M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission l’a déjà expliqué, il lui semble intéressant que la loi organique détermine les documents qui devront accompagner un projet de loi. L’étude d’impact est l’un des éléments de travail qui ont été cités, mais ce n’est pas le seul. Il peut tout aussi bien s’agir d’une évaluation de la loi précédente, des rapports rédigés par tel organisme, telle commission ou tel groupe de travail qui auront été saisis.
La commission est défavorable à cet amendement parce qu’elle considère que les projets de loi doivent être accompagnés d’un certain nombre d’éléments propres à éclairer le Parlement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Voilà une réponse qui manque d’impact ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Le Gouvernement ne peut rejoindre les auteurs de cet amendement, car il partage pleinement le souci exprimé par l'Assemblée nationale d’améliorer la qualité de la législation.
Comme l’avait d’ailleurs relevé le Conseil d’État, de nombreuses circulaires ont été prises en la matière depuis plusieurs années, mais sans succès véritable. Une loi organique pourra notamment obliger le Gouvernement à accompagner les projets de loi de véritables études d’impact. Il s’agit simplement de prévoir des règles de meilleure qualité pour préparer la loi.
Dans ces conditions, je vous demande, monsieur le sénateur, de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, le Gouvernement émettra un avis défavorable.
M. le président. L'amendement n° 118, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Supprimer le dernier alinéa du 2° de cet article.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Le dernier alinéa du 2° de l'article 14 permet au président de chacune des deux assemblées de soumettre au Conseil d'État des propositions de loi avant leur examen en commission, dans les conditions prévues par la loi, sauf si l'auteur de la proposition de loi s'y oppose.
En première lecture, le Sénat avait supprimé cette disposition. Si vous étiez cohérents, mes chers collègues, et si l’impératif du vote conforme ne sévissait pas, vous devriez voter notre amendement.
Les objections émises en première lecture par le Sénat sont toujours pertinentes et justifient la demande de suppression de cette disposition, dont la portée a certes été amoindrie au cours de la navette puisque la demande d'avis sera facultative, au gré de la volonté non seulement du président de l'assemblée, mais aussi de l'auteur de la proposition.
Quoi qu’il en soit, cette disposition relève d’une grave confusion.
C’est une banalité de le rappeler, le Conseil d'État a deux fonctions : une fonction juridictionnelle et une fonction de conseil auprès du Gouvernement. À ce titre, il n’a donc pas à être le conseiller du Parlement. C’est confondre les genres que de solliciter l’avis du Conseil d’État sur une proposition de loi qui relève de la seule initiative du Parlement.
La confusion tient donc d’abord au fait que l’on méconnaît la différence entre l’exécutif et le législatif. Au demeurant, M. le président de la République a, à cet égard, donné cet après-midi une belle leçon de confusion ! L’exemple vient de haut, certes, mais, à tout prendre, nous sommes désolés de constater que la confusion dans ce domaine progresse de cette manière…
La confusion vient aussi de ce que, dans l’intervalle de quelques jours, le Sénat aura adopté des positions radicalement différentes. Où est donc sa crédibilité ?
En tout état de cause, nous ne jugeons pas de bonne politique de demander l’avis du Conseil d’État sur les propositions de loi, tout en rappelant que, selon nous, il convient que les avis du Conseil d’État sur les projets de loi soient rendus publics, ne serait-ce que pour respecter le principe d’égalité, puisque certains en ont connaissance cependant que d’autres demeurent dans l’ignorance.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Manifestement, notre collègue Jean-Pierre Sueur n’a pas compris ce qu’était la navette !
M. Robert Bret. Surtout avec un vote conforme !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Si nous adoptons les mêmes positions qu’en première lecture, il n’y aura jamais d’accord ! (M. Jean-Pierre Sueur s’exclame.)
Le fait de soumettre une proposition de loi à l’avis du Conseil d’État n’est qu’une simple faculté souhaitée par les députés. De plus, à la demande des députés de l’opposition, l’auteur de la proposition de loi peut le refuser, pour éviter toute pression des présidents des assemblées.
Après avoir lu avec attention les débats de l'Assemblée nationale et dialogué avec mon collègue rapporteur, cette disposition ne m’a pas paru constituer l’un des motifs d’opposition du Sénat pour parvenir à un accord entre nos deux assemblées.
M. Robert Bret. C’est regrettable !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est pourquoi la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. Robert Bret. La commission mixte paritaire a déjà eu lieu ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. J’ai parlé de « dialogue », mon cher collègue ! Nous continuons le dialogue !
M. Robert Bret. Un dialogue interne à la majorité !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Par cet amendement, il est proposé de supprimer la possibilité pour le Parlement de solliciter, par l’intermédiaire du président d’une assemblée, l’examen d’une proposition de loi par le Conseil d’État.
Il s’agit simplement de permettre au Parlement de solliciter une expertise juridique complémentaire, qui ne peut être que bénéfique au renforcement de la sécurité juridique et à l’amélioration de la qualité de la législation. Cette décision est cohérente avec le renforcement des pouvoirs du Parlement et notamment avec la place plus grande qui sera donnée aux propositions de loi dans le partage de l’ordre du jour.
En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a adopté avec l’accord du Gouvernement, j’y insiste, un sous-amendement socialiste prévoyant expressément que la saisine du Conseil d’État ne pourrait avoir lieu qu’avec l’autorisation de l’auteur de la proposition de loi. Il s’agit donc bien là d’une simple faculté mise à la disposition du Parlement si le président de l’assemblée et l’auteur de la proposition de loi le souhaitent, et uniquement dans ce cas.
Dans ces conditions, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C’est quand même incroyable !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est vous qui êtes incroyable !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous nous donnez des leçons sur la navette. Normalement, celle-ci doit se poursuivre jusqu’à l’obtention d’un accord entre les deux assemblées.
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Il va y avoir accord !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. On va y arriver !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cela ne veut pas dire que l’on doit systématiquement refuser tout amendement, au motif que l’on veut obtenir un vote conforme.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n’est pas ce que j’ai dit !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Peut-être, mais c’est pourtant exactement ce que vous faites !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je m’en suis déjà expliqué hier, mais vous n’étiez pas là, monsieur Dreyfus-Schmidt. Vous n’avez rien compris au dialogue que nous avons engagé avec l’Assemblée nationale !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, M. le président de la commission des lois a l’habitude d’interrompre les orateurs !
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Vous aussi, monsieur Dreyfus-Schmidt !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Et encore plus que moi !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Résultat : vous n’acceptez aucun amendement. Vous venez encore de refuser que l’avis du Conseil d’État soit rendu public.
En revanche, vous voulez que le président d’une assemblée puisse soumettre pour avis au Conseil d’État, avant son examen en commission, une proposition de loi déposée par l’un des membres de cette assemblée, sauf si ce dernier s’y oppose. C’est une inégalité, car les membres de l’opposition pourraient s’y opposer, alors que ceux de la majorité, évidemment, l’accepteraient.
Ce n’est absolument pas acceptable, mais peu importe ! Puisque cela a été voté, il faut le conserver ! C’est comme ça !
Nous le déplorons vivement et, bien évidemment, pour ce qui nous concerne, nous voterons l’amendement n° 118.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, je n’avais pas prévu d’expliquer mon vote. Mais, ayant entendu la leçon de M. le président de la commission des lois sur la navette que nous aurions mal comprise, je me permets quelques observations.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Vous êtes même opposé aux amendements socialistes de l’Assemblée nationale !
M. Jean-Pierre Sueur. Je vous répondrai aussi sur ce point, monsieur le président de la commission des lois, puisque vous avez bien voulu m’interrompre, ce dont, moi, je vous remercie ! (Sourires.)
Je soulignerai tout d’abord que, lors de la première lecture, d’éminents collègues de notre assemblée, MM. Patrice Gélard et Jean-René Lecerf, ont tenu des propos tout à fait remarquables sur ce sujet.
En présentant leur amendement commun, M. Jean-René Lecerf a déclaré : « le Conseil d’État, qui est d’abord le conseiller du Gouvernement, n’a pas vocation à devenir celui du Parlement. De surcroît, il risquerait de se transformer progressivement en une nouvelle chambre dont les avis deviendraient rapidement incontournables. [...] le Parlement doit être laissé libre de choisir ses experts en fonction des différents textes qui lui sont soumis et qu’aucun monopole, ni même aucune priorité, ne devrait être réservé au Conseil d’État. »
Vous constaterez que je cite les bons auteurs !
J’en viens à la navette.
Monsieur le président de la commission des lois, le groupe socialiste du Sénat a le droit d’avoir une position différente de celle du groupe socialiste de l’Assemblée nationale. Vous le savez, le parti socialiste est très pluraliste…
M. Dominique Braye. Oh oui !
M. Jean-Pierre Sueur. … et les points de vue s’expriment librement en son sein ! (Rires et exclamations sur les travées de l’UMP.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est l’hôpital qui se moque de la charité !
M. Jean-Pierre Sueur. C’est d’ailleurs quelque chose que vous aurez du mal à contester, mes chers collègues !
Par ailleurs, vous parlez d’accord, mais nous sentons bien la difficulté à laquelle nous nous heurtons. Vous avez décidé que cette lecture du texte serait la dernière – il n’y aura donc qu’une navette – et que le texte devait donc être adopté conforme en raison de la tenue du Congrès lundi prochain. Dès lors, les conditions dans lesquelles nous travaillons sont telles que la rédaction finalement adoptée sera loin du niveau que l’on pourrait attendre d’un texte aussi important que la Constitution !
Tout à l'heure, il a été question des propositions de résolution, dont l’examen est subordonné à l’avis du Gouvernement. Eh bien, plusieurs collègues de la majorité m’ont confié dans la salle des Conférences : « Vous avez tout à fait raison, mais nous ne pouvons rien faire puisque la décision a été prise d’obtenir un vote conforme. » Tout le monde sait cela !
Nous aurions pu également poursuivre la discussion sur cette affaire d’avis du Conseil d’État. Et il en est de même pour bien d’autres sujets !
Je regrette vraiment que, sur un débat aussi fondamental, on ne prenne pas davantage de temps.
Monsieur le président Hyest, vous nous parlez de vos négociations, de vos discussions.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. J’ai parlé de dialogue avec l’Assemblée nationale !
M. Jean-Pierre Sueur. Mais dialogue entre qui et qui ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Entre rapporteurs, évidemment !
M. Jean-Pierre Sueur. « Évidemment », dites-vous. Mais je veux mettre les points sur les i !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est toujours comme ça !
M. Jean-Pierre Sueur. C’est peut-être toujours comme ça, mais ce dialogue n’a lieu qu’entre le groupe UMP de l’Assemblée nationale et le groupe UMP du Sénat !
En revanche, lors de la tenue d’une commission mixte paritaire, les représentants de l’opposition sont invités à participer au débat, et c’est normal !
M. Robert Bret. Ce n’est pas leur conception du débat démocratique !
M. Jean-Pierre Sueur. Selon la conception qui est la vôtre, la fixation de ce qui doit être le droit et l’écriture de la nouvelle Constitution se décide lors de réunions du groupe majoritaire qui se tiennent ici, à l’Assemblée nationale, à Matignon, à l’Élysée... Telle n’est pas notre conception !
À l’heure où M. le Président de la République nous fait un certain nombre de propositions ou d’observations par le biais d’un entretien accordé au Monde – et je vois que plusieurs collègues sont, en ce moment même, absorbés par la lecture de ce journal –, nous pouvons constater que la méthode d’élaboration de ce texte est totalement contraire aux déclarations en question ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf, pour explication de vote.
M. Jean-René Lecerf. Effectivement, je pourrais me sentir quelque peu mal à l’aise puisque, voilà moins d’un mois, je faisais adopter à la quasi-unanimité le même amendement de suppression, avec le renfort de mes collègues Gérard Longuet et Jean-Pierre Raffarin.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ils ne sont pas là !
M. Jean-Pierre Fourcade. J’avais voté contre !
M. Jean-René Lecerf. Effectivement, quelques collègues avaient voté contre, mais ils se comptent sur les doigts d’une seule main, et encore suis-je généreux !
Sur ce sujet comme sur d’autres, en un mois, je n’ai évidemment pas changé d’opinion. Je continue de considérer que cet avis du Conseil d’État sur les propositions de loi est au mieux inutile, au pis regrettable.
De même, je continue de penser que le fait de rendre public un avis du Conseil d’État sur les projets de loi constituerait une avancée et épargnerait aux rapporteurs cette espèce chasse au trésor qui consiste à se procurer ledit avis. Ils finissent toujours par l’obtenir, mais au prix d’une dommageable perte de temps !
De même, je considère qu’il s’agit à tout le moins d’une maladresse, mais plus vraisemblablement d’une erreur, de prévoir dans la Constitution que les ministres reprendront immédiatement leur fonction de parlementaire, éjectant ainsi leur suppléant !
M. Jean-René Lecerf. Mon avis est resté le même sur tous ces sujets. J’essaie seulement de les mettre en regard, d’une part, du renforcement des pouvoirs du Parlement,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il n’y en a pas !
M. Jean-René Lecerf. … et, d’autre part, des pouvoirs nouveaux qui sont donnés aux citoyens, notamment à travers l’institution de l’exception d’inconstitutionnalité. C’est pourquoi, bien que je n’aie pas changé d’avis, je voterai différemment. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 14.
(L'article 14 est adopté.)
Articles additionnels après l'article 14
M. le président. L'amendement n° 58 rectifié, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Après l'article 14, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 40 de la Constitution est abrogé.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je sais bien que nous sommes dans une procédure de navette accélérée, laquelle constitue d’ailleurs, pour le coup, une nouveauté ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Alain Gournac. Pas très accélérée, quand même !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est une pratique nouvelle, même si cela ne figure pas dans la future révision constitutionnelle. Et la procédure est bien accélérée puisque vous n’acceptez aucun amendement !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Si vous trouvez que le rythme est accéléré, ce n’est pas notre avis !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On peut examiner les aspects positifs et négatifs de cette réforme, mais il n’en reste pas moins vrai que certains sujets sont très importants. Or, avec la méthode retenue, on aboutit à des réformes totalement surréalistes, qui ne correspondent pas du tout à l’esprit de nos institutions. Il en est ainsi de la possibilité de soumettre pour avis des propositions de loi déposées au Conseil d’État, de subordonner les propositions de résolution à l’avis du Gouvernement, etc. Ces réformes-là sont quand même des « ovnis constitutionnels » !
Souvenez-vous : nous avons eu un débat très important sur l’article 40 de la Constitution. Sa suppression fut repoussée à quelques voix près par notre assemblée. Compte tenu de la configuration de notre assemblée, cela signifie que des membres de la majorité UMP – je ne sais plus qui – étaient favorables à cette suppression. Cela vaut donc la peine que nous en discutions plus avant.
L’article 40 de la Constitution empêche toute initiative parlementaire engendrant des dépenses nouvelles. Or il est appliqué de manière sans cesse plus restrictive.
Au Sénat, jusqu’à une époque encore récente, l’article 40 n’était invoqué, si nécessaire, qu’après la présentation de l’amendement en séance publique. C’était, somme toute, relativement démocratique. Cela s’expliquait, tout le monde l’avait bien compris, par l’impossibilité pour le Sénat de renverser le Gouvernement. Depuis l’année dernière, bien que le Sénat n’ait toujours pas la possibilité de renverser le Gouvernement, sous la ferme impulsion de M. Arthuis, le Sénat décidait d’appliquer strictement, excessivement même, comme à l’Assemblée nationale, l’article 40. Ainsi, les amendements jugés trop dépensiers sont-ils déclarés irrecevables par la commission des finances avant même leur dépôt au service de la séance.
Tout dernièrement, dans le cadre du projet de loi de modernisation de l’économie, un amendement déposé non seulement par le groupe communiste républicain et citoyen, mais aussi par le groupe socialiste, visant à obliger les opérateurs privés de téléphonie mobile à créer des tarifs adaptés aux plus défavorisés, a été « retoqué » par la commission des finances, car cette dernière supputait qu’en cas de refus des opérateurs ce serait à l’État d’intervenir. Cela laisse présager ce que sera l’avis préalable du Gouvernement sur une proposition de résolution !
Ce cas extrême montre bien jusqu’où peut aller une interprétation extensive, sans limite, de l’article 40.
M. Arthuis, président de la commission des finances, serait-il le Dr Jekyll et Mr Hyde du droit d’amendement ? (Sourires sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.) Il a en effet lui-même proposé, en première lecture, de manière selon moi très judicieuse, la suppression de l’article 40 de la Constitution, au nom d’une amélioration des prérogatives parlementaires en matière budgétaire – il avait même parlé de « maturité parlementaire » ! –, alors que c’est lui qui organise la chasse à l’amendement dépensier depuis plusieurs mois. Comprenne qui pourra !
S’il est un symbole de la primauté de l’exécutif sur le Parlement, c’est bien celui-là : en juillet 2007, le Gouvernement de M. Fillon prélève plusieurs millions d’euros au profit des plus aisés, dans le cadre de la loi TEPA, alors qu’un parlementaire ne peut même pas proposer 100 euros de dépenses publiques,...
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Mais si !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ... même compensées par des ressources nouvelles. Là, on mesure bien l’équilibre entre les droits du Parlement et ceux de l’exécutif !
Ceux qui souhaitent réellement revaloriser le rôle du Parlement – puisqu’il n’est question que de cela du côté de la majorité et du Gouvernement ! – peuvent adopter notre amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous avions débattu de ce sujet pendant près d’une soirée entière en première lecture. La commission confirme l’avis défavorable qu’elle avait alors émis sur des amendements ayant le même objet.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Fourcade. À mon sens, la suppression de l’article 40 de la Constitution a évidemment une portée symbolique. De ce point de vue, Mme la présidente du groupe CRC, a longuement défendu le retour à la « maturité du Parlement ».
Toutefois, l’article 40, que le Sénat applique enfin de manière correcte, depuis une intervention du Conseil constitutionnel – je m’en félicite, car l’interprétation qui en était précédemment faite ici me paraissait un peu trop laxiste –, est un élément important de la vie parlementaire.
Au moment où nous avons les plus grandes difficultés à convaincre nos partenaires de l’Eurogroupe et de l’Union européenne que nous faisons des progrès sur la voie de la sagesse financière, la suppression de l’article 40 de la Constitution nous ferait immanquablement passer pour des laxistes chroniques. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat proteste.)
C'est la raison pour laquelle je m’oppose à l’amendement n° 58 rectifié. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF.)
M. le président. L'amendement n° 22, présenté par M. Lambert, est ainsi libellé :
Après l'article 14, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article 40 de la Constitution, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. ... - Les dispositions fiscales dérogatoires qui ont pour conséquence une diminution des ressources publiques ou l'aggravation d'une charge publique sont abrogées dans un délai de trois ans à compter de leur entrée en application, à défaut de la présentation par le gouvernement au Parlement d'une évaluation de leur coût et de leur efficacité. »
La parole est à M. Alain Lambert.
M. Alain Lambert. Cet amendement avait déjà été présenté en première lecture. Toutefois, je n’avais pas eu la possibilité de prendre part à la discussion et j’ai été très frustré par les explications que j’ai pu lire dans le compte rendu de nos débats. C’est la raison pour laquelle je souhaitais avoir droit à une « épreuve de rattrapage ». (Sourires.)
Nous en sommes tous conscients, au rythme actuel, la dépense fiscale devient pratiquement aussi importante que la dépense budgétaire. Le seul moyen de remédier à cette situation, c’est d’éviter que la dépense fiscale ne puisse être votée ad vitam æternam. Le fait qu’elle soit votée pour une durée déterminée présenterait un immense avantage : si le Parlement veut la maintenir, il la vote de nouveau ; s’il ne veut pas la maintenir, il ne la vote pas, et l’exonération disparaît.
Cette formule est en outre respectueuse des contribuables puisqu’ils ont une visibilité sur l’avantage fiscal qui leur est proposé.
Certes, une telle disposition aurait peut-être plus sa place dans une loi organique que dans la Constitution.
Toutefois, si l’on m’apportait des assurances un peu plus encourageantes que celles qui ont été données précédemment, je pourrais éventuellement retirer cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Monsieur Lambert, je ne peux pas m’engager sur le contenu d’une éventuelle future loi organique, mais il est vrai qu’une telle disposition ne relève manifestement pas de la Constitution.
Cela dit, il y a tout de même un paradoxe dans votre proposition, mon cher collègue. En effet, à défaut de présentation par le Gouvernement au Parlement d’une évaluation, les dispositions fiscales dérogatoires pourraient être abrogées. Dès lors, si le Gouvernement estime qu’il ne s’agit pas d’une bonne mesure, il lui suffira de ne présenter aucune évaluation pour qu’elle soit abrogée. A contrario, il présentera une évaluation seulement s’il veut voir proroger la dérogation.
Cela étant, à mes yeux, nous ne devrions pas adopter de mesures indéfinies, dans le domaine fiscal comme dans les autres ; il serait préférable de définir dans la loi la durée d’application d’un dispositif, par exemple deux ans ou trois ans, pour l’évaluer à l’issue de cette période et, le cas échéant, le proroger. Cela me paraîtrait une façon moderne de procéder, tout particulièrement, c’est vrai, en matière fiscale.
Au demeurant, monsieur Lambert, vous avez opté pour cette formule en étant à l’origine de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, qui a constitué un progrès considérable et un véritable bouleversement de nos pratiques.
Nous devons nous habituer à prendre des mesures de cette manière, en songeant que nous serons peut-être amenés ensuite à les supprimer. Sinon, on crée, d’un côté, des taxes et, de l’autre, des niches fiscales, les unes comme les autres n’ayant, après quelques années, plus aucun sens parce qu’elles ne produisent pas ou plus les effets recherchés.
Quoi qu’il en soit, monsieur Lambert, et sous le bénéfice des explications que je viens de vous apporter – j’espère m’être montré plus convaincant qu’en première lecture –, la commission sollicite le retrait de votre amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, le Gouvernement partage naturellement vos préoccupations. Vous souhaitez qu’à défaut d’une évaluation de leur coût et de leur portée certaines dispositions fiscales dérogatoires soient abrogées au maximum trois ans à compter de leur entrée en vigueur.
Comme le Premier ministre le rappelait hier encore ici même, le Gouvernement souhaite réellement réduire le nombre des niches fiscales. La diminution de ces exonérations constitue évidemment un axe très important du rétablissement de l’équilibre de nos finances publiques, à un moment où nous en avons particulièrement besoin.
Pour autant, monsieur Lambert, et c’est sur ce point que nos analyses diffèrent, nous ne sommes pas favorables à l’inscription dans la Constitution de la règle que vous préconisez. C’est le Parlement qui vote les exonérations fiscales. Il ne faudrait pas donner au Gouvernement la possibilité de les remettre en cause du fait de sa seule inaction. D’ailleurs, comme vous l’admettez vous-même, cela ne serait pas conforme à l’équilibre de nos institutions.
En outre, les entreprises qui bénéficient d’exonérations fiscales utiles – je pense notamment à certaines dispositions destinées à favoriser la recherche – ne doivent pas être maintenues dans l’incertitude quant à la durée du dispositif dans lequel elles s’engagent, faute de quoi celui-ci pourrait se révéler inefficace.
Cela étant, monsieur le sénateur, le Premier ministre a été saisi de votre demande et il fera très prochainement des propositions en ce sens, même si cet amendement n’est pas adopté aujourd'hui.