M. Robert Badinter. Absolument !
M. François Fillon, Premier ministre. C’est aussi donner au Parlement les garanties les plus poussées de sincérité, de respect et de vigilance.
Au vu de ces garanties, il me semble tout à fait acceptable, et même d’autant plus légitime, que le Président de la République se voie reconnaître le droit d’intervenir devant le Congrès, sa déclaration ne faisant l’objet d’aucun vote.
Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, l’encadrement très strict du droit de message tire son origine de circonstances historiques anciennes et aujourd’hui dépassées.
Notre démocratie mérite aujourd’hui plus de confiance, plus de clarté dans l’échange. Par sa définition très restrictive, le texte qui vous est soumis conserve à cette intervention présidentielle un caractère exceptionnel.
Enfin, le projet de réforme vise à renforcer le pouvoir et la protection des citoyens.
L’initiative populaire est l’un des traits d’une démocratie vivante. Une proposition de la commission Balladur recommande l’instauration d’un référendum d’initiative populaire. Le Gouvernement est acquis à ce principe, dont les modalités restent soumises à votre réflexion.
Les risques de dérives d’une telle procédure ne nous ont pas échappé et nous serons attentifs aux propositions d’encadrement que vous formulerez. Elles auront vocation à figurer dans la future loi organique qui organisera la procédure.
La création d’un défenseur des droits des citoyens constitue, elle aussi, une avancée notable au profit de chaque Français. Dans le prolongement de l’excellent travail accompli par le Médiateur de la République et d’autres autorités indépendantes, ce défenseur des droits des citoyens tirera de son ancrage constitutionnel une autorité morale et une efficacité beaucoup plus grandes.
Prévoir la possibilité que chaque citoyen, s’il s’estime lésé par un service public, puisse être entendu est une disposition qui se passe d’argument. Un même pragmatisme suggère d’introduire dans la culture juridique française, comme c’est d’ores et déjà le cas dans la plupart des grands pays démocratiques, l’exception d’inconstitutionnalité.
Les juridictions françaises savent d’ores et déjà écarter l’application d’une loi qu’elles jugent non conforme à une convention internationale. Si vous en décidez ainsi, mesdames, messieurs les sénateurs, elles feront désormais preuve du même scrupule à l’égard de cette norme première qu’est notre Constitution. Franchement, il est difficile d’expliquer à nos concitoyens que, si, pour dire le droit, tous les textes internationaux peuvent être invoqués, tel n’est pas le cas pour la Constitution. J’en suis convaincu, cette réappropriation par les citoyens de notre loi fondamentale ne peut vous laisser insensible.
À ce propos, je veux dire à mon ami Adrien Gouteyron que les craintes d’un gouvernement des juges doivent être dissipées. En effet, le filtrage des requêtes prévues permet d’assurer que le Conseil constitutionnel ne sera saisi que des contestations les plus sérieuses, qu’il n’aura pas eu l’occasion d’examiner dans le cadre du recours parlementaire.
Cette réforme aura de surcroît des vertus pédagogiques, puisqu’elle incitera chacun d’entre nous à être encore plus attentif au respect de notre texte constitutionnel. La loi en sortira confortée dans son autorité et elle y gagnera en légitimité. Au final, ce sont notre État de droit et notre démocratie qui en sortiront renforcés.
En dernier lieu, le projet de loi constitutionnelle organise la réforme du Conseil supérieur de la magistrature.
L’évolution du rôle dévolu à l’autorité judiciaire dans une démocratie moderne commande que le Président de la République cesse d’assurer la présidence du CSM ; il la transmettra au Premier président de la Cour de cassation ou à son procureur général. Pour garantir l’indépendance et l’ouverture du Conseil, des personnalités qualifiées seront appelées à y siéger.
Beaucoup d’entre vous ont formulé le souhait que la parité soit maintenue en matière disciplinaire. Le Gouvernement se montrera ouvert à votre préoccupation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les questions que ce projet de loi constitutionnelle nous pose sont sans détours.
Serons-nous à la hauteur de l’occasion historique qui s’offre à nous ? Serons-nous capables de dépasser nos logiques d’affrontement pour faire aboutir un projet où prime l’intérêt général ? Refuserons-nous un texte qui renforce le poids du Parlement et les droits du citoyen ?
M. Jean-Louis Carrère. La ficelle est un peu grosse !
M. François Fillon, Premier ministre. Ceux qui le feront devront s’en expliquer clairement ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Nul ne doit s’y tromper : un pouvoir que vous ne saisirez pas sera saisi par d’autres. Un pouvoir dont le Parlement hésiterait à s’investir sera la proie des démagogues, des prétendus experts et des slogans de la rue.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est pas possible !
M. David Assouline. Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre !
M. François Fillon, Premier ministre. La Constitution de la ve République est le cœur de notre patrimoine politique. Hésiter à la faire évoluer, c’est en réalité renoncer à la faire vivre.
Le projet qui vous est soumis porte la marque de la créativité que le peuple français attend de nous. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.) Il porte aussi la marque de la raison. Les droits qu’il dépose devant vous sont nombreux et importants. À vous de les juger, de les adopter, puis de les utiliser.
À vous de saisir l’occasion historique de donner un nouveau souffle à notre République. La France mérite que des institutions rénovées l’animent. Vous avez aujourd’hui le pouvoir d’élargir les sources de sa démocratie.
Telle est, mesdames, messieurs les sénateurs, la haute et belle responsabilité qui est désormais la vôtre. (Applaudissements prolongés sur les travées de l’UMP. - On applaudit également sur certaines travées de l’UC-UDF et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, même si cela semble avoir moins d’intérêt pour certains médias que l’anniversaire de telle ou telle vedette du spectacle (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.), …
M. Bernard Frimat. Jaloux !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Carla Bruni, par exemple !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. … il importe de noter que nous célébrons, cette année, le cinquantenaire de la Constitution de 1958. (Très bien ! sur les travées de l’UMP.) Et cela mérite mieux que des colloques, même s’ils sont indispensables ! (Sourires.)
Pour ceux qui ont vécu cette période, ou qui s’intéressent tout simplement à l’histoire de nos institutions, cette Constitution, qui a résisté aux crises politiques et aux alternances électorales, s’est révélée étonnamment efficace, au regard de l’instabilité politique de la fin de la IVe République et de son incapacité à surmonter, notamment, la décolonisation.
M. Yannick Bodin. Alors, gardons-la !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais, loin d’être une réponse circonstancielle à la crise qui l’avait vu naître, notre Constitution, grâce à la prescience du général de Gaulle et des autres « pères fondateurs », a traversé cinq décennies et a fait de la France une démocratie moderne.
D’ailleurs, l’adhésion très profonde de nos concitoyens à nos institutions transcende très largement leurs options politiques, même si quelques-uns rêvent d’une VIe République, bien imaginaire. Mais, dans ce domaine, l’imagination constitutionnelle est inépuisable et permet à certains de se faire un peu de publicité.... C’est toujours bon à prendre !
M. Charles Gautier. Jaloux !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Faut-il rouvrir le « laboratoire constitutionnel » permanent qui a marqué notre histoire politique depuis 1789, suite de régimes à la pérennité fragile, si l’on excepte la IIIe République, qui a connu elle-même plusieurs phases ?
Certes non, mais deux réformes importantes ont certainement eu une influence sensible sur l’équilibre de nos institutions, et le moment est sans doute venu d’en tirer toutes les conséquences.
L’élection au suffrage universel direct du Président de la République, à la suite de la révision constitutionnelle de 1962, et le « fait majoritaire », lié au choix de 1958 du mode de scrutin pour les élections législatives, ont conduit à un renforcement du pouvoir exécutif, ce qui s’est traduit par ce que l’on a appelé le « parlementarisme rationalisé ».
Il a sans doute ouvert la voie à une « présidentialisation » du régime, mais elle a été pleinement assumée par les différents titulaires de la fonction, il convient de le souligner.
Depuis 1958, les impulsions politiques sont données pour l’essentiel par le chef de l’État, hors cohabitation, et cette situation est confortée par l’institution du quinquennat et l’élection des députés à la suite immédiate de l’élection présidentielle.
La tentation est grande, monsieur le Premier ministre, d’en tirer la conséquence d’une orientation vers un régime présidentiel, et vous n’êtes pas le seul ici à aller plutôt dans ce sens.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il y est favorable !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais il est sans doute sage, pour préserver l’avenir, de ne pas toucher aux équilibres prévus par la Constitution au sein de l’exécutif et, à cet égard, l’on ne peut que suivre l’Assemblée nationale, qui a supprimé l’article 8 du projet de loi constitutionnelle, en maintenant les prérogatives du Premier ministre en matière de défense nationale.
Conformément aux engagements du candidat à l’élection présidentielle Nicolas Sarkozy, la réforme de la Constitution qui nous est proposée est la plus importante depuis 1958. Si elle est adoptée, elle constituera, j’en suis sûr, le meilleur gage de la pérennité du lien qui unit les Français à la Ve République.
Certes, mes chers collègues, cette révision constitutionnelle est loin d’être la première : c’est la vingt-quatrième depuis 1958 et – jugez de l’accélération – la dix-septième depuis 1992 ! Étant parlementaire depuis 1986, je participe donc à ma dix-septième révision constitutionnelle !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est trop !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela commence à faire beaucoup ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Trois de ces révisions étaient nécessitées, il faut le rappeler, par l’adaptation de nos institutions à l’évolution des traités européens.
Par ailleurs, mais vous vous en souvenez, monsieur le Premier ministre, monsieur le président, la révision de 1995 visait déjà à moderniser le Parlement, avec la création des offices parlementaires,…
M. le président. La session unique !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. …ainsi que, en effet, l’instauration de la session unique, notamment.
Honnêtement, on ne peut pas dire que cette réforme, sur laquelle les parlementaires fondaient des espoirs, a donné de grands résultats.
La réforme qui nous est proposée vise essentiellement à rééquilibrer les institutions en renforçant le Parlement et à mieux assurer et garantir les droits du citoyen.
Elle a été préparée de façon exemplaire par le Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République présidé par M. Édouard Balladur et nourrie, de manière plus ancienne, par le comité Vedel. D’ailleurs, les débats de l’époque et les propositions d’alors témoignent d’une continuité heureuse entre les divers comités de réflexion qui se sont penchés sur nos institutions.
La présente révision suit aussi la voie tracée par les réflexions mûries au sein du Parlement. Ainsi, de nombreuses propositions font écho aux recommandations formulées en 2002 par le groupe de réflexion sur l’institution sénatoriale présidé par notre ancien collègue Daniel Hoeffel et, plus récemment, par la mission d’information sur les Parlements de pays européens, dans le rapport cosigné par Patrice Gélard et Jean-Claude Peyronnet.
Un certain nombre de propositions ont été reprises par le comité Balladur.
M. Robert Badinter. Pas beaucoup !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Si, tout de même, mais nous y reviendrons.
Dans le cadre de cette discussion générale, il n’est pas indispensable de détailler les trente-cinq articles du projet de loi constitutionnelle, d’autant que vous avez largement développé, monsieur le Premier ministre, les aspects essentiels du texte issu des travaux de l’Assemblée nationale.
En revanche, je veux souligner la cohérence de la démarche proposée.
Notre commission des lois vous proposera, tout d’abord, de préserver deux acquis essentiels de la Ve République : la plasticité du texte constitutionnel concernant les relations au sein de l’exécutif – nous n’y touchons pas – et son efficacité.
À cet égard, nous nous sommes interrogés longuement sur le degré d’encadrement de la mise en cause de la responsabilité du Gouvernement, concluant, à ce stade de notre réflexion, que le troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution était un élément réel de stabilité institutionnelle.
M. Jean-Pierre Fourcade. Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L’occurrence d’une réforme majeure de nos institutions est tentante, mes chers collègues, pour reprendre des débats quelquefois animés sur des sujets, certes importants, comme celui du statut des langues régionales, de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la décentralisation ou des retouches à apporter aux domaines de la loi et du règlement.
Cependant, si l’on peut adopter les dispositions votées par l’Assemblée nationale sur différents points, qui ont d’ailleurs donné lieu à de très longs débats, je ne puis que vous inviter tous, mes chers collègues, à la sobriété dans ce domaine, pour garder à la Constitution son caractère de texte régulateur de nos institutions, de leurs équilibres et du fonctionnement de la démocratie.
M. le président. Très bien !
M. Alain Gournac. Tout à fait !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La Constitution n’est pas la loi organique ; cette dernière n’est pas la loi ordinaire, laquelle n’est pas le règlement ; et j’espère ne pas avoir à descendre, dans la hiérarchie des normes, jusqu’aux circulaires ! (Rires sur les travées de l’UMP.)
Sans insister sur la limitation des prérogatives du Président de la République en matière de nomination ou d’exercice du droit de grâce, sur la limitation du nombre de mandats présidentiels, sur la prise de parole du Président de la République devant le Congrès, qui sont des éléments importants du projet de révision constitutionnelle, il me paraît nécessaire de mettre l’accent sur le cœur de la réforme, c'est-à-dire le renforcement effectif des droits du Parlement et, devrais-je ajouter, du respect du bicamérisme, ainsi qu’une meilleure garantie des droits et des libertés.
Sur le premier point, et dans la droite ligne des travaux de l’Assemblée nationale, la commission des lois vous propose de conforter les droits du Parlement en matière de contrôle et d’évaluation de la loi et des politiques publiques, de veiller à l’amélioration des conditions de présentation des projets de loi et, surtout, d’organisation des travaux parlementaires.
Nous y reviendrons le moment venu, mais notre objectif est de garantir effectivement, et pas seulement en apparence, les conditions de l’exercice du droit d’initiative du Parlement, des droits de l’opposition en particulier, dans le respect du pluralisme.
L’examen en première lecture du texte des commissions est, sans doute, l’un des éléments de nature à bouleverser le plus profondément la « routine » parlementaire. Il ne sera probablement pas sans effet sur les relations entre l’exécutif et le législatif : nous devons en prendre conscience. C’est ce que nous avons souhaité, tout comme la mission d’information sur les Parlements de pays européens de Patrice Gélard et Jean-Claude Peyronnet. Nous aurons, dans le règlement, à en tirer toutes les conséquences.
Parmi les droits du Parlement, celui de voter les résolutions, qui avait été proposé initialement par le Gouvernement et dont l’Assemblée nationale a craint qu’il ne nuise à l’équilibre de nos institutions – chacun a les craintes qu’il peut, ou qu’il veut ! –, nous a semblé souhaitable, à condition qu’il soit encadré et ne permette pas de mettre en cause l’action du Gouvernement.
Une telle disposition éviterait sans doute des lois mémorielles. Je rappelle au demeurant que nous pouvons déjà voter des résolutions dans le domaine européen. Pourquoi ne pourrions-nous pas le faire sur d’autres sujets ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela, c’est sûr !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous vous proposerons également la recherche du point d’équilibre dans l’exercice du droit d’amendement, tout en préservant l’autonomie des assemblées.
Un des volets essentiel de ce projet de loi constitutionnelle vise à assurer une meilleure garantie des droits et libertés.
Ce volet s’articule autour de quatre thèmes :
Il s’agit, d’abord, dans le respect du pluralisme, de garantir la participation des partis politiques à la vie démocratique.
Il s’agit, ensuite, de permettre, comme l’a fait l’Assemblée nationale, l’institution d’un référendum d’initiative populaire, ou plus exactement d’initiative parlementaire soutenue par une pétition de citoyens, à condition que soit prévu un contrôle de constitutionnalité a priori avant le référendum.
Il s’agit, également, de prévoir l’exception d’inconstitutionnalité sous forme de motion préjudicielle renvoyée au Conseil Constitutionnel.
M. Robert Badinter. Oui !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est la troisième tentative, et j’espère que ce sera la bonne !
M. Robert Badinter. C’est à voir !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il s’agit, enfin, de prévoir la création d’un défenseur des droits – formule ayant la préférence de la commission des lois, qui s’en expliquera tout à l'heure –, dont nous aurons à préciser les compétences dans la perspective d’une réduction du nombre des autorités administratives indépendantes qui ont tendance, hélas ! à foisonner depuis quelques années, n’est-ce pas, monsieur Gélard ?
En ce qui concerne les autres chapitres de la révision constitutionnelle, outre l’extension du rôle du Conseil économique et social dans le domaine de l’environnement, la commission des lois propose de souscrire largement à la révision proposée concernant le volet européen, bien entendu dans la perspective – mais le sujet est toujours en suspens – de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne.
Quant à la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, pour répondre sans doute au malaise créé par des affaires judiciaires récentes et lever tout soupçon sur la tentation, réelle ou supposée, de corporatisme de l’ordre judiciaire, la commission souscrit à la réforme proposée, à condition que la procédure disciplinaire soit aménagée pour respecter le principe paritaire des formations du Conseil supérieur dans ce domaine, principe qui existe dans tous les pays européens.
Ambitieuse réforme donc, de nature à revivifier nos institutions et à donner au Parlement, s’il s’y engage résolument, la possibilité d’assumer la plénitude de ses attributions.
Reste un point que nous avons eu l’occasion d’évoquer, voilà quelques jours, et qui ne concerne d’ailleurs pas a priori la révision constitutionnelle, pas plus d’ailleurs à l’Assemblée nationale qu’au Sénat. Si certains en font un préalable, c’est leur droit, mais nous ne sommes pas obligés de les suivre !
Pour des raisons que j’ai quelque difficulté à comprendre, certains affirment avec constance, mais sans justification réelle, que le Sénat constitue, au mieux, « un défi à la démocratie », au pire, « un déni de démocratie ».
M. Jean-Pierre Bel. Pourtant, on a essayé de vous l’expliquer !
M. Charles Pasqua. C’est parce qu’ils n’y sont pas majoritaires, monsieur le rapporteur !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Faire du Sénat un « clone » de l’Assemblée nationale, …
M. Jean-Pierre Sueur. Personne ne le demande !
M. Bernard Frimat. Qui le demande ? Pas nous !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. …en l’élisant sur les mêmes critères purement démographiques, ce serait nier ce qui fait sa spécificité, à savoir l’élection au suffrage universel indirect par les représentants des collectivités locales. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cela n’a jamais été dit !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le débat engagé sur l’avant-projet de loi constitutionnelle, sur son exposé des motifs, que ne manquerait pas de scruter avec attention le Conseil constitutionnel, a créé un doute sérieux sur le maintien de cette spécificité du Sénat.
À cet égard, permettez-moi de citer les excellents et rassurants propos qu’a tenus M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement lors de son audition par la commission des lois : « Le texte précise que le Sénat représente les collectivités locales “en tenant compte de la population” afin que le mode d’élection des sénateurs ne conduise pas à une disproportion excessive du poids de certaines collectivités territoriales au regard de leur population, sans aboutir pour autant à ce que les sénateurs ne soient plus élus essentiellement par les élus ».
C’est ce qu’avait tenu à préciser la commission des lois, en réaction à un tapage médiatique bien organisé et repris en chœur par le microcosme parisien, qui n’a jamais réellement compris la réalité des territoires. (Très bien ! sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Louis Carrère. J’ignorais que j’appartenais à un « microcosme parisien » !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il était important de rappeler que ces territoires sont représentés au Sénat !
Rien n’interdit d’ailleurs de faire évoluer le corps électoral de la Haute Assemblée en tenant mieux compte de la population, ce que Josselin de Rohan, Henri de Raincourt, Jean Arthuis et moi-même avions proposé en 1999.
M. Éric Doligé. Un quarteron ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous n’y sommes pour rien si cette proposition de loi, votée au Sénat sur le rapport de Paul Girod, a fait l’objet d’une fin de non-recevoir de la part du gouvernement de l’époque !
M. Charles Pasqua. Des noms !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Souvenons-nous en !
En définitive, surtout si cela a pu être compris, à tort, comme la volonté d’inscrire le mode de scrutin dans la Constitution, il vaut mieux ne pas modifier l’article 24, puisque l’ajout des mots « en tenant compte de la population » est une évidence, conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Il nous a été suffisamment reproché de vouloir inscrire dans la Constitution ce qui n’est que jurisprudence ! Aussi, je renvoie à leurs critiques ceux qui nous ont critiqués.
La commission des lois vous propose d’aller au terme de cette démarche et, par conséquent, de ne pas modifier l’article 24.
M. Henri de Raincourt. Elle a raison !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Incidemment, je suggère à tous ceux de nos collègues qui ont déposé des amendements relatifs au mode d’élection des députés de les retirer, afin qu’il ne leur soit pas reproché, pareillement, d’inscrire dans la Constitution le mode de scrutin. Ainsi, nous gagnerons du temps ! (Sourires.)
M. Alain Gournac. C’est direct !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cette spécificité du Sénat donne à l’institution un degré d’autonomie, une liberté parfois utile pour la défense des libertés fondamentales, parfois aussi irritante pour le pouvoir en place, quel qu’il soit, mais toujours précieuse à une époque où la « pensée unique » est dominante. Nous devrions tous défendre cette spécificité du Sénat !
Quoi qu’il en soit, à la suite du travail approfondi accompli tant par l’Assemblée nationale que par le Sénat sur cet important projet de loi constitutionnelle, travail auquel ont pris part nombre de nos collègues, souhaitons que la démarche qui nous est proposée par le Président de la République et le Gouvernement puisse aboutir, pour le plus grand bien de la « démocratie française », tout en préservant les grands équilibres.
Une occasion précieuse, voire historique, pour reprendre votre propos, monsieur le Premier ministre, se présente à nous. Ne passons pas à côté. Je suis sûr que la navette permettra d’aboutir à une réelle modernisation de nos institutions, sans rien renier des principes qui ont fait leur preuve depuis un demi-siècle. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, rapporteur pour avis. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les hasards du calendrier font que le Sénat entame la discussion de la révision constitutionnelle la veille du 18 juin.
À cette occasion, je voudrais rendre hommage à la mémoire du libérateur du territoire, qui nous a aussi légué cette Constitution à laquelle nous sommes fondamentalement attachés. (Vifs applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Par souci d’équité, et devant plusieurs de ses anciens ministres, vous me permettrez de rendre hommage également à la mémoire de François Mitterrand, qui, en observant scrupuleusement à la fois la lettre et l’esprit d’une Constitution qu’il avait, à l’origine, combattue,…
M. Henri de Raincourt. C’est vrai !
M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. …a fait la preuve que celle-ci était une bonne Constitution. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Issue des propositions du comité pluraliste présidé par M. Balladur, la révision constitutionnelle qui nous est présentée s’annonce également comme une profonde réforme.
Son principal objectif est de rééquilibrer nos institutions en revalorisant le rôle du Parlement.
S’il est un domaine où la notion de rééquilibrage prend tout son sens, c’est bien celui de la politique des affaires étrangères et de défense.
À cet égard, je précise que le général de Gaulle n’a jamais employé l’expression « domaine réservé » ; nous la devons au président de l’Assemblée nationale de l’époque. Au surplus, la notion n’est en rien constitutionnelle. Néanmoins, force est d’admettre que ces questions ont été traditionnellement marquées par la prépondérance de l’exécutif, non que le Parlement soit dépourvu de moyens pour exercer un contrôle sur la politique étrangère et de défense – il dispose, dans ce domaine comme dans les autres, de prérogatives importantes –, mais la volonté, partagée par les parlementaires, de l’unité de la politique étrangère et le relatif consensus qui prévalait sur ces questions ont consacré pendant longtemps une retenue volontaire dans ces domaines et ont conduit à une certaine autonomie de l’exécutif.
Cet équilibre est remis aujourd’hui en question par les aspirations de l’opinion à une transparence accrue et à un débat public sur ces questions, débat dont il est légitime qu’il se tienne dans les assemblées. En outre, le temps n’est plus, pour l’exécutif, à la conquête de prérogatives qui lui seraient disputées par un Parlement ombrageux.
Je serai clair : c’est à l’exécutif, et, en particulier, au Président de la République, élu au suffrage universel direct, qu’il incombe de conduire la politique étrangère et de défense de la France ! Cependant, celle-ci sera d’autant mieux comprise et acceptée par nos concitoyens qu’elle aura été débattue au sein des assemblées.
À cet égard, le projet de loi constitutionnelle renforce sensiblement la place du Parlement. C’est la raison pour laquelle la commission des affaires étrangères a souhaité se saisir pour avis de ce projet de loi et qu’elle a adopté plusieurs amendements visant à conforter le rôle du Parlement. J’évoquerai donc successivement les dispositions du projet de loi constitutionnelle relatives aux questions suivantes : la défense, et, en particulier, le nouveau dispositif prévu en matière de contrôle parlementaire sur les opérations extérieures ; le rôle du Parlement en matière de politique étrangère et européenne ; enfin, la procédure de ratification des projets de loi autorisant l’adhésion de nouveaux États à l’Union européenne.
En matière de défense, l’une des nouveautés du projet de loi constitutionnelle tient à la création d’une procédure de contrôle parlementaire sur les interventions des forces armées à l’étranger. Il s’agit d’un mécanisme « à double détente » : dans le cas d’une intervention des forces armées à l’étranger, le Parlement devra être informé par le Gouvernement dans un délai de trois jours et il pourra éventuellement débattre de cette intervention, sans toutefois pouvoir se prononcer par un vote ; au-delà de quatre mois, la prolongation d’une intervention sera soumise à un vote d’autorisation du Parlement.
Tel qu’il a été modifié par l’Assemblée nationale, le dispositif proposé me paraît satisfaisant ; il préserve l’équilibre entre la nécessité d’associer le Parlement et celle de ne pas empiéter sur les prérogatives de l’exécutif, dans le souci de ne pas nuire à l’efficacité des interventions militaires. En particulier, la commission des affaires étrangères aurait refusé tout système d’autorisation préalable du Parlement pour les interventions militaires à l’étranger. Un tel système, qui, au demeurant, est très peu pratiqué par nos partenaires, à l’exception de l’Allemagne, pour des raisons liées à son histoire, risquerait, en effet, de paralyser l’action de nos forces armées.
Faudrait-il attendre de réunir le Parlement pour procéder à l’évacuation en urgence de nos ressortissants d’un pays confronté à une crise soudaine ? Une telle attitude serait irresponsable, vis-à-vis tant de nos compatriotes que de nos militaires, et elle risquerait de fragiliser l’exercice par notre pays de ses responsabilités internationales.
Il est vrai que le texte laisse une certaine marge d’appréciation au Gouvernement. Ainsi, la notion d’« interventions des forces armées à l’étranger » reste à préciser.
Je souhaite que le débat sur cet article offre l’occasion au Gouvernement de préciser les critères permettant de distinguer entre les interventions devant donner lieu à une information du Parlement et les autres.
De même, le texte ne précise pas le point de départ du délai de trois jours pour l’information du Parlement. Est-ce la date de la prise de décision par le pouvoir politique ou bien le jour à partir duquel les troupes sont déployées sur le terrain ?
Compte tenu de l’important décalage temporel souvent constaté entre la date de la décision politique et l’engagement effectif de nos forces, par exemple, dans le cadre de l’EUFOR, au Tchad et en République centrafricaine, cette question n’est pas sans importance.
Là encore, la discussion de cet article pourrait permettre de préciser ce point.
Cependant, je crains que cet éclairage ne reste insuffisant et je voudrais proposer à M. le ministre de la défense de réunir sur cette question un groupe de travail auxquels participeraient les commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat.
Si le dispositif me paraît équilibré, j’avoue cependant avoir été quelque peu heurté par la disposition selon laquelle, « en cas de refus du Sénat, le Gouvernement peut demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement sur la prolongation de l’intervention ». (Exclamations sur certaines travées de l’UMP.)
La commission des affaires étrangères du Sénat a adopté un amendement prévoyant que « la prolongation de l’intervention au-delà de quatre mois est autorisée en vertu d’une loi ». Ainsi, notre propos est identique, mais nous nous abstenons de venir avec nos gros sabots…
Toutefois, contrairement à ce qui prévaut dans la procédure législative ordinaire, le droit d’amendement n’aurait pas vocation à s’appliquer. Comme le précise l’exposé des motifs, l’acte d’autorisation « ne saurait s’accompagner d’aucune condition concernant les modalités opérationnelles d’engagement des troupes ».
Le projet de loi constitutionnelle, et ce sera ma deuxième observation, renforce également le contrôle par le Parlement de la politique étrangère et européenne. Il prévoit en particulier d’étendre le champ des textes européens devant être transmis par le Gouvernement au Parlement au titre de l’article 88-4 de la Constitution, de reconnaître la faculté pour chacune des assemblées d’adopter des résolutions sur tout document émanant de l’Union européenne, de « constitutionnaliser » et de modifier la dénomination des délégations pour l’Union européenne.
Avec le mécanisme de contrôle du respect du principe de subsidiarité, le Parlement français sera encore mieux armé pour suivre les affaires européennes et exercer sur elles une réelle influence.
Le projet de loi constitutionnelle prévoyait également, dans sa version initiale, de reconnaître aux assemblées le droit de voter des résolutions. L’Assemblée nationale a toutefois supprimé cette faculté, au motif que cet instrument ne serait pas de nature à revaloriser le Parlement et qu’il pourrait même se révéler dangereux pour l’équilibre de nos institutions.
Au contraire, la commission des affaires étrangères a estimé, comme la commission des lois, que le vote de résolutions pourrait être utile à condition d’encadrer strictement sa mise en œuvre. Cela permettrait de revaloriser le rôle de la loi et, comme l’a dit fort justement le président de la commission des lois, d’éviter la multiplication de ces lois « mémorielles » qui inscrivent des normes là où elles n’ont pas lieu d’être.