M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voici trois semaines que l’opération de l’armée israélienne à Gaza, annoncée par des déclarations officielles, a commencé. Cette intervention a replacé de manière dramatique au premier rang de l’actualité un conflit vieux de soixante ans.
Le même scénario se répète d’année en année, selon le même engrenage : provocation, répression et destruction, avec son cortège de deuils et de victimes innocentes.
Ce conflit a suscité une intense activité diplomatique, plus particulièrement au cours des années quatre-vingt-dix.
Après l’engagement des protagonistes dans ce qui s’annonçait comme un mouvement vers la paix, avec le processus d’Oslo, les discussions de Camp David et leur approfondissement à Taba, nous avons cru, à plusieurs reprises, entrevoir une solution, systématiquement contredite par les faits au moment où l’on pensait toucher au but.
Ce conflit nous concerne pour plusieurs raisons.
Notre diplomatie a une vocation mondiale. Elle se veut naturellement universelle et institue la défense des droits de l’homme comme une priorité.
Elle est, pour cette raison, impliquée dans la résolution de toute crise aux conséquences humanitaires dramatiques, comme cela est le cas aujourd’hui dans la bande de Gaza.
Surtout, ce conflit survient au voisinage immédiat de l’Union européenne et engage son avenir, comme en témoigne le projet d’Union pour la Méditerranée. Il occupe une place centrale dans l’équilibre du Proche-Orient.
Notre attachement à l’indépendance du Liban, les risques pour la paix de la politique nucléaire de l’Iran, les craintes que font peser les événements d’Irak sur la sécurité de nos approvisionnements énergétiques justifient l’intérêt que nous portons à cette zone.
Nous avons, dès sa création, apporté notre soutien à l’État d’Israël, avec lequel nous avons des liens affectifs et dont nous voulons que la sécurité des frontières et de la population soit assurée.
Nous sommes profondément conscients de l’émotion que suscite, dans le monde et dans notre pays, le déroulement des opérations militaires à Gaza.
La détermination des responsabilités dans le déclenchement des hostilités est aujourd’hui vaine et dépassée, mais, pour rechercher les solutions de sortie de crise, il faut prendre en compte l’enchaînement des faits intervenus ces derniers mois.
La stabilité du Proche-Orient, et donc le conflit israélo-palestinien, nous importent beaucoup.
Depuis de longues années, le temps n’a pas joué en faveur de la paix. Dans un contexte d’enlisement de la négociation, alors que dans le même temps perduraient les entraves à la circulation et se poursuivait la colonisation en Cisjordanie, la victoire électorale du Hamas aux élections législatives puis son coup de force à Gaza sont venus compliquer la donne.
Déclaré « entité hostile » par Israël à l’été 2006, ce territoire subit depuis lors un blocus destiné à saper le soutien au mouvement islamiste, dont les tirs depuis Gaza entretiennent un climat d’insécurité en Israël. Force est de constater la stérilité de cette politique.
Avant même l’offensive israélienne, la situation était très dégradée. En octobre dernier, notre commission, considérant la perspective incertaine de parvenir à un accord de paix avant la fin de l’année 2008, avait fait part de sa vive préoccupation devant une situation potentiellement explosive, eu égard à l’aggravation des conditions d’existence de la population palestinienne liée aux entraves à la circulation, aux progrès constants de la colonisation des territoires occupés, obstacle majeur à l’établissement d’une paix durable entre Palestiniens et Israéliens, à l’instabilité et à la faiblesse politiques des deux partenaires, mettant à mal tout dialogue constructif, à la vulnérabilité d’Israël aux tirs de roquettes, en dépit d’une politique sécuritaire particulièrement déterminée.
Quelles que puissent être les surenchères liées à la campagne électorale en Israël ou au jusqu’au-boutisme du Hamas, nul n’avait intérêt à cette opération militaire, et la trêve de six mois a montré que le dialogue était possible. Mais l’absence de progrès dans la négociation ou de médiateur entre les parties, ainsi que le discrédit de l’Autorité palestinienne, ont conduit les protagonistes à l’impasse politique et à l’engrenage de la violence.
Nous savons tous qu’il n’y a pas d’issue militaire à ce conflit.
Certes, sur le plan strictement militaire, les objectifs de l’armée israélienne d’affaiblir significativement le potentiel militaire de la branche armée du Hamas et d’obtenir ainsi l’arrêt des tirs de missiles et le bouclage effectif de la frontière sud seront peut-être atteints. Encore faut-il observer que, malgré les moyens mis en œuvre par les Israéliens, les tirs de missiles sur Israël n’ont jamais cessé et que leur portée ne fait qu’augmenter.
Mais, en termes politiques, la bataille de l’image, avec l’exploitation de l’émotion suscitée par les victimes innocentes, sera très vraisemblablement gagnée par le Hamas, et pas seulement auprès des opinions et des gouvernements arabes. Les conséquences humanitaires très graves de l’opération israélienne ne peuvent qu’accentuer cette victoire médiatique.
Je voudrais saluer, dans cette situation bloquée, l’action volontaire et courageuse du Président de la République, qui a entrepris de rechercher un cessez-le-feu immédiat en prenant contact avec toutes les parties intéressées.
La France apporte un soutien sans faille à la diplomatie égyptienne, déjà impliquée dans le dialogue inter-palestinien, pour l’élaboration d’un plan en deux étapes.
Les contours de la sortie de crise sont désormais connus : cessez-le-feu, contrôle de la frontière et ouverture des points de passage.
L’Égypte joue en effet un rôle central et modérateur dans l’ensemble des conflits du Moyen-Orient, et nous avons un intérêt puissant au succès de sa médiation.
Nous devons veiller attentivement à ce que ni la Syrie ni l’Iran n’encouragent en sous-main l’intransigeance du Hamas et de ses alliés et n’empêchent la réalisation du cessez-le-feu immédiat réclamé au travers de la résolution 1860 du Conseil de sécurité des Nations unies.
Cette résolution qui réaffirme les principes d’une paix globale et de deux États vivant côte à côte dans des frontières sûres et reconnues tout en rappelant l’importance de l’initiative de paix arabe devra servir de point d’appui à une relance du processus de paix.
Chaque jour qui passe rendra la sortie de crise plus difficile, pour autant que le processus de paix n’ait pas subi des dommages irréparables. Israël ne peut rester sourd aux injonctions de la communauté internationale, au sein de laquelle la réprobation grandit.
L’une des questions que nous allons devoir nous poser – question du reste valable depuis 2006 – sera de savoir dans quelle mesure, et selon quelles modalités, le dialogue avec l’ensemble des protagonistes s’engagera.
Vous avez souligné à plusieurs reprises, monsieur le ministre, que la diplomatie consistait à discuter avec ses ennemis.
M. Josselin de Rohan, président de la commission. Israël, comme d’autres, devra sans doute se résoudre à discuter avec le Hamas, directement ou indirectement.
Ainsi que l’a répété le Président de la République, les liens d’amitié réels que nous entretenons avec Israël n’excluent pas, bien au contraire, la franchise, et il est de notre devoir de mettre un terme à une aventure désastreuse.
Priver durablement toute une population de nourriture, d’emplois, de soins et du droit à se déplacer librement ne peut déboucher que sur le désespoir et la haine.
Au-delà de l’urgence du cessez-le-feu, nous nous interrogeons sur la stratégie à adopter après la sortie de crise.
Nous nous interrogeons tout d’abord sur le cadre de négociations défini lors de la conférence d’Annapolis, processus essentiellement bilatéral, mené avec le parrainage des États-Unis sur un mode entraînant, en définitive, peu de contraintes. Nous donnons-nous véritablement une chance d’aboutir avec un tel schéma, qui ne prévoit pas d’arbitrage véritable et qui a largement montré ses limites ?
Il est très vraisemblable que l’offensive israélienne ne se prolongera pas au-delà du 20 janvier, date de l’investiture du président Obama. Quel rôle la nouvelle administration américaine entendra-t-elle jouer au Proche-Orient ? Cherchera-t-elle à miser sur l’apaisement et le dialogue, ou continuera-t-elle à soutenir Israël de manière inconditionnelle, au risque de renforcer ce pays dans son intransigeance ?
La France doit continuer à inciter l’Union européenne à agir avec force pour la recherche d’une solution juste et équilibrée du conflit israélo-palestinien. Même si une nouvelle conférence des donateurs réunie sur l’initiative de notre pays recueille – cela nous semble indispensable – des fonds importants pour réparer les dommages de guerre, le rôle de l’Union européenne se résumera-t-il à celui de bailleur de fonds, au détriment de son action politique ? La recherche à tout prix d’un consensus conduisant à adopter le plus petit dénominateur commun entre nations européennes n’affaiblirait-elle pas la force de notre message ?
Dans la perspective de la sortie de crise, nous nous interrogeons aussi sur les partenaires en présence. Que restera-t-il des institutions palestiniennes après l’opération israélienne ? Un président dont le mandat est arrivé à échéance le 9 janvier dernier, un Conseil législatif dans l’incapacité de siéger, un mouvement Hamas sorti vraisemblablement renforcé, sur le plan moral, de cette crise ? Quel partenaire palestinien sera notre interlocuteur dans les prochains jours ? Pourrons-nous vraiment le choisir ?
Symétriquement, quelle sera l’autorité de notre partenaire israélien si les élections israéliennes de février amènent au pouvoir une coalition de forces politiques dont le programme serait le refus du processus de paix et la poursuite de la colonisation ?
Toutes ces interrogations sont étroitement imbriquées.
La question se pose de l’implication de notre pays dans le contrôle de la frontière avec l’Égypte et les garanties de sécurité pour l’État d’Israël si l’ouverture des points de passage est acquise. Il me semble que, sur ce sujet, nous devons avoir une approche extrêmement prudente.
Notre assemblée aura prochainement à débattre de la question des opérations extérieures, les OPEX. Notre engagement éventuel doit reposer sur les capacités de nos armées à répondre aux sollicitations qui leur sont adressées et être conditionné par l’ouverture d’un processus politique réel.
S’il faut mettre un terme à une colonisation qui exproprie brutalement des familles entières vivant depuis des décennies sur leurs terres, il faut parallèlement assurer à Israël et à sa population la sécurité.
Il faut, comme le disait Tony Blair devant les présidents des commissions des affaires étrangères de l’Union européenne en juillet dernier, que chacun des habitants de la Palestine essaye de comprendre la douleur de l’autre et que les chances d’un dialogue puissent enfin se manifester. C’est l’honneur de notre pays de contribuer à renouer les fils de ce dialogue et à lutter pour l’établissement d’une paix sincère et durable dans cette partie du monde.
Le temps est venu, pour la communauté internationale, de rechercher une solution à un conflit qui a causé trop de souffrances, de deuils, de destructions, dans ce qui était jadis la Terre sainte et qui n’est plus aujourd’hui qu’une terre de douleur.
Le mur qui sépare les habitants de la Palestine est moins haut que celui qui a été élevé depuis soixante ans par l’incompréhension, l’aveuglement et le fanatisme. Il faut cesser d’utiliser les habitants de Gaza comme des pions dans une stratégie qui vise à asseoir l’influence de certaines des puissances de la région.
Cette crise pourrait avoir le mérite de faire prendre conscience de la nécessité absolue d’une relance d’un processus de paix pour aboutir à une solution garantissant la sécurité d’Israël aux côtés d’un État palestinien comprenant Gaza et la Cisjordanie.
Il ne s’agit pas d’un conflit périphérique ou régional, ou simplement d’un conflit asymétrique. Il s’agit d’un conflit grave qui, depuis soixante ans, affecte durablement la paix et l’équilibre du monde. C’est pourquoi il faut essayer résolument de trouver une solution. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste.)
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le ministre, s’agissant de cet Orient compliqué, je voudrais, plutôt qu’énoncer des affirmations péremptoires sur un dossier complexe et douloureux que notre opinion publique ne semble pas toujours comprendre, vous poser quelques questions.
Le conflit israélo-arabe a rythmé médiatiquement et visuellement tous les moments de la perception de la vie internationale des hommes et des femmes de ma génération. Comme dans ces séries télévisées sans cesse rediffusées, nous avons régulièrement l’impression que les choses ne bougent pas, que le conflit s’enlise, que l’agitation de la politique internationale ne résout rien et que reviennent toujours les mêmes douloureuses images.
Nous nous sentons successivement Israéliens et Palestiniens. En mettant en perspective ce conflit qui touche finalement une fraction réduite de la population mondiale, nous pouvons néanmoins nous demander pourquoi la diplomatie internationale et le monde médiatique ne se soucient pas avec la même intensité de l’épouvantable situation qui prévaut en République démocratique du Congo, où un général rebelle, soutenu par des États voisins membres de l’Organisation des Nations unies, agresse un État souverain et se rend responsable de milliers de morts dans l’indifférence coupable de l’opinion.
Nous pouvons nous poser la même question à propos du drame majeur de la faim dans le monde, qui suscite bien peu d’intérêt au regard de la façon dont le conflit israélo-palestinien mobilise nos écrans, nos esprits et l’énergie, pour ne pas parler de l’argent, de la communauté internationale.
J’arrête ici mon propos, car une telle comparaison comptable peut être sinistre et inopportune.
Malgré toutes ces interrogations, deux certitudes se dégagent.
Première certitude, Israël a un droit inaliénable à l’existence.
Pour le monde entier, la Shoah constitue une tache indélébile. Le maintien de l’existence d’Israël est la garantie que plus jamais l’humanité ne connaîtra un tel désastre, la preuve que l’humanité et le monde entier ont retrouvé leur âme. La disparition de cet État manifesterait le risque d’un retour aux ténèbres que nous avons connues au milieu du XXe siècle.
Seconde certitude, un peuple palestinien existe, qui a été fortement secoué mais également conforté par l’implantation brutale de l’État d’Israël en Palestine.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Conforté ?
M. Yves Pozzo di Borgo. Oui, en ce qu’il existe beaucoup plus médiatiquement et dans le monde entier.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Il existe dans des camps de réfugiés !
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le ministre, nous avons donc, sur une même terre, deux protagonistes.
Israël, tout au long des soixante dernières années, a successivement cherché à atteindre divers objectifs : la recherche de son indépendance et d’un possible élargissement de son territoire en 1948-1949 ; l’affaiblissement militaire de l’Égypte avec le concours de la France et du Royaume-Uni en 1956 ; la conquête en 1967 du Sinaï, finalement rendu à l’Égypte dix ans plus tard ; une improbable guerre d’usure en 1970, qui a eu pour conséquence la guerre du Kippour et pour corollaire la conclusion d’une paix boiteuse avec l’Égypte ; un enlisement au Liban en 2006.
En face, le monde arabe refuse, dès 1947, le principe même de l’existence d’Israël, pour finir par le concéder du bout des lèvres en 1979. Ce n’est que dans les années quatre-vingt-dix que des États arabes du Golfe ont peu à peu élaboré une nouvelle approche. Actuellement, le peuple palestinien est divisé.
Monsieur le ministre, Israël et la Palestine ont-ils une vision stratégique à long terme ? Sont-ils capables de trouver une solution à leur conflit ? Si nous répondons par la négative, nous devons nous demander si une solution ne doit pas être imposée par la communauté internationale, se substituant aux deux protagonistes, qui manquent de la volonté d’aboutir.
Interrogeons-nous alors sur l’action internationale. A-t-elle été bonne et efficace ? La naissance même de l’État d’Israël procède d’une très forte volonté de la communauté internationale. En effet, le plan de partage de la Palestine du 29 novembre 1947 a été adopté par les États-Unis, l’Union soviétique et une majorité de pays européens.
Il convient tout de même de s’interroger également sur l’opportunité de la création des camps palestiniens, constitués avec le concours, y compris financier, des organisations internationales. Ce fut une ghettoïsation rampante, qui a donné naissance à des générations d’assistés et de rebelles sans espoir. Ne sommes-nous pas responsables de cette situation ?
Interrogeons-nous aussi sur le rôle actuellement inexistant du Quartet, composé de l’ONU, de l’Union européenne, de la Russie et des États-Unis. De feuille de route en conférence d’Annapolis, la communauté internationale semble parfois avoir raté de nombreux rendez-vous. Malgré les différents sommets de Camp David, les États-Unis n’ont-ils pas trop souvent joué aux apprentis sorciers ? Monsieur le ministre, vous avez évoqué M. Obama : trouvera-t-il une solution ? Nous le souhaitons.
Par ailleurs, l’Europe a-t-elle été assez présente, de façon générale, au fil du temps ? A-t-elle su mener une action plus préventive ? En quoi a consisté le rôle de son missionnaire, Tony Blair ?
L’observateur extérieur a quelquefois l’impression que la communauté internationale, malgré sa bonne volonté, montre une grande impuissance et laisse la bande de Gaza et la Cisjordanie se transformer en une nouvelle Somalie.
Nous nous félicitons, monsieur le ministre, de votre action dans une région du monde que vous connaissez bien, ainsi que de celle du Président de la République, qui a mis son énergie, son intelligence et sa volonté au service de cette cause. Cependant, son action n’est-elle pas hypothéquée par l’exclusion du Hamas de la négociation internationale ? C’est là ma dernière question.
Le Hamas – mot qui signifie « zèle » en arabe – est une terrible formule politique. Déjà présente à Jérusalem en 1946, très influente depuis des décennies en Égypte, cette organisation d’essence religieuse, vouée à la prédication, a peu à peu pris une place politique importante.
Elle a ainsi gagné les élections législatives en février 2006 à Gaza et en Cisjordanie, Ismaïl Haniyeh étant le Premier ministre régulièrement désigné par le verdict des urnes. La communauté internationale n’a pas reconnu ces résultats. Pourtant, le général de Gaulle n’avait-il pas traité avec les terroristes algériens en 1960 ? Cela avait abouti aux accords d’Évian et à la fin de la guerre d’Algérie.
Nous constatons aujourd’hui que, même si le Hamas s’est affaibli dans la bande de Gaza, il a conforté sa position en Cisjordanie et, surtout, son image dans l’ensemble du monde arabe. Ne faut-il pas – je me borne, monsieur le ministre, à poser la question, je n’affirme rien – changer notre regard sur lui ?
Après avoir soulevé ces quelques interrogations, monsieur le ministre, je tiens à rappeler la difficile situation des chrétiens au Proche-Orient, notamment à Gaza, où des foules fanatiques ont brûlé des croix chrétiennes. La présence des chrétiens est pourtant précieuse dans cet Orient compliqué que j’évoquais en préambule. Rien ne sera possible, rien ne pourra être tenté et, surtout, rien ne réussira si tous les protagonistes ne conservent pas à l’esprit et dans le cœur cette parole des Écritures : « Réconcilie-toi avec ton frère ». (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis satisfait que se tienne enfin ce soir le débat que nous avions demandé sur la situation au Proche-Orient et le drame humain et politique qui se déroule dans la bande de Gaza.
En effet, l’offensive israélienne très explicitement dénommée « Plomb durci » qui sévit depuis le 27 décembre dernier oblige les gouvernements et les organisations internationales à prendre leurs responsabilités pour condamner une agression insupportable.
Depuis maintenant plus de quinze jours, l’armée israélienne déchaîne toute sa puissance sur la bande de Gaza, menant son offensive la plus meurtrière depuis celle de 1967. Pour mettre fin aux tirs de roquettes sur les localités du sud d’Israël par le Hamas, l’État d’Israël a lancé contre les populations civiles de Gaza toute son armée, jusqu’aux réservistes, ainsi qu’une force de frappe n’excluant pas, selon les ONG, le recours aux bombes au phosphore et à de nouvelles armes, ce qui est intolérable.
En un peu plus de deux semaines, près de mille personnes ont trouvé la mort, dont 60 % de civils, parmi lesquels un très grand nombre de femmes et d’enfants.
Des dispensaires, des ambulances, des écoles et un convoi humanitaire de l’ONU ont été bombardés par l’armée israélienne. Ces bombardements rendent particulièrement difficile l’acheminement d’une aide dont 1,5 million de Palestiniens ont le plus urgent besoin, 750 000 réfugiés subsistant même exclusivement grâce à elle.
La situation humanitaire dans la bande de Gaza est donc intolérable. Cette population est privée de tout : d’eau potable, d’électricité, de soins, de médicaments, de vivres. La situation sanitaire est devenue insoutenable, alors que les ONG la jugeaient déjà catastrophique avant même l’offensive israélienne, du fait du blocus.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen et ceux du Parti de gauche ne peuvent admettre que l’armée israélienne, tout en affirmant ne vouloir traquer que les membres du Hamas, s’en prenne avec une telle violence aux populations civiles palestiniennes. Nous condamnons sans appel cette agression intolérable qui se déroule, je le souligne, avant des élections importantes en Israël. Il est profondément scandaleux qu’un millier de morts tienne lieu d’argument électoral !
Comme le confirme le succès des manifestations organisées ce week-end partout dans le monde, cette condamnation est largement partagée. Elle devrait être l’objet d’un consensus au sein de la classe politique française.
La question n’est certainement pas de savoir qui a rompu la fragile trêve instaurée voilà plusieurs mois. Elle ne conduit qu’à renvoyer inutilement dos à dos les protagonistes de ce drame.
Comme le proclament vingt-quatre associations de femmes israéliennes opposées à l’agression conduite par l’État d’Israël, une seule motivation doit déterminer l’intervention de la communauté internationale : faire en sorte que « la guerre ne soit plus une possibilité, la violence une stratégie, ni l’assassinat une alternative ».
Il y a quelques jours, monsieur le ministre, je vous entendais refuser, à la télévision, de vous exprimer sur la légitimité d’une intervention d’Israël dans la bande de Gaza. Je vous l’avoue, cette déclaration m’a choqué. Aucun pays ne peut se prévaloir d’une quelconque légitimité pour massacrer des populations civiles.
Quels qu’en soient les motifs, cette violence constitue tout simplement, au regard du droit international et en particulier des statuts de la Cour pénale internationale, un crime de guerre, que la communauté internationale doit faire cesser. Comme cela nous a été confirmé par d’éminents juristes, la France a la possibilité d’y contribuer, notamment en attaquant judiciairement devant ses tribunaux nationaux tous belligérants ou responsables politiques ayant la double nationalité.
Cependant, comment s’étonner d’une aussi violente escalade ? Depuis maintenant de très nombreuses années, nous demandons inlassablement que la communauté internationale prenne ses responsabilités et mette tout en œuvre pour favoriser une solution politique du conflit et pour trouver les chemins d’une paix juste et durable entre ces deux peuples.
Au contraire, son silence proprement assourdissant et son laisser-faire devant les violations récurrentes du droit par Israël ont nourri le désespoir du peuple palestinien depuis plusieurs générations.
En effet, si nous condamnons sans ambiguïté les tirs de roquettes du Hamas, nous devons malgré tout admettre que le silence complaisant de la communauté internationale, sinon le soutien de certains pays, comme les États Unis, à l’intervention israélienne, n’ont fait que renforcer la légitimité de cette organisation aux yeux des Palestiniens et bloquer le processus de paix.
À la veille de la tenue d’élections importantes dans les territoires palestiniens, ce conflit renforcera encore le Hamas, n’en doutons pas. C’est une illustration criante de l’impasse politique dans laquelle se trouve ce conflit.
Depuis plus de soixante ans, le droit est nié dans cette partie du monde. Aucune résolution de l’ONU, aucune initiative internationale n’a permis, de quelque manière que ce soit, de faire respecter le droit des Palestiniens, qui subissent notamment l’occupation.
On ne compte plus les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU qui sont restées inappliquées depuis maintenant quarante-deux ans, y compris la plus récente d’entre elles, la résolution 1860, qui appelle à « un cessez-le-feu durable […] menant au retrait complet des forces israéliennes de Gaza » et « condamne toutes les violences et hostilités dirigées contre des civils ».
En effet, le Premier ministre israélien a déjà affirmé que l’armée allait poursuivre ses attaques jusqu’à ce que les objectifs visés aient été atteints, et parle d’agir d’« une main de fer » !
Israël continue donc de mettre en œuvre sa politique inadmissible d’occupation et d’exactions contre les civils. Aujourd’hui, plus de 10 000 prisonniers politiques sont détenus dans les geôles israéliennes. Les territoires prétendument accordés aux Palestiniens se sont réduits comme peau de chagrin. Le « mur de la honte » s’est construit autour de Jérusalem et la bande de Gaza est soumise à un blocus inacceptable, qui en fait un territoire totalement bouclé. Tout cela dans la plus complète impunité.
Cela fait des années que cette situation perdure, s’envenime. Tout processus politique de résolution du conflit a échoué, faute d’une volonté forte de la communauté internationale, particulièrement des États-Unis, de peser en faveur du dialogue et de la reconnaissance du droit effectif des deux peuples à vivre en paix.
Il faut ici rappeler que la création du Hamas en 1987 avait bénéficié de la bienveillance de l’État d’Israël, satisfait de voir se développer un rival pour l’OLP de Yasser Arafat. Selon le journal Le Monde, Ariel Sharon, responsable militaire de Gaza à l’époque, avait même fait financer les mosquées des Frères musulmans, à l’origine de la création de cette organisation.
Aujourd’hui encore, aucun moyen n’a été donné à Mahmoud Abbas pour engager de véritables négociations, et l’attitude d’Israël lors du retrait des colonies de la bande de Gaza a été plus que contestable.
L’Autorité palestinienne n’a cessé d’être affaiblie par Israël et la communauté internationale, alors qu’elle constituait pourtant le meilleur gage de la construction d’une paix juste et durable.
L’absence de solution politique et l’échec des accords entre l’Autorité palestinienne et le gouvernement d’Israël depuis maintenant quinze ans atteignent directement la crédibilité de cette autorité auprès des peuples et font le jeu des extrémismes, mettant gravement en cause l’attachement à la vie démocratique et à la laïcité qui fonde encore l’originalité et la richesse du peuple palestinien dans cette partie du monde.
Pourtant, malgré les souffrances, malgré la misère et les humiliations, les Palestiniens, dans leur majorité, comme une grande partie du peuple israélien, veulent aujourd’hui vivre dans la paix et la sécurité.
Au-delà des déclarations de bonnes intentions, y compris de la part de la France, quelles initiatives ont été prises au cours des années pour sortir de l’impasse ?
Tout d’abord, et cela est consternant, la communauté internationale a constamment refusé de prendre de véritables sanctions contre Israël, comme cela a pu être fait pour d’autres pays qui ne respectaient pas le droit international. On peut rappeler, à cet égard, l’embargo contre l’Irak, qui a duré de nombreuses années.
Au rebours du bon sens, la communauté internationale a toujours poursuivi ses relations politiques et commerciales avec Israël. Ainsi, l’Union européenne, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, a même promu au rang de priorité le rehaussement de ses relations avec ce pays, allant jusqu’à le faire entériner par le conseil des ministres des affaires étrangères le 8 décembre dernier, contre l’avis même du Parlement européen.
Monsieur le ministre, nous vous avons écrit à ce sujet un courrier de protestation le 15 décembre dernier, resté sans réponse à ce jour. (M. le ministre manifeste son étonnement.) Vous nous aviez habitués à une autre conception du droit d’ingérence humanitaire !
Loin de s’attirer les foudres de l’Union européenne, Israël obtient donc, comme une récompense, de participer à un large ensemble de programmes communautaires, devenant quasiment un membre de l’Union. Pourtant, l’article 2 de l’accord d’association de l’Union européenne avec Israël mentionnait déjà clairement la suspension de cet accord en cas de non-respect du droit. En 2002, une résolution du Parlement européen demandait que l’on fasse jouer cette clause.
Nous sommes donc très loin d’une politique de sanctions à l’encontre de cet État qui ne respecte pas le droit international. Il est indispensable que l’Union européenne, au-delà de la nécessaire aide humanitaire, prenne ses responsabilités et suspende l’accord d’association et tout projet de rehaussement. Il n’est que temps de poser des actes, au-delà des discours !
Je tiens également à revenir sur l’importance de l’implication des États-Unis dans ce processus. Je note à cet égard que c’est le seul pays à s’être abstenu lors du vote de la résolution 1860, alors qu’un consensus existait. Certes, il s’agit d’un progrès au regard des vetos qu’il pose régulièrement. Pour autant, nous déplorons cette attitude et nous souhaitons que la prise de fonctions de Barack Obama amène une réorientation nette de la politique de Washington au Proche-Orient, rendant celle-ci conforme aux résolutions de l’ONU.
Cette énième crise majeure rappelle que c’est bien la question de la Palestine qu’il faut résoudre sur le fond, dans la justice, le droit et la sécurité pour tous, y compris pour l’État d’Israël. Il n’y a pas d’issue hors de cette exigence. Les ministres des affaires étrangères de l’Union européenne se sont jusqu’à présent contentés d’un appel à un cessez-le-feu et au retour au processus de paix. C’est déjà mieux que rien, mais, en agissant ainsi, les Vingt-Sept font précisément semblant d’oublier qu’il n’y a plus de processus de paix, ni dans le cadre défini hier à Oslo ni a fortiori dans celui de la conférence d’Annapolis.
Je tiens à souligner que, contrairement à ce que l’on affirme trop souvent, nous ne sommes pas devant un conflit religieux qui verrait s’opposer juifs, musulmans et chrétiens. Lorsque des actes racistes ou antisémites sont perpétrés en France, il s’agit donc non pas d’une « importation » de ce conflit, mais d’actes honteux, déconnectés des enjeux de ce dernier et qui nous choquent profondément. Nous condamnons fermement toute récupération idéologique ou religieuse.
Au Proche-Orient, la religion est d’ailleurs un simple prétexte pour justifier une guerre économique dont l’enjeu est l’appropriation des ressources naturelles de la région ; c’est une guerre pour la maîtrise du territoire.
Pour conclure, il faut qu’une force multinationale d’interposition soit déployée de toute urgence sous l’égide de l’ONU, tout d’abord pour mettre un terme à cette nouvelle guerre, ensuite pour faire respecter les frontières délimitées par l’ONU en 1967 et garantir ainsi l’existence de deux États souverains, la Palestine et Israël.
La communauté internationale doit décider une aide d’urgence pour répondre à la crise humanitaire. À ce sujet, monsieur le ministre, je vous invite à accepter le principe de l’envoi du navire-hôpital de la marine nationale au large des côtes de Gaza, demandé par des personnalités comme Raymond Aubrac, Carole Bouquet, Rony Brauman, Régis Debray, Mireille Mendès-France, Stéphane Hessel ou Gilles Perrault, parmi bien d’autres.
J’en appelle donc au Gouvernement pour qu’il préconise des sanctions européennes à l’encontre d’Israël et qu’il institue la France, notamment au moment où elle préside l’ONU, en acteur résolu de la reprise du processus de paix au Proche-Orient, seule garante de la sécurité des peuples.
Emprunter la voie politique est l’unique solution pour sortir de cette situation. Cela doit passer par le dialogue avec tous les protagonistes régionaux, y compris le Hamas, sous l’égide de l’ONU, j’y insiste. Le peuple palestinien, le peuple israélien, les peuples du monde entier ont besoin d’une paix juste et durable au Proche-Orient. Nous pouvons tous ensemble, chers collègues, si nous y sommes déterminés, contribuer à instaurer un monde plus humain. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – MM. Nicolas Alfonsi et Jean-Pierre Chevènement applaudissent également.)