PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
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Dépôt d'un rapport du Gouvernement
M. le président. M. le Premier ministre a transmis au Sénat, en application de l’article 67 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, le rapport sur la mise en application de la loi n° 2008-492 du 26 mai 2008 relative aux emplois réservés et portant dispositions diverses relatives à la défense.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il sera transmis à la commission des affaires étrangères et sera disponible au bureau de la distribution.
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Communication audiovisuelle
Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, adopté par l’Assemblée nationale après déclaration d’urgence (nos 145, 150, 151, 152).
Organisation des débats
M. Michel Thiollière, rapporteur de la commission des affaires culturelles. Pour la clarté de l’organisation de nos travaux, la commission demande la réserve des articles 13 bis, 14 bis et 14 ter relatifs à l’outre-mer, jusqu’à la séance du jeudi 15 janvier à quinze heures, afin de permettre la présence parmi nous de M. Yves Jégo, secrétaire d’État à l’outre-mer.
Par ailleurs, en ce qui concerne la discussion de l’article 20, la commission demande que les amendements de suppression nos 244 et 374 puissent être examinés séparément, de même que les amendements nos 149 et 272, qui procèdent à une réécriture du paragraphe I de cet article.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur la demande de réserve ?
Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication. Il est très favorable, monsieur le président.
M. David Assouline. Monsieur le président, je remarque tout d’abord que la commission ne s’est pas prononcée sur cette nouvelle demande de réserve. Les rapporteurs en ont, eux-mêmes, pris l’initiative. Je ne les blâme pas, mais c’est symbolique de ce qui se passe depuis le début de l’examen de ce projet de loi. On travaille vraiment de façon incroyable ! Comme ce qui fait l’essentiel de ce texte est, d’ores et déjà, appliqué, je pensais que l’on allait au moins nous laisser causer et travailler en prenant le temps !
Il n’en est rien ! La séance publique se poursuit, la commission multiplie les réunions pour étudier les amendements à venir. Nous nous sommes séparés à midi sans avoir été informés de cette demande de réserve. Ce temps sera sans doute mis à profit pour trouver, en amont, un accord avec le Gouvernement sur la rédaction qui sera soumise à notre assemblée. L’opposition n’a plus qu’à accepter !
Ne sachant même pas de quels articles il s’agit, je vais devoir maintenant chercher dans ma liasse les amendements qui sont réservés et ceux qui ne le sont pas. Ce sont des conditions de travail vraiment difficiles pour le Sénat !
Hier, la séance s’est terminée sur un cri de révolte de Jack Ralite, qui dénonçait ces conditions de travail, ainsi que sur un appel de l’opposition, qui réclamait, enfin, un vrai débat. La majorité est là et attend que cela se passe. L’opposition se livre à un jeu de ping-pong avec le Gouvernement, qui ne prend pas vraiment la peine d’étayer ses arguments.
Après avoir été humilié par le Gouvernement, on aimerait qu’enfin, collectivement, le Sénat réagisse et s’honore en menant le débat de fond que la nation attend sur l’audiovisuel public. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Thiollière, rapporteur.
M. Michel Thiollière, rapporteur. Je tiens à préciser à notre assemblée que, ce matin, le président Jacques Legendre a porté à la connaissance de la commission les deux demandes que je viens de formuler.
M. le président. Je rappelle qu’hier la commission a expressément souhaité que les articles 8 et 9 soient examinés aujourd’hui mardi, afin que toutes celles et tous ceux qui le désirent puissent s’exprimer.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur de la commission des affaires culturelles. Exactement !
M. le président. En ce qui concerne la demande concernant l’article 20, il n’y a pas d’opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
Dans la discussion des articles, nous en étions parvenus à l’article 8.
Article 8
L'article 47-4 de la même loi est ainsi rédigé :
« Art. 47-4. - Les présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France sont nommés par décret pour cinq ans après avis conforme du Conseil supérieur de l'audiovisuel et après avis des commissions parlementaires compétentes conformément à la loi organique n° du relative à la nomination des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France. »
M. le président. La parole est à M. Jack Ralite, sur l'article.
M. Jack Ralite. Avant d’évoquer l’article 8 du projet de loi, qui nous concerne tous, permettez-moi, mes chers collègues, de vous lire un petit extrait du Figaro de ce jour.
M. Guy Fischer. Ah !
M. Jack Ralite. « Pendant que l’opposition parle, la majorité reste l’arme au pied et attend. “On doit passer des dizaines d’heures dans l’hémicycle et surtout se taire, témoigne Jean-Luc Warsmann, député UMP des Ardennes.”(Rires sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Claude Gaudin. Cela ne concerne pas le Sénat !
M. Jack Ralite. “Les députés de la majorité doivent rester plus nombreux en séance que leurs collègues de l’opposition pour éviter d’être défaits lors d’un vote surprise. Mais prendre la parole, c’est alimenter la polémique, poursuit le député des Ardennes. Il faut donc se taire.” »
De fait, monsieur le président, depuis le début de cette discussion, nous sommes souvent confrontés au silence de la majorité, qui refuse le débat.
On a même vécu des moments qui, véritablement, défiaient toute pratique démocratique, ce qui explique ma colère d’hier soir.
Nous voilà, avec cet article 8, au cœur du cyclone. Depuis le début de nos débats, il est là, omniprésent, tout à l’image du Président de la République qui, par cet article, se verra définitivement conférer le droit de nommer par décret les présidents de l’audiovisuel public.
Nous avons déjà beaucoup parlé de cette disposition ô combien symbolique.
Symbolique tant elle écorne notre démocratie ! Où voit-on en Europe et en Amérique du Nord un Président, chef de l’exécutif, s’arroger ce pouvoir sur la télévision publique ? Nulle part !
Hier, à l’occasion des interventions de l’opposition, nous avons passé en revue les modèles allemand, britannique et même italien, sous Berlusconi : point de trace de cette horreur démocratique !
Symbolique aussi tant cette disposition pèsera lourd sur les épaules des futurs promus, sur l’indépendance des médias et, plus précisément en l’occurrence, sur celle de l’audiovisuel public. L’indépendance n’est pas seulement un concept que l’on se doit de défendre pour le principe. C’est une réalité au quotidien que les journalistes peinent à préserver et que nous avons le devoir, en qualité de parlementaire, de garantir. Ce mot a bien été maintes et maintes fois prononcé depuis le début de nos débats. Chacun jure vouloir la préserver !
Aussi, devant un tel texte, on tente de-ci de-là, à la marge, de rendre présentable, digestible, acceptable une disposition qui devrait nous faire nous lever comme un seul homme pour crier non au fait du prince !
Au lieu de cela, une partie de cet hémicycle se terre dans le silence…
Un silence qui en dit long sur le malaise qui entoure ce texte et que chacun perçoit, quelles que soient les travées sur lesquelles il siège dans cet hémicycle.
Allons-nous accepter sans broncher, que dis-je sans même parler, sans même utiliser ce pouvoir de la parole confié par le suffrage universel, une mesure qu’aucun gouvernement français depuis l’après-guerre n’a ni pensé, ni même envisagé ?
Si c’est le cas, alors, au regard de la réforme du débat parlementaire qui s’annonce dans la droite ligne de ce texte caporaliste, le silence n’a pas fini de régner entre les murs de cette assemblée ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline, sur l'article.
M. David Assouline. Les deux articles éminemment symboliques que nous nous apprêtons à examiner constituent le cœur de notre débat.
L’été dernier, la réforme de la Constitution nous a été présentée comme tendant à renforcer les droits du Parlement. L’opposition n’a eu de cesse de dénoncer ce faux nez. Nous savions que le seul objectif de Nicolas Sarkozy, c’était de pouvoir s’exprimer devant le Congrès et d’asseoir un peu plus la présidentialisation du régime.
Nous sommes exactement dans le même cas de figure aujourd’hui. Voilà un an, Nicolas Sarkozy annonçait la suppression de la publicité. Tout le monde a cru qu’il était sincèrement convaincu des méfaits de la « pub » sur la qualité des programmes, de la création artistique et du service public. Il avait pourtant toujours affirmé l’inverse dans sa campagne électorale : lorsqu’on l’interrogeait sur la manière de réduire le déficit chronique du service public, il répondait qu’il fallait augmenter la part de la publicité.
Finalement, revenant sur sa position initiale, il nous annonce, voilà un an, sa décision de supprimer la publicité. Dans le même temps, la gauche est accusée de s’opposer à une mesure qu’elle a de tout temps portée, elle qui a toujours affirmé que la publicité ne devait pas être l’alpha et l’oméga du secteur public.
En réalité, la commission Copé, qui avait travaillé sur les contenus des programmes, les missions de l’audiovisuel public, le média global, n’avait pas été consultée sur la nomination et la révocation par le Président de la République des présidents de France Télévisions, de Radio France et d’Audiovisuel extérieur de la France. Cette question a simplement été ajoutée à la dernière minute. Nous sommes là au cœur du débat.
Nous nous interrogeons aussi sur la méthode qui a été utilisée. Comment a-t-on pu demander au conseil d’administration de France Télévisions d’appliquer par anticipation une disposition législative sur laquelle le Sénat ne s’est pas encore prononcé ? Le symbole est important.
De toute façon, la nomination des présidents de l’audiovisuel public par le Président de la République n’est pas conforme à l’article 34 de la Constitution, qui dispose que la loi fixe les règles concernant notamment « la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias ». Je rappelle que cette disposition a été introduite par le Sénat sur l’initiative du groupe socialiste.
À la place, on ne nous propose rien d’autre qu’un retour en arrière. On ne peut même pas dire qu’il s’agit d’en revenir au temps de l’ORTF dans la mesure où, à l’époque, il s’agissait d’avancer ! Aujourd’hui, à rebours de toutes les autres démocraties européennes, qui ont adopté un autre modèle, la France, qui a toujours été en avance sur la question des libertés et de la démocratie, tourne volontairement le dos à ses principes.
Ce recul s’inscrit parfaitement dans la ligne politique générale défendue par le Gouvernement et sa majorité, voulue par leur chef unique, ligne consistant à porter des coups de boutoir réguliers et constants à nos libertés civiles et politiques arrachées à l’Ancien Régime, dont le champ s’était constamment étendu aux xixe et xxe siècles.
Combien de temps la France restera-t-elle encore, aux yeux du monde, la nation des droits de l’homme, si, ne se satisfaisant pas de restreindre les libertés individuelles, le Gouvernement interdit peu à peu aux journalistes d’éclairer librement l’opinion ?
Je lance de nouveau un appel solennel. Cette question peut diviser les démocrates et ceux qui le sont moins, diviser les républicains et ceux qui le sont moins, mais elle ne devrait pas nécessairement diviser la gauche et la droite. Nous ne parlons pas ici de politique économique ou de politique sociale, qui ont toujours suscité des clivages entre la gauche et la droite, nous parlons de la liberté et de la République.
À ce moment du débat, paradoxalement, aucune voix ne s’est encore élevée, ici même, pour dénoncer la nomination des présidents de l’audiovisuel public par le Président de la République, alors même que cette mesure a été difficilement acceptée par bien des consciences républicaines, au-delà des seuls membres de l’opposition. Si j’en crois la presse, nous allions voir ce que nous allions voir ! Le groupe centriste du Sénat, qui peut faire pencher la majorité d’un côté ou de l’autre, allait s’élever contre l’inadmissible ! Or nous n’avons pas entendu une seule voix centriste sur cette question ! (Exclamations sur les travées de l’Union centriste.)
Bien entendu, nous pourrons nous retrouver sur la question de la redevance, bien que nous ayons fait le choix de défendre des valeurs que nous estimons universelles en nous opposant à ce texte. Il est temps que s’expriment enfin dans cet hémicycle ceux qui ne l’ont pas fait jusqu’à présent.
Quand bien même le Sénat ne parviendrait pas à infléchir la position du Gouvernement, il lui reviendra au moins l’honneur d’avoir engagé un débat qu’on a voulu étouffer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Je suis saisi de douze amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les amendements nos 130, 260 et 332 sont identiques.
L'amendement n° 130 est présenté par M. Ralite, Mme Gonthier-Maurin, MM. Renar, Voguet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et des sénateurs du parti de gauche.
L'amendement n° 260 est présenté par Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet et MM. Desessard et Muller.
L'amendement n° 332 est présenté par MM. Assouline, Bel et Bérit-Débat, Mmes Blandin, Blondin et Bourzai, MM. Boutant, Domeizel et Fichet, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, M. Sueur, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jack Ralite, pour présenter l’amendement n° 130.
M. Jack Ralite. Discuter de l’article 8, c’est discuter de l’inscription dans la loi d’un petit putsch, parmi les divers petits putschs qui forment ce grand coup de force que constitue cette réforme forcée et menée tambour battant de l’audiovisuel public.
Cet article devrait soulever l’indignation de chaque membre de cette assemblée, quel que soit son engagement politique. Rien ne le justifie, sauf la logique d’étatisme affairiste du Président. Il constitue une véritable insulte au peuple français, dont nous sommes les représentants démocratiquement élus.
Cet article 8 place l’audiovisuel public dans la dépendance politique vis-à-vis du pouvoir exécutif, quand le reste du texte organise sa dépendance économique et éditoriale.
S’il est définitivement voté, les présidents de France Télévisions, de Radio France et d’Audiovisuel extérieur de la France seront redevables au Président de la République de leur nomination, comme la noblesse fut, en d’autres temps, redevable au monarque des honneurs et charges que celui-ci lui distribuait.
D’aucuns parlent, en la matière, de dérives bonapartistes ; nous préférons parler de transformation de la démocratie en « démocrature », en arbitraire tapi derrière la démocratie, n’attendant que de sortir de son fourré.
De ce point de vue, l’encadrement proposé pour cette nomination du prince relève du vulgaire camouflet. On nous dit que le CSA formulera un avis : les positions du Gouvernement sur le rôle et le fonctionnement de cette instance sont révélatrices de la nature de son argumentation politique, qui affectionne la duplicité, la manipulation et le sophisme. C’est en raison du dysfonctionnement du CSA que nous est proposée cette disposition, et ce serait ce CSA non réformé, dont on reconnaît la nature de courroie de transmission du pouvoir, qui nous protégerait !
Selon le bon vouloir de certains, tantôt le CSA ne sert à rien, tantôt il redevient une barrière démocratique.
Par ailleurs, on nous propose l’encadrement par les commissions parlementaires. Mais rappelons-nous qu’il faudra une majorité des trois cinquièmes pour s’opposer à la décision du Président de la République. Or, cela a été dit à plusieurs reprises depuis le début de ce débat, dans toute l’histoire de la ve République, jamais on n’a pu réunir une telle majorité. Jamais ! On comprend donc bien que cette disposition est un faux-semblant.
Cet article est un gigantesque pas en arrière, l’un des plus graves que l’on ait connus en la matière dans ce pays depuis des décennies. Ce pas en arrière est foncièrement inacceptable ; nous l’avons déjà dit et nous ne cesserons de le répéter jusqu’à ce que la majorité parlementaire revienne à la raison.
Ne l’oublions pas, mes chers collègues, dans l’organisation de l’équilibre des pouvoirs, c’est au législatif qu’il revient de protéger l’espace public, notamment les organes d’information publics, des appétits excessifs de l’exécutif, en l’occurrence ceux du Président de la République.
Jouons notre rôle et mettons-nous à l’heure exacte de la conscience : supprimons cet article ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour présenter l'amendement n° 260.
Mme Marie-Christine Blandin. Certes, l’audiovisuel public doit se construire dans le respect de la liberté, de la diversité et en fonction des moyens dont il dispose, en même temps qu’il doit aussi tenir compte de l’audiovisuel privé, de ses fréquences et des règles auxquelles celui-ci obéit.
À ce dernier, madame la ministre, vous faites des cadeaux et prêtez une oreille attentive. En revanche, à l’audiovisuel public, vous imposez un cadre autoritaire dont l’article 8, dont nous demandons la suppression, est vraiment le modèle.
Sur le fond, cet article non seulement constitue une véritable régression, mais encore introduit une disposition inédite dans une démocratie. Mon collègue David Assouline fustigeait à l’instant le silence et l’absence de réaction de la majorité sur le sujet. Je nuancerai son propos en vous lisant cet extrait de la page 215 du rapport : « L’atelier consacré à ces questions, auxquels participaient nos collègues Jacques Valade, alors président de la commission des affaires culturelles, et Louis de Broissia, alors rapporteur de la commission pour l’audiovisuel, avait souhaité, en effet, que la nomination du président de France Télévisions soit confiée au conseil d’administration de la société, dont la composition aurait été significativement rénovée. » Les réverbères se sont éteints !
Mme la ministre estime que la nomination des présidents de l’audiovisuel public par le CSA était une hypocrisie. Quand, dans nos collectivités, nous constatons un fait hypocrite, une anomalie, une déviance antidémocratique, nous les supprimons ou bien nous veillons à les infléchir. Dans le cas d’espèce, comment agit-on pour mettre fin à cette anomalie qui fait du CSA une courroie de transmission ? On en inscrit le principe directement dans la loi ! Partant, le CSA sera non plus une courroie de transmission, mais la voix de son maître !
Désormais, les présidents de France Télévisions et de Radio France seront nommés par le Président de la République, qui n’a désormais comme seul objectif que de découvrir des outils lui permettant de donner l’illusion qu’il gouverne la France.
Enfin, madame la ministre, vous nous avez parlé de symbole. Oui, le symbolique est aussi constitutif de la politique, et celui qui y touche prend une très lourde responsabilité. Jusqu’à présent, on n’a jamais cru bon de veiller à bien séparer le secteur public de l’audiovisuel du pouvoir exécutif, comme cela a été fait pour le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire. Au contraire, vous tricotez, vous serrez le poing et vous mettez fin à son indépendance.
La France a une manière bien originale d’appliquer les directives de l’Union européenne. Vous n’en retenez que les aspects les plus libéraux en gommant certaines parties, par exemple l’obligation pour chaque État membre de garantir l’indépendance de son secteur audiovisuel public.
Pour toutes ces raisons, nous demandons expressément la suppression de l’article 8. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour présenter l'amendement n° 332.
M. David Assouline. Avec l’article 8 du projet de loi ordinaire, nous abordons la disposition dont la portée est sans aucun doute la plus grave, car elle touche finalement aux principes et aux conditions mêmes d’existence et d’épanouissement d’une société démocratique.
En effet, non seulement ce projet de loi tend à organiser, sur le seul fondement d’une décision arbitraire du Président de la République, la dépendance économique de l’audiovisuel public vis-à-vis de l’État, ce à quoi la commission Copé s’était d’ailleurs plus ou moins pliée, mais encore il impose la subordination des dirigeants de la radio et de la télévision publiques au gouvernement en place en prévoyant que ces derniers seront choisis par le chef de l’État.
Je le rappelle, la commission Copé avait écarté cette hypothèse, car elle estimait qu’il était nécessaire de conserver à France Télévisions « sa spécificité que le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de réaffirmer ».
Mme Blandin a eu raison de rappeler la position qu’avait adoptée la commission des affaires culturelles du Sénat, alors présidée par Jacques Valade, sur la nécessité de désigner de manière plus démocratique qu’aujourd’hui le président de France Télévisions. Comme nous, elle jugeait que son mode de désignation actuel était non seulement perfectible, mais encore hypocrite.
Au lieu de progresser sur la voie de la démocratie, on revient en arrière.
Cette disposition, le Président Sarkozy l’a voulue au mépris d’un des principes les plus essentiels de la démocratie, la liberté de la presse, qui, dans une société moderne, n’est rien sans son indispensable corollaire, l’indépendance des médias.
Si cette disposition est intrinsèquement grave, c’est que, pour citer Pierre Rosanvallon, intellectuel qui s’est exprimé récemment sur les atteintes que le gouvernement actuel portent aux libertés civiles et politiques : « La liberté de la presse n’est pas simplement une liberté individuelle […]. Elle est une composante structurante de la vie démocratique. Elle participe du fonctionnement même de la démocratie. Elle est ainsi à la fois une liberté publique, un bien collectif et un rouage démocratique. »
En voulant institutionnaliser la subordination à son autorité des dirigeants des sociétés publiques de radio et de télévision, le Président de la République ignore délibérément, comme certains le font dans le présent débat, la spécificité de ces entreprises, que reconnaissait la commission Copé.
Je laisse à nouveau la parole à Pierre Rosanvallon : « Dans le débat actuel sur la nomination des présidents de l’audiovisuel public, il y a une [...] précision qu’il est essentiel d’opérer : il faut bien distinguer les conditions de gestion d’un bien public conflictuel – un bien dont la présomption de gestion partisane détruit le caractère public – et celles de la direction d’une entreprise publique – déterminée par des catégories d’ordre gestionnaire. C’est pour cela que nommer un président de chaîne de télévision n’est pas de même nature que nommer le président d’une entreprise ferroviaire. Il faut ainsi dénoncer la rhétorique qui entretient cette confusion. De même qu’il faut dénoncer la confusion parallèle entre la notion de décision politique et celle de nomination à une fonction de gestion d’un bien public conflictuel. Un pouvoir élu est évidemment toujours fondé à prendre une décision politique. Il a été élu pour cela, pour trancher entre des options différentes, faire des choix. Prendre parti est en la matière de l’essence même de sa mission et de l’exercice de sa responsabilité – qui sera sanctionnée par une éventuelle tentative de réélection. Mais il y a des domaines où il faut au contraire s’abstraire de cette logique. Ne pas le reconnaître, ce serait finir par justifier le droit à épurer librement l’administration et rompre avec la notion même de service public. »
Pierre Rosanvallon a précisé les termes du débat. Il s’agit non pas d’un débat manichéen, mais d’un débat qui est plus profond que celui qui s’est instauré au Sénat. J’appelle chacun à relever cette contradiction. Il faut aller plus loin, ne plus considérer qu’il est normal que le pouvoir politique nomme le responsable d’un média audiovisuel comme il nomme le président de la SNCF.
M. le président. L'amendement n° 131 rectifié, présenté par M. Ralite, Mme Gonthier-Maurin, MM. Renar, Voguet et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le texte proposé par cet article pour l'article 47-4 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 :
« Art. 47-4. - Les présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France sont nommés à la majorité qualifiée des trois cinquièmes de leur conseil d'administration.
« La liste des personnes éligibles est proposée par une commission dite « pour le pluralisme et les médias », instituée à compter du 1er juin 2009. Cette commission parlementaire est mixte : elle regroupe, dans le strict respect du pluralisme, onze élus représentatifs de toutes les sensibilités des deux assemblées.
« Elle a notamment pour objet la proposition de candidature aux présidences des trois sociétés nationales de programme et une mission de vigilance démocratique quant au respect du pluralisme dans les médias. »
La parole est à M. Jack Ralite.
M. Jack Ralite. Si nous devons défendre cet amendement, c’est malheureusement parce que la disposition liberticide prévue par l’article 8 n’a pas été supprimée.
C’est un très triste jour pour notre démocratie, qui est véritablement blessée en ses piliers fondamentaux.
Rappelons qu’il n’est pas une seule démocratie où l’on puisse imaginer un instant que les patrons de l’audiovisuel public soient désignés par décret du chef de l’exécutif !
Les raisons de cette précaution démocratique fondamentale ont été développées à plusieurs reprises. Mais, puisque la majorité de cette assemblée semble ne pas les entendre, nous allons en rappeler quelques-unes et non des moindres.
L’indépendance du service public de l’audiovisuel constitue, en France, une exigence démocratique et constitutionnelle. Rappelons-le, réaffirmons-le, tirons-en les conséquences.
Souvenons-nous de la décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 2000, en vertu de laquelle « assurer l’indépendance des sociétés nationales de programme chargées de la conception et de la programmation d’émissions de radiodiffusion sonore ou de télévision » revient à « concourir [...] à la mise en œuvre de la liberté de communication proclamée par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ».
Cette même décision affirme que « l’objectif à réaliser est que les auditeurs et les téléspectateurs, qui sont au nombre des destinataires essentiels de la liberté proclamée par l’article 11 précité, soient à même d’exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions ni qu’on puisse en faire les objets d’un marché ».
Dans cet esprit, le Conseil constitutionnel avait précédemment insisté sur les garanties d’indépendance que doivent offrir les procédures de nomination des présidents des sociétés nationales de programme.
Ainsi, dans une décision que nous avons déjà citée et qui remonte au 26 juillet 1989, il indique, et M. Thiollière le rappelle dans son rapport, que « s’il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine qui lui est réservé par l’article 34 de la Constitution, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions, c’est à la condition que l’exercice de ce pouvoir n’aboutisse pas à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ».
Or c’est exactement le contraire de l’article 8 dans sa facture actuelle. Si nous devons voter cet article, votons-le de manière digne en lui donnant un contenu démocratique et conforme aux principes constitutionnels.
L’adoption du présent amendement permettrait de réintroduire de la démocratie là où elle est mise en cause de manière virulente et quasi inédite sous la Ve République.
Pour garantir l’indépendance des responsables de l’audiovisuel public à l’égard du pouvoir exécutif, nous proposons de les délier totalement. En effet, nous considérons que la véritable hypocrisie dans le présent débat est de simplement « encadrer » la nomination par décret des présidents des sociétés nationales de programme alors qu’il fallait purement et simplement faire en sorte que l’exécutif national n’ait rien à en dire.
Le dispositif de nomination qui prévaut aujourd’hui donne au CSA cette prérogative, et nous sommes d’accord sur le principe d’une nomination par un tiers arbitre le plus neutre possible. Malheureusement, le CSA dysfonctionne, et sa réforme n’est apparemment pas pour demain.
Notre amendement tient compte de tous ces éléments. C’est pourquoi nous proposons que les présidents des sociétés nationales de programme soient nommés par leur conseil d’administration, sur proposition d’une commission parlementaire mixte, constituée de députés et de sénateurs, dite pour le pluralisme et les médias.
La constitution d’une commission spécialisée se justifie pleinement compte tenu des enjeux et du fait que le Parlement est la voix des téléspectateurs, qui sont, via la redevance, les véritables actionnaires de l’audiovisuel public. Nous avons eu l’occasion de le dire, la télévision et la radio publiques appartiennent aux citoyens et sont leur affaire. Ils doivent donc s’en mêler au premier chef, directement et par l’intermédiaire de leurs élus.
Par ailleurs, nommés par leur conseil d’administration, les présidents seraient responsables devant lui et non devant le Président de la République.
Le système proposé permet une véritable indépendance de l’audiovisuel et un pluralisme interne aux instances décisionnaires de l’audiovisuel public, deux objectifs qui doivent être nos lignes directrices et c’est pourquoi je vous demande de voter avec nous cet amendement.