gaz. La Russie, par exemple, taxe ces opérations à un taux supérieur à 50 %. Voilà la réalité !
M. Jean-Jacques Mirassou. On ne va pas pleurer sur Total, monsieur le secrétaire d’État !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État. Je précise enfin qu’en tant qu’actionnaire de GDF Suez à hauteur de 35 % l’État perçoit déjà sous forme de dividendes une partie des bénéfices de ce groupe, y compris de ceux réalisés à l’étranger. Ainsi, en 2008, les dividendes versés par GDF Suez à l’État se sont élevés à 1,7 milliard d’euros.
Au cours de ce débat, certains sénateurs de gauche ont évoqué l’« envol des inégalités ». J’ai eu la curiosité d’examiner de près l’étude de l’INSEE à laquelle les uns et les autres ont fait allusion : ni l’étude de l’INSEE ni le rapport Cotis ne font mention d’un tel « envol » !
M. David Assouline. Je n’ai fait que citer le rapport !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État. Je cite, au mot près, les conclusions de l’étude de l’INSEE, qui, je le rappelle, portait sur l’année 2007 : « Le rapport entre les 10 % de salariés les mieux payés et les 10 % les moins bien rémunérés est resté stable en 2007, comme les quatre dernières années ». Cela signifie que, si nous mettons entre parenthèses la crise actuelle, ce rapport est resté inchangé.
M. David Assouline. Ce n’est pas vrai sur les vingt dernières années !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État. Les résultats de l’étude, qui sont publiés aujourd’hui, vont dans le sens des conclusions du rapport Cotis sur les écarts de rémunération : entre 1996 et 2006, les rémunérations des salariés les mieux payés ont certes crû un peu plus vite, mais, au total, l’écart ne s’est creusé que de 2,5 % : c’est donc un envol bien modeste dont bénéficient les 0,1 % de salariés les mieux rémunérés !
Je tiens à conclure mon propos en remerciant plus particulièrement M. Ladislas Poniatowski de sa brillante intervention, à rebours de la frénésie fiscale qui paraît s’être emparée de certains. Il a en effet démontré de façon lumineuse le caractère inopportun de cette taxation des entreprises du secteur de l’énergie.
M. Ladislas Poniatowski. N’en faites pas trop, monsieur le secrétaire d’État ! (Sourires.)
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État. Nous sommes déjà en tête des pays de l’OCDE pour le niveau des prélèvements obligatoires. Cela, vous ne l’avez pas dit, mesdames, messieurs les sénateurs de gauche ! Dans ces conditions, puiser encore une fois, même à titre temporaire – et on sait quel crédit accorder à ce caractère temporaire ! –, dans les poches de nos concitoyens, fût-ce celles de nos entreprises, n’est assurément pas la bonne solution pour sortir de la crise dans laquelle nous nous trouvons.
M. Ladislas Poniatowski. Bien sûr !
M. David Assouline. Voilà un bel exemple de libéralisme pur !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État. Il faut retenir d’autres options et augmenter l’attractivité de notre territoire afin de favoriser nos PME et l’ensemble de notre activité économique.
M. David Assouline. C’est de la doctrine, du sectarisme !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Il ne faut en effet jamais oublier que c’est l’activité économique qui crée l’emploi et la richesse. Si on la décourage, elle se venge en faisant fuir l’un et l’autre ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. David Assouline. On connaît! Johnny Hallyday!
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État. Vous en avez apporté la démonstration lorsque vous étiez aux affaires !
Le Gouvernement maintient donc sa position et juge tout à fait inopportune l’augmentation de la contribution fiscale de ces entreprises. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. David Assouline. Vous êtes un doctrinaire libéral !
M. le président. La parole est à M. François Rebsamen, auteur de la question.
M. François Rebsamen. Je tiens à remercier mes collègues de leur participation à ce débat, et aux sénateurs de gauche, notamment ceux de mon groupe, de leur soutien à ma démarche.
Monsieur le secrétaire d’État, vous aviez bien commencé votre intervention en rappelant un constat partagé. Mais votre ultralibéralisme a ensuite repris le dessus,...
M. Daniel Raoul. Cela lui rappelle sa jeunesse !
M. François Rebsamen. ... de même qu’une certaine agressivité, à la fin de votre intervention. Cela prouve que nous avons marqué un point, et nous le marquerons encore devant l’opinion, car ces sujets ne peuvent pas être écartés d’un revers de main, en laissant entendre, comme vous l’avez fait, que nous ne nous connaissons pas la vie des entreprises.
En tant qu’élus locaux, nous rencontrons tous les jours des chefs d’entreprise, nous assurons des médiations entre les organisations syndicales et les patrons qui sont obligés de licencier. Tous les jours, nos collectivités apportent soutien et écoute aux PME.
M. Houpert a confondu les entreprises du CAC 40, qui réalisent 14 milliards d’euros de bénéfices, et les PME de Côte d’Or ! Je tiens à le rassurer : aucune des entreprises de notre département ne serait touchée par la contribution que j’ai proposée. Puis, en qualifiant de taxe ce qui est en fait une contribution, il a créé une confusion plus grande encore.
Il faut tout de même rappeler que cette contribution exceptionnelle dont nous souhaitons la mise en place est appliquée dans d’autres pays, notamment des pays de l’Union européenne.
M. David Assouline. Et par Obama !
M. François Rebsamen. Vous le savez bien, monsieur le secrétaire d’État, mais vous vous êtes gardé de le dire !
Au Portugal, par exemple, elle est appliquée durant une année, à titre exceptionnel, à des entreprises du secteur de l’énergie qui ont réalisé des superprofits.
Vous avez indiqué à juste titre que Total avait annoncé une baisse de ses bénéfices au cours du premier trimestre. Cependant, vous n’avez pas dit que ces mêmes bénéfices s’élevaient quand même à 2,11 milliards d’euros : tant mieux pour Total, mais ce n’est pas un chiffre négligeable !
Les orateurs de droite ont comparé à tort EDF et Total. Quant à vous, monsieur le secrétaire d’État, c’est pratiquement avec des larmes dans les yeux que vous avez défendu Total ! Que M. Poniatowski, qui préside le groupe d’études sur l’énergie du Sénat, défende le secteur de l’énergie, cela peut se comprendre ! Mais que vous tentiez, monsieur Novelli, avec des trémolos dans la voix, d’effrayer et de faire pleurer le peuple sur le sort de Total, en prétendant que nous souhaiterions mettre ce groupe à mal, c’est un peu fort ! On nous a même accusés de provoquer l’augmentation du prix de l’essence !
M. François Rebsamen. Restons dans le cadre de notre proposition : des mesures temporaires, qui existent déjà dans d’autres pays, et adaptées à la situation exceptionnelle de crise que nous connaissons.
Vous dites que nous sommes frappés de fièvre fiscale. Mais vous aussi, vous êtes frappé d’une fièvre, celle des déficits !
M. François Rebsamen. Il faudra bien finir par dégager des solutions pour gérer les déficits, soit par le biais de l’inflation, soit par l’augmentation des impôts.
M. François Rebsamen. C’est bien ainsi que cela se terminera ! Vous serez bien obligés de trouver des recettes pour combler les trous qui continuent de se creuser !
Notre proposition de contribution exceptionnelle n’est qu’un juste retour des choses : il s’agit de faire participer des entreprises qui sont largement bénéficiaires à l’effort d’investissement et d’innovation, comme l’a fait EDF qui a versé 2,5 milliards d’euros pour faire face à la crise, ce que vous avez omis de dire.
M. François Rebsamen. Et Total serait exempté de toute participation au motif qu’il s’agit d’une entreprise privée ? Certes, je vous l’accorde, pas de toute participation : il va mettre sur la table 50 millions d’euros sur cinq ans. Quel effort ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Vous nous avez aussi répondu que les bénéfices de Total étaient réalisés pour l’essentiel hors de France et qu’en prenant une telle mesure nous risquerions de le faire fuir.
Mais ne vous y trompez pas, monsieur le secrétaire d’État : nous nous intéressons à la vie de cette entreprise, entre autres, et nous la connaissons bien. Nous savons ce qui lie Total à la France : ainsi, on tente actuellement d’associer ce groupe au secteur du nucléaire pour le convaincre de rester « arrimé » à notre pays.
Nous savons, comme vous, que ce groupe réalise 20 % de ses bénéfices sur le territoire français. Alors, faites le calcul : 20 % de 14 milliards d’euros, cela représente à peu près 800 millions d’euros. Total aurait mieux fait de verser cette contribution pour faire face à la crise plutôt que d’annoncer ces 550 suppressions d’emplois que vous justifiez !
Permettez-moi de vous dire, monsieur le secrétaire d’État, sur le ton que vous avez employé vous-même – courtois au début de votre intervention, quelque peu enflammé à la fin –, ...
M. François Rebsamen. ... que votre défense quasi idéologique de Total est complètement déplacée en cette période de crise. Un jour, vous serez obligé de vous rallier à notre proposition ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. David Assouline. Bravo ! Excellente réponse ! Et dépourvue de sectarisme !
M. le président. En application de l’article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.
6
Points du permis de conduire
Discussion d'une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, présentée par MM. Nicolas About (UC) et Pierre Jarlier (UMP), tendant à assurer une plus grande équité dans notre politique de sécurité routière, notamment en matière de retrait des points du permis de conduire (proposition n° 378 rect. bis, 2007-2008 ; rapport n° 331).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Nicolas About, auteur de la proposition de loi.
M. Nicolas About. Monsieur le président, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord remercier M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, qui va représenter la ministre de la justice ou la ministre de l’intérieur.
Adversaire clairement affiché des excès de vitesse, je suis aussi un partisan des peines qui ont du sens, appliquées avec tact et mesure, ce tact et cette mesure que l’on exige tant des médecins. Je demande aussi du sérieux, du professionnalisme dans les contrôles et de la cohérence dans les mesures prises, comme dans les actions engagées.
Depuis le début des années soixante-dix, les efforts conjugués de l’État, du législateur, des collectivités publiques et des associations n’ont pas manqué, sur le plan tant des actions de sensibilisation entreprises, des travaux d’aménagement et des mesures réglementaires adoptées que des textes de loi votés.
L’efficacité de ces politiques publiques tient au fait que, dès l’origine, elles se sont appuyées sur des études en accidentologie réalisées par des organismes indépendants, avec le sérieux de l’objectivité scientifique.
Si l’on en croit les données récentes de l’accidentologie, même si celles-ci témoignent d’une nette amélioration dans les comportements des conducteurs, les causes des accidents sont, hélas ! toujours les mêmes : en tête, l’alcool, qui est devenu le premier facteur d’accident ; ensuite, la vitesse, laquelle est un facteur aggravant.
Un bon point, en revanche, pour nos concitoyens, en ce qui concerne leurs comportements et le respect des règles de sécurité, puisqu’on note une très nette amélioration dans le port de la ceinture, celui-ci étant respecté à plus de 97 %.
Cependant, au cours des vingt dernières années, l’accent a été mis prioritairement sur les comportements humains – vitesse, alcool, non-port des équipements de sécurité, prise excessive de risques…
On a eu tendance à accorder moins d’importance à d’autres facteurs, qui jouent pourtant, d’après les études, un rôle important dans les accidents.
Deux paramètres semblent avoir été tout particulièrement négligés : la localisation et les circonstances de l’accident – mais il y a une logique à cela !
Les statistiques démontrent, en effet, que 62 % des accidents mortels ont lieu, en réalité, sur les routes départementales, contre 6 % sur les autoroutes et 12 % sur les routes nationales.
Alors qu’il se caractérise par une forte densité de trafic, le milieu urbain enregistre, quant à lui, une baisse sensible de la gravité des accidents.
C’est donc en rase campagne que le risque d’accident est, paradoxalement, le plus élevé, sans doute favorisé par une fluidité de trafic qui autorise des vitesses élevées. L’un des grands facteurs de décès sur ces routes, ce sont les obstacles fixes : 1 248 tués en 2007, dont 552 sur des arbres et des poteaux.
Par ailleurs, le fait de rouler de nuit constitue un facteur aggravant. Alors que la période nocturne représente moins de 10 % du trafic, j’insiste sur ce chiffre, elle engendre 34 % des blessés et près de 45 % des tués. Cet élément ne semble pourtant pas susciter un grand intérêt.
On pourrait donc déduire de l’ensemble de ces chiffres trois grandes priorités d’action : l’alcool, la vitesse et le ciblage de la prévention et de la répression, en fonction des critères de temps et de lieu.
Dès lors, face à une telle clarté des données de l’accidentologie, on peut s’interroger sur les raisons profondes qui ont motivé récemment les pouvoirs publics à modifier les leviers traditionnels, ceux qui ont permis, pendant les trente dernières années, de faire reculer avec le plus d’efficacité la mortalité sur nos routes.
En imposant des radars automatiques, principalement sur les grands axes où le taux d’accidents n’est pas significatif, pour sanctionner le dépassement de vitesse même le plus insignifiant, l’État n’abandonne-t-il pas les priorités qu’il s’était lui-même fixées ?
La répression routière contre les usagers se substitue à la prévention routière et devient de plus en plus féroce. Quel est l’objectif ?
La multiplication récente des radars automatiques manifeste une véritable « industrialisation des sanctions », qui n’épargne pas le conducteur de bonne volonté. Pourquoi une telle dérive par rapport aux priorités initiales ?
Je rappelle qu’en 2008 nous atteignions sans gloire le chiffre de 9 millions de points retirés sur les permis de conduire des Français. Parmi les 4,5 millions d’infractions sanctionnées par des retraits de points en 2006, on note une forte augmentation de la part des excès de vitesse, ce qui pourrait constituer un bilan satisfaisant au regard de nos priorités. Toutefois, le souci d’objectivité commande de regarder la répartition de ces retraits de points. Si l’on en croit les statistiques du ministère de l’intérieur, plus de 80 % des retraits concernent en réalité des infractions n’entraînant qu’un point de retrait, soit un excès de vitesse inférieur à 10 kilomètres par heure, voire, parfois, à 20 kilomètres par heure !
Ce ne sont donc pas les grands excès de vitesse qui font l’objet de la plus forte répression. D’ailleurs, depuis quatre ans, les dépassements supérieurs à 30 et 40 kilomètres par heure n’ont pas baissé d’un iota, ce qui retire leur caractère dissuasif aux radars automatiques pour les vrais grands délinquants de la route.
La sécurité routière note même, dans son rapport, une hausse de ces infractions pour le deuxième quadrimestre de 2008.
En revanche, le conducteur-citoyen, le conducteur de bonne volonté se voit sanctionné au moindre écart de vitesse, fût-il de 1 kilomètre par heure. Cette répression systématique, qui frappe à l’aveugle ce conducteur, le place dans une situation dangereuse sur la route. Elle le contraint, pour éviter le moindre écart, à rouler les yeux le plus souvent rivés sur le compteur, pourtant trop imprécis pour lui indiquer la vitesse exacte.
Pire, beaucoup de nos concitoyens ont vu leur permis de conduire invalidé après plusieurs retraits d’un seul point, isolés ou associés à d’autres retraits de points : le conducteur qui n’a pas ajusté sa ceinture alors qu’il est en train de quitter son garage ou qu’il tente de se dégager de son lieu de stationnement dans des conditions difficiles est immédiatement sanctionné de trois points de suppression ; le conducteur qui a empiété de quelques centimètres sur la ligne continue pour dépasser un cycliste perd deux points. La sanction est identique pour l’utilisation du téléphone. Le motard que je suis est pleinement conscient du danger de l’utilisation du téléphone portable au volant. Mais – et lorsque j’étais maire, j’ai dû intervenir – un automobiliste qui décroche son portable à un feu rouge pour répondre très brièvement qu’il rappellera plus tard perd deux points. Tout cela est-il véritablement normal ?
Or, l’invalidation du permis, pour une période qui, dans la pratique, est supérieure à un an, constitue bien souvent pour les particuliers une sanction très lourde, car elle menace directement leur emploi.
Dans un arrêt de 1998, la Cour européenne des droits de l’homme avait même rappelé à la France que le retrait des points du permis, par la gravité de la sanction à laquelle il peut conduire, c’est-à-dire l’invalidation, constituait bien, par son caractère « punitif et dissuasif », une mesure d’ordre pénal, et non une simple mesure de police administrative.
Auteur en son temps d’une proposition de loi sur le sujet, M. Karoutchi le sait, la Cour a rappelé que le permis de conduire représente en effet, pour nombre de nos concitoyens, un moyen indispensable d’insertion sociale, un gage d’autonomie, une condition sine qua non du maintien ou de la recherche d’un emploi.
Rappelons que la loi du 1er août 2008 relative aux droits et devoirs des demandeurs d’emploi, que nous avons votée, mes chers collègues, prévoit, dans son article 1er, parmi les critères définissant une offre raisonnable d’emploi, une distance maximale de 30 kilomètres entre l’emploi proposé et le domicile !
Cet éloignement signifie donc, pour beaucoup de nos concitoyens, la nécessité de disposer d’un permis de conduire valide, document jugé, par ailleurs, indispensable par de nombreux employeurs.
Or, le site du ministère de l’intérieur affiche avec triomphalisme le nombre de permis de conduire invalidés : en 2006, 68 800 ; en 2007, 88 698. Les derniers chiffres sont tombés : pour 2008, 98 057 permis invalidés... record battu ! Cela représente une progression de plus de 560 % depuis 2002 ! Quel grand succès ! C’est bien le seul domaine dans lequel on enregistre de telles augmentations !
Qui peut décemment se réjouir de tels chiffres à l’heure où la crise économique touche si durement notre pays et où la perte d’emploi constitue un drame pour les familles ?
Les entraves répétées à la circulation automobile pour le citoyen ordinaire entraînent paradoxalement trois conséquences graves, précisément en termes de sécurité routière.
D’abord, elles poussent les gens à choisir par substitution, en l’absence de permis, les véhicules à deux roues, motorisés ou non, qui constituent le mode de déplacement le plus dangereux. Ce mode de transport, qui ne représente que 1 % du trafic, compte pourtant 18 % des victimes tuées, sans parler des personnes qui resteront lourdement handicapées toute leur vie. Où est le gain en matière de sécurité routière et pour la collectivité publique ?
Ensuite, certains conducteurs, respectueux de la sanction qui les frappe, roulent en voiture ne nécessitant pas de permis. Curieux paradoxe de ne plus posséder de permis de conduire et d’être autorisé à conduire un véhicule en ville et en rase campagne, les lieux les plus dangereux, et de ne plus être autorisé à conduire sur autoroute, lieu unanimement reconnu comme le plus sûr de l’ensemble du réseau français !
Curieux scandale que d’envoyer une partie du trafic autoroutier sur le reste du réseau de rase campagne quand le bilan de la sécurité routière nous confirme que le fait d’accroître le trafic « rase campagne » de 1 % équivaut à augmenter de 1 % le nombre de tués... Belle logique, une nouvelle fois !
Enfin, plus grave encore, pour conserver coûte que coûte leur emploi, certains conducteurs préfèrent prendre le risque de rouler sans permis, et donc sans assurance. Ainsi, 33 000 conducteurs ont été contrôlés sans permis en 2005 ! Ces chiffres ne concernant que les contrôles, on peut supposer qu’ils sont bien plus nombreux ! Si le contrevenant risque des sanctions pénales lourdes, il prend un risque non seulement pour la collectivité, mais aussi pour lui-même.
En effet, en cas de défaut de permis, et donc d’assurance, c’est le Fonds de garantie automobile qui prendra le relais pour indemniser les éventuelles victimes. Mais il ne prendra pas cet automobiliste en charge et se retournera finalement contre lui.
On le voit, l’excès de répression sur un conducteur ordinaire, un conducteur-citoyen, peut précisément conduire celui-ci à devenir, au mieux un danger public, au pire un véritable délinquant de la route. Où est le bénéfice en termes de sécurité routière ?
Personnellement, je vois dans cette « automatisation de la sanction » à l’égard des automobilistes ordinaires une véritable dérive de notre politique de sécurité routière.
En abandonnant leur lutte contre la grande délinquance routière, contre les prises excessives de risques des chauffards, mais aussi en renonçant aux grandes priorités qu’ils constatent eux-mêmes, dans leurs propres statistiques – je ne fais que citer le bilan 2007 de l’Observatoire national interministériel de sécurité routière : aggravation du nombre de tués chez les motocyclistes, stagnation des grands excès de vitesse, absence de progrès en matière d’alcool, détérioration du bilan pour les conducteurs âgés de 18 à 24 ans –, les pouvoirs publics ne se sont-ils pas affranchis, de cette façon simple et rentable, de leurs responsabilités à l’égard des priorités qu’ils s’étaient eux-mêmes fixées ?
La présente proposition de loi vise à revenir à un système de prévention et de répression routière qui ait du sens. La véritable justice du système consiste, en effet, à mettre en adéquation la gravité des sanctions et la gravité des infractions au regard du risque qu’elles créent. On ne peut pas faire respecter par nos concitoyens des règles qui n’ont pas de sens !
Un fossé est actuellement en train de se creuser entre les forces de police et la population,…
M. Dominique Leclerc. Eh oui !
M. Nicolas About. … et, plus grave, entre les pouvoirs publics et les citoyens, ce qui n’est pas bon pour la République !
C’est pourquoi, dans un souci de plus grande équité, le texte présenté comporte, d’une part, des dispositions visant à limiter la répression à l’égard des comportements des automobilistes qui ne génèrent aucun risque pour la collectivité – en lui préférant prioritairement la prévention – et, d’autre part, des dispositions visant à renforcer les sanctions à l’encontre des infractions commises sur la route véritablement dangereuses, parce que susceptibles de créer des victimes.
Je commencerai par les dispositions visant à limiter le caractère répressif du code de la route. La proposition de loi comporte une réforme du système de retrait de points, en particulier pour les petits excès de vitesse. Précisons tout de suite qu’il ne s’agit nullement de remettre en cause le bien-fondé du permis à points.
Toutefois, la réglementation prévoit qu’en cas de dépassement de la vitesse maximale autorisée de moins de 20 kilomètres par heure l’infraction entraîne automatiquement, outre l’amende – qui est déjà une peine –, la réduction d’un point sur le permis de conduire. Cette règle vaut que vous dépassiez de 20 kilomètres la vitesse autorisée ou que vous soyez dans l’épaisseur du trait, roulant alternativement 2 kilomètres en dessous et 2 kilomètres au-dessus de la limite supérieure autorisée, faute de précision du compteur. Vous êtes donc sanctionné de la même façon dans tous les cas !
Cette dernière disposition, je le répète, est particulièrement injuste, à moins que l’on ne nous démontre que les auteurs de ces petits dépassements sont vraiment des délinquants et des dangers publics. C’est pourquoi la présente proposition de loi vise à supprimer ce retrait de point lorsque l’excès de vitesse dépasse de moins de 5 kilomètres par heure la vitesse maximale autorisée. En revanche, la contravention sous forme d’amende serait toujours applicable, bien entendu.
Le dispositif proposé prévoit également la restitution immédiate des points de permis qui ont été retirés sous le chef de cette infraction. Vous le pensez bien, j’ai déposé un amendement de suppression de cette disposition que j’avais souhaité introduire. En effet, trop heureux seraient ceux qui s’appuieraient sur la présence d’une telle disposition pour rejeter l’ensemble de l’article 1er !
Par ailleurs, on peut s’interroger sur le bien-fondé d’une aggravation des sanctions relatives à l’obligation du port de la ceinture de sécurité. Il ne s’agit pas de contester ici le caractère globalement et hautement nécessaire de cette mesure de sécurité – je suis médecin ! –, il s’agit d’être le plus juste et le plus objectif possible en matière de sanctions.
Trois considérations doivent être retenues.
Premièrement, si le bouclage de la ceinture réduit statistiquement le nombre total des morts par accident, son efficacité est loin d’être la même selon les risques encourus : celle-ci dépend en grande partie de la vitesse. Comme l’ont démontré toutes les études, les forces mises en jeu, en cas de choc, varient en fonction de la vitesse au moment de l’accident. Si ces ceintures protègent bien pour un choc frontal à une vitesse de 70 kilomètres par heure et un choc latéral à 50 kilomètres par heure, tel n’est plus le cas à des vitesses plus élevées.
Deuxièmement, pour le conducteur, le fait de ne pas attacher sa ceinture ne fait courir aucun risque à autrui. Le sort de l’automobiliste est seul en cause. L’État peut-il dès lors interdire à l’automobiliste la liberté de choisir ce qu’il veut éviter ? Certains automobilistes ne cachent pas qu’ils appréhendent plus, en cas de choc à très grande vitesse, de se trouver conscients et bloqués par leur ceinture coincée que d’être assommés – un parlementaire élu d’une région où les routes sont particulièrement dangereuses me le confirmait récemment. Notons que, dans certains cas limites, le port de la ceinture de sécurité peut aggraver le sort des intéressés, jusqu’à constituer une cause spéciale de mort.
Troisièmement, la « neutralité » pénale du défaut de port de la ceinture est incontestable. Elle repose sur l’absence, essentielle et évidente, de droit éminent de la collectivité sur la personne physique des citoyens dès lors que l’intérêt d’autrui n’est pas en cause. C’est d’ailleurs ce raisonnement qui a abouti à ce que la législation française ne sanctionne plus pénalement le suicide, ni sa tentative suivie d’un début d’exécution, malgré les dépenses sociales et sanitaires que cet acte peut engendrer.
Toutefois, il me paraît normal, en cas d’infraction, que le contrevenant encoure une sanction financière.
Il nous faut donc supprimer la sanction « pénale », au sens de la Cour européenne des droits de l’homme, que constitue le retrait de trois points du permis, en cas de défaut de port de la ceinture de sécurité.
Je vous livre une réflexion sur ce sujet. Les Français passent en moyenne un peu moins de cinquante minutes par jour au volant de leur voiture. Si le port de la ceinture est si important pour eux en ville, comme le rappelle Mme Troendle dans son excellent rapport, pourquoi le pouvoir réglementaire en dispense-t-il tous ceux qui passent plusieurs heures par jour au volant : les chauffeurs de taxi, les postiers, les livreurs, les ambulanciers ? Sans parler des pompiers, des policiers et des gendarmes, dont on peut comprendre l’obligation d’intervention rapide. Le pouvoir réglementaire estime-t-il que ces métiers protègent des chocs ces conducteurs permanents ? Ou bien mettre sa ceinture constitue-t-il une corvée si longue, pénible et insurmontable pour toutes ces professions ?
Le pouvoir réglementaire est-il une garantie de sérieux quand, par exemple, il punit d’une amende élevée, 135 euros, le défaut de port de la ceinture dans les taxis, à l’exception du conducteur, des enfants – parce que l’on ne veut pas obliger les taxis à installer des sièges adaptés – et des bébés ? Le pouvoir réglementaire admet que, pour ces trois catégories d’usagers, le risque d’être gravement blessé n’a aucune importance. Surprenant ? Pas du tout ! Incohérent ? Certainement !
Voilà pourquoi je vous propose de mettre fin à l’abus que constitue cette sanction : à elle seule, elle supprime la moitié des points d’un nouveau conducteur et le prive de la possibilité d’obtenir les six autres points pendant une période de trois nouvelles années. Mme Troendle a évoqué dans son rapport, et je l’en remercie, la nécessité de revenir sur cette mesure, même si elle n’a pas osé aller jusqu’à déposer un amendement, au risque de s’attirer les foudres du ciel. (Sourires.)
Dans un second volet, le dispositif est complété, je le disais tout à l’heure, par un renforcement des sanctions à l’encontre des automobilistes présentant un comportement véritablement dangereux. Ainsi, le fait de conduire sans permis ou sans assurance est déjà puni et il convient de renforcer les peines prévues.
Enfin, comme je le signalais dans mon propos introductif, certains facteurs aggravants, dégagés par l’accidentologie, ont été trop souvent négligés. L’un d’entre eux est révélé par le taux particulièrement élevé d’accidents mortels au cours de la nuit. Bien qu’elle ne représente que 10 % du trafic total, la période nocturne enregistre près de la moitié des tués sur la route. De tels chiffres parlent, notamment aux associations de victimes de la route !
Pour remédier à cette surmortalité routière de nuit et afin d’être plus justes et efficaces dans notre politique de sécurité routière, il faut effectuer le contrôle de l’alcoolémie nocturne avec plus de sérieux et de moyens – cela relève des pouvoirs publics, mais coûte plus cher que les radars – et agir sur la vitesse – cet aspect, quant à lui, relève de la loi.
Aussi, je vous propose que le conducteur qui circule de nuit soit dans l’obligation de réduire sa vitesse. Le rapport de la sécurité routière montre que la vitesse moyenne est plus élevée la nuit que le jour, mais certains nous expliqueront qu’il ne faut surtout pas instaurer de mesure de ce type, car la vitesse excessive de nuit serait uniquement due à la consommation d’alcool ! La proposition que je défends est de nature à sauver 700 à 900 vies, sans parler de milliers de blessés en moins. N’oubliez pas que, lorsque la vitesse moyenne baisse de 1 kilomètre à l’heure, le nombre de tués diminue de 4 %.
Telles sont, en résumé, mes propositions.
Beaucoup d’autres choses restent encore à faire et je compte sur vos amendements, ceux du rapporteur et – pourquoi pas ? – ceux du Gouvernement, pour améliorer cette proposition de loi. On peut imaginer des aides aux régions et départements qui œuvrent plus que les autres pour sauver des vies. Est-il normal, en effet, comme c’est la réalité aujourd’hui, de courir trois fois plus de risques de se tuer sur la route dans tel département que dans tel autre ? On peut accélérer la suppression des passages à niveau, en y affectant, pourquoi pas, le produit des amendes.
Il serait facile de sauver aussi des vies en imposant à tous les poids lourds une vitesse maximale unique de 90 kilomètres à l’heure, par exemple, et en installant des radars « bizones » se déclenchant en fonction de la vitesse et de la hauteur, supérieure à deux mètres, de ces véhicules, pour mettre fin aux excès de vitesse commis par 47 % des poids lourds. Ou alors, on ne s’intéresse pas au sujet !
On pourrait sauver la vie de nombreux motards, en interdisant la conduite de motos de plus de 11 CV avant deux années de permis moto ; or nous voyons fleurir aujourd’hui des motos à trois roues, qui permettent d’échapper à l’obligation de détenir le permis moto, sans que personne ne fasse rien ! Par ailleurs, je tiens à vous rappeler que notre pays détient le triste record du nombre de veuves de moins de trente ans et 80 % d’entre elles ont au moins un enfant. Un tel constat incite à réfléchir et agir ! Enfin, si les forces de sécurité se répartissaient mieux, nous ferions baisser le nombre de tués la nuit.
Pour ma part et dans un premier temps, je souhaite voir les citoyens traités avec équité, comme le réclame la Cour européenne des droits de l’homme, et parvenir, grâce à une mesure simple, à sauver beaucoup de vies.
Je le sais, ma proposition de loi dérange, car elle renvoie aux priorités reconnues par tous, mais elle le fait en dissipant le rideau de fumée que constituent les sanctions automatiques des petits dépassements de vitesse et de défaut de port de la ceinture de sécurité, dont l’intérêt est d’assurer le financement des radars et des stages, qui ne pourraient être financés par les seuls grands excès de vitesse.
Chacun se rend compte que les mesures supplémentaires à mettre en œuvre coûteront cher à l’État et aux collectivités locales. Nous allons donc sans doute assister à la litanie des critiques entendues lorsqu’une proposition de loi dérange. Par exemple, « ces mesures sont inadaptées » ou bien, « ces mesures sont bonnes, mais elles relèvent du pouvoir réglementaire ». Chacun sait que ce dernier argument ne tient pas, car la Cour européenne des droits de l’homme, dans son arrêt en date du 23 septembre 1998, a confirmé que le retrait de point revêtait un caractère punitif et dissuasif et s’apparentait donc à une peine accessoire.
Notre commission des lois et notre assemblée ont déjà abordé ce thème dans le cadre de plusieurs lois, comme celle du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance : une des mesures majeures de prévention consistait à rendre plus rapidement un point de permis perdu ! Cette disposition m’avait stupéfait à l’époque, mais elle justifie que l’on en reparle… Nous pouvons donc espérer que cet argument « réglementaire » ne nous sera pas sérieusement opposé.
Un autre argument pourrait être que le système de contrôle et la sévérité des sanctions pénales ou administratives assurent l’égalité de traitement des conducteurs et qu’il ne faut surtout rien changer… Une telle affirmation est une contrevérité, car l’iniquité est la règle, au niveau du contrôle comme au niveau des sanctions !
Les poids lourds ne sont détectés par les radars que s’ils dépassent les vitesses autorisées pour les véhicules légers, soit 30 à 40 kilomètres à l’heure de plus que les vitesses limites les concernant. Le rapport de la sécurité routière indique que 47 % des poids lourds dépassent impunément les vitesses qui leur sont imposées... Les motards échappent à tous les radars fixes prenant de face. Enfin, l’ensemble des conducteurs échappent au retrait de points si le véhicule est pris au radar par l’arrière et s’ils contestent le fait d’être au volant, en affirmant qu’ils ne veulent pas donner le nom du conducteur hypothétique pour ne pas tomber sous l’inculpation de dénonciation calomnieuse.
L’impunité en ce qui concerne la perte de points est également garantie à tous ceux qui encombrent les tribunaux ! Mieux, même en cas de condamnation à l’issue d’un long et coûteux parcours judiciaire, ils perdront des points mais le temps écoulé grâce à la durée de la procédure leur permettra de retrouver les points qui leur manquent. Est-il donc équitable de pousser les contrevenants, et pas seulement les jeunes conducteurs, à une contestation systématique pour leur permettre de récupérer automatiquement chaque année deux points, voire trois ? Quand on connaît les délais de jugement de ces affaires, tous les jeunes conducteurs ont effectivement intérêt à contester leurs amendes !
Aujourd’hui, seuls les conducteurs trop honnêtes, trop naïfs, ou trop pauvres pour consigner des sommes supérieures à l’amende ou pour se payer des stages d’un coût représentant 19 % du SMIC, acceptent de perdre des points. Une loi qui, par ses défauts, frappe surtout les plus faibles et les plus pauvres n’est pas une bonne loi ! Le paragraphe consacré à ce sujet à la page 21 du rapport de Mme Troendle est édifiant. Je suis donc rassuré : on ne devrait pas nous opposer le caractère équitable et juste du permis à points dans sa version actuelle !
En revanche, je ne peux rien vous promettre car cette proposition est une vraie proposition de loi : elle n’a pas le caractère sacré, constant et parfait que confère l’origine gouvernementale à de trop nombreuses propositions de loi... Elle est marquée d’un sceau nouveau, peut-être même d’une tache, car elle est inscrite à l’ordre du jour à la demande d’un groupe minoritaire. Nous connaissions le sort réservé traditionnellement aux propositions de loi déposées par l’opposition ; nous allons découvrir le sort réservé à celles qui sont présentées par un groupe minoritaire, même lorsqu’il soutient majoritairement et régulièrement le Gouvernement.
Cette proposition de loi va-t-elle être écartée d’un revers de main ? Cette proposition de loi sera-t-elle jugée digne d’être amendée par la commission, par les sénateurs de la majorité, par le Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cet argument n’est pas acceptable !
M. Nicolas About. Est-il scandaleux de souhaiter que soient punis seulement d’une amende ceux qui commettent des erreurs légères, sans risques pour les tiers, quand d’autres sont tout juste réprimandés, ou ne sont pas même mis en cause, pour avoir, après une instruction bâclée, envoyé des innocents pendant des années en prison, les poussant ainsi au suicide ?
Je serai très attentif, avec le groupe auquel j’appartiens, au traitement qui nous sera réservé. Mes chers collègues, je vous remercie de votre attention et de votre soutien. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et sur plusieurs travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Catherine Troendle, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission des lois a été saisie au fond de la proposition de loi n° 378 rectifiée bis, tendant à assurer une plus grande équité dans notre politique de sécurité routière, notamment en matière de retrait des points du permis de conduire, présentée par notre collègue Nicolas About.
Déposée le 10 juin 2008, cette proposition de loi tend, en particulier, à supprimer le retrait de points en cas d’excès de vitesse inférieurs à 5 kilomètres par heure. J’ai procédé à de très nombreuses auditions et tous les points de vue ont été écoutés.
À titre liminaire, je tiens à souligner le caractère extrêmement sensible de la politique de sécurité routière. L’expérience montre que, dans ce domaine plus que dans d’autres, une mesure annoncée commence à produire des effets avant même qu’elle soit devenue effective. C’est donc avec la plus grande prudence que je me suis attachée à examiner cette proposition de loi.
Ce texte présente le mérite important de nous forcer à nous interroger sur l’acceptabilité de la politique menée depuis 2002. Répressive, cette politique a mis fin au sentiment d’impunité de nombreux conducteurs, résultant principalement de la faible probabilité d’être contrôlé. Depuis lors, la quasi-certitude d’être sanctionné et le rôle du permis à points ont provoqué une rupture dans le comportement des usagers. Cette sévérité nouvelle s’est traduite par une hausse très importante du nombre de permis invalidés pour défaut de points, avec les conséquences professionnelles imaginables lorsque le permis est un outil de travail indispensable.
Pour autant, doit-on prendre le risque de remettre en cause les succès obtenus depuis 2002 en assouplissant les règles de retrait de points ? Les solutions avancées par la proposition de loi résoudraient-elles les problèmes soulevés ?
M. Nicolas About. Oui !
Mme Catherine Troendle, rapporteur. Ce sont les questions délicates auxquelles nous devons répondre.
Permettez-moi de rappeler brièvement les succès obtenus.
Entre 2002 et 2008, les progrès de la sécurité routière ont permis d’épargner 12 741 vies et 157 000 blessés. Cela correspond à une baisse de 44 % du nombre de tués.
Ces progrès rapides ont rapproché la France du peloton de tête des pays européens. Mais il ne s’agit que d’une étape. Le Président de la République a fixé un objectif ambitieux de moins de 3 000 morts en 2012 ; je rappelle que le nombre des morts a été de 4 620 en 2007 et 4 274 en 2008.
La rupture de 2002 ne peut véritablement s’expliquer que par le renforcement de la répression des infractions routières. Les autres facteurs ont certes leur part dans la baisse tendancielle observée depuis trente ans. Toutefois, aucune révolution technologique ou de quelque autre nature n’a pu démultiplier soudainement leur incidence sur la sécurité routière. (M. Nicolas About s’exclame.)
C’est bien le permis à points qui est au cœur de cette stratégie de responsabilisation des conducteurs.
Je ne rappellerai pas l’histoire et le fonctionnement du permis à points, si ce n’est pour dire que c’est avant tout un outil pédagogique et préventif. Il n’y a pas à proprement parler de sanction tant que le solde de points est supérieur à zéro. Le but est de responsabiliser de façon mesurée et progressive le comportement des conducteurs qui transgressent les règles de la route à plusieurs reprises. L’invalidité du permis ne sanctionne jamais une infraction, elle sanctionne une répétition d’infractions plus ou moins graves commises dans un laps de temps relativement court.
La perte de points constitue, en fait, une alerte qui doit amener le conducteur à prendre conscience de la nécessité d’une conduite raisonnable.
La stratégie développée depuis 2002 a consisté à agir sur le comportement de tous les conducteurs, et non uniquement sur celui des conducteurs les plus dangereux.
En 2002, la vitesse était la première cause de mortalité sur les routes. L’action s’est donc portée spécialement sur ces infractions.
En 2007, la contravention à la vitesse est devenue la première contravention constatée, devant le stationnement, avec près de neuf millions d’infractions. Les excès de vitesse représentent désormais 80 % des infractions entraînant un retrait de points.
Cette répression renforcée a produit immédiatement des effets. Entre 2002 et 2007, la vitesse moyenne de jour a baissé de 8 kilomètres à l’heure environ, passant de 89,5 kilomètres à l’heure à 81,6 kilomètres à l’heure, tous réseaux confondus.
Qu’en est-il de l’acceptabilité sociale de la politique de sécurité routière ? Est-elle menacée ?
La multiplication des contrôles et la sévérité des sanctions pénales ou administratives ne sont tolérables pour les usagers de la route, c’est-à-dire la quasi-totalité de la population, qu’à la condition de préserver les vertus pédagogiques et préventives du permis à points.
Le permis à points ne doit pas être perçu comme un compte à rebours inéluctable se traduisant inexorablement, à plus ou moins brève échéance, par la perte de la totalité des points.
Je ne détaillerai pas les différents modes de récupération des points que définit le code de la route. Je rappelle simplement qu’à la suite du comité interministériel de sécurité routière du 8 novembre 2006, plusieurs dispositions nouvelles ont été adoptées dont la mesure dite « un point-un an ».
J’en viens à l’examen par la commission de chacun des articles.
La proposition de loi tend à corriger les excès et les effets pervers du système de permis à points et à réorienter la politique de sécurité routière vers des facteurs de risque insuffisamment pris en compte jusqu’à présent. Elle se compose de sept articles modifiant soit le code de la route, soit le code des assurances.
La principale disposition de cette proposition de loi figure à l’article 1er, qui a pour objet de supprimer le retrait de points en cas de dépassement de la vitesse maximale autorisée de moins de 5 kilomètres à l'heure.
En droit positif, les plus petits excès de vitesse - moins de 20 kilomètres à l'heure - sont punis d’une amende et donnent lieu de plein droit au retrait d’un point.
La législation ne fait donc aucune distinction entre un excès de vitesse de 19 kilomètres à l’heure et celui de 1 kilomètre à l'heure.
M. Nicolas About. C’est complètement fou !
Mme Catherine Troendle, rapporteur. Le présent article introduirait au contraire une différenciation entre, d’une part, les excès de vitesse compris entre 1 kilomètre à l'heure et 4 kilomètres à l'heure et, d’autre part, ceux qui sont compris entre 5 et 19 kilomètres à l'heure. Les premiers ne seraient plus sanctionnés que d’une amende.
M. Nicolas About. Tout à fait !
Mme Catherine Troendle, rapporteur. De nombreux arguments ont conduit la commission à ne pas adopter cet article.
Les experts admettent communément qu’une baisse de 1 kilomètre à l'heure de la vitesse moyenne se traduit par une diminution de 4 % du nombre de tués. Entre 2002 et 2007, la vitesse moyenne de jour a ainsi baissé de 8 kilomètres à l'heure, tandis que le nombre de tués diminuait de 40 % et celui des blessés de 25 %.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
Mme Catherine Troendle, rapporteur. Ce sont les changements d’ensemble des comportements sur la route qui permettent d’obtenir des progrès durables.
Or, en matière de répression des contraventions routières, l’expérience montre que l’amende est beaucoup moins dissuasive que le retrait de points. La suppression du retrait de points en cas d’excès de vitesse de moins de 5 kilomètres à l'heure pourrait dès lors être interprétée comme une quasi-dépénalisation. De fait, les vitesses maximales autorisées seraient relevées de 5 kilomètres à l'heure.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ou de 10 % au-dessus de 100 kilomètres à l’heure !
Mme Catherine Troendle, rapporteur. Cette différence de 5 kilomètres à l'heure est loin d’être anodine. Ne la sous-estimons pas ! Ajoutée à la marge technique,…
M. Nicolas About. La marge d’erreur !
Mme Catherine Troendle, rapporteur. … elle aurait pour effet que les excès de vitesse ne seraient sanctionnés d’un retrait de points qu’en cas de dépassement de 10 kilomètres à l'heure.
M. Nicolas About. Non, c’est une marge d’erreur, pas une marge technique !
Mme Catherine Troendle, rapporteur. En ville, sur sol sec, un véhicule roulant à 60 kilomètres à l'heure a besoin de neuf mètres supplémentaires pour s’arrêter rapidement par rapport à un véhicule circulant à 50 kilomètres à l'heure. De même, un piéton renversé à 50 kilomètres à l'heure peut encore avoir une chance de s’en sortir, alors qu’à 60 kilomètres à l'heure ses chances sont quasiment nulles.
En outre, cette disposition n’apparaît pas justifiée.
Selon un premier argument avancé dans la proposition de loi, de nombreux permis seraient invalidés par une succession de petits excès de vitesse.
M. Nicolas About. Pas seulement !
Mme Catherine Troendle, rapporteur. Cette répression serait excessive compte tenu de la dangerosité réelle de ces dépassements, d’un côté, et des conséquences sociales et économiques d’un retrait de permis, de l’autre.
En réalité, le cas de figure évoqué est extrêmement marginal. La proportion de permis invalidés à la suite d’infractions ne donnant lieu qu’à des retraits de 1 ou 2 points est égale à 0,12 %,…
M. Nicolas About. Avec les infractions pour défaut de port de la ceinture de sécurité !
Mme Catherine Troendle, rapporteur. … soit une centaine de personnes, et dix-sept permis ont été invalidés consécutivement à douze retraits d’un point en 2008.
M. Nicolas About. C’est incroyable !
Mme Catherine Troendle, rapporteur. Selon le rapport de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière, l’ONISR, pour 2007, l’analyse des permis invalidés entre 2004 et 2006 fait apparaître que seulement 15 % des points retirés résultent d’infractions liées à la vitesse. Cela signifie qu’une proportion encore plus faible est due à des excès de vitesse de moins de 20 kilomètres à l'heure et a fortiori de moins de 5 kilomètres à l'heure.
Mme Michèle Merli, déléguée interministérielle à la sécurité routière, a indiqué que la moitié des permis invalidés l’était à la suite d’une infraction donnant lieu à un retrait de six points correspondant aux infractions les plus graves.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
Mme Catherine Troendle, rapporteur. Un deuxième argument avancé serait que de nombreux conducteurs ne seraient pas conscients – n’en ayant parfois pas été informés - que leur permis a été invalidé, en particulier lorsque cette décision survient à la suite d’infractions bénignes qui ne sont pas de nature à créer une prise de conscience de la gravité des conséquences.
Si je conçois que nombre de retraits de points qui devraient être notifiés par lettre simple ne le sont pas, en revanche, il est plus discutable d’imaginer que de nombreux conducteurs puissent ignorer que leur permis a perdu sa validité.
En cas de perte de la totalité des points, le titulaire se voit notifier cette situation ainsi que l’obligation de restituer son permis à la préfecture par lettre recommandée avec accusé de réception. Si l’adresse n’est pas la bonne, la lettre n’est pas notifiée et donc le permis continue d’être valide. La préfecture enclenche alors des recherches pour retrouver la bonne adresse. Le permis n’est invalidé qu’à compter de la notification.
Outre la notification par lettre recommandée, il faut rappeler l’envoi d’un avertissement lorsque le solde est égal ou inférieur à six points. Cet avertissement – 600 000 recommandés ont été envoyés en 2008 - rappelle la possibilité de récupérer quatre points en suivant un stage de sensibilisation à la sécurité routière. (M. Nicolas About s’exclame.) Pourtant, seulement 20 % des personnes ayant vu leur permis invalidé ont effectué au moins une fois ce stage.
J’ajoute que le retrait de points est toujours la conséquence d’une infraction.
M. Nicolas About. Ce n’est pas une infraction !
Mme Catherine Troendle, rapporteur. Or un contrevenant est toujours informé qu’il a commis une infraction au code de la route. On ne paie pas une amende à son insu. Vous conviendrez, dès lors, avec moi que l’ignorance complète en toute bonne foi de plusieurs retraits de points soit difficilement concevable.
M. Nicolas About. Personne n’a dit cela !
Mme Catherine Troendle, rapporteur. Un dernier argument serait celui de la conduite sans permis ou sans assurance.
En premier lieu, il faut rappeler que le fait de conduire sans permis ne signifie pas que le véhicule ne soit plus assuré.
M. Nicolas About. Personne ne dit le contraire !
Mme Catherine Troendle, rapporteur. On peut assurer son véhicule même si l’on n’est pas titulaire du permis de conduire. Les dommages aux tiers restent pris en charge par l’assureur, et non par le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages, le FGAO, qui n’intervient qu’en cas de défaut d’assurance ou de véhicule inconnu.
En second lieu, le nombre de conducteurs sans permis impliqués dans les accidents corporels est resté stable en 2006 et 2007, bien en dessous du niveau de l’année 2002.
Les chiffres parfois évoqués de 1 ou 2 millions de conducteurs sans permis sont invérifiables. Le seul chiffre fiable est celui des infractions constatées. Entre 2003 et 2007, les condamnations pour conduite sans permis ont doublé. Ces résultats ne sont pas nécessairement la conséquence de la hausse des permis invalidés.
Les contrôles se sont renforcés et, selon M. Patrice Chazal, chef du service du fichier national des permis de conduire au ministère de l’intérieur, 90 % des personnes conduisant sans permis ne l’ont jamais obtenu.
Mme Catherine Troendle, rapporteur. Enfin, il faut souligner qu’un nouvel équilibre entre les retraits et les récupérations de points est en passe de s’établir.
La mise en œuvre de la politique de sécurité routière en 2002 et 2003 s’est immédiatement traduite par une hausse exponentielle des retraits de points et, par voie de conséquence, des permis invalidés. Entre 2002 et 2007, le nombre total de points retirés chaque année est passé de 3,1 millions à 9,5 millions.
Dans le même temps, le nombre de permis invalidés chaque année a été multiplié par six, passant de 13 601 à 88 698.
Si cette tendance à la hausse se poursuivait, le système mis en place en 2002 ne serait pas soutenable.
Mais on observe précisément un rééquilibrage qui semble démontrer l’efficacité et les vertus du permis à points.
En 2008, le nombre de permis invalidés a continué à progresser mais dans des proportions moins impressionnantes. En revanche, on observe une première baisse du nombre total de points retirés.
Parallèlement, le nombre de points récupérés a très fortement augmenté.
Logiquement, la règle dite des trois ans, qui permet de récupérer la totalité de ses points en l’absence d’infractions pendant cette période, commence seulement à produire ses effets différés. Alors qu’en 2005 moins de 600 000 conducteurs en avaient bénéficié, en 2007, 1 430 000 conducteurs récupéraient la totalité de leurs points. En 2008, ce nombre a encore augmenté, avec près de 1 800 000 bénéficiaires.
La mesure dite « un point-un an » commence également à produire ses effets. En vigueur depuis le 1er janvier 2007, elle s’est traduite par la restitution de 2,5 millions de points en 2008. Ce nombre doit être rapporté aux 3,9 millions d’infractions constatées en 2008 et donnant lieu à un retrait d’un point.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. En effet !
Mme Catherine Troendle, rapporteur. L’effet de ciseaux constaté entre 2002 et 2007 est donc très probablement en cours de résorption.
Pour ces raisons, il n’apparaît pas opportun de modifier profondément les règles du permis à points, alors que les récentes réformes commencent seulement à produire leurs effets. Une première évaluation de celles-ci est indispensable avant d’envisager d’autres ajustements. En conséquence, la commission n’a pas adopté l’article 1er.
La proposition de loi tend également à supprimer le retrait de points en cas de défaut de port de la ceinture de sécurité par le conducteur.
Actuellement, le code de la route impose à tout conducteur ou passager le port de la ceinture de sécurité, sauf quelques exceptions limitativement énumérées. Le défaut de port de la ceinture de sécurité est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe, soit 135 euros s’agissant d’une amende forfaitaire, et donne lieu de plein droit à un retrait de trois points.
La commission des lois est opposée à la suppression proposée.
En effet, le port de la ceinture s’avère indispensable à la sécurité routière ; 20 % des conducteurs non ceinturés impliqués dans un accident corporel ont été tués, alors que moins de 2 % des conducteurs ceinturés ont péri.
En outre, la société a un intérêt propre à imposer le port de la ceinture. Le conducteur ou le passager qui ne met pas sa ceinture prend le risque de faire peser sur la société une charge financière plus importante en cas d’accident, notamment en termes de frais médicaux et de prise en charge du handicap.
Il est donc cohérent de maintenir le retrait de points pour les conducteurs en infraction.
Il est vrai toutefois qu’un retrait de trois points est peut-être excessif ; en retirer un ou deux pourrait suffire. La définition du barème relevant du domaine réglementaire, nous pourrions suggérer au Gouvernement de s’engager à étudier cette proposition.
Quant à l’article 3 de la proposition de loi, il a pour objet d’aligner la vitesse de nuit sur la vitesse par temps de pluie.
Le code de la route ne fait aucune différence entre la conduite de jour et celle de nuit. Seules les conditions atmosphériques sont prises en compte. Soulignant les risques particuliers de la conduite de nuit, la proposition de loi tend à différencier les vitesses de nuit, en les alignant sur celles qui sont prévues par temps de pluie ou en cas de brouillard.
L’exposé des motifs fait état des statistiques de l’Observatoire national interministériel de sécurité routière : 45 % des tués et 31 % des blessés sur la route seraient constatés la nuit, alors que le trafic de nuit ne représente que 10 % du trafic total. Simultanément, l’Observatoire relève que les vitesses moyennes pratiquées la nuit ainsi que les taux de dépassement des vitesses maximales sont globalement supérieurs à ceux qui sont constatés de jour.
D’autres arguments plaident, cependant, en faveur du maintien des vitesses actuelles.
Tout d’abord, des facteurs propres à la circulation de nuit expliquent cette surmortalité. L’alcool est devenu le premier facteur d’accidents devant la vitesse au cours des dernières années. La proportion des accidents mortels avec alcool s’élève à 29 %. L’alcool est ainsi devenu un facteur prépondérant, a fortiori la nuit. En effet, sur ces 29 % d’accidents mortels avec alcool, 70 % surviennent la nuit.
Par ailleurs, plusieurs personnes auditionnées ont craint qu’une baisse des vitesses de nuit n’aboutisse en réalité à décrédibiliser la politique de sécurité routière. Lorsque le trafic est très faible, voire nul, comment justifier une baisse de la vitesse alors même que la visibilité est souvent très bonne de nuit ?
Il faut aussi rappeler que les résultats obtenus depuis 2002 l’ont été sans que les vitesses maximales autorisées aient été réduites. L’effort a porté exclusivement sur leur respect effectif.
Enfin, ces dispositions relèvent du domaine réglementaire.
Pour toutes ces raisons, la commission n’a pas adopté l’article 3.
Les articles 4 à 7 de la proposition de loi sont relatifs à la conduite sans assurance. Ils tendent à compléter les sanctions encourues en pareil cas, en prévoyant, à l’article 4, un retrait de points et, à l’article 5, une peine complémentaire de vente du véhicule au profit du Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages.
L’article 6 prévoit que les contrats d’assurance responsabilité civile continuent à produire leurs effets jusqu’à l’échéance normale du contrat lorsque l’assuré a perdu la totalité des points de son permis de conduire.
Enfin, de manière à supprimer le risque de voir des conducteurs titulaires d’un permis invalidé continuer à circuler en toute bonne foi faute d’avoir été dûment informés, l’article 7 tend à instaurer l’obligation pour chaque assuré, lors de la conclusion ou du renouvellement d’un contrat d’assurance automobile, de fournir à l’assureur un certificat de détention du permis de conduire de moins d’un mois. Ce certificat serait délivré par la préfecture de son lieu de résidence.
Aucun de ces articles n’a été adopté par la commission. Ils révèlent, à l’évidence, un malentendu sur la nature de l’obligation d’assurance en France. En effet, je le rappelle, l’assurance porte non pas sur le conducteur, mais sur le véhicule. Il en résulte que ces articles sont, pour l’essentiel, sans objet.
Pour l’ensemble de ces raisons, la commission a décidé de ne pas établir de texte, de sorte que, en application de l’article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique porte sur le texte même de la proposition de loi.
En effet, la commission a jugé prématuré de modifier les équilibres du permis à points au moment même où les aménagements apportés à ce permis en 2006 et en 2007 commencent à corriger les excès répressifs sans affaiblir les vertus pédagogiques du système.
Pour autant, ces conclusions ne signifient pas que le système soit parfait. Aussi, permettez-moi d’émettre quelques recommandations.
La commission a déploré, en particulier, les incohérences de la signalisation routière,…
M. Jean-Pierre Fourcade. Absolument !
M. Roland du Luart. C’est tout à fait vrai !
Mme Catherine Troendle, rapporteur. … notamment les variations de vitesse maximale multiples, soudaines et erratiques (Applaudissements sur les travées de l’UMP) qui rendent difficile la connaissance de la vitesse autorisée et donnent le sentiment aux usagers de la route d’avoir été piégés.
Les comités des usagers de la route auprès des préfectures devraient s’approprier cette problématique et proposer des réajustements à mettre en œuvre par l’État, le département ou la commune en fonction du classement des routes concernées par de telles incohérences.
L’impunité des conducteurs étrangers reste également un point en souffrance.
Certes, l’application de la directive européenne facilitant l’application transfrontalière de la législation dans le domaine de la sécurité serait une solution.
Or, il apparaît que le recours à une directive, instrument juridique du premier pilier, ne serait pas approprié à une transposition nationale, une décision-cadre relevant du troisième pilier étant plus adéquate.
Il résulte de cette analyse un blocage juridique momentané.
Dans ces conditions, je l’affirme, le recours à des accords bilatéraux demeure, pour l’instant, la solution la plus effective.
Mme Catherine Troendle, rapporteur. J’en veux pour preuve l’accord bilatéral signé entre la France et la Suisse, qui permet l’échange d’informations automatique sur les dossiers des fautifs, via une plateforme de recherche en ligne. Ce qui est possible avec la Suisse doit l’être avec tous les pays ayant des frontières communes avec la France.
M. Nicolas About. Très bien !
Mme Catherine Troendle, rapporteur. Depuis le 1er janvier 2008, tout nouveau permis est assorti de six points. En l’absence d’infraction, ces permis sont crédités de deux points supplémentaires chaque année. Les douze points sont acquis au bout de trois ans.
Auparavant, les nouveaux permis étaient assortis de six points au départ, et ce n’était qu’au terme de trois ans sans infraction que les douze points étaient acquis.
Il s’avère que la date d’application du nouveau dispositif, le 1er janvier 2008, crée une inégalité. La personne qui a passé son permis antérieurement à cette date ne peut en bénéficier : elle devra fatalement attendre trois ans pour récupérer en une seule fois les six points complémentaires, alors que, en attendant, les nouveaux permis bénéficient d’un système de points plus avantageux.
Une rétroactivité du nouveau dispositif ne serait-elle pas envisageable, afin de lever cette inégalité de traitement ? Ne pourrait-on pas ainsi la concevoir, par exemple, à compter du 1er janvier 2007 ?
M. Roland du Luart. Ce serait le minimum.
Mme Catherine Troendle, rapporteur. Enfin, en tant que rapporteur, j’appelle également de mes vœux la constitution, par le Gouvernement, d’un groupe de travail pour réfléchir à une réforme du contentieux du permis de conduire, qui connaît aujourd’hui trop de dérives. Il en découle un réel encombrement des juridictions, une inefficacité de la politique de lutte contre la violence routière…
M. Nicolas About. C’est ce que j’ai dit !
Mme Catherine Troendle, rapporteur. … et une profonde inégalité, tous les conducteurs ne pouvant pas s’offrir les services d’un avocat spécialisé.
M. Roland du Luart. Cela justifie cette proposition de loi !
Mme Catherine Troendle, rapporteur. Ce groupe de travail serait donc particulièrement bienvenu. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Nicolas About applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, personne ne peut nier les résultats obtenus depuis quelques années dans le domaine de la sécurité routière grâce au développement des contrôles de vitesse, notamment depuis l’installation de radars automatiques le long des routes.
Mais personne ne peut non plus contester le caractère aveugle d’un système dont on ne peut pas dire qu’il soit toujours très équitable.
Je vais vous en donner quelques exemples, comme d’autres intervenants l’ont fait, notamment l’auteur de la proposition de loi.
Le système vous paraît-il équitable lorsqu’il sanctionne de la même manière un conducteur qui dépasse la limitation de vitesse de 2 kilomètres par heure et celui qui la dépasse de 19 ? Il est pourtant évident que les conséquences en cas d’accident ne sont pas les mêmes. Mme Troendle le reconnaît d’ailleurs dans son rapport. (M. le président de la commission des lois opine.)
Le système vous paraît-il équitable quand on sait qu’un conducteur fautif qui a les moyens de s’offrir les services d’un avocat peut toujours faire valoir qu’on lui a retiré, à tort, un point sur son permis parce que ce n’est pas lui qui conduisait, ou obtenir, si cela est absolument nécessaire pour l’exercice de son activité professionnelle, de pouvoir continuer à rouler, malgré la disparition du permis blanc, alors que le conducteur qui n’a pas les moyens de s’offrir les services d’un avocat n’aura pas d’autre choix que de perdre des points ?
Le système vous paraît-il équitable quand il frappe de la même manière un conducteur qui n’a pas besoin de son permis pour travailler et celui qui en a absolument besoin et dont l’annulation du permis, ou simplement la perte de quelques points, va entraîner le licenciement ? Je ne sais pas si vous le savez, mes chers collègues, mais, pour certaines professions, il est écrit noir sur blanc dans le contrat de travail que la perte d’un certain nombre de points, pas forcément de la totalité, est un motif de licenciement.
M. Roland du Luart. C’est exact !
M. Yves Détraigne. Et que dire du débat redondant sur l’inadaptation évidente de certaines limitations de vitesse à la réalité du terrain ? Force est de reconnaître qu’il est parfois fondé et que certaines limitations apparaissent comme de véritables pièges pour les conducteurs.
Nous avons tous des exemples frappants en tête. Pour ma part, étant champenois, j’en citerai simplement deux qui concernent des routes de ma région que j’emprunte fréquemment.
Sur l’autoroute A34, reliant Reims à Charleville-Mézières, le tronçon entre Reims et Rethel, soit un peu plus de 30 kilomètres, est limité à 110 kilomètres par heure parce qu’une section de seulement 4 kilomètres, qui reprend une partie de l’ancienne voie express, la nationale 51, n’a pas encore de bandes d’arrêt d’urgence aménagées et ne remplit donc pas les conditions permettant de rouler à 130 kilomètres par heure. Ce tronçon de l’autoroute A34 ayant été ouvert en 1999, cela fait dix ans que cette situation dure !
De même, sur une partie de l’ancienne nationale 51 qui n’a pas été reprise dans l’autoroute et qui relie Reims et la commune dont je suis le maire, soit seulement trois kilomètres, et qui est une deux fois deux voies avec un rail central, la vitesse est limitée à 110 kilomètres par heure dans un sens – jusque-là, rien à redire ! –, mais à 90 kilomètres par heure seulement dans l’autre ! Personne ne peut m’expliquer pourquoi, mais c’est ainsi !
Il faut bien l’avouer, tout cela donne le sentiment que l’on veut piéger les conducteurs, y compris les plus raisonnables !
M. Nicolas About. Bien sûr !
M. Yves Détraigne. Ce ne sont que quelques exemples, mais quand on fait la somme de toutes les incohérences de notre politique de sécurité routière, est-il vraiment possible de dire que cette politique est une vache sacrée, à laquelle il ne faut pas toucher ?
Est-il légitime pour la représentation parlementaire de se pencher sur quelques anomalies incontestables souvent liées à la manière dont s’applique la loi, comme nous y invite la proposition de loi de Nicolas About ? Ou est-il politiquement incorrect de le faire et interdit d’aborder ce sujet, au motif que l’on risquerait de « casser » la dynamique vertueuse qui s’est enclenchée depuis quelques années en matière de sécurité routière ?
S’il ne faut pas revenir sur les grands principes de notre politique de sécurité routière, je considère en revanche qu’il n’est pas interdit et qu’il est même parfois recommandé de faire preuve de bon sens dans la déclinaison de ces principes. Il faut se rendre compte que rouler à 92 kilomètres par heure sur une route limitée à 90 kilomètres par heure, ce n’est pas tout à fait la même chose que d’y rouler à 109 kilomètres par heure : en tenir compte ne serait pas scandaleux.
Mes chers collègues, n’avez-vous d’ailleurs pas été frappés par le débat qui s’était engagé au plus haut niveau de l’État voilà un peu plus d’un an, à une époque où le prix du pétrole flambait ? On se demandait alors sérieusement s’il ne fallait pas abaisser de 130 à 120 kilomètres par heure la limitation de vitesse sur autoroute.
M. Yves Détraigne. Je constate que M. le secrétaire d’État exprime son désaccord, mais, en tout cas, ce débat s’était engagé sur la place publique et a duré un certain temps.
M. Nicolas About. On pourrait sauver 40 % des tués sur autoroute !
M. Yves Détraigne. L’idée était de baisser la facture de carburant des automobilistes et de faire ainsi des économies, ce qui concerne pratiquement tous les Français.
Si la mesure avait été adoptée, on en serait arrivé à cette situation étrange où un automobiliste qui, un jour, conduit à 129 kilomètres par heure est considéré comme un conducteur vertueux et, le lendemain, traité comme un chauffard dès lors qu’il aurait roulé à 121 kilomètres par heure ! (M. le président de la commission des lois s’exclame.)
M. Nicolas About. Mais oui !
M. Yves Détraigne. Une telle situation résulterait de l’application purement mathématique et automatique de notre réglementation !
Le simple fait que l’on se soit posé cette question démontre, me semble-t-il, qu’il n’est pas interdit, particulièrement au Parlement, de discuter du sujet et qu’on ne peut pas rejeter d’un revers de la main tout ce que propose Nicolas About.
Cela ne veut pas dire pour autant que je sois d’accord avec tout ce qu’il présente. En tout cas, ne faisons pas preuve de dogmatisme, dans un sens ou dans un autre, sur un sujet de cette importance. C’est dans cet esprit que les sénateurs du groupe de l’Union centriste abordent l’examen de ce texte.
Personnellement, je parcours plus de 40 000 kilomètres par an depuis plus de vingt ans. Comme certains d’entre vous peut-être, mes chers collègues, j’ai déjà participé à un stage de récupération de points. Il me restait en effet six points sur mon permis de conduire. Les deux derniers que j’ai perdus, c’était à la suite du changement, du jour au lendemain, d’une limitation de vitesse sur l’autoroute A4, sous le tunnel de Champigny, à l’entrée de Paris.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cela m’est arrivé aussi !
M. Yves Détraigne. La veille, conformément à la vitesse autorisée, j’avais traversé ce tunnel à 110 kilomètres par heure. Le lendemain, la vitesse avait été ramenée à 90 kilomètres par heure. Comme mon régulateur de vitesse était déjà réglé, j’ai été piégé et je me suis fait flasher.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Yves Détraigne. Je vais accélérer, monsieur le président.
Mme Jacqueline Gourault et M. Gérard Longuet. Surtout pas ! (Sourires.)
M. Yves Détraigne. Vous avez raison, je ne veux pas reperdre mes points. (Nouveaux sourires.)
Au cours du stage que j’ai effectué, nous étions dix-sept, dont une douzaine de commerciaux et d’artisans qui avaient absolument besoin de leur permis pour travailler. Il faut savoir que leurs patrons leur avaient fixé des objectifs de visite tels qu’ils n’avaient pas eu d’autres choix que de flirter avec les limitations de vitesse.
La disposition emblématique qui figure à l’article 1er de la proposition de loi et qui vise, lorsque l’excès de vitesse ne dépasse pas 5 kilomètres par heure par rapport à la limitation fixée, à supprimer la perte d’un point sur le permis tout en conservant la sanction financière est donc une mesure de bon sens. Tous ceux qui ont l’habitude de conduire savent parfaitement qu’on ne peut pas rouler en ayant en permanence les yeux rivés sur le compteur de vitesse de la voiture. D’ailleurs, cela pourrait même être dangereux.
M. Yvon Collin. C’est vrai !
M. Yves Détraigne. On peut donc facilement dépasser de 2 ou 3 kilomètres par heure la vitesse autorisée. D’ailleurs, comme Mme Catherine Troendle le dit dans son rapport, il suffit d’un changement de déclivité de la route pour dépasser la limite. (M. Gérard Longuet opine.) On la dépasse donc par simple inadvertance et sans volonté délibérée de le faire, alors qu’on le sait parfaitement quand on roule à 20 ou 30 kilomètres par heure au-dessus de la vitesse autorisée. Je ne vois d’ailleurs pas comment on pourrait prétendre le contraire.
Voter l’article 1er de la proposition de loi n’est donc en rien une remise en cause de la politique de sécurité routière instaurée dans notre pays. Au contraire, cela montrerait notre volonté de remédier au caractère aveugle de la réglementation actuelle et à une manière de l’appliquer souvent sans discernement, ce qui donne parfois – je ne dis pas souvent – le sentiment que les objectifs « quantitatifs » l’emportent sur le souci d’assurer la sécurité routière.
Ce sentiment a d’ailleurs été accru au début de l’année par la publication dans un magazine automobile – Auto Plus, si je ne m’abuse – d’une note de service d’un commissaire de police d’une ville de province, une préfecture de région que je connais bien,…
M. Nicolas About. En Champagne, donc ! (Sourires.)
M. Yves Détraigne. … demandant à ses motards de relever « a minima » soixante-six défauts de ceinture de sécurité, cent soixante-quinze excès de vitesse, cent trente-trois infractions au stationnement, trente-cinq feux rouges grillés, etc.
Mme Jacqueline Gourault. Un véritable contrat d’objectif !
M. Yves Détraigne. Cela pousse évidemment les forces de l’ordre à agir délibérément sans discernement dans certains cas.
Loin d’être malvenue, la proposition de loi de notre collègue arrive donc en discussion au bon moment. Nous ne porterions pas tort – je dirais même au contraire – à la compréhension et à l’acception de notre politique de sécurité routière par l’ensemble de nos concitoyens…
M. Nicolas About. Bien sûr !
M. Yves Détraigne. … en osant, sur certains points, dire que cela ne va pas et qu’il faut adapter la réglementation ou sa mise en œuvre.
M. Roland du Luart. Très bien !
M. Yves Détraigne. Voilà, monsieur le secrétaire d’État, mes chez collègues, les quelques éléments de réflexion que je voulais vous soumettre avant que nous examinions chacun des articles de la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste – M. Roland du Luart applaudit également.)
Monsieur le président, je vous prie de bien vouloir m’excuser d’avoir dépassé de 50 % mon temps de parole.
M. le président. Mon cher collègue, heureusement, il n’existe pas encore de permis à points pour les orateurs. (Sourires.) Les risques en ce domaine sont plus limités, mais j’invite tout de même les intervenants à respecter leur temps de parole.
La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Nicolas About, dont nous débattons aujourd’hui, vise à aménager les règles de retrait de points du permis de conduire pour les délits considérés comme mineurs.
De fait, nous sommes tous concernés par les contraintes du permis à points, qui provoquent bien souvent l’agacement des automobilistes, particulièrement de ceux que leur profession oblige à prendre la route. « Ni délinquants, ni dangers publics », comme le précise l’exposé des motifs, bien des conducteurs ressentent les verbalisations comme des sanctions injustes. Lequel d’entre nous n’a d’ailleurs jamais pesté contre la présence inopinée d’un radar lors d’un dépassement de quelques kilomètres à l’heure de la vitesse maximale autorisée ?
Toutefois, s’il comprend bien les motivations de cette proposition de loi, le groupe UMP souhaite rappeler fermement son attachement au dispositif du permis à points, qui vise à sauver des vies ! Nous estimons que nous ne pouvons en aucun cas baisser la garde et risquer de compromettre les succès obtenus depuis 2002 grâce à la politique de sécurité routière. La crainte de la sanction est souvent le début d’une attitude responsable.
À l’heure où les comportements sont en pleine mutation et où les automobilistes ont intégré le système des points, une modification du dispositif constituerait un véritable signal de recul et affecterait gravement ses bénéfices pédagogiques et préventifs.
M. Dominique de Legge. Ne remettons pas en cause les progrès accomplis par la sécurité routière depuis 2002 !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Très bien !
M. Dominique de Legge. Cette politique a en effet permis de mettre fin à l’impunité de nombreux conducteurs et les a considérablement responsabilisés.
Entre 2002 et 2008, 12 741 vies et 157 000 blessés ont ainsi pu être épargnés. Les chiffres parlent d’eux-mêmes !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
M. Dominique de Legge. Par ailleurs, les solutions avancées par la proposition de loi ne nous semblent pas de nature à résoudre les problèmes réels soulevés par notre collègue Nicolas About.
Prenons tout d’abord l’article 1er, qui tend à supprimer le retrait de points en cas de dépassement de la vitesse maximale autorisée de moins de 5 kilomètres à l’heure.
Nous comprenons bien les motivations de M. About. Un excès de vitesse de 4 kilomètres à l’heure n’est pas aussi dangereux qu’un dépassement de 19 kilomètres à l’heure, en particulier en ville. Pour autant, nous estimons qu’il n’est pas opportun de légiférer sur des situations qui restent marginales. En effet, les petits excès de vitesse ne sont pas la cause principale des retraits de permis.
Selon les statistiques de l’Observatoire national interministériel de sécurité routière, les excès de vitesse ne contribuent qu’à un quart des invalidations du permis de conduire.
M. Nicolas About. Mais cela en fait partie !
M. Dominique de Legge. Par ailleurs, « seuls 0,12 % des conducteurs ont leur permis invalidé après avoir commis des infractions sanctionnées par un retrait d’un ou deux points maximum ».
En outre, dans la pratique sur autoroute, la limitation à 130 kilomètres à l’heure, qui fait déjà l’objet d’une tolérance de 5 %, autorise de fait déjà le conducteur à rouler à 137 kilomètres à l’heure. Assouplir encore de 5 kilomètres à l’heure revient à permettre de rouler à 141 kilomètres à l’heure !
M. Nicolas About. Absolument pas ! Il y a 40 % d’erreurs ! Le tribunal de Vesoul !
M. Dominique de Legge. La suppression du retrait de points serait immédiatement interprétée comme un relèvement de 5 kilomètres à l’heure des vitesses maximales autorisées. Or une telle différence n’est pas anodine. (M. Nicolas About s’exclame.)
De plus, une telle mesure créera fatalement une inégalité entre les automobilistes ayant les moyens financiers d’acquitter de nombreuses amendes et les autres. Et, surtout, elle ne manquera pas de se traduire immédiatement par une augmentation du nombre d’accidents. Les chiffres des experts ont été rappelés par Mme le rapporteur.
Par ailleurs, l’expérience montre que l’amende est beaucoup moins dissuasive que le retrait de points.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
Mme Catherine Troendle, rapporteur. Tout à fait !
M. Dominique de Legge. Précisons enfin que, en 2007, la loi a déjà assoupli les sanctions relatives aux petits excès de vitesse en donnant la possibilité de récupérer un seul point perdu au bout d’un an sans infraction ou retrait de points.
M. Nicolas About. Un point seulement !
M. Dominique de Legge. Quant à la suppression des retraits de points en cas de défaut de port de la ceinture de sécurité, nous y sommes opposés.
M. Roland du Luart. Et la même chose pour tout le monde, y compris pour les policiers !
M. Dominique de Legge. Le port de la ceinture de sécurité est vital, au sens étymologique du terme ! Il sauve des vies de manière indiscutable et diminue la gravité des blessures.
Or la quasi-totalité des conducteurs ont désormais le réflexe de toujours mettre leur ceinture lorsqu’ils conduisent.
Mme Catherine Troendle, rapporteur. Tout à fait !
M. Dominique de Legge. L’absence de ceinture sur la route constitue aujourd’hui la troisième cause de mortalité des conducteurs après l’alcool et une vitesse excessive.
M. Dominique de Legge. Il a également été établi, pour l’année 2007, que 400 vies supplémentaires auraient pu être sauvées si l’obligation du port de la ceinture avait été respectée.
On ne peut à la fois vouloir prévenir les handicaps et assouplir un dispositif destiné à limiter le nombre de blessés sur la route. On ne peut se lamenter sur les déficits sociaux et ne pas tout faire pour limiter les accidents générateurs de coûts. C’est pourquoi nous n’adopterons pas l’article 2 de la proposition de loi.
Enfin, j’en viens à l’article 3, qui a pour objet d’aligner la vitesse maximale autorisée de nuit sur la vitesse par temps de pluie.
Mme le rapporteur nous a expliqué que la surmortalité constatée la nuit n’était pas la conséquence directe de vitesses excessives.
M. Nicolas About. C’est curieux, la sécurité routière dit le contraire !
M. Nicolas About. J’ai le rapport, monsieur le secrétaire d’État ! (M. Nicolas About montre le rapport.) Je peux vous donner lecture du passage concerné !
Mme Catherine Troendle, rapporteur. Le taux d’alcoolémie est premier !
M. Nicolas About. Que faites-vous contre l’abus d’alcool ? Rien !
M. Dominique de Legge. J’ajoute qu’il me semble peu compréhensible de chercher à la fois à desserrer la pression sur la vitesse le jour et à renforcer la limitation de vitesse de nuit, alors que ce n’est pas la période la plus accidentogène.
En conclusion, cette proposition de loi nous semble peu opportune au moment même où les automobilistes commencent à changer durablement de comportements sur la route et alors que les réformes récentes commencent seulement à produire leurs effets. Son adoption constituerait donc un mauvais signal adressé aux automobilistes et serait interprétée comme un relèvement de fait de la vitesse maximale autorisée.
Si nous devons rester fermes sur les principes, mes chers collègues, il convient néanmoins de s’interroger sur la cohérence de certaines limitations de vitesse. En effet, on observe parfois sur une distance de 2 à 3 kilomètres à topographie identique des changements de limitation inexpliqués et incohérents ou des aberrations comme celles qu’a indiquées tout à l’heure M. Détraigne.
M. Roland du Luart. Surtout sur autoroute !
M. Dominique de Legge. Cela est à ajouter au zèle parfois exagéré de certains agents soucieux de faire du chiffre avec des clients de bonne foi.
M. Alain Fouché. C’est bien dit !
M. Dominique de Legge. La proposition de loi de notre collègue ne répond pas à ces deux nécessités : rendre plus cohérente et lisible la signalisation des limitations ; verbaliser avec discernement afin de prévenir plutôt que de punir. Le changement des seuils ne répond pas à cette problématique.
Si nous ne retenions de ce débat que ces deux orientations, alors il aura démontré son utilité. Privilégions donc une application intelligente et éclairée de la loi plutôt que son assouplissement.
Pour toutes les raisons que je viens d’exposer, le groupe UMP suivra les conclusions de Mme le rapporteur. (Applaudissements au banc des commissions. – M. Henri de Raincourt applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la baisse significative du nombre de morts sur les routes françaises est incontestable depuis, d’une part, l’entrée en vigueur du permis à points en 1992 et, d’autre part, la multiplication des radars fixes à partir de 2003.
Plus grande responsabilisation des conducteurs et peur de l’amende sont toujours les deux piliers de notre politique de sécurité routière. D’ailleurs, il nous faut reconnaître que nos concitoyens-conducteurs sont de plus en plus raisonnables et de plus en plus responsables sur les routes.
M. Yvon Collin. Les comportements évoluent et nous devons nous en féliciter.
La politique de prévention routière menée par différentes majorités parlementaires depuis de nombreuses années porte donc indiscutablement ses fruits. Si j’osais, je dirais qu’il nous faut continuer sur cette voie, sans changer de direction ni surtout d’objectif, et peut-être non plus sans ralentir. (Sourires.)
Est-ce à dire qu’il ne faut rien changer, qu’il n’y a pas d’amélioration à apporter ou encore que le « tout-répressif » est la seule option ?
En 2002, le nombre de points retirés était de l’ordre de 3,1 millions. En 2008, il est passé à 9,5 millions. Quand on y regarde de plus près, ce sont notamment les infractions sanctionnées par la perte d’un seul point qui ont été multipliées par cinq depuis 2002.
On peut donc en conclure que les infractions enregistrées sont de moins en moins graves et, par la même occasion, que la grande majorité des automobilistes français ne sont ni des chauffards ni des criminels en puissance…
Dans ces conditions et après ces remarques introductives, comment apprécier les principales dispositions contenues dans la proposition de loi de notre collègue Nicolas About ?
Tout d’abord, l’article 1er prévoyant que « toute contravention résultant d’un dépassement de la vitesse maximale autorisée de moins de 5 kilomètres par heure ne peut pas donner lieu à une réduction du nombre de points du permis de conduire » nous apparaît comme une mesure à la fois raisonnable et raisonnée.
En effet, avec la plupart des membres de mon groupe, nous considérons que le retrait de points pour un excès de vitesse de moins de 5 kilomètres par heure est disproportionné par rapport à l’infraction commise. Sans remettre en cause l’économie générale de notre système de sanction d’infractions et sans tomber dans un quelconque laxisme que personne ne souhaite, monsieur le secrétaire d’État, il nous faut toutefois introduire un peu de souplesse dans un système particulièrement rigide et sans appel.
Il est désormais démontré qu’il peut s’avérer largement plus dangereux pour un automobiliste de surveiller fréquemment son compteur sur une longue distance, avec le stress occasionné par la peur permanente de l’éventuel radar, que de faire un excès de vitesse de 2 ou 3 kilomètres par heure.
En toute logique, et c’est une obligation du code de la route, l’attention du conducteur devrait d’abord être portée à la signalisation extérieure, aux autres usagers, aux obstacles imprévus et, plus généralement, aux multiples attentions que nécessite la conduite plutôt que sur le compteur.
C’est pourquoi la disposition proposée à l’article 1er de la présente proposition de loi témoigne de la volonté d’introduire une dose de souplesse dans un système rigide et mérite alors notre soutien. Elle présente l’avantage de maintenir la sanction financière mais d’éviter la sanction pratique, celle de la perte des points qui peut se transformer en perte d’emploi faute de permis de conduire ou, pire encore, faire passer dans la clandestinité certains conducteurs qui se retrouvent au volant de leur véhicule sans permis de conduire.
Chez certains de nos voisins européens, une telle marge de tolérance, ou plutôt de « semi-tolérance », en matière de petits excès de vitesse est déjà appliquée avec succès. Ainsi, en Allemagne, les dépassements allant jusqu’à 20 kilomètres par heure au-delà de la vitesse autorisée sont considérés comme des « petits dépassements » et aucune sanction n’est encourue pour un excès de moins de 5 kilomètres par heure. Or il est communément admis que l’Allemagne est un modèle en matière de conduite automobile et de sécurité routière en Europe. L’Espagne, quant à elle, a poussé la latitude jusqu’à 10 kilomètres par heure pour un excès qui n’est sanctionné ni par la perte de points ni par une amende. Pour des excès de vitesse compris entre 11 et 30 kilomètres par heure, seule l’amende est appliquée, et c’est seulement à partir de 31 kilomètres par heure que le système des points entre en ligne de compte.
L’article 2 vise à instituer le fait que tout conducteur qui ne porte pas la ceinture de sécurité ne peut être sanctionné que par une amende. Cette disposition revient, là encore, à maintenir la sanction financière en cas de non-port de la ceinture de sécurité mais à supprimer la sanction supplémentaire que constitue le retrait des points du permis.
Il est démontré que la ceinture de sécurité ne constitue pas, à forte vitesse, une garantie de protection suffisante et efficace en cas d’accident. Il nous paraît donc opportun de maintenir les sanctions financières afin de rappeler que le port de la ceinture est obligatoire et peut sauver des vies, essentiellement en cas d’accident à faible vitesse, mais tout en supprimant la perte de points, compte tenu du caractère ambivalent du port de la ceinture de sécurité, qui peut même, dans certains cas très limités et exceptionnels, s’avérer dangereux. C’est pourquoi la majorité des membres de mon groupe soutiendra cette disposition de la proposition de loi.
Enfin, l’article 3 prévoit que « la vitesse de nuit sur l’ensemble du réseau […] ne peut être supérieure à la vitesse limitée par temps de pluie ». Nous y sommes résolument opposés. Nous n’en voyons pas l’utilité ni même la pertinence, bien au contraire. Rappelons simplement que la principale source d’accidents la nuit est la consommation d’alcool et de stupéfiants. (M. Nicolas About opine.) Il ne nous paraît donc pas indispensable d’agir à ce niveau de prévention et de répression.
En conclusion, si les amendements de suppression déposés sur chacun des articles de la proposition de loi sont repoussés et si nous parvenons à un vote sur l’ensemble du texte, le groupe du RDSE s’abstiendra. (MM. Nicolas About et Yves Détraigne applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mahéas.
M. Jacques Mahéas. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, appliqué en France depuis le 1er juillet 1992, le dispositif du permis à points est un élément essentiel de la politique de lutte contre l’insécurité routière menée avec détermination par les pouvoirs publics.
Faire passer la sécurité pour tous avant son intérêt personnel, c’est ce qui sous-tend la mise en œuvre du permis à points, qui a été, depuis lors, adopté par de nombreux pays européens. Chaque conducteur devrait avoir cet état d’esprit dès qu’il utilise son véhicule.
Mais ce dispositif a avant tout contribué à des résultats remarquables en termes de vies épargnées et de diminution du nombre des personnes blessées. Depuis trente ans, la courbe du nombre des tués diminue régulièrement de façon linéaire du fait de l’application du permis à points, mais également grâce aux airbags, aux systèmes de freinage, au rajeunissement du parc automobile, aux contrôles techniques et aux aménagements routiers. Deux vies sur trois ont ainsi été sauvées.
Depuis 2002, en soutien d’une action renforcée dans le domaine du contrôle et de la sanction des infractions routières, ce mécanisme a introduit un véritable changement de comportement des conducteurs et, par là même, la réduction du nombre des victimes. Et c’est bien là l’important !
Cependant, si les principes d’organisation du permis à points sont restés inchangés depuis l’origine, les contrôles, eux, du fait notamment de leur automatisation, sont désormais devenus une autre réalité. La sanction du retrait de point a été renforcée, d’une part, par l’extension de la nature des infractions entraînant de plein droit la réduction du nombre de points du permis de conduire et, d’autre part, par l’évolution du barème des retraits de points.
Ce sont ces dernières évolutions qui font que notre assemblée est saisie, à intervalles réguliers, de propositions de loi visant à modifier les contours de son champ d’application, à sortir telle ou telle catégorie d’infraction jugée trop sévèrement punie par le retrait de point pour une catégorie de conducteurs – les professionnels de la route ont ainsi fait l’objet d’une proposition de loi déposée par le groupe UMP le 12 mars dernier et reprise aujourd'hui dans un amendement – ou telle ou telle situation conjoncturelle.
La crise économique justifierait aujourd’hui les mesures contenues dans cette proposition de loi pour s’attaquer au retrait de points en cas de faible dépassement de vitesse ou de défaut de port de la ceinture de sécurité. L’auteur de cette proposition de loi avance même, dans un article de presse, des chiffres chocs : 30 000 emplois auraient été perdus à la suite d’un permis de conduire invalidé.
Je ne nie pas la nécessité de posséder un permis pour obtenir un emploi, l’existence d’abus de verbalisation, l’incompréhension des sanctions pour les petits excès de vitesse. Pas plus tard qu’avant-hier, toutefois, France Info recevait notre collègue dans une émission matinale où il défendait, sans contradicteur, sa position. Il faut s’interroger sur l’opportunité des mesures proposées et sur l’argumentation, parfois provocante, souvent discutable, mise en avant dans ce document.
La proposition qui nous est faite aujourd’hui s’intéresse, comme l’indique son intitulé, à introduire « une plus grande équité dans notre politique de sécurité routière ». En réduisant les sanctions à une amende, il n’en est rien, au contraire !
La suppression du retrait de points va créer une inégalité entre les conducteurs ayant les moyens financiers d’acquitter de nombreuses amendes et les autres, moins chanceux. En outre, l’expérience démontre qu’en matière de répression des contraventions routières l’amende est beaucoup moins dissuasive que le retrait de point.
Enfin et surtout, la suppression de la réduction de points n’intervient que pour les infractions qui coûtent le plus de vies. Le retrait de trois points pour défaut d’assurance – ce qui ne va pas toucher toutes les catégories sociales – mérite certainement débat au regard de la législation existante. D’emblée, cette sanction paraît non pas trop sévère mais disproportionnée par rapport aux autres mesures qui mettent directement des vies en danger.
Au nom du principe que tout système est perfectible à la marge, c’est l’économie générale des retraits de points qui est attaquée et fragilisée. Or le permis à points s’inscrit dans une démarche avant tout pédagogique. C’est un système qui se présente comme un tout et les attaques dont il fait l’objet pour les catégories non représentatives de la population globale – comme celle qui est visée à l’article 1er, qui ne représente que 0,12 % des conducteurs, soit une centaine de personnes en infraction –…
M. Nicolas About. Pas du tout !
M. Jacques Mahéas. … sont autant d’atteintes à un dispositif dont la force réelle réside justement dans son application égalitariste.
L’objectif du dispositif est simple et efficace : il est d’éviter l’infraction et sa récidive. Il est à la fois préventif et pédagogique ; il « responsabilise » les conducteurs en sanctionnant le comportement de ceux qui transgressent les règles du code de la route. La perte de points est une alerte et doit être ainsi interprétée par le contrevenant. Elle amène le conducteur à prendre conscience de la nécessité d’une conduite raisonnable et d’un comportement responsable au volant.
Deux mesures du texte présentées aux articles 1er et 2 me paraissent dangereuses pour la sécurité publique. Les deux principales mesures de ce texte – également contestées par le président du comité départemental de Seine-Saint-Denis de l’association de prévention routière qui compte nationalement 130 000 adhérents et donateurs – concernent la suppression des retraits de points au permis de conduire pour les dépassements de la vitesse maximale autorisée de moins de cinq kilomètres par heure, après application de la marge technique, soit dix kilomètres par heure au total, ainsi que la mesure identique pour le défaut de port de la ceinture de sécurité.
Ce sont les articles 1er et 2 sur lesquels Mme Catherine Troendle, rapporteur, a également émis les plus grandes réserves lors de l’examen en commission le 8 avril dernier, et a proposé de ne pas adopter ces deux articles notamment.
L’opposition de cette association reconnue d’utilité publique est particulièrement vive, car l’application du texte qui nous est présenté se traduirait ipso facto, pour la première mesure, par une augmentation des vitesses pratiquées par les conducteurs et donc par une augmentation du nombre de tués et de blessés sur les routes.
La question du retrait de points, pour les petits dépassements de vitesse en particulier, fait en permanence l’objet d’une polémique un peu irrationnelle et véhicule un sentiment d’injustice et d’incompréhension. Pourtant, au mois de novembre dernier, en réponse à une question écrite, monsieur Bussereau, vous indiquiez que 80 % des conducteurs possédaient tous leurs points. En 2007, une progression de 25 % du nombre des conducteurs récupérant tous leurs points a été enregistrée – 40 % en 2006. Le nombre de permis invalidés reste faible : 0,5 % en 2006.
M. Nicolas About. Il y a peu de condamnés à mort !
M. Jacques Mahéas. En ce qui concerne la suppression de la pénalisation du dépassement de la vitesse maximale autorisée inférieur à 5 kilomètres par heure, toutes les études françaises et étrangères ont, semble-t-il, montré qu’une augmentation des vitesses moyennes de 1 kilomètre par heure entraîne automatiquement un accroissement de 4 % du nombre de tués.
Si la proposition qui nous est faite était retenue, elle entraînerait mécaniquement une augmentation de la vitesse moyenne d’environ 5 kilomètres par heure et, parallèlement, une progression de l’ordre de 20 % du nombre de tués, soit 800 morts supplémentaires par an sur la route, sans compter les blessés. Vous en conviendrez, cela serait inacceptable.
M. Jacques Mahéas. Je souhaiterais, monsieur le secrétaire d’État, que vous puissiez nous confirmer ce point, qui est essentiel. Bien évidemment, nous, nous voulons sauver des vies,…
M. Nicolas About. Et nous, non ? Quelle violence de penser que les autres ne veulent pas sauver des vies ! C’est inacceptable !
M. Jacques Mahéas. … même si cela passe parfois par la contrainte.
Cette mesure serait justifiée, selon Nicolas About, car « au bout d’un certain laps de temps, le cumul de plusieurs petits excès de vitesse peut conduire à l’invalidation pure et simple du permis de conduire ». Or il n’en est rien !
M. Nicolas About. Mais si !
M. Jacques Mahéas. Selon les statistiques de l’Observatoire national interministériel de sécurité routière, l’ONISR, les excès de vitesse ne contribuent qu’à un quart des invalidations du permis de conduire, loin derrière les alcoolémies délictuelles. Toujours selon la même source, « seuls 0,12 % des conducteurs ont eu leur permis invalidé après avoir commis des infractions sanctionnées par un retrait de 1 ou 2 points maximum ».
M. Nicolas About. Ce n’est pas de cela que nous parlons ! C’est l’argument bidon avancé !
M. Jacques Mahéas. Cette mesure ne concerne donc en fait qu’une centaine de conducteurs en infraction.
Par conséquent, et contrairement à ce que certains prétendent, l’augmentation des invalidations du permis de conduire a pour origine non pas les petits excès de vitesse,…
M. Nicolas About. Si ! À hauteur d’un quart !
M. Jacques Mahéas. … mais les alcoolémies délictuelles.
Ainsi, 4 274 personnes ont perdu la vie sur les routes en 2008, contre 4 620 en 2007. La forte diminution des vitesses et du trafic a favorisé cette baisse de la mortalité routière.
M. Nicolas About. On verra ce que vous faites sur la nuit !
M. Jacques Mahéas. Bon nombre d’accidents sont la conséquence de ce que certains qualifient de « petite complaisance » avec la règle, notamment une vitesse légèrement supérieure à la vitesse autorisée. Je rappelle que neuf accidents sur dix sont liés à une infraction au code de la route !
Précisons également que les sanctions concernant les petits excès de vitesse ont déjà été assouplies en 2007, en permettant la récupération d’un point au bout d’un an sans infraction ou retrait de point. Et le nombre de conducteurs ayant récupéré tous leurs points en 2008 est en très forte hausse. Il s’élève à 1 782 391, soit une augmentation de 25 %.
Mme Catherine Troendle, rapporteur. Tout à fait !
M. Jacques Mahéas. En outre, 80% des conducteurs français sont actuellement en possession de tous leurs points de permis.
Par ailleurs, l’article 2, qui prévoit également de supprimer les retraits de points lorsque le conducteur ne porte pas la ceinture de sécurité, constitue un grave retour en arrière, d’autant que la quasi-totalité des conducteurs ont désormais parfaitement intégré le réflexe de la mettre systématiquement.
M. Nicolas About. Cela représente tout de même 1,2 million de points retirés !
M. Jacques Mahéas. Depuis 2002, les progrès ont été importants, mais l’absence de port de la ceinture de sécurité est aujourd'hui encore à l’origine de 9 % des morts sur la route. On estime même que 300 à 400 vies auraient pu être sauvées en 2008 si le port avait été systématique pour les conducteurs comme pour les passagers. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous confirmer ces chiffres ?
Une telle proposition de loi ne constitue pas un bon message. Je reprendrai nos arguments au fil de l’examen des articles, sachant que les membres de mon groupe et moi-même avons déposé un amendement de suppression sur chacun d’eux.
Je voudrais juste préciser que le système est perfectible. Des progrès sont ainsi attendus en matière de coopération internationale. La quasi-impunité des conducteurs de voitures immatriculées à l’étranger est souvent évoquée. Selon Bruxelles, le quart des excès de vitesse constatés en France sont le fait de conducteurs étrangers, hors Europe.
Une proposition de directive facilitant l’application transfrontalière de la législation dans le domaine de la sécurité routière a été adoptée le 9 mars 2008. (M. Nicolas About s’exclame.) Elle concerne l’exécution transfrontalière des sanctions liées à quatre catégories d’infractions routières, en l’occurrence l’excès de vitesse, la conduite en état d’ivresse, le non-port de la ceinture de sécurité et le franchissement d’un feu rouge, commises avec des véhicules immatriculés dans des États membres autres que le pays où l’infraction a eu lieu.
Une marge de progrès en matière de respect des limitations de vitesse demeure. Environ 20 % des vies pourraient encore être sauvées si tous les conducteurs respectaient ces limitations.
M. Nicolas About. Eh oui !
M. Jacques Mahéas. Cela impose donc de persévérer dans la lutte contre les excès de vitesse, ce qui contribuera en plus à un meilleur développement durable.
Des progrès pourraient également être rapidement effectués si l’éducation nationale disposait de moyens supplémentaires pour développer une véritable politique de prévention.
Toutefois, la politique de sécurité routière pourrait être améliorée dans plusieurs domaines. Permettez-moi de vous en fournir quelques illustrations.
J’évoquerai d’abord les radars. À l’évidence, le dispositif n’est pas suffisamment souple. Il ne tient compte ni de l’heure, ni de la densité du trafic, ni de la pluie,…
M. Nicolas About. Sous la pluie, les radars ne fonctionnent pas !
M. Jacques Mahéas. … ni des conditions de brouillard. Dès lors, certains de nos concitoyens s’interrogent sur l’opportunité de telles installations.
À mon sens, il serait intéressant d’examiner ce que chaque radar rapporte à l’État et aux collectivités locales, en comparant ce chiffre au nombre d’accidents qu’il y avait à cet endroit avant la mise en place de l’appareil. Et si on constate qu’un radar placé à un endroit où on dénombrait peu d’accidents rapporte beaucoup, on pourra se demander si ce n’est pas juste un jackpot pour les collectivités publiques ! Nous devrions étudier si des adaptations s’imposent, notamment au regard du nombre d’accidents.
Je pense que nous devons également mener ensemble une réflexion sur les deux-roues et les motos. À cet égard, je rejoins certains des propos qui ont été tenus par notre collègue Nicolas About. Il est vrai que certains comportements de deux-roues et de motos, et même de piétons, sont parfois inadmissibles.
En outre, comme certaines personnes ne respectent pas le code de la route, les maires, notamment en milieu urbain, sont amenés à multiplier feux rouges et dos d’âne. C’est inadmissible.
Les modalités de contrôle technique des véhicules constituent également une anomalie. Le critère retenu est celui de la durée. Il me semble tout à fait anormal que la distance parcourue ne soit pas également prise en compte. (M. Nicolas About acquiesce.)
J’ai aussi évoqué l’éducation routière, en insistant sur les efforts très importants qui s’imposent.
Le permis étant extrêmement coûteux pour les jeunes, certains d’entre eux conduisent sans l’avoir passé. C’est aussi une difficulté.
Nous devons également réfléchir sur les embouteillages, qui agacent tout le monde, et sur le développement des transports en commun à la place.
Par ailleurs, les crédits pour l’aménagement des routes sont distribués selon des critères qui me paraissent contestables. (M. Nicolas About applaudit.) En milieu urbain, nombre de routes anciennement nationales sont dans un état déplorable, tandis que les départements ont des routes splendides.
M. Christian Cambon. Ça dépend lesquels !
M. Jacques Mahéas. Je vous l’accorde.
Enfin, même si nos concitoyens sont informés quand ils ont perdu la moitié de leurs points ou quand ils les ont tous perdus, nombre d’entre eux ne savent pas toujours combien de points il leur reste. Chacun devrait avoir la possibilité de savoir à tout moment où il en est, par exemple en tapant son numéro de permis de conduire. En effet, il nous arrive d’être flashés et de devoir attendre un ou deux mois avant de savoir si des points nous sont retirés ou non. Cela me semble complètement anormal. Il en est de même des délais de réponse aux contestations. Des efforts considérables doivent être faits dans ce domaine.
Au nom de l’importance que nous attachons à la vie humaine et au combat contre l’insécurité routière, le groupe socialiste demande que la réflexion sur la sécurité routière soit poursuivie. Mais nous ne pouvons pas admettre un certain nombre d’articles proposés par notre collègue Nicolas About.
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer l’initiative de notre collègue Nicolas About (M. Dominique Leclerc applaudit), qui a eu le courage d’ouvrir le débat sur le permis à points en déposant la présente proposition de loi. Nous sommes un certain nombre de parlementaires UMP à soutenir ce texte – notre collègue Roland du Luart me le confirmait tout à l’heure –, car il s’agit, me semble-t-il, d’un dossier important.
En effet, il ne peut pas y avoir de sujet tabou. Nous devons en permanence chercher la meilleure adéquation possible entre les objectifs visés et les moyens mis en œuvre.
Je crois pouvoir le dire, nous partageons tous ici, sans exception, la volonté constante des pouvoirs publics de renforcer la sécurité routière pour réduire le nombre des victimes de la route.
Mais je pense que nous devons dans le même temps savoir faire preuve de discernement. Ajouter sans cesse de la répression à la répression expose au risque certain d’un refus collectif de la sanction, le niveau maximal d’acceptation étant atteint. (M. le secrétaire d’État fait un signe de dénégation.) Si, monsieur le secrétaire d’État ! Je ne suis pas d'accord avec vous !
En ce sens, l’article 1er de la proposition de loi, qui vise à supprimer le retrait de points en cas d’excès de vitesse de moins de 5 kilomètres par heure, me semble tout à fait opportun.
Comme cela est indiqué dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, à moins de 5 kilomètres par heure, « le contrevenant n’est ni un délinquant, ni un danger public. Pourtant, la sanction par retrait de points est automatique. Au bout d’un certain laps de temps, le cumul de plusieurs petits excès de vitesse peut ainsi conduire à l’invalidation pure et simple du permis de conduire. »
En tant qu’élu de proximité, je sens monter l’exaspération de nos concitoyens sur ce sujet. Commis par inadvertance, les excès de vitesse de moins de 5 kilomètres par heure sont le fait non pas de délinquants, mais d’honnêtes gens qui voient s’abattre sur eux une sanction automatique, sans discussion ni indulgence.
Bien entendu, on présente régulièrement la marge technique comme une faveur faite aux usagers de la route. Mais, nous savons qu’il n’en est rien. (M. Nicolas About acquiesce.) Il s’agit d’une nécessité correspondant à la marge d’erreur des indicateurs de vitesse des véhicules comme à celle des radars.
En Allemagne, aucune sanction n’est appliquée pour un dépassement de la vitesse autorisée jusqu’à 5 kilomètres par heure. Et il y a une amende, mais pas de sanction en termes de points, jusqu’à 20 kilomètres par heure.
En 2007, le nombre de morts sur les routes d’Allemagne n’a jamais été aussi bas, passant même, avec 4 970 tués, sous le seuil symbolique des 5 000 victimes. C’est un chiffre qui se remarque dans un pays de plus de 82 millions d’habitants ; il est du même ordre qu’en France, pourtant beaucoup moins peuplée.
M. Nicolas About. Tout à fait !
M. Alain Fouché. Élu de la ruralité, je peux vous dire que la détention du permis de conduire est non pas un luxe, mais bien souvent une nécessité vitale. Et je ne peux pas plus me résoudre à voir le système actuel fabriquer des chômeurs que des hors-la-loi.
Car, il faut le dire, plus de 93 000 conducteurs ont été contrôlés sans permis en 2007. Bien entendu, parmi eux, il y avait tous ceux qui n’avaient jamais passé le permis. Mais il y avait également 30 000 conducteurs auxquels on l’avait retiré. Selon l’Observatoire national interministériel de sécurité routière, près de 300 000 conducteurs circuleraient sans permis sur notre territoire. Et ce ne sont que des estimations !
M. Nicolas About. Effectivement !
M. Alain Fouché. Même si les sanctions sont lourdes – le fait de conduire sans permis est passible de deux ans d’emprisonnement et de 4 500 euros d’amende –, elles sont peu dissuasives, surtout au regard de la probabilité d’être contrôlé.
Dans ces conditions, je considère que nous allons à l’encontre de l’objectif visé. La répression fait ainsi passer la pédagogie, qui est plus que jamais nécessaire, au second plan. Elle produit des effets d’éviction, et nous constatons une recrudescence d’accidents très graves sur le réseau secondaire, qui est plus fréquenté, surtout la nuit.
Pourquoi faut-il attendre deux ans afin de pouvoir effectuer un nouveau stage de sensibilisation permettant de récupérer quatre points ? Pourquoi continuer de pénaliser lourdement les professionnels de la route et ne pas créer un permis de conduire spécial assorti d’un système de récupération anticipée des points à leur intention ?
Voilà des questions qui méritent, me semble-t-il, d’être posées. Et c’est tout l’intérêt de notre débat d’aujourd’hui. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP. – M. Nicolas About applaudit également.)
7
Modification de l’ordre du jour
M. le président. Par lettre en date de ce jour, M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement a proposé d’avancer au matin du mercredi 13 mai 2009 la nouvelle lecture du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet, qui était prévue à 14 heures 30.
Je vous indique que cet aménagement horaire répond à la demande de la commission des affaires culturelles.
En conséquence, nous siégerions à 9 heures 30 pour l’examen du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet et à 14 heures 30 et le soir pour la suite de l’examen du projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires.
Il n’y a pas d’opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Guy Fischer.)
PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
8
Points du permis de conduire
Suite de la discussion et rejet d'une proposition de loi
M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi tendant à assurer une plus grande équité dans notre politique de sécurité routière, notamment en matière de retrait des points du permis de conduire.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Christian Cambon.
M. Christian Cambon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre collègue Nicolas About a pris l’initiative de déposer une proposition de loi tendant à assurer une plus grande équité dans notre politique de sécurité routière, notamment en matière de retrait de points du permis de conduire.
Je souhaite avant tout souligner l’intérêt de cette initiative, qui nous a permis d’évoquer un sujet dont tous les parlementaires et de nombreux maires sont régulièrement saisis par les conducteurs, sur lesquels se sont concentrées un certain nombre de sanctions. Ce texte nous aura aussi permis d’entendre, lors des réunions de la commission, Mme le ministre de l'intérieur, Mme Merli, déléguée interministérielle à la sécurité routière, et M. le secrétaire d’État chargé des transports, sur les progrès accomplis en cette matière depuis sept ans.
En effet, depuis 2002, le Gouvernement a placé la lutte contre l’insécurité routière au centre de ses priorités. Comme l’a souligné notre excellent rapporteur, Mme Catherine Troendle, des résultats très encourageants ont été obtenus : les progrès de la sécurité routière ont permis d’épargner près de 13 000 vies et 157 000 blessés. Ce sont les meilleurs chiffres depuis vingt ans !
Allumage des feux de jour, limitations de vitesse, permis probatoires : autant de mesures dont les résultats sont dorénavant indiscutables.
Bien évidemment, le renforcement de la répression des infractions routières, notamment grâce aux radars automatiques, a largement contribué à limiter, sur nos réseaux routiers, une hécatombe dramatique. Le permis à points est bien l’un des principaux leviers de cette politique.
On peut toutefois parfaitement comprendre les réactions des conducteurs, car la multiplication des contrôles et des verbalisations, qui entraînent souvent la suppression de points du permis de conduire, ne sont pas sans conséquence sur la vie professionnelle de nombre d’entre eux. La suspension d’un permis de conduire peut entraîner jusqu’à la perte de l’emploi et engendrer une situation sociale problématique.
Mme Catherine Troendle, rapporteur. Absolument !
M. Christian Cambon. J’ai eu, comme bien d’autres maires, à connaître de telles situations. Néanmoins, cela ne justifie pas de prendre le risque de remettre en cause les succès obtenus en assouplissant les règles de retrait de points. Il ne faut effectivement pas affaiblir les vertus pédagogiques d’un système qui a fait ses preuves en responsabilisant les conducteurs et en infléchissant leur comportement.
Certes, nombre de conducteurs estiment que la multiplication des contrôles et la sévérité des sanctions visent à invalider un nombre maximum de permis de conduire et à recueillir un produit important d’amendes. Mais soyons raisonnables ! Le Gouvernement et les législateurs que nous sommes ne doivent garder à l’esprit que la sécurité et la préservation de la vie et de l’intégrité physique de nos concitoyens.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, et Mme Catherine Troendle, rapporteur. Très bien !
M. Christian Cambon. Quand on mesure au quotidien les conséquences effroyables, dans la vie des familles, des décès ou des blessures engendrés par ces drames – combien de maires ont eu le triste rôle d’apprendre l’affreuse nouvelle à des familles –, on ne peut accepter que des vies soient fauchées en raison de l’irresponsabilité de chauffards ou de l’imprudence de conducteurs qui ne mesurent pas toujours les conséquences de leur comportement.
M. Nicolas About. Bien sûr !
M. Christian Cambon. Il ne faut pas baisser la garde à un moment où chacun s’accorde à reconnaître que notre politique de lutte contre l’insécurité routière porte ses fruits.
Par conséquent, avec nombre de mes collègues du groupe UMP, je soutiens totalement la position de la commission. Je ne voterai donc pas cette proposition de loi.
En revanche, monsieur le secrétaire d’État, je déplore, comme Mme le rapporteur et certains de mes collègues, les nombreuses incohérences de la signalisation routière,…
M. Nicolas About. Tout de même !
M. Christian Cambon. …qui entraînent des variations de vitesse maximale multiples, soudaines et erratiques. Elles rendent en effet trop souvent difficile la connaissance de la vitesse autorisée et donnent aux usagers de la route le sentiment d’avoir été piégés.
Nous en connaissons tous de très nombreux exemples. Dans la région d’Ile de France, à la sortie de l’autoroute A4, la vitesse, limitée sur celle-ci à 90 kilomètres-heure, passe brusquement, après le panneau de fin d’autoroute, à 50 kilomètres-heure. La distance est parfaitement insuffisante pour permettre une décélération sans risque, …
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !
M. Christian Cambon. … alors qu’un contrôle radar est implanté, comme par hasard, à cet endroit exact. Sur l’autoroute A13, dans le sens province-Paris, la vitesse maximale passe brusquement de 130 à 90 kilomètres-heure. Là encore, les contrôles-radars sont là, pour faire du chiffre. Sur la RN19, dans la traversée de la forêt entre Boissy-Saint-Léger et Villecresnes, la vitesse maximale autorisée change près de six fois sur deux kilomètres ! Est-ce tolérable ?
Ces vitesses maximales autorisées doivent être adaptées à la dangerosité objective de la route et pouvoir être augmentées sur certains tronçons lorsqu’il n’y a pas de difficulté particulière.
Il est donc indispensable, monsieur le secrétaire d’État, de réaliser un véritable plan d’ensemble de la signalisation pour rendre celle-ci plus cohérente, en y associant, comme nous le souhaitons, les autorités régulatrices, qu’il s’agisse des départements ou des communes, sur les tronçons qui les concernent. Ce plan d’ensemble doit établir une progressivité de la vitesse maximale autorisée. Si les conducteurs comprennent clairement les raisons de ces limitations de vitesse, ils les respecteront mieux et plus facilement.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous répondre sur ce point et nous indiquer les mesures que vous comptez prendre pour répondre aux usagers de la route, encore trop nombreux à penser qu’ils se font piéger par une réglementation qui, parfois, démontre sa propre incohérence ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Nicolas About. Cela va être dur !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État chargé des transports. Monsieur le président, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à vous remercier de la qualité des interventions auxquelles Roger Karoutchi puis moi-même avons assisté depuis ce matin. Sur l’ensemble des travées, les orateurs ont exprimé leur préoccupation en matière de sécurité routière.
Après avoir été les mauvais élèves de l’Europe, nous avons mis en place depuis 2002, sur l’initiative des présidents Jacques Chirac puis Nicolas Sarkozy, des mesures alliant la sévérité à l’information, lesquelles ont incontestablement prouvé leur efficacité : elles ont permis de sauver plus de 13 000 vies et d’épargner près de 200 000 blessés, ce qui est considérable.
Si notre dispositif est efficace, il peut bien évidemment être encore amélioré et nombre d’entre vous ont fait des propositions en ce sens.
Le texte de M. About comporte sept propositions concernant, notamment, le retrait de points. La plus emblématique d’entre elles, pour ne pas dire la plus médiatique, porte sur la suppression du retrait d’un point pour les petits excès de vitesse.
Avant que nous examinions chacun des articles, je souhaite rappeler le sens global de la politique de sécurité routière de l’État et souligner le rôle-clef du dispositif du permis à points.
Nombre d’entre vous l’ont rappelé, la responsabilisation des conducteurs est au cœur de la politique menée depuis 2002. L’application effective des règles par tous les conducteurs en est le premier objectif.
Le déploiement du système de contrôle-sanction automatisé a fortement contribué à la diminution du nombre d’accidents. Plus de 2 300 radars sont aujourd’hui installés sur l’ensemble du territoire national. Nous allons bien entendu poursuivre notre action en ce sens, notamment avec l’installation de radars sur les feux de signalisation.
Le résultat, que chacun d’entre nous peut constater au quotidien, est un net abaissement de la vitesse moyenne. Jusqu’alors, les excès de vitesse étaient la principale cause de mortalité sur les routes.
L’égalité de traitement de tous les conducteurs est une préoccupation essentielle. L’équité est la première condition de la crédibilité de la lutte contre l’insécurité routière. Une même application des règles à tous les conducteurs, sans exception, est donc indispensable. Sinon, c’est tout notre dispositif qui s’écroulerait.
Bien sûr, l’acceptabilité sociale des contrôles est une condition de leur efficacité.
La lutte contre l’insécurité routière repose sur un changement durable des comportements de nos concitoyens. En tant qu’élus, vous parcourez de nombreux kilomètres dans vos départements et vous pouvez constater de réels changements de comportement chez la plupart de nos compatriotes.
Les contrôles effectués par les forces de l’ordre doivent être menés avec discernement. L’objectif est non pas de rapporter de l’argent à l’État, mais de garantir la sécurité des automobilistes sur les routes. Sont donc exclus toute politique du chiffre et tout piégeage des usagers de la route.
Les contrôles doivent être concentrés sur les axes identifiés comme les plus dangereux.
M. Nicolas About. Ce n’est pas le cas !
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. Ces propos n’engagent que vous, monsieur About ! Comme un certain nombre d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis président de Conseil général et ce que j’observe dans mon département me convient tout à fait.
Les mesures de prévention concernent, notamment, les catégories les plus exposées au risque d’accident, à savoir les jeunes ou les conducteurs de deux roues motorisées ; la déléguée interministérielle à la sécurité routière, Michèle Merli, et moi-même allons, cette année, accomplir un effort important à leur égard.
Le permis à points joue un rôle majeur dans ce dispositif. Il répond à un double objectif de responsabilisation et d’égalité. Il s’inscrit dans une démarche pédagogique et préventive, en responsabilisant les conducteurs et en sanctionnant de façon mesurée et progressive le comportement de ceux qui transgressent les règles du code de la route.
La perte de points constitue une alerte : elle doit amener le conducteur à prendre conscience de la nécessité d’une conduite raisonnable et d’un comportement responsable au volant.
Le barème du retrait de points est progressif et les retraits sont proportionnés à la gravité des infractions. Ce dispositif garantit une égalité de traitement de tous les conducteurs.
Le permis à points a déjà été évalué et réformé. Deux objectifs ont guidé cette réforme.
Le premier consiste à mieux informer les usagers ; vous avez été nombreux à insister sur ce point. Un courrier en recommandé est désormais envoyé aux conducteurs ayant perdu la moitié de leurs points et le site internet « Télépoints » permet de faciliter la consultation par chacun du solde de points sur son permis de conduire.
Le second objectif tend à faciliter la récupération des points ; M. Détraigne nous a expliqué ce matin comment il avait procédé. Au bout de six mois, les personnes dont le permis a été invalidé peuvent repasser les seules épreuves théoriques, en d’autres termes le code.
S’agissant des infractions ayant donné lieu au retrait d’un point, le délai de récupération de ce point a été ramené de trois ans à un an.
Pour les conducteurs novices, l’acquisition de l’intégralité du capital est accélérée : en l’absence d’infraction, le nombre de points augmente de deux points par an pendant trois ans.
Tous les bilans montrent que le permis à points remplit parfaitement sa fonction pédagogique.
En 2008, 2,5 millions de personnes ont récupéré un point sur leur permis de conduire après un an passé sans infraction – l’aspect « prévention » a donc bien fonctionné –, et 1,8 million de personnes ont recouvré la totalité du capital initial de leurs points.
Ce résultat coïncide avec la baisse continue du nombre des victimes. L’an passé, nous dénombrions 4 274 décès. C’est encore beaucoup trop, mais nous en déplorions 10 000 il y a quelques années. L’objectif du Président de la République est de limiter à 3 000, en 2012, le nombre de tués.
M. Nicolas About. Il faut voter l’article 3 !
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. Nous ne devons pas baisser la garde : nous ne pouvons pas assouplir la politique de sécurité routière, sauf à prendre le risque, terrible, d’un relâchement du comportement des conducteurs et d’un nombre accru de morts et de blessés sur les routes.
Il nous faut donc examiner avec prudence toute adaptation de la politique de sécurité routière. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement, à l’instar de la commission des lois et d’un certain nombre de groupes de cette assemblée, n’est pas favorable à la proposition de loi de M. About.
Monsieur Détraigne, vous avez, ce matin, évoqué dans votre intervention les quotas de PV. En la matière, aucune consigne n’a été donnée au niveau national. Les policiers et les gendarmes ont reçu une circulaire de Mme Alliot-Marie, qui donne des directives très fermes en ce sens, et les préfets doivent vérifier dans chaque département si les instructions locales sont bien conformes à ces prescriptions. Il s’agit non pas de faire du chiffre mais d’être efficaces !
MM. de Legge et Mahéas ont évoqué la ceinture de sécurité, qui fait l’objet d’un article de cette proposition de loi. Son port est devenu un réflexe, et tout mauvais signal en la matière serait effroyable. Chaque année, quatre cents personnes pourraient être sauvées si elles la portaient.
Tout à l’heure, M. Collin a cité l’Espagne, qui ne sanctionne les excès de vitesse qu’au-delà de dix kilomètres par heure. Mais le nombre de tués par habitant dans ce pays est largement supérieur à celui que nous connaissons, et le gouvernement espagnol réfléchit à un durcissement de sa politique dans ce domaine.
MM. Collin et About ont évoqué une déclaration du président Roland du Luart sur le fait que les policiers et les gendarmes ne porteraient pas systématiquement leur ceinture de sécurité. Instruction leur est donnée de le faire, autant pour leur sécurité que pour l’exemplarité. On peut toutefois comprendre que, dans certaines missions très particulières, ils soient dans l’impossibilité de la porter, afin de pouvoir quitter rapidement leur véhicule.
M. Nicolas About. Bien sûr ! Comme les taxis…
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. Nombre d’entre vous ont fait allusion aux emplacements des radars, notamment MM. Mahéas et Cambon. Ceux-ci sont fixés par les préfets, après concertation avec les commissions locales d’usagers. Nous pouvons naturellement améliorer cette concertation en y associant les maires et les conseillers généraux.
En ce qui concerne l’entretien des routes et leur sécurité, le plan de relance prévoit des moyens supplémentaires à cet effet.
Messieurs de Legge et Mahéas, une amende est moins dissuasive que le retrait de points, et aussi moins équitable. Avant l’instauration du service minimum, ceux qui disposaient d’une voiture avec chauffeur pouvaient aller travailler, à la différence de ceux qui prenaient le métro. Il ne faut pas créer une discrimination par l’argent !
M. Fouché a évoqué le cas des conducteurs qui ont eu leur permis invalidé pour solde de points nul. En 2007, sur 88 000 automobilistes sanctionnés, seuls 17, soit 0,02 %, ont perdu douze fois un point !
Mme Catherine Troendle, rapporteur. Absolument !
M. Nicolas About. Je ne parle pas de ceux-là !
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. Et 107 seulement, soit 0,12 %, n’avaient commis que des infractions entraînant le retrait d’un ou de deux points, par exemple pour avoir roulé à 84 kilomètres par heure en ville, ce qui n’est pas admissible !
Enfin, il est vrai que le dispositif actuel d’harmonisation des limitations de vitesse est insuffisant. Plusieurs orateurs ont cité des exemples de brusques variations de ces limitations de vitesse sur un même axe routier. Celles-ci sont mal acceptées par les usagers de la route et s’expliquent par la grande diversité des acteurs, ce qui fait le charme de notre pays, et, parfois, par une mise en place de panneaux de signalisation pas du tout adaptée.
Outre les préfets, nombre d’élus sont compétents en matière de limitation de vitesse : les maires, au travers des arrêtés qu’ils peuvent prendre sur le territoire de leurs communes, mais aussi les présidents de conseils généraux, par les mesures qu’ils peuvent faire adopter dans leurs départements, en étant très attentifs à la réalité du réseau et en sensibilisant tous les élus pour donner des indications à cet égard.
Je m’engage donc devant la Haute Assemblée à mettre en place très rapidement des mesures concrètes pour mener à bien cette harmonisation, en collaboration avec Mme Alliot-Marie, l’ensemble des services concernés, l’Assemblée des départements de France et l’Association des maires de France. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Nicolas About. Enfin !
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. Je remercie Mme le rapporteur de l’excellent travail réalisé.
Monsieur About, le Gouvernement est sensible au problème que vous avez soulevé, mais pas à vos arguments. Il n’est donc pas favorable à l’adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. Nous avons pris note de vos engagements, monsieur le secrétaire d’État.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article additionnel avant l'article 1er
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par M. Fouché, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Après le premier alinéa de l'article L. 223-1 du code de la route, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les utilisateurs professionnels sont dotés d'un permis de conduire spécial. »
II. - L'article L. 223-6 du même code est ainsi modifié :
1° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Si le conducteur justifiant d'une nécessité absolue de détenir son permis de conduire pour des motifs liés à son activité professionnelle n'a pas commis, dans le délai d'un an à compter de la date du paiement de la dernière amende forfaitaire, de l'émission du titre exécutoire de la dernière amende forfaitaire majorée, de l'exécution de la dernière composition pénale ou de la dernière condamnation définitive, une nouvelle infraction ayant donné lieu à un retrait de un ou deux points, son permis est affecté du nombre maximal de points. » ;
2° Dans le dernier alinéa, le mot : « trois » est remplacé par le mot : « quatre ».
III. - L'article L. 223-8 du même code est ainsi modifié :
1° Dans le 1°, après les mots : « points du permis de conduire, », sont insérés les mots : « le nombre maximal de points du permis de conduire spécial pour les utilisateurs professionnels, » ;
2° Il est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« 6° Les conditions de mise en œuvre de la récupération ;
« 7° Les modalités de la procédure de demande de récupération par le titulaire du permis de conduire. »
La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Cet amendement vise à améliorer le système de récupération de points pour les professionnels de la route.
Nous sommes conscients des résultats obtenus grâce à la politique menée ces dernières années. Mais tous les conducteurs ne sont pas sur un pied d’égalité. Il semble ainsi équitable de doter, sous certaines conditions, les professionnels de la route qui justifient d’une nécessité absolue d’un permis de conduire pour travailler d’un meilleur système de récupération des points.
Cela est d’autant plus nécessaire que la menace de retrait du permis paraît disproportionnée lorsque la perte de ce dernier résulte de l’addition de fautes extrêmement légères.
C’est pourquoi cet amendement vise à permettre aux conducteurs dont l’activité professionnelle est intrinsèquement liée à la conduite d’un véhicule automobile de bénéficier d’une durée plus courte pour la récupération des points : celle-ci passerait de trois ans à un an.
Le maintien des amendes et celui du nombre total de points, qui s’ajouteront à la menace toujours réelle de perdre son permis de conduire, permettront de garantir la vigilance tout en établissant une véritable équité entre ceux qui conduisent beaucoup et ceux qui conduisent peu, les premiers courant naturellement un risque beaucoup plus grand de perdre leur permis et, par la même occasion, leur emploi, ce qui est dramatique pour eux.
Le principe de la récupération anticipée des points ne vaudrait que lorsque la perte de ceux-ci correspond à des fautes bénignes, la durée de récupération demeurant bien entendu la même pour les fautes lourdes, notamment pour les grands excès de vitesse, la conduite en état d’alcoolémie ou sous l’emprise de stupéfiants.
Il appartiendra à un décret en conseil d’État de préciser l’ensemble de ces éléments.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Troendle, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je souhaite tout d’abord rétablir certaines vérités. Ce n’est pas parce que le rapport de la commission des lois ne va pas dans le sens des attentes de M. About que celui-ci peut se permettre de porter un jugement de valeur sur le travail que j’ai réalisé : j’ai rédigé mon rapport sans tabou et sans céder au politiquement correct.
J’ai relevé des incohérences à plusieurs reprises : vous avez cité la page 21 du rapport, monsieur About ; vous auriez pu aussi mentionner la page 20, ainsi que les recommandations que j’ai formulées tout à l’heure.
La commission a travaillé avec beaucoup de sérieux et en toute indépendance d’esprit.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
Mme Catherine Troendle, rapporteur. L’amendement n° 4 tend à instaurer un permis à points particulier pour les professionnels de la route. Il reprend la proposition de loi n° 266, cosignée, entre autres, par notre collègue Jean-Paul Alduy. L’objectif est de tenir compte de la situation particulière de ces professionnels de la route, pour lesquels la possession du permis de conduire est indispensable à l’exercice de leur activité.
Ce permis à points particulier serait soumis à des règles spécifiques en matière de récupération des points. Si, dans un délai d’un an après la dernière infraction, le titulaire du permis n’a commis aucune infraction entraînant un retrait d’un ou de deux points, le permis serait crédité de douze points, à savoir le nombre maximal.
Cet amendement pose plusieurs problèmes.
Tout d’abord, il crée une inégalité difficilement justifiable entre les usagers de la route, sauf si l’on considère que ceux qui roulent le plus et qui utilisent les véhicules potentiellement les plus dangereux – je pense aux camions – doivent bénéficier d’une clémence particulière. On peut penser, au contraire, que ces usagers sont plus expérimentés, donc qu’ils conduisent mieux, et dans le respect du code de la route.
Ensuite, comment définir un utilisateur professionnel de la route ? S’agit-il seulement des transporteurs routiers et des taxis ? Ou bien faut-il également inclure dans cette catégorie les artisans, les dirigeants de PME ou toutes les personnes pour lesquelles la voiture constitue un outil de travail très important ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Sans parler des sénateurs…
Mme Catherine Troendle, rapporteur. Le débat risque donc d’être complexe, mes chers collègues.
Enfin, le dispositif qui nous est proposé soulève également des problèmes techniques. En effet, l’adoption de cet amendement permettrait à un conducteur de récupérer tous ses points en l’absence d’infraction pendant un an, y compris s’il a commis, un an et un mois auparavant, une infraction sanctionnée par un retrait de six points. Cela apparaît excessivement avantageux.
Aucune donnée ne fait état d’une explosion du nombre de retraits de permis de conduire chez les professionnels de la route. Comme l’a souligné la commission, les règles applicables à la récupération des points tendent à rééquilibrer le système. Dès lors, il n’apparaît pas utile de bouleverser les règles du jeu.
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. Monsieur Fouché, votre amendement soulève un problème qui fait fréquemment l’objet de discussions et auquel les élus sont souvent confrontés dans leur permanence.
Selon les statistiques d’accidentologie dont nous disposons, il apparaît que les professionnels de la route, par exemple les chauffeurs routiers, sont ceux qui, de manière générale, sont le plus respectueux des règles de circulation. Nous avons d’ailleurs signé des accords avec les grandes fédérations de transporteurs routiers. Certes, les accidents impliquant des camions sont souvent les plus graves et, en dépit de tous nos efforts en faveur du report modal, 85 % du trafic de marchandises dans notre pays est encore assuré par la route.
Comme l’a indiqué Mme le rapporteur, l’instauration d’un permis spécial à l’intention des professionnels de la route serait injuste. D’une part, une telle mesure introduirait une rupture du principe d’égalité des conducteurs devant la loi et pourrait, de ce fait, se révéler inconstitutionnelle. D’autre part, qui inclurait-on dans cette liste ? Les élus, les artisans, les médecins, les avocats, les étudiants, ceux qui ne disposent d’aucun moyen de transport collectif ?
Monsieur Fouché, vous êtes l’élu d’un grand département rural où, parfois, les gens n’ont pas d’autre solution que de prendre leur véhicule pour aller travailler. L’adoption de votre amendement pourrait entraîner un certain relâchement des comportements, en particulier en milieu urbain. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez bien, c’est souvent en milieu urbain, par la force de l’habitude, que l’on compte le plus grand nombre d’accidents.
Pour conclure, je citerai l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière, selon lequel l’accroissement d’un kilomètre par heure de la vitesse a pour effet d’augmenter de 4 % le nombre de tués sur les routes.
Monsieur le sénateur, votre sens de l’État et votre connaissance du terrain devraient vous conduire à retirer votre amendement. À défaut, le Gouvernement serait obligé, à regret, d’émettre un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Nicolas About, pour explication de vote.
M. Nicolas About. Je voudrais indiquer à Mme le rapporteur que, loin de porter un jugement négatif sur son rapport, j’ai trouvé celui-ci très intéressant et que j’admire par ailleurs la façon dont elle a mené ses travaux. Il n’en demeure pas moins que, tout en partageant nombre des recommandations de la commission, je suis en désaccord avec ses conclusions.
Monsieur le secrétaire d'État, le rapport de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière est devenu, en quelque sorte, mon livre de chevet et je l’ai lu avec une grande attention. Or les propos que vous venez de tenir sur l’accidentologie des poids lourds sont tout à fait inexacts. Par conséquent, je vous invite à relire les passages de ce rapport consacrés aux vitesses de circulation, de jour comme de nuit, des poids lourds, lesquels indiquent que près de 20 % de ceux-ci dépassent systématiquement les vitesses maximales autorisées.
En outre, il est très difficile d’établir des relevés de vitesse pour les poids lourds compte tenu de la complexité de la grille des limitations de vitesse qui leur est applicable en fonction de leur catégorie.
D’une manière générale, ceux-ci ne peuvent rouler à plus de 90 kilomètres par heure. Or les flashes ne se déclenchant qu’en cas de dépassement de la vitesse autorisée pour les véhicules légers, seuls les dépassements par un poids lourd de plus de 40 kilomètres par heure de la vitesse maximale autorisée sur autoroute pourra, le cas échéant, être sanctionnée.
Enfin, monsieur le secrétaire d'État, mon objectif est nullement de permettre les excès de vitesse ! Si vous décidiez de réduire à 110, à 100 ou à 90 kilomètres par heure la vitesse maximale autorisée, comme c’est notamment le cas aux États-Unis, nous adopterions la même position : nous considèrerions qu’il faut du tact et de la mesure dans toute chose. En roulant à 111 ou à 91 kilomètres par heure, les gens ne seraient pas plus dangereux qu’en roulant à 110 ou à 90 kilomètres par heure. Que l’on ne nous rende pas responsables des tués sur la route, alors que rien n’est fait pour réduire les accidents nocturnes, qui représentent 45 % des décès !
On nous dit qu’il ne faut surtout pas modifier les limitations de vitesse, alors que le rapport de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière confirme que, en moyenne, on roule plus vite la nuit que le jour.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est normal, il y a moins de circulation !
M. Nicolas About. On nous dit aussi que seuls ceux qui ont « picolé » roulent la nuit. Penser cela, c’est non seulement faire preuve d’un grand mépris envers les Français, mais c’est encore considérer que rien ne peut être fait pour réduire la vitesse moyenne de circulation la nuit. Le trafic nocturne représente 10 % du trafic total, mais il est à l’origine de 45 % des tués !
On ne fait rien, car agir coûterait trop cher ! Les actions en faveur de la sécurité routière se concentrent sur la circulation diurne, qui représente 90 % du trafic total, parce que c’est à ce moment que les forces de l’ordre peuvent le plus verbaliser. Pour ma part, je ne trouve pas cette politique très équilibrée.
Enfin, monsieur le secrétaire d'État, je relèverai une autre inexactitude dans ce que vous avez dit. Effectivement, ceux dont le permis a été supprimé sont souvent amenés à rouler avec un deux-roues. Or le trafic des deux-roues représente 1 % du trafic global, mais 14 % des décès. Le retrait des permis de conduire n’est donc pas forcément une solution.
Je reviendrai, au cours de la discussion des articles suivants, sur les autres observations que vous avez faites.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. Monsieur About, le Gouvernement n’entend pas modifier les règles en permanence.
M. Nicolas About. On l’a vu avec le CPE !
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. Des voix se font toujours entendre pour que soit abaissé le taux maximal autorisé d’alcool dans le sang, pour que soit réduite la vitesse maximale en ville et sur les routes, respectivement à 40 et à 80 kilomètres par heure… Or le Président de la République, le Premier ministre et l’ensemble du Gouvernement estiment que les règles sont désormais comprises par l’ensemble des Français…
M. Nicolas About. Non !
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. …et qu’il importe de les faire appliquer strictement. Notre politique en matière de sécurité routière est établie et nous n’avons pas l’intention de changer constamment les règles du jeu, ni dans un sens ni dans l’autre. Lorsque nos concitoyens auront adopté les bons reflexes, nous aurons gagné !
Tout affaiblissement des règles conduirait à augmenter le nombre des morts. Nous n’irons pas dans cette direction !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Très bien !
M. le président. Monsieur Fouché, l'amendement n° 4 est-il maintenu ?
M. Alain Fouché. Oui, je le maintiens, monsieur le président.
Dans mon esprit, les professionnels de la route sont non pas les étudiants, mais, par exemple, les chauffeurs routiers ou les chauffeurs de taxi, pour lesquels il conviendrait de prévoir des dispositions spécifiques.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mahéas, pour explication de vote.
M. Jacques Mahéas. Je comprends bien l’argumentation de l’auteur de cet amendement. À l’évidence, les professionnels de la route ont absolument besoin de leur permis de conduire pour travailler. Toutefois, il me semble que l’on est en droit d’attendre de leur part une plus grande prudence que celle que l’on attend d’un simple conducteur. Leur permis de conduire, c’est leur gagne-pain, et ils en sont très conscients.
Il est fait référence à l’addition de fautes dites « bénignes », par exemple un dépassement de moins de 30 kilomètres par heure de la vitesse autorisée, ou à une accumulation, sur de courtes distances, de panneaux de signalisation indiquant différentes vitesses maximales autorisées. Ces situations sont réelles, mais elles devraient faire l’objet de discussions avec les collectivités territoriales, ce qui serait une innovation.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. Jacques Mahéas. Comme je l’ai dit au cours de la discussion générale, des anomalies rendent les règles incompréhensibles et, mécaniquement, difficilement observables.
M. Nicolas About. Absolument !
M. Jacques Mahéas. Je suis heureux que M. le secrétaire d'État ait annoncé une amélioration de la concertation. Cela prouve que l’on peut tout de même faire évoluer un peu les normes, même si elles sont d’ordre réglementaire. Je crois d’ailleurs que c’est la volonté de chacun dans cet hémicycle.
Toujours est-il que 30 kilomètres par heure de moins, ce n’est pas rien ! La solution consiste donc à revoir les panneaux de limitation de vitesse et à faciliter la récupération des points.
La création d’un permis de conduire spécial et la réduction de trois ans à un an de la durée nécessaire pour récupérer ses points sont des solutions qui soulèvent plus de problèmes qu’elles n’en résolvent. Ce serait la porte ouverte à de nombreuses demandes. Je pense au simple particulier qui habite la campagne et qui travaille à 60 kilomètres de son domicile, sans transport en commun. Ce genre de situation est courant, et il est alors indispensable d’avoir un permis de conduire, sauf à utiliser une mobylette. Pour autant, on ne peut pas parler de professionnel de la route.
M. Nicolas About. De nombreux ouvriers le font !
M. Jacques Mahéas. Monsieur About, nous vivons dans un monde que nous espérons être de confort. On peut effectivement aller au travail à bicyclette ou en patins à roulettes, mais c’est plus difficile ! (Sourires.)
M. Nicolas About. Ces situations sont fréquentes ! Cela ne me fait pas rire !
M. Jacques Mahéas. Moi non plus !
M. Nicolas About. Il n’y a pas que des énarques !
M. Jacques Mahéas. J’ai connu dans mon conseil municipal un jeune énarque qui se rendait à la gare du RER en patins à roulettes ! Pour autant, cette personne n’est pas un professionnel de la route, comme le sont les chauffeurs routiers ou les chauffeurs de taxi.
L’adoption de cet amendement ne manquerait pas de provoquer un appel d’air pour d’autres demandes, tout aussi légitimes humainement et économiquement.
Ensuite, une telle dérogation me paraîtrait contre-productive pour la sécurité routière. Une dynamique se met en place progressivement. Il convient de ne pas la briser en créant, de manière quelque peu arbitraire, des droits spécifiques au profit de certains.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 4.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 142 :
Nombre de votants | 318 |
Nombre de suffrages exprimés | 271 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 136 |
Pour l’adoption | 15 |
Contre | 256 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Article 1er
Après l'article L. 223-8 du code de la route, il est inséré un article L. 223-9 ainsi rédigé :
« Art. L. 223-9. - Toute contravention résultant d'un dépassement de la vitesse maximale autorisée de moins de 5 km par heure ne peut pas donner lieu à une réduction du nombre de points du permis de conduire.
« L'application de l'alinéa précédent entraîne la restitution immédiate des points retirés sur le permis de conduire des automobilistes, qui ont fait l'objet d'une telle sanction, sous réserve qu'ils se soient acquittés au préalable de l'amende forfaitaire correspondante, fixée par décret pris en Conseil d'État, en application de l'article L. 529 du code de procédure pénale. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 5, présenté par M. Mahéas et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jacques Mahéas.
M. Jacques Mahéas. Je me suis déjà longuement exprimé sur ce sujet lors de la discussion générale.
L’article 1er vise à supprimer la réduction d'un point du permis de conduire lorsque l'excès de vitesse ne dépasse pas la vitesse maximale autorisée de cinq kilomètres par heure, mais il maintient l'amende forfaitaire de 45 euros.
Une différence de cinq kilomètres ajoutée à la marge technique de cinq kilomètres ferait que le dépassement des limitations de vitesse ne serait sanctionné qu'à partir de 10 kilomètres au-dessus de la vitesse autorisée.
La suppression du retrait de points créerait une inégalité entre les conducteurs ayant les moyens financiers d'acquitter de nombreuses amendes et les autres.
En outre, l'expérience démontre qu'en matière de répression des contraventions routières l'amende est beaucoup moins dissuasive que le retrait de points.
Une telle proposition ne diffuse pas un bon message, surtout au moment des grands week-ends de printemps et peut entraîner une hausse du nombre des accidents. En effet, des études indiquent qu'une élévation, même minime, de la vitesse induit une augmentation du nombre de morts et que les très petits excès de vitesse sont une cause importante d'accidents.
Telles sont les raisons qui motivent notre volonté de supprimer l’article 1er, lequel ouvrirait une brèche dans une politique qui porte peu à peu ses fruits.
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par M. About, est ainsi libellé :
Supprimer le second alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 223-9 du code de la route.
La parole est à M. Nicolas About.
M. Nicolas About. Cet amendement vise à supprimer le dispositif de rétroactivité prévu à l’article 1er, parce que j’ai bien conscience que cette rétroactivité pourrait constituer un motif de rejet de l’ensemble de l’article.
Dans ces conditions, me direz-vous, pourquoi avoir prévu une telle mesure ? En fait, je m’étais appuyé sur les jugements rendus par plusieurs tribunaux.
Le tribunal de Saint-Dié a considéré qu’il était illégal que les radars soient fabriqués et contrôlés par une seule entreprise, en l’occurrence la Sagem.
Le tribunal de Vesoul a estimé que la grande légèreté – restons corrects – avec laquelle les forces de l’ordre installent certains radars mobiles aboutit à des erreurs considérables, qui peuvent aller de 4 % à 30 %, voire plus, sur le kilométrage constaté.
Ces tribunaux ont donc supprimé les amendes de ceux qui, pardonnez-moi, mon cher collègue, avaient assez d’argent pour aller devant les tribunaux.
C’est là l’iniquité ! Les riches peuvent se permettre d’engager un recours, de supporter la consignation d’une somme plus importante que celle de l’amende, de prendre un avocat afin d’éviter la condamnation. Et, lorsqu’ils gagnent, ils récupèrent des points anciens, parce que la procédure laisse courir les délais.
Mais, mes chers collègues, lorsqu’ils obtiennent satisfaction du tribunal, cela ne vaut que pour eux.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Bien sûr !
M. Nicolas About. Le tribunal n’annule pas, pour les autres contrevenants, les retraits de points et amendes qui ont été prononcés dans l’illégalité la plus totale.
Lorsque l’on constate que des forces de l’ordre n’ont pas opéré correctement ou qu’elles ont eu recours à des dispositifs illégaux, pourquoi n’annule-t-on pas toutes les contraventions ? C’est tout à fait scandaleux !
C’est ce que l’on appelle la justice à deux vitesses : les riches peuvent s’en sortir, mais les pauvres, qui n’étaient pas des contrevenants et qui ont été flashés à tort, sont tenus de payer leurs amendes et se voient en outre retirer des points.
Comme je l’ai indiqué à la tribune tout à l’heure, il n’y a plus que les conducteurs honnêtes, les grands naïfs ou ceux qui sont trop pauvres pour pouvoir se défendre qui, aujourd’hui, tombent sous le coup de la loi que nous avons mise en place.
Monsieur le secrétaire d’État, je vous transmettrai, si vous le souhaitez, l’ensemble des instructions écrites délivrées par les commissaires de police. Elles donnent exactement, pour 2009, le nombre d’interpellations auxquelles il faut procéder, le nombre de contraventions qui doivent être délivrées pour infractions au code de la route, le nombre de délits pour défaut de permis de conduire, de refus d’obtempérer qu’il faut constater ; il faut donc se débrouiller pour que la personne refuse d’obtempérer ! Pour le secteur considéré, le nombre de refus d’obtempérer devait être de quarante-cinq en 2003 et le nombre de timbres-amendes pour infractions au code de la route, hors stationnement, devait être de deux cent trente. À qui veut-on faire croire que les forces de l’ordre ne reçoivent pas de directives ?
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Les arguments que vient d’évoquer M. About m’inspirent quelques observations.
D’abord, il n’y a pas de jurisprudence définitive tant que la Cour de cassation ne s’est pas prononcée. Vous savez mieux que quiconque, monsieur About, qu’une décision de justice ne constitue pas un précédent.
M. Nicolas About. Je le sais !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous semblez le contester !
M. Nicolas About. Je ne le conteste pas, je constate !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est notre état de droit ! La décision d’un tribunal ne vaut que pour l’affaire qui a été jugée.
M. Nicolas About. Et tous les autres condamnés ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. On dit beaucoup de choses qui ne sont pas vérifiées.
M. Nicolas About. Comment ?...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Certains tribunaux ont estimé qu’il y avait une incertitude et ils ont donc décidé de ne pas prononcer de condamnation. Ainsi en est-il pour les radars, car c’est la même entreprise qui fabrique et qui contrôle.
M. Nicolas About. C’est illégal !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais cela ne veut pas dire que les mesures des radars soient fausses !
M. Nicolas About. C’est illégal, c’est tout !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est illégal du point de vue du tribunal de Vesoul et de celui de Saint-Dié !
M. Nicolas About. Le jugement du tribunal de Vesoul concerne la légèreté des forces de l’ordre !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Monsieur About, vous affirmez vouloir rétablir l’égalité ! En fait, avec votre dispositif, vous établissez une inégalité nouvelle selon que le contrevenant peut, ou non, payer des amendes.
L’égalité vaut pour tous les citoyens ! Cet argument s’appliquait également à l’amendement de M. Alain Foucher. La meilleure façon d’éviter amendes et retraits de points, c’est de respecter parfaitement le code de la route.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Troendle, rapporteur. La commission n’ayant pas adopté l’article 1er, elle ne peut qu’être favorable à l’amendement de suppression no 5.
L’amendement no 1 tend à supprimer la rétroactivité en matière d’annulation des retraits de points pour les excès de vitesse de moins de cinq kilomètres à l’heure. La rétroactivité est en pratique quasi impossible à mettre en œuvre et fragiliserait tout le dispositif du permis à points.
La commission n’ayant pas adopté cette mesure pour des raisons de fond qui ont été précédemment développées, elle est défavorable à cet amendement, qui ne modifie pas fondamentalement la portée du présent article.
Comme l’a indiqué M. le président de la commission des lois, si l’article 1er était adopté, il en résulterait une nouvelle injustice ; je tiens à le redire en cet instant, car il faut que ce soit clair pour tout le monde.
Pour les conducteurs qui disposent de moyens financiers, l’amende ne sera pas dissuasive : pour eux, la vitesse maximale autorisée sera donc systématiquement de cinq kilomètres supérieure à la limitation réelle. Les autres, les plus défavorisés, ceux qui n’ont pas les moyens de payer des amendes, seront pénalisés dès le départ. Il y aura donc deux statuts de conducteurs.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. Comme nous l’avons tous appris à l’école primaire, cinq plus cinq égalent dix. Il existe déjà une marge de cinq kilomètres. Si l’on supprime le retrait de points pour les dépassements de moins de cinq kilomètres de la vitesse maximale autorisée, on arrive, en fait, à une tolérance de dix kilomètres. Or, je le rappelle, un kilomètre de plus, ce sont plusieurs centaines de vies en moins.
Par voie de conséquence, je suis favorable à l’amendement no 5 de suppression de l’article 1er et défavorable à l’amendement no 1.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 5.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 143 :
Nombre de votants | 310 |
Nombre de suffrages exprimés | 304 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 153 |
Pour l’adoption | 255 |
Contre | 49 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l’article 1er est supprimé et l’amendement no 1 n’a plus d’objet.
Article 2
Après l'article L. 412-2 du même code, il est inséré un article L. 412-3 ainsi rédigé :
« Le fait, pour tout conducteur, de ne pas porter la ceinture de sécurité, ne peut être sanctionné que par une amende dont le montant est défini par décret pris en conseil d'État. »
M. le président. L'amendement n° 6, présenté par M. Mahéas et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jacques Mahéas.
M. Jacques Mahéas. Cet article supprime la réduction de points du permis de conduire en cas de non-port de la ceinture de sécurité par le conducteur. Il maintient l'amende seule de 135 euros au motif qu'il y a des abus de verbalisation et que, à grande vitesse, la ceinture de sécurité ne constitue pas une garantie efficace en cas d'accident.
Contrairement à ces affirmations, les études montrent que 20 % des conducteurs non ceinturés impliqués dans un accident ont été tués, alors que moins de 2 % des conducteurs ceinturés ont péri. Il est vrai que je ne connais pas la distinction entre petite et grande vitesse ; je ne sais pas s’il y a des statistiques en la matière.
M. Nicolas About. Il y en a !
M. Jacques Mahéas. Par ailleurs, ces contrevenants prennent le risque de faire peser des frais de santé sur la société quand ils sont blessés.
Enfin, à la suite de la réduction de points du permis, le port de la ceinture de sécurité par le conducteur a beaucoup progressé : à la campagne, le taux est passé, entre 1997 et 2007, de 94 % à 98,6 % ; en ville, il est passé de 69 % à 96 %. À l'arrière du véhicule, le taux tourne entre 77 % et 85 %. Ces progrès doivent être encouragés et il ne faut pas casser cette dynamique.
Je suis d’accord avec M. About quand il dit qu’il est anormal de permettre à certaines catégories de personnes de ne pas porter la ceinture de sécurité. Il faudrait peut-être examiner de près les taux de blessés ou de tués observés dans ces professions.
M. Nicolas About. Ce serait effectivement intéressant ! Si les taux étaient identiques, cela signifierait que le port de la ceinture ne sert à rien !
M. Jacques Mahéas. Quoi qu’il en soit, nous souhaitons supprimer cet article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Troendle, rapporteur. Cet amendement de suppression va tout à fait dans le sens de la position de la commission des lois, qui n’a pas adopté cet article.
Par conséquent, la commission émet un avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. Le Gouvernement est également favorable à cet amendement de suppression.
La troisième cause de mortalité, après l’alcool et la vitesse, c’est le défaut de port de ceinture de sécurité, et le risque d’être tué est doublé dans ce cas. Les jeunes enfants sont très vulnérables : un choc sans ceinture à une vitesse de 20 kilomètres par heure peut leur être fatal. Les statistiques montrent que, malgré tous nos efforts, un enfant sur dix n’est pas attaché, et sept sur dix le sont mal.
L’an dernier, quatre cents vies auraient pu être sauvées si tous les conducteurs et leurs passagers avaient mis la ceinture de sécurité. Toute mesure qui engendrerait un relâchement des comportements se traduirait par une augmentation du nombre de victimes. Nous ne le voulons pas !
C’est pourquoi le Gouvernement émet un avis favorable.
M. le président. La parole est à M. Nicolas About.
M. Nicolas About. Je regrette infiniment que Mme le rapporteur n’ait pas déposé, comme c’était son intention initialement, un amendement visant à limiter la sanction, en cas de non-port de la ceinture, à la perte d’un seul point.
Mme Catherine Troendle, rapporteur. C’est d’ordre réglementaire !
M. Nicolas About. La loi a pourtant fixé à plusieurs reprises le nombre de points perdus ! Vous l’avez d’ailleurs fait en commission des lois voilà un an.
Il s’agit, comme l’a rappelé la Cour européenne des droits de l’homme, d’une sanction pénale, qui relève donc du législateur. Il ne faut pas baisser la garde, même si, je le répète, la ceinture de sécurité n’assure aucune protection à grande vitesse et peut même être la cause de la mort.
La ceinture de sécurité est particulièrement utile dans les agglomérations et à une vitesse inférieure à 70 kilomètres par heure. Curieusement, M. le secrétaire d’État a pris un décret permettant de transgresser cette règle en ville pour tous ceux qui roulent beaucoup ; la majorité des Français ne font que cinquante minutes de voiture par jour.
Il y a donc là un paradoxe : les personnes qui roulent toute la journée sont dispensées du port de la ceinture de sécurité. Il serait très intéressant, effectivement, de savoir si, parmi ces conducteurs, le nombre de blessés graves ou de tués est plus important. Dans le cas contraire, cela démontrerait que le port de la ceinture de sécurité est inutile. Cette étude n’a pas dû être effectuée. Sinon, je suppose que M. le secrétaire d’État aurait immédiatement modifié son décret pour imposer à tous le port de la ceinture de sécurité. Car on ne peut pas imaginer qu’il veuille faire courir un risque de mort à ces professionnels qui passent leur temps sur la route ; je pense aux livreurs, aux coursiers qui portent des plis, aux ambulanciers, aux chauffeurs de taxi…
M. le secrétaire d’État a rappelé l’importance de la ceinture de sécurité pour les enfants. Or c’est aussi un décret ministériel qui permet aux enfants de ne pas satisfaire à cette obligation dans les taxis. Un siège adapté permettant de rehausser l’enfant et d’assurer sa sécurité pourrait pourtant être imposé dans les taxis. Manifestement, cela ne paraît pas utile. Je suis très étonné !
Je ne demande pas la suppression totale de la réduction de points : je me serais contenté du retrait d’un point et d’une amende de 135 euros, ce qui est déjà beaucoup, sans parler de ceux qui n’ont pas les moyens d’engager un recours devant les tribunaux.
Mes chers collègues, faites bien attention à ne pas emmener vos enfants lorsque vous prenez un taxi, car M. le secrétaire d’État accepte que leur sécurité n’y soit pas assurée ! (M. le secrétaire d’État fait un signe de dénégation. – Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 6.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 144 :
Nombre de votants | 314 |
Nombre de suffrages exprimés | 307 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 154 |
Pour l’adoption | 280 |
Contre | 27 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l’article 2 est supprimé.
Article 3
Après l'article L. 413-5 du même code, il est inséré un article L. 413-6 ainsi rédigé :
« La vitesse de nuit sur l'ensemble du réseau est réduite dans des conditions définies par décret pris en Conseil d'État. Elle ne peut être supérieure à la vitesse limitée par temps de pluie. »
M. le président. L’amendement n° 3, présenté par M. Fouché, a été retiré.
L'amendement n° 7, présenté par M. Mahéas et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jacques Mahéas.
M. Jacques Mahéas. J’ai l’impression de faire le travail de la majorité ! (Sourires.)
Cet article prévoit de réduire la vitesse pour le conducteur qui circule de nuit dans les mêmes conditions qu'en temps de pluie ou de brouillard au motif que, la nuit, les vitesses moyennes sont plus élevées que dans la journée et que les dépassements de vitesse sont supérieurs.
J’ai été sensible aux propos de M. About, je dois le reconnaître. Mais les études montrent que la surmortalité la nuit s'explique essentiellement par la surconsommation d’alcool ; nous ne sommes pas d’accord sur ce point. Je dis non pas que, globalement, ceux qui roulent de nuit conduisent plus vite, mais que les accidents sont plutôt liés à un problème d’alcoolémie.
M. Nicolas About. C’est la même chose le jour !
M. Jacques Mahéas. En effet !
Il est donc préférable de s'attaquer à la vraie source du risque, en multipliant les contrôles d'alcoolémie et de stupéfiants la nuit, lesquels sont rares. Ce dispositif serait plus approprié que l’instauration d'autres limitations de vitesse.
Telles sont notamment les raisons qui motivent cet amendement de suppression.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Troendle, rapporteur. Cet amendement de suppression va également dans le sens de la position de la commission des lois, qui n’a pas adopté cet article.
Par conséquent, la commission émet un avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. Je fais miens les propos de M. Mahéas.
Le Gouvernement ne souhaite pas passer son temps à modifier des règles qui sont connues des Français. Depuis 2002, les comportements, les réflexes sont en train de changer. Faisons appliquer strictement les normes en vigueur sans en ajouter de nouvelles.
C’est pourquoi le Gouvernement est favorable à l’amendement de suppression.
M. le président. La parole est à M. Nicolas About, pour explication de vote.
M. Nicolas About. Monsieur le secrétaire d’État, vous dites qu’il ne faut pas changer les règles. Or cela s’est déjà produit de nombreuses fois depuis plusieurs années, notamment voilà un an ! Mais lorsque nous proposons un changement, peut-être parce que nous sommes un groupe minoritaire, on nous oppose cet argument. Chacun en tirera les conclusions !
Dans ma Bible, le rapport de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière, il est dit que les vitesses moyennes pratiquées de nuit sont toujours supérieures à celles de jour. Et si le trafic de nuit ne représente que 10 % du trafic, il est responsable de 45 % des tués sur la route, sans parler des blessés. Pourtant, on me répond : « Circulez, il n’y a rien à voir ! » Il n’y a surtout pas à légiférer.
J’ai le sentiment que cette question mérite une autre réponse. On parle de six kilomètres par heure de plus ; or on nous a dit tout à l’heure qu’un kilomètre par heure de plus augmentait de 4 % le nombre de tués. Mais tout le monde s’en moque parce qu’il faudrait modifier la réglementation en vigueur !
Nous ne cherchons pas à faciliter les excès de vitesse. Nous disons simplement qu’à la vitesse fixée il faudrait respecter l’épaisseur du trait, parce qu’aucune voiture n’est dotée d’équipement permettant au conducteur de contrôler la vitesse à laquelle il roule. Par conséquent, tolérer un dépassement d’un ou deux kilomètres par heure, ce serait introduire du bon sens dans la loi et arrêter d’être aveugle, comme le disait Yves Détraigne tout à l’heure.
S’il existe réellement un problème la nuit, comme l’affirment l’Observatoire et la sécurité routière, eh bien ! imposons une diminution des vitesses !
Nous avons la possibilité de réduire de façon considérable le nombre de tués. J’avais cru, tout à l’heure, que c’était l’objectif premier, car on m’a dit ceci : avec l’article 1er, vous allez inciter les gens à rouler plus vite, vous allez donc augmenter le nombre de tués et vous en serez responsable ; avec l’article 2, vous voulez empêcher que l’on supprime des points en cas de non-port de la ceinture de sécurité, vous aurez également des morts sur la conscience. Et avec l’article 3, qui concerne la vitesse de nuit, il ne faudrait rien faire, bien que ce soit à ce moment-là que l’on roule trop vite, comme l’indique l’Observatoire !...
J’ai voulu aller jusqu’à l’article 3 pour que chacun comprenne qu’il ne s’agit pas d’un problème de sécurité publique. Il faut s’en tenir à la situation actuelle et ne rien changer. Cela donne satisfaction à tout le monde et, surtout, on ne sanctionne que les comportements humains et non l’absence d’action du Gouvernement ou, éventuellement, des collectivités territoriales : on punit uniquement les conducteurs qui se trouvent dans des situations un peu limites. C’est dommage, parce que, dans les départements ou les régions où l’on a accompli des efforts d’aménagement, par exemple en Bretagne, on a trois fois moins de risques de se tuer sur la route.
Souvenons-nous des carnages sur les routes nationales quand celles-ci relevaient de la responsabilité de l’État ! Depuis qu’elles ont été confiées aux départements, ces routes nationales ont été aménagées et il y a moins de morts. Mais on évite de le dire, car ce serait montrer du doigt tout ce qui n’était pas fait à l’époque et qui est réalisé aujourd’hui par les collectivités territoriales.
Il n’est pas bon d’avoir raison trop tôt, mais je suis certain que nous délibérerons de nouveau sur ces sujets, que cela plaise ou non, car 71 % des Français n’y comprennent plus rien, se sentent grugés, et ils ont raison.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. Monsieur About, il se trouve que l’un des commissaires du Gouvernement présents est membre de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière. Par conséquent, il connaît bien les chiffres.
En 2007, la vitesse moyenne des véhicules relevée sur les autoroutes était de 120 kilomètres par heure le jour et de 115 kilomètres par heure la nuit. La vitesse moyenne des véhicules relevée sur les routes nationales était de 82 kilomètres par heure le jour et de 82 kilomètres par heure la nuit. Vous avez raison sur un point seulement : la vitesse moyenne des véhicules en agglomération est de 53 kilomètres par heure le jour et de 58 kilomètres par heure la nuit.
Par ailleurs, je voudrais vous donner lecture de la dernière circulaire de Mme le ministre de l’intérieur aux forces de l’ordre : « Je vous demande de concentrer les contrôles des forces de l’ordre sur les accès et horaires correspondant à la majeure partie des accidents dans lesquels les jeunes trouvent la mort, en particulier le week-end et la nuit. »
M. Alain Gournac. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Nicolas About.
M. Nicolas About. Je vais vous donner lecture de la page 140 du rapport de l’Observatoire :
« Vitesses pratiquées de nuit par les voitures de tourisme : […]
« On constate également que mis à part les autoroutes de liaison où les vitesses moyennes sont inférieures de 5 km/h, les centres-villes d’agglomérations moyennes et les routes nationales où elles sont égales, les vitesses moyennes pratiquées de nuit sont toujours supérieures aux vitesses pratiquées de jour, l’écart le plus important en valeur absolue concernant les routes de dégagement (+6 km/h) puis les traversées des petites agglomérations par les routes nationales (+5 km/h) et enfin les voies d’entrée/sortie des agglomérations (+4 km/h). »
Pardonnez-moi, je ne suis que médecin, mais je sais encore lire le français ! Ou alors, il y a deux rapports : celui que l’on distribue aux parlementaires et celui que l’on remet au ministre. On n’a pas le droit de se moquer des parlementaires !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 7.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 145 :
Nombre de votants | 318 |
Nombre de suffrages exprimés | 312 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 157 |
Pour l’adoption | 285 |
Contre | 27 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l’article 3 est supprimé.
La parole est à M. Nicolas About.
M. Nicolas About. Après ces trois votes par scrutin public, il est clair que la demande du Gouvernement a été entendue par sa majorité (Exclamations.) ; pardonnez-moi, par une majorité. Je n’en ai pas l’habitude ! (Rires.)
M. Jacques Mahéas. Nous non plus !
M. Nicolas About. Mais il est vrai que l’on retrouve nombre de vos amis au Gouvernement !
Une majorité a décidé qu’il ne fallait rien changer et qu’il n’y avait donc pas lieu de légiférer. Pour ma part, je pensais qu’il fallait moins de tués la nuit sur les routes, que l’on pouvait introduire un peu de mesure, de bon sens et d’humanité. Ce n’est pas possible ! Par conséquent, je ne défendrai pas les articles suivants, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Dans ces conditions, nous renonçons à demander des scrutins publics sur les prochains articles, monsieur le président.
Article 4
Dans le I de l'article L. 324-2 du même code, après les mots : « est puni de 3 750 euros d'amende » sont insérés les mots : « et le retrait de trois points du permis de conduire ».
M. le président. L'amendement n° 8, présenté par M. Mahéas et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jacques Mahéas.
M. Jacques Mahéas. Cet amendement est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Troendle, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, l'article 4 est supprimé.
Article 5
Le II de l'article L. 324-2 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« 8° - La vente du véhicule dont le condamné s'est servi pour commettre l'infraction, s'il en est le propriétaire. Le fruit de la vente est reversé au profit du fonds de garantie automobile institué par l'article L. 420-1 du code des assurances. »
M. le président. L'amendement n° 9, présenté par M. Mahéas et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jacques Mahéas.
M. Jacques Mahéas. Cet amendement est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Troendle, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, l'article 5 est supprimé.
Article 6
L'article L. 211-1 du code des assurances est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les contrats d'assurance couvrant la responsabilité mentionnée aux premier et deuxième alinéas du présent article continuent à produire leurs effets, jusqu'à leur date d'échéance, lorsque l'assuré a perdu la totalité des points de son permis de conduire, dont plus de la moitié en application du 4° du III de l'article R. 413-14 du code de la route. »
M. le président. L'amendement n° 10, présenté par M. Mahéas et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jacques Mahéas.
M. Jacques Mahéas. Cet amendement est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Troendle, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, l'article 6 est supprimé.
Article 7
Après l'article L. 211-7 du même code, il est inséré un article L. 211-7-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 211-7-1. - À la date d'échéance du contrat, et au moment de son renouvellement, l'assureur vérifie auprès de l'assuré que celui-ci est toujours titulaire du permis de conduire. Il lui demande, simultanément au versement de la prime ou de la cotisation, la production d'un certificat de détention du permis de conduire, établi depuis moins d'un mois par la préfecture de son département de résidence. »
M. le président. L'amendement n° 11, présenté par M. Mahéas et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jacques Mahéas.
M. Jacques Mahéas. Cet amendement est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Troendle, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, l'article 7 est supprimé.
Tous les articles de la proposition de loi ayant été successivement supprimés, il n’y a pas lieu de procéder à un vote sur l’ensemble.
La proposition de loi est rejetée.
La parole est à M. Nicolas About.
M. Nicolas About. Je souhaite simplement remercier tous ceux qui ont participé à ce débat, ainsi que Mme le rapporteur pour le travail qu’elle a accompli. Je regrette cependant que l’on ait donné la preuve que, malheureusement, l’ordre du jour réservé aux parlementaires ne leur permet pas de faire avancer un certain nombre d’idées.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Si !
M. Nicolas About. Non, indépendamment de ma proposition de loi, il n’y a pas eu la moindre suggestion de nature à répondre à certaines préoccupations en matière de sécurité routière.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Monsieur About, soit les propositions de loi, d’où qu’elles viennent, font l’objet d’un consensus – cela arrive – et la commission peut alors proposer des modifications afin de les améliorer, soit la commission n’est pas d’accord sur l’essentiel, auquel cas on discute en séance publique des textes tels qu’ils sont rédigés. C’est à la fois respecter l’auteur de la proposition de loi et permettre le débat !
Par ailleurs, la médiatisation, soutenue par des sondages, était très réussie... Nous avons réellement débattu de cette question ! Que l’on n’aboutisse pas aux mêmes conclusions me semble logique.
M. Nicolas About. Je ne l’ai pas demandé !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je tenais à apporter ces précisions. Nous avons respecté vos intentions, monsieur About, contrairement à ce que vous pourriez penser, et nous n’avons eu aucun mépris pour votre proposition de loi ; simplement, nous ne l’approuvons pas.
M. Nicolas About. J’espère que vous n’y reviendrez pas dans un an ou deux, comme vous l’avez fait l’année dernière !
M. le président. La parole est à M. Jacques Mahéas.
M. Jacques Mahéas. Une majorité de notre assemblée s’est prononcée contre ce texte, mais ce n’est pas « la » majorité : le groupe socialiste est fondamentalement dans l’opposition. (Sourires.)
M. Alain Gournac. Il est au service de la République !
M. Jacques Mahéas. Je le dis de façon générale : on peut se retrouver sur un texte !
Je voudrais tout de même faire observer à la majorité qu’il ne faut pas tout s’approprier. De nombreux orateurs ont déclaré qu’à partir de 2002 tout avait été extraordinaire. Ce n’est pas vrai ! Je rappelle que le permis à points a été créé en 1992, sous le Gouvernement de Pierre Bérégovoy.
M. Jacques Mahéas. Cette mesure ne fut pas très populaire et elle entraîna quelques difficultés aux élections suivantes.
Pour ma part, j’ai défendu bec et ongles, très régulièrement, la baisse du taux d’alcoolémie toléré, au Sénat comme à l’Assemblée nationale, à l’époque où j’étais député. Je ne suis pas complètement d’accord avec M. le secrétaire d’État : M. About a lancé des pistes de réflexion et des améliorations sont encore possibles.
En effet, alors que ce gouvernement chamboule beaucoup de choses – d’une manière qui n’est, à mon avis, guère constructive –, il serait paradoxal de considérer que, en matière de sécurité routière, les règles sont immuables.
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Catherine Troendle, rapporteur. Comme je l’ai déjà souligné dans mon intervention liminaire, ce texte a le grand mérite de nous amener à prendre position sur la question de l’acceptabilité de la politique de sécurité routière menée depuis 2002.
Monsieur le secrétaire d'État, je souhaite vivement que les questions que j’ai soulevées puissent trouver une réponse. J’apprécierais que vous vous engagiez sur ce point.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. Il sera naturellement tenu compte des observations formulées par les différents intervenants. Nous engagerons notamment une réflexion sur l’harmonisation des vitesses.
Quelles que soient les différences d’analyse, une unanimité s’est exprimée en faveur d’une politique forte en matière de sécurité routière.
M. Nicolas About. Tout à fait !
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. En tant qu’élus, nous sommes tous confrontés au drame que vivent les familles de victimes d’accidents de la route.
Même si je ne partage pas le point de vue de M. About, je tiens à le remercier, au nom du Gouvernement, d’avoir engagé ce débat de qualité, qui a permis d’aborder un certain nombre de questions intéressant nos compatriotes. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
9
Aides publiques aux entreprises
Rejet d'une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, présentée par M. Robert Hue et ses collègues du groupe CRC-SPG, relative à l’évaluation et au contrôle de l’utilisation des aides publiques aux entreprises, aux banques et aux établissements financiers (nos 239 et 378).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Robert Hue, auteur de la proposition de loi.
M. Robert Hue. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 19 février dernier, devant la montée du mouvement social et l’exigence grandissante, au sein de l’opinion, d’un contrôle des aides publiques aux entreprises, le Président de la République a déclaré : « Plus que jamais, le dialogue social est nécessaire. Désormais, les organisations syndicales seront associées aux opérations de restructuration dans les entreprises. Elles participeront aussi au contrôle des aides publiques. […] C’est une transparence que nous devons aux contribuables. »
C’était déjà, précisément, dans cet esprit que la loi relative au contrôle des fonds publics accordés aux entreprises avait été votée en janvier 2001. Sous la pression du patronat, elle fut abrogée, avec zèle, par la majorité de droite du Sénat dès décembre 2002. Pourtant, alors que nous assistons aujourd’hui à une véritable fuite en avant en matière d’aides publiques aux entreprises et aux établissements financiers et que, malgré la crise, les entreprises du CAC 40 ont vu leurs bénéfices augmenter de plus de 12 % en 2008, il serait plus que jamais nécessaire qu’une loi pertinente et efficace permette d’assurer la transparence, ainsi que le contrôle et l’intervention des organisations syndicales, des représentants des élus et de l’État. Tel est le sens de la proposition de loi que nous vous soumettons, mes chers collègues.
Je vous propose d’examiner ce texte à l’aune de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, en particulier de son article XV : « La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration. »
Que nous dit ce texte fondateur de l’État de droit dans notre pays ? Que lever l’impôt est une nécessité, qu’il est légitime que la charge publique soit justement répartie, que ceux qui ont plus paient plus, tandis que ceux qui ont moins paient moins. Il est tout aussi légitime que le peuple, la société dans son ensemble, sache à quoi servent les impôts recouvrés, étant entendu que les modalités de fixation des droits et de recouvrement sont déterminées par la loi.
C’est dans ce cadre – faut-il le souligner ? – que nous pouvons aujourd’hui appréhender le contrôle parlementaire de la dépense publique.
Toutefois, la dépense publique revêt des formes de plus en plus complexes, et les aides publiques aux entreprises ne présentent pas toujours le caractère d’une dépense. Qui peut avoir à craindre la clarté et la transparence ? Que pourrait fonder, selon vous, monsieur le rapporteur, une sorte d’a priori purement idéologique selon lequel demander la transparence dans l’utilisation de l’argent public témoigne d’une suspicion à l’égard de ceux qui bénéficient de ce dernier ?
Il est légitime que le régisseur d’un poste de recettes du Trésor public rende des comptes sur sa gestion, comme il est légitime que le responsable d’une association ou d’une collectivité subventionnée produise tout élément d’appréciation de la situation de son organisme. Je crois que personne ici ne voit en ces contrôles la manifestation d’une quelconque suspicion.
Mes chers collègues, la présente proposition de loi peut être interprétée comme la manifestation d’un tout aussi légitime souci de transparence en matière d’utilisation de l’argent public.
Que vous ayez supposé, monsieur le rapporteur, que nous considérons avec suspicion les entreprises bénéficiaires de l’argent public révèle en fait quelque chose de plus profond : vous et ceux qui partagent vos vues estimez tout simplement, et ce depuis fort longtemps, ne pas avoir de leçons à recevoir ni, en réalité, de comptes à rendre.
Dois-je pourtant vous rappeler que l’essentiel des procédures menées par la Cour des comptes comme par les chambres régionales des comptes, s’agissant notamment des budgets locaux, ne conduisent à rien d’autre qu’à la délivrance d’un quitus ?
Revenons d’ailleurs quelques instants sur le problème du contrôle de l’utilisation des fonds publics, tant par la Cour des comptes que par le Parlement.
Vous nous chantez les louanges de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF. En vertu de cette loi organique, ainsi d’ailleurs que de la dernière révision constitutionnelle, les parlementaires disposeraient de larges moyens de contrôle et d’investigation sur la gestion des dépenses publiques.
Or, que constatons-nous ? D’une part, la pratique des « chapitres réservoirs », maintes fois dénoncée par la Cour des comptes, n’a pas disparu, loin de là ! D’autre part, c’est bien souvent en dernière instance le Gouvernement qui garde la haute main sur la ventilation effective de la dépense publique.
Je sais, monsieur le rapporteur, que vous avez déjà voté à plusieurs reprises des lois de finances dont les crédits, bien que soumis au contrôle du Parlement et de la Cour des comptes, ont été « ajustés » du seul fait du Gouvernement, ajustements que la majorité à laquelle vous appartenez a entérinés sans broncher ni sourciller.
Dans le même ordre d’idées, toujours en matière de dépense publique, les exonérations de cotisations sociales accordées aux entreprises ne font que croître et embellir année après année depuis l’adoption de la loi quinquennale du 20 décembre 1993 relative au travail, à l’emploi et à la formation professionnelle. Cette seule progression pourrait d’ailleurs nous amener à nous interroger sur l’opportunité d’un tel engagement de dépenses.
Je citerai deux chiffres à cet égard : en 1993, l’État consacrait l’équivalent de 1 milliard d’euros à l’allégement des cotisations sociales des entreprises, au profit de publics ciblés et en vertu de politiques très précises ; aujourd’hui, ce sont 42 milliards d’euros de recettes qui échappent ainsi à la sécurité sociale, distraits du mode « normal » de recouvrement par cotisation, et si 3 milliards ou 4 milliards d’euros sont inscrits au passif de la sécurité sociale, le solde, c’est-à-dire de 38 milliards à 39 milliards d’euros, est pris en charge par l’État au travers d’un transfert de recettes fiscales…
Mes chers collègues, peut-on décemment refuser de s’interroger sur l’efficacité d’une dépense publique qui a été multipliée par quarante en une quinzaine d’années ? Je ne connais pas beaucoup de chapitres budgétaires ayant connu une telle progression sur la même période ! Je crois d’ailleurs me souvenir que, à l’instar de quelques-uns de vos mandants, vous êtes évidemment partisans de la réduction de la dépense publique, chaudement recommandée par le MEDEF et les cercles et aréopages patronaux les plus divers.
Madame la ministre, le 5 juin 2008, la Cour des comptes a déposé, à la demande de la mission d’information commune de l’Assemblée nationale sur les exonérations de cotisations sociales, un rapport sur la question des allégements de cotisations sociales.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce rapport comportait de nombreuses critiques à l’égard des dispositifs existants. Il mettait en cause, par exemple, les allégements généraux de cotisations sur les bas salaires, au motif, précisément, qu’ils entraînent une généralisation de ces derniers. Il était également particulièrement critique envers les dispositifs d’exonérations ciblées, pointant la faiblesse de leur évaluation. Notons d’ailleurs que, parmi les grands pays européens, seule l’Italie met en œuvre de telles politiques sans exercer le moindre contrôle : un pays aussi profondément libéral que le Royaume-Uni n’a jamais utilisé cet outil pour « aider » les entreprises !
Le rapport de juin 2008 faisait suite à un autre rapport, le rapport Méhaignerie, remis en septembre 2006, qui portait lui aussi sur les politiques d’allégement de cotisations pour les emplois dits peu qualifiés.
Tout cela montre, mes chers collègues, que voilà bien longtemps que l’on s’interroge sur le bien-fondé de certains engagements de dépenses publiques en faveur des entreprises.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. En effet !
M. Robert Hue. Cependant, telle sœur Anne, nous ne voyons rien venir…
En effet, hormis les déclarations du Président de la République lui-même sur la nécessité de rendre compte de l’engagement des deniers publics et celles de M. Xavier Bertrand sur la conditionnalité des aides publiques, où en sommes-nous ?
Sur toutes ces questions, rien n’est venu modifier l’ordre des choses. Ainsi, les groupes Auchan et Carrefour peuvent, sans la moindre difficulté, continuer à développer emplois précaires et temps partiel subi, sans encourir d’autre sanction que bénéficier de toujours plus d’allégements de cotisations sociales ! Et que l’on ne tente pas une diversion en orientant le débat sur le cas des PME et des PMI, car elles font généralement preuve de transparence : nous parlons ici des grands groupes, qui bien souvent les étranglent d’ailleurs…
Cela dit, pour avancer dans le débat et savoir exactement à quoi s’en tenir, il importe de définir ce que nous entendons par « aides publiques aux entreprises ».
Chacun l’aura compris, les sommes considérables dévolues aux allégements de cotisations sociales constituent un élément clé de ces aides publiques : quelque 40 milliards d’euros de recettes fiscales transférées alors que le déficit budgétaire atteint 104 milliards d’euros, cela pose question !
Cependant, les aides publiques, ce sont aussi, par exemple, les multiples aides directes dont bénéficient les entreprises, qu’elles proviennent des collectivités locales, de l’État ou, parfois, de l’Europe. Les modalités de contrôle de ces aides sont d’ailleurs fort diverses et aucunement unifiées, avec toutes les dérives que cela suppose.
Les aides publiques aux entreprises, ce sont aussi les très importantes dépenses fiscales que l’État prend désormais en charge en lieu et place des entreprises normalement redevables, au travers des allégements de l’impôt sur les sociétés ou de la taxe professionnelle, des dispositions relatives au crédit d’impôt, de certaines mesures spécifiques concernant d’autres droits et taxes, du crédit d’impôt recherche : autant de dispositifs dont aucun élément fondamental n’est venu, pour l’heure, démontrer le bien-fondé. Il serait sans doute instructif de faire, par exemple, le bilan du plafonnement de feu la taxe professionnelle au regard de la situation de l’emploi dans les entreprises !
En outre, que dire des 360 milliards d’euros d’aides publiques aux banques prévus dans le plan de sauvetage de cet automne, même quand il s’agit de garanties, et non d’aides directes ?
Madame la ministre, mes chers collègues, il est apparu au fil du temps que, faute d’avoir fixé des conditions plus précises de contrôle des sommes avancées par l’État pour secourir les banques françaises, on ne pouvait éviter ni la chute du cours de l’action Natixis, ni l’affaire Bouton, ni encore la persistance de l’inégalité d’accès au crédit au détriment des PME et TPE !
Pourtant, selon un sondage du CSA de la semaine dernière, 90 % des Français – excusez du peu ! – estiment nécessaire de contrôler les aides publiques et de ne les accorder aux entreprises que si celles-ci s’engagent à maintenir l’emploi. Ils ont raison, d’autant que le montant des aides publiques aux entreprises est parvenu à un niveau jamais atteint auparavant : 40 milliards d’euros d’allégements de cotisations sociales, 20 milliards d’euros d’exonérations de taxe professionnelle, 10 milliards d’euros d’aides directes à l’automobile et plus de 320 milliards d’euros de garanties aux établissements bancaires !
Ce constat donne tout son sens à notre proposition de loi, mais vous n’entendez rien, comme en témoigne, à mon sens, le rapport de la commission des finances ! Certes, ce constat, vous affirmez le partager – il serait difficile de faire autrement ! –, mais cela s’arrête là.
Votre opposition est purement idéologique. Non seulement vous nous accusez d’entretenir un climat de suspicion envers les entreprises, mais vous écrivez également, monsieur le rapporteur, que nos propositions constituent un dispositif bureaucratique empreint de lourdeur et n’apportant aucune réelle plus-value, pour reprendre un mot qui vous est cher ! (Sourires.) À vous en croire, nous préconiserions presque la constitution de soviets ! (Exclamations amusées sur les travées de l’UMP.) Comment ne pas balayer d’un revers de main vos critiques conservatrices et archaïques – en dépit de votre jeunesse,…
M. Alain Gournac. C’est incroyable !
M. Robert Hue. … quand le Président de la République propose, dans le même temps, la mise en place d’un comité des sages du MEDEF (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe) pour contrôler le mode de rémunération des dirigeants ! Soyons sérieux !
Dans le prolongement de son discours du 19 mars, le Président de la République a annoncé un décret sur le contrôle des aides publiques, mais la lecture de ce décret, qui a pour objet de rendre obligatoire l’information du comité d’entreprise dès qu’une aide publique est accordée, fait apparaître qu’il s’agit d’un leurre complet, puisqu’il n’est nullement question de contrôle ni de sanction. De plus, toute possibilité d’intervention des organisations syndicales est écartée.
L’argent public doit impérativement concourir à atteindre un grand objectif national de maintien et de création d’emplois, ainsi que de développement et d’investissements utiles à la création de richesses réelles.
Or, visiblement, la majorité de cette assemblée s’apprête à refuser toute transparence dans l’utilisation de l’argent public. Pourtant, l’enjeu financier est considérable, et il s’agit de l’argent de nos concitoyens ! Allez-vous amener l’opinion publique à considérer cette absence de transparence comme un véritable camouflage d’État ? Allez-vous laisser se poursuivre ce qui pourrait relever – je le dis avec gravité – du détournement de fonds publics ? (Mme la ministre fait un signe de dénégation.)
M. Alain Gournac. Les grands mots !
M. Robert Hue. Enfin, et c’est à mes yeux le plus grave, vous nous accusez de jouer sur l’émotionnel en temps de crise : ayez le courage de dire aux Français que vous ne souhaitez pas instaurer la transparence dans l’utilisation de l’argent public !
En résumé, la commission nationale d’évaluation et de contrôle des aides publiques aux entreprises dont nous sollicitons la création aura du pain sur la planche. Elle devra travailler au plus près du terrain – c’est pourquoi nous prévoyons des commissions régionales – et en lien direct avec le contrôle parlementaire, seul déterminant en dernière instance, dont elle est appelée à devenir un auxiliaire indispensable.
Sous le bénéfice de ces observations, nous vous invitons, mes chers collègues, à adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par nos collègues du groupe CRC-SPG sur laquelle nous sommes invités à nous prononcer reprend, presque à l’identique, un dispositif mis en place par la loi du 4 janvier 2001 relative au contrôle des fonds publics accordés aux entreprises, qui fut abrogée dans le collectif budgétaire de décembre 2002. Il s’agit de créer une commission nationale et des commissions régionales d’évaluation et de contrôle des aides publiques aux entreprises.
Une telle proposition repose sur un postulat légitime : il convient de s’assurer que les aides octroyées aux entreprises sont utiles et remplissent l’objectif en vue duquel elles ont été conçues et versées.
Nous ne pouvons que partager le souci de transparence des auteurs du présent texte, toutefois celui-ci risque de se révéler contre-productif, car il pourrait fragiliser l’activité des organes de contrôle existants, à commencer par le Parlement.
M. Alain Gournac. Eh oui ! Le Parlement !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. De plus, la proposition de loi vise à « ressusciter » des commissions dont le moins que l’on puisse dire est qu’elles n’ont pas obtenu de résultats convaincants durant leur existence passée, au cours de la période 2001-2002.
M. Alain Gournac. Oui !
M. Robert Hue. Évidemment, vous les avez bloquées !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Les auteurs de la proposition de loi souhaitent que les aides publiques aux entreprises soient correctement contrôlées. Là encore, nous ne pouvons que partager un tel objectif. La commission des finances est en effet, plus que toute autre, sensible à la notion de contrepartie aux aides publiques et, de manière générale, soucieuse du contrôle de l’efficacité de toute dépense publique, y compris des dépenses fiscales ou sociales. Chaque membre de la commission des finances peut, en tant que rapporteur spécial, en témoigner dans son domaine de compétence en temps normal.
Je rappelle que les aides octroyées dans le contexte de la crise actuelle visent à assurer le maintien du financement de l’économie et sont accordées dans un cadre conventionnel, comportant des engagements des entreprises bénéficiaires.
Il est vrai que ce soutien public est important. Comment pourrait-il en être autrement dans la conjoncture actuelle ? Mon rapport écrit retrace l’action volontariste de l’État depuis l’éclatement de la crise des subprimes, à l’automne dernier : financement et renforcement des fonds propres des banques, mise à leur disposition de 17 milliards d’euros auparavant centralisés à la Caisse des dépôts et consignations, renforcement des capacités d’intervention d’OSEO, aides à la trésorerie des entreprises, dispositifs dits « CAP » et « CAP + » pour maintenir à flot le crédit interentreprises…
Au regard de cet effort public, le contrôle est donc légitime, qu’il s’agisse des aides « ordinaires » ou des aides « de crise ».
Cependant, mes chers collègues, nous devons nous souvenir que nos entreprises doivent pouvoir agir vite dans un contexte social tendu.
Quels que soient les efforts des uns ou des autres, la très forte dégradation de la conjoncture – la « pire crise depuis la Libération », pour reprendre les termes employés par le rapporteur général, Philippe Marini, lors de sa présentation du dernier collectif budgétaire – ne peut que se traduire par une augmentation du chômage. En dépit de l’existence d’amortisseurs sociaux, cela entraîne de la souffrance, parfois du désespoir.
À mon sens, en examinant ce texte, nous ne devons pas oublier deux exigences fondamentales.
D’abord, il ne faut pas faire d’amalgame et considérer tous les entrepreneurs de France comme des fraudeurs potentiels.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous ne faisons aucun amalgame !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Ensuite, alors que, dans un contexte de crise aiguë, il convient d’agir vite, nous ne devons pas créer de nouvelles lourdeurs. Or le dispositif qui nous est proposé tend précisément à en instaurer et risque même de nuire à l’efficacité des actuels organes de contrôle.
Les possibilités de contrôle des aides publiques abondent déjà dans notre pays.
Sur le plan institutionnel et démocratique, le Parlement doit exercer et exerce un contrôle. Ce devoir de contrôle a été renforcé et de nouveau légitimé par la loi organique relative aux lois de finances et par la révision constitutionnelle de juillet 2008. En particulier, le rapporteur général et les rapporteurs spéciaux de la commission des finances disposent d’un pouvoir étendu de communication de pièces et documents,…
M. Robert Hue. Alors, pourquoi le Président de la République a-t-il demandé un décret ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quelle mauvaise foi !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. … et nous publions chaque année des rapports peu complaisants sur l’utilisation des deniers publics, en nous efforçant d’assurer un meilleur suivi de nos préconisations.
Le contrôle parlementaire s’exerce également en continu au travers d’auditions et de questions écrites ou orales au Gouvernement.
De nouvelles modalités peuvent aussi être imaginées dans un contexte particulier, comme c’est le cas avec le comité de suivi du dispositif de financement de l’économie, mis en place par décret en décembre 2008 à la demande du Parlement.
Le contrôle est également juridictionnel. Il est exercé par les juridictions administratives et judiciaires et, surtout, par la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes. En application des articles 58-1 et 58-2 de la LOLF, la Cour des comptes remplit une mission d’assistance auprès des commissions des finances. Nous lui demandons environ cinq enquêtes par an.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Absolument ! C’est le rôle du Parlement. C’est vous qui contrôlez, mes chers collègues !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. C’est ainsi à la suite d’une enquête réalisée par la Cour des comptes que notre collègue Serge Dassault a publié, en février 2007, un rapport d’information sur l’efficacité des aides à l’emploi.
Dans le même esprit, l’article L. 211-4 du code des juridictions financières prévoit que les chambres régionales des comptes peuvent assurer la vérification des comptes de toute entité, publique ou privée,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous aimez la plaisanterie !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. … qui bénéficie d’un concours financier supérieur à 1 500 euros d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public national ou local.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les collectivités sont bien contrôlées, c’est sûr !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Le contrôle est encore exercé par l’administration elle-même, par les corps généraux d’inspection, par les services de contrôle des impôts, par les contrôleurs budgétaires et comptables ministériels, ainsi que par les préfets ou représentants de l’État. Il est notamment mis en œuvre sous l’angle du droit et du budget communautaires, qu’il s’agisse du respect du plafond des aides de minimis ou du contrôle décentralisé des aides agricoles et des fonds structurels. Mon rapport détaille les modalités de ces contrôles et rappelle que notre collègue Joël Bourdin a récemment publié un rapport sévère sur les refus d’apurement d’aides agricoles.
L’évaluation a souvent été considérée comme le « parent pauvre » de la mise en œuvre des politiques publiques.
Il y a pourtant une évaluation a posteriori, qui repose en premier lieu sur le Parlement, par le biais d’offices bicaméraux d’évaluation, d’auditions, de la remise, prévue par le biais d’amendements, de rapports spécifiques du Gouvernement ou du respect de certaines conditions avant la mise en place de tout nouveau dispositif d’aide à l’activité économique…
M. Robert Hue. Mais rien de tout cela ne marche !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Quant à l’évaluation a priori, traditionnellement considérée comme absente ou parcellaire, elle va connaître un réel essor puisque la loi organique du 15 avril 2009 prévoit une nouvelle obligation d’assortir tout projet de loi d’une étude d’impact détaillée.
Tous ces contrôles, j’en conviens, ne sont pas parfaits, mais ils existent et il n’est pas nécessaire d’en rajouter. La réintroduction d’un dispositif qui n’a pas fait ses preuves aboutirait en définitive à appauvrir le rôle d’un Parlement qui, depuis peu, dispose de pouvoirs accrus en termes de contrôle et d’évaluation des aides publiques.
Il semble que l’on instrumentalise, au travers de la présente proposition de loi, une « perception émotionnelle » de la crise actuelle. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
En outre, le dispositif proposé me paraît lourd. Il présente un certain caractère « bureaucratique » – je reprends le mot –, avec une commission nationale et vingt-deux commissions régionales dotées de prérogatives étendues, des effectifs nombreux et des charges de gestion supplémentaires pour les services ministériels et préfectoraux qui devraient assurer le secrétariat.
M. Robert Hue. Alors que le comité des sages du patronat, lui, sera formidable…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. À notre sens, le véritable contrôle ne peut procéder que d’une analyse économique et juridique objective, seule à même de caractériser des situations d’abus manifeste ou de non-respect d’engagements formels de la part des entreprises.
Je l’ai dit en préambule, les modalités retenues dans la proposition de loi en vue d’améliorer le contrôle des aides aux entreprises me paraissent très discutables. Je vais maintenant résumer rapidement le contenu des différents articles du texte.
L’article 1er crée une commission nationale d’évaluation et de contrôle des aides publiques aux entreprises, chargée de vérifier l’utilisation des aides accordées à ces dernières et aux établissements financiers, mais sans préciser la nature des aides concernées. Il indique certaines formes du contrôle et élargit le champ de compétence aux fonds structurels européens.
L’article 2 donne la composition de la commission nationale, mais sans fixer le nombre de parlementaires, de représentants de l’État, de représentants des syndicats et des organisations patronales, de personnalités qualifiées qui y siègeront. L’expérience l’a montré, une telle composition risque de rendre la commission pléthorique…
M. Robert Hue. Est-ce un problème ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. … et de paralyser son fonctionnement.
L’article 3 précise les pouvoirs de la commission : consultation lors de la création de tout nouveau dispositif d’aide publique, autosaisine, saisine par des millions d’instances – en effet, la commission pourra être saisie, notamment, par un maire…
M. Robert Hue. Quel crime !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. … ou par l’une des 2,5 millions d’entreprises que compte notre pays –, c’est-à-dire extrêmement large et risquant de se révéler inefficace, information par les préfets et tout ordonnateur d’aide publique.
L’article 4 crée des commissions régionales, précise leur composition, analogue à celle de la commission nationale, et leurs modalités d’intervention. Les missions qui leur sont assignées risquent de se limiter à la formulation de « vœux pieux », ce qui fait douter de leur efficacité économique…
L’article 5 donne au comité d’entreprise ou à un délégué du personnel un droit de saisine de l’ordonnateur d’une aide publique. L’ordonnateur pourrait suspendre ou retirer ladite aide, ou en exiger le remboursement. Une telle disposition est de nature à créer une forte insécurité juridique pour les entreprises, incompatible avec leur bon fonctionnement.
L’article 6 inclut les aides publiques dans le champ du rapport que les entreprises de 300 salariés et plus doivent remettre annuellement à leur comité d’entreprise. Or une telle disposition, tout à fait légitime, figure déjà dans la partie réglementaire du code du travail.
L’article 7 précise que le secrétariat de la commission nationale est assuré par les services des ministres chargés de l’économie, des finances, du travail et des affaires sociales.
Enfin, l’article 8 renvoie à un décret les modalités d’application de la proposition de loi.
Je rappellerai que, lors du débat qui a conduit, en 2002, à la suppression des commissions de contrôle, l’un des principaux arguments avancés en faveur de leur maintien tenait à la difficulté, pour le Parlement, de trouver le temps d’exercer ses missions de contrôle. Mais c’était avant la révision constitutionnelle et la mise en place de la nouvelle organisation des travaux du Parlement, qui a désormais plus de temps, grâce à l’instauration de la semaine de contrôle de l’action du Gouvernement, et de moyens pour exercer cette mission. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Nicole Bricq. Parlons-en !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce qui se passe aujourd'hui le démontre !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. C’est donc à lui qu’incombe au premier chef, conformément à la Constitution, la mission de contrôler la bonne utilisation des aides publiques, et non à des commissions dont la légitimité et l’efficacité seraient contestables. À titre personnel, je serais d’ailleurs très favorable à ce qu’une étude approfondie soit conduite, en particulier par la commission des finances, sur l’utilité des aides, notamment sociales.
En conséquence, et sans surprise, je vous invite, mes chers collègues, à n’adopter aucun article de cette proposition de loi, ce qui reviendra à rejeter celle-ci. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord remercier M. Hue d’avoir rappelé, dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi, la détermination du Président de la République à entretenir et à développer le dialogue social, qu’il avait exprimée en ces termes : « Plus que jamais le dialogue social est nécessaire. Désormais les organisations syndicales seront associées aux opérations de restructuration dans les entreprises. Elles participeront ainsi au contrôle des aides publiques. »
Les organisations syndicales sont dorénavant associées, vous le savez, à toutes les démarches engagées par les entreprises pour obtenir des aides publiques, ce qui représente à la fois un contrôle préalable à l’attribution de celles-ci et un suivi de leur utilisation. C’est là, monsieur Hue, une forme de contrôle au plus près du terrain, au principe duquel vous vous rallierez sans aucun doute…
Vous avez indiqué que, en 1993, 1 milliard d’euros avaient été consacrés à des allégements de charges. Je note que le volume de ces derniers a considérablement augmenté à la suite du passage aux 35 heures… Les courbes le montrent : c’est à cette occasion que les allégements de charges ont pris leur essor, et je ne suis donc pas sûre qu’instaurer les 35 heures ait été une si bonne idée !
J’insisterai sur le caractère exceptionnel que revêt aujourd’hui la démarche de l’État, lié aux circonstances exceptionnelles que traverse notre économie. Après tout, d’autres dispositions sont mises en œuvre depuis des années sans que l’on se soit particulièrement inquiété des modalités du contrôle – nécessaire – de l’utilisation des deniers publics, et je ne crois pas que beaucoup d’entre nous assimileraient celle-ci, comme vous l’avez fait, à un « détournement de fonds publics »…
Les circonstances économiques actuelles ont très clairement contraint l’État à intervenir de façon inhabituelle et massive, en particulier dans certains secteurs. Je reviendrai sur les divers plans que nous avons ainsi mis en œuvre, en profitant d’ailleurs de cette occasion, mesdames, messieurs les sénateurs, pour vous rendre des comptes, car il revient aux parlementaires, en tant que représentants du peuple, d’être les premiers destinataires de telles informations. Je relève au passage que le Parlement dispose des moyens de contrôler efficacement, notamment par le biais d’auditions ou de commissions particulières, l’utilisation qui est faite des deniers publics, dont il vote l’affectation lors de l’examen des projets de loi de finances ou des projets de loi de finances rectificative.
Les moyens financiers supplémentaires que nous avons dû mettre en place au cours des douze derniers mois pour faire face à des circonstances exceptionnelles l’ont été d’abord à l’échelon européen, puisque, dès avant la faillite de la banque Lehman Brothers, nous avions sollicité la Banque européenne d’investissement pour qu’elle mobilise des fonds au bénéfice des entreprises, ce qui a été fait.
Par la suite, nous avons mis en place, comme l’a parfaitement rappelé M. le rapporteur, un financement massif, à hauteur de 22 milliards d’euros, en faveur des petites et moyennes entreprises, car nous étions convaincus que ces dernières seraient le plus menacées par ce que l’on a depuis appelé un credit crunch : OSEO a ainsi apporté toute la palette de ses moyens d’intervention, soit en garantie, soit en cofinancement, et l’épargne publique a été mobilisée.
Nous avons par ailleurs mis en place au profit de ces entreprises un dispositif particulier, qui lui aussi fait appel à des fonds publics, à savoir le complément d’assurance-crédit public et le complément d’assurance-crédit public « plus », pour pallier les insuffisances du système d’assurance-crédit en vigueur, lequel contribue largement au fonctionnement du crédit interentreprises dans notre pays. À ce titre, j’indique que, au 1er avril, quelque 202 millions d’euros d’encours brut avaient déjà été garantis.
En outre, nous avons bien entendu été obligés de mettre en œuvre des plans de soutien spécifiques à certains secteurs d’activité.
L’ensemble de ces plans ont été soumis à votre examen, mesdames, messieurs les sénateurs, en général au travers de projets de loi de finances rectificative. Le premier d’entre eux, le projet de loi de finances rectificative du 16 octobre 2008 pour le financement de l’économie, qui est donc intervenu à peine un mois après la faillite de Lehman Brothers, avait pour objet de créer la SFEF, la société de financement de l’économie française, et la SPPE, la société de prise de participation de l’État.
Monsieur Hue, vous avez évoqué un montant de garanties très lourd. Je souligne que le montant de l’enveloppe votée par votre assemblée a été défini selon une perspective maximaliste, dans l’hypothèse où nous aurions été confrontés au pire. À ce jour, la SFEF a emprunté un peu plus de 50 milliards d’euros sur le marché pour financer des prêts consentis aux banques et aux établissements financiers, à un taux d’intérêt de 4 %, permettant une juste rémunération.
Cette démarche, qui engage la signature de l’État français, permet aux banques de se refinancer. Je rappelle une fois de plus qu’il ne s’agissait évidemment pas de faire un cadeau aux banques, comme on l’a répété ici et là, mais de soutenir le financement de notre économie en leur consentant des prêts qui produisent des intérêts.
M. Alain Gournac. Bien sûr !
Mme Christine Lagarde, ministre. Le montant de l’intervention de la SPPE dans le secteur financier, nécessaire pour renforcer les fonds propres des banques, s’élève à ce jour à 13,5 milliards d’euros, avec une première tranche de 10,5 milliards d’euros versée sous forme de titres super subordonnés et une seconde tranche de 3 milliards d’euros supplémentaires apportée par le biais de la souscription d’actions préférentielles de la Banque nationale de Paris-Paribas, non assorties de droit de vote.
Je précise que, dans l’un et l’autre cas, la rémunération des fonds publics est évidemment élevée et que l’aide de l’État est conçue et construite de telle sorte que, dès que leurs finances le leur permettront, les banques remboursent ces titres super subordonnés et rachètent ces actions préférentielles.
Le deuxième secteur ayant bénéficié de concours particuliers de l’État sous forme de fonds publics est celui de l’automobile. Il a été le premier grand domaine d’activité de l’économie réelle à subir de plein fouet les conséquences de la crise financière, la plupart des acheteurs de voiture recourant au crédit.
La SFEF a donc mis en place un financement spécifique de 2 milliards d’euros au bénéfice des filiales bancaires des constructeurs automobiles, lesquels se sont vu consentir en outre 6,5 milliards d’euros de prêts. Nous avons également mis en place divers outils – je pense en particulier à la prime à la casse et au système de bonus-malus – pour soutenir un secteur dont l’importance tient à la fois aux avancées technologiques qu’il procure, notamment en matière de conception de moteurs hybrides ou électriques, et au nombre de salariés qu’il emploie.
En regard de ces aides publiques, nous avons demandé des contreparties. Nous l’avons fait chaque fois et, chaque fois, vous avez institué, par la loi, les moyens de contrôler la réalité des engagements souscrits, qui sont d’ordre économique et d’ordre éthique.
Le Gouvernement a ainsi rapidement mis en place un comité de suivi, ce à quoi il s’était engagé lors des débats sur la loi de finances rectificative du 16 octobre 2008, qui a instauré le dispositif de soutien au secteur bancaire que j’évoquais à l’instant. Le comité de suivi du dispositif de financement de l’économie française, auquel appartient M. le président de la commission des finances, s’est déjà réuni à deux reprises. J’ai assisté à sa mise en place ; j’ai mis à sa disposition, et je continuerai à le faire, toutes les données accessibles, ainsi que les meilleurs fonctionnaires de mon administration, pour qu’il puisse faire toute la lumière sur les opérations engagées, dans le respect de la confidentialité des informations lorsque cela est nécessaire, ce qui est souvent le cas, s’agissant de sociétés cotées.
Par ailleurs, pour veiller au respect des engagements économiques, aux termes desquels l’argent prêté doit être non pas conservé, mais restitué à l’économie sous la forme de prêts aux entreprises, un médiateur du crédit, M. René Ricol, a été institué. À la demande du Président de la République, il a mis en place, en s’appuyant sur le réseau territorial de la Banque de France, des médiateurs dans les départements, afin de s’assurer que les banques, après avoir commis des excès dans l’appréciation des risques, ne tombent pas dans le travers inverse en restreignant l’accès au crédit.
Le médiateur du crédit s’emploie à faciliter le financement des entreprises. Chaque mois, le ministère de l’économie, de l’industrie et de l’emploi publie les chiffres concernant l’évolution des encours de crédit des banques qui bénéficient d’un soutien de l’État. Ces données sont auditées par la Banque de France et diffusées par le site internet du ministère, afin que chacun puisse en prendre connaissance.
Enfin, le Président de la République a demandé au Premier président de la Cour des comptes de conduire un certain nombre d’enquêtes au sein des banques, pour qu’il soit rendu compte par celles-ci de l’utilisation des fonds dont elles ont bénéficié. Le Premier président de la Cour des comptes s’est engagé à publier un rapport sur ce thème avant la fin de l’été. Pour l’aider dans cette tâche, j’ai mis à sa disposition certains de mes meilleurs inspecteurs.
En ce qui concerne l’aide à l’industrie automobile, le choix de l’appellation « pacte automobile » ne relève pas du hasard, mais tient au fait que ce plan comprend des engagements des constructeurs. Ainsi, le Gouvernement a demandé aux constructeurs automobiles de s’engager à ne pas procéder à des plans sociaux en 2009 et à maintenir leurs sites de production français en activité pendant la durée des prêts accordés.
Monsieur Hue, je vous invite à examiner attentivement l’évolution des volumes de production et la localisation des lignes d’assemblage : vous constaterez que cet engagement est respecté, probablement même au-delà de ce qui avait été espéré.
M. Robert Hue. Pas du tout ! Je vous le démontrerai !
Mme Christine Lagarde, ministre. Le Gouvernement a également demandé aux entreprises du secteur automobile de maintenir leurs efforts de recherche et développement malgré la crise et d’œuvrer pour plus de solidarité au sein de la filière automobile.
À ce sujet, je souligne que le respect scrupuleux par les constructeurs automobiles des dispositions de la loi de modernisation de l’économie, notamment la réduction des délais de paiement à soixante jours à compter de la date de facture, en vigueur depuis le 1er janvier, a permis à lui seul de renforcer de 2 milliards d'euros la trésorerie des sous-traitants.
La mise en œuvre du pacte automobile et le respect des engagements que je viens de rappeler sont régulièrement examinés par le comité stratégique pour l’avenir de l’automobile, réuni par Luc Chatel à Bercy et qui est composé de représentants de l’État, des constructeurs, des équipementiers et sous-traitants, des organisations syndicales, des élus et des établissements de recherche.
Le déploiement des dispositifs de complément d’assurance-crédit public CAP et CAP + fait également l’objet d’un suivi très régulier. Les assureurs-crédit informent chaque mois le ministère de l’économie, de l’industrie et de l’emploi du montant des produits CAP et CAP + activés, ainsi que du volume de leurs encours globaux d’assurance-crédit. Cela me permet de vous donner le montant précis des encours ainsi garantis à la date du 1er avril.
La création d’une commission nationale d’évaluation et de contrôle des aides publiques aux entreprises, telle que vous la proposez, monsieur le sénateur, ne serait à mon sens ni moderne ni archaïque, mais simplement superfétatoire, dans le meilleur des cas.
M. Alain Gournac. Oui !
Mme Christine Lagarde, ministre. C’est au Parlement que s’exerce le meilleur contrôle de l’utilisation des deniers publics et des moyens exceptionnels mis en œuvre pour soutenir certains secteurs d’activité ! (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Voilà !
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Robert Hue. Avec quels résultats concrets ? Il n’y en a pas !
Mme Christine Lagarde, ministre. Monsieur le sénateur, le comité de suivi du dispositif de financement de l’économie française s’est déjà réuni à deux reprises. Je puis vous assurer qu’il est totalement indépendant et a accès à toutes les informations nécessaires. Je puis témoigner de la qualité de son travail, de la précision des données dont il dispose, de l’excellent climat de coopération qui y règne, de sa volonté de transparence totale, dans le respect de la confidentialité qui s’impose en matière d’informations concernant des sociétés cotées.
Dans ces conditions, et compte tenu des modifications qui ont été apportées au processus législatif, imposant notamment au Gouvernement de transmettre au Parlement une étude d’impact pour chaque projet qu’il lui soumet, ainsi que de l’ensemble des travaux de suivi et d’audit, il me semble que la Haute Assemblée dispose de tous les moyens nécessaires pour contrôler qu’il est fait bon usage des fonds publics. Sachez que toute mon attention et toute mon énergie sont mobilisées pour que cela soit le cas. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Vera.
M. Bernard Vera. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la discussion qui s’est engagée sur la proposition de loi de notre groupe met en évidence la nature du problème.
Avec quelques années de recul, on peut s’interroger sur l’empressement qu’a manifesté la majorité sénatoriale à procéder à la suppression pure et simple de la loi Hue, par la voie d’un amendement parlementaire que son auteur n’avait même pas défendu en séance publique et qui avait été prestement repris par le rapporteur général.
En effet, mes chers collègues, cet empressement à supprimer un organisme prétendument inutile est étonnante : il existe tant de structures inutiles dans notre paysage institutionnel !...
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. C’est vrai !
M. Bernard Vera. En réalité, ce qui dérange profondément dans notre proposition de loi, et qui a toujours dérangé la majorité sénatoriale, c’est la volonté de transparence dans l’utilisation des deniers publics que tend à promouvoir la mise en place d’une commission nationale et de commissions régionales d’évaluation et de contrôle des aides publiques aux entreprises.
Notre proposition de loi originelle a été à trois reprises rejetée sans examen par le Sénat, les 24 février, 26 juin et 20 décembre 2000 ! La position exprimée aujourd’hui par le rapporteur ne brille donc pas par son originalité !
Sur le fond, cette obstination a un caractère idéologique affirmé : quand il s’agit de fonds publics dédiés au soutien aux entreprises, il ne saurait y avoir, dans l’esprit de la majorité sénatoriale, la moindre préoccupation d’approche critique et d’évaluation. La question de l’argent public distribué aux entreprises relève du tabou, de l’intouchable !
Pourquoi en est-il ainsi ? Sans doute estime-t-on, avec le plus grand mépris de la volonté populaire et des aspirations des salariés, que les questions budgétaires sont affaire trop sérieuse pour être traitée sur la place publique ! Qui sont ces libéraux, opposés par principe à l’interventionnisme d’État dans l’économie, chantres de la privatisation et de l’autorégulation, qui quémandent sans cesse de nouveaux subsides publics dès que la moindre difficulté se fait jour ?
En outre, établir un parallèle entre les sommes sans cesse croissantes engagées pour soutenir l’activité des entreprises et l’emploi et la réalité de la croissance et du chômage serait sans doute un exercice dérangeant. Il serait d’ailleurs possible d’établir un autre parallèle, qui ne serait guère plus réjouissant, entre allégements de la fiscalité et obligations sociales des entreprises.
De 1993 à 2007, alors que nous constations une progression de 1 milliard d'euros à 42 milliards d'euros des allégements de cotisations sociales, accompagnée de nouveaux allégements de l’impôt sur les sociétés ou de la taxe professionnelle, la part des dividendes dans la valeur ajoutée de nos entreprises passait de 7 % à 16 % des profits bruts ! Ces données figurent en toutes lettres dans le rapport rédigé par M. Cotis, directeur général de l’INSEE, à la demande du Président de la République.
Ceux-là mêmes qui refusent que le Parlement légifère sur la rémunération des dirigeants des entreprises cotées entendent aujourd'hui empêcher que l’on contrôle les fonds publics et repousser cette idée dangereuse de confier aux salariés de nouveaux pouvoirs d’intervention !
Car tout est là : la commission nationale d’évaluation et de contrôle des aides publiques aux entreprises et sa déclinaison régionale ne seraient rien d’autre qu’un outil de plus au service des salariés et des élus locaux pour appréhender la réalité des relations que l’État entretient avec le monde des affaires, de l’industrie et du commerce.
Mes chers collègues, allez-vous rejeter la proposition de loi que nous vous soumettons au moment même où le Président de la République veut rendre obligatoire l’information des comités d’entreprise sur les aides publiques et où M. Xavier Bertrand parle de plus en plus de « conditionnaliser » les exonérations de cotisations sociales ?
Dans un rapport récent déposé au nom de la commission des finances, le rapporteur spécial de la mission « Travail et emploi » estime que, « de fait, l’évaluation de ce dispositif – l’allégement général des cotisations sociales sur les bas salaires – ne fait l’objet d’aucune mesure de sa performance au regard de la politique de l’emploi, que ce soit dans les projets de loi de finances successifs, ou dans les projets de loi de financement de la sécurité sociale. […]
« Aujourd’hui, une diminution progressive du niveau et du coût des exonérations doit être envisagée, afin de redéployer ces moyens vers d’autres politiques, notamment le soutien à la compétitivité des entreprises. »
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Les 35 heures !
M. Bernard Vera. « Dès 2005, […] le Centre d’analyse stratégique constatait que “les marges de manœuvre pour amplifier la politique d’allégement du coût du travail sur les bas salaires [avaient] atteint leurs limites” dans la mesure où les cotisations patronales de sécurité sociale au niveau du SMIC avaient presque totalement disparu. La question était d’ores et déjà posée du redéploiement des moyens affectés à la politique de soutien aux bas salaires, peu qualifiés et présentant de faibles perspectives d’évolution, vers des politiques d’organisation du travail qualifiantes.
« À cet égard, votre rapporteur spécial considère que l’efficacité des allégements généraux de cotisations sociales au regard de la politique de l’emploi doit faire l’objet d’une évaluation […]. »
Pour une fois, nous partageons l’avis exprimé au nom de la commission des finances. Nous estimons qu’il est effectivement plus que temps que les politiques de l’emploi et les politiques d’aide aux entreprises fassent l’objet d’une évaluation.
Dans le respect des prérogatives du Parlement, décisionnaire en dernier ressort, c’est cette tâche que nous entendons confier à la commission nationale d’évaluation et de contrôle des aides publiques aux entreprises que nous proposons aujourd’hui de mettre en place.
Transparence, responsabilité, recherche d’efficacité dans l’action publique : voilà les principes qui guident notre démarche ! S’opposer à cette proposition de loi revient, de fait, à refuser de prendre en compte ces impératifs. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Alain Gournac.
M. Alain Gournac. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi de notre collègue Robert Hue, cosignée par l’ensemble des sénateurs communistes républicains et citoyens, vise à instaurer une évaluation de la performance, notamment au regard de la politique de l’emploi, du dispositif des aides publiques octroyées aux entreprises par l’État ou les collectivités territoriales dans le contexte de la crise économique et financière que nous traversons.
Si le groupe UMP approuve cet objectif, il est en revanche en désaccord avec nos collègues sur le choix de l’instrument d’évaluation : ils proposent en effet la création d’une commission nationale d’évaluation et de contrôle des aides publiques aux entreprises, avec une déclinaison régionale.
Force est de constater que ce serait retomber dans un travers que nous tentons pourtant d’éviter depuis quelques années déjà, celui d’une économie trop lourdement administrée.
M. Alain Gournac. De grâce, ne nous enfermons pas dans le piège d’une bureaucratie excessive, alors même que nous avons engagé une révision générale des politiques publiques et n’avons de cesse de tenter de simplifier les démarches administratives qui entravent nos entreprises ! Ne démultiplions pas les contrôles et les tracasseries administratives, qui ne sauraient constituer un moyen efficace pour lutter contre le chômage.
M. Robert Hue. Vous le faites déjà pour les chômeurs !
M. Alain Gournac. Monsieur Hue, il existe une dichotomie entre cette proposition de loi, étayée par une conception de l’économie appartenant au passé, nostalgique d’une économie administrée,…
M. Robert Hue. Vous ne voyez pas ce qui se passe, notamment le retour de l’État ?
M. Alain Gournac. … et la réalité contemporaine d’une économie de marché moderne, libre,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Dont on voit les résultats !
M. Robert Hue. Et le discours de Toulon ?
M. Alain Gournac. … soumise à la concurrence et qui, si elle n’est pas parfaite, a fait ses preuves – une économie à laquelle les membres de mon groupe demeurent attachés.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous êtes à l’école de Mme Thatcher !
M. Alain Gournac. Ma chère collègue, je dis ce que je veux ! J’ai écouté M. Hue avec beaucoup d’attention,…
M. Robert Hue. Cela valait la peine !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Eux n’écoutent jamais !
M. Alain Gournac. … sans l’interrompre. Je vous demande d’en faire autant et de respecter des positions différentes de la vôtre : je ne suis pas communiste, et ce n’est pas demain que je vais le devenir ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Certes, le capitalisme doit être moralisé, et ne pas relever seulement d’une logique financière oublieuse de l’homme.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Alain Gournac. Tel est l’enseignement principal de la crise actuelle. Mais le texte dont nous discutons aujourd’hui participe maladroitement, de notre point de vue, à la traduction de cette aspiration dans le domaine du concret.
Il convient d’autant plus d’éviter l’écueil d’une bureaucratie excessive que celle-ci est inutile. Il existe déjà des possibilités de contrôle administratif, en interne, mais aussi judiciaire et financier, pleinement opérantes. Et que dire du contrôle parlementaire de l’action de l’État, que nous avons renforcé voilà peu ! À cet égard, je m’étonne que, alors que l’on n’a de cesse de réclamer le renforcement du pouvoir de contrôle du Parlement, il nous soit proposé aujourd'hui de mettre en place un dispositif de contournement de ce dernier !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Bien sûr !
M. Alain Gournac. Le contrôle des aides publiques aux entreprises relève pleinement du champ des prérogatives de nos assemblées. Ces dernières ont une légitimité démocratique supérieure à la commission nationale qu’il nous est proposé de créer. Il relève de la compétence des rapporteurs spéciaux des commissions des finances des deux assemblées de s’assurer du bon emploi des crédits publics.
Je rappelle, en outre, la création du groupe de travail sur la crise financière internationale commun à l’Assemblée nationale et au Sénat.
De même, des dizaines d’auditions relatives au suivi de la crise financière et du plan de soutien aux banques, auxquelles ont également participé nos collègues de l’opposition, ont été menées par la commission des finances de la Haute Assemblée.
Je suis, par conséquent, étonné de cette initiative parlementaire qui va à l’encontre du renforcement des pouvoirs du Parlement que nous avons tant souhaité.
La création d’une telle commission nationale, centrée sur le contrôle des entreprises, risquerait, en outre, de jeter le discrédit sur la profession de chef d’entreprise, en érigeant en postulat une possible malhonnêteté de sa part.
Si des abus existent bien, ils sont le fait d’une petite minorité. Largement relayés par les médias, ils suscitent systématiquement une réaction politique de notre part. Vous êtes déjà intervenue, madame la ministre, ainsi que le Président de la République lui-même, lorsque sont survenus des cas de mauvaise gouvernance de grandes entreprises. Vous avez eu raison de le faire !
Cependant, il ne saurait être question de stigmatiser les dirigeants d’entreprise, qui, dans leur très grande majorité, jouent un rôle essentiel dans la sauvegarde de l’économie et des emplois. (Mme Brigitte Gonthier-Maurin s’étonne.)
Comme cela a déjà été rappelé, lorsqu’il était député, notre collègue Robert Hue avait déposé une proposition de loi similaire relative au contrôle des fonds publics accordés aux entreprises. Elle avait été adoptée par la majorité parlementaire d’alors, contre l’avis de la Haute Assemblée. Cette loi du 4 janvier 2001 n’était qu’une loi de circonstance, en réaction à l’« affaire Michelin », qui avait fait grand bruit à l’époque.
M. Robert Hue. Nous avions bien anticipé, au vu de ce qui s’est passé ensuite !
M. Alain Gournac. C’est donc avec raison que ladite loi a été abrogée par le collectif budgétaire de 2002.
Mme Nicole Bricq. Cela n’a pas traîné !
M. Alain Gournac. Le contexte a certes changé : raison de plus pour conserver le cap du réalisme et du pragmatisme ! Les membres du groupe UMP suivront donc la position de la commission des finances et voteront contre chacun des articles de ce texte.
Parmi ces derniers, celui qui est relatif à la saisine est très significatif et montre bien le caractère inapproprié du dispositif qui nous est soumis.
Comme dans la loi de 2001, les possibilités de saisine sont beaucoup trop larges, voire irréalistes, comme l’a souligné très justement le rapporteur : est-il sérieux, par exemple, d’ouvrir la saisine aux 36 000 maires que compte notre pays ?
M. Robert Hue. Pourquoi pas ?
M. Alain Gournac. Sous la précédente loi de contrôle des fonds publics accordés aux entreprises, toutes les requêtes que des parlementaires avaient formulées auprès de cette commission nationale étaient restées lettre morte.
M. Robert Hue. C’est faux ! Vous avez bloqué l’application de cette loi, qui avait été promulguée au mois de janvier 2001, dès votre arrivée au pouvoir en 2002 !
M. Alain Gournac. Les réponses apportées étaient tout à fait évasives. Cela montre bien que cette commission ne pouvait faire face aux trop nombreuses demandes que suscitaient de trop larges possibilités de saisine, de nouveau prévues dans la présente proposition de loi.
Plus généralement, un examen attentif de l’ensemble du dispositif qui nous est soumis montre à quel point il serait inapplicable. C’est ce que démontre très bien notre excellent collègue Albéric de Montgolfier dans le rapport qu’il a présenté au nom de la commission des finances. Je tiens à saluer la qualité et la pertinence de son argumentation.
Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, le groupe UMP votera contre cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui est examinée dans un contexte très particulier : celui d’une crise financière mondiale très grave, sans précédent depuis 1929, qui entraîne de nombreux pays de l’OCDE dans une récession économique dont nul ne connaît la durée ni l’issue.
Cette crise a donné au Parlement l’occasion de se prononcer à deux reprises sur des mesures proposées pour y faire face, soit de sa propre initiative, soit à la demande du Gouvernement, lors des débats relatifs au plan de relance et au projet de loi de finances rectificative pour 2009.
Cela étant, dans nos départements respectifs, que constatons-nous ? Partout, la même peur du lendemain, une défiance, parfois exacerbée, à l’encontre des banques et des établissements de crédit, ainsi qu’un climat social très tendu, notamment dans les territoires concernés par des fermetures d’entreprises ou par des plans sociaux de grande envergure, dont les ravages, en termes de chômage et de précarisation, risquent d’être considérables.
Je souligne d’ailleurs qu’il est parfois très curieux de constater que certaines entreprises, dont les bénéfices sont en constante et régulière augmentation, profitent de ce contexte de crise pour cesser leurs activités en France et les délocaliser sous des cieux plus propices, fiscalement parlant, souvent au cœur même de l’Union européenne, dans des États où les coûts salariaux sont particulièrement bas. Eu égard à l’appétit toujours plus vorace de certains groupes d’actionnaires, la crise a quelquefois bon dos !
C’est pourquoi l’idée de nos collègues du groupe CRC-SPG de mieux évaluer et de mieux contrôler l’utilisation des aides publiques allouées à certaines entreprises mérite plus que jamais toute notre attention.
Il s’agit de responsabiliser tant l’État, dans son rôle d’ordonnateur, que les entreprises concernées, au regard du respect de l’engagement pris de maintenir leurs activités et, par conséquent, les emplois sur le territoire national.
Rappelons que, dans la conjoncture actuelle, le soutien public est très important : renforcement des fonds propres des banques, renflouement de celles-ci à hauteur de 17 milliards d’euros, aides à la trésorerie des entreprises, etc. Le Gouvernement et le Parlement ont mis en œuvre toutes sortes de mesures propres à instaurer une capacité d’intervention rapide des pouvoirs publics pour éviter une faillite généralisée du système. Au regard de ces efforts exceptionnels, un contrôle est donc légitime et souhaitable, quelle que soit du reste la forme des aides publiques.
Cette nécessité d’assurer un contrôle plus efficace des aides est en outre renforcée par le comportement de certains patrons, notamment en matière d’attribution de primes de sortie ou de stock-options, à l’heure où les entreprises et les banques affichent des pertes colossales. Il est donc impératif de moraliser en amont les comportements patronaux tout en veillant, en aval, à ce que les aides financières soient efficacement utilisées.
Pourtant, rappelons que, sur proposition de notre excellent collègue Jean Arthuis lors des débats sur le projet de loi de finances rectificative pour 2009, un décret doit prochainement prévoir les conditions d’attribution ou de versement des éléments de rémunération variable, des indemnités et des avantages indexés sur la performance, ainsi que des rémunérations différées, à certains dirigeants, particulièrement lorsque leur entreprise a bénéficié d’aides de l’État.
À cet égard, l’État doit faire face à ses responsabilités, et les Français n’admettront jamais que, en cas de crise sociale aiguë, la faiblesse des futures dispositions réglementaires l’emporte sur la rigueur des engagements votés par le Parlement.
C’est donc dans la logique même de ces engagements que nous devons nous prononcer sur le bien-fondé de la proposition de loi qui nous est soumise. Dans un environnement tendu où, plus que jamais, notre pays a besoin qu’un dialogue social s’instaure, les premières victimes de la crise doivent pouvoir se sentir davantage impliquées dans le renforcement du contrôle de l’utilisation des aides publiques.
Les dispositions contenues dans la présente proposition de loi accordent-elles réellement un droit supplémentaire à la collectivité ? Ne risquent-elles pas simplement d’alourdir les procédures de contrôle déjà existantes ?
En réalité, elles ne doivent pas être le fruit d’un climat émotionnel, au demeurant légitime, mais doivent se fonder sur la raison et sur le souci de l’efficacité, sans être redondantes avec les missions de contrôle assurées par le Parlement et par la Cour des comptes.
Dans ces conditions, notre groupe ne s’opposera pas à l’adoption de cette proposition de loi émanant de nos collègues du groupe CRC-SPG. Certains de ses membres la soutiendront. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vous prie tout d’abord d’excuser M. Rebsamen, qui a été rappelé dans sa ville de Dijon. J’interviens donc au nom du groupe socialiste, qui soutient cette proposition de loi pour les raisons que je vais indiquer.
Madame la ministre, votre présence aujourd'hui dans cet hémicycle témoigne de l’importance du sujet dont nous traitons. Il est important que le Gouvernement prenne ce débat au sérieux, étant donné la profondeur de la crise que nous vivons.
Notre soutien à ce texte répond à un souci de continuité. En effet, la proposition de loi que nous soumettent, sur l’initiative de Robert Hue, nos collègues du groupe CRC-SPG, pose, à la lumière de la crise financière, la question des contreparties des aides publiques, question que nous avons nous-mêmes toujours posée.
C’est d’ailleurs pour cela que, sous le gouvernement conduit par Lionel Jospin, nous avions, déjà sur une proposition de notre collègue Robert Hue, alors député, adopté le texte devenu la loi du 4 janvier 2001, loi que vous vous êtes empressés de supprimer, comme l’a rappelé notamment M. Gournac, dès le collectif budgétaire de 2002.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Cela ne marchait pas !
Mme Nicole Bricq. Vous comprendrez donc, dans la continuité que je viens de rappeler, la portée symbolique que revêt pour nous la présente proposition de loi, surtout dans les circonstances actuelles.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Voilà ! Rien ne change !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Si c’est juste un symbole…
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est de la gesticulation !
Mme Nicole Bricq. Non ! Nous sommes dans l’opposition, nous faisons notre travail politique.
Je voudrais également vous rappeler une autre loi. Il n’a pas été suffisamment dit en effet que la loi de modernisation sociale, qui avait, elle aussi, été votée sous le gouvernement Jospin, impliquait un engagement très fort des entreprises amenées à supprimer leur activité ou à délocaliser, afin qu’elles participent à la réindustrialisation du bassin d’emploi ou à l’animation du site.
Cette loi ne plaisait pas non plus à la nouvelle majorité de 2002 et, pour des raisons qu’il faut bien qualifier de purement idéologiques – voilà les excès auxquels conduit quelquefois l’esprit de revanche !– ses dispositions ont, pour la plupart, elles aussi été supprimées.
Certains voudront bien se souvenir que le texte de 2001 avait été adopté après que le groupe Michelin eut annoncé simultanément la suppression de 7 500 emplois sur trois ans et une progression de 17 % de son résultat net ! Le lendemain, dès l’ouverture de la séance à la Bourse de Paris, le titre s’était envolé, gagnant plus de 11 % … Or, peu après, la presse révélait que Michelin avait perçu depuis 1983 environ 10 milliards de francs d’aides publiques à l’emploi. (M. Robert Hue approuve.)
C’était finalement une préfiguration de ce que nous vivons aujourd’hui, quoique l’échelle soit bien plus grande et l’inflation des chiffres quasi exponentielle.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Absolument !
Mme Nicole Bricq. La crise financière est un révélateur de ce genre de pratiques.
Toujours pour illustrer la continuité de nos positions en la matière, je note que, pendant la dernière élection présidentielle – peut-être l’a-t-on oublié, mais, comme j’ai cru comprendre que certains, sur les tréteaux de la campagne pour les élections européennes, rappellent les promesses qu’ils avaient faites à l’époque, vous me permettrez de faire de même – notre candidate avait pris l’engagement, dans la proposition n° 14 du Pacte présidentiel qu’elle proposait aux Français, de subordonner l’octroi d’aides publiques aux entreprises à la condition qu’elles ne licencient pas quand elles dégageaient des profits substantiels.
Continuité encore, quand Michel Liebgott et Aurélie Filippetti, nos collègues députés de Moselle – département lourdement frappé par la crise – estiment tout récemment que l’État doit demander au groupe ArcelorMittal le remboursement des aides publiques perçues.
Continuité enfin, quand Martial Bourquin, notre collègue sénateur du Doubs, déclare il y a peu : « La plus grande opacité règne aujourd’hui sur les aides à l’automobile ». L’élu franc-comtois assure douter « de la réalité des contreparties sociales apparemment demandées par le Gouvernement en échange de prêts à taux très intéressants. » Il plaide « pour une véritable traçabilité des aides publiques à l’automobile », ce qui est l’objet de la proposition de résolution qu’il a déposée.
Sans insister plus longtemps sur la continuité de nos vues sur ce sujet, j’ajouterai que nous avions soulevé, dès l’examen de la loi de finances rectificative pour 2009, qui comprenait le plan d’aide d’urgence aux établissements bancaires, le problème des contreparties. Nous avions bien vu alors les réticences qui se manifestaient quand nous demandions, au titre de ces contreparties, notamment la modération des rémunérations, en particulier celle des parts variables, ce à quoi nous sommes très attachés.
Comité de suivi ou pas, monsieur le président de la commission des finances, on voit combien il est difficile d’obtenir que l’on ne se contente pas de codes de bonne conduite et, puisque la question de ses droits a été évoquée, que le Parlement ait son mot à dire sur l’utilisation des fonds publics et les contreparties attendues des établissements en matière de rémunérations.
M. le rapporteur invoque l’inefficacité du texte voté en 2001 pour sceller le sort de la présente proposition de loi, argument repris par notre collègue de l’UMP Alain Gournac.
Chers collègues de la majorité, étant donné que la loi en question a été promulguée le 4 janvier 2001 et que vous l’avez supprimée en 2002, peut-on raisonnablement considérer qu’elle a été inefficace ?
M. Robert Hue. Bonne question !
Mme Nicole Bricq. Personne ici ne saurait prétendre qu’une loi atteint sa pleine efficacité en quelques mois de mise en œuvre, surtout au beau milieu d’une campagne électorale et lorsque, par-dessus le marché, intervient un changement de gouvernement ! Bref, ce premier argument ne tient pas.
Vous en invoquez un autre, monsieur le rapporteur : nous disposerions déjà des outils nécessaires. Vous mettez en avant, notamment, le contrôle exercé par les commissions des finances, avec l’appui de la Cour des comptes, grâce aux dispositions de la LOLF, la loi organique relative aux lois de finances.
Permettez-moi de passer sur les chambres régionales des comptes, dont le rôle n’est franchement pas de vérifier l’utilisation des fonds publics par les entreprises. Elles ont bien d’autres choses à vérifier, à commencer par la sincérité des comptes des collectivités locales et l’équilibre de ces comptes, auquel les collectivités sont tenues.
Certes, nous exerçons le contrôle que vous évoquez. Moi-même, je suis membre de la commission des finances et rapporteur spécial, mais vous savez bien, monsieur le président de la commission des finances, que, d’une part, les dispositions prévues par la présente proposition de loi ne feraient que renforcer ce contrôle, avec lequel elles ne sont pas du tout incompatibles, et que, d’autre part, notre contrôle est par définition limité, aussi bien dans le temps que dans son périmètre.
Quant à la révision de la Constitution - vous l’avez votée, pas nous ! -, on voit bien, à la manière dont elle se traduit depuis le début de sa mise en œuvre il y a quelques semaines, qu’elle renforce le dispositif de contrôle dans son inefficacité bien plutôt qu’elle ne l’améliore ! (M. le président de la commission des finances et M. le rapporteur protestent.)
Ne venez donc pas nous parler aujourd’hui des semaines sénatoriales de contrôle !
La mise en œuvre de cette réforme confirme rétrospectivement que nous avons bien fait de ne pas la voter. Le Gouvernement dispose de quinze jours, période qu’il continue de charger de textes sur lesquels il déclare l’urgence - nous légiférerons donc encore plus mal -,…
M. Robert Hue. Très bien !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. C’est caricatural !
Mme Nicole Bricq. … tandis que les quinze jours réservés au Parlement – pour le contrôle, paraît-il – servent en fait à épuiser les parlementaires assidus. Et, pendant ce temps-là, justement, nous ne faisons pas le travail de contrôle qui nous incombe.
Monsieur le président de la commission des finances, vous en êtes témoin : la semaine dernière, à l’occasion de deux débats importants consacrés respectivement à la crise financière, sur l’initiative de nos collègues communistes, et aux heures supplémentaires, à la demande de notre groupe, nous avons déjà dénoncé ce processus qui nous conduit à parler toujours plus,…
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Pour ne rien dire ! (Sourires.)
Mme Nicole Bricq. … souvent devant un hémicycle vide, et ce au détriment de l’action.
Par conséquent, encore une fois, n’invoquez surtout pas les semaines de contrôle !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Contrôler, cela se fait aussi sur place !
Mme Nicole Bricq. Quant au comité de suivi du plan de financement de l’économie française, que vous avez évoqué pour l’aide apportée aux banques, madame la ministre, je ne vois pas en quoi il serait en contradiction avec la proposition de loi.
Ce comité s’est réuni deux fois. Le Parlement est représenté en son sein par les présidents des commissions des finances des deux assemblées et par les deux rapporteurs généraux, qui rendent compte à la commission des finances et aux autres parlementaires.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Ce que nous faisons !
Mme Nicole Bricq. Je ne vois cependant pas pourquoi l’action de ce comité de suivi ne pourrait pas trouver un utile complément dans le travail d’un organe plus proche du terrain, ce qui est tout de même l’objectif ici. Au contraire, elle n’en serait que plus efficace.
Mme la ministre a utilisé l’adjectif « superfétatoire ». Je voudrais quand même rappeler que la majorité - pas nous ! - a voté, il y a quelques semaines, dans le cadre du deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2009, un crédit de 100 millions d’euros pour les commissaires à la réindustrialisation déployés dans certaines régions.
C’est tout de même une somme, 100 millions d’euros, et, sachant qu’il existe déjà des préfets de région dotés d’une administration et de services, ces commissaires pourraient bien être, eux, qualifiés de « superfétatoires ».
M. Robert Hue. Très bien ! Excellent argument !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Ce n’est pas du contrôle !
Mme Nicole Bricq. Ou bien est-ce une façon de reconnaître que la mise en œuvre de la RGPP, la révision générale des politiques publiques, prive les préfectures de région de leurs moyens ?
Monsieur le rapporteur, vous avez déclaré, dans vos conclusions, que cette proposition de loi contribuerait « également à induire le soupçon sur le bien-fondé des aides apportées aux entreprises et participe d’une défiance idéologique à l’encontre de la vie des affaires, encourageant en cela une tendance déjà trop présente dans la société française. » (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.)
Monsieur le rapporteur, vous êtes très sévère pour les auteurs de la proposition de loi, mais, tout de même, n’avons-nous pas observé, vous comme nous – j’en prends à témoin le président de la commission des finances - que, pendant toute l’année 2008, donc en pleine crise, les entreprises ont continué à procéder à des rachats d’actions,…
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Il y en a dix-sept qui l’ont fait !
Mme Nicole Bricq. … que les conseils d’administration ont continué à octroyer bonus et parachutes dorés ? Comment peut-on, dans ces conditions, parler de « défiance idéologique » ? Mais je ne développe pas, ce n’est pas le sujet.
Je lis toujours très attentivement la dernière page du cahier n° 3 du Figaro, où figurent les résultats d’enquêtes menées en temps réel auprès des lecteurs. Et vous m’accorderez que les lecteurs du Figaro se situent plutôt à droite… (Sourires.)
Eh bien, quand on les interroge sur le sujet, il y a tout de même 77 % de ces lecteurs pour considérer qu’il est normal de contrôler les aides publiques accordées aux entreprises.
Qu’est-ce que cela signifie, sinon qu’il ne s’agit pas là d’un problème idéologique, sauf à qualifier d’« idéologique » l’opinion majoritaire ? Sur ce sujet, les avis ne recoupent pas le clivage habituel entre droite et gauche, car, si nous représentions 77 % des voix, cela se saurait, et sans doute ne serions-nous pas alors dans l’opposition ! (Nouveaux sourires.)
Vous stigmatisez aussi dans votre rapport le caractère « bureaucratique » du mécanisme de contrôle proposé. Je pourrais de mon côté vous en citer beaucoup, des systèmes « bureaucratiques » !
Nous avons fait un voyage d’étude aux États-Unis, dont il faut bien reconnaître qu’ils étaient, à une certaine époque, l’objet d’une véritable vénération. Or nous avons constaté que les phénomènes bureaucratiques se retrouvaient partout, donc quelle que soit l’idéologie majoritaire. Il ne s’agit pas, là non plus, d’un bon argument.
Pour conclure, je crois que, dans le contexte de la crise actuelle, la proposition de loi de nos collègues du groupe CRC-SPG participe au mouvement général actuel de retour à la raison.
Ce qui est proposé est tout simple et peut contribuer, d’une certaine façon, à redonner un peu de la confiance perdue dans l’action publique, et à réinstaurer une transparence qui a manqué jusqu’à présent. Voilà pourquoi nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au terme de cette discussion générale de la proposition de loi de Robert Hue et des membres du groupe CRC-SPG, le Sénat doit se prononcer sur l’opportunité de la création d’une commission nationale de contrôle et d’évaluation des aides publiques aux entreprises, qui, naturellement, serait accompagnée d’institutions similaires au niveau régional.
Aussi bien M. le rapporteur que Mme la ministre et M. Gournac ont exprimé un point de vue proche de celui de la commission des finances.
Bien sûr, le contexte de crise dans lequel nous nous trouvons oblige soudain à replacer l’État au cœur de l’économie, afin de rétablir la confiance et de prévenir le risque systémique.
Bien sûr, nous devons engager des fonds publics dans des proportions considérables, et nos concitoyens exigent que nous exercions pleinement notre devoir de vigilance, de contrôle et d’évaluation. C’est bien d'ailleurs ce que nous entendons faire !
Madame la ministre, comme vous l’avez rappelé, vous avez mis en place un comité de suivi du dispositif de financement de l’économie. J’en suis membre, ainsi que mon homologue président de la commission des finances de l’Assemblée nationale et les deux rapporteurs généraux. Mme Bricq comme M. Vera pourront témoigner que Philippe Marini et moi-même veillons à rendre compte systématiquement à la commission des finances du Sénat des propos tenus au sein de ce comité de suivi.
Toutefois, au-delà de l’actualité immédiate, je voudrais vous rappeler, mes chers collègues, que nous avons révisé la Constitution, dont l’article 24 pose désormais clairement les principes qui régissent le rôle du Parlement. Celui-ci, certes, « vote la loi », mais aussi « contrôle l’action du Gouvernement » et « évalue les politiques publiques ».
Mme Bricq fait état de certaines déceptions nées en cette période de rodage de procédures nouvelles. Il est vrai que nous ne sommes pas toujours très nombreux dans l’hémicycle quand, sur l’initiative des groupes, des séances sont consacrées au contrôle… Toutefois, mes chers collègues, le contrôle du Parlement ne saurait se réduire à la discussion plus ou moins improvisée de quelques questions orales ! (M. Nicole Bricq acquiesce.)
Le contrôle, c’est un engagement permanent, du début à la fin de l’année, qui nous oblige à procéder à des vérifications sur place et sur pièces et nous rend attentifs aux dysfonctionnements de la sphère publique.
Si le Parlement n’exerce pas ses missions de contrôle, qui, à mes yeux, sont au moins aussi importantes que son rôle législatif, que fait-il quand il devient évident que la puissance publique n’a plus de prise sur la réalité ? Une loi ! Or rien ne change et, très vite, nos compatriotes sont témoins de l’impuissance publique. Il faut des lois, certes, mais sachons ne légiférer que d’une main tremblante !
Le contrôle et l’évaluation, en revanche, nous mettent au contact des réalités et nous aident à sortir des considérations idéologiques ou dogmatiques.
C’est en constatant ce qui se passe sur le terrain que nous forgeons nos convictions, et nous pouvons alors tenter de les faire partager aux autres parlementaires. Si tel n’est pas le cas, nous restons dans le registre des propos convenus. Il nous arrive alors de parler pour ne rien dire, au risque de donner du Parlement une image quelque peu dérisoire eu égard à la gravité des situations auxquelles se trouvent confrontés nos compatriotes...
Mes chers collègues, nous devons, nous, parlementaires, conduire notre propre réforme et sortir d’un rituel qui est finalement assez commode. Il ne suffit pas d’affirmer que, une semaine par mois, le Sénat se consacre au contrôle en séance publique pour changer l’image du Parlement et accroître sa valeur ajoutée spécifique !
Notre mission ne peut se borner à l’interpellation et à l’incantation : nous devons aller observer ce qui se passe sur le terrain. C’est à ce prix que nous ferons disparaître ce soupçon de complicité avec les dysfonctionnements de la sphère publique qui pèse sur le Parlement.
Mes chers collègues, je vous encourage donc à persévérer dans le contrôle et l’évaluation.
Dans ces conditions, monsieur Hue, est-il nécessaire de nous dessaisir de nos prérogatives pour les confier à une commission nationale de contrôle et d’évaluation des aides publiques ?
M. Robert Hue. Les deux formes de contrôle sont possibles !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Mais à quoi bon cette duplication ?
M. Robert Hue. Dans la commission que je propose, les salariés sont représentés !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Rejeter sur les autres les responsabilités qui nous incombent, c’est nous dispenser à bon compte d’assumer notre propre mission. (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG.) Si nous voulons une société responsable, de grâce, évitons de dupliquer les structures de contrôle !
Quant à l’utilisation des aides publiques par les entreprises, la transparence est désormais suffisante, me semble-t-il, pour que les comités d’entreprise et les délégués du personnel puissent prendre connaissance des comptes,…
M. Robert Hue. Ce n’est pas ce que disent les salariés !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. … du moins dans les sociétés qui ne dissimulent pas ou n’externalisent pas une partie de leurs opérations dans des territoires non coopératifs. Du reste, ceux-ci disparaîtront bientôt, grâce à vous, madame la ministre, et grâce à la Commission européenne, et nous pourrons alors réaliser un contrôle interne des entreprises.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Contrôlez vraiment une seule entreprise, et on en reparlera !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Au-delà de ce problème, je rêve d’une société où il n’y aurait plus d’aides publiques aux entreprises (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.) et où, en tenant compte des enjeux de la mondialisation, nous pourrions réviser nos systèmes de prélèvement obligatoires.
En effet, madame la ministre, nous devrons un jour avoir ce grand débat devant les Français et nous interroger sur nos prélèvements obligatoires.
Certains trouvent formidable que les entreprises payent des impôts. Formidable, en effet… Toutefois, les impositions des sociétés sont, en définitive, supportées par les consommateurs,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est sûr !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. … car elles sont répercutées sur les prix de marché. Qui pourrait affirmer que les impôts des entreprises sont payés par d’autres que les Français eux-mêmes ?
Dès lors, nous devons pouvoir inspirer une réforme des prélèvements obligatoires qui viserait à supprimer les aides publiques et, probablement, à alléger très significativement les impôts payés par les entreprises, parce que ceux-ci se retrouvent dans le prix des produits et des services mis sur le marché et achetés par les consommateurs, c'est-à-dire par nos concitoyens.
Cela étant, chers collègues, ne perdez pas de vue que, si l’impôt transite par les entreprises, il peut être tentant pour certaines d’entre elles – ce n’est pas très compliqué –, d’aller produire ailleurs, là où les coûts sont moins élevés ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.) Dans ce cas, nous nous rendons complices de ce processus de désindustrialisation que vous déplorez par ailleurs.
Mais nous devrons bien un jour surmonter nos contradictions et dominer nos tendances schizophréniques. Car, c’est bien connu, les Français ne veulent pas travailler le dimanche, mais ils aiment faire leurs courses ce jour-là. (Sourires.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est hors sujet !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. De même, ils veulent payer le moins cher possible les produits qu’ils consomment, mais ils veulent aussi un salaire convenable et une protection sociale suffisante.
Nous aurons à débattre de toutes ces questions, et il serait intéressant de le faire ici même…
M. Alain Gournac. J’y suis très favorable !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Excellente idée !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. … pour tenter de faire justice de ces contradictions, faute de quoi nous risquons d’être suspectés de nous contenter facilement d’incantations et de gesticulations. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. Bernard Vera. Vous en faites une belle démonstration !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Merci, mon cher collègue. Votre évaluation est un encouragement ! (Sourires sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Voilà donc votre idéal de société !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je souhaite que nous puissions dégager des espaces de dialogue, parce que les Français attendent que nous répondions concrètement à leurs préoccupations, au lieu de nous contenter de mettre en place de nouvelles commissions.
Il n’est pas inutile de chercher à multiplier les possibilités de contrôle, mais – je me permets d’y insister – cela relève d'abord des prérogatives du Parlement, qui a été créé pour cela, et pour consentir l’impôt !
Dans ces conditions, vous le comprendrez, la commission des finances, tout en respectant ce texte, ne le soutiendra pas et demandera au Sénat de le rejeter. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
Il est créé une Commission nationale d'évaluation et de contrôle des aides publiques aux entreprises, chargée de mesurer les impacts économiques et sociaux et de vérifier l'utilisation des aides publiques de toute nature accordées aux entreprises et aux établissements financiers par l'État et les collectivités locales ou leurs établissements publics, afin d'en améliorer l'efficacité pour l'emploi, la formation professionnelle et les équilibres territoriaux.
La Commission nationale est également compétente pour évaluer et contrôler l'utilisation des fonds structurels européens.
M. le président. La parole est à M. Bernard Vera, sur l'article.
M. Bernard Vera. Nous estimons qu’il est indispensable de renforcer le contrôle de l’utilisation de l’argent public par tout moyen approprié.
Monsieur le rapporteur, vous affirmez que le Parlement est là pour cela, que la Cour des comptes peut jouer son rôle de gardienne de la lisibilité et de la sincérité budgétaires, que la loi organique relative aux lois de finances, comme M. le président de la commission vient de le rappeler, nous dote de nouveaux moyens d’investigation.
Mais alors, pourquoi le Sénat ne s’est-il jamais penché, de sa propre initiative, sur la politique d’allégement des cotisations sociales, d’une manière plus critique que celle qui consiste, au fil des discussions relatives aux projets de loi de finances ou de loi de financement de la sécurité sociale, à faire un rapide point d’ordre sur la situation ?
Madame la ministre, vous nous avez affirmé tout à l'heure que la progression des dépenses d’allégement des cotisations sociales était, pour l’essentiel, liée aux 35 heures.
Or l’une des premières dispositions adoptées par François Fillon, à l’époque, pas si lointaine, où celui-ci avait la charge du ministère du travail, fut de supprimer l’incitation à la réduction du temps du travail, pour lui substituer un allégement général des cotisations sociales sur les bas salaires ! C’est cette décision que nous payons aujourd’hui, et à plus d’un titre, d’ailleurs.
M. Robert Hue. Bien sûr !
M. Bernard Vera. En effet, les allégements de cotisations sociales sur les très bas salaires ont pour conséquence, notamment, la généralisation de ce type de rémunération, car les entreprises sont fortement incitées à privilégier ces très bas salaires, le plus souvent sans tenir compte de la réalité de la qualification des salariés, ni même du contenu de leur travail !
Dans de nombreuses branches professionnelles, dans maints bassins d’emploi, les rémunérations qui égalent ou approchent le SMIC sont le lot commun des salariés !
Les administrateurs de Pinault-Printemps-Redoute peuvent bien se distribuer de généreuses plus-values ou des stock-options, il n’empêche que, pour une très large part, les salariés du groupe n’ont souvent que le SMIC pour toute rémunération, sans compter le temps partiel subi, qui est pratique courante !
Si nous proposons de créer cette commission nationale, c’est parce que nous voulons faire précisément le point sur le sens de l’action publique tournée vers les entreprises. En effet, l’argent public, c’est celui de tous les Français, qu’ils soient riches ou plus modestes. Il est légitime que nos compatriotes sachent où va cet argent et à quoi il sert !
Telle est la mission que nous entendons confier à cette commission nationale, en faisant d’elle l’outil d’une juste évaluation de l’allocation des ressources publiques. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Mes chers collègues, sans revenir sur les différents arguments qui ont été évoqués alors, je rappellerai que la commission n’a pas adopté cet article 1er.
Oui, nous devons contrôler l’utilisation de l’argent public ! Mais, comme vient de le rappeler le président de la commission des finances, c’est le Parlement, aux termes de l’article 24 de la Constitution, qui se trouve chargé de cette mission d’évaluation, et non une quelconque commission dont j’ai démontré qu’elle ne pourrait pas fonctionner.
M. Alain Gournac. Bien dit !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. À nous maintenant d’inventer notre rôle, dans le cadre de la semaine de contrôle parlementaire, procédure encore toute nouvelle. À nous d’examiner les aides publiques, mais aussi les allégements de charges sociales, car j’ai bien noté les remarques qui ont été formulées à cet égard.
Mes chers collègues, nous avons tout à fait la légitimité nécessaire pour exercer cette mission, bien plus en tout cas qu’une commission ressuscitant une structure qui, par le passé, n’a pas fonctionné !
Je vous invite donc à suivre la position de la commission et à ne pas voter l’article 1er de la présente proposition de loi.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Christine Lagarde, ministre. Je souhaite revenir sur la conditionnalité des aides.
Je le rappelle, le Sénat a adopté en novembre dernier le projet de loi en faveur des revenus du travail, qui prévoit précisément la mise en œuvre du principe de conditionnalité. En l’occurrence, les allégements de charges ne seront maintenus au bénéfice des entreprises que dès lors que celles-ci engagent une négociation annuelle des salaires.
Or il a été prévu, très intelligemment d'ailleurs, qu’un bilan serait dressé, à la fin de l’année 2009, pour vérifier que les entreprises procèdent bien à cette négociation annuelle des salaires.
Je rappelle aussi que, aux termes de ce texte, les entreprises qui ne respecteraient pas cette obligation seraient soumises à une pénalité équivalant à 10 % du montant des allégements de charges.
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC-SPG.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 146 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 171 |
Pour l’adoption | 153 |
Contre | 187 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Article 2
La Commission nationale est composée :
- de députés et sénateurs désignés par leur assemblée respective ;
- de représentants de l'État ;
- de représentants des organisations syndicales représentatives de salariés ;
- de représentants des organisations professionnelles représentatives d'employeurs ;
- de personnalités qualifiées, à raison de leur compétence en matière économique et sociale. Une représentation du milieu associatif est prévue à ce titre.
M. le président. La parole est à M. Robert Hue, sur l'article.
M. Robert Hue. L’article 2 tend à préciser la composition de la commission nationale d’évaluation et de contrôle des aides publiques aux entreprises que nous appelons de nos vœux.
Naturellement, j’ai analysé avec beaucoup de soin la position de la commission des finances et le rapport de M. de Montgolfier. J’avoue que, si je ne suis peut-être pas vraiment surpris, je ne suis pas moins scandalisé par une partie de l’argumentation développée.
M. le rapporteur écrit qu’il « est pour le moins circonspect sur la composition envisagée de la commission. L’absence de précisions quant au nombre de ses membres, tant au niveau global que par catégorie de titulaires, est de nature à la rendre pléthorique, bavarde, et à paralyser son fonctionnement. »
Une « catégorie de titulaires » rendrait donc cette instance « bavarde »… Une telle position témoigne d’un terrible mépris pour le dialogue social.
Au fond, ceux que l’on ne veut pas entendre dans cette affaire, ce sont les salariés !
J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt les arguments de M. le président de la commission des finances, de M. le rapporteur et de Mme la ministre sur les pouvoirs du Parlement ou le contrôle juridictionnel. Nous pourrions parfaitement débattre de ces points sur lesquels, comme vous le savez, nous ne sommes pas d’accord.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. J’aimerais bien qu’on en débatte !
M. Robert Hue. Il n’empêche que la question clé peut être résumée en deux termes : transparence et salariés.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Très bien !
M. Robert Hue. Le Gouvernement ne veut pas de la transparence parce qu’il relaie ce qui peut apparaître comme une volonté du patronat de dissimuler certaines choses.
Quant aux salariés, dès que leur présence au sein d’une commission est envisagée, on parle aussitôt, monsieur le rapporteur, de bavardage… Je trouve cela tout à fait édifiant !
Notre collègue Alain Gournac, quant à lui, estime inconcevable que tous les maires,…
M. Alain Gournac. Il y en a 36 000, cela fait beaucoup !
M. Robert Hue. … les 36 000 maires, soient en mesure de saisir la commission.
Mon cher collègue, je sais d’expérience que certaines situations sont inacceptables localement. Je ne suis plus maire depuis quelques semaines, mais je l’ai été pendant trente-deux ans.
M. Alain Gournac. Moi, je le suis encore !
M. Robert Hue. Je m’en réjouis pour vous, mais là n’est pas la question.
Ne faut-il pas, à un moment donné, que le maire d’une commune accueillant sur son territoire une entreprise qui fait vivre un quartier complet, voire le village ou la ville entière, puisse disposer d’une possibilité de saisine ? La commission régionale qu’il est proposé d’instaurer le permettrait, mais, de ce contrôle-là, on ne veut pas non plus !
Globalement, le contrôle exercé par les élus du peuple, par les maires des petites villes, ce contrôle-là ne compte pas quand il s’agit des aides publiques. Il en va naturellement de même pour celui des salariés : à la limite, ceux-ci peuvent disposer d’un brin d’information, mais, du côté de la majorité, on ne souhaite ni leur participation ni leur intervention concrète !
C’est dans la nature des choses… À une autre époque, j’aurais même dit que c’est dans la « nature de classe » des choses. (Exclamations amusées sur les travées de l’UMP.)
À propos précisément des salariés, Mme la ministre, dont je me félicite également de la présence aujourd'hui, a fait référence, dans son intervention, au secteur automobile et aux contreparties exigées pour les 11 milliards d’euros d’aides publiques. Elle a mentionné le pacte automobile et a dit ce que j’ai déjà entendu mille fois, à savoir qu’il n’y aurait pas de plans sociaux dans les entreprises ayant reçu des aides publiques.
J’ai ici, sous les yeux, un document qui m’a été adressé hier, dans la perspective de notre débat de ce jour. Il concerne l’entreprise PTPM d’Ay, dans la Marne, et le groupe Trèves, un sous-traitant de PSA Peugeot Citroën, qui a été largement soutenu dans le cadre du pacte automobile.
Le groupe Trèves a notamment bénéficié, à hauteur de 55 millions d’euros, du fonds de modernisation des équipementiers automobiles, donc d’argent public. Or il organise des licenciements et une délocalisation à l’étranger, avec la menace de 700 suppressions d’emplois en France, dont 130 suppressions dues à la fermeture du site de la Marne.
Les salariés se sont organisés. Ils ont fait la démonstration qu’une autre gestion, un autre fonctionnement étaient envisageables. Faute de lieu d’où les salariés puissent être entendus, la section syndicale CGT de ce sous-traitant du secteur automobile a proposé aux habitants de la petite ville de signer un dépôt de plainte contre le groupe industriel, qui utilise les fonds publics pour restructurer, et non pour développer le potentiel industriel. Plus de 400 citoyens ont déjà signé.
À travers cet exemple de proximité, on voit bien que les salariés n’avaient aucun recours. Si une commission régionale avait existé, ils auraient pu la saisir et on aurait pu discuter de la qualité du plan qu’ils proposaient. Là, c’était impossible !
Cet exemple démontre le bien-fondé d’une commission régionale que pourraient saisir les salariés et les élus. Quant aux contreparties du groupe PSA Peugeot Citroën au titre du pacte automobile, je vous demande, madame la ministre, de regarder de très près le dossier. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Ces séances doivent réellement être l’occasion de débats : j’ai bien écouté Robert Hue et entendu ses interrogations quant aux maires et aux élus territoriaux. Je vais tenter de lui répondre.
Mon expérience d’élu territorial me laisse penser qu’il n’existe pas de réelles difficultés en matière de contrôle des fonds publics.
Lorsque nous décidons d’attribuer une aide dans le cadre défini par la loi, nous passons des conventions avec les entreprises concernées et nous subordonnons l’octroi de cette aide à un engagement en termes de création d’emploi.
Que peut-on faire quand, malheureusement, l’objectif n’a pas été atteint à l’échéance conventionnelle ? Pour peu que l’entreprise traverse des difficultés, raison pour laquelle elle n’a pas pu créer tous les emplois qu’elle ambitionnait de créer, faut-il lui demander de rembourser les aides, au risque de précipiter alors le dépôt de bilan ?
Mme Nicole Bricq. Il existe une jurisprudence !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Que faites-vous, mes chers collègues, dans de tels cas ?
Des opérations de contrôle ont donc bien lieu au quotidien, dans la France entière, mais les élus sont souvent piégés dans des situations difficilement supportables.
Que doit faire un maire qui, à la veille d’une élection, se voit signifier que, s’il n’attribue pas une aide particulière, l’entreprise ira ailleurs parce qu’une commune dans le département voisin ou dans le canton voisin lui propose des conditions plus favorables ?
M. Robert Hue. C’est le chef d’entreprise qui vous dit cela, mais il y a aussi des salariés !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Avez-vous eu l’occasion de diriger une entreprise, même petite ? Discuter est formidable, mais on vous appelle aussi à l’action !
La politique privilégie malgré tout l’action. On ne peut se contenter d’incantations. Peut-on vraiment estimer avoir rempli sa mission en créant une commission nationale et des commissions locales ? Peut-on, de ce seul fait, se considérer comme le garant du bon usage des fonds publics ? Ce serait trop facile ! Et à quoi bon, alors, élire périodiquement des députés et des sénateurs ?
Vraiment, je voudrais vous en convaincre, nous devons maintenant nous préoccuper de la compétitivité des entreprises et de nos territoires…
M. Alain Gournac. C’est le plus important !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. … et nous interroger sur des dispositifs législatifs et réglementaires certes admirables et que le monde entier nous envie, mais qui ne jouent pas toujours dans le sens de cette exigence.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Si c’est pour servir des dividendes aux actionnaires…
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je partage vos sentiments sur ce sujet : je considère aussi comme une véritable injustice ces surrémunérations et ces bonus. Ils accréditent une espèce de gloutonnerie et de cupidité que rien ne retiendrait,…
M. Robert Hue. Attention à la suspicion !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. … comme si l’éthique avait disparu !
Nous devons donc apporter une attention particulière à la transparence. Je vous demande d’ailleurs de noter, mes chers collègues, que j’ai là un point de convergence avec M. Hue. Nous progressons ! (Sourires.)
La transparence est effectivement le meilleur régulateur. C’est elle qui peut nous permettre de prévenir certains excès. Nous devons donc établir des règles qui garantissent cette transparence.
Cependant, monsieur Hue, lorsque vous légiférez, vous le faites pour le territoire national. Or l’économie est largement européenne, voire, aujourd’hui, globale.
Si vous pouvez voter des lois extrêmement strictes, qui vous donneront bonne conscience et le sentiment, au coucher, du devoir accompli, la matière néanmoins s’échappe : les entreprises sont effectivement volatiles et peuvent passer d’un territoire à l’autre sans aucune difficulté.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Cela rapporte !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Ce constat doit sans doute vous amener à militer pour l’Europe, et pour une Europe en mesure d’édicter des principes et des règles. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Quoi qu’il en soit, n’ayant pas été pleinement convaincu par votre propos, cher collègue, à titre personnel, je ne voterai pas l’article 2.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. Puisque M. le président de la commission des finances engage un débat fort sérieux au sujet des collectivités locales, je voudrais l’informer que des collectivités ayant accordé des aides publiques à des entreprises ont été conduites, parce que les engagements n’étaient pas respectés, à porter l’affaire en justice.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !
Mme Nicole Bricq. Le juge leur a quelquefois donné raison. Si la jurisprudence peut s’appuyer sur la loi, c’est encore mieux : les collectivités peuvent ainsi récupérer plus facilement les aides qui ont été indûment employées.
M. le président. La parole est à M. Alain Gournac, pour explication de vote.
M. Alain Gournac. Monsieur Hue, avec beaucoup de respect, je ne voudrais pas vous laisser penser un instant que je souhaite affaiblir le rôle du maire. Telle n’est certainement pas mon intention, en ce qui me concerne !
Mme Nicole Bricq. Et en ce qui concerne les autres maires ?
M. Alain Gournac. Le maire joue un rôle de stabilisateur de la société, et il faut à tout prix le protéger. Or, pour le protéger, il faut éviter de le placer dans une situation difficile, ce à quoi on aboutirait si on vous suivait. En effet, si, malgré la saisine de la commission par ses soins, le résultat n’est pas positif, c’est le maire qui sera mal jugé. Le pauvre aura pourtant fait le maximum pour essayer de trouver une solution.
Loin de moi donc l’idée que le maire ne serait pas concerné par le sort de l’entreprise qui fait vivre le village ou le canton.
Par ailleurs, comme vous, monsieur Hue, comme M. le président de la commission des finances, je suis partisan de la transparence. Mais cette transparence, nous la voulons grâce au Parlement : un député, peut-être même deux, et un sénateur, voire deux, représentent un territoire ; ils ont donc toute possibilité de saisir leur assemblée respective, c’est-à-dire de repositionner quelque peu – je croyais que vous étiez d’accord sur ce point ! – le Parlement dans son rôle.
Le Parlement a un rôle capital à jouer dans ce contrôle, notamment par le biais de ses commissions des finances, même si ce dernier est encore susceptible d’améliorations.
M. Robert Hue. Cela ne s’oppose pas !
M. Alain Gournac. Je tenais absolument à lever toute ambiguïté sur mon propos.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli, pour explication de vote.
M. Hugues Portelli. Le débat est très intéressant mais, à mon avis, un peu surréaliste : nous venons, en effet, par notre premier vote, de supprimer l’article prévoyant la création de la commission nationale, et, dès lors que la commission n’existe plus, la proposition de loi n’a plus de sens. Pourquoi donc discuter des compétences d’une commission qui n’existe plus ?
Pour moi, le débat est clos techniquement.
M. le président. Monsieur Portelli, autant des amendements peuvent « tomber », parce qu’ils n’ont plus d’objet, autant, s’agissant d’articles, il incombe au président de séance de les mettre aux voix.
M. Hugues Portelli. Nous sommes d’accord !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Je tiens à dire à M. Hugues Portelli que l’article 2, tel qu’il est rédigé, nous donne des raisons supplémentaires de supprimer cette commission : ni le nombre de représentants, ni leur origine, c'est-à-dire ce qui fait la légitimité de la composition de cette commission, n’y sont en effet précisés.
Mme Nicole Bricq a cité à l’instant des exemples prouvant qu’il existe déjà un contrôle juridictionnel, puisque des tribunaux administratifs se sont déjà prononcés en la matière. En outre, certaines règles s’appliquent, je pense notamment à la règle de minimis, dont le respect est rigoureusement contrôlé.
C’est la raison pour laquelle la commission n’a pas adopté l’article 2 et souhaite que le Sénat suive cette position.
M. Alain Gournac. On peut voter !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. À défaut d’aboutir au vote d’un texte, ces moments doivent au moins être l’occasion d’échanges ; le Parlement ne doit pas être le lieu où chacun vient présenter ses arguments sans prendre le temps d’écouter ceux des autres. Il nous faut donc tenter de faire un bout de chemin les uns avec les autres. Il va bien falloir, pour sortir de cette crise, un minimum de consensus !
C’est d’ailleurs le résultat auquel est parvenu un groupe composé de douze sénateurs et de douze députés représentant l’ensemble des formations politiques : ils sont parvenus à un diagnostic partagé – je parle sous le contrôle de M. Bernard Vera – et à des propositions consensuelles.
La crise internationale nous fait obligation de sortir de nos tranchées habituelles et de nos conventions. Sinon, je doute que nous puissions formuler les bonnes réponses aux questions douloureuses qui nous sont posées.
Monsieur Hue, s’agissant des municipalités, tout est conventionnel, et il est parfaitement possible de saisir le juge pour faire respecter les termes de la convention lorsque l’un des partenaires n’a pas assumé ses engagements.
Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas facile !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je ne dis pas que c’est facile, mais il ne faut pas oublier à quel point les municipalités se trouvent en concurrence les unes avec les autres : elles sont prêtes à faire de la surenchère pour attirer telle ou telle entreprise. Cela se vérifie également s’agissant des communautés de communes, les départements et les régions.
Cette surenchère ne pourra se poursuivre indéfiniment, puisque nous finançons cela avec des impôts qui deviennent autant d’activateurs de délocalisations et de pertes d’emplois.
Vous avez l’oreille, semble-t-il, de certains syndicats : j’aimerais donc que vous fassiez vivre ce genre de débat parmi les syndicats. Quelles réponses apportent-ils face aux enjeux de la globalisation ?
M. Robert Hue. Il faudrait que le dialogue social s’établisse !
M. le président. Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 n’est pas adopté.)
Article 3
Outre sa mission générale de contrôle, la Commission nationale peut être consultée lors de l'institution de tout nouveau dispositif national d'aides publiques aux entreprises et aux banques et établissements financiers.
La Commission nationale peut se saisir elle-même ou être saisie par l'une des instances habilitées à désigner un représentant en son sein, un comité d'entreprise ou, à défaut, un délégué du personnel, une entreprise, un parlementaire, un maire ou le président d'un conseil général ou d'un conseil régional.
Chaque préfet de région lui transmet chaque année un rapport sur la mise en œuvre et l'utilisation de l'ensemble des aides aux entreprises.
La Commission nationale peut obtenir de tout ordonnateur d'une aide publique toutes précisions utiles à une parfaite transparence dans l'attribution et l'usage des aides définies à l'article 1er.
À la demande d'un parlementaire, d'un maire, d'un président d'un conseil général ou d'un conseil régional, ou de sa propre initiative, elle peut, en outre, interroger les représentants de l'État dans les régions ou les départements afin d'obtenir les informations permettant de mesurer l'ensemble des aides reçues par une entreprise déterminée. La commission communique ces informations à l'auteur de la saisine.
La Commission nationale établit un rapport annuel qui contient ses remarques et avis sur les politiques poursuivies. Elle peut formuler toute proposition quant aux critères d'allocation des aides publiques aux entreprises et aux établissements financiers.
Ce rapport est transmis au Parlement et rendu public.
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par M. Rebsamen, Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Sergent, Todeschini et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Dans le deuxième alinéa de cet article, remplacer les mots :
un comité d'entreprise ou, à défaut, un délégué du personnel
par les mots :
un comité central d'entreprise, un comité de groupe
La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Nous avons écouté attentivement M. le rapporteur lors de la réunion de la commission des finances et avons pris en compte ses remarques dans cet amendement. Nous proposons en effet de modifier la composition de la commission de manière que ce soit « un comité central d’entreprise, un comité de groupe » qui puisse y être représenté et, ce faisant, nous allégeons la rédaction de l’article 2, ainsi que cela nous avait été demandé.
Le pas que nous avons fait en direction de la commission des finances prouve que nous pouvons nous entendre, nous comprendre, mais nous attendons qu’à son tour M. le rapporteur fasse un pas vers nous, en donnant un avis favorable sur cet amendement. (M. Alain Gournac sourit.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Bien que mes collègues du groupe socialiste se soient montrés un peu plus raisonnables en prévoyant une saisine moins large qu’initialement, le problème de fond demeure : cette saisine reste d’une largeur excessive, puisque notre pays compte environ 2,5 millions d’entreprises. Je rappelle que toutes les entreprises, tous les maires, pourraient saisir la commission nationale. Je laisse chacun imaginer la charge de travail d’une commission dont la saisine ne ferait l’objet d’aucun filtre.
M. Alain Gournac. Impossible !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Prévoir un tel fonctionnement est totalement irréaliste. Une commission nationale ne pourrait, à elle seule, répondre aux sollicitations d’un aussi grand nombre de personnes, physiques ou morales.
La commission, même si elle note que la démarche des membres du groupe socialiste est un peu plus raisonnable, émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Bernard Vera, pour explication de vote.
M. Bernard Vera. Monsieur le rapporteur, selon vous, le fait que 36 000 maires, 2,5 millions d’entreprises puissent saisir cette commission nationale rendrait impossible son fonctionnement.
Je me permettrai de souligner que des instances susceptibles d’être saisies par de très nombreuses personnes, physiques ou morales, nous en avons pléthore dans notre paysage juridique et institutionnel !
Ainsi, le Médiateur de la République, qui dispose, d’ailleurs, de délégués départementaux, peut être saisi directement par tout citoyen, en propre ou par l’intermédiaire de n’importe quel élu local, national, ou n’importe quelle association. De même, la HALDE, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, peut, quant à elle, être saisie par toute personne qui s’estime victime de discriminations.
Ne sommes-nous pas, avec notre proposition de loi, dans la même logique, celle qui veut que nous soyons arrivés au point où notre société est suffisamment ouverte et démocratique pour examiner en toute transparence une question qui la concerne directement ?
Nos collègues du groupe socialiste ont déposé – nous les remercions de l’intérêt qu’ils ont ainsi manifesté pour notre proposition de loi – deux amendements visant à confier les dossiers les plus significatifs à la Commission nationale et les dossiers de portée plus locale aux différentes commissions régionales : c’est là la preuve, monsieur le président de la commission des finances, que le dialogue a lieu et que l’écoute est bonne.
Nous acceptons l’équilibre que ces deux amendements dessinent, tout en soulignant en dernière instance l’essentiel : ce que la majorité sénatoriale refuse profondément, et qui nous semble correspondre à sa position idéologique de fond, c’est de donner aux salariés des droits nouveaux dans la connaissance de la réalité économique et sociale qu’ils vivent tous les jours, celle de leur propre entreprise.
En effet, en dernier lieu, les fonds publics ne sont-ils pas, comme le disait si bien le Président de la République lui-même, le produit des impôts acquittés par tous les Français ?
Que vous le refusiez montre clairement votre conception du « contrôle » de l’argent public, implacable quand il s’agit des dépenses publiques ou sociales, laxiste, voire complice quand il s’agit des aides publiques, directes comme indirectes, dévolues aux entreprises.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Ce n’est pas vrai ! Ne dites pas cela !
M. Alain Gournac. Cela ne fait pas sérieux !
M. Bernard Vera. En tout état de cause, en retenant les termes de l’amendement de nos collègues, nous ne pouvons qu’inviter le Sénat à ne pas suivre la commission des finances.
M. le président. Je mets aux voix l'article 3.
(L'article 3 n’est pas adopté.)
Article 4
Il est créé, dans chaque région, une Commission régionale des aides publiques chargée d'évaluer et de contrôler l'utilisation des aides définies à l'article 1er dans la région.
La commission régionale est ainsi composée :
- de parlementaires de la Région ;
- de représentants de l'État dans la Région ;
- de représentants des collectivités territoriales ;
- des représentants des organisations syndicales représentatives de salariés ;
- des représentants des organisations professionnelles représentatives d'employeurs ;
- de personnalités qualifiées, à raison de leur compétence en matière économique et sociale. Une représentation du milieu associatif est prévue à ce titre.
La commission régionale émet un avis sur le rapport prévu au troisième alinéa de l'article 3. Elle peut, en outre, formuler toute proposition tendant à améliorer l'efficacité des politiques poursuivies.
Le secrétariat de la commission régionale est assuré par le représentant de l'État dans la région.
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par M. Rebsamen, Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Sergent, Todeschini et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'avant-dernier alinéa de cet article, insérer un alinéa ainsi rédigé :
La commission régionale peut se saisir elle-même ou être saisie par l'une des instances habilitées à désigner un représentant en son sein, un comité d'entreprise ou, à défaut, un délégué du personnel, une entreprise, un parlementaire, un maire ou le président d'un conseil général ou du conseil régional.
La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Il s’agit ici de la commission régionale, de son autosaisine et des entités susceptibles de la saisir.
Dans l’énumération de l’article 4 figurent les comités d’entreprise. En effet, selon nous, les comités d’entreprise, qui participent de la démocratie, doivent voir leurs droits étendus, alors que, très souvent, ils ne sont appelés à jouer un rôle qu’en fin de course, au moment des opérations de restructuration, à la différence de ce qui se fait dans des pays très avancés en ce domaine, aux Pays-Bas, notamment, où les comités d’entreprise sont bien compris dans le circuit de l’information et, en cas de restructuration, interviennent en amont de la procédure, grâce à un droit de veto et d’opposition.
Je tiens à répondre à M. Gournac, qui prétendait que nous voulions priver les parlementaires de leur intervention. Au contraire ! Les parlementaires pourront, eux aussi, saisir la commission régionale, comme tout maire, tout président d'un conseil général ou d'un conseil régional.
Nous sommes là au cœur de l'expression démocratique des élus, qu'ils soient nationaux ou territoriaux, et des représentants des salariés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Je précise que, en France, la saisine du Médiateur intervient en dernier recours, après qu’auront été épuisées toutes les voies de recours.
Il s'agit d’une commission qui, qu’elle soit nationale ou régionale, peut être saisie sans filtre. Le problème de fond, que j'ai soulevé à propos de la commission nationale, reste donc ici posé : l’avis de la commission est évidemment défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christine Lagarde, ministre. Le Gouvernement émet également un avis défavorable sur cet amendement.
Madame Bricq, entre la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, le livre IV, le livre V et l’obligation annuelle d’information sur l’évolution de l’activité économique de l’entreprise, le code du travail regorge, précisément, de dispositions prévoyant un certain nombre d’étapes pour inclure l’ensemble des acteurs dans la vie de l’entreprise. Loin de moi l’idée de les remettre en cause, car celles-ci sont légitimes et interviennent au bon moment.
Il est donc assez malvenu, me semble-t-il, de prétendre que les institutions représentatives du personnel ne sont pas impliquées dans la vie économique, surtout lorsque des modifications sont envisagées.
Mme Nicole Bricq. Elles le sont, mais trop tard !
Mme Christine Lagarde, ministre. Par ailleurs, monsieur Hue, nos échanges, fort intéressants du reste, n’auront que plus de valeur si nous nous attachons à fournir une information à la fois transparente et complète.
Vous avez évoqué tout à l’heure les engagements que PSA doit respecter : soyez-en assuré, nous sommes très vigilants. Mais n’oublions pas de mentionner aussi ceux qui ont été pris par Renault, en particulier la « relocalisation » de l’assemblage de certaines Clio sur le site de Flins et la décision de produire un nouveau moteur tout près du site de Sandouville. Voilà des annonces très positives, de nature à développer l’emploi sur ces deux sites.
M. Alain Gournac. Absolument !
Mme Christine Lagarde, ministre. Vous avez également cité le groupe Trèves, spécialisé dans les textiles « intelligents » qui sont utilisés pour l’habillage de l’habitacle et, notamment, des sièges. Qu’auriez-vous dit si l’État, par l’intermédiaire du fonds de modernisation des équipementiers automobiles, lui-même abondé par le fonds stratégique d’investissement, n’était pas intervenu pour la soutenir ? Heureusement que nous l’avons fait ! Malgré tout, s’il est important de participer à la sauvegarde de l’entreprise et de lui permettre de continuer à fonctionner, cela ne signifie pas forcément que toute vie en son sein s’arrête et que la situation est pour ainsi dire gelée.
Au demeurant, il existe aussi dans cette entreprise des institutions représentatives du personnel et des organisations syndicales, et celles-ci disposent de tous les moyens que je viens d’évoquer, notamment en termes de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, pour mettre en place les consultations appropriées prévues en cas de modifications rendues nécessaires par l’évolution économique.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, et M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Très bien !
M. le président. Je mets aux voix l’article 4.
(L’article 4 n’est pas adopté.)
Article 5
Tout comité d’entreprise ou, à défaut, un délégué du personnel peut saisir l’ordonnateur d’une aide publique lorsqu’il estime que l’employeur ne respecte pas les engagements souscrits pour bénéficier des aides définies à l’article 1er. Il peut le faire à partir de la connaissance du montant et de l’utilisation des aides publiques que l’employeur est tenu de lui communiquer conformément à l’article L. 2323-8 du code du travail.
L’ordonnateur saisi peut décider, après avoir entendu l’employeur et les représentants du personnel, de suspendre ou de retirer l’aide accordée ; le cas échéant, il peut en exiger le remboursement. Il en apprécie l’utilisation en fonction notamment de l’évolution de l’emploi dans l’entreprise considérée, ou des engagements formulés par le chef d’entreprise pour bénéficier de ces aides, ou des objectifs avancés par les salariés et leurs organisations syndicales.
M. le président. Je mets aux voix l’article 5.
(L’article 5 n’est pas adopté.)
Article 6
Après le premier alinéa de l’article L. 2323-55 du code du travail, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Ce rapport porte notamment sur les aides publiques perçues par l’entreprise au cours de l’année écoulée. »
M. le président. Je mets aux voix l’article 6.
(L’article 6 n’est pas adopté.)
Article 7
Le secrétariat de la Commission nationale est assuré par les services des ministres en charge de l’économie, des finances, du travail et des affaires sociales.
M. le président. Je mets aux voix l’article 7.
(L’article 7 n’est pas adopté.)
Article 8
Les conditions d’application de la présente loi sont déterminées par décret en Conseil d’État.
M. le président. Chacun des articles de la proposition de loi ayant été rejeté, il n’y a pas lieu de procéder à un vote sur l’ensemble.
La proposition de loi est rejetée.
Madame la ministre, au nom du Sénat, je vous remercie infiniment d’avoir été présente pour cette discussion.
10
Décès d’un ancien sénateur
M. le président. Mes chers collègues, j’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Roland Bernard, qui fut sénateur du Rhône de 1986 à 1995 et maire d’Oullins.
11
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 12 mai 2009 :
À neuf heures trente :
1. Questions orales.
(Le texte des questions figure en annexe).
À seize heures et le soir :
2. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires (n° 290, 2008-2009).
Rapport de M. Alain Milon, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 380, 2008-2009).
Texte de la commission (n° 381, 2008-2009).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD