M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Bernard Laporte, secrétaire d'État chargé des sports, de la jeunesse et de la vie associative. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le sénateur Jean-François Humbert, mesdames, messieurs les sénateurs, la « coproduction » est un terme à la mode. La proposition de loi d’initiative sénatoriale visant à encadrer la profession d’agent sportif démontre qu’il s’agit non pas d’un concept gadget, mais bien d’une réalité.
Dès mon entrée en fonctions, au mois d’octobre 2007, j’ai souhaité que l’on s’attaque à la question des agents sportifs. Moins de neuf mois après, le Sénat a réussi à faire aboutir son initiative sur le sujet, et je m’en félicite.
Il faut d’abord souligner le travail important d’analyse et de rencontre des différents acteurs qui a été accompli. Vous avez pu confronter les points de vue et les positions des principaux intervenants, qu’il s’agisse du ministère chargé des sports, des agents sportifs eux-mêmes, des fédérations, des ligues professionnelles, du Comité national olympique et sportif français ou des clubs.
La présente proposition de loi est un texte mature. Elle a également bénéficié des nombreux enseignements tirés des rapports et études de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection de la jeunesse et des sports, des travaux de l’Assemblée nationale et du Sénat, conduits notamment depuis 2005, ainsi que des propositions des ligues professionnelles et de celles du groupe de travail « agents sportifs » du CNOSF formulées depuis 2007.
Un travail particulièrement important a été mené pour s’assurer de la compatibilité de vos propositions avec le droit communautaire. Il restera à affiner certains aspects relatifs aux agents européens, ce qui sera fait d’ici à la fin de l’examen de la proposition de loi par le Parlement.
Ce qui est sûr, c’est qu’un large consensus se dégage, associant volontés des fédérations, des clubs, des agents et des joueurs.
En outre, votre texte me semble atteindre les objectifs visés, c'est-à-dire la moralisation, la transparence financière et la protection des sportifs, notamment des plus jeunes. Il permettra de faire respecter une loi qui est aujourd’hui contournée, voire inappliquée, et de crédibiliser une profession, celle d’agent sportif, qui est indispensable au bon fonctionnement du sport professionnel.
Grâce à cette proposition de loi, nous aurons clarifié la définition de l’agent sportif, élargi la liste des incompatibilités, autorisé les clubs à rémunérer les agents, amélioré la traçabilité des flux financiers, renforcé les contrôles de l’activité d’agent et traité le cas des agents étrangers ressortissants ou non d’un État membre de l’Union européenne.
C’est pourquoi je rends hommage à la commission des affaires culturelles du Sénat et à son président, M. Jacques Valade. Ils ont su élaborer un texte porteur d’une réforme indispensable pour mieux encadrer une profession qui doit gagner en respectabilité.
Bien entendu, je salue également l’implication de l’auteur de cette proposition de loi, M. Jean-François Humbert, et du rapporteur de la commission des affaires culturelles, M. Pierre Martin. Je sais ce que la qualité de ce texte leur doit. Leur regard aiguisé sur le monde du sport était un gage de la crédibilité des propositions formulées. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, au moment où le tournoi international de Roland-Garros bat son plein, et à la veille du championnat d’Europe des nations de football, la Haute Assemblée est saisie d’une proposition de loi visant à encadrer davantage la profession d’agent sportif.
Alors que le monde sportif se professionnalise de plus en plus et qu’il devient incontestablement un objet commercial, brassant des quantités d’argent considérables, la nécessité d’établir des règles visant à améliorer non seulement la pratique du sport, mais également son encadrement, est aujourd'hui devenue incontournable.
À cet égard, il est important de s’intéresser au cas des agents sportifs. Tel est l’objet de la présente proposition de loi.
Ces professionnels sont des acteurs du monde sportif qui concourent à la promotion du sport et à son attractivité. Ils participent à la richesse de la vie sportive, en lien avec les fédérations et les clubs, en assurant à nos athlètes de haut niveau une représentation juridique.
Toutefois, les agents sportifs ont parfois à traiter de cas où les enjeux financiers sont considérables, à tel point qu’il n’est plus aujourd’hui possible de ne pas encadrer cette profession d’un minimum de règles.
Par ailleurs, de récents scandales ont entaché l’image de cette activité.
Or, même si nous savons que le sport professionnel s’accompagne d’une démarche commerciale, de tels faits divers nous éloignent fortement des principes rappelés par Aimé Jacquet, ancien sélectionneur de l’équipe de France de football, grâce à qui notre pays a gagné la coupe du monde en 1998. Selon lui, le sport fédère un certain nombre de valeurs : « Donner, recevoir, partager : ces vertus fondamentales du sportif sont de toutes les modes, de toutes les époques. Elles sont le sport. […] Le sport est dépassement de soi. Le sport est école de vie. »
C’est pourquoi nous pouvons accueillir avec satisfaction l’initiative de notre collègue Jean-François Humbert. La proposition de loi qu’il a déposée comporte un certain nombre de mesures visant à encadrer l’accès à la profession et son exercice, mais également à améliorer son contrôle.
Il est clair qu’aujourd’hui la profession souffre de certaines lacunes et d’un manque de transparence évident.
En effet, il est important qu’une plus grande transparence régisse les relations entre le sportif et ceux qui sont chargés de l’accompagner.
Dans un domaine où les enjeux financiers sont, comme cela a été rappelé, si importants, il est normal et légitime qu’un véritable encadrement se fasse jour et permette un contrôle de l’accès à la profession d’agent sportif et de l’exercice de celle-ci.
Nous le constatons, le sport n’a désormais plus de frontières. Il est donc essentiel que les agents sportifs, qui apportent leur concours aussi bien sur le territoire national qu’à l’échelle de l’Union européenne, voire du monde entier, voient leur activité réglementée.
Il ne faut pas l’oublier, l’agent sportif doit être avant tout au service du sportif. C’est pourquoi il faut saluer cette proposition de loi, qui a le mérite d’améliorer les relations contractuelles entre le sportif et son agent.
Toutefois, à ce moment de la discussion, je voudrais émettre une réserve.
En effet, je m’interroge sur l’avenir des relations entre le sportif et l’agent, à partir du moment où il sera possible que l’agent soit rémunéré par les clubs. Un quotidien national met aujourd’hui l’accent sur ce point, mais je suis sûr que vous allez nous rassurer, monsieur le secrétaire d'État.
Certes, la volonté est ici de rendre plus transparente la rémunération des agents. Mais qu’en sera-t-il de l’indépendance des agents à l’égard des clubs, dès lors que ces derniers contribueront désormais à leur rémunération ?
En principe, l’agent représente un sportif dans le cadre d’un contrat de courtage qui les lie. La mesure précitée peut amener à s’inquiéter, peut-être à tort, de la sincérité du lien qui unira, à l’avenir, les deux parties. Les enjeux financiers sont parfois tels que l’on risque de ne plus savoir si l’agent a agi en vue d’un intérêt financier ou, comme cela doit être normalement le cas, en vue de l’intérêt du sportif.
Ces interrogations étant formulées, monsieur le rapporteur, monsieur le secrétaire d’État, la proposition de loi présente, reconnaissons-le, certaines avancées.
Ainsi, elle tend à clarifier les conditions d’accès à la profession, que les agents soient ou non Français, ainsi que les relations entres les différents acteurs du monde sportif. Elle vise à améliorer le contrôle et à permettre au Comité national olympique et sportif français de jouer un rôle d’arbitre, notamment à l’occasion des conciliations des conflits opposant les agents sportifs aux fédérations.
Par ailleurs, le dispositif portant interdiction de rémunérer un agent lorsque le sportif est mineur est à saluer. C’est l’occasion de moraliser quelque peu les opérations concernant les jeunes sportifs.
Cette volonté de transparence est à souligner, car elle permet à la fois de protéger les sportifs et d’encadrer une profession qui, somme toute, est nécessaire. C’est véritablement une chance pour cette dernière que son rôle, ses contours et son champ exact soient clarifiés.
La proposition de loi a en outre pour objet d’éviter toute confusion avec d’autres acteurs du sport, voire tout débordement. Alors que le sport se manifeste de plus en plus à l’échelle européenne et même mondiale, il était temps de préciser les conditions d’exercice de la fonction d’agent sportif, que l’intéressé soit Français ou ressortissant d’un État membre de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen.
Cette proposition de loi représente aussi une chance pour ceux qui accompagnent au quotidien nos grands champions. Cependant, soyons clairs, elle ne produira pleinement ses effets que si l’ensemble du milieu sportif, que ce soient les sportifs eux-mêmes, les clubs ou encore les fédérations, s’implique dans cette démarche de transparence et de moralisation de la profession d’agent sportif. Dans le cas contraire, nous verrons réapparaître des situations dans lesquelles l’argent sera au centre des affaires, indépendamment de l’intérêt des sportifs !
Trop d’affaires ont défrayé la chronique, trop de feuilletons judiciaires, notamment dans le football, ont donné une mauvaise image de cette profession. Il était temps d’y accorder une attention toute particulière. Cette proposition de loi constitue une avancée importante pour le développement de cette activité, qui doit rester au service du sport et des sportifs.
Les montants des transferts pèsent malheureusement trop lourd. À défaut de pouvoir agir sur ce point, réjouissons-nous que cette proposition de loi nous permette de tenter d’arrêter l’escalade.
La moralisation de la profession passe aussi par un changement d’attitude, en particulier à l’égard des jeunes sportifs, notamment ceux qui viennent de pays en voie de développement.
En effet, trop souvent, on les abandonne sans scrupules s’ils n’ont pas les qualités requises, après leur avoir demandé de quitter leur pays, leur famille. La conclusion terrible qui est alors établie par certains est qu’ils ne peuvent rien apporter aux clubs, au milieu sportif professionnel en général. Ces hommes abandonnés, qui n’ont plus les moyens de rentrer chez eux, sont livrés à eux-mêmes, sans avenir certain. Au départ, il y avait l’espérance ; or perdre l’espérance, c’est un peu perdre la vie.
Gardons à l’esprit les propos de Pierre de Coubertin : « Le sport va chercher la peur pour la dominer, la fatigue pour en triompher, la difficulté pour la vaincre. »
Pour conclure, je salue une nouvelle fois l’initiative de notre collègue Jean-François Humbert, ainsi que le travail de notre rapporteur, Pierre Martin. Avec ce texte, ils tentent de vaincre l’opacité d’un système dans lequel le sport doit conserver toutes ses lettres de noblesse. (Applaudissements sur les travées de l’UC-UDF et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Serge Lagauche.
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, de profondes mutations allant à l’encontre de l’éthique sportive ont, ces dernières années, entaché le sport professionnel. Argent et dopage ont été, et sont toujours, à la source de dérives qui, si elles ne sont pas nouvelles, ont pris une ampleur particulière avec la médiatisation et la mondialisation des événements sportifs.
Par ailleurs, en supprimant les quotas de joueurs liés à la nationalité au nom de la libre circulation des travailleurs entre les États membres, l’arrêt rendu le 15 décembre 1995 par la Cour de justice des Communautés européennes dans l’affaire Bosman a ouvert la voie à une dérégulation du marché des transferts et a ainsi constitué un appel d’air favorisant, en France notamment, l’intervention d’intermédiaires étrangers dont l’activité de mise en relation de joueurs étrangers avec des clubs français a pour partie échappé à tout contrôle.
Le sport doit représenter un certain nombre de valeurs morales, favoriser l’épanouissement personnel, l’esprit d’équipe et de performance, mais le développement du « sport spectacle » et sa médiatisation croissante – on pense notamment au marché colossal représenté par la vente des droits de diffusion du championnat de France de Ligue 1 de football – ont engendré des enjeux financiers considérables. Les sommes échangées entre les grands clubs lors des transferts de joueurs ont donné lieu à des pratiques frauduleuses à propos desquelles est très souvent pointé du doigt le rôle joué par les agents sportifs, véritables hommes de l’ombre des circuits sportifs professionnels.
Depuis la loi du 6 juillet 2000 modifiant la loi relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives, l’encadrement de l’activité d’agent sportif a été calqué sur celui qui vaut pour la profession d’agent artistique.
L’activité d’agent sportif est soumise à l’octroi d’une licence d’une durée de trois ans, délivrée et renouvelée par l’une des vingt-sept fédérations sportives délégataires d’une mission de service public.
Si la loi de 2000 a très strictement encadré la profession d’intermédiaire sportif en posant les règles d’accès, d’exercice et de contrôle des agents sportifs, le système en vigueur depuis huit ans et la réglementation de son application ont montré leurs limites ; les contentieux mettant en cause des agents sportifs se sont multipliés.
Comment ne pas évoquer, à cet instant, le procès des comptes de l’Olympique de Marseille, les instructions et mises en examen au Paris Saint-Germain, l’instruction en cours sur le Racing-Club de Strasbourg ou encore l’enquête mettant en cause l’Association sportive de Saint-Etienne pour blanchiment d’argent ?
Le principal vice entachant le système est constitué par le paiement très fréquent de l’agent par les clubs, et non par les joueurs – c’est la pratique dite du double mandatement –, alors que le code du sport dispose très clairement, en son article L. 222-10, qu’ « un agent sportif ne peut agir que pour le compte d’une des parties au même contrat, qui lui donne mandat et peut seule le rémunérer ».
C’est l’interchangeabilité, totalement illégale, entre l’agent et le club qui a donné lieu aux affaires de collusion frauduleuse et de corruption ou aux détournements d’argent que je viens d’évoquer. Le versement de rétrocommissions par les agents aux dirigeants des clubs, par le biais de la surfacturation préalable des transferts, s’en est trouvé facilité.
Il ressortait des conclusions du rapport d’enquête sur l’exercice de la profession d’agent sportif rendu par l’Inspection générale de la jeunesse et des sports le 1er avril 2005 que si toutes les fédérations avaient, conformément à la législation en vigueur, mis en place une procédure d’accès à la profession d’agent sportif, leur mission légale de contrôle de cette activité n’était qu’imparfaitement assurée.
Le rapport relève en effet le très faible taux de contrats de mandat soumis aux fédérations. Ce taux est nul à la Fédération française de volley-ball, du fait de la décision de celle-ci de demander aux agents d’acquitter une redevance annuelle. Il est de 20 % à la Fédération française de hand-ball, et de 35 % à la Fédération française de football.
Étaient également mis en évidence le non-respect quasiment généralisé de l’obligation de rémunération de l’agent sportif par le seul mandant, le club s’acquittant de cette rémunération, et l’exercice de l’activité d’agent par de très nombreuses personnes dépourvues de licence. En effet, on estime que, pour 180 titulaires d’une licence d’agent sportif délivrée par la Fédération française de football, il existe entre 400 et 500 faux agents qui ne possèdent pas la licence mais qui, étant très bien intégrés, sont acceptés par certains clubs et jouent le rôle de prête-nom.
Le rapport souligne en outre le mauvais contrôle des agents du fait de la possibilité ouverte par la loi d’attribuer la licence à une personne morale, les salariés d’une société ayant obtenu la licence n’étant ainsi pas contrôlés.
Par ailleurs, le rapport met en exergue la multiplication des cumuls de la fonction d’agent avec celle de membre de l’encadrement d’un club, la détention, par un agent, de parts de capital de clubs, ou l’accession à des postes de responsabilité dans des clubs après avoir exercé la profession d’agent sportif. Toutes ces situations sont, selon les rédacteurs du rapport, « porteuses de risques en termes de conflits d’intérêts ».
Étaient enfin visés les agents impliqués dans des procédures judiciaires et/ou fiscales, notamment du fait du reversement d’une partie des commissions à des joueurs bénéficiant ainsi de compléments de revenus échappant aux charges sociales.
À la fin de 2006, le constat de tous ces manquements et déviances avait conduit le groupe socialiste de l’Assemblée nationale à demander la création d’une commission d’enquête, qui avait été refusée. Cette demande fut néanmoins à l’origine de la mission d’information sur les conditions de transfert des joueurs professionnels de football et le rôle des agents sportifs, présidée par M. Dominique Juillot, dont le rapport d’information, présenté en février 2007, comporte vingt propositions pour encadrer, et par là même moraliser, l’activité d’agent sportif.
La proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise sur l’initiative de notre collègue Jean-François Humbert, écrite en étroite collaboration – je ne peux imaginer qu’il en soit autrement – avec le ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative, reprend précisément la plupart des propositions formulées dans le rapport de la mission d’information que j’évoquais.
Les conditions d’accès, d’exercice et de contrôle de l’activité d’agent sportif seront indéniablement améliorées. La protection des jeunes sportifs mineurs sera accentuée.
On peut toutefois déplorer le très faible montant – 3 750 euros – de l’amende due en cas de violation de l’interdiction de percevoir une rémunération lors de la signature d’un contrat par un mineur.
Afin de rendre plus transparentes les conditions d’attribution de la licence d’agent sportif, il est prévu que celle-ci ne pourra plus être délivrée qu’à une personne physique, et non à une personne morale, comme le permet la législation actuelle.
Cette personnalisation de l’octroi de la licence d’agent devrait permettre de lever l’incertitude qui planait sur le rôle des collaborateurs d’agents sportifs dirigeants d’une société détentrice d’une licence. Nous regrettons toutefois que la démarche de clarification n’ait pas été menée jusqu’à son terme au travers de cette proposition de loi, en précisant que les préposés d’agents sportifs sont cantonnés à l’exécution de tâches administratives nécessaires au fonctionnement de la société constituée et que tous salariés de ladite société exerçant des fonctions d’intermédiaire doivent, eux aussi, être titulaires d’une licence d’agent sportif.
Le régime des incapacités et incompatibilités auquel sont assujettis les agents sportifs sera renforcé, le renouvellement triennal de la licence sera supprimé au bénéfice d’un contrôle annuel de l’activité de l’agent sportif par la fédération dont il dépend, et la gradation des sanctions disciplinaires sera complétée et les sanctions pénales aggravées.
Mes collègues du groupe socialiste et moi-même pensons que ces mesures constituent une avancée indéniable au regard de la législation en vigueur et qu’elles devraient contribuer sensiblement à corriger les déviances observées dans la pratique de l’exercice de la profession d’agent sportif.
Néanmoins, il demeure plusieurs points sur lesquels nous ne pouvons être satisfaits.
Ainsi, dans un esprit constructif d’amélioration du dispositif de la proposition de loi, nous soumettrons au Sénat un certain nombre d’amendements.
Tout d’abord, il nous semble pertinent d’encadrer plus fermement l’activité de « préposé » d’agents sportifs, en soumettant son exercice à l’obligation de détention d’une licence lorsque l’intéressé n’effectue pas que des tâches administratives.
Pour limiter le plus possible les risques de conflits d’intérêts, nous proposerons également d’interdire formellement tout cumul des fonctions de dirigeant, d’associé ou d’actionnaire d’une société d’agent sportif avec celles de sportif ou d’entraîneur.
Par ailleurs, nous souhaitons encadrer davantage l’activité des agents sportifs qui ne sont pas ressortissants d’un État membre de l’Union européenne ou d’un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen, en les soumettant à l’obligation d’obtention d’une licence d’agent sportif dans des conditions équivalentes à celles qui prévalent pour les agents ressortissants d’un État membre de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen.
Enfin, nous sommes plus que sceptiques concernant la légalisation de la pratique du double mandatement telle qu’elle nous est proposée par la nouvelle rédaction de l’article L. 222-10 du code du sport.
Il est vrai que la prohibition actuelle n’a pas atteint son but, dans la mesure où elle n’a pas permis d’éviter les pratiques occultes et frauduleuses de versement de rétrocommissions par les clubs aux agents et aux joueurs.
Mais, plutôt que de mettre en place les moyens permettant un contrôle accru des contrats passés entre un agent et un sportif – on pense notamment au renforcement des prérogatives de la Direction nationale de contrôle de gestion, la DNCG, chargée de surveiller les comptes des clubs de football professionnel en France –, vous prévoyez simplement de légaliser cette pratique, en espérant qu’une telle mesure suscitera de la part des cocontractants un plus grand nombre de déclarations, et donc un contrôle renforcé des fédérations sur les contrats passés entre le sportif, son agent et son club.
Nous pensons au contraire que la prohibition du double mandatement aurait dû demeurer la règle. Seul un renforcement des contrôles des contrats passés entre les agents et les sportifs ou les agents et les clubs, combiné à des investigations plus poussées des services de police judiciaire pour traquer les fraudes, peut permettre de débusquer et de limiter les manœuvres fiscales et les détournements d’argent.
C’est aux fédérations qu’a été confiée la charge de contrôler le respect du principe selon lequel on ne peut être à la fois l’agent du joueur et l’agent du club entre lesquels un contrat est signé. Ce principe doit demeurer, et les moyens de contrôle doivent être étendus.
Au lieu de cela, la proposition de loi de notre collègue Jean-François Humbert permet la rémunération des agents de joueurs par les clubs. L’effet bénéfique supposé est le dépôt des contrats d’agents auprès des fédérations, ce qui leur permettrait, selon M. le rapporteur, de contrôler la régularité des rémunérations mentionnées dans les contrats.
En d’autres termes, chers collègues, vous faites reposer, ni plus ni moins, l’efficacité des contrôles fédéraux sur la bonne volonté des cocontractants, qui seraient incités à déclarer au niveau fédéral les contrats passés.
Ce raisonnement est d’autant plus contestable que le texte qui nous est proposé par M. Humbert étend aux ligues professionnelles le pouvoir de contrôle actuellement détenu par les seules fédérations sur les contrats conclus par l’intermédiaire d’un agent sportif. Les parties au contrat pouvant être les clubs dont les ligues représentent les intérêts, il y a fort à craindre que ces dernières ne deviennent à la fois juges et parties !
Les dérives du sport professionnel sont nombreuses, mais elles ont toutes un lien entre elles : l’absence de contrôle financier et le sentiment d’impunité qui prévaut.
Nous ne contestons pas l’insuffisance des contrôles fédéraux ; nous pensons simplement que les fédérations doivent être épaulées par des contrôles externes complémentaires. Nous souhaitons légiférer pour lutter contre les dérives, et non pas changer la loi pour les officialiser !
Plusieurs pistes alternatives ont été proposées par les experts du sport professionnel pour intensifier les contrôles. La certification des agents sportifs par un organisme indépendant en fait partie, tout comme la mise en place d’une direction nationale de contrôle de gestion rattachée au ministère des sports ou à la Cour des comptes.
Enfin, il semblerait intéressant de créer un service de police spécialisé dans la lutte contre les dérives du sport dont les compétences seraient élargies au dopage, à la corruption et aux paris truqués.
La lutte contre la fraude, comme la lutte contre le dopage, est l’affaire de tous les acteurs concernés. Il serait cependant illusoire de croire à une solution miracle d’autorégulation menant à l’éradication définitive des abus et des détournements. Seule une volonté constante d’information des jeunes et de tous les publics de la part des clubs permettra de réduire les abus.
Quant aux sanctions, elles devront être appliquées avec rigueur, en particulier par le monde sportif.
S’agissant de la police judiciaire et de la justice, elles devront continuer à remplir leur mission d’investigation et de sanction, afin de soutenir les efforts des fédérations.
L’adoption de la proposition de loi de notre collègue Jean-François Humbert permettra d’apporter quelques améliorations ; elle constitue à nos yeux une première étape sur la voie d’une meilleure régulation du sport professionnel, afin que l’éthique et la morale y soient respectées. Malheureusement, ce texte ne permettra pas de faire disparaître l’ensemble des vices entachant l’activité d’agent sportif et les transactions afférentes.
La corruption et les transferts occultes de sommes considérables lors des achats et des transferts de joueurs ternissent l’image du sport professionnel. Malgré quelques avancées visant à moraliser les relations du triptyque joueurs-agents-clubs, nous sommes opposés à la légalisation de la pratique du double mandatement opérée par ce texte, cette pratique ayant largement contribué à développer un système de rétrocommissions qui gangrène littéralement le football professionnel.
Parce que nous pensons que cette proposition de loi ne change rien, nous voterons contre. Respectueux des bonnes intentions de nos collègues, mais sans illusion, nous leur laissons la responsabilité de prolonger une situation qu’ils réprouvent.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Voguet.
M. Jean-François Voguet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je partage l’analyse de M. le rapporteur : notre législation sur les agents sportifs doit être revue. C’est même une évidence !
Le constat est précis, il est même accablant. Les textes actuels sont issus pour l’essentiel de la loi du 6 juillet 2000, qui avait été présentée par mon ami Marie-George Buffet, alors ministre de la jeunesse et des sports.
Dès cette époque, devant le développement d’une activité encore à la frontière de la légalité et de certains « agissements » qu’il fallait évidemment encadrer, la nécessité de réglementer les pratiques se faisait jour.
Depuis, malgré différentes affaires et de nombreuses propositions issues d’horizons divers, rien n’est venu endiguer les dérives.
Les textes n’ont pas été modifiés ni réellement appliqués, et le laisser-faire s’est installé. Aujourd’hui, ce n’est toujours pas sur un projet gouvernemental que nous sommes appelés à nous prononcer.
C’est en effet sous la pression d’une proposition de loi que nous devons légiférer, un texte qui a été déposé, étudié et inscrit à l’ordre du jour en moins de deux semaines et qui ne répond pas à l’ensemble des problématiques posées. Espérons qu’il ne s’agit pas là d’une loi de circonstance !
M. le rapporteur note que la fraude fiscale est toujours recherchée lors des mouvements de fonds liés aux transferts de joueurs, tout comme, d’ailleurs, le blanchiment d’argent, sans compter la tentation permanente de réduire les cotisations sociales à tout prix ! Il déclare ensuite que ces dérives sont d’autant plus inquiétantes que les causes de leur développement ne risquent pas de disparaître.
Cependant, nous considérons que rien, dans le texte qui nous est proposé aujourd’hui, ne viendra réellement endiguer ces phénomènes. Des sommes considérables d’argent sale continuent d’être blanchies et de circuler, et la fraude fiscale devient une pratique courante.
Pour illustrer mon propos, je prendrai un exemple. Actuellement, l’article L. 222-10 du code du sport interdit le double mandatement. Pourtant, M. le rapporteur en fait état, et tout le monde le reconnaît aujourd’hui, les clubs rémunèrent les agents mandatés par les joueurs. Il remarque aussi que ces pratiques existent encore parce qu’elles correspondraient à un intérêt partagé. Mais partagé par qui ?
Des sommes importantes sont ainsi échangées sans contrôle, toujours au détriment du fisc, pour réduire le poids des cotisations sociales. Certes, certains intérêts sont sauvegardés, mais pas ceux du sport, ni ceux de la nation. C’est en tout état de cause ce que nous croyons.
Pour réduire ces flux financiers illégaux, plutôt que de nous proposer de renforcer les moyens de contrôle et d’enquête ainsi que les sanctions, on nous invite purement et simplement à légaliser ce qui était interdit. Tout le monde sportif serait d’accord, nous dit-on. Pourtant, ni le rapport de l’Inspection générale de la jeunesse et des sports, ni le rapport d’information du député Dominique Juillot, ni même d’ailleurs le Livre blanc de la Ligue de football, ne contenaient une telle proposition.
Par ailleurs, des propositions importantes et très intéressantes de ces différents rapports ne sont pas reprises dans le texte qui nous est présenté aujourd’hui. Je pense en particulier à la centralisation bancaire des flux financiers liés aux transferts, proposée par la Ligue, ou encore aux conclusions de l’Inspection générale de la jeunesse et des sports visant à renforcer les compétences de la Direction nationale de contrôle de gestion, à alourdir les sanctions financières, voire à instaurer des sanctions sportives contre les clubs qui ne respecteraient pas les règles.
Nous regrettons que ces pistes de réflexion n’aient pas été explorées.
Ainsi, malgré quelques avancées, notamment le renforcement des incompatibilités et les nouvelles règles pour encadrer l’exercice de la profession d’agent sportif, je crains que ce texte, déjà très en retrait, ne réponde ni aux enjeux ni aux exigences d’une lutte pourtant nécessaire pour endiguer durablement des pratiques illégales.
Ces modifications bien partielles et sans grande ambition ne pourront atteindre, j’en ai la certitude, l’objectif affiché de mettre fin aux dérives du « sport spectacle ». La volonté politique semble manquer ici.
En outre, au-delà de ces mesures, que nous soutenons, ce texte vise à différencier deux types de contrats pouvant être négociés par un agent. Il permet, par ailleurs, le paiement par les clubs des agents intervenant au nom des sportifs et étend l’activité d’agent à la négociation de contrats en faveur des entraîneurs.
Ces dernières modifications auront pour conséquence commune d’ouvrir le marché et de réduire les cotisations sociales des cocontractants. Vous comprendrez que nous ne puissions nous résoudre à une telle perspective !
Après la loi du 15 décembre 2004, le sport professionnel tente ainsi une nouvelle fois de réduire ses versements sociaux, au détriment de la solidarité nationale, ce que nous regrettons.
Par ailleurs, nous nous interrogeons sur les moyens dont disposeront les fédérations pour mener à bien les missions qui leur sont dévolues. Si certains rapports ont noté un faible engagement des fédérations dans le contrôle des contrats et des agents sportifs, ce que nous déplorons, force est aussi de constater que les moyens qui sont dévolus par le secrétariat d’État chargé des sports, de la jeunesse et de la vie associative sont en baisse depuis quelques années. Nous nous inquiétons également des nouvelles coupes budgétaires annoncées pour 2009.
Dans ces conditions, nous craignons que le Gouvernement, une nouvelle fois, ne se défausse, en ne donnant pas aux fédérations les moyens d’assumer les missions qu’il leur délègue. Ce serait grave, car chacun sait que, sans ressources financières, les fédérations ne pourront pas mettre en place les circuits administratifs de suivi et de contrôle des contrats, et encore moins se doter de l’expertise nécessaire aux contrôles annuels de l’activité des agents.
Dans ces conditions, malgré quelques avancées, que nous saluons, nous voterons, vous l’aurez compris, mes chers collègues, contre ce texte.