M. le président. La parole est à M. Christian Cambon.
M. Christian Cambon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Gouvernement a souhaité, en accord avec la Haute Assemblée, que nous puissions débattre ce soir du conflit au Proche-Orient, qui connaît une brusque aggravation depuis la fin du mois de décembre.
Au nom du groupe UMP, je vous remercie de ce débat, monsieur le ministre. C’est l’occasion pour nous de mieux nous informer et de vous faire part de nos positions respectives.
Tout d’abord, je tiens à saluer l’important travail effectué par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, présidée par Josselin de Rohan, qui met tout en œuvre pour que notre information sur ce conflit soit la plus complète, ainsi que celui de notre éminent collègue Jean François-Poncet, qui, avec Monique Cerisier-ben Guiga, conduit une mission de contact et d’analyse dans cette région.
Nous avons tous en tête le terrible engrenage des faits depuis le 27 décembre dernier, qu’ont rappelé un certain nombre de nos collègues.
Le bilan, déjà très lourd avec près de 1 000 morts palestiniens, plus de 4 000 blessés et plus de 700 roquettes tirées sur Israël, risque encore de s’aggraver cette nuit même. L’insécurité et la panique règnent parmi les populations civiles. De part et d’autre, elles sont confrontées quotidiennement à l’horreur : horreur des actes de terrorisme, des attentats perpétrés dans le passé par des commandos suicides aux terrasses des cafés ou dans les bus de ramassage scolaire ; horreur devant la réalité d’un mur érigé par Israël pour se protéger de ce terrorisme, certes, mais qui en fait exacerbe les rancœurs et rend la vie quotidienne toujours plus difficile.
La situation au Proche-Orient hante l’action internationale de toutes les grandes nations, dont la France. Les pourparlers, les négociations et les accords internationaux qui se sont succédé n’ont en fait jamais véritablement abouti à un accord de paix viable.
Combien de résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, combien de feuilles de route ont-elles été élaborées ? Des accords de Rhodes en 1949 aux accords de Wye Plantation en 1998, en passant par ceux de Camp David en 1978 ou d’Oslo en 1993, combien de rencontres au sommet ont fait naître l’espoir, pour finalement échouer à instaurer une paix véritablement durable ?
L’histoire de ces deux peuples est rythmée de trêves et de cessez-le-feu dramatiquement interrompus. La permanence de ce conflit se traduit par de récurrents appels à la revanche. Dès lors, combien de générations faudra-t-il encore sacrifier ?
Mes chers collègues, malgré une tentation naturelle de se laisser aller au découragement, nous ne pouvons nous résigner à cette escalade de la violence et au sempiternel recours aux armes. Nous savons, en effet, que ce conflit israélo-palestinien explique pour une très grande part les multiples confrontations survenues sur cet arc de la violence et du terrorisme qui va de la Mauritanie à l’Indonésie, en passant bien sûr par l’Afghanistan et le Pakistan.
Nous avons donc le devoir d’agir pour qu’un véritable accord de paix voie le jour et, surtout, pour qu’il soit accepté par tous les acteurs. C’est là la seule condition préalable à l’instauration d’une paix durable dans cette région du monde, ainsi qu’à un recul du terrorisme à l’échelle mondiale.
Aussi, monsieur le ministre, est-ce avec un immense espoir que les sénateurs du groupe UMP ont salué l’initiative du Président de la République et le contenu du message qu’il a délivré la semaine dernière lors de son voyage au Proche-Orient.
Grâce à la qualité des contacts qu’il avait précédemment noués lors de ses visites au Liban ou en Israël, à la suite de son discours fondateur à la Knesset ou dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée, le Président de la République a pu successivement rencontrer les présidents égyptien, syrien et libanais, le président de l’Autorité palestinienne et le Premier ministre israélien, Ehud Olmert.
Grâce à une véritable coopération avec le président Moubarak, son action a permis l’élaboration d’un plan de paix visant avant tout à renouer le dialogue entre les parties et à mettre en place les conditions d’un cessez-le-feu que nous souhaitons immédiat.
Il nous paraît très important que les pays voisins, parfois ennemis d’hier, soient eux aussi associés à ce plan. Le retour de l’Égypte en tant que force organisatrice du dialogue et l’implication de la Syrie sont donc des postulats de tout processus de paix.
Pourtant, il n’y a pas six mois, certains criaient au scandale lorsque la France recevait le président syrien Bachar el-Assad. Aujourd’hui, qui peut nier que la bonne tenue de nos relations diplomatiques avec la Syrie représente un atout ? Ce pays reste en effet l’un des rares à entretenir des relations régulières et étroites avec le Hamas.
Ainsi, les interlocuteurs de la France pourront conduire à la table des négociations les différentes parties au conflit et contribuer à ce qu’elles acceptent les conditions d’un plan de paix durable.
En outre, cette initiative du Président de la République a permis de placer la France, l’Europe et, pour la première fois, l’Union pour la Méditerranée au cœur du règlement du conflit.
En effet, malgré l’aide financière importante que l’Europe apporte à la Palestine, malgré votre engagement personnel et vos missions incessantes pour rapprocher les parties, monsieur le ministre, notre rôle dans le processus de paix n’a pas souvent été à la hauteur des efforts consentis.
Certains peuvent s’agiter et critiquer l’action du Président de la République. Il n’en reste pas moins que sa mission était particulièrement risquée, voire audacieuse, et qu’elle doit être saluée. Elle l’a d’ailleurs été tant en France que bien au-delà de nos frontières.
Sa détermination est à la hauteur de l’urgence de la situation, et nous nous félicitons de sa volonté de parvenir, enfin, à un accord de paix équilibré. Il avait du reste lui-même condamné avec autant de force les tirs de roquettes du Hamas que l’offensive de Tsahal contre Gaza.
En appelant Israël et les factions palestiniennes à l’arrêt des hostilités, en les invitant à discuter sans délai des garanties d’une véritable sécurité, en demandant enfin à l’Égypte de reprendre ses efforts en vue d’une réconciliation interpalestinienne, cet accord pose les bases concrètes d’une véritable négociation qui, nous l’espérons tous, va aboutir dans les heures ou les jours prochains.
Le temps des polémiques entre pro-palestiniens et pro-israéliens est révolu ; elles ne sauvent aucune vie, elles n’ont, en vérité, cessé d’entretenir la haine entre ces deux peuples.
Dorénavant, il est primordial d’obtenir le plus rapidement possible un cessez-le feu immédiat et durable.
Cela est vital pour la population civile de la bande de Gaza, tout d’abord, qui vit dans des conditions effroyables. Depuis dix-huit jours maintenant, et en réponse aux tirs de roquettes du Hamas, les bombardements sur la ville de Gaza ont redoublé d’intensité. Près d’un demi-million de personnes sont privées d’eau et d’électricité, le système d’égouts de la ville menace de s’effondrer, les blessés ne peuvent plus être évacués, encore moins soignés, et les hôpitaux manquent cruellement de matériel et de médicaments.
Par ailleurs, les accusations selon lesquelles Israël aurait utilisé des munitions DIME ou des bombes au phosphore, dont l’emploi est interdit en milieu urbain et contre les populations civiles par le protocole III de la convention de 1980 sur les armes conventionnelles, ne laissent pas d’inquiéter. On le sait, l’utilisation de ce type d’armes peut avoir des effets dévastateurs sur les populations.
Le plan de paix rendra possible la mise en place de corridors humanitaires et de points de passage qui permettront aux ONG israéliennes, palestiniennes ou internationales et aux équipes médicales de secourir les populations. Ces équipes recevront une première aide de 3 millions d’euros – vous venez de le confirmer, monsieur le ministre – et pourront s’appuyer sur le déploiement d’un hôpital mobile.
Ce cessez-le-feu est également essentiel pour Israël, les populations du sud du pays étant quotidiennement exposées aux tirs de roquettes, qui rendent leur vie tout aussi impossible que celle des Palestiniens. Il est, en effet, primordial d’assurer définitivement la sécurité d’Israël, sécurité dont le principe est garanti depuis soixante ans par les instances internationales.
Ce plan a pour objet de mettre un terme à la contrebande d’armes au profit du Hamas à travers la frontière avec l’Égypte. Laisser circuler les armes est totalement inacceptable.
Sur quelle base doit s’établir le dialogue qui conduit à la paix ?
Tout d’abord, nous le savons, aucun plan de paix ne pourra voir le jour sans une réconciliation entre les différentes factions palestiniennes, le Fatah et le Hamas notamment. L’Égypte garde un rôle prépondérant dans ce dialogue.
En outre, la réalité imposée par les belligérants n’implique-t-elle pas de nouer un jour un dialogue plus direct avec le Hamas, qui, je le rappelle, a remporté une élection régulière, souhaitée et validée par les Européens ?
Le champ de ce dialogue devra absolument inclure la reconnaissance définitive d’Israël dans ses frontières sécurisées et l’arrêt de tout recours à la violence.
C’est à ces conditions que l’on pourra éviter que Gaza ne sombre dans l’anarchie totale, selon un processus à la somalienne, ce qui serait encore bien plus dangereux pour la sécurité d’Israël et pour la paix dans le monde.
Monsieur le ministre, bien évidemment, nous nous réjouissons de l’adoption par le Conseil de sécurité de l’ONU, le 8 janvier dernier, de la résolution 1860. Nous savons quel a été votre rôle personnel, en tant que président du Conseil de sécurité, dans le vote de cette résolution.
Bien sûr, elle n’est pas encore suivie d’effets aujourd’hui. Le lendemain de sa signature, le Hamas faisait savoir qu’il rejetait le plan franco-égyptien, prétendant que ce dernier représentait une menace pour la cause palestinienne. Dans la nuit de lundi à mardi, des chars blindés israéliens ont pénétré dans la ville de Gaza, et les quartiers se sont embrasés ces deux derniers jours.
Par ailleurs, depuis ce week-end, nous assistons à une surenchère de provocations entre responsables israéliens et palestiniens, qui risque de réduire à néant les efforts consentis la semaine dernière et le processus engagé.
Certes, Israël poursuit ses opérations militaires ; certes, le Hamas ne trouve pas dans la résolution la réponse à ses attentes ; mais le monde entier comprend bien que cette résolution trace le cadre dans lequel, tôt ou tard, s’inscriront les discussions de paix qui finiront bien par avoir lieu.
Dès lors, monsieur le ministre, comment la France compte-t-elle poursuivre ses efforts diplomatiques ? Vous avez d’ores et déjà évoqué des pistes. Les membres du groupe UMP fondent de grands espoirs en la poursuite de vos démarches.
Vous revenez des Nations unies. Alors que le secrétaire général Ban Ki-moon entreprend une tournée au Proche-Orient, dans quelle mesure pensez vous qu’il pourra faire avancer le plan de paix franco-égyptien et contribuer à l’application de la résolution 1860, qui n’est qu’un préalable ?
Enfin, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à attirer votre attention sur l’internationalisation de ce conflit et sur ses répercussions dans notre propre pays.
Les événements qui se sont déroulés ces derniers jours sur notre territoire sont aussi inquiétants qu’inacceptables. Les actes de violence commis contre des lieux de culte juifs à Toulouse dans la nuit du 5 au 6 janvier sont proprement intolérables, de même que les débordements survenus au cours des manifestations de soutien aux habitants de la bande de Gaza.
On ne saurait condamner des manifestations d’appel à la paix, car la France est une démocratie et permet cette liberté d’expression, ce qui est une chance.
Toutefois, il est de la responsabilité de tous, et notamment des hommes et des femmes politiques, que ces manifestations se déroulent sans incident et qu’elles ne se transforment pas en incitation à la haine.
Cette responsabilité incombe aussi aux journalistes. Nous souhaitons qu’ils veillent à ne pas relayer dans les foyers des images dont la véracité n’est pas toujours établie. Les vidéos de propagande que l’on trouve sur internet contribuent déjà largement à la confusion et à la désinformation, sans qu’il soit besoin de surenchérir.
Pour conclure, permettez-moi de lancer un appel à la vigilance et à la retenue, à l’intention non seulement de nos populations, mais également de certains élus.
Le Sénat, protecteur des collectivités locales, se doit aussi de les avertir lorsqu’un risque ou un danger se profile.
Or, je le dis clairement, à la lumière de mon expérience de maire d’une ville de la région parisienne où cohabitent sans difficulté une communauté musulmane et une communauté juive tout aussi importantes et pacifiques l’une que l’autre, notre présence à la tête de ces cortèges risque d’être mal interprétée par des individus ou des groupuscules à l’affût de provocations.
J’invite donc nos collègues élus à éviter de caracoler en tête de ces manifestations, comme nous avons pu le voir, malheureusement, dans la région d’Île-de-France. La récupération du conflit par certains individus ou responsables d’associations risque d’engendrer violence et renforcement des communautarismes, ce dont notre pays n’a pas besoin. La France est une démocratie laïque.
Notre rôle d’élus n’est pas d’attiser des haines qui n’ont nul besoin d’être encouragées. Souvenons-nous-en : l’écharpe tricolore que nous avons l’honneur de porter ne doit être que le symbole d’une France au service de la paix et de la réconciliation.
Monsieur le ministre, en ce moment même, le conflit fait rage et une paix durable peut paraître encore bien lointaine. Pourtant, de toutes nos forces, nous voulons vous dire, ainsi qu’au Président de la République, de continuer et d’intensifier ce travail pour la paix. Vous avez le soutien total et entier des sénateurs du groupe UMP. Un jour, que nous souhaitons très proche, la folie des hommes cessera, et cela vous rendra raison. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le ministre, le caractère d’urgence que vous appliquez à une trêve des combats à Gaza est sans doute bienvenu, mais risque d’occulter les responsabilités de longue durée à l’origine de ce conflit. À cet égard, permettez-moi de considérer que la lucidité dont vous vous prévalez est à courte vue.
Le Hamas, dont les positions sont ce qu’elles sont, mais qu’il n’est pas besoin de partager, a, faut-il le rappeler, gagné les élections de 2006 au Conseil législatif palestinien, élections démocratiques et internationalement contrôlées.
Il n’a pas été tenu compte du verdict des urnes, même pour tenter de responsabiliser le Hamas. Ce dernier a été récusé par Israël et par la communauté internationale, étant considéré comme une organisation terroriste.
Cependant, la connaissance que nous avons du Hamas par le biais de bons experts montre que ses positions peuvent évoluer ; elles ne sont pas toujours celles que la presse présente de manière caricaturale. Mon propos se fonde sur le programme électoral et les déclarations politiques d’Ismaël Haniyeh, qui fut un temps Premier ministre.
Vous-même, monsieur le ministre, ne voulez pas avoir de contact direct avec le Hamas et entendez recourir au canal d’autres États. Ce n’est pas une position courageuse. On ne peut pas attendre d’un adversaire qu’il se conforme à vos vues pour négocier avec lui. En réalité, vous appliquez le boycott décidé par Israël et par les États-Unis.
Cette absence de contact n’est pas seule en cause. La victoire électorale du Hamas n’a pas été un coup de tonnerre dans un ciel bleu ; elle fut elle-même le fruit d’un long pourrissement. Dois-je rappeler que la conférence de Madrid, en 1992, de même que le processus d’Oslo, ont soustrait le problème israélo-palestinien à la compétence du Conseil de sécurité de l’ONU ? Il n’a plus été question, ensuite, d’une conférence internationale organisée sous l’égide de l’ONU.
Le processus d’Oslo s’est étiré sur de longues années, plus encore après l’assassinat d’Itzhak Rabin puis l’élection de M. Netanyahu, en 1996, ainsi que la médiation trop tardive du président Clinton, en fin de mandat, à l’été 2000 et au début de 2001.
Après l’éclatement de la deuxième Intifada, le président de l’Autorité palestinienne, qui était alors Yasser Arafat, a été diabolisé. Son successeur, Mahmoud Abbas, pourtant animé d’intentions pacifiques, a été décrédibilisé par la poursuite de la colonisation israélienne en Cisjordanie, où l’étendue des implantations a été multipliée par trois, sinon par quatre, depuis la signature des accords d’Oslo.
La conférence d’Annapolis a été un échec, la mission du Quartet et de son envoyé spécial, M. Tony Blair, une farce. Tout s’est passé comme si la volonté politique d’appliquer les accords d’Oslo, dans l’esprit des résolutions de l’ONU qui prévoyaient la création d’un État palestinien viable, avait tragiquement fait défaut. Je ne prétends pas que certains n’étaient pas sincères, mais en tout cas tous ne l’étaient pas.
Naturellement, l’envoi de missiles, même rustiques, sur Israël à partir de la bande de Gaza est une agression susceptible de frapper des innocents, une violation du droit international, mais le blocus de Gaza et le refus d’Israël d’appliquer les clauses de l’accord de cessez-le-feu étaient eux-mêmes illégaux et affectaient des populations sans défense.
Les roquettes palestiniennes ne suffisent pas à légitimer l’offensive menée par Israël contre 1,5 million de réfugiés concentrés dans un espace grand comme la moitié du Territoire de Belfort, soit environ 360 kilomètres carrés, qui a déjà fait plus de 1 000 morts et de 4 000 blessés.
Dans l’immédiat, le Gouvernement français et le Président de la République ont bien fait de chercher à réunir les conditions d’une trêve par le canal de l’Égypte pour sécuriser la frontière entre ce pays et la bande de Gaza. Cependant, monsieur le ministre, la France doit voir plus loin et garder une parole libre, franche et sans faux-fuyants, pour créer les conditions d’une réconciliation entre les Palestiniens eux-mêmes, préalable à une négociation loyale visant à l’instauration d’un État palestinien viable.
Il appartient à la France d’exercer son influence pour amener le président Obama à inverser l’ordre des priorités qu’il a énoncées et à mettre en tête de son ordre du jour l’enclenchement d’une négociation israélo-palestinienne plutôt que le renforcement des troupes de l’OTAN en Afghanistan.
Le problème de Gaza, comme l’a dit le Président de la République, est un problème mondial, une manifestation insupportable de l’existence d’un droit international à deux vitesses. Il faut faire tomber la pression dans l’ensemble du monde arabo-musulman : c’est un préalable indispensable, une question de bon sens ! C’est ainsi que l’on asséchera le terreau du terrorisme et que l’on créera les meilleures conditions d’une normalisation avec l’Iran, d’un retrait pacifique des troupes américaines d’Irak et d’une solution politique du problème afghan.
Comme l’a dit un chercheur que vous connaissez sans doute, M. Dominique Moïsi, le problème israélo-palestinien est devenu la matrice des relations internationales. Comprenons-le avant qu’il ne soit trop tard. La négociation avec l’ensemble des Palestiniens est dans l’intérêt de tous les peuples, y compris celui d’Israël. La sécurité à long terme de ce dernier est commandée par la normalisation de ses relations avec tous ses voisins, et plus généralement par la modernisation du monde arabo-musulman. Cette négociation est également dans l’intérêt de la paix et dans celui de la France, dont le projet d’Union pour la Méditerranée ne peut réussir qu’à cette condition.
Nous attendons, monsieur le ministre, de la part du Gouvernement français, moins de faux-fuyants et moins d’expressions biaisées. Vous semblez surpris par mes paroles, mais vous avez fait la déclaration suivante dans les colonnes du quotidien Le Parisien-Aujourd’hui en France, le 11 janvier : « Le Hamas représente quelque chose dans le peuple palestinien, il est donc indispensable que certains aient des contacts avec eux. » Pourquoi pas nous ?
La liberté de parole et d’action de la France sera également le plus sûr moyen de faire reculer la tentation d’importer sur notre sol le conflit du Proche-Orient et les haines fanatiques qu’il suscite. La République est une exigence dans l’ordre intérieur – M. Cambon a parlé de la laïcité –, mais c’en est aussi une dans l’ordre extérieur ! C’est l’exigence d’une parole juste et libre. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Monsieur le ministre, vous avez fait état d’efforts couronnés de premiers succès sur le terrain et au Conseil de sécurité. Nous en prenons acte et nous saluons ces réussites : dans une situation aussi tragique, tout progrès, si faible soit-il, est bon à prendre.
Toutefois, je crains que vous ne vous fassiez des illusions en pensant que la France peut aujourd’hui être un arbitre respecté par les deux parties. Ce n’est pas l’avis de l’opinion publique arabe, qu’il faut d’ailleurs souvent distinguer de celui des gouvernements.
En effet, nous sommes nombreux à craindre que le manque de cohérence de la France à propos de ce conflit, surtout pendant sa présidence de l’Union européenne, ne la prive en réalité d’une part de sa crédibilité.
La présidence française a donné imprudemment une sorte de feu vert à Israël en lui faisant cadeau du rehaussement de son partenariat avec l’Union européenne sans aucune contrepartie. Mme Durrieu en parlera davantage.
De surcroît, monsieur le ministre, je le dis clairement, l’image de l’accueil trop familier, trop amical et même assez déplacé que vous avez réservé à Mme Tzipi Livni sur le perron de l’Élysée, à quelques heures du début des bombardements, risque de constituer pour vous un handicap aux yeux du peuple palestinien et dans le monde arabe. Mais je n’ajouterai pas la polémique à la guerre !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Depuis soixante ans, crise après crise, de blocus et de bouclages qui tuent à petit feu en tirs de missiles qui tuent au hasard, d’attentats suicides en bombardements massifs, la guerre n’a jamais vraiment cessé sur le sol de la Palestine.
Je me laisserai aller quelques instants à exprimer l’émotion qui nous étreint à la vue de la destruction de toute l’infrastructure civile de Gaza et des habitations, à la vue de ces blessés qui meurent malgré les soins de médecins exténués, à la pensée de ces familles exterminées, écrasées sous les ruines de leurs maisons, à l’idée de ces êtres humains brûlés vifs, coupés en deux ou mutilés par les bombes au phosphore. C’est criminel !
Il y a six mois, j’étais à Gaza. J’ai vu alors une population déjà sous-alimentée, prisonnière, devenue totalement dépendante, ou presque, de l’aide internationale. Je me remémore ces enfants mal nourris, mal vêtus, claquemurés dans la touffeur d’un logement surpeuplé, fait de parpaings et de tôles. Où sont-ils aujourd’hui, ces enfants du camp de Chifa, et dans quel état sont-ils ?
Pourtant, depuis soixante ans, Gaza n’est pas d’abord un problème humanitaire. J’y insiste : c’est un problème politique, posé par l’expulsion de centaines de milliers de Palestiniens en 1947 et en 1948, chassés de leurs villes et de leurs villages, qui ont été rasés depuis lors, et pris dans la nasse de cet oasis et de ce port, autrefois si prospères.
Au-delà de cette émotion, nous devons, pour comprendre, nous replacer dans la perspective historique afin de pouvoir penser à un jour de paix,
« Un jour de palme un jour de feuillages au front
« Un jour d’épaule nue où les gens s’aimeront »,
comme le disait Aragon. (M. Jack Ralite applaudit.)
Cette guerre nous concerne au premier chef, nous Français, nous Européens. Sans les pogroms d’Odessa et d’Europe centrale, sans l’affaire Dreyfus, qui, par réaction, inspira Théodore Herzl, justement révolté, sans le génocide des Juifs commis par les nazis et trop de complices de toutes nationalités, cet État refuge qu’est Israël aurait-il été nécessaire ? Aurait-il été établi dans une région considérée à l’époque par les Européens comme une terre colonisable ? Nous avons une responsabilité historique, une dette que les Palestiniens paient aujourd’hui pour nous !
En 1948, l’ONU a créé l’État d’Israël, mais ensuite la communauté internationale n’a jamais fait respecter la contrepartie, pourtant régulièrement proclamée, de la reconnaissance des droits du peuple palestinien, expulsé et nié même dans son existence. Monsieur le ministre, des résolutions contraignantes, ce sont des résolutions assorties de sanctions, et ce pour les deux parties, pas seulement pour le Hamas !
Nous avons encore en tête les espoirs suscités par les accords d’Oslo, le principe de la terre contre la paix, la naissance de l’Autorité palestinienne et la perspective, enfin, d’une normalisation d’Israël dans son espace régional.
Cependant, nous n’avons pas voulu voir à quel point ce processus a tourné à vide après l’assassinat d’Yitzhak Rabin et combien la politique du fait accompli a pris le pas, pour Israël, sur celle de la paix négociée.
La guerre de Gaza marque la fin d’un leurre, d’un simulacre de processus de paix israélo-palestinien. Nous vivons dans l’illusion, entretenue par des rencontres internationales répétitives, que l’on s’achemine vers la solution des deux États vivant côte à côte dans des frontières sûres et reconnues.
La création d’un embryon d’État dans des frontières à négocier a réduit notre sentiment d’urgence tandis que la réanimation, à un rythme régulier, d’un processus moribond nous administrait, selon les termes de Dov Weisglass, directeur de cabinet d’Ariel Sharon, la « dose de formol », ou plutôt d’anesthésique, nécessaire.
Une visite sur place suffit à mesurer le divorce profond entre le processus de paix par lequel on nous endort et la réalité des territoires palestiniens.
En effet, la colonisation a littéralement explosé depuis la conférence d’Annapolis, coupant la Cisjordanie en trois enclaves.
La réalité de ces territoires, ce sont les obstacles à la circulation, les check-points, les bouclages inopinés et répétés, les routes de contournement et le mur de séparation qui prive la Cisjordanie de 40 % de son territoire.
La réalité, c’est une vie confinée, que fuient ceux qui le peuvent, les plus jeunes et les mieux formés, dans une hémorragie lente et volontairement provoquée.
La réalité, ce sont des institutions politiques privées de la possibilité d’offrir à la population un minimum de sécurité, de perspectives et de moyens de subsistance.
La réalité, c’est aussi aujourd’hui, après l’échec du gouvernement d’union nationale, que nous avons eu le tort de ne pas soutenir, une division politique profonde, des affrontements internes, la guerre civile.
Comment en sommes-nous arrivés là alors que les données de la solution sont connues ?
Ce qui a fait défaut, monsieur le ministre, c’est un arbitre impartial, capable de préserver la dynamique de la négociation. Les acteurs de la communauté internationale ont eu le tort de soutenir obstinément la volonté d’Israël de ne mener que des négociations bilatérales. Cette situation dure depuis seize ans, seize ans de trop !
Cela revient à laisser à la puissance occupante le soin de déterminer, et par conséquent d’imposer, les conditions de la fin de l’occupation. Il faut que cela cesse ! Dans une négociation sans terme défini, où la légalité internationale elle-même – ce fut déjà le cas à Oslo, et plus encore à Annapolis – devient objet de négociation, l’enlisement est inéluctable. Il faut sortir de cette logique.
La première urgence est bien sûr d’obtenir un cessez-le-feu. C’est pour nous une pétition de principe, mais il faut le dire.
La seconde urgence est de restaurer l’unité palestinienne, et donc d’avoir le courage de parler directement avec tous ceux qui sont représentatifs du peuple palestinien. Il y va de la survie du projet national palestinien, là est la clé de la stabilité du Proche-Orient.
Il n’y a pas d’alternative. Voulons-nous que les Palestiniens, condamnés à vivre dans des cantons atomisés, deviennent une population exsangue, radicalisée ? Serait-ce juste ? Serait-ce un gage de sécurité pour Israël et la région ? Certainement pas !
Pour que s’instaure une trêve, féconde cette fois-ci – la première a été stérile, monsieur le ministre –, il faut restaurer la crédibilité du processus politique, ouvrir enfin réellement les points de passage, faire cesser l’enfermement des Gazaouis, ainsi que des Cisjordaniens, qui eux ne lancent pourtant pas de roquettes !
Dans cette perspective, il faudra négocier avec les deux camps, qui ont chacun leurs extrémistes, racistes et violents. Il suffit, pour s’en convaincre, d’écouter M. Liberman et quelques autres, que l’on reçoit si aimablement ! Sachons négocier et parler avec tous, sans choisir entre les racistes selon leur religion et leur nationalité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)