Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État. MM. Baylet et Fortassin ont fait référence aux conséquences dramatiques de la tempête. Je remercie d’ailleurs M. Virapoullé pour son message de soutien et d’amitié. Même si l’on ne peut pas dire, d’un point de vue scientifique, que cette tempête soit directement liée au changement climatique, elle nous rappelle néanmoins que notre pays sera de plus en plus vulnérable à des événements climatiques majeurs et que, par conséquent, la question de l’adaptation figure parmi les points fondamentaux à traiter dans le cadre du Grenelle de l’environnement.
Je veux rassurer M. Richert, grand expert de ces questions, qui nous a alertés sur la nécessaire prise en compte de la santé dans le Grenelle de l’environnement : c’est un objectif que nous partageons. Nous avons relancé le plan national santé environnement 2, ainsi que le plan particules, dans le cadre duquel les nanoparticules feront l’objet d’une réflexion particulière.
La qualité de l’air et le problème du bruit doivent être mis en avant dans le présent projet de loi, mais aussi dans le projet de loi « Grenelle II » dont nous débattrons ultérieurement.
S’agissant de l’agriculture, monsieur Soulage, il importe de concilier, d’une part, une production agricole soutenue et diversifiée pour garantir la sécurité alimentaire et, d’autre part, une gestion économe des ressources en eau, ainsi qu’en intrants, et respectueuse des sols. Les deux impératifs ne sont pas exclusifs l’un de l’autre. C’est ce que nous avons voulu inscrire de façon explicite au sein du présent texte.
Nous devons, monsieur Fortassin, nous diriger en effet vers une agriculture qui renouvelle les ressources dont elle dépend et ne les épuise pas. C’est un objectif qui ressort très fortement des débats du Grenelle de l’environnement avec l’ensemble des professionnels de l’agriculture. Si les discussions se sont révélées compliquées au départ, elles ont abouti à un accord reconnu par tous.
L’agriculture biologique est aussi capable de fournir des rendements très importants. C’est une agriculture d’avenir : un marché s’offre à nous avec une demande croissante de produits biologiques, et il est dommage que nous soyons obligés d’importer massivement pour y répondre.
Le présent projet de loi prévoit un programme complet d’accompagnement de nos agriculteurs pour aider ces derniers à trouver le chemin d’une l’agriculture durable, s’agissant tant du domaine énergétique que des sols et des intrants. (M. Alain Vasselle s’exclame.)
En ce qui concerne la biodiversité, je remercie tout particulièrement M. Paul Raoult d’avoir souligné l’importance capitale de la constitution d’une trame verte et bleue. Nous avons précisément chargé le sénateur Ambroise Dupont de définir les conditions d’insertion de la trame dans le droit de l’urbanisme. Si nous voulons déterminer les discontinuités et les zones de cette trame, la question de la gestion est fondamentale : comment la trame s’intègre-t-elle dans nos documents d’urbanisme ?
Oui, monsieur Le Grand, nous allons tous devenir des Green New Dealers. Il faudra cependant que vous m’expliquiez la signification exacte de cette expression, charmante du reste ! (Sourires.)
Monsieur Vasselle, vous nous avez fait part de vos inquiétudes concernant l’équilibre économique de ce nouveau système. L’ensemble des dispositions que nous avons proposées ont été définies avec les professionnels dans le souci de parvenir à un équilibre.
S’agissant des OGM, la constitution du Haut conseil des biotechnologies est en cours de finalisation. Nous partageons votre ambition de le voir présidé par une personne reconnue pour sa neutralité et ses capacités d’expertise. C’est un processus qui prend du temps.
Le rapport Le Maho est bien public et consultable en ligne.
J’en viens aux évaluations effectuées par l’Agence européenne de sécurité des aliments, l’AESA. À l’occasion du dernier Conseil de l’environnement de l’Union européenne, l’ensemble des pays européens ont souligné la nécessité de revoir et d’améliorer les procédures d’expertise afin de les rendre contradictoires, indépendantes et incontestables. Il est en effet impératif de sortir de ces débats où l’on ne peut plus évoquer les OGM sans soulever de difficultés.
Vous avez parfaitement raison, monsieur Gaillard : on redécouvre la forêt et le bois. Ce matériau profondément moderne apporte la meilleure réponse aux défis environnementaux.
En outre, vous l’avez dit, la mobilisation est cruciale, et c’est dans cet esprit que se sont déroulées les Assises de la forêt. De même, le fonds de développement de la chaleur d’origine renouvelable, récemment créé et reposant essentiellement sur la biomasse, travaille en relation étroite avec les professionnels. Nous reviendrons sur ce point lors de la discussion des articles.
Enfin, en ce qui concerne la mer, vous avez indiqué très justement, monsieur Vestri, qu’il fallait apprendre à connaître ce monde pour mieux le protéger. M. le ministre d’État en parlera beaucoup mieux que moi, car c’est un sujet qui lui tient particulièrement à cœur. L’un des objectifs de ce projet de loi est de définir une gestion intégrée de cet espace. À ce titre, il prévoit la création de dix aires marines protégées.
Sur la question plus particulière de la navigation de plaisance, nous avons confié une mission spécifique à la navigatrice Catherine Chabaud.
Par ailleurs, il est essentiel que l’Union pour la Méditerranée se focalise sur ce sujet, la mer méditerranée étant le cœur de l’UPM, ne l’oublions pas.
Monsieur Vasselle, vous vous étonnez des chiffres relatifs aux déchets. Moi-même, lorsque j’étais présidente de l’ADEME, je m’arrachais les cheveux à ce sujet ! Il s’agit bien des déchets ménagers, l’objectif étant de les réduire de cinq kilogrammes par habitant et par an.
Dans le cadre du programme proposé par le Gouvernement, un fonds destiné à soutenir le plan de gestion des déchets d’un montant de plus de 300 millions d’euros sur trois ans a été débloqué.
Le principe de ce dispositif est de financer globalement les plans ou les programmes d’action de prévention des collectivités locales et d’aider à la mise en place d’une redevance incitative ou à la valorisation organique des déchets.
Les études d’impact ont été communiquées, monsieur Nègre. Nous proposons, par le biais de ce projet de loi, une nouvelle forme de croissance, que nous appelons « la mutation environnementale de la société ».
Des chiffres ont été cités. Pour ma part, je n’évoquerai que les possibilités de créations d’emploi dans le secteur de l’efficacité énergétique, à savoir la rénovation des bâtiments, la construction de véhicules appartenant aux classes « vertes » A et B, et le développement des énergies renouvelables. À l’horizon 2012, c'est-à-dire demain, le potentiel net d’emplois supplémentaires dans ce secteur s’élève à 220 000, pour un chiffre d’affaires de 33 milliards d’euros. C’est colossal ! C’est bien une voie de croissance structurelle qui vous est proposée.
Monsieur Nègre, vous avez insisté sur la question de la recherche. C’est un axe prioritaire, en faveur duquel nous engageons 1 milliard d’euros supplémentaire.
Nous avons créé un fonds démonstrateur de 400 millions d’euros pour travailler sur ces différents sujets, par exemple sur les véhicules du futur. Le principe de ce fonds démonstrateur est de définir des feuilles de route, donc des scénarios technologiques, et de choisir parmi les différentes technologies les plus pertinentes pour positionner la France comme leader dans ces secteurs d’activité.
Comme l’a dit M. Alduy, notre objectif est non pas une contrainte, mais une opportunité. C’est effectivement dans cet état d’esprit que nous souhaitons travailler avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs. Pour ma part, je me félicite une nouvelle fois de la contribution du rapporteur de la commission des affaires économiques à ce grand débat qui s’ouvre aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article additionnel avant l'article 1er
Mme la présidente. L'amendement n° 630, présenté par MM. Muller et Desessard et Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
La présente loi fixe des principes préalables à la mise en œuvre de politiques publiques. En matière d'infrastructures de transport et de gestion de déchets, l'application des principes de précaution et de prévention doit conduire à écarter si besoin les aménagements nocifs pour la santé humaine et l'environnement.
Les grands projets publics et toutes les décisions publiques sont arbitrés en intégrant leur coût pour le climat, leur « coût en carbone » et leur coût pour la biodiversité. Ces projets et ces décisions doivent démontrer leur contribution à la décroissance de l'empreinte écologique de la France.
Elle introduit le principe du renversement de la charge de la preuve en cas d'impacts
potentiels ou avérés sur l'environnement, obligeant le porteur de projet à en démontrer le faible impact environnemental ou l'absence de solutions alternatives.
La parole est à M. Jacques Muller.
M. Jacques Muller. Monsieur la présidente, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de la restitution des conclusions du Grenelle de l’environnement, le jeudi 25 octobre 2007, le Président de la République a déclaré ceci : « Car c’est bien à une révolution que nous invite ce Grenelle de l’environnement qui achève aujourd’hui le premier temps de ses travaux. Une révolution dans nos façons de penser et dans nos façons de décider. Une révolution dans nos comportements, dans nos politiques, dans nos objectifs et dans nos critères. »
Très franchement, nous appelons de longue date à cette révolution écologique si nécessaire : révolution des comportements et des pratiques, mais aussi, et surtout, révolution dans les décisions publiques, notamment en matière d’investissements, qui façonnent et déterminent la vie quotidienne de nos concitoyens et, par conséquent, notre impact global sur l’environnement.
À l’heure de l’exacerbation des crises du climat, de l’énergie et autres ressources fossiles, et de la biodiversité, nous ne pouvons plus nous contenter de « verdir » à la marge le processus actuel des décisions publiques, qui consiste à ne prévoir les incidences pour l’environnement et la santé qu’après le lancement des projets d’autoroute, la commande des centrales nucléaires ou l’ensemencement des champs en plants génétiquement modifiés.
Nous devons effectivement réaliser une révolution copernicienne, en plaçant l’environnement au cœur du développement humain, et appliquer le principe de précaution, en inversant la charge de la preuve.
Notre amendement tend, en premier lieu, à retranscrire une partie du discours du Président de la République, en l’inscrivant en exergue à ce projet de loi de programmation.
En second lieu, il vise à insérer dans le projet de loi un concept que nous considérons comme essentiel à la mise en œuvre de cette révolution écologique qui, comme le disait le Président de la République, « exige une révolution de nos critères ». Ce critère révolutionnaire, c’est le concept d’« empreinte écologique », dont je présenterai succinctement les grands axes.
Il s’agit d’un indicateur synthétique, développé depuis une quinzaine d’années dans les milieux scientifiques, qui prend en compte les incidences sur l’environnement de toutes les activités humaines : les émissions de gaz à effet de serre, la consommation d’énergies fossiles non renouvelables – pétrole et charbon – et de matières premières non renouvelables, minéraux et métaux, ainsi que les atteintes à la biodiversité. Vous aurez compris que cet indicateur synthétique intègre l’ensemble des compartiments de l’environnement et permet aux élus et décideurs que nous sommes de répondre aux questions difficiles d’arbitrage, lorsque nous devons trancher entre deux solutions ayant des effets contradictoires sur l’environnement.
Cet indicateur mesure l’incidence de l’activité humaine en « global hectare » : on compare le résultat obtenu avec la superficie réellement disponible. C’est ainsi que l’on a pu mesurer les effets terrifiants de notre mode de développement puisque, si chaque habitant du monde consommait comme nous, trois Terres seraient nécessaires !
À l’issue du Grenelle de l’environnement, je vous propose donc d’inscrire, en tête de la loi, la priorité de la réduction de l’empreinte écologique.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Bruno Sido, rapporteur. Cet amendement reprend un certain nombre de principes déjà énoncés à l’article 1er du projet de loi, comme le renversement de la charge de la preuve : il est donc largement satisfait.
Ensuite, les auteurs de l’amendement entrent dans un degré de détail – ils mentionnent notamment la politique des déchets – inadapté à la rédaction de l’article 1er d’une loi de programme. Pourquoi citer les déchets plutôt qu’un autre secteur ?
Enfin, s’agissant de la notion d’« empreinte écologique », son mode de calcul fait actuellement l’objet de nombreux débats. Il paraît difficile d’inscrire ce concept dans la loi sans le préciser et difficile de le préciser sans fournir matière à controverses. Comme cela a été rappelé précédemment, plusieurs travaux sont actuellement en cours pour avancer sur ce sujet, notamment au sein du Conseil économique, social et environnemental, saisi de cette question par le Premier ministre. Attendons donc ses conclusions avant d’inscrire cette notion dans la loi !
Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État. L’empreinte écologique présente une double caractéristique : elle comporte une dimension incontestablement scientifique tout en étant assez simple à comprendre. Le Gouvernement y est donc globalement favorable. Je l’avais dit lors du débat devant l’Assemblée nationale, au cours duquel je me suis engagé à saisir le Conseil économique, social et environnemental, d’une part, et le Conseil général de l’environnement et du développement durable, d’autre part. En effet, la méthodologie n’est pas si simple à maîtriser ; en outre, elle est la propriété d’un tiers, et il nous a fallu payer des droits de propriété intellectuelle pour réaliser notre analyse, après plusieurs mois de négociations.
Le Gouvernement souhaite donc affiner la méthodologie, et j’ai d’ailleurs eu l’occasion de m’exprimer sur ce sujet lors de la discussion d’une proposition de loi. Les deux instances que j’ai mentionnées ont été saisies pour clarifier ces questions, qui méritent encore d’être approfondies.
C’est pourquoi le Gouvernement souhaite très sincèrement le retrait de cet amendement ; à défaut, son avis serait identique à celui de la commission.
Mme la présidente. Monsieur Muller, l’amendement n° 630 est-il maintenu ?
M. Jacques Muller. Au vu des explications de M. le ministre d’État et de l’engagement pris par le Gouvernement d’étudier ce concept à fond et, je l’espère, de l’appliquer dans la mesure du possible, je retire mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 630 est retiré.
Article 1er
La présente loi, avec la volonté et l’ambition de répondre au constat partagé et préoccupant d’une urgence écologique, fixe les objectifs et, à ce titre, définit le cadre d’action, organise la gouvernance à long terme et énonce les instruments de la politique mise en œuvre pour lutter contre le changement climatique et s’y adapter, préserver la biodiversité ainsi que les services qui y sont associés, contribuer à un environnement respectueux de la santé, préserver et mettre en valeur les paysages. Elle assure un nouveau modèle de développement durable qui respecte l’environnement et se combine avec une diminution des consommations en énergie, en eau et autres ressources naturelles. Elle assure une croissance durable sans compromettre les besoins des générations futures.
Pour les décisions publiques susceptibles d’avoir une incidence significative sur l’environnement, les procédures de décision seront révisées pour privilégier les solutions respectueuses de l’environnement, en apportant la preuve qu’une décision alternative plus favorable à l’environnement est impossible à un coût raisonnable.
Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social.
L’État élabore la stratégie nationale de développement durable et la stratégie nationale de la biodiversité en association avec les collectivités territoriales, les représentants des milieux économiques et des salariés, ainsi que les représentants de la société civile, notamment les associations et organisations non gouvernementales de protection de l’environnement, en veillant à sa cohérence avec la stratégie des instances européennes et avec les engagements internationaux de la France. L’État assure le suivi de la mise en œuvre de cette stratégie au sein d’un comité pérennisant la conférence des parties prenantes du Grenelle de l’environnement.
Pour ce qui concerne les régions, les départements et collectivités d’outre-mer, compte tenu de leurs caractéristiques environnementales et de la richesse de leur biodiversité, l’État fera reposer sa politique sur des choix stratégiques spécifiques qui seront déclinés dans le cadre de mesures propres à ces collectivités.
Ces choix comporteront notamment un cadre expérimental pour le développement durable, au titre d’une gouvernance locale adaptée, reposant sur les dispositions du troisième alinéa de l’article 73 de la Constitution.
Considérant que la région arctique joue un rôle central dans l’équilibre global du climat de la planète, la France soutiendra la création d’une commission scientifique internationale sur l’Arctique.
Le Gouvernement rend compte chaque année au Parlement de la mise en œuvre de la stratégie nationale de développement durable, et propose les mesures propres à améliorer son efficacité.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Etienne Antoinette, sur l’article.
M. Jean-Etienne Antoinette. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis particulièrement heureux d’apporter ma contribution à la discussion d’une loi dont le principal mérite, au-delà de l’enjeu planétaire qui la sous-tend, est de résulter d’une large coproduction, même si, comme l’a fait remarquer à juste titre notre collègue Claude Lise, l’outre-mer qui joue pourtant un rôle important n’a été « repêché » qu’à la dernière minute.
L’article 1er retient mon attention sur deux points, fondamentaux à mon sens.
Le premier, c’est l’affirmation du développement durable dans ses trois piliers : la préservation de l’environnement, le développement économique et le progrès social. « Concilier », tout est dans ce mot, véritable quadrature du cercle qu’il faut donc avoir le courage non seulement de poser en préambule, mais de réaffirmer, même de manière sous-jacente, dans tous les articles de la loi. En effet, c’est dans cette conciliation d’intérêts, que toute l’évolution économique du monde a opposés durant des siècles, que réside aujourd’hui le vrai défi pour l’action. Et pour relever ce défi, l’article 1er pose une question essentielle : « Quelle terre laisserons-nous à nos enfants ? » C’est bien en effet en pensant à nos descendants que nous sortirons des ornières de l’égoïsme économique de quelques-uns, pour construire le bien de tous, pour demain et pour les générations futures.
Quant au second point, je constate avec intérêt que les collectivités locales d’outre-mer figurent dans une loi de la République, dès son article 1er : « Pour ce qui concerne les régions, les départements et collectivités d’outre-mer, compte tenu de leurs caractéristiques environnementales et de la richesse de leur biodiversité, l’État fera reposer sa politique sur des choix stratégiques spécifiques […]. » On dit que ce qui est rare est cher : je crois que tous mes collègues ultramarins partagent aujourd’hui ce trop rare plaisir de voir nos territoires mentionnés dès le premier article d’une loi générale, pour souligner non ce que nous devons à la nation mais ce que nous lui apportons. Je n’ai d’ailleurs pas résisté à la tentation de déposer un amendement pour conforter davantage ce signe de reconnaissance envers les acteurs que sont non seulement nos territoires mais aussi nos sociétés. Je trouve également remarquable que, dans l’article 1er, le droit à l’expérimentation soit réaffirmé avec la référence au troisième alinéa de l’article 73 de la Constitution.
Mais – il y a évidemment un « mais » –, au regard justement des deux éléments qui m’ont touché dans cet article, deux questions restent pour moi sans réponse, sur lesquelles j’aimerais pourtant être rassuré par le Gouvernement.
Tout d’abord, au regard des trois piliers du développement durable, j’admire la décision du renversement de la charge de la preuve : ainsi, « les procédures de décision seront révisées pour privilégier les solutions respectueuses de l’environnement, en apportant la preuve qu’une décision alternative plus favorable à l’environnement est impossible à un coût raisonnable », peut-on lire au deuxième alinéa de l’article 1er. Mais qu’est-ce qu’un « coût raisonnable » ? Comment va-t-on le calculer ? Combien de générations après nous entreront dans l’évaluation des coûts ou des gains sociaux ou environnementaux d’une décision ? Ne devrait-on pas revoir complètement la définition même de la notion de coût, au regard des nouveaux enjeux pour la planète ?
Par ailleurs – c’est ma seconde question –, en dépit de la richesse en biodiversité des terres ultramarines, que vous avez bien voulu reconnaître dès cet article 1er, ces terres restent dans un « mal-développement » chronique, avec, pour certaines, des indicateurs sociaux dignes de pays sous-développés, voire des pays les moins avancés. Lorsque l’on évoque, dans l’hexagone, le développement durable, on insiste sur le mot « durable » ; en outre-mer, c’est déjà le mot « développement » qui pose problème ! Toutes les observations géostratégiques et le principe d’évidence du développement inégal, fût-il fondé sur des échanges inéquitables à l’échelle de l’histoire, permettent d’expliquer que la forêt primaire ait été préservée.
Voilà pourquoi je me hasarde à poser cette autre question : quand donc les territoires situés outre-mer rejoindront-ils le niveau de développement – durable – des autres régions françaises, en valorisant cette immense opportunité de mener, de façon innovante et volontariste, une politique de développement et de préservation du milieu naturel ? Quel niveau d’effort est-on prêt à concéder pour que des terres qui constituent des atouts pour la France ne soient plus celles où les indicateurs de développement social et économique sont les plus bas ? N’y a-t-il pas là, vu l’enjeu posé dans ce projet de loi, une véritable politique de développement durable à concevoir pour l’outre-mer, plutôt que la petite série de mesures présentée à l’article 49 de la loi ?
Cela dit, je n’entends pas que le présent texte réponde à toutes mes questions. Je sais qu’un projet de loi d’engagement national pour l’environnement, ou Grenelle II, doit suivre, et c’est dans cette perspective que j’inscris dès à présent mon propos. Pour l’heure, je salue un texte qui a le mérite d’exister et d’ouvrir un débat vital qui ne se refermera pas de sitôt, je l’espère ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Larcher, sur l’article.
M. Serge Larcher. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’interviens dès le premier article du texte du projet de loi de programme relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, même si je sais que l’article 49 est particulièrement destiné à l’outre-mer.
En effet, je souhaite ici saluer la prise en compte, au niveau du principe, des caractéristiques environnementales et de la richesse de la biodiversité de tout l’outre-mer en général. La reconnaissance du rôle et de la place de ce dernier en matière d’environnement a constitué l’une des réelles avancées des débats à l’Assemblée nationale.
Pourquoi ce rôle et cette place ? En vérité, pour la simple et bonne raison que l’outre-mer représente 80 % de la biodiversité française et 97 % de l’espace maritime. C’est cet apport, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, qui permet à la France de jouer un rôle majeur dans la protection de la biodiversité mondiale.
Favoriser l’outre-mer, c’est favoriser la lutte en vue de stopper l’effondrement actuel de la biodiversité, considéré par les scientifiques comme une crise aussi grave que le changement climatique, pour l’avenir de l’humanité. Il faut agir vite et avec ampleur, car nous sommes entrés dans une sixième grande phase d’extinction de la vie sur terre, dont la cause est imputable, cette fois, non pas à des phénomènes naturels, mais bel et bien à l’homme lui-même.
L’« empreinte écologique » de l’homme est supérieure à la capacité régénératrice de la planète : nos collègues députés ne s’y sont pas trompés, en adoptant à la quasi-unanimité ce projet de loi, vu l’état de dégradation de l’environnement et l’urgence à réagir. Ils ont donc considéré qu’ils pouvaient approuver cette « déclaration d’intentions » que constituait ce projet de loi de programme relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, ou Grenelle I ; il s’agit bien, en réalité, d’une loi plus incitative que normative, d’une bonne feuille de route reprenant une partie des engagements du Grenelle de l’environnement et renvoyant les aspects financiers des mesures proposées au projet de loi portant engagement national pour l’environnement, dit « Grenelle II ».
Qu’il soit prévu d’examiner en urgence au Sénat le deuxième texte relatif à la mise en œuvre du Grenelle avant que la navette sur le présent projet de loi ne soit terminée est cocasse. Pour autant, nous attendons beaucoup de ce Grenelle II ». En effet, le secrétaire d’État à l’outre-mer ne l’a-t-il pas présenté comme une chance pour l’outre-mer ?
Nous sommes très attachés à l’ambition de faire des territoires français d’outre-mer des territoires d’excellence environnementale, comme l’a souligné M. Lise, en matière d’autonomie énergétique, de montée en puissance des énergies renouvelables, d’accès à tous à l’électricité et à l’eau potable, de préservation et de valorisation de la biodiversité et des milieux aquatiques, de transports collectifs en site propre... La question reste de savoir si les moyens seront au rendez-vous dans ce Grenelle II. Nous serons vigilants.
Mais, pour le moment, saluons les propositions faites par le rapporteur M. Sido concernant l’outre-mer, notamment la suggestion que l’État établisse une réglementation thermique spécifiquement applicable aux régions et départements d’outre-mer, et ce en tenant compte, « s’il y a lieu, des risques sismiques ».
Il n’en reste pas moins que de nombreux points ne sont pas encore réglés et qu’il faut profiter du passage du texte au Sénat pour les éclaircir. Des améliorations sont encore à apporter et ce sera l’objet des amendements que nous avons déposés, nous, sénateurs d’outre-mer, et que nous vous présenterons au cours des débats.
Mais je ne cache pas ici ma crainte quant au sort réservé à ce texte après le débat budgétaire. En effet, je suis sceptique sur la sincérité des engagements de l’État. Les rapporteurs spéciaux de la commission des finances ne relevaient-ils pas, en 2007, l’absence de traduction budgétaire des orientations du Grenelle de l’environnement, silences qui se confirmaient en 2008 ?
Les quatre cinquièmes du financement d’une des réformes les plus ambitieuses de la présente législature échapperont à l’autorisation budgétaire annuelle et ainsi à la démarche de performance promue par la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF.
Le plan triennal de financement du Grenelle révèle en effet que, sur les 7,3 milliards d’euros consacrés à la mise en œuvre de ses orientations, seuls 17 % le seront sous forme de crédits budgétaires. Cela laisse rêveur...
Votre texte, monsieur le ministre, pèche par manque d’engagement financier précis, en particulier pour l’outre-mer.
Il vous appartient donc de nous convaincre en acceptant nos propositions d’améliorations, qui sont nombreuses et sérieuses, en faisant preuve de responsabilité afin d’aboutir à un vote favorable de notre part. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)