M. Roland Courteau. Cela pose problème aux socialistes aussi !
M. Yvon Collin. L’intégration dans le décompte des 20 % de logements locatifs sociaux des logements financés à l’aide de prêts destinés à l’accession sociale va amoindrir la mobilisation des communes. Le bilan est déjà très mitigé : 330 communes n’ont pas respecté leurs objectifs.
Alors que le pouvoir d’achat des Français est en baisse, la production de logements à loyers modérés doit rester la ligne directrice d’une politique volontariste en faveur du logement. L’article 55 doit, au contraire, être révisé dans un sens plus contraignant. Pourquoi ne pas conditionner le permis de construire à la réalisation d’un seuil de logements sociaux dans tous les nouveaux programmes ? Pour certaines communes riches, l’amende n’est pas du tout dissuasive. N’ayons pas peur de faire violence à ceux qui s’exonèrent trop facilement de leurs obligations, laissant les autres se démener pour accueillir les plus modestes et gérer les conséquences sociales de la ghettoïsation des quartiers.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Thierry Repentin. Neuilly !
M. Yvon Collin. Sur la question de l’accès au logement social, je ne suis pas défavorable aux mesures visant à permettre la rotation des logements.
Je ferai toutefois une remarque concernant, à l’article 20, la nouvelle rédaction de l’article L. 442-4 du code de la construction et de l’habitation relatif à la sous-occupation d’un logement.
Comme je le disais en introduction, l’habitat, quelle que soit sa nature, est un repère, un espace sécurisé, et souvent le dernier pivot familial. Pourquoi les personnes les plus modestes, qui ont justement pour seule richesse ce toit, devraient-elles être privées de la capacité d’en faire le lieu de repli familial de génération en génération ?
Enfin, je terminerai sur le problème du délai d’expulsion, ramené à un an dans l’article 19. Je souscris à l’idée d’envoyer un signe positif envers les propriétaires privés, qui participent grandement à l’offre locative. Certains petits propriétaires, pour qui les loyers constituent une source importante de revenus, se trouvent pénalisés dans leurs efforts d’investissement. Il est essentiel de les aider, en particulier quand ils sont confrontés à un locataire de mauvaise foi. Néanmoins, il revient au juge de fixer les délais d’expulsion ; il est d’ailleurs tenu compte, pour la fixation de ces délais, de divers éléments d’appréciation.
La question du locataire défaillant doit plutôt être traitée par une meilleure mobilisation des acteurs sociaux et des outils de prévention.
Mes chers collègues, le débat sur le logement nous est familier ; il revient en effet régulièrement dans nos assemblées. C’est bien normal, puisque nous discutons de la première des préoccupations de nos concitoyens, ou en tout cas de l’une des premières. J’estime cependant que la sortie de crise n’est pas pour demain. Pas plus qu’hier les mesures proposées aujourd’hui ne régleront les difficultés rencontrées par les Français. Les radicaux de gauche attendaient des efforts en faveur d’une offre locative de qualité abondante. Avec ce texte, nous n’en prenons pas le chemin. Aussi ne voterons-nous pas ce projet de loi. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Repentin.
M. Thierry Repentin. Madame la ministre, après les réquisitoires des procureurs Dallier et Braye, j’ai eu un instant de faiblesse en montant à la tribune, me demandant si j’allais devoir me faire votre avocat. (Rires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Alain Le Vern. Très bien !
M. Thierry Repentin. Mais vos réponses aux procureurs m’en dissuadent : non, vraiment, je ne peux pas ! (Sourires.)
Madame la ministre, nous auriez-vous menti voilà un an, à Lyon, vous qui nous assuriez que vous ne proposeriez pas de loi sur le logement, parce que les dispositifs existants vous permettaient déjà de mener une véritable politique du logement ?
M. Thierry Repentin. Fallait-il une sixième loi sur le logement en un peu plus de cinq ans ? (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.)
En tout état de cause, s’il fallait vraiment une loi, ce n’était pas celle-là, madame la ministre !
M. Thierry Repentin. Tout d’abord, laissez-moi vous exprimer notre plus grand étonnement quant à l’intitulé même de votre texte : « projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion ». Franchement, pour une loi de « mobilisation », elle manque un peu d’ambition !
M. Thierry Repentin. Sur le plan budgétaire, pas un seul euro ne sera engagé de votre part. Pis, les crédits de la mission « Ville et logement » diminuent pour 2009, alors que nous sommes, vous l’avez dit vous-même, en pleine crise immobilière !
Vous parlez de mobilisation des acteurs, mais le premier d’entre eux, l’État, que vous incarnez, se démobilise, tout en exigeant plus de ceux qui sont déjà trop régulièrement mis à contribution, à savoir non seulement les organismes HLM et les collectivités territoriales, mais, d’une façon tout à fait exceptionnelle, sur le fond comme sur la forme, nos partenaires sociaux ; j’y reviendrai.
La crédibilité de l’État, ainsi que celle du Gouvernement, est clairement diminuée chaque fois qu’il se retire de sa seule source de légitimité : la garantie des besoins vitaux des citoyens, au premier rang desquels figurent la nourriture et le logement. Malheureusement, madame la ministre, nous avons du mal à saisir où se situe la mobilisation de l’État dans votre projet de loi et dans le budget qui doit permettre sa concrétisation dans les années à venir.
Vous persistez à déclarer que la mission « Ville et logement » pour 2009 n’est pas en régression, et ce alors que les crédits de paiement vont connaître une diminution très sensible, de 6,9 %, et que la ligne budgétaire consacrée aux aides à la pierre va être grignotée de 30 % par rapport à ce qui avait été adopté pour 2008. Ces arbitrages budgétaires sont inquiétants.
Vous faites feu de tout bois parce que vous ne savez pas comment vous attaquer à la véritable cause du problème : le manque d’investissement dans le parc locatif accessible à tous. Tant que vous continuerez à croire dans les vertus du marché, censé réguler à lui seul le marché immobilier, vous contribuerez à ne le rendre accessible qu’à 30 % des Français, les plus aisés.
On ne peut décemment continuer de présenter la crise du logement comme une résultante de la crise financière mondiale et de la réticence des banquiers à consentir des prêts. La crise immobilière est bien plus ancienne que celle des subprimes, et bien différente aussi.
M. Thierry Repentin. Certes, la crise financière assèche les liquidités des banques, mais ce n’est certainement pas la seule cause de la situation actuelle : aujourd’hui, les ménages ne peuvent plus prétendre acquérir un logement dont le prix est 140 % plus cher que cinq ans auparavant.
De même, vous n’aiderez pas les ménages en reprenant des propositions comme celles du Conseil d’analyse économique sur le logement des classes moyennes, lequel préconisait – voilà seulement une semaine, je crois rêver ! – le développement du crédit hypothécaire en France ! Or celui-ci s’apparente aux subprimes dont nous subissons aujourd’hui les conséquences ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)
M. Thierry Repentin. Deux points méritent néanmoins un éclairage positif.
Tout d’abord, votre projet de loi comporte plusieurs articles renforçant l’efficacité des PLH, les programmes locaux de l’habitat, et leur compatibilité avec les PLU, les plans locaux d’urbanisme. Nous vous proposerons d’ailleurs le renforcement des outils d’urbanisme et de maîtrise foncière permettant une planification plus efficace et effective.
Ensuite, il semblerait que vous preniez enfin conscience des effets dramatiques du renforcement, depuis 2002, de la défiscalisation de l’investissement privé, connu sous le nom de dispositif Robien, qui a fait grimper en flèche les prix du foncier et les loyers. Nous avons d’ailleurs eu plusieurs fois l’occasion d’en discuter dans cet hémicycle et de les dénoncer. Chaque fois, vous avez ignoré nos arguments. Tout cela pour que, aujourd’hui, vous nous proposiez un timide « recentrage » du dispositif Robien sur les zones les plus « tendues » ! Nous espérons aller plus loin.
Après l’évocation de ces deux orientations positives, je souhaiterais m’attarder sur l’article 3 du projet de loi.
Pour pallier le désengagement de l’État, vous sonnez le glas du 1 % logement et lui administrez vous-même l’extrême-onction. Vous vous apprêtez en effet à ponctionner un dispositif dont la vocation va bien au-delà du seul concours au logement des salariés des entreprises qui cotisent.
En fait, la démarche est simple : le budget de l’État alloué au logement se casse la figure, mais vous tenez à maintenir vos effets d’annonce.
M. Roland Courteau. Et voilà !
M. Thierry Repentin. Conclusion ? Vous ponctionnez le produit des efforts de nos partenaires. Ce n’est pas une première, je vous l’accorde.
M. Thierry Repentin. J’ai en effet le souvenir, comme d’autres, que le gouvernement précédent avait prévu la « tonte » des crédits immobiliers dans la loi portant engagement national pour le logement, pour permettre alors à l’État d’honorer sa dette à l’égard du monde HLM.
En prélevant 850 millions d’euros chaque année pendant trois ans, vous contraignez les gestionnaires du « 1 % » à supprimer certaines de leurs prestations, qui sont appréciées dans nos territoires mais qu’ils ne seront plus en mesure d’assumer.
Encore plus grave, vous menacez tout simplement la pérennité du 1 % logement.
En affectant, pour une part, cette somme à l’ANAH, ce projet de loi détourne la fonction de la collecte du « 1 % ». Il s’agit en effet d’un investissement en faveur du conventionnement social à court terme, puisque l’habitat privé subventionné par l’ANAH est appelé tôt ou tard à rattraper les prix du marché.
En affectant, pour une autre part, cette somme à l’ANRU, vous rompez aussi, je le redis, avec l’engagement initial de l’État qui consistait à apporter un euro pour chaque euro investi par les partenaires du 1 % dans le cadre de la politique de la Ville. Et ce ne sont pas les événements survenus ces trois dernières semaines qui expliquent une telle ponction, puisque celle-ci a été décidée au début de l’été, alors que nous n’avions pas encore à gérer les effets secondaires de la crise internationale sur le marché national. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Ce texte, malheureusement, témoigne également de votre vision stigmatisante du monde HLM et de ses locataires, dont le droit au maintien dans les lieux est remis en cause. Oui, madame la ministre, ce projet de loi a pour toile de fond la stigmatisation du monde HLM, premier logeur de France, avec 4 millions de logements abritant plus de 10 millions de nos concitoyens. (Mme la ministre fait des signes de dénégation.)
Une campagne médiatique orchestrée, peut-être pas par vous-même, madame la ministre, mais par des personnes de votre entourage, a permis à certains de dénoncer cet été le « bas de laine » dérisoire du monde HLM, vous vous en souvenez certainement. Entre nous, c’était oublier un peu vite que le premier créancier de ces organismes n’est autre que l’État !
Ce projet de loi va discréditer les organismes bailleurs et fragiliser la population qui y loge. Ce n’est pas acceptable. Vous ne pouvez pas vous contenter de montrer du doigt les « mauvais élèves », organismes comme locataires, pour dissimuler l’absence d’effort budgétaire, qui relève de l’unique responsabilité du Gouvernement.
S’agissant des organismes, la disposition visant à prélever la trésorerie de ceux qui n’ont pas, selon vous, une activité suffisante, qu’elle possède ou non un volet rétroactif, non seulement ignore les efforts engagés ces deux dernières années, mais sanctionne, au lieu de l’encourager, l’investissement.
Pour ce qui concerne les locataires, l’atteinte au droit au maintien dans les lieux en cas de ressources supérieures à deux fois les plafonds est superfétatoire et dangereuse.
Elle est superfétatoire à double titre : exclure, comme vous le souhaitez, les éventuels 7 000 à 9 000 ménages concernés du parc locatif social n’est pas une réponse à la hauteur du problème des 1,2 million de personnes sur liste d’attente, et encore moins au problème des 3 millions de mal logés recensés aujourd’hui en France.
M. Thierry Repentin. De plus, vous proposez cette mesure alors même que le paiement d’un surloyer sera obligatoire, à la suite de la parution d’un décret, à partir du 1er janvier prochain, pour tous les ménages qui dépassent de 20 % le plafonnement de ressources prévu par la loi.
Cette mesure est dangereuse, car elle risque de renforcer certains dans l’idée que le logement social serait destiné uniquement aux plus pauvres, conception dont on paie tristement le prix en termes de ghettoïsation et d’ignorance des vertus de la mixité sociale, et ce alors que, pour déjà trop de Français et de décideurs, on apparente injustement le logement social au « cas social ». C’est un terrible contresens : la lutte contre l’exclusion n’implique pas de réserver spécifiquement des types et des zones de logement aux plus fragiles d’entre nous.
Et, surtout, cette disposition introduit une brèche, qui, une fois ouverte, ne pourra que se creuser davantage, dans le principe du droit au maintien dans les lieux, évolution qui pourrait rapidement concerner des catégories plus modestes.
En ce qui concerne les logements sous-occupés, qui sont la cible de différents articles du texte, je ne saurais vous faire part du nombre de particuliers et d’associations de locataires qui nous ont saisis de leur désarroi depuis qu’ils ont pris connaissance de votre texte en juillet dernier. Ils font écho aux associations auditionnées. Tous nous disent que la conception du ménage type sur laquelle se fonde votre proposition n’est absolument pas adaptée à la réalité quotidienne des foyers.
Madame la ministre, un logement n’est pas seulement une affaire de chiffres ; c’est aussi une histoire familiale, la construction de l’équilibre de chacun, et la projection d’une vie et, souvent, d’une petite retraite dans la tranquillité. Vous devriez être sensible à cette dimension.
Il y a une différence entre « pouvoir » et « devoir » changer de logement. Puisque vous prenez régulièrement pour exemple ceux qui souhaitent déménager pour un logement plus petit, pourquoi ne pas avoir introduit cette nuance législative dans votre texte ? Vous pourriez ainsi laisser une certaine latitude aux organismes pour procéder de gré à gré.
À l’opposé de la stigmatisation injuste de ceux que vous dénoncez comme les « fraudeurs » et les « profiteurs » du parc locatif, …
M. Thierry Repentin. … deux points devraient susciter votre inquiétude.
Tout d’abord, votre texte ne garantit pas que les habitants des futurs quartiers de centre-ville ne seront pas « exclus » de chez eux une fois leur logement rénové. Ensuite, aucune mesure n’est proposée pour lutter sévèrement contre les véritables profiteurs de la précarité et de l’exclusion des plus fragiles, à savoir les marchands de sommeil. (Mme Gisèle Printz applaudit.)
J’en viens à votre tentative de mise à mal de l’article 55 de la loi SRU.
Madame la ministre, pourquoi proposez-vous de sabrer le principe de solidarité territoriale en tentant une nouvelle fois de supprimer l’objectif de l’article 55 de la loi SRU ?
Je m’en souviens, en décembre 2000, vous étiez au nombre des parlementaires qui avaient saisi le Conseil constitutionnel pour qu’il censure cet article 55. Aujourd’hui, vous êtes ministre du logement et de la ville, et responsable à ce titre de la solidarité nationale. Il faut vous projeter dans cette fonction différente, en oubliant vos combats passés.
Vous savez pertinemment que la catégorie des ménages qui peuvent prétendre à l’accession à la propriété, même « aidée », ne correspond pas à celle de la majorité des locataires du parc locatif social, qui ne peuvent pas envisager l’acquisition d’un logement. Certes, il est indispensable d’aider encore plus l’accession à la propriété et d’accompagner les parcours résidentiels pour ceux qui le souhaitent, mais cela ne doit pas empêcher le développement du parc locatif, qui fait l’objet de l’article 55 de la loi SRU.
Là aussi, une fois la brèche ouverte, il sera impossible de maintenir l’objectif de développement du parc locatif social dans les communes peu volontaires, pour accueillir une population socialement diversifiée. Le résultat, c’est que cette mesure ne fera qu’entamer une fois de plus les moyens de mettre en œuvre une véritable mixité dans nos quartiers.
Dois-je vous rappeler, madame la ministre, les termes qu’a employés l’abbé Pierre, intervenant à l’Assemblée nationale, le 24 janvier 2006, pour contrer « l’amendement Ollier », …
M. Dominique Braye, rapporteur. Ne faites pas de cinéma ! Laissez-le reposer en paix ! Ce n’est pas digne !
M. Thierry Repentin. … lequel amendement, monsieur le rapporteur, ne devait finalement pas survivre à son examen par le Sénat, d’ailleurs grâce à certaines voix de l’UMP ?
Ce jour-là, l’abbé Pierre, dans sa dernière déclaration, avait évoqué l’« honneur de la France ». Précisément, n’allez pas le remettre en cause, madame la ministre, en tentant une fois de plus de saper ce pilier du patrimoine législatif républicain.
M. Dominique Braye, rapporteur. Et vous, vous n’êtes pas l’honneur du Parlement !
M. Thierry Repentin. Puisque vous citiez tout à l’heure, fort à propos, une enquête dont les chiffres seraient connus depuis hier, je vous renvoie, moi, aux résultats de trois enquêtes : celle qui a été réalisée à l’occasion du dernier congrès de l’Association des maires de France, celle de la Gazette des communes et celle de l’Union sociale pour l’habitat, de mars dernier, les deux dernières ayant été menées à l’occasion des élections municipales. Les trois enquêtes révèlent le point de vue convergent des maires sur un point : à plus de 70 %, ceux qui font de la politique au quotidien sur leur territoire, ne souhaitent pas que l’on remette en cause l’article 55 de la loi SRU. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) C’est pour eux un outil du quotidien, un outil qui permet à la solidarité de s’exercer sur leurs territoires.
Madame la ministre, puisque vous voulez, avec nous, avancer sur ces sujets, acceptez l’amendement que nous proposerons et dont l’objet est de créer un droit de préemption au profit du préfet pour les communes qui font l’objet d’un constat de carence au regard de l’article 55 de la loi SRU. C’est de cette manière que vous ferez vraiment avancer les choses !
Pour conclure, ce projet de loi sera perçu comme un simple « pansement », malheureusement bien inadapté à l’ampleur de la crise. Nous ne pourrons pas continuer de grignoter, de détricoter la politique publique du logement en proposant des ressources provisoires sous prétexte que le déficit public ne peut supporter d’être alourdi.
Des solutions de court terme ne sauraient permettre de faire face à l’ampleur de la crise actuelle. Nous pouvons proposer mieux qu’une épée de bois pour nous battre contre une telle crise, mieux que de l’hébergement provisoire en guise de véritable « chez-soi », mieux que des bungalows pour répondre à la situation des sans-logis.
M. Thierry Repentin. Madame la ministre, un projet de loi de « mobilisation » pour le logement digne de ce nom, loin de stigmatiser les organismes HLM ou les locataires du parc social, devrait plutôt prévoir un investissement suffisant en faveur du logement, qui manque cruellement aujourd’hui dans l’ensemble de nos territoires. Si vous persistez dans votre voie – mais le pire n’est jamais sûr ! –, en ignorant le fait territorial, en diminuant les moyens du secteur HLM, en vous emparant du 1 % logement et des fonds propres des organismes, vous ne parviendrez qu’à deux résultats : tout d’abord, décourager les politiques volontaristes en faveur du logement abordable sur des territoires solidaires ; ensuite, soutenir le niveau trop élevé des prix de l’immobilier dont la première victime est le pouvoir d’achat des ménages, ces mêmes ménages qui consacrent déjà au logement un quart de leurs ressources au minimum.
Vous appelez à une mobilisation des acteurs du logement. J’ai le sentiment, madame la ministre, que vous allez être entendue au sein du Sénat.
Les acteurs du logement social et les parlementaires, notamment ceux de la gauche de cet hémicycle, mais pas exclusivement, seront au rendez-vous de la mobilisation. Nous serons en effet présents pour donner des réponses à la crise à laquelle nous sommes confrontés, crise que votre loi « molle » ignore à cet instant du débat.
Comme le nouveau président du Sénat le disait tout à l’heure, « faire de la politique, c’est respecter l’opposition ». Selon moi, c’est également admettre que l’on n’a pas toujours raison du seul fait que l’on est majoritaire et que, dans la gestion des territoires, les expériences des uns comme celles des autres doivent être prises en compte avec la même ouverture d’esprit.
Si vous saisissez l’occasion de ce premier texte de la nouvelle session ordinaire pour mettre en pratique la réhabilitation souhaitée du travail effectué dans cet hémicycle, nous pouvons alors avoir l’espoir que nos amendements s’inscriront in fine dans la loi que le Parlement adoptera.
M. Dominique Braye, rapporteur. À condition qu’ils soient pertinents !
M. Thierry Repentin. Ce serait alors une double réhabilitation, celle du Parlement, et celle de la politique du logement, qui ne peut se satisfaire du petit texte au squelette chétif aujourd’hui soumis au Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois.
M. Daniel Dubois. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le nombre de lois examinées depuis une dizaine d’années montre, si besoin était, d’une part combien les questions de logements sont cruciales, d’autre part combien elles peinent à être résolues. La pénurie d’offres, la crise du foncier, l’inadéquation entre le type de logements disponible et le public prioritaire, l’absence de financement, l’augmentation des prix sont autant de facteurs qui ont un impact direct sur la crise que traverse la France depuis plusieurs années.
Par les lois successives qu’ils ont présentées, vos prédécesseurs, madame la ministre, ont tenté d’améliorer la situation, tantôt en considérant le problème dans son ensemble, tantôt en l’envisageant sous un angle précis : programme de construction de grande ampleur, modification de règles d’urbanisme, renforcement des outils de planification, libéralisation du foncier, mobilisation du parc privé, notamment.
Si les mesures ont été nombreuses, nous savons que le problème n’est toujours pas réglé, malheureusement.
Des efforts importants ont été accomplis, des améliorations sont à noter, mais la situation est telle que nous sommes une nouvelle fois amenés à discuter d’un texte dont l’objectif annoncé est de mobiliser l’ensemble des acteurs pour le logement et de lutter contre l’exclusion.
La situation est d’autant plus préoccupante que le contexte actuel est loin d’être favorable, marqué par la crise financière et le repli de 9,5 % des mises en chantier, qui passent sous la barre symbolique des 400 000 logements pour un objectif de 500 000, dont 100 000 logements sociaux, au lieu des 120 000 prévus dans le budget 2008.
M. Daniel Dubois. À ce point de la discussion, il me semble important d’insister sur la nécessité pour la politique du logement dans son ensemble, y compris les nouvelles normes adoptées en la matière, d’être toujours guidée par une logique d’équilibre. Car la question du logement est, me semble-t-il, de nature structurelle. La réussite en la matière, madame la ministre, passe par le respect de grands équilibres tels que l’équilibre entre l’offre et la demande, l’équilibre entre les différents types de logements sociaux, l’équilibre entre le locatif et l’accession à la propriété, l’équilibre entre les opérateurs publics et privés, l’équilibre entre les financements et, enfin, la recherche de l’équilibre social dans les quartiers.
M. Daniel Dubois. Certes, madame la ministre, je ne nie pas tous les efforts entrepris, mais je crains que notre politique du logement ne soit appréhendée de façon trop parcellaire, alors que nous savons qu’elle doit être menée de manière globale pour atteindre ses objectifs.
Le groupe de l’Union centriste souscrit à l’ensemble des objectifs et des mesures ici proposés : construire plus de logements, favoriser l’accession sociale à la propriété, permettre l’accès du parc HLM à davantage de personnes et lutter contre l’habitat indigne. Pour autant, madame la ministre, nous n’approuvons pas dans leur totalité les dispositions que vous nous proposez.
Je souhaite m’arrêter plus spécialement sur trois points : l’article 17 de votre projet de loi, qui modifie l’article 55 de la loi SRU, le 1 % logement et la rotation dans tous les logements HLM.
J’évoquerai premièrement l’article 17, qui a déjà fait l’objet de nombreux commentaires, en particulier de mon collègue Dominique Braye, dont je dois saluer une fois de plus la qualité du travail.
Je parlais tout à l’heure de l’importance de trouver des équilibres. Or la mixité sociale correspond bien à ce souci d’avoir une répartition équilibrée du logement social sur l’ensemble du territoire et, ainsi, de répondre à une demande grandissante.
La modification de l’article 55, non seulement compromet l’efficacité de la loi SRU, mais rompt aussi avec son esprit. En effet, l’objectif de la loi du 13 décembre 2000 consiste, d’une part, à inciter les communes à produire davantage de logements locatifs sociaux et, d’autre part, à encourager leur répartition équilibrée sur tout le territoire.
La situation actuelle exige que l’on atteigne l’objectif de 20 % de logements locatifs sociaux, et j’insiste sur l’adjectif « locatifs ». Nous ne sommes pas opposés aux actions en faveur de l’accession à la propriété, mais il ne faut pas mélanger les genres, ni les objectifs. Ce n’est pas en dénaturant la loi du 13 décembre 2000 que l’on parviendra à atteindre cet objectif d’équilibre.
L’accession sociale à la propriété ne doit pas se substituer à la construction de logements locatifs sociaux tant que des centaines de milliers de demandes resteront en attente.
M. Daniel Dubois. Tout est question d’équilibre, madame la ministre. Vous comprendrez donc qu’en ce qui concerne cet article, nous suivrons l’avis de M. le rapporteur.
S’agissant deuxièmement du 1 % logement, vous proposez de modifier en profondeur son organisation, son fonctionnement et sa gouvernance, tout en recentrant les missions de chacun des acteurs et en renforçant la présence de l’État. Je sais que la Cour des comptes vient de rendre un rapport qui met en lumière des améliorations dans la gestion du « 1 % », mais est-ce une raison pour dénaturer sa mission et son principe de fonctionnement ?
Je rappelle que le « 1 % » est d’origine patronale, qu’il est géré de façon paritaire entre partenaires sociaux et qu’il constitue, en dépit de son caractère obligatoire pour les entreprises de plus de vingt salariés, une contribution volontaire des entreprises à la politique du logement, en faveur des salariés. Au-delà des actions menées en faveur de l’accès au logement des salariés, le « 1 % » participe, par voie contractuelle, à l’effort de solidarité nationale pour le logement, en subventionnant, par exemple, la rénovation des quartiers en difficulté. Depuis 1997, l’engagement d’une nouvelle politique conventionnelle entre l’État et les partenaires sociaux a permis de moderniser et d’élargir son champ d’intervention. Ainsi, le « 1 % » accompagne les salariés tout au long de leur parcours résidentiel : 4 milliards d’euros sont ainsi engagés dans la politique du logement par le « 1 % », compte tenu des retours sur emprunts.
Or, nous le voyons bien, les mesures proposées visent à « casser » cet équilibre. Mais il y a pire et je m’interroge, madame la ministre, sur la réelle intention du Gouvernement. N’y a-t-il pas, en effet, une volonté de « récupérer » une partie des ressources du « 1 % » pour faire face au désengagement budgétaire de l’État ?