PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Conférence des présidents
M. le président. La conférence des présidents a établi comme suit l’ordre du jour des prochaines séances du Sénat :
Jeudi 17 juillet 2008
À 9 heures 30, à 15 heures et le soir :
Vendredi 18 juillet 2008
À 9 heures 30, à 15 heures et le soir :
Mardi 22 juillet 2008
À 10 heures, à 16 heures et le soir :
- Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après déclaration d’urgence, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (n° 448, 2007-2008) ;
(La conférence des présidents a fixé à deux heures et demie la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ;
Les délais limite pour le dépôt des amendements et pour les inscriptions de parole sont expirés).
Mercredi 23 juillet 2008
À 15 heures :
1°) Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de modernisation de l’économie ;
2°) Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi instituant un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires publiques pendant le temps scolaire ;
À 21 heures 30 :
3°) Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif aux droits et aux devoirs des demandeurs d’emploi ;
4°) Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de règlement des comptes et rapport de gestion pour l’année 2007.
Jeudi 24 juillet 2008
À 11 heures 30 :
- Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail.
Par ailleurs, la conférence des présidents a fixé les dates de séances de questions d’actualité au Gouvernement.
D’octobre à décembre 2008
- Jeudi 16 octobre 2008 - Jeudi 30 octobre 2008
- Jeudi 13 novembre 2008 - Jeudi 27 novembre 2008
- Jeudi 11 décembre 2008 - Jeudi 18 décembre 2008
Y a-t-il des observations en ce qui concerne les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue des séances ?...
Ces propositions sont adoptées.
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Modernisation des institutions de la Ve République
Suite de la discussion et adoption d’un projet de loi constitutionnelle en deuxième lecture
M. le président. Nous reprenons la discussion en deuxième lecture du projet de loi constitutionnelle, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, de modernisation des institutions de la Ve République.
Dans la discussion des articles, nous poursuivons l’examen de l’article 18.
Article 18 (suite)
L'amendement n° 24, présenté par M. Lambert, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... - Le dernier alinéa du même article est complété par les mots : « et par la commission saisie au fond ».
La parole est à M. Alain Lambert.
M. Alain Lambert. Monsieur le président, je frémis tant le sujet est délicat !
Il s’agit du vote bloqué, prévu à l’article 44, alinéa 3, de la Constitution. Je ne ferai à personne l’offense d’expliquer cette procédure que nous connaissons tous puisque nous l’avons tous pratiquée.
Pour qu’il n’y ait pas la moindre ambiguïté, je rappelle que le principe du vote bloqué ne doit pas, à mes yeux, être remis en cause. Il peut être utile pour clarifier un débat, accélérer un débat enlisé, surmonter une obstruction. En seconde délibération, il peut servir à revenir sur des erreurs ou des accidents circonstanciels. Le Gouvernement doit pouvoir ainsi conserver la maîtrise du déroulement des débats.
En revanche, les amendements soumis au vote devraient, selon moi, être aussi agréés par la commission saisie au fond. Ce système aurait le mérite de prendre davantage en compte l’expression de la représentation nationale. En cas de désaccord sur un ou plusieurs amendements entre le Gouvernement et la commission saisie au fond, ceux-ci ne seraient pas soumis au vote bloqué et pourraient cependant, pris individuellement, faire l’objet d’une seconde délibération, de manière que les droits ultimes du Gouvernement soient préservés.
M. le président. L’amendement n° 66, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... - Après le deuxième alinéa de l’article 44 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’un amendement a été adopté par une assemblée, le gouvernement ne peut demander une nouvelle délibération de l’article amendé au cours de la même lecture devant ladite assemblée. »
Cet amendement a déjà été défendu.
L’amendement n° 122, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... - Le même article est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le Gouvernement ne peut introduire, par amendement à un projet de loi ou une proposition de loi, de dispositions nouvelles autres que celles qui sont en relation directe avec une des dispositions du texte en discussion ou dont l’adoption est soit justifiée par des exigences de caractère constitutionnel soit nécessitée par la coordination avec d’autres textes en cours d’examen au Parlement. Ces dispositions ne s’appliquent pas aux projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. »
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Cet amendement a pour objet d’encadrer le pouvoir d’amendement du Gouvernement en proscrivant les cavaliers législatifs. Je pense que tout le monde sera d’accord sur cet objectif.
On pourrait nous demander pourquoi le Gouvernement, à la différence des parlementaires, ne pourrait pas, lui aussi, déposer tous les amendements qu’il souhaite : tout simplement parce qu’il peut les présenter n’importe quand et, notamment, sans qu’ils aient été examinés par la commission. Il peut ainsi déposer un amendement à la dernière minute, ce qui est tout à fait gênant parce qu’on risque de se trouver face à des dispositions dont il n’a jamais été question par ailleurs.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’ensemble des amendements en discussion commune ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Beaucoup de ces amendements ont déjà été déposés en première lecture et rejetés par notre assemblée. Je ne ferai donc pas de longs commentaires.
Je rappellerai qu’il peut être utile d’organiser des débats simplifiés en séance publique, comme le permettra la disposition ajoutée par l’article 18 au premier alinéa de l’article 44 de la Constitution, en particulier sur des textes à caractère technique qui ne recèlent pas de réels enjeux politiques. La commission est donc défavorable aux amendements identiques nos 62 et 121.
L’adoption de l’amendement n° 63 reviendrait à empêcher les commissions d’examiner les amendements avant leur examen en séance publique. C’est curieux ! Avis défavorable.
Il en va de même en ce qui concerne l’amendement n° 64. Le droit d’amendement du Gouvernement est soumis par la jurisprudence du Conseil constitutionnel aux mêmes conditions que celui des parlementaires. Les dispositions introduites par cet amendement ne lui sont actuellement applicables qu’à partir de la deuxième lecture d’un texte. Il n’y a aucune raison de les étendre à la première lecture.
L’amendement n° 65 tend à supprimer le vote bloqué, ce qui diminuerait l’une des garanties de l’efficacité de l’action gouvernementale. Il faut maintenir cette procédure, d’autant que le recours à la procédure dite du « 49-3 » sera très encadré. Avis défavorable.
Madame Boumediene-Thiery, l’Assemblée nationale a effectivement souhaité rétablir en deuxième lecture le renvoi à la loi organique, que le Sénat avait supprimé en première lecture. La position des députés se justifie par le souci de fixer un cadre commun aux conditions d’exercice du droit d’amendement par le Gouvernement et les parlementaires. Nous avions, quant à nous, estimé qu’il n’y avait pas de raison d’encadrer le droit d’amendement du Gouvernement.
Par souci de compromis, il est souhaitable d’en rester à cette rédaction, et la commission émet donc un avis défavorable sur l’amendement n° 8.
L’amendement n° 24 pose pour principe que le Gouvernement devrait obligatoirement retenir les amendements proposés ou acceptés par la commission saisie au fond, ce qui limiterait fortement la portée du vote bloqué. Dès lors que le Sénat se rallie à la limitation du recours au 49-3, il n’est pas souhaitable de restreindre, de surcroît, l’utilisation du vote bloqué qui, même si elle doit rester exceptionnelle, n’en constitue pas moins une garantie de l’efficacité de l’action de l’exécutif.
J’émettrai donc un avis défavorable sur cet amendement pour qu’on ne puisse pas m’accuser de ne demander le retrait de leurs amendements qu’à certains de nos collègues ! Au demeurant, je demande le retrait de tous les amendements, bien entendu ! Mais, dans le cas présent, la commission, comme en première lecture, a émis un avis défavorable.
L’amendement n° 66 vise non pas la nouvelle délibération, procédure qui relève de l’initiative du Président de la République, mais la seconde délibération, qui est demandée par le Gouvernement. Celle-ci garantit une certaine souplesse à la procédure législative. Avis défavorable.
L’amendement n° 122 appelle le même commentaire et recueille le même avis défavorable que l’amendement n° 64.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Le Gouvernement est naturellement défavorable aux amendements nos 62 et 121, qui tendent à la suppression de l’article 18.
Il ne s’agit nullement, avec cet article, de porter atteinte au droit d’amendement, qui continuera à s’exercer en commission et en séance publique. Évidemment, lorsque, pour quelques textes, tout le monde aura convenu – comme aujourd’hui pour certaines conventions internationales – qu’il n’est pas nécessaire de reprendre en séance publique un débat amplement mené en commission, l’intérêt de rediscuter en séance des amendements déjà examinés en commission sera… limité.
Quant à la loi organique, elle a pour objectif d’assurer que le traitement des amendements du Gouvernement s’effectuera de manière cohérente entre les deux assemblées, sans plus.
L’amendement n°63 du groupe CRC tend à introduire des dispositions qui seraient contradictoires avec le deuxième alinéa de l’article 44 de la Constitution, qui permet au Gouvernement de s’opposer, après l’ouverture du débat, à l’examen des amendements qui n’ont pas été soumis antérieurement à la commission. La clarté et la sincérité du débat parlementaire peuvent justifier une certaine organisation de nature à permettre à chacun de prendre connaissance des amendements déposés. Par conséquent, l’avis du Gouvernement est défavorable.
Les amendements nos 64 et 122 tendent à interdire au Gouvernement de déposer des amendements d’un certain type en première lecture. Il s’agit d’une proposition du comité Balladur que le Gouvernement n’a pas souhaité intégrer dans son projet de loi, et des amendements de même nature ont été précédemment rejetés. La jurisprudence sur les cavaliers législatifs permet déjà amplement de limiter toute dérive du droit d’amendement gouvernemental en première lecture. L’ajout de cette précision à l’article 44 ne s’impose donc pas.
L’amendement n°65 tend à la suppression du troisième alinéa de l’article 44 de la Constitution. Cet amendement recueille un avis défavorable. En effet, le vote bloqué doit bien entendu être utilisé avec parcimonie et modération, mais cet instrument reste utile pour assurer une certaine cohérence à un texte. Le projet de révision constitutionnelle renforce déjà très largement les pouvoirs du Parlement et réduit un certain nombre de prérogatives du Gouvernement, comme l’a dit M. le rapporteur, notamment en ce qui concerne le recours à la procédure de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution.
L’amendement n° 8 recueille également un avis défavorable, car le Gouvernement ne souhaite pas que le règlement de chaque assemblée puisse apporter des limitations à son droit d’amendement. Autant il est légitime que les règlements arrêtent les règles concernant le dépôt des amendements des membres de chaque assemblée, les modalités de leur examen, de leur discussion et de leur vote, autant il ne paraît pas souhaitable au Gouvernement que de telles règles puissent le contraindre, d’autant que ces règles pourraient être très différentes d’une assemblée à l’autre. C’est d’ailleurs le sens du renvoi à la loi organique qui a été réintroduit par l’Assemblée nationale.
Monsieur Lambert, le Gouvernement comprend bien qu’il faille accorder un droit de regard aux commissions saisies au fond sur la possibilité de recourir à la procédure de l’article 44, alinéa 3, de la Constitution.
Votre argumentation est très équilibrée puisque vous considérez que la procédure du 44-3 ne doit pas être remise en cause dans la mesure où elle peut, comme vous le dites, aider à clarifier le débat, à accélérer un débat enlisé, à surmonter une obstruction. C’est effectivement le point de vue du Gouvernement, qui n’a pas souhaité modifier cette procédure. Le comité Balladur lui-même, de composition pluraliste, ne l’avait pas proposé.
Le Gouvernement estime aussi que le vote bloqué doit être utilisé avec parcimonie, je l’ai dit à l’instant ; je crois que c’est plutôt le cas aujourd’hui.
M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. J’en viens à votre proposition selon laquelle les commissions pourraient codécider avec le Gouvernement des amendements faisant l’objet du vote bloqué.
Dans le cadre de l’équilibre général de cette réforme, le Gouvernement est attaché à ce que certains instruments soient maintenus qui lui permettent de faire valoir son point de vue. C’est pourquoi il estime qu’il doit pouvoir disposer de la procédure de l’article 44, alinéa 3, notamment en cas de désaccord profond avec la commission saisie au fond. C’est l’un des éléments de l’équilibre de la procédure législative.
En conséquence, monsieur le sénateur, je me permets de vous demander – c’est à peine si j’ose le faire, après les reproches qui ont été formulés tout à l'heure par M. Dreyfus-Schmidt ! – le retrait de votre amendement n° 24. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.
Enfin, l’amendement n° 66 tend à interdire au Gouvernement de demander, au cours d’une même lecture, une nouvelle délibération. Avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 62 et 121.
M. Bernard Frimat. Nous avons demandé un scrutin public sur ces amendements de suppression, non pas pour multiplier les scrutins publics, auxquels nous savons nos collègues de l’UMP très attachés en cas de difficulté, mais simplement parce que l’article 18 nous semble essentiel.
Monsieur le secrétaire d’État, vos paroles, tant en première qu’en seconde lecture, ne nous ont pas rassurés. Vous avez utilisé la conjonction « et » – « en commission et en séance plénière » –- alors que le texte dit « ou ».
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est pareil !
M. Bernard Frimat. Je ne pense pas, sauf si le Gouvernement présente un amendement de dernière minute, que nous soyons partis pour constitutionnaliser les pages d’un grand quotidien du soir ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Ce serait, certes, une innovation constitutionnelle intéressante, mais je crains que nous ne votions à Versailles, lundi, que sur le texte que nous avons à débattre et qu’il n’y ait pas de codicille sous forme d’appendice « mondial » !
Le Président de la République nous annonce qu’il se porte garant des droits de l’opposition. Vous me permettez de trouvez cela très injuste pour la majorité ! (Sourires sur les mêmes travées.)
M. Jean-Jacques Hyest. C’est l’arbitre !
M. Bernard Frimat. Car nous avons, nous, une démarche beaucoup plus consensuelle – nous sommes d’ailleurs les seuls –, visant à ce que l’ensemble des parlementaires puisse en toute équité bénéficier du droit d’amendement.
Or il nous semble que, loin d’en accorder les garanties, vous renvoyez le droit d’amendement et la manière dont il sera exercé au règlement des assemblées parlementaires.
J’ai eu l’occasion d’expliquer hier que nous nous trouvions face à une dégradation, en termes de qualité juridique des instruments de référence. Nous souhaitons réellement que cet article fasse l’objet d’un scrutin public pour bien montrer que nous sommes là au cœur de l’explication et de la défense de ce qui est une démarche démocratique.
À qui fera-t-on croire que réglementer le droit d’amendement et ne garantir, par article du journal Le Monde interposé, que le droit d’amendement de l’opposition, en laissant en déshérence celui de la majorité – ce qui est insupportable –, constitue une avancée démocratique ?
Nous sommes simplement devant une diminution du droit du Parlement. C’est un recul supplémentaire que recèle ce texte cette loi, lequel en comporte de nombreux, et qui justifie notre position.
Mais nous ne désespérons pas de vous convaincre ! La nuit aidant, vous arriverez peut-être à comprendre qu’il était possible d’aller vers une révision plus intelligente. À ce moment-là, en deuxième lecture, monsieur le secrétaire d’État, saisi d’un élan démocratique que nous saluerions à sa juste valeur, vous nous proposeriez la constitutionnalisation des propositions du Président de la République ! (M. le secrétaire d'État s’exclame.) Cela aurait le mérite de les faire passer du statut de coup de communication à celui de progrès démocratique ! Cela dit, je pense que nous en sommes loin. La nuit nous apportera sans doute tout de même quelques précisions, sous votre houlette bienveillante, monsieur le président.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous avez fait toute votre communication, monsieur le secrétaire d’État, depuis des mois, sur le renforcement des pouvoirs du Parlement. Or nous avons constaté qu’en réalité il ne s’agissait aucunement de cela. En effet, malgré toutes les possibilités dont disposent déjà, dans la Constitution telle qu’elle est aujourd’hui, le Gouvernement et la majorité pour encadrer le débat parlementaire, cette révision ne va vous servir qu’à le contraindre encore davantage et, notamment, à réduire le droit d’amendement des parlementaires.
Nous avons tenté de contrecarrer la communication gouvernementale en expliquant que la vraie raison de cette révision constitutionnelle, une présidentialisation accrue du régime, n’était hélas pas contrebalancée par un renforcement des droits du Parlement.
Le Président de la République a lui-même voulu cette réforme depuis qu’il est élu, afin d’exercer sans entraves son rôle de chef absolu de l’exécutif, un rôle qu’il revendique, comme il le démontre aujourd’hui en venant s’immiscer, par le biais d’un entretien accordé au Monde, dans le débat entre le Gouvernement et le Parlement. Et, à cette occasion, il s’affirme garant du droit d’amendement ! Et vous n’en profitez pas ? Il y a là un léger dysfonctionnement ! Apparemment, il est le chef de l’exécutif, mais l’exécutif ne suit pas puisqu’il refuse toute modification de cet article 18 dans un sens qui permettrait d’asseoir le renforcement de ce droit d’amendement des parlementaires.
Nous sommes donc confortés dans l’idée qu’il ne s’agit donc en rien, avec ce texte, de renforcer les droits du Parlement. Le Président de la République fait des effets d’annonce, il parle dans la presse ! Peut-être qu’avec votre révision il en sera tout autrement, mais ça, nous ne pouvons pas le prévoir, car nous ne lisons pas dans le marc de café !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Nous vivons donc à l’heure de la juxtaposition des contraires. C’est l’apothéose de l’oxymore ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Tout à l’heure, il a été fait allusion à la première page du numéro du journal Le Monde paru aujourd’hui à midi. Mais il faut aussi lire en détail la page 6.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah oui ! Elle est encore mieux !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous y voyons qu’au moment même où il nous dit qu’il est nécessaire et urgent de renforcer les pouvoirs du Parlement, M. le Président de la République se comporte comme un hyper-président. (Nouveaux sourires sur les mêmes travées.)
Cet hyper-président, à lui seul, statue sur la Constitution, la loi et le règlement des assemblées parlementaires. C’est extraordinaire !
Ainsi, on fait le contraire de ce que l’on dit et l’on dit le contraire de ce que l’on fait !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Si l’on croyait tout ce qu’il dit !
M. Jean-Pierre Sueur. Si vous le permettez, je vais m’en tenir à quelques lignes de propos du Président de la République :
« Les propositions de Bernard Accoyer sur les droits de l’opposition et des groupes parlementaires à l’Assemblée seront mises en œuvre. »
Donc, voilà que le Président décide de quelque chose qui relève tout de même, à l’évidence, de l’Assemblée nationale !
« Je suis pour que le seuil de constitution d’un groupe à l’Assemblée, qui est actuellement de vingt membres soit abaissé à quinze. »
Je pensais que c’était une prérogative du Parlement que de statuer en la matière… Mais c’est le Président qui décide !
« Je suis favorable à l’égalité du temps de parole entre majorité et opposition dans les débats. »
Mme Isabelle Debré. Ce n’est pas le cas aujourd’hui !
M. Jean-Pierre Sueur. Mais je ne vous empêche pas de parler, chère collègue, en particulier lors des séances de questions d’actualité.
Je termine par cette citation, qui nous ramène à l’amendement n° 121 : « Lors du vote de la loi organique qui précisera les conditions et limites du droit d’amendement, je veillerai à ce que les droits de l’opposition soient garantis. »
Le Président dit bien que la loi organique précisera non seulement les « conditions » du droit d’amendement, mais aussi ses « limites ». Pensez-vous, mes chers collègues, qu’il soit nécessaire de faire une loi organique pour préciser les « limites » du droit d’amendement ?
Jusqu’à ce jour, nous vivons avec une Constitution qui garantit pleinement le droit d’amendement. Pourquoi faut-il que le Président de la République vienne nous dire qu’outre la Constitution il y aura une loi qui précisera naturellement le règlement mais qui aura pour finalité non seulement de préciser les conditions du droit d’amendement mais aussi ses limites ?
Il y a là quelque chose de très inquiétant : l’hyper-président fait tout, y compris ce qui n’est pas de son ressort. En vertu de la Constitution, le Président n’a pas les pouvoirs qu’il s’arroge dans la page 6 du journal Le Monde ! Voilà la vérité de la Constitution sous l’égide de laquelle nous vivons !
Et ce que dit explicitement le Président de la République renforce nos inquiétudes parce qu’il s’agit réellement, monsieur le président – je sais que cela doit vous préoccuper, comme tous les parlementaires –, de restreindre le droit d’amendement.
M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote.
M. Christian Cointat. J’aime beaucoup la dialectique, mais il y a quand même des limites à ne pas franchir !
Je crois que le sophisme est une de vos règles, monsieur Sueur, et c’est un peu dommage parce que vos interventions sont toujours très talentueuses.
Mais là, franchement, vous allez un peu loin !
D’abord, vous parlez des organes de presse dont il faut garantir la liberté. Or vous faites une publicité pour le moins curieuse pour un journal !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est une publicité de Sarkozy !
M. Christian Cointat. Et comme par hasard, ce n’est pas un journal de droite !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est le journal du Président !
M. Christian Cointat. Deuxième chose : vous n’avez pas cessé de réclamer un geste du Président de la République. Il le fait, vous le critiquez ! Il faudrait savoir ! Il répond à votre attente, et vous répondez que ce n’est pas ce que vous vouliez !
En réalité, vous êtes dans une situation où quoi qu’on fasse, quoi qu’on dise, quoi qu’on propose, vous n’en voulez pas l’accepter, même si c’est dans l’intérêt général. C’est bien regrettable !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous êtes le porte-parole de l’Élysée ?
M. Christian Cointat. Il y a des gestes, des avancées, on essaie de défendre l’intérêt général et l’intérêt du Parlement. C’est aussi à nous de prendre nos responsabilités ! Il est bien clair que le Président de la République ne va pas décider pour le Parlement ! C’est ridicule d’en arriver à soutenir une telle argumentation !
Le Président de la République est le garant de la Constitution, vous le savez tous : c’est dans son rôle. C’est pourquoi, très naturellement, il donne sa vision des choses. Cela peut nous éclairer. De plus, c’est une garantie qu’il vous apporte, un geste qu’il fait en votre direction. (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.) Vous devriez être satisfaits, vous pourriez même demander davantage ! Pourquoi pas ? Mais, au moins, n’essayez pas de ridiculiser une démarche très sérieuse.
Alors oui, vous l’avez dit, c’est un hyper-président. « Hyper », c’est mieux que « super » ! Finalement, vous adorez le Président, puisque c’est pour vous un super-homme ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Moi aussi, j’apprécie d’ordinaire les interventions de notre collègue Cointat.
Quel est le problème qui est ici posé ? Quelle est notre inquiétude ? Elle tient à ce que le Président de la République est devenu le chef de l’opposition parlementaire. (Sourires.) Oui ! Avant il l’était par Premier ministre interposé. Mais maintenant celui-ci a mal au dos !
M. Pierre-Yves Collombat. C’était dans le journal : il n’avait pas besoin de raconter ça !
Le problème est là : à la différence d’un régime vraiment présidentiel, où il y a séparation des pouvoirs, en France, désormais, il n’y a plus séparation des pouvoirs. Le Président de la République est celui qui peut dissoudre l’Assemblée nationale, mais aussi celui qui, en lieu et place du Gouvernement, conduit maintenant directement les travaux parlementaires ! C’est ce qu’on a dit, et très bien dit, dans la presse.
Voilà ce qui est inquiétant ! Ce que vous ne voulez pas admettre clairement, c’est qu’on assiste à un glissement d’une majorité parlementaire, qui doit normalement faire la loi, à la majorité du Président : il n’y a plus de séparation des pouvoirs.
Vous imaginez-vous que le général de Gaulle se serait rendu devant des assemblées de partis, devant le parti majoritaire de l’époque ? C’est impensable !
Le Président de la République est devenu le chef de la majorité parlementaire.