Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Étienne.
M. Jean-Claude Étienne. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les rapporteurs pour avis de notre commission des affaires culturelles, Jean-Pierre Plancade et Jean-Léonce Dupont, l’ont fort opportunément rappelé tout à l’heure : au cours des quarante dernières années, la France a pris un retard considérable dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche, perdant de son efficacité et de son attractivité.
Avec ce texte, le Gouvernement s’emploie aujourd’hui à combler ce retard. Notre collègue Ivan Renar a raison de rappeler que nous sommes loin d’être parmi les premiers. C’est une raison supplémentaire de nous atteler au problème.
Je souhaiterais le rappeler, la recherche reste la marque distinctive d’un enseignement supérieur de qualité. Toute université, même la plus modeste, a besoin d’une activité de recherche susceptible de la distinguer, sur une thématique ou sur une autre.
Aujourd’hui, alors que nous débattons du budget de l’enseignement supérieur et de la recherche, Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche et M. le secrétaire d’État chargé de l’industrie et de la consommation siègent côte à côte au banc du Gouvernement. J’y vois un signe des temps tout à fait révélateur, la preuve que le vieux débat hérité d’Aristote est dépassé, qui opposait une science fondamentale noble réservée aux universitaires à l’humble recherche appliquée, frappée d’indignité et chassée hors les murs, un débat trop souvent entendu dans les conseils d’université que j’ai fréquentés - c'est-à-dire d’ancienne formule, les nouveaux, je ne les connais pas !
Oui, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, dans nos sociétés contemporaines, recherche fondamentale et recherche appliquée ont partie liée ; le débat est donc clos.
Nous le savons aujourd’hui parfaitement, notre pays ne sortira de la crise qui le frappe comme de nombreux autres que si notre économie se régénère par l’innovation, dont l’enseignement supérieur et la recherche forment le sanctuaire.
Le Président de la République a tenu à traduire ce constat dans la réalité budgétaire. Nonobstant un contexte soumis à de fortes contraintes, vous accordez, quoi qu’on en dise, la priorité à cette mission. (Très bien ! au banc des commissions.) Madame la ministre, merci, nous en avons grand besoin.
Malgré des ajustements à la marge intervenus lors de l’examen du projet de loi de finances par l’Assemblée nationale, les moyens budgétaires et fiscaux de ce budget, qui présente l’intérêt de s’inscrire dans la durée, augmenteront de 17 %, au cours de la période 2009-2011, même si certains peuvent ergoter sur ce chiffre. De toute manière, mes chers collègues, c’est du jamais vu !
Plusieurs priorités ont été définies.
Tout d’abord, et pour la première fois, les plans de carrière nouveaux ouvrent une perspective, alors que l’on déplore depuis si longtemps que chercheurs et enseignants de nos universités soient sous-payés.
Ensuite, vous vous attaquez à la réalité catastrophique de l’échec des étudiants en première année. Vous prenez à bras-le-corps ce sujet qui a tant fait couler d’encre au cours des dernières années. Certaines de vos propositions dans ce domaine sont même déjà « doublonnées » entre l’Assemblée nationale et le Sénat, c’est dire à quel point vous avez réussi à susciter l’engouement sur une aussi délicate question, qui demeurait en suspens depuis plusieurs décennies.
Rendre à l’enseignement supérieur français l’éminence et la notoriété internationales qui lui reviennent est la troisième priorité.
Vous avez veillé à ce que le passage à l’autonomie s’accompagne du transfert des moyens correspondants. S’agissant du fameux « plan campus », permettez-moi, madame la ministre, de vous donner un satisfecit : ce plan souligne, s’il en était besoin, la notoriété des sites universitaires les plus importants. Cependant, permettez-moi aussi de penser aux autres sites universitaires, les humbles, les sans-grades, ceux qui ne sont pas répertoriés dans ce plan.
M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles. Très bien !
M. Jean-Claude Étienne. Vous les logez à l’enseigne des contrats de projets État-région.
Certes, c’est mieux que rien, mais ne pourrait-on faire davantage ? N’oublions tout de même pas que ces sites universitaires, les plus modestes, ont joué un rôle déterminant dans la démocratisation de l’enseignement supérieur en France. Surtout, n’allez pas croire qu’ils sont secs et stériles et que leurs recherches n’aboutissent jamais, c’est même tout le contraire : ces universités sont frustrées, ô combien frustrées, de leurs découvertes, dont d’autres profitent avant qu’elles ne nous reviennent vingt ans plus tard en boomerang.
Vous ne me croyez pas, madame la ministre ? (Mme la ministre sourit.) Je vous en donnerai quelques exemples.
L’université de Reims – celle de ces modestes universités que je connais le mieux – a accueilli des chercheurs russes venus nous apporter leur aide dans le domaine des microscopes en champ proche, gros problème industriel, monsieur le secrétaire d’État. Eh bien ! dès que des résultats se sont profilés à l’horizon, deux des trois chercheurs sont partis aux États-Unis, signe qu’un chercheur peut ne pas trouver dans son environnement immédiat la reconnaissance à laquelle ses découvertes lui permettent de prétendre.
Deuxième exemple, la pervincamine, radical aminé découvert par un pharmacien de notre faculté, n’a fait son chemin qu’en sortant du giron de l’université française.
Dernier exemple en date, c’est la fameuse affaire des cellules souches adultes, dont l’Agence de la biomédecine, qui se prévaut de cette découverte, nous rebat les oreilles. Mais si vous saviez, mes chers collègues… C’est le laboratoire de microbiologie animale de cette même petite université qui, voilà trente ans, avait détecté chez les Némertes le pouvoir de régénération cellulaire ! Seulement, la chercheuse n’avait pas trouvé d’écho auprès des grandes universités françaises, dont on abonde pourtant les crédits pour les aider à accéder au firmament de la notoriété internationale. Elle a dû aller à l’université McGill, au Canada, où on lui a confié une chaire de biologie moléculaire du développement. Puis des Coréens et des Japonais, plus présents là-bas que chez nous, se sont intéressés à cette étude et l’ont poursuivie, en Corée et au Japon, et elle nous est revenue il y a deux ans !
Franchement, mes chers collègues, trente ans perdus pour la France, tout simplement parce que la petite université avait vingt ans d’avance sur les grandes !
Madame la ministre, il ne faut pas négliger ces petites universités, les humbles, les sans-grades. (Mme la ministre sourit et approuve.) Les crédits de coopération internationale ne sont pas tellement nécessaires aux grandes universités françaises, qui ont pignon sur rue et jouissent d’un certain rayonnement. Je vous propose donc que nous trouvions, que nous nous acharnions même à trouver les thématiques porteuses les plus pointues pour les confier à ces petites universités, les sans-grades, les modestes et les humbles dont on n’entend pas parler. Il faut que vous fléchiez les crédits de coopération internationale pour que ces petites universités soient associées aux plus grandes.
Mme la présidente. Malgré la qualité de votre intervention, je vous demande de vous acheminer vers votre conclusion, mon cher collègue.
M. Jean-Claude Etienne. J’en viens à ma conclusion, madame la présidente, mais autorisez-moi un dernier point, sinon le vice-président qui m’a précédé à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques m’en voudra. (Sourires.)
Madame la ministre, dans le budget consacré à la recherche, n’oubliez pas l’espace ! Il en a besoin, nous en avons besoin. N’oubliez pas non plus l’agriculture. Comme Philippe Adnot et Marie-Christine Blandin l’ont souligné tout à l'heure, si vous n’accordez pas des moyens supplémentaires à ce secteur, nous serons face à des impossibilités socioéconomiques très graves. C’est bien que l’Europe s’oppose à tel pesticide, mais c’est encore mieux si la recherche nous permet de trouver l’alternative nécessaire !
M. Christian Gaudin, rapporteur spécial et M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur pour avis. Très bien !
M. Jean-Claude Etienne. Madame la ministre, nous comptons sur vous, nous avons besoin de vous ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2009 présente une vision en clair-obscur du budget de la recherche et de l’enseignement supérieur.
Les annonces médiatiques du Gouvernement et du Président de la République - la recherche constitue la première priorité budgétaire -, semblaient confirmées par des lignes budgétaires en progression. Pourtant, après une analyse détaillée, je tiens, madame la ministre, à vous faire part de ma réserve sur les moyens mobilisés, qui me paraissent très insuffisants, notamment parce que les deux tiers de la hausse des crédits seront absorbés par les frais de personnel et les pensions de retraite.
M. Daniel Raoul, rapporteur pour avis. C’est vrai !
Mme Françoise Laborde. Vous comprendrez que cette question me tienne d’autant plus à cœur que mon département compte l’une des plus fortes concentrations d’acteurs dans ce secteur. Il est reconnu comme un pôle d’excellence dans le domaine de la recherche française, avec notamment 14 000 chercheurs et quelque 12 000 étudiants dans le domaine des sciences de la vie et les centres hospitaliers, parmi plus de 100 000 étudiants, soit 10 % de la population.
Ce faisant, la Haute-Garonne est le deuxième département universitaire national et l’un des fleurons de la recherche européenne. Ces éléments expliquent en partie la forte attractivité de notre département, dont la population augmente de 1,7 % en moyenne par an.
Cette excellence constitue un puissant moteur de l’emploi pour les entreprises. Faut-il rappeler que notre région est au premier rang européen dans le domaine spatial, avec 90 000 emplois environ, et en bonne position dans ceux de la santé, de la biotechnologie et des technologies de l’information et de la communication ?
Permettez-moi d’illustrer ce dynamisme en évoquant le travail exemplaire du réseau universitaire Toulouse Midi-Pyrénées et de ses pôles de compétitivité consacrés par exemple à « l’aéronautique, espace et systèmes embarqués » ou encore à la recherche « cancer-bio-santé ».
Ce groupement d’intérêt économique réunit 22 membres, dont 3 universités, 16 écoles d’ingénieurs et un institut national polytechnique, dont la mission est l’animation, la coordination scientifique et la promotion internationale de la recherche régionale.
Je tiens à vous rappeler ces éléments, madame la ministre, pour donner corps à nos discussions et rendre hommage à la qualité du travail fourni par l’ensemble de ces acteurs. Vous comprendrez que je sois particulièrement attentive à ce que des mesures budgétaires restrictives ne viennent pas ralentir cet élan.
Vous avez choisi une présentation optimiste des crédits consacrés à ce budget. Je m’appliquerai, pour ma part, à en avoir une lecture positive.
Le plan campus a retenu toute mon attention. La mise en place de ses différents pôles constitue un réel facteur d’émulation. Pourtant, il coupe littéralement la France en deux et risque de renforcer les inégalités territoriales entre nos régions. Pourquoi aucun site n’a-t-il été choisi au nord d’une ligne Bordeaux-Strasbourg, exception faite de Paris ? Ce plan sera-t-il accompagné d’efforts substantiels en matière de logements étudiants pour s’adapter à la mobilité de ces derniers rendue obligatoire par la réorganisation des pôles universitaires ?
Vous avez tenté, madame la ministre, de nous rassurer sur ce sujet en commission. Peut-être pourrez-vous nous répondre plus précisément aujourd’hui ?
Par ailleurs, vous avez souhaité consacrer davantage de crédits à ce budget afin de favoriser l’attractivité du secteur pour les jeunes chercheurs, principalement pour endiguer la « fuite des cerveaux », tant stigmatisée : valorisation des allocations aux chaires du CNRS, primes d’excellence, souplesse du recrutement ou augmentation des crédits d’impôt recherche.
Cette mesure phare de votre budget pourrait bien connaître un succès mitigé. J’en veux pour preuve la non-communication d’un rapport qui aurait été rendu, fin 2007, au Gouvernement et qui devait être adressé aux parlementaires afin d’éclairer leur jugement sur ce dispositif. Pouvons-nous en connaître les conclusions ? Qu’en est-il exactement du contrôle de son application ou encore de la pérennité de son financement ?
Vos services ont-ils anticipé la crise et ses conséquences sur l’effort financier que les entreprises pourront consacrer à la recherche ? Il serait peut-être plus utile que ce dispositif soit destiné aux PME qui, elles, n’ont pas les moyens d’embaucher un chercheur.
M. Daniel Raoul, rapporteur pour avis. Très bien !
Mme Françoise Laborde. Les membres du groupe du RDSE seront vigilants et s’assureront que le cadeau fiscal consenti aux entreprises ne soit pas financé par des économies réalisées dans le secteur public, telles que des suppressions de postes et le non-remplacement des départs en retraite.
Déjà, 296 suppressions de postes sont prévues au CNRS, le Centre national de la recherche scientifique, réparties entre des postes d’ingénieurs et de doctorants, 86 à l’INRA, l’Institut national de la recherche agronomique, et 59 à l’INSERM, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale. En tout, ce sont 900 postes qui seront supprimés en 2009 dans la recherche et l’enseignement supérieur. Ces exemples illustrent à eux seuls les failles de ce budget.
En ce qui concerne l’INRA, par exemple, l’augmentation des moyens est de 4,8 %, alors qu’elle n’atteint en fait que 0,4 % hors frais de personnel. À la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur », sur 863 millions d’euros supplémentaires, 163 millions d’euros sont consacrés au financement des retraites.
M. Daniel Raoul, rapporteur pour avis. Eh oui !
Mme Françoise Laborde. Je ne me lancerai pas dans une bataille de chiffres, leur manipulation est tellement aisée selon qu’ils sont présentés en euros courants ou en euros constants. Toutefois, la stagnation du financement d’organismes publics de recherche nous alerte, tout comme la redéfinition de leurs compétences. Vous voudriez préparer les esprits à une privatisation du secteur de la recherche, vous ne vous y prendriez pas autrement !
Dans ces conditions, comment donner le nouveau souffle tant attendu pour que la France remonte dans le classement établi par l’OCDE, que mon collègue Ivan Renar vous a communiqué tout à l'heure ?
La dépense intérieure française en matière de recherche et développement - 2,2 % du PIB - reste très en deçà de l’objectif ambitieux que s’est fixé l’Europe de consacrer 3 % du PIB communautaire à la recherche d’ici à 2010.
En conclusion, je vous demande, madame la ministre, d’apaiser mon inquiétude, celle des chercheurs, des universitaires et des autres personnels, qui regrettent l’absence de concertation et ont d’ailleurs manifesté leur mécontentement hier devant l’Agence nationale de la recherche.
Dans un budget général contraint, je ne peux pas nier que le Gouvernement semble faire la part belle à ce budget mais, afin que chacun se détermine sur son vote, pouvez-nous nous dire s’il sera capable d’assumer ce choix dans le temps ? Ne s’agit-il pas là d’une proposition éphémère ? (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Lagauche.
M. Serge Lagauche. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la stratégie de communication ministérielle concernant le budget de la recherche et de l’enseignement supérieur est bien rodée.
Dans un contexte de crise, vous pourriez, madame la ministre, vous prévaloir à l’envi d’un budget en progression, courageux et ambitieux. Mais cet affichage publicitaire ne tient pas à l’épreuve des faits et à l’examen des chiffres.
Ce projet de budget tourne le dos aux engagements pris, tout particulièrement en matière de recherche. Ainsi l’objectif de porter à 3 % du PIB l’effort de recherche, initialement fixé pour 2010, est reporté à 2012, alors même que le double contexte de la crise financière et économique internationale et de la lutte contre le réchauffement climatique devrait inciter le Gouvernement à mettre les bouchées doubles.
En réalité, le montant alléchant de 1,8 milliard d’euros, dont on nous rebat les oreilles, résulte de l’addition des crédits budgétaires stricts limités à 964 millions d’euros, des remboursements d’impôts pour les entreprises, des produits financiers des privatisations – l’opération campus – et de financements privés.
La principale mesure de soutien réside en fait dans le crédit d’impôt recherche, qui augmente de 620 millions d’euros. La priorité systématique donnée à la recherche privée, avec 57 % des moyens nouveaux, est plus que contestable. Même si c’est l’effort de recherche privée qui est insuffisant au regard des objectifs de la stratégie de Lisbonne, il ne sera pas possible, sans une politique ambitieuse de la recherche publique, de développer la recherche privée de manière satisfaisante. Or la hausse des crédits affectés aux organismes ne couvrira pas l’inflation.
D’ailleurs, l’avis du Conseil supérieur de la recherche et de la technologie ne peut être plus explicite sur le financement des organismes : « L’augmentation prévue du budget des organismes de recherche est de 365 millions d’euros en 2009, dont 178 millions d’euros seront dévolus aux carrières et pensions. L’augmentation du budget global destinée aux programmes représente donc en fait 1,95 %, alors que le taux prévisible d’inflation est de l’ordre de 3 %.
« L’analyse de la ventilation des crédits supplémentaires montre que la part consacrée aux programmes des organismes – hors grandes infrastructures – est de plus 70 millions d’euros. Cette somme devant couvrir également les augmentations de dépenses dues à la restructuration des organismes en instituts et à la valorisation, le Conseil redoute qu’un grand nombre de programmes de recherche fondamentale, qui ne s’inscrivent pas dans les priorités thématiques, se voient contraints de diminuer drastiquement de volume, voire de s’arrêter. »
Il n’y aura pas non plus de création de postes de chercheurs ou d’enseignants-chercheurs. Mais, bien au contraire, vous envoyez deux signaux négatifs très forts à l’endroit de la communauté scientifique avec, d’abord, 900 suppressions de postes à part égale entre les organismes de recherche et les universités et, ensuite, une diminution du nombre de bourses de thèses du ministère. Ces non-renouvellements font suite à une création de postes nulle en 2008, et aboutissent donc à une diminution des effectifs.
Vous vous enlisez dans une politique de l’emploi scientifique par à-coups, qui fragilise les structures et les équipes, et est préjudiciable à la conservation des savoirs et à la capitalisation des compétences. Nous manquons cruellement d’une politique des ressources humaines globale, structurante, qui permette à la France de maintenir son rang sur la scène internationale.
Dans un contexte de désaffection des filières scientifiques et de crise des vocations faute de débouchés, nous avons plus que jamais besoin d’une véritable programmation pluriannuelle de l’emploi scientifique et d’une revalorisation de l’ensemble des carrières.
Le nombre d’inscriptions en première année de licence en sciences a diminué de près de 28 % depuis 1990, et même de près de 40 % depuis 1996. Cette baisse n’est pas compensée par la croissance du nombre de diplômés des écoles d’ingénieur, qui est de l’ordre de 8 % depuis 2000.
De plus, un nombre croissant de ces diplômés s’orientent vers des activités qui n’ont plus aucun rapport avec la technologie ou la science. Cette baisse des inscriptions des étudiants en sciences se cumule, depuis 2000, avec la chute du nombre d’étudiants qui s’inscrivent en master recherche et, plus encore, en doctorat.
Outre le développement des débouchés qui est une absolue nécessité, je vois une seconde incitation forte à l’orientation vers les filières déficitaires dans l’amélioration de la condition financière des études. Pendant la campagne présidentielle, M. Nicolas Sarkozy s’était engagé, pour les secteurs de la recherche et des métiers technologiques, à « instaurer un système comparable aux indemnités de préparation à l’enseignement secondaire, qui jadis permettait aux bons élèves qui se destinaient à l’enseignement de financer leurs études ». Une telle mesure est-elle à l’étude ou restera-t-elle lettre morte, madame la ministre ?
Que plus de la moitié des moyens nouveaux pour la recherche portent sur un crédit d’impôt recherche transformé en véritable guichet ouvert ne manque pas de susciter de nombreuses réserves ! Depuis le 1er janvier 2008, le taux de 10 % a été multiplié par trois : les entreprises peuvent déduire 30 % du montant total de leurs frais de recherche jusqu’à 100 millions d’euros de dépenses, et 5 % au-delà. Les entreprises qui font leur première demande ou n’en ont pas fait depuis cinq ans bénéficient d’un taux exceptionnel de 50 %. Le plafonnement est supprimé, et l’accroissement des dépenses n’est plus exigé !
Cette toute dernière réforme pénalise les PME récentes innovantes, tout en favorisant les effets d’aubaine pour les grandes entreprises.
Vous n’avez tenu aucun compte des analyses publiées par votre propre ministère et par la Cour des comptes en 2007, qui appelaient à une période de stabilité du dispositif du crédit d’impôt recherche. Vous n’avez également tenu aucun compte des nombreux rapports qui préconisaient que l’aide directe ou fiscale au secteur privé devait être redéployée et ciblée pour soutenir les secteurs de haute technologie et les PME innovantes et conditionnée au soutien de l’emploi scientifique.
Sur ce sujet précis, je citerai de nouveau l’avis du Conseil supérieur de la recherche et de la technologie, qui s’inquiète « de l’efficacité de cette mesure pour dynamiser la recherche privée, en particulier les PME, et le système français de recherche et d’innovation en général. Il attire l’attention sur le manque d’entreprises de taille moyenne investissant dans la recherche et recommande de trouver des mesures d’accompagnement.
« Il juge indispensable une évaluation externe de ce crédit fiscal. Cette évaluation coût-bénéfice devrait porter autant sur les bénéficiaires que sur ses effets en termes de volume des dépenses, de partenariats vers la recherche publique, de compétitivité, de taxation de la recherche et développement, d’attractivité du territoire et d’évolution de la recherche dans son ensemble. Cette évaluation devra être conduite en comparaison avec les pays partenaires et concurrents et avec la politique européenne. »
Nous ne pouvons que vous enjoindre, madame la ministre, au vu des sommes en jeu, de faire procéder, dès 2009, à cette évaluation du crédit d’impôt recherche nouvelle version.
À ce stade du débat, il n’est pas inutile de rappeler que, entre 2002 et 2006, les aides de l’État au secteur privé se sont accrues de 1 636 millions d’euros, en euros constants, tandis que les dépenses des entreprises qui ont perçu ces aides n’ont progressé que de 458 millions d’euros.
Vous allez me répondre, madame la ministre, que le crédit d’impôt recherche, qui permet d’éviter les délocalisations des centres de recherche, constitue un formidable outil au service de l’attractivité de notre territoire. Or une enquête de l’OCDE effectuée en 2006 a classé par ordre d’importance les facteurs déterminant l’implantation d’activités de recherche et de développement d’une entreprise. La présence locale de personnels de recherche et de développement arrive en tête, puis l’on trouve, dans l’ordre, l’existence d’universités, les facilités de coopération avec les universités et la protection de la propriété industrielle. Quant aux incitations fiscales, elles n’arrivent qu’en neuvième position !
Pour ce qui concerne les effets du crédit d’impôt recherche sur les délocalisations de centres de recherche, ils sont tout relatifs, puisqu’une entreprise française délocalisant sa recherche et développement en Irlande ou en Allemagne continue à en bénéficier, conformément à un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes.
Au final, votre politique de recherche est dominée par une vision « courtermiste ». Il faut que cela bouge, et vite, même au risque de dégrader les fondamentaux du système. On assiste ainsi à la consécration du primat absolu des applications potentielles, dangereux à long terme, à l’empilement des dispositifs et à la multiplication des annonces en faveur de dispositifs dont le financement ne suit pas.
En réalité, ce discours pseudo-volontariste du Gouvernement ne parvient pas à masquer une politique utilitariste de notre système de recherche qui mise tout sur le financement sur projet, et dont le corollaire est l’affaiblissement des organismes de recherche, la fragilisation de la recherche académique et l’accentuation des disparités entre les structures et les territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Voguet.
M. Jean-François Voguet. Madame la ministre, il y a plus d’un an, nous vous faisions part de nos critiques et de nos craintes concernant la loi relative aux libertés et responsabilités des universités. Toutes se sont malheureusement d’ores et déjà vérifiées. L’université à deux vitesses est bel est bien en marche, même si cela ne va pas aussi vite qu’annoncé.
Pour l’instant, beaucoup trop d’universités sont aussi mal loties les unes que les autres. Et ce ne sont pas ces fameuses fondations qui doivent toujours voir le jour qui viendra renforcer leur budget !
Avec la crise, les financeurs ne se bousculeront pas. Que va-t-il donc se passer, dans le cadre de prévisions de dépenses publiques aussi réduites ?
Dans ce contexte, le budget pour les universités ne répond en aucune manière aux enjeux du développement de l’enseignement supérieur dans notre pays et à l’amélioration des conditions de vie et d’étude des étudiants.
Pourtant, le diagnostic sur les besoins est largement partagé par toute la communauté universitaire, et semblait l’être par vous-même, madame la ministre, voilà un peu plus d’un an. Mais il est vrai que, déjà, votre budget pour 2008 ne prenait pas en compte les annonces faites. En 2009, son évolution étriquée ne permettra pas d’envisager de réelles transformations, pourtant nécessaires et attendues.
Ce n’est pas ainsi que les conditions d’études des étudiants, qui conditionnent leur réussite, vont s’améliorer. Les « amphis » seront toujours aussi bondés et les échecs toujours aussi importants au cours des premières années universitaires. Ainsi, malgré vos nombreuses déclarations, promesses et même engagements, force est de constater une nouvelle fois que le budget que vous nous présentez ne traduit toujours pas la mobilisation annoncée.
C’est particulièrement vrai pour les dépenses en faveur de la vie étudiante. Où sont passés les 100 millions d’euros promis dans ce domaine ? Permettez que nous dépassions ici les effets d’annonce, qui font référence à des masses budgétaires, et que nous examinions de plus près ce qu’elles recouvrent.
Si les crédits d’ensemble du programme « Vie étudiante » progressent de 3,2 %, je me permettrai de rappeler que l’évolution a été de plus de 4 % l’an passé. Le ralentissement est donc particulièrement marqué, et vous annoncez pour 2010 et 2011 des hausses de seulement 2 %, dans un contexte d’inflation élevée.
L’heure de la rigueur a donc sonné.
En ce qui concerne les bourses attribuées sur critères sociaux, leur budget stagne et de nombreux boursiers ont vu le montant de leurs bourses réduit. Certes, il y a eu la création du sixième échelon, mais la différence avec l’échelon précédent n’est que de quinze euros par mois. En fait, l’essentiel de l’augmentation des aides directes va à d’autres formes d’intervention.
Il s’agit tout d’abord des bourses à la mobilité, qui ne bénéficient cependant pas d’un centime d’euro supplémentaire, puisque les montants budgétés sont des transferts.
Il s’agit ensuite des bourses au mérite, qui existaient déjà. Certes, vous annoncez leur développement, mais en réduisant considérablement leur montant.
Enfin, la grande nouveauté est le cautionnement de prêts bancaires aux étudiants. Quel progrès social ! Endettez-vous, tel est votre mot d’ordre. Cette mesure, vous le savez, n’est pourtant ni juste ni socialement efficace. Comment feront les étudiants pour rembourser ces prêts, eu égard à leurs difficultés d’accès à l’emploi, ainsi qu’à leur niveau de salaire en début de carrière ? En outre, la crise actuelle les touchera tout particulièrement.
Pour ce qui est du logement étudiant, les budgets dégagés ne permettront toujours pas, et ce malgré une légère accélération, d’atteindre le rythme annuel prévu dans les deux rapports de Jean-Paul Anciaux, et encore moins de rattraper le retard des années précédentes. Ainsi, la crise du logement étudiant va s’aggraver.
Que dire enfin de la faiblesse des crédits en faveur de la santé des étudiants et de leurs activités culturelles et sportives ?
Dans ces conditions, c’est une aggravation des conditions de vie et d’études des étudiants que vous programmez, madame la ministre, dans ce budget. Vous ne serez donc pas étonnée que, par notre vote, nous condamnions cette perspective.