M. Didier Boulaud. S’il se produit des événements d’une particulière gravité nécessitant un engagement très important des forces armées, on ne peut pas imaginer que le Gouvernement laisse le Parlement dans l’ignorance de la situation. Nous pouvons donc penser qu’il convoquera une session extraordinaire, et ce serait bien normal.
Toutefois, nous ne souhaitons pas que la réunion du Parlement en session extraordinaire reste à l’exclusive discrétion de l’exécutif. C’est la raison pour laquelle il nous paraît nécessaire de prévoir que cette session extraordinaire sera convoquée de droit.
M. le président. L'amendement no 114, présenté par MM. Frimat, Boulaud, Badinter, Bel, Carrère, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
La parole est à M. Didier Boulaud.
M. Didier Boulaud. Il s’agit ici du thème récurrent de la nécessaire information du Parlement sur le contenu des accords de défense et de coopération militaire. Le sujet est même devenu une sorte de « marronnier » parlementaire : à chaque réforme, on en reparle ! On promet aussi beaucoup, mais nous ne voyons jamais rien venir !
Afin d’en finir avec cette lancinante ritournelle, nous proposons d’inclure dans la Constitution une disposition tout à fait claire, prévoyant simplement que « le Gouvernement informe le Parlement du contenu des accords de défense et de coopération militaire en vigueur, dans les conditions fixées par le règlement des assemblées ».
Cela nous paraît d’autant plus indispensable que, à l’exception de celles auxquelles nous participons en vertu d’un mandat international, nos interventions militaires à l’étranger se fondent souvent sur des accords de défense signés avec des pays tiers.
Je rappelle que le Président de la République s’est lui-même engagé « à rendre publics tous nos accords de défense ». C’était le 28 février 2008. Certes, il s’exprimait devant le Parlement sud-africain, mais j’imagine que cela valait aussi pour le Parlement français !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela n’a pas à être inscrit dans la Constitution !
M. Didier Boulaud. Certains de ces accords, on ne peut pas l’ignorer, mes chers collègues, peuvent avoir des conséquences politiques et militaires de taille : ils légitiment juridiquement et politiquement l’engagement de nos troupes et déterminent le caractère de nos interventions. Ce fut le cas au Rwanda, en Côte d’Ivoire et, plus récemment, au Tchad.
Le Parlement doit-il encore et toujours rester en marge ?
Aujourd’hui, rien ni personne ne devrait s’opposer à ce que nous puissions inscrire dans la Constitution un principe sur lequel tout le monde, ici comme à l’Assemblée nationale, semble d’accord.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. J’ai eu l’impression, monsieur le président, de revivre la première lecture : mêmes amendements, mêmes discours de M. Boulaud…
M. Didier Boulaud. Et toujours aussi brillants ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Sans doute, mais une fois suffit : nous en étions tellement pénétrés en première lecture que nous n’avions pas besoin d’une répétition, d’autant moins que, hélas, elle ne fut pas plus brève !
Quoi qu’il en soit, toutes les explications ont été données en première lecture.
C’est tout de même paradoxal : jamais dans la Constitution le Parlement n’avait été associé à ces questions, et cette réforme, vous l’avez d’ailleurs vous-même reconnu, monsieur Boulaud, marque un renforcement indéniable des pouvoirs du Parlement. Mais vous voulez toujours plus !
M. Didier Boulaud. Eh oui !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. En deuxième lecture, l’Assemblée nationale n’a apporté au texte adopté par le Sénat en première lecture que des changements de pure forme, et ces corrections méritaient effectivement d’être apportées. C’est même pour cette raison que cet article fait l’objet de la navette : sans ces corrections de pure forme, aucun amendement n’aurait, de toute façon, pu être déposé ! Rien n’a été modifié sur le fond, et le résultat nous convient parfaitement ! En l’occurrence, il ne s’agit pas de voter conforme : nous sommes en accord total avec l’Assemblée nationale !
J’émets donc un avis défavorable sur tous les amendements identiques à ceux que nous avons examinés en première lecture.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Ainsi que vient de le souligner le rapporteur, cet article 13 du projet marque incontestablement une avancée démocratique importante, qui doit permettre au Parlement d’être informé et de contrôler la mise en œuvre des opérations extérieures.
Il faut, bien sûr, un système équilibré. Deux impératifs doivent être conciliés : d’une part, l’efficacité des opérations militaires que nous devons réaliser ainsi que la protection des hommes et des femmes qui les mènent ;…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. … d’autre part, la nécessité, reconnue dans cet article 13, du contrôle parlementaire sur des opérations qui engagent notre pays.
Le Gouvernement a été à l’écoute du Parlement en première lecture. Les délais initialement prévus ont été réduits en ce qui concerne tant l’information du Parlement que la demande de son autorisation. Je pense sincèrement que l’équilibre qui a été trouvé est plutôt satisfaisant et correspond à la fois à une meilleure information du Parlement et, naturellement, à la protection du sort de nos soldats engagés à l’extérieur.
Cet équilibre ayant été trouvé en première lecture, le Gouvernement est défavorable à l’ensemble des amendements.
M. le président. La parole est à M. Didier Boulaud, pour explication de vote.
M. Didier Boulaud. Monsieur le président de la commission des lois, c’est vrai, nous demandons toujours plus, et nous avons bien raison !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non !
M. Didier Boulaud. Je rappellerai simplement le débat qui s’est déroulé dans cet hémicycle sur la constitution de la délégation parlementaire au renseignement, dont nous faisons partie, vous et moi.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Et dont je ne parle pas !
M. Didier Boulaud. En l’espèce, on aurait été bien inspiré de nous écouter et de demander plus !
Depuis six mois que cette délégation existe, permettez-moi de le dire, elle vivote !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. On n’est pas censé parler de ce qui est fait par cette délégation !
M. Didier Boulaud. Si l’on avait été un peu plus ambitieux lors de sa création, il est probable qu’elle serait un peu plus efficiente !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il est du devoir des membres de la délégation de ne pas s’exprimer sur ce qu’elle fait.
M. Alain Gournac. C’est un engagement qui a été pris !
M. Didier Boulaud. J’ai seulement dit qu’elle ne faisait rien. Elle dort !
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, pour explication de vote.
M. Jean-Luc Mélenchon. Je suis vraiment désolé de contrarier M. le rapporteur : je n’ai pas l’intention de faire durer le débat, mais il me semble utile de l’éclairer sur un point, ainsi que tous nos collègues.
Certes, nous formulons des propositions que nous avons déjà formulées en première lecture, mais, entre-temps, nos principes n’ont pas changé : nous sommes donc fondés à intervenir sur une question qui nous paraît principielle. Je pense qu’il ne se trouvera pas ici un seul de nos collègues pour affirmer que la question de la vie et de la mort, qui est sous-jacente dans toute intervention militaire, n’est pas d’ordre principiel. Par conséquent, il est légitime que nous nous y attachions et que nous insistions.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Jusqu’à présent, le Parlement n’était pas informé !
M. Jean-Luc Mélenchon. On ne peut pas, sur une telle question, parler d’« avancée ».
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Si !
M. Jean-Luc Mélenchon. Nous ne négocions pas ! Le peuple est souverain. Il est un et indivisible, sa représentation de même. On se conforme aux principes que l’on défend ou on ne s’y conforme pas.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Quand même !
M. Jean-Luc Mélenchon. Pour nous qui sommes les héritiers lointains du texte de Jean Jaurès sur l’armée nouvelle (M. le rapporteur s’exclame), quelle que soit la forme de l’armée, y compris quand elle est professionnelle, elle est le peuple en armes. Par conséquent, la légitimité de l’intervention de la force, c’est la démocratie et cette légitimité est acquise dès lors qu’elle est l’expression du souverain, à savoir le peuple. Voilà pourquoi nous y attachons autant d’importance et d’intérêt.
Vous pourriez dire que le Président de la République, quand il prend la décision, est aussi l’expression de la souveraineté du peuple.
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
M. Jean-Luc Mélenchon. Oui, mais le pouvoir réside dans le Parlement, et lorsque vous vous présentez devant lui quatre mois après avoir engagé des troupes, il n’est pas vrai que sa décision est libre…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est la fonction exécutive !
M. Jean-Luc Mélenchon. …parce que le Parlement est composé de parlementaires responsables, qui savent que la présence des troupes sur le terrain modifie les conditions dans lesquelles la décision peut être prise, vous le savez comme moi. Regardez nos amis américains, qui ont fait la sottise d’aller en Irak malgré l’avis que la France avait exprimé avec beaucoup de prescience. Maintenant, même ceux qui étaient opposés à la guerre d’Irak savent bien que l’on ne peut pas retirer les troupes comme cela, parce qu’il s’agit d’une guerre et que l’on ne se retire pas d’un conflit du jour au lendemain.
Par conséquent, monsieur le secrétaire d’État, ce n’est pas vrai que l’on améliore l’information du Parlement. (M. le secrétaire d’État manifeste son désaccord.) Le Parlement n’a pas à être informé : il doit décider.
MM. Jean-Jacques Hyest, rapporteur, et Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Avant, on le consultait quand ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Voilà un des faux-semblants de cette réforme : on donne le sentiment que l’on améliore l’autorité du Parlement parce qu’on le consultera quatre mois après avoir engagé des troupes. Mais il s’en passe des choses en quatre mois ! Oui, on peut dire que c’est une information, mais ce n’est plus une décision.
Donc, a contrario, l’introduction dans la Constitution d’une disposition ainsi rédigée signifie que le Parlement est dessaisi de la décision de faire intervenir des troupes.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est incroyable d’entendre cela !
M. Jean-Luc Mélenchon. Auparavant, il y avait un flou, un vide, qui faisait que l’on pouvait imputer telle ou telle caractéristique du chef de l’État qui procédait ou ne procédait pas à cette consultation.
Et ne me dites pas que démocratie et efficacité militaires sont contraires ! Deux exemples prouvent l’inverse.
Premièrement, pour ce qui est de la France, la Grande Guerre de 1914-1918 a été intégralement soumise au contrôle du Parlement, qui se réunissait en comité secret. Cela ne nous a pas empêchés de la gagner !
Deuxièmement, le Parlement a pu délibérer de l’envoi des troupes pour la première guerre du Golfe – j’en parle de façon d’autant plus détendue que je ne l’ai pas voté – la veille du commencement des hostilités.
Par conséquent, l’argument selon lequel la démocratie parlementaire serait inconciliable avec la nécessité de la rapidité de la décision et de son efficacité ne tient pas ! C’est un choix délibéré que nous analysons comme un renforcement de la monocratie qui, dorénavant, sera consolidée par cette disposition que l’on introduit dans la Constitution. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. le président. Je mets aux voix l'article 13.
(L'article 13 est adopté.)
Article additionnel après l'article 13
M. le président. L'amendement n° 115, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 13, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
... - Le premier alinéa de l'article 38 de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Une telle autorisation est exclue dès lors que les mesures envisagées sont relatives aux garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ».
La parole est à Mme Gisèle Printz.
Mme Gisèle Printz. En première lecture, le Sénat a adopté sans modification l’article 13 bis, introduit dans le projet de loi constitutionnelle par l’Assemblée nationale, sur proposition du rapporteur de la commission des lois. Cet article qui tend à imposer la ratification expresse des ordonnances prises en vertu de l’article 38 de la Constitution.
Il s’agit d’une avancée importante, mais insuffisante. Elle risque même d’être contre-productive dans la mesure où le Gouvernement sera conduit à amplifier la pratique de la ratification par voie d’amendements. La ratification sera bien expresse, mais elle interviendra dans n’importe quel véhicule législatif, alors que la ratification d’ordonnances devrait donner lieu au dépôt de textes spécifiques.
En clair, le présent projet de loi constitutionnelle ne changera rien au recours périodique aux ordonnances tel qu’on le connaît aujourd’hui.
Le rapporteur de la commission des lois du Sénat avait déclaré en première lecture qu’il n’aimait pas spécialement le recours aux ordonnances.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je le confirme !
Mme Gisèle Printz. Il a rappelé que le Sénat l’avait refusé à propos de certains sujets fondamentaux tels que les prescriptions en matière civile.
Nous partageons cet état d’esprit et nous proposons même de l’élever en principe constitutionnel.
Si nous sommes opposés à la suppression de l’article 38 de la Constitution, nous sommes encore plus résolus à penser qu’il est nécessaire de limiter le champ d’intervention des ordonnances en excluant le recours à cette facilité lorsqu’elles concernent la compétence normative du Parlement qui a trait à la protection des droits et libertés des citoyens.
Cet amendement, qui vise à compléter le texte adopté par l’Assemblée nationale, nous permettrait d’agir préventivement afin de renforcer notre droit positif.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission émet le même avis défavorable qu’en première lecture.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 115.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 14
L'article 39 de la Constitution est ainsi modifié :
1° Dans la dernière phrase du dernier alinéa, les mots : « et les projets de loi relatifs aux instances représentatives des Français établis hors de France » sont supprimés ;
2° Sont ajoutés trois alinéas ainsi rédigés :
« La présentation des projets de loi déposés devant l'Assemblée nationale ou le Sénat répond aux conditions fixées par une loi organique.
« Les projets de loi ne peuvent être inscrits à l'ordre du jour si la Conférence des présidents de la première assemblée saisie constate que les règles fixées par la loi organique sont méconnues. En cas de désaccord entre la Conférence des présidents et le Gouvernement, le président de l'assemblée intéressée ou le Premier ministre peut saisir le Conseil constitutionnel qui statue dans un délai de huit jours.
« Dans les conditions prévues par la loi, le président d'une assemblée peut soumettre pour avis au Conseil d'État, avant son examen en commission, une proposition de loi déposée par l'un des membres de cette assemblée, sauf si ce dernier s'y oppose. »
M. le président. L'amendement n° 116, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant le 1° de cet article, insérer deux alinéas ainsi rédigés :
...° Après la première phrase du deuxième alinéa, il est inséré une phrase ainsi rédigée :
« Les avis du Conseil d'État sur les projets de loi sont rendus publics après leur adoption en conseil des ministres. »
La parole est à M. Bernard Frimat.
M. Bernard Frimat. Cet amendement concerne un problème que nous avons déjà évoqué en première lecture – c’est le propre de la deuxième lecture que d’amener à revenir sur des thèmes déjà abordés lors de la première lecture –, celui de la publicité des avis du Conseil d’État.
Nous savons tous que le secret qui entoure les avis émis sur les projets de loi par le Conseil d’État, en tant que conseiller du Gouvernement, est des plus relatifs puisque nombre de nos collègues bénéficient en fait de la possibilité d’en prendre connaissance.
Alors que le Sénat avait, quant à lui, considéré que le Conseil d’État devait conseiller uniquement le Gouvernement, l’Assemblée nationale a réintroduit l’idée selon laquelle il pourrait conseiller aussi le Parlement puisque le président de l’assemblée concernée aura la faculté de lui soumettre pour avis des propositions de loi.
Mais qui sera destinataire de cet avis ? L’auteur de la proposition de loi ? Sera-t-il alors censé le garder secret ou pourra-t-il le rendre public ? Dans ce dernier cas, il y aurait, d’un côté des avis rendus publics sur les propositions de loi et, de l’autre, des avis faussement secrets sur les projets de loi. Il serait beaucoup plus simple de mettre le droit en rapport avec la réalité et de rendre ces avis publics.
On nous a dit, en première lecture, que cela pouvait entraîner des controverses. Mais maintenir le secret uniquement sur les avis concernant les projets de loi risquerait de faire naître la confusion. C’est pourquoi nous proposons de faire ce pas vers la simplicité.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous avions effectivement supprimé, en première lecture, la disposition permettant – car il s’agit d’une simple faculté – que le Conseil d’État donne des avis sur les propositions de loi. L’Assemblée nationale l’a rétablie, en précisant toutefois que l’auteur de la proposition de loi peut s’y opposer, faute de quoi il risquerait de considérer que sa proposition n’est soumise au Conseil d’État que parce qu’on n’en veut pas.
L’équilibre qui a été trouvé à l’Assemblée nationale nous a semblé satisfaisant. Personnellement, en première lecture, j’y étais favorable.
Cela étant, M. Frimat traite d’un autre sujet puisqu’il évoque les avis du Conseil d’État sur les projets de loi. Or il n’est pas question d’inscrire dans la Constitution que les avis du Conseil d’État sur les projets de loi seront rendus publics ou non. Il y aura une loi : nous pourrons en rediscuter. C’est d’ailleurs une question qui est soulevée en permanence. En général, l’opposition est informée des avis du Conseil d’État avant la majorité ; c’est un état de fait. Quelquefois, nous avons connaissance de l’avis du Conseil d’État par des collègues de l’opposition qui bénéficient de réseaux. Tant mieux !
M. Jean-Pierre Fourcade. C’est dans Libération !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela étant, nous préférons quand même être dans la majorité plutôt que dans l’opposition !
Quoi qu’il en soit, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Monsieur Frimat, le Gouvernement partage votre préoccupation d’améliorer la qualité de la législation. Telle est la raison pour laquelle l’article 14 prévoit la possibilité, pour le Parlement, de saisir pour avis le Conseil d’État d’une proposition de loi.
En revanche, le Gouvernement ne partage pas votre position pour ce qui concerne la publicité des avis rendus par le Conseil d’État. L’avis appartient à celui à qui il est rendu. Il faut, me semble-t-il, laisser chaque destinataire libre de lui donner la publicité qu’il souhaite. En particulier, il est préférable de ne pas obliger le Gouvernement à rendre publics les avis du Conseil d’État. C’est, nous le savons bien, un des facteurs de la liberté dont le Conseil d’État sait faire preuve à l’égard du Gouvernement. Il est plus facile de faire au Gouvernement toutes les observations qui lui paraissent utiles si ces avis conservent un caractère confidentiel. Il serait dommage de risquer de mettre à mal cette liberté. Le fait que l’avis soit rendu public avant ou après le passage du projet en conseil des ministres est sans incidence à cet égard.
Monsieur Frimat, voilà pourquoi je souhaite le retrait de cet amendement. À défaut, le Gouvernement en demandera le rejet.
M. le président. Monsieur Frimat, l’amendement n° 116 est-il maintenu ?
M. Bernard Frimat. Je le maintiens. Les amis de M. Karoutchi se chargeront de le rejeter ! (Sourires sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Chacun son boulot !
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Évidemment, comme il s’agit de la deuxième lecture, vous ne voulez pas qu’il y ait la moindre modification.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est la même chose qu’en première lecture !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et pourtant, tout le monde estime normal que les avis du Conseil d’État sur les projets de loi soient rendus publics.
Vous dites que tout le monde les connaît. Je ne sais pas comment ceux qui les connaissent font pour les connaître mais, moi, je ne les connais pas !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Demandez à M. Badinter !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il y aurait des réseaux, nous dites-vous ! S’il y a des réseaux et si tout le monde peut connaître ces avis, autant ne pas être hypocrite !
Si vous aviez accepté des propositions telles que celle-ci, aussi logiques que celle-ci, vous auriez peut-être rendu plus acceptable l’ensemble du projet de loi constitutionnelle, nous aurions pu être séduits par cette réforme. Mais vous ne voulez rien changer ! Vous allez même jusqu’à enlever des droits au Parlement tout en affirmant le contraire ! Là où tout le monde devrait être d’accord, vous ne l’êtes pas ! Vous pouvez être fiers de vous en adoptant une telle attitude… Pour notre part, nous maintenons notre position.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L'amendement n° 117, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Supprimer les deuxième et troisième alinéas du 2° de cet article.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Permettez-moi, monsieur le président, mes chers collègues, de rappeler les termes des deuxième et troisième alinéas du 2° de l’article 14 :
*« La présentation des projets de loi déposés devant l’Assemblée nationale ou le Sénat répond aux conditions fixées par une loi organique.
« Les projets de loi ne peuvent être inscrits à l’ordre du jour si la Conférence des présidents de la première assemblée saisie constate que les règles fixées par la loi organique sont méconnues ».
Derrière cette rédaction, se cache une idée qui doit, à notre avis, rejoindre le cimetière des fausses bonnes idées. Elle avait été défendue avec force par l’ancien vice-président du Conseil d’État, notamment au cours d’une réunion à laquelle il nous avait conviés. Il s’agit de prévoir qu’une étude d’impact doit être présentée avant le dépôt d’un projet de loi, ou même que celui-ci ne peut être déposé devant le Parlement que s’il a donné lieu préalablement à une étude d’impact. Cette idée magnifique recueille l’assentiment de brillants esprits, mais nous ne faisons pas partie de ceux qui l’approuvent. En effet, il suffit de considérer les choses très concrètement pour examiner les conséquences d’une telle mesure.
Prenons, mes chers collègues, l’exemple de ce projet de loi constitutionnelle. Certains membres des ministères concernés devraient établir une étude sur l’impact présumé des dispositions inscrites dans ce projet de loi constitutionnelle. Ainsi, les ministères seraient conduits à élaborer des textes qui entreraient nécessairement dans le débat politique. Or l’impact de telle ou telle mesure, c’est justement l’objet du débat politique. Croire qu’il pourrait y avoir, préalablement au débat politique, une sorte d’étude « objective » qui détaillerait l’impact prévisible des mesures proposées dans ledit projet de loi relève de la pure illusion !
Ma démonstration vaut pour pratiquement tous les projets de loi, mais permettez-moi de citer également, monsieur le président, le projet de loi relatif aux organismes génétiquement modifiés. Imaginez l’étude d’impact réalisée par le ministère chargé du sujet.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Celui de Borloo !
M. Jean-Pierre Sueur. Quelle que soit la qualité de ladite étude, le débat parlementaire commencerait par la contestation vigoureuse de ses assertions et de ses conclusions. Sur un tel sujet, c’est d’emblée tout le débat qui est politique, et notre rôle est précisément de l’engager.
En revanche, il serait bien utile de doter le Parlement de moyens supplémentaires pour procéder aux évaluations nécessaires. Nous sommes d’accord pour que le Gouvernement et les groupes parlementaires puissent recourir à leur expertise propre, mais l’idée d’ajouter une étude d’impact censée être neutre est une pure utopie.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 16, présenté par M. Vasselle, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le deuxième alinéa du 2° de cet article :
« La présentation des projets de loi déposés devant l'Assemblée nationale ou le Sénat comporte une étude d'impact et répond aux conditions fixées par une loi organique.
Cet amendement n'est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 117 ?