M. le président. L'amendement n° 12, présenté par M. Buffet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 56-1 du même code est ainsi modifié :
1° Dans les troisième et quatrième phrases du premier alinéa, après le mot : « documents », sont insérés les mots : « ou des objets » ;
2° Dans la première phrase du troisième alinéa, les mots : « à laquelle le magistrat a l'intention de procéder » sont remplacés par les mots : « ou d'un objet » ;
3° Dans la deuxième phrase du même alinéa, après le mot : « document », sont insérés les mots : « ou l'objet » ;
4° Dans la quatrième phrase du même alinéa, après le mot : « documents », sont insérés les mots : « ou d'autres objets » ;
5° Dans la dernière phrase du même alinéa, après le mot : « document », sont insérés les mots : « ou l'objet » ;
6° Dans le sixième alinéa, après les mots : « le document », sont insérés les mots : « ou l'objet » ;
7° Dans le même alinéa, les mots : « ou à son contenu » sont remplacés par les mots : «, à son contenu ou à cet objet ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 2.
L'amendement n° 32, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le deuxième alinéa de l'article 57 du code de procédure pénale est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Pour les perquisitions relevant de l'article 56-2, les deux témoins sont requis par le magistrat; ils ont la qualité de journalistes au sens de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. »
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. L’article 56-2 du code de procédure pénale, relatif aux perquisitions au cabinet ou au domicile d’un avocat, prévoit que ces perquisitions sont effectuées en présence du bâtonnier de l’ordre des avocats.
Or les journalistes ne sont pas organisés en une profession réglementée, ce qui empêche de transposer la procédure applicable aux avocats.
Notre amendement a donc pour objet de prévoir que les deux témoins présents lors de la perquisition aient la qualité de journaliste. Ainsi, ils seront en mesure d’apprécier la nature des documents faisant l’objet de la perquisition.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission est défavorable à l’amendement n° 32, doutant que la disposition présentée se révèle pratique à mettre en œuvre, notamment lorsque la perquisition aura lieu au domicile du journaliste.
Qui pourrait jouer le même rôle que le bâtonnier de l’ordre des avocats en la matière ? La réponse à cette question est assez complexe, faute de l’existence d’une organisation professionnelle structurée et organisée pour faire face à ce type d’obligations.
C’est la raison pour laquelle, après avoir suivi plusieurs pistes et imaginé différentes solutions, dont aucune n’était véritablement satisfaisante, la commission a considéré que prévoir la présence de deux témoins, sans autre précision, permettrait à chacun de s’organiser en fonction des circonstances.
Toutefois, si un jour la profession s’organisait différemment, il pourrait alors être intéressant que quelqu’un puisse jouer le même rôle que le bâtonnier lors d’une perquisition menée chez un avocat.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. La règle générale veut qu’il y ait toujours deux témoins lors d’une perquisition. Ils ne sont pas parties à la procédure, leur rôle étant de vérifier la régularité de celle-ci, en veillant par exemple à ce qu’aucune pièce ne soit apportée de l’extérieur ou à ce que les objets saisis lors de la perquisition l’aient bien été sur place.
À cet égard, le fait de vouloir imposer la présence de deux témoins journalistes n’apportera rien de plus. Au contraire, cela risque de compliquer la procédure, d’allonger sa durée, voire de la bloquer.
C’est pourquoi, dans la procédure classique, aucune qualité n’est requise de la part des témoins. Le fait de déroger au droit commun en imposant que les témoins répondent à une certaine qualité créerait un précédent qui, demain, pour d’autres types de faits ou de perquisitions, pourrait conduire à exiger la présence d’une certaine catégorie de témoins.
Par ailleurs, s’agissant des avocats, la situation est différente. Alors que le seul rôle des témoins est de veiller à la régularité de la procédure, la présence du bâtonnier lors d’une perquisition constitue une garantie spécifiquement liée à la profession d’avocat.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Exactement ! Le secret professionnel de l’avocat !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Voilà pourquoi nous sommes opposés à cet amendement. J’espère vous avoir convaincu, monsieur le sénateur.
M. le président. Monsieur Sueur, maintenez-vous l'amendement n° 32 ou avez-vous été séduit par les arguments de Mme le garde des sceaux ?
M. Jean-Pierre Sueur. Pas par les arguments, monsieur le président ! (Sourires.) Je maintiens l’amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 32.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 3
I. - L'article 326 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Tout journaliste entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l'exercice de son activité est libre de ne pas en révéler l'origine. »
II. - L'article 437 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Tout journaliste entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l'exercice de son activité est libre de ne pas en révéler l'origine. »
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 33, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit cet article :
I. - L'article 326 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Tout journaliste ou toute personne visée aux troisième et quatrième alinéas de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l'exercice de son activité professionnelle est libre de ne pas révéler ses sources. »
II. - L'article 427 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Tout journaliste ou toute personne visée aux troisième et quatrième alinéas de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l'exercice de son activité professionnelle est libre de ne pas révéler ses sources. »
III. - Dans le deuxième alinéa de l'article 109 du même code, après le mot : « journaliste » sont insérés les mots : « ou toute personne visée aux troisième et quatrième alinéas de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ».
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. L’article 3 du projet de loi étend le droit des journalistes à taire leurs sources aux cas où ils sont cités à comparaître en tant que témoins devant une cour d’assises ou un tribunal correctionnel.
Notre amendement vise à étendre la garantie offerte aux journalistes entendus comme témoins aux directeurs de publication et aux collaborateurs de la rédaction.
Par ailleurs, le champ d’application de l’article 109 du code de procédure pénale doit être précisé et harmonisé avec celui des précédents articles du même code que nous venons de modifier.
Tel est l’objet de cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 13, présenté par M. Buffet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le I de cet article :
I. - Le deuxième alinéa de l'article 326 du même code est complété par une phrase ainsi rédigée :
« L'obligation de déposer s'applique sous réserve des dispositions des articles 226-13 et 226-14 du code pénal et de la faculté pour tout journaliste entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l'exercice de son activité de ne pas en révéler l'origine. »
L'amendement n° 14, présenté par M. Buffet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le II de cet article :
II. - L'article 437 du même code est ainsi rédigé :
« Art. 437. - Toute personne citée pour être entendue comme témoin est tenue de comparaître, de prêter serment et de déposer sous réserve des dispositions des articles 226-13 et 226-14 du code pénal.
« Tout journaliste entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l'exercice de son activité est libre de ne pas en révéler l'origine. »
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter ces deux amendements.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Ce sont des amendements de cohérence, dont l’objet est d’éviter des interprétations a contrario.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 33 ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’avis de la commission est défavorable. Le projet de loi, tout comme la loi du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale, pose le principe d’un droit absolu des journalistes à taire leurs sources lorsqu’ils sont entendus comme témoins.
Ce droit au silence continue d’ailleurs à jouer même lorsque les circonstances permettent au juge de porter atteinte légalement au secret des sources. Il est également reconnu aux personnes soumises au secret professionnel.
En prévoyant d’étendre ce droit au silence à l’ensemble de la chaîne de l’information, c’est-à-dire aux personnes qui, en raison de leurs relations professionnelles ou personnelles avec un journaliste, peuvent détenir une information permettant d’identifier la source, cet amendement va encore un peu plus loin.
Le droit au silence des journalistes évite qu’ils ne soient placés en porte-à-faux au regard de leur déontologie professionnelle ou de leur éthique. C’est une disposition extrêmement importante.
Cela étant, il semble difficile d’aller plus loin, d’autant que les personnes qui peuvent avoir connaissance d’un secret professionnel, sans y être elles-mêmes soumises, ne bénéficient pas du même droit à se taire. On ne voit d’ailleurs pas pourquoi des personnes ayant connaissance de la source d’un journaliste disposeraient de ce droit, alors qu’elles ne sont pas directement soumises aux mêmes règles déontologiques et éthiques que le journaliste.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le Gouvernement émet un avis favorable sur les amendements nos 13 et 14.
En revanche, il émet un avis défavorable sur l’amendement n° 33. Le droit absolu au secret a déjà été largement étendu : l’extension supplémentaire préconisée par les auteurs de cet amendement nous paraît quelque peu excessive.
M. Jean-Pierre Sueur. Il faut étendre ce droit à toute la chaîne de l’information !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Ce projet de loi traite de la protection des sources, et non de celle du journaliste. D’ailleurs, les professionnels ne demandent rien d’autre : ils souhaitent l’extension du droit au silence et la protection des sources à tous les stades de la procédure, mais pas leur élargissement dans la mesure préconisée au travers de votre amendement, monsieur le sénateur. C’est pourquoi je suis défavorable à celui-ci.
M. le président. Je mets aux voix l'article 3, modifié.
(L'article 3 est adopté.)
Articles additionnels après l'article 3
M. le président. L’amendement n° 34, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le premier alinéa de l'article 62 du code de procédure pénale est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Toutefois, les personnes visées à l'article 3 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ont le droit de taire leurs sources et de n'en faire état en aucune manière dans des conditions prévues par ledit article. »
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Si vous le permettez, monsieur le président, je présenterai simultanément l’amendement n° 35, dont l’objet est connexe.
M. le président. Je suis donc saisi de l'amendement n° 35, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, et ainsi libellé :
Après l'article 3 insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
I. - Avant le dernier alinéa de l'article 63, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Une mesure de garde à vue ne peut en aucun cas être prise à l'encontre d'un journaliste ou de toute personne visée aux troisième et quatrième alinéas de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse pour tout acte ressortissant de l'exercice de son activité lorsque cette mesure a pour objet ou pour effet la mise à disposition des sources. »
II. - Après le troisième alinéa de l'article 77, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Une mesure de garde à vue ne peut en aucun cas être prise à l'encontre d'un journaliste visé aux troisième et quatrième alinéas de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse pour tout acte commis dans l'exercice de sa profession lorsque cette mesure a pour objet ou pour effet la mise à disposition des sources. Dans tous les autres cas, ces mêmes personnes ne pourront être gardées à vue pour des raisons liées à l'exercice de leur profession que pour une durée de 24 heures non renouvelable. »
Veuillez poursuivre, monsieur Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. L’amendement n° 34 vise à encadrer strictement la garde à vue des journalistes.
Nous ne sommes pas d’accord avec ceux qui voudraient que les journalistes ne puissent pas être placés en garde à vue. En effet, nous considérons que, dès lors que la garde à vue existe, elle doit pouvoir s’appliquer à tous les citoyens, dans les conditions prévues par la loi.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Quand même !
M. Jean-Pierre Sueur. Cependant, puisque nous sommes en train d’élaborer une loi relative au secret des sources, nous tenons à ce qu’elle indique très clairement que la garde à vue ne doit jamais avoir pour effet ou pour objet d’amener le journaliste à livrer ses sources. Sinon, elle n’aura pas de véritable portée.
Il s’agit là pour nous, madame le garde des sceaux, d’une question très importante. C’est pourquoi nous demanderons que le Sénat s’exprime par scrutin public sur l’amendement n° 35.
Je voudrais rappeler, à cet instant, l’affaire Dasquié, qui est grave et ne doit pas se reproduire.
M. Dasquié, qui travaillait pour le journal Le Monde, a été placé en garde à vue, pour des motifs liés à son activité professionnelle, pendant trente-six heures, dans des conditions telles que les pressions psychologiques qu’il a subies l’ont amené à « craquer » et à livrer aux enquêteurs le nom que ces derniers voulaient obtenir.
C’est pour éviter le renouvellement d’une affaire de ce genre que nous avons rédigé avec beaucoup de soin l’amendement n° 35, qui tend à préciser qu’une mesure de garde à vue ne pourra en aucun cas être prise à l’encontre d’un journaliste ou de toute personne visée aux troisième et quatrième alinéas de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse pour tout acte ressortissant de l’exercice de son activité lorsque cette mesure aura pour objet ou pour effet la mise à disposition des sources.
En outre, l’amendement prévoit qu’une mesure de garde à vue ne pourra en aucun cas être prise à l’encontre d’un journaliste visé par le même texte pour tout acte commis dans l’exercice de sa profession lorsque cette mesure aura pour objet ou pour effet la mise à disposition des sources.
Nous tenons absolument à ce que la procédure de garde à vue ne puisse en aucun cas être utilisée, directement ou indirectement, pour conduire un journaliste à révéler ses sources. Ce serait en effet contradictoire avec l’objet même de ce projet de loi, qui est de protéger lesdites sources.
Nous gardons en mémoire certains événements récents : si l’on veut garantir le secret des sources, il faut exprimer explicitement cette garantie dans la loi, comme le prévoit cet amendement, pour lequel nous demandons donc un scrutin public.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. En ce qui concerne l’amendement n° 34, l’avis de la commission est défavorable.
De manière générale, il n’existe aucune obligation de déposer dans le cadre d’une procédure, a fortiori pour les journalistes et leurs collaborateurs. La seule obligation que prévoit l’article 62 du code de procédure pénale est une obligation de comparaître, mais la personne qui comparaît peut très bien dire au juge qu’elle n’a rien à déclarer, et le juge devra alors en prendre acte.
S’agissant maintenant de l’amendement n° 35, l’avis de la commission est également défavorable.
Aucune profession ne bénéficie de règles particulières, notamment en matière de garde à vue. On ne saurait mettre en place de système dérogatoire dans ce domaine.
Imaginons en effet qu’un journaliste commette une infraction grave, par exemple une violation du secret de la défense nationale, de nature d’ailleurs à faire lever le secret des sources : il faut bien que l’auteur de l’infraction puisse être placé en garde à vue et comparaître.
M. Jean-Pierre Sueur. Il y a une loi sur le secret-défense !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Néanmoins, une fois placé en garde à vue, il aura la possibilité de ne rien dire, comme tout un chacun.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Avant de donner l’avis du Gouvernement sur ces amendements, je préciserai que, dans l’affaire Dasquié, c’était le recel du secret-défense qui était en jeu, et non la protection des sources.
S’agissant des amendements nos 34 et 35, leur rédaction révèle le peu de confiance que leurs auteurs ont dans les policiers et l’autorité judiciaire ! La garde à vue est déjà extrêmement réglementée par le code de procédure pénale, qui énonce des conditions strictes pour pouvoir placer une personne dans cette situation.
Si l’on prévoit une disposition spécifique pour les journalistes, il faudra faire de même pour les avocats et pour toute une série de professions. Par exemple, il faudra inscrire dans la loi que l’on ne pourra pas placer un commerçant en garde à vue afin de le contraindre à révéler le secret de fabrication d’un produit !
S’agissant des journalistes, on ne place pas quelqu’un en garde à vue pour obtenir la divulgation d’une source. Ce n’est pas un motif valable !
M. Jean-Pierre Sueur. Notre idée, c’est justement d’inscrire ce que vous venez de dire dans la loi.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Cela figure dans le code de procédure pénale. Si l’on vous suivait, on créerait un régime dérogatoire pour les journalistes, ce que nous ne souhaitons pas.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce serait en effet invraisemblable !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Si un journaliste est placé en garde à vue, c’est que des indices concordants de sa participation présumée à la commission d’une infraction ont été réunis. Ces éléments ne sont pas nécessairement liés à la révélation d’une source.
Par ailleurs, si un journaliste est placé en garde à vue, il n’est pas obligé de parler. Il n’y a aucune contrainte à cet égard. De plus, il est assisté de son avocat, parfois dès la première heure.
Enfin, la procédure est placée sous le contrôle du procureur de la République et du juge d’instruction dans le cadre d’un acte d’instruction.
Toutes les garanties nécessaires figurent donc déjà dans le code de procédure pénale, et celles que vous proposez au travers de cet amendement apparaissent redondantes, monsieur le sénateur.
Voilà pourquoi le Gouvernement n’est pas favorable à l’instauration d’un régime dérogatoire pour les journalistes.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 35.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 32 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 171 |
Pour l’adoption | 139 |
Contre | 202 |
Le Sénat n'a pas adopté.
L'amendement n° 21, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Après le troisième alinéa de l'article 63, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« À peine de nullité, ne peuvent être versés au dossier les éléments obtenus, dans le cadre d'une garde à vue, en violation de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. » ;
2° Après le troisième alinéa de l'article 77, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« À peine de nullité, ne peuvent être versés au dossier les éléments obtenus, dans le cadre d'une garde à vue, en violation de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. »
La parole est à M. Jacques Muller.
M. Jacques Muller. Cet amendement relève de la même logique que celui qui a été précédemment défendu.
Bien évidemment, il ne vise pas à soustraire complètement les journalistes à toute mesure de placement en garde à vue. La motivation des auteurs de cet amendement est claire : elle s’inspire de l’observation des faits survenus dans l’affaire Dasquié. Ce journaliste, après trente-six heures de garde à vue, a fini par « craquer » et par révéler ses sources, sous la pression psychologique.
Fondamentalement, il ne sert à rien d’affirmer que le journaliste peut choisir de ne pas révéler ses sources si, par ailleurs, aucune disposition législative ne vise à prévenir toute tentative de lui extorquer des informations dans le cadre d’une garde à vue.
Protéger les sources, c’est non seulement garantir au journaliste le droit de ne pas les dévoiler, mais c’est également garantir que, au cours d’une garde à vue, il ne sera pas soumis à des pressions psychologiques ayant pour objet de l’amener à les révéler.
Il s’agit, me semble-t-il, d’un amendement de bon sens, qui, je le répète, ne vise pas à interdire le placement en garde à vue des journalistes, non plus qu’à empêcher l’audition d’un journaliste à propos de ses activités.
En revanche, s’il est considéré qu’une garde à vue a porté une atteinte disproportionnée à la protection due au secret des sources, la procédure pourra être annulée. Cela me semble essentiel pour assurer cette protection.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Il est dangereux de vouloir multiplier les procédures dérogatoires au droit commun ou les dispositions spécifiques pour une catégorie professionnelle, en l’occurrence celle des journalistes.
D’une part, on risque de créer des différences de traitement injustifiées par rapport à d’autres professions soumises au secret professionnel, lesquelles pourraient légitimement prétendre à bénéficier des mêmes dispositions.
D’autre part, le principe général de protection du secret des sources s’impose à tous et doit normalement suffire pour garantir des atteintes à ce secret, sauf évidemment à considérer que les magistrats et la police judiciaire ne respectent pas la loi, en particulier les dispositions de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 !
En tout état de cause, si l’on veut affermir un principe, il faut à tout prix éviter de l’affaiblir par des systèmes dérogatoires.
Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Tout un chacun a le droit de garder le silence durant sa garde à vue, y compris en présence de son avocat.
Vous dites, monsieur Muller, qu’il peut arriver que des pressions psychologiques amènent le gardé à vue à parler contre sa volonté et que, dans un tel cas, ses déclarations ne doivent pas être versées au dossier de la procédure. Mais nous sommes dans un État de droit, monsieur le sénateur, ce qui apporte des garanties ! Ainsi, il est illégal de recourir à la contrainte pour obtenir une déclaration. Rien n’empêche alors le gardé à vue d’indiquer à son avocat qu’il a parlé sous la contrainte, les policiers ou les gendarmes étant passibles de poursuites.
Adopter votre amendement reviendrait en fait à reconnaître dans la loi l’existence de manœuvres illégales pour amener un journaliste à révéler ses sources, et à prévoir que dans ce cas les déclarations du gardé à vue ne seront pas versées au dossier ! Nous sommes dans un État de droit, je le redis !
Si des manœuvres illégales sont attestées, le procureur ou le juge d’instruction est saisi et peut engager des poursuites contre les policiers ou les gendarmes concernés. Dans le cas contraire, les déclarations sont normalement versées au dossier, ne serait-ce que pour respecter le principe du contradictoire et les droits de la défense.
Comment pourrait-on accepter qu’un texte de loi reconnaisse implicitement que les policiers ou les gendarmes sont amenés à exercer des contraintes pour obtenir des informations ? Cela reviendrait en quelque sorte à se résigner à ce que des infractions soient commises au cours des gardes à vue. Ce n’est pas possible ! Au-delà du cas des seuls journalistes, c’est un problème de fond.
Cet amendement contrevenant à des principes fondamentaux, le Gouvernement y est tout à fait opposé.