M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l’Union européenne. Très bien !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. En outre, des discussions sur les brevets auront lieu, en tenant compte des diverses susceptibilités et sensibilités concernant les questions linguistiques. Nous devrons débattre très franchement avec nos partenaires espagnols et allemands – les premiers étant plus susceptibles que les seconds, peut-être ! – et préparer un plan d’action en matière de lutte contre la contrefaçon, ciblé sur la coopération opérationnelle.
La « riposte graduée » ne peut être imposée, mais doit être négociée avec les fournisseurs d’accès à Internet, conformément aux préconisations du rapport de M. Denis Olivennes. Je remercie ceux qui ont mené des actions pédagogiques en ce sens au Parlement européen, notamment M. Jacques Toubon.
Le paquet « télécoms » sera, par ailleurs, traité lors d’une réunion informelle des ministres de la culture et une contribution de la Commission sur le droit d’auteur est attendue pour l’automne. Nous espérons notamment qu’elle permettra d’allonger la durée des droits voisins.
S’agissant toujours des télécommunications, monsieur Émorine, nous sommes très prudents sur la question du régulateur unique, telle qu’elle est présentée par la Commission.
Nous souhaitons une ouverture des réseaux des opérateurs historiques, parce qu’une certaine libéralisation est nécessaire dans ce domaine et qu’il faut tenir compte des évolutions technologiques, et nous sommes favorables à une extension du service public universel à l’accès à Internet et au haut débit.
S’agissant maintenant des très importantes questions relatives au sport posées par M. Valade, il est vrai que la suspension du processus de ratification du traité de Lisbonne nous prive d’une base juridique pour agir, mais nous souhaitons néanmoins aborder cette thématique sous la présidence française.
Ainsi, leur rivalité sportive actuelle n’a pas empêché la France et les Pays-Bas de rédiger conjointement un mémorandum ! (Sourires.)
Ce mémorandum traduit deux conceptions différentes, mais nous sommes d’accord sur le fait qu’une double formation est nécessaire, ainsi qu’un véritable encadrement de la profession d’agent de joueurs. En effet, c’est la seule profession qui ne soit pas du tout encadrée à l’échelon européen !
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Exact !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Cela représente tout de même un problème.
Par ailleurs, nous devons réfléchir à la gestion des clubs. Nous avons d’ailleurs eu une réunion sur ce sujet à Nyon avec le président de l’Union européenne de football association, M. Michel Platini, et d’autres présidents de fédération. J’en parlerai avec mes collègues le 12 juillet prochain à Brest.
La question du « 6+5 » et d’une certaine réintroduction du critère de nationalité dans la composition des équipes est beaucoup plus délicate. Je le dis à l’adresse de M. Valade, qui est très attaché à un certain club… (Sourires.)
Au regard du droit communautaire, des arrêts rendus par la Cour de justice des Communautés européennes, des prises de position de la Commission européenne et du Parlement européen, les voies d’avancement sur ce sujet sont objectivement très restreintes, et ce quel que soit le jugement que l’on porte. Toutefois, sous la présidence française, nous nous efforcerons de répondre à vos préoccupations.
M. Emorine a raison de souligner que nous devons concilier les objectifs sous-tendus par le paquet « énergie-climat » et la nécessité de prendre en compte la compétitivité des entreprises européennes, en faisant en sorte d’inclure les importations dans le partage des quotas pour lutter contre les délocalisations. C’est un point important des accords franco-allemands que nous souhaitons développer sous la présidence française.
De même, nous voulons accroître les interconnexions est-ouest en matière énergétique en faisant davantage valoir la solidarité énergétique.
Comme M. de Montesquiou l’a indiqué, nous voulons mettre en œuvre les principales orientations du rapport Mandil en ce qui concerne la coopération avec la Russie – cela ne signifie pas que l’on soit d’accord sur tout ! –, pour parvenir à un équilibre entre l’énergie nucléaire et l’utilisation des énergies renouvelables, et pour garantir une efficacité énergétique.
MM. Emorine et de Montesquiou ont évoqué la politique agricole commune.
Lors du sommet de la FAO, Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, qui s’est tenu à Rome, la France a proposé de développer un partenariat pour l’alimentation mondiale et l’agriculture, en mettant l’accent sur la qualité alimentaire, l’équilibre des territoires et la sécurité alimentaire mondiale.
Pour en revenir au domaine social, M. Bret a évoqué la question du temps de travail.
L’accord sur le temps de travail auquel est parvenu le conseil des ministres européens de l’emploi n’est en rien un recul en matière de protection des travailleurs. Au contraire ! Auparavant, on pouvait travailler jusqu’à 78 heures par semaine, notamment en Grande-Bretagne. Or ce nouveau texte baisse ce plafond, bien que de manière insuffisante pour certains. Ainsi, le recours à la clause de l’opt-out au-delà de 48 heures est maintenant strictement encadré et soumis à des conditions.
En outre, ce texte, qui est enfin lié à un accord important sur la protection des travailleurs intérimaires, s’inscrit dans une perspective de progrès de l’Europe sociale. C’est le premier texte sur ce sujet issu des travaux des ministres européens de l’emploi qui sera débattu au Parlement européen. Il faut l’apprécier en dépit de ses insuffisances et en tenant compte du fait qu’il ne concerne absolument pas la durée légale du travail en France.
MM. Bret et Boulaud ont évoqué le pacte européen pour l’immigration.
La priorité de ce pacte n’est pas la lutte contre l’immigration illégale. Au demeurant, réguler les flux migratoires en Europe est même une nécessité.
D’ailleurs, l’Europe, quelles que soient les sensibilités des différents gouvernements, qu’ils soient socio-démocrates, libéraux ou conservateurs, n’a pas abordé de manière globale les questions migratoires.
En adoptant une approche globale, nous souhaitons élargir les perspectives et traiter tous les volets relatifs à l’immigration en y incluant les migrations économiques, l’asile – le point le plus difficile – et le développement.
La directive « retour », sujet grave évoqué notamment par Mme Boumediene-Thiery, ne fixe que des standards minimaux et n’oblige en aucun cas les États membres à diminuer leurs garanties.
M. Robert Bret. Encore heureux !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. On peut évidemment regretter, madame Boumediene-Thiery, que ces standards ne soient pas assez élevés. Mais il appartient au Parlement européen de se prononcer sur ce point. C’est ce qu’il fera demain. Toutefois je considère qu’il vaut mieux avancer un peu que pas du tout !
Auparavant, certains pays n’avaient pas mis en place une réglementation en la matière, n’avaient pas fixé de plafond et ne prenaient donc pas en compte le respect de la dignité.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Ce n’est pas une raison !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Il faut pourtant le redire !
Il est donc préférable que tous les pays privilégient le retour volontaire au retour forcé. Je dois préciser que sept pays prévoyaient une durée de rétention illimitée. Celle-ci sera désormais plafonnée, et rien n’empêche la France de maintenir son délai de trente-deux jours, le plus court d’Europe.
Enfin, cette directive « retour » n’est pas incluse dans le pacte proposé par la présidence française à ses partenaires, qui, lui, insiste sur les aspects de l’intégration et contribue à organiser l’immigration au sein de l’Union européenne. Car, comme je l’ai souligné dans mon intervention liminaire, nous sommes dans une situation de déficit démographique.
Sur la base des propositions que j’ai énumérées tout à l'heure, j’indique à MM. de Montesquiou et Boulaud que je ne reviendrai pas sur le fait que la politique sociale sera l’une des composantes très fortes de la présidence française. Nous chercherons à obtenir le maximum d’accords possibles en soulevant les thèmes les plus importants que sont le retour à l’emploi, l’inclusion sur le marché du travail, ainsi que la lutte contre les différentes formes de pauvreté, qui nous paraissent devoir être également mises en exergue.
MM. de Broissia et de Montesquiou ont parfaitement raison, il faut aussi mettre l’accent sur les PME. Nous avons œuvré pendant un an – c’est l’une de nos victoires, et pas la moindre ! – pour que chacun s’accorde à vouloir mettre en place un Small Business Act à l’européenne, qui permettrait de faire bénéficier les PME d’un traitement préférentiel. Nous sommes d’ailleurs parvenus, lundi dernier, à un accord avec l’Allemagne pour agir en commun dans ce domaine.
Sur les questions relatives à l’élargissement, la présidence française accordera une attention toute particulière à l’ARYM, l’ancienne République yougoslave de Macédoine. Il est encore trop tôt pour dire si ce pays, qui a obtenu le statut de candidat en 2005, est apte à ouvrir des négociations, mais l’Union européenne doit continuer à l’aider et à assurer sa stabilité dans le contexte nouveau provoqué par l’indépendance du Kosovo. Nous appelons inlassablement la Grèce et l’ARYM à trouver un accord sur le choix du nom de ce pays. C’est la principale difficulté qui a encore été évoquée hier lors du conseil des ministres européens des affaires étrangères.
MM. Boulaud et Del Picchia ont évoqué la question de l’après-2013 en matière financière.
Je tiens à rappeler ici que le mandat des députés européens arrive à son terme, tout comme celui de la Commission. Il sera donc particulièrement difficile à la présidence française de se substituer à ces deux autorités. Dans ce contexte, et si j’en crois ce que j’ai entendu de la part tant du parti socialiste européen que du parti populaire européen ou du parti libéral européen, il sera difficile d’engager ce débat avec le Parlement européen avant la fin de l’année.
Au sujet des relations entre Israël et l’Union européenne, je précise à Mme Cerisier-ben Guiga qu’elles ne peuvent être dissociées du contexte politique régional. À cet égard, l’Union européenne a rappelé sa position sur le processus de paix et elle a fait part de sa préoccupation constante sur la progression continue des colonies. Tant que cette situation perdure, je le dis clairement, l’Union ne pourra parvenir à un accord politique avec Israël.
Quant à l’Union pour la Méditerranée, le processus de Barcelone a été paralysé par un contexte politique qui existe toujours, et est même aggravé ; Mme Cerisier-ben Guiga n’a pas tort de le souligner. Il a été également paralysé par une bureaucratie trop forte, par la faible attention portée au Sud et par des financements limités.
Dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée, nous souhaitons corriger cette situation en prévoyant une gouvernance à parité Nord-Sud, une coprésidence et un secrétariat Nord-Sud, en proposant des approches par projets qui favorisent la coopération, même si c’est difficile, ainsi que des financements variés – communautaires, avec des pays tiers et des partenariats public-privé –, qui n’existaient pas dans le processus de Barcelone.
Il est donc cohérent d’inviter à cette conférence l’ensemble des pays riverains de la Méditerranée au Sud. Pour vous parler très franchement, si nous devions attendre, dans le cadre du rapprochement que vous souhaitez avec les pays arabes, avec le monde musulman, que ces pays aient des statuts démocratiques comparables aux nôtres, …
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. On le sait !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. … cela prendrait malheureusement un certain temps, et le premier sommet de l’Union pour la Méditerranée ne se réunirait pas le 13 juillet prochain !
Contrairement à ce que vous avez dit à propos des initiatives diplomatiques contradictoires, nous profitons là d’une opportunité. Considérant qu’un dialogue s’est noué entre Israël et la Syrie à propos du Golan, que le Liban a un nouveau président de la République, il nous semble souhaitable d’associer ce pays riverain au sommet qui aura lieu les 12 et 13 juillet prochain.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce pays sera invité à participer, comme les autres, au défilé du 14 juillet. L’invité d’honneur sera le secrétaire général des Nations unies, M. Ban Ki-moon et, à cette occasion, les troupes des Nations unies défileront. C’est un symbole de paix particulièrement fort que de réunir, le 14 juillet prochain, sous la présidence française, Israël, la Syrie et le Liban. Cette rencontre me paraît œuvrer davantage au service de la paix que toute autre considération.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Monsieur le président, je vous prie de m’excuser de prolonger mon propos, mais le débat a été très riche.
M. le président. Je vous en prie, monsieur le secrétaire d’État !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Plus que jamais, comme plusieurs orateurs l’ont souligné, un accord stratégique franco-allemand est nécessaire. Imaginez ce que serait aujourd’hui une division franco-allemande. Bien sûr, le couple franco-allemand doit être ouvert aux coopérations avec les autres partenaires. Je constate d’ailleurs, dans l’exercice de mes fonctions, que l’Europe reste un modèle d’attractivité.
L’Europe des Vingt-sept n’est pas en cause dans le « non » irlandais. Aucun des nouveaux États membres n’a refusé le processus de ratification jusqu’à aujourd'hui. L’Europe reste, pour ceux qui veulent la rejoindre, un gage de paix et de développement, comme M. de Rohan l’a indiqué.
J’attire votre attention sur le fait que nous avons demandé au Conseil européen qui s’est tenu en décembre – c’est peut-être passé inaperçu – qu’un groupe de réflexion soit lancé sur l’avenir de l’Union européenne. Présidé par M. Felipe Gonzalez, assisté de Mme Vaira Vike-Freiberga et M. Jorma Ollila, et composé de neuf à douze membres, ce groupe de réflexion retrouve toute son actualité dans le contexte du « non » irlandais au référendum et permettra de dessiner de nouvelles perspectives.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Oui !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Enfin, il est vrai qu’il existe une contradiction dans le projet européen entre la stratégie à moyen terme qui est mise en œuvre et les préoccupations à court terme des citoyens. Sur ce point, je rejoins plusieurs orateurs qui ont souligné que l’on ne pouvait continuer qu’en prenant mieux en compte ces attentes.
Ainsi que M. de Montesquiou l’a souligné, nous avons notre part de responsabilité dans cet éloignement par rapport aux institutions. C’est ainsi qu’il faut plus de politique, plus de démocratie, plus de réactivité, plus de politiques communes. Nous devons rester un espace de sécurité et de prospérité et répondre aux défis globaux.
Comme M. Badré l’a indiqué, nous ne devons pas avoir honte du chemin parcouru et nous devons être fiers d’avoir construit une union des peuples unique au monde, fondée sur le droit, la démocratie, le développement et les droits de l’homme. Rassurez-vous, mesdames, messieurs les sénateurs, je reviendrai régulièrement devant vous pour réaffirmer ces valeurs. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF.)
M. le président. Le débat est clos.
Acte est donné de la déclaration du Gouvernement qui sera imprimée sous le n° 397 et distribuée.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures quinze, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
M. le président. La séance est reprise.
3
Modernisation des institutions de la Ve République
Discussion d'un projet de loi constitutionnelle
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l’Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la Ve République (nos 365, 387, 388).
M. Robert Bret. Monsieur le président, je souhaite intervenir pour un rappel au règlement.
M. le président. Je vous donnerai la parole plus tard, monsieur Bret.
Mes chers collègues, au nom de tous, je tiens à remercier M. le Premier ministre d’être venu en personne présenter devant la Haute Assemblée ce texte extrêmement important. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF.)
Il s’agit de modifier notre Constitution. C’est un acte d’une particulière signification, chacun en a bien conscience. Nous veillerons donc à ce que le débat se déroule dans une grande dignité, comme il est de règle dans cet hémicycle.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’UC-UDF et du RDSE.)
M. François Fillon, Premier ministre. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat est une arène,...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah bon !
M. Jean-Louis Carrère. Et qui est le torero ?
M. François Fillon, Premier ministre. ... une arène politique ; les rivalités y sont d’ordinaire légitimes.
Aujourd’hui, cependant, vous êtes invités à débattre d’une cause supérieure.
Au-delà des partis, au-delà des alternances, au-delà de toutes nos oppositions, la Constitution de la République constitue notre loi fondamentale. La réformer n’est donc pas affaire de majorité ou d’opposition : c’est une question de responsabilité à l’égard des Français et de cette démocratie dont nous avons tous la passion !
Réformer la Constitution est surtout une occasion rare ; c’est donc une occasion précieuse. Qui d’entre nous peut jurer qu’elle se représentera à lui ?
En 1973, Georges Pompidou avait tenté d’instaurer le quinquennat. Il portait son projet au nom des évolutions de la société. Il comprenait ses changements avec lucidité et il en tirait les conséquences avec courage.
Devant le Parlement, son projet fut adopté à une courte majorité, mais ne put réunir les trois cinquièmes du Congrès.
Entre les deux, un certain nombre de parlementaires s’était trouvé « d’excellents » arguments pour rester en retrait de cette réforme, les uns estimant qu’elle allait trop loin, les autres pas assez. L’occasion précieuse fut ainsi perdue.
Treize ans plus tard, le cycle des cohabitations s’enclenchait et se brisait sous le choc du 21 avril 2002.
Cet épisode doit nous instruire.
À ceux de mes amis qui craignent les évolutions proposées, je demande : « Êtes-vous bien sûrs que la situation actuelle soit si favorable au fonctionnement de notre démocratie pour ne rien y changer ? ». Et à ceux qui, dans l’opposition, rêvent d’une autre réforme, je pose la question : « Êtes-vous bien sûrs de vouloir refuser un progrès de notre démocratie au nom d’un autre projet, pour l’heure improbable ? ».
M. Jean-Louis Carrère. Oui !
M. François Fillon, Premier ministre. Aujourd’hui, chacun est invité à bien peser ses responsabilités.
Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà cinquante ans, après avoir sauvé l’honneur de la France, le général de Gaulle redressait celui de la République.
Comme nombre d’entre vous, je défends les atouts de la Ve République. Sa force s’est éprouvée au feu des crises, dont celles de la guerre d’Algérie et de la décolonisation. Sa stabilité a fait de la France une nation moderne et respectée dans le monde.
M. le président. Très bien !
M. François Fillon, Premier ministre. Le Gouvernement est attaché à la Ve République, mais, pour en prolonger l’esprit et l’efficacité, il vous demande aujourd’hui d’en recréer les équilibres.
Vous savez mieux que personne comment la pratique politique a altéré l’exercice de vos droits et ramené la question institutionnelle au premier plan de notre réflexion. Vous savez comment l’élection du président de la République au suffrage universel, le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral ont érodé les traits originels du parlementarisme rationalisé.
Vous savez, et moi qui ai été longtemps parlementaire je le sais aussi, quel carcan pèse sur les Chambres. Certains me demandent, hors de ces enceintes, si l’affaiblissement du Parlement n’a pas ses avantages. Je ne le crois pas. Un Parlement faible n’est pas le gage d’un gouvernement fort ! Un État est respecté précisément lorsqu’il rend des comptes à un Parlement renforcé.
Rien, mesdames, messieurs les sénateurs, n’obligeait le pouvoir exécutif, dans la position assez commode qui est la sienne, à proposer une révision institutionnelle dont les avancées bénéficieront d’abord au Parlement. Rien, sauf l’engagement pris par le Président de la République de rénover notre démocratie.
M. Jean-Louis Carrère. Façon de parler !
M. François Fillon, Premier ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous allez apporter à ce projet, j’en suis convaincu, la hauteur de vues et l’esprit de responsabilité qu’il exige. Vous ferez, en conscience, un choix pour l’avenir.
À entendre les différents groupes, les différentes sensibilités, les voies de cet avenir sont naturellement nombreuses.
Certains prônent un régime exclusivement parlementaire. D’autres, dont je fus, défendent l’idée d’un régime présidentiel.
M. Pierre Fauchon. Bravo !
M. François Fillon, Premier ministre. Certains militent pour des changements de scrutin, d’autres pour la fin complète du cumul des mandats, d’autres encore pour le droit de vote des étrangers... Bref, les propositions sont nombreuses ; chaque conviction est sincère ; chaque thèse a ses arguments.
Aujourd’hui, le moment est venu d’aller à l’essentiel et de nous accorder sur un compromis innovant et réaliste. Innovant, parce que l’ampleur du projet qui vous est soumis le place au tout premier rang des révisions envisagées depuis 1962. Réaliste, parce que, pour vous permettre de saisir cette occasion historique, tout aventurisme, tout risque de dérive institutionnelle ont été écartés du projet.
Il n’était pas facile, et il ne l’est toujours pas, de trouver le bon chemin entre l’audace et le réalisme. Je crois que nous y sommes parvenus et, pour cela, nous avons privilégié la concertation.
Je veux exprimer une gratitude particulière au groupe d’experts de tous bords, présidé par l’ancien Premier ministre Édouard Balladur, qui a défini les premières lignes du projet, mais je veux aussi saluer la commission présidée par le sénateur Jean-Jacques Hyest, qui l’a examiné avec pragmatisme et ouverture, faisant preuve de clairvoyance et de responsabilité.
M. Jean-Louis Carrère. Ouverture, pas trop !
M. François Fillon, Premier ministre. J’ai moi-même voulu, dans un esprit d’écoute et de rassemblement, entendre tous les principaux responsables politiques pour examiner avec eux les propositions susceptibles de réunir le consensus. La revalorisation du rôle du Parlement formait le cœur de toutes leurs demandes : c’est elle qui est consacrée par ce projet de loi constitutionnelle.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Première nouvelle !
M. François Fillon, Premier ministre. Renforcer les prérogatives du Parlement, ce n’est pas renouer avec les errements d’un régime d’assemblée pour lequel je n’ai aucune complaisance.
Le texte de 1958 a été conçu pour tirer l’exécutif des ornières de ce régime impuissant. Nous n’y retomberons pas !
C’est un texte dominé par une logique d’efficacité gouvernementale. Nous n’en braderons pas les outils !
Le recours au vote bloqué, la maîtrise de la procédure pour les lois de finances, l’encadrement strict de la mise en cause de la responsabilité du Gouvernement demeureront intangibles.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux vous convaincre que la rénovation de notre pacte économique et social engagée depuis un an n’est pas dissociable de cette nécessaire revalorisation du Parlement.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah bon ?
M. François Fillon, Premier ministre. Pour qu’une société de confiance s’instaure, il faut que cette confiance renaisse d’abord entre élus et citoyens.
Pour qu’une culture de la responsabilité prenne racine dans le pays, il faut, au sommet, responsabiliser les pouvoirs eux-mêmes.
Pour raviver les couleurs de l’identité nationale, il faut que votre assemblée soit libre de les brandir.
Pour dégager des consensus face aux grands défis de notre temps, il faut pouvoir les bâtir ici !
Aujourd’hui, et vous le savez mieux que quiconque, la démocratie se réinvente à tous les niveaux. Les collectivités locales poursuivent leur essor. Les réseaux et les associations relaient à une échelle inédite les revendications et les propositions du terrain. L’Europe, quant à elle, déploie ses législations et ses règles communautaires.
Peu à peu, ces pouvoirs nouveaux serrent de près notre démocratie parlementaire ; ils la soumettent à un jeu de concurrence qui n’est pas sans incidences sur le fonctionnement de la République.
Si vous, vous n’incarnez pas la souveraineté nationale, si vous, vous ne relayez pas les débats qui agitent la société française, si vous, vous ne les arbitrez pas, qui le fera ?
Nous avons besoin d’un Parlement influent et écouté.
Nous avons besoin de l’instance de réflexion et d’expertise que seul un Parlement vivant peut réunir.
Nous avons besoin du bicaméralisme et de la pondération qu’il garantit.
Nous avons besoin d’une forte représentation des territoires et des collectivités, dans leur variété et dans leur richesse.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. François Fillon, Premier ministre. Nous avons besoin que les qualités propres du Sénat s’expriment plus librement.
M. Jean-Guy Branger. Alors n’y touchez pas !
M. François Fillon, Premier ministre. Voilà pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons besoin de cette réforme institutionnelle ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP. - Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Allons, mes chers collègues !
M. François Fillon, Premier ministre. Les mesures proposées par le Gouvernement visent à étendre le champ de l’intervention parlementaire ; elles apportent des précisions importantes à la définition des prérogatives présidentielles ; elles défendent l’individu et le citoyen.
Elles vont, si vous les adoptez, profondément transformer vos modes de travail comme ceux du Gouvernement.
Elles reconnaissent au Parlement la liberté de fixer son ordre du jour, qui est arrêté par la conférence des présidents. Ce sera l’une des mesures emblématiques de son émancipation. Les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale conserveront naturellement le régime spécifique que leur originalité réclame. Je tiens à le souligner, la règle que nous proposons est en œuvre dans toutes les grandes démocraties du monde, où les Parlements maîtrisent leur ordre du jour.
L’autre mesure qui symbolise cette émancipation sera l’encadrement du recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution. Si vous adoptez la proposition du Gouvernement, l’usage de cet article sera désormais restreint aux lois de finances et à un seul autre texte par session.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je m’arrête quelques instants sur les craintes relatives à l’encadrement du recours à l’article 49, alinéa 3, exprimées par certains d’entre vous, que je vais m’efforcer de rassurer.
Une telle disposition ne prive pas le Gouvernement de sa capacité de gouverner. Un retour sur l’histoire montre d’ailleurs que l’usage de l’article 49, alinéa 3, s’est progressivement dévoyé. Conçu au départ comme un instrument à usage exceptionnel pour encadrer une majorité réfractaire, il s’est progressivement imposé comme un outil de lutte contre l’obstruction parlementaire.
Aujourd’hui, il nous faut tirer toutes les conséquences de l’instauration du quinquennat, qui conforte le fait majoritaire et présidentiel.
Quant à l’obstruction parlementaire, c’est un problème dont doivent traiter les règlements de chacune des assemblées. Le président de l’Assemblée nationale, M. Bernard Accoyer, a dessiné plusieurs pistes dans cette perspective, et je ne doute pas que le Sénat puisse en faire de même.
La qualité du travail législatif sera confortée par la pleine reconnaissance du rôle des commissions, dont le nombre pourra être porté à huit. Des champs de compétence mieux délimités et des effectifs plus réduits rendront leur travail plus efficace. Le texte débattu en séance publique sera désormais le leur.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il s'agit d’une innovation majeure qui étend votre responsabilité législative bien au-delà du droit d’amendement et contraint le Gouvernement à s’impliquer avec davantage de courage et de précision dans la défense de ses propres rédactions.
Un même souci de qualité justifie de prévoir un allongement du délai d’examen des textes. L’assurance d’un examen scrupuleux en garantira la rigueur et l’autorité.
Nous avons eu il y a quelques semaines, au sujet de l’Afghanistan, un débat dont nous devions tenir compte : le projet de révision constitutionnelle prévoit que le Gouvernement sera tenu d’informer dans les trois jours le Parlement de tout engagement des troupes françaises sur un théâtre d’opérations extérieur. Une autorisation parlementaire sera dorénavant nécessaire pour prolonger leur présence à l’étranger au-delà de quatre mois.
Le Gouvernement a accueilli avec intérêt une proposition qui l’oblige à assortir chaque projet de loi d’une étude d’impact poussée. J’y suis favorable, comme à toute mesure qui porte en elle un principe de maturité. L’évaluation fait déjà partie des pratiques que mon gouvernement défend : elle sera systématisée et approfondie. Votre propre rôle dans l’évaluation des politiques publiques, mesdames, messieurs les sénateurs, sera conforté, un quart de l’ordre du jour étant réservé à cette tâche.
Mesdames, messieurs les sénateurs, des points très significatifs ont émergé des travaux de l’Assemblée nationale, et je ne doute pas que le Sénat participera également à l’enrichissement de notre projet.
Ainsi ont été adoptés à l’Assemblée nationale cent sept amendements, dont une vingtaine provenait de l’opposition.
Parmi les accords importants figurent le référendum d’initiative populaire ou encore l’octroi aux commissions chargées des nominations d’un droit de veto à la majorité qualifiée. Une culture de la responsabilité publique se met en place en France ; ce texte la déploie. L’un des amendements adoptés à l’Assemblée nationale crée ainsi la possibilité spécifique de voter des lois de programmation pluriannuelles engageant les finances publiques sur des trajectoires budgétaires vertueuses.
L’origine parlementaire de cette disposition très importante doit encourager le Sénat. Quoi qu’il en soit, elle prouve l’ouverture réelle du Gouvernement aux acquis de vos débats.
Sur l’article 88-5, l’Assemblée nationale a marqué sa volonté d’inscrire dans la Constitution une consultation automatique du peuple français pour les élargissements les plus significatifs de l’Union européenne.
Cette volonté rejoint l’orientation profonde que le Président de la République a déjà exprimée. Faut-il pour autant inscrire cet engagement dans notre texte constitutionnel ? Je sais que, sur ce point, beaucoup d’entre vous ne partagent pas cet avis. J’ai eu l’occasion de m’exprimer à titre personnel sur cette question et mon sentiment se rapproche du vôtre.
Je crois qu’il faut, au surplus, que nous intégrions dans notre réflexion l’outil nouveau que constitue le référendum d’initiative populaire, proposé par l’Assemblée nationale. Nous attendons des jours prochains une réflexion ouverte sur l’article 88-5. Sur ce point délicat, le Gouvernement sera à l’écoute de tous.
Parce que le succès du dialogue parlementaire dépend des garanties accordées à l’opposition, le Gouvernement se déclare prêt à lever les obstacles constitutionnels qui interdisaient jusqu’à présent l’octroi de droits particuliers aux partis non majoritaires. Il table ici sur votre confiance et sur votre sens de l’intérêt commun. La fixation de l’ordre du jour, une fois par mois, en sera le premier test.
Mais le rééquilibrage souhaité ne repose pas seulement sur cette redynamisation de la vie parlementaire. Le Président de la République a voulu que les prérogatives du chef de l’État soient plus étroitement définies.
Limiter l’exercice présidentiel à deux mandats consécutifs pour faire primer le souci d’agir sur le souci de durer ; soumettre une série de nominations que le Président de la République effectuait jusqu’ici de manière souveraine au droit de regard du Parlement ; encadrer le recours à l’article 16 de la Constitution et soumettre son application à un contrôle accru du Conseil constitutionnel et restreindre l’exercice du droit de grâce à des cas individuels, faire tout cela, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est aller plus loin que nous n’avons jamais été !C’est resserrer au plus juste les garde-fous de ce que M. Robert Badinter identifiait comme une tendance de la ve République à la monocratie.