M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Faire cesser quelque chose qui n’a pas encore commencé, c’est beau ! (Sourires.)
Mme Valérie Létard, secrétaire d’État. La formule communautaire possède en effet le mérite d’indiquer au juge le caractère dynamique et approfondi que doit prendre son analyse de l’existence ou non d’une discrimination. C’est à l’évidence un dispositif très protecteur.
En ce qui concerne l’article 7, le Gouvernement se félicite du choix de la commission mixte paritaire de revenir au texte adopté par l’Assemblée nationale en ce qui concerne les différences de traitement fondées sur l’âge. Les précisions apportées à la notion de but légitime permettent en effet de mieux expliciter la nature des différences de traitement autorisées afin de prendre en compte les spécificités liées à l’âge. Ces précisions figurent dans la directive et elles nous paraissent, une fois de plus, de nature à apporter de plus grandes garanties aux personnes, notamment devant le juge.
Cette étape législative ne clôt bien évidemment pas le chantier de la lutte contre les discriminations et, comme j’avais déjà eu l’occasion de le rappeler lors du premier examen devant votre assemblée, le Gouvernement n’avait pas choisi de faire de ce projet de loi de transposition un instrument d’approfondissement ou de réorientation de la politique de lutte contre les discriminations en France. Les délais imposés par les échéances de transposition et les procédures en cours ne nous en laissaient pas le temps alors que, précisément, l’amplitude des champs couverts est immense et que la matière supporte moins qu’aucune autre l’approximation.
Cela ne signifie pas que nous ne souhaitons pas continuer à agir avec force, car ce combat pour l’égalité des chances, le Gouvernement auquel j’appartiens veut le mener avec détermination. Comme je l’avais indiqué, nous reviendrons bientôt devant vous avec un projet de loi sur le statut du beau-parent. Nous vous présenterons également un projet de loi sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, qui s’inscrira dans le prolongement de la conférence organisée le 26 novembre dernier, à la demande du Président de la République et en concertation étroite avec les partenaires sociaux. Ce projet de loi est en préparation ; il incitera les entreprises à s’acquitter de leurs obligations légales en matière d’égalité salariale entre les hommes et les femmes avant le 31 décembre 2009, sous peine de sanctions financières. Il s’agit pour nous de supprimer les discriminations inadmissibles dont sont encore victimes les femmes en matière de rémunération.
La préparation de ce texte s’accompagne d’une série de travaux qui favoriseront la négociation collective dans les entreprises sur ce sujet. Un rapport sur la simplification du rapport de situation comparée des femmes et des hommes a été présenté aux partenaires sociaux. Au vu de ses conclusions et des observations formulées par ceux-ci, un rapport de situation comparé amélioré sera très prochainement mis à la disposition des entreprises. Le rapport actuel n’est en effet utilisé que par un tiers des entreprises du fait de sa complexité.
Nous vous proposerons prochainement de ratifier la convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, qui sera également ratifiée par la Communauté européenne.
En matière de lutte contre les violences faites aux femmes, un nouveau plan a été adopté pour la période 2008-2010 et, dans ce cadre, j’ai créé une commission de réflexion sur l’image des femmes composée de professionnels des différents secteurs des médias. Cette commission est chargée de définir les principes qu’il convient d’observer pour mettre un terme aux dérives dues aux représentations stéréotypées des femmes. Elle remettra son rapport à l’automne et ses conclusions nous guideront pour proposer des mesures concrètes afin de répondre à cette problématique qui est au cœur du phénomène de discrimination envers les femmes.
Je veux enfin vous dire que notre engagement en faveur de l’égalité des chances sera au cœur de la présidence française de l’Union européenne. Nous avons été mobilisés contre les discriminations en 2007, année européenne de l’égalité des chances ; nous le serons aussi en 2008. Nous avons d’ailleurs prévu d’organiser, à la fin du mois de septembre 2008, un sommet européen pour l’égalité des chances qui fera écho à la manifestation du même type organisée en 2007.
Par ailleurs, nous apporterons à la Commission le soutien qu’elle peut attendre de la présidence en exercice pour la mise en œuvre des mesures qu’elle devrait proposer, au cours du second semestre 2008, dans une communication sur l’égalité des chances. Nous soutiendrons ainsi la proposition de directive interdisant les discriminations fondées sur le handicap en matière d’accès aux biens et services que présentera la Commission en juin prochain.
La présidence slovène est très mobilisée sur ce thème et est prête à préparer le terrain à l’occasion de la conférence ministérielle sur le handicap qu’elle organisera le 23 mai prochain.
L’enjeu est de définir des normes d’accessibilité au niveau européen, pour faire de l’Europe « le continent le plus accessible au monde ». Ces négociations ne seront pas faciles. Les réticences sont fortes car les coûts de mise en conformité peuvent être importants et, dans un tel domaine, les États membres votent à l’unanimité.
Comme vous pouvez le constater, notre feuille de route est longue et dense, mais vous pouvez compter sur notre détermination à faire avancer la lutte contre toutes les formes de discrimination, au niveau national comme au niveau européen.
Nos travaux et votre vote, mesdames, messieurs les sénateurs, vont nous permettre de franchir une étape importante. Je vous donne rendez-vous pour les étapes législatives ultérieures et j’espère pouvoir compter sur votre soutien.
Je tenais enfin à remercier non seulement M le président de la commission des affaires sociales et Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes du travail qui a été accompli, mais aussi toutes celles et tous ceux qui ont participé à ce débat en l’enrichissant. (Applaudissements sur les travées de l’UC-UDF et de l’UMP.))
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai déjà exprimé, lors de la discussion générale en première lecture, les réserves que m’inspirait ce projet de loi. J’y reviendrai brièvement.
De par sa forme et les dispositions qu’il contient, ce texte ne constituera pas une avancée majeure dans la lutte contre les discriminations dans notre pays.
Comme l’indique d’ailleurs honnêtement l’exposé des motifs, ce texte ne vise en effet qu’à transposer dans notre droit des dispositions de directives dont l’absence de transposition a valu à la France plusieurs mises en demeure de la Commission européenne. Encore ne s’agit-il que d’une transposition a minima. Le Gouvernement n’a donc fait inscrire ce texte à l’ordre du jour du Parlement que pour répondre aux injonctions répétées de la Commission et éviter les risques de condamnation de la France pour carence à la veille de la présidence française de l’Union !
Si nous pouvons facilement comprendre ce souci, il ne me semble pas que cette transposition à la va-vite soit pour autant satisfaisante. Le texte qui nous est présenté se contente de répondre, point par point, aux observations de la Commission ; il n’est en aucun cas le fruit d’une volonté du Gouvernement de répondre concrètement au phénomène des discriminations.
Dans un pays qui a inscrit l’égalité dans sa devise, il est dommage qu’il faille attendre des menaces de condamnation par l’Europe pour légiférer sur cette rupture d’égalité massive que constituent les discriminations !
Cette absence d’approche globale en matière de lutte contre les discriminations est patente dans la forme même du texte, qui ne présente aucune cohérence. Il s’agit simplement d’un empilement de mesures hétéroclites. Le Gouvernement aurait dû, selon moi, saisir l’occasion de cette transposition pour légiférer de façon plus globale et plus cohérente sur les problèmes de discrimination et d’égalité, notamment pour reprendre les recommandations récemment formulées par la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE.
En vérité, ce texte ne fait que complexifier encore notre droit en matière de discriminations.
Ainsi, en reprenant mot à mot les définitions communautaires, l’article 2 introduit un traitement différencié en fonction de la nature des discriminations. Ce « différentialisme » est parfaitement étranger à la conception française du principe d’égalité, qui se veut plus universaliste. De plus, ce texte introduit des définitions différentes des discriminations selon les codes, ce qui rendra encore plus illisible la législation en la matière.
Les discriminations constituent aujourd’hui un phénomène massif dans notre société, en ce qui concerne tant l’emploi que les loisirs ou le logement. Nombre de nos concitoyens sont quotidiennement « discriminés » en fonction de leur sexe, de leur origine, de leur religion, de leur orientation sexuelle ou de leur état de santé. Cet enjeu majeur de cohésion sociale aurait mérité une législation autrement plus ambitieuse que celle que vous nous proposez, madame la secrétaire d’État.
L’absence de volonté du Gouvernement de faire réellement progresser la lutte contre les discriminations et votre refus de voir le Parlement légiférer réellement à ce sujet sont encore plus évidents après les conclusions de la commission mixte paritaire. Le Gouvernement montre ainsi quelle considération il a pour les travaux de la représentation nationale !
En effet, certains amendements étaient compatibles avec les dispositions communautaires, mais vous avez cru bon de les ignorer. J’en veux pour preuve le rétablissement du 9e alinéa de l’article 2, prévoyant que le contenu des médias et de la publicité est exclu du champ d’application de l’interdiction de discriminations fondées sur le sexe dans la fourniture de biens et services. Vous nous dites, madame la secrétaire d’État, que vous avez engagé un travail sur cette question, mais nous aurions pu gagner du temps si ces amendements avaient été retenus.
La suppression de cet alinéa a pourtant été réclamée tout à la fois par la commission, la délégation aux droits des femmes et à l’égalité entre les hommes et les femmes et la majorité des groupes politiques, et elle a été adoptée à une écrasante majorité. Notre assemblée pensait, en effet, que cette disposition, qui ne répondait pas à une exigence communautaire, allait à l’encontre de notre souci de lutter contre les préjugés et les stéréotypes sexistes dans les médias et la publicité. Mais cette maigre avancée législative n’était pas de votre goût !
Outre ces réserves, votre texte m’inspire une autre inquiétude, madame la secrétaire d’État.
Comme je l’ai déjà dit, le Gouvernement a, de façon constante, présenté ce projet de loi comme un simple texte de transposition et s’est opposé aux amendements parlementaires qui allaient au-delà de cet objectif. Pourtant, votre texte contient une disposition que ne commandait aucune directive et dont personne ne sait pourquoi elle a été dissimulée dans ce projet – je m’étonne d’ailleurs, madame la secrétaire d’État, que vous n’ayez pas évoqué ce point, qui a donné lieu à débat –, je veux parler de la disposition de l’article 2 du projet de loi qui autorise l’organisation d’enseignements par regroupement des élèves en fonction de leur sexe.
Étrangement, personne dans ce Gouvernement ne revendique cette disposition, et il a été impossible, lors du débat parlementaire, d’obtenir plus d’informations sur son objectif et sa visée.
Une fois de plus, l’Europe a bon dos ! En effet, contrairement aux allégations du Gouvernement, aucune des directives à transposer ne comportait de disposition de ce genre. Je soulignerai en particulier que le domaine de l’éducation a été expressément exclu du champ d’application des textes communautaires.
La réalité, c’est que cette disposition a été dissimulée dans ce texte par le Gouvernement, qui une fois de plus, pour éviter un débat parlementaire approfondi, s’est camouflé derrière de prétendues exigences européennes.
Vous savez bien, madame la secrétaire d’État, qu’aucun ministre de l’éducation n’aurait eu l’audace d’inscrire dans nos textes, même par voie de circulaire, une telle atteinte au principe de mixité scolaire. S’il l’avait fait, il se serait immédiatement exposé à la foudre des organisations laïques et des syndicats de l’enseignement.
Au Sénat, tous les groupes parlementaires, la délégation aux droits des femmes, ainsi que la commission étaient d’accord pour supprimer cette disposition. Or, contre toute attente, le Gouvernement a maintenu sa position, sans aucune explication.
Cet épisode en dit long sur la liberté de parole et d’amendement de la majorité et augure mal de la façon dont on entend donner plus de pouvoir au Parlement !
La mixité, madame la secrétaire d’État, est un acquis fragile et ses détracteurs invoquent principalement trois arguments.
Le premier, d’ordre pédagogique, met en évidence le frein que peut constituer la mixité aux performances respectives des filles et des garçons.
Le deuxième, d’ordre social, souligne la montée des violences dans les établissements, notamment les violences sexuelles.
Le troisième, enfin, que l’on peut classer, faute de mieux, dans la catégorie « morale », déplore l’indécence qu’il y aurait, pour les garçons et les filles, à suivre des cours en commun.
La délégation aux droits des femmes du Sénat s’était saisie de cette question en 2004. Elle avait conclu que les réponses aux problèmes soulevés se trouvaient non pas dans la ségrégation, mais dans la formation des enseignants, l’encadrement éducatif, le contenu des manuels scolaires et surtout dans la volonté politique d’accompagner les jeunes femmes dans des choix d’orientation professionnelle dont elles ont tendance à s’auto-exclure.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Je suis bien d’accord !
Mme Bariza Khiari. J’en suis d’autant plus désolée !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Nous reviendrons sur ce sujet ultérieurement ; il n’avait pas de rapport avec le texte dont nous discutons aujourd’hui.
Mme Bariza Khiari. Cela me rassure, monsieur About, et je suis sûre que Mme la secrétaire d’État n’en pense pas moins…
Au-delà de la valeur émancipatrice de la mixité, l’apprentissage du « vivre ensemble » commence dès l’école. C’est aussi à ce titre que la mixité est un principe à préserver. Cette mesure semble sortie de nulle part et personne n’a le courage de la revendiquer. Rien ne permet d’expliquer sa présence, alors que tous les protagonistes du débat parlementaire souhaitaient la voir disparaître. Au demeurant, son adoption ne constitue pas un faux pas ou un cafouillage. Au contraire, cette attaque contre la mixité semble issue d’une volonté déterminée, mais non avouée ! Ainsi, au plus haut niveau, on continue d’affirmer la supériorité du curé sur l’instituteur…
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ah !
Mme Bariza Khiari.… dans la transmission des valeurs.
On a voulu imposer les statistiques ethno-raciales, instrument fort utile pour gommer la question sociale et renvoyer les causes de la délinquance à l’origine ethnique.
Par ailleurs, nous venons d’apprendre que le Gouvernement vient de créer un fonds spécial pour aider les écoles confessionnelles à créer de nouvelles classes dans les quartiers défavorisés, alors que l’école laïque et républicaine y manque cruellement de moyens.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oui !
Mme Bariza Khiari. Aujourd’hui, en donnant la possibilité de déroger au principe de mixité dans l’éducation, on s’en prend une fois de plus à notre modèle laïque et républicain.
Si, avec tant d’autres Européens fervents, j’ai combattu les dérives libérales et parfois conservatrices de l’Europe, en l’occurrence, je ne peux pas laisser dire que c’est la faute à Bruxelles !
Laïcité, égalité, mixité : ce continuum, socle de notre modèle républicain, ne cesse de subir des attaques.
C’est pourquoi le groupe socialiste ne votera pas ce texte, et je ne parle pas du rejet de l’amendement portant sur le bilan social ni de celui qui concernait les délais de prescription en matière de discrimination.
Toutefois, comme il nous serait très difficile de voter contre un texte dont l’objet est de permettre de lutter contre les discriminations, le groupe socialiste s’abstiendra, madame la secrétaire d’État, et j’espère, monsieur About, que nous reviendrons sur la question de la mixité à l’école.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oui.
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Il y a quelques semaines, le sénat examinait un texte intitulé : « Projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations ».
À l’énoncé d’un tel titre, bien long au demeurant, nous aurions pu espérer un projet de loi ambitieux, utile pour celles et ceux qui, au quotidien, sont victimes de discriminations inacceptables. Las, tel n’est pas le cas du texte que vous nous proposez d’adopter aujourd’hui, madame la secrétaire d’État, après la réunion de la commission mixte paritaire, qui n’a finalement fait que remettre au goût du Gouvernement ce que le Sénat avait voulu modifier. Cela ne suffira pas à répondre aux exigences, pourtant bien légitimes, de millions de nos concitoyens.
En effet, la HALDE dénombre, dans son récent rapport, pas moins de dix-huit critères de discrimination, c’est-à-dire au moins autant de situations d’exclusions, tant il est vrai que le fait de discriminer constitue avant tout un acte de grande violence qui a pour objet, et bien souvent pour effet, de marginaliser, de mettre au ban, cet « autre », à qui l’on reproche de ne pas être comme on voudrait, comme la norme le voudrait.
En ce sens, l’analyse qui tend à faire croire qu’il y aurait des discriminations moins inacceptables, moins scandaleuses et moins violentes que d’autres est trompeuse. En effet, chaque discrimination subie renvoie purement et simplement celle ou celui qui en est victime à une vision déformée de son altérité et le place irrémédiablement dans le « camp des différents », étant entendu qu’il n’y a pas discrimination sans jugement.
En décidant de lutter contre toutes les formes de discriminations, la représentation nationale tente d’agir sur cela en favorisant l’émergence d’un concept avec lequel nous ne pouvons transiger : le « vivre ensemble ». Il s’agit non pas d’éduquer des citoyens capables de vivre côte à côte, quand bien même ils se toléreraient, mais bel et bien de donner les outils politiques et, n’ayons pas peur des mots, culturels, ou encore scientifiques, pour que, enfin, nous vivions les uns avec les autres. Il s’agit de construire un monde où chaque femme, chaque homme serait reconnu non sur sa particularité, mais sur une généralité en droit, un monde où vivre cet « en commun » n’est ni le clonage ni le formatage des individus, mais la capacité de vivre avec un autre, différent.
Certains diront qu’il s’agit d’une utopie. Oui, effectivement, si l’on comprend l’utopie dans son sens latin premier, utopia, ce qui n’a pas été encore réalisé, « ce monde qui n’existe nulle part » mais auquel, au fond, nous tentons tous d’accéder.
C’est à l’aune de cette exigence qu’il nous faut examiner ce projet de loi : participera-t-il demain à l’émergence d’une société nouvelle ? C’est à regret, croyez-le, que je dois répondre par la négative.
Comment aurait-il pu en être autrement ? Lors de la première lecture, ma collègue Annie David regrettait déjà le contexte dans lequel ce projet de loi nous était présenté. Il ne s’agissait pas principalement de répondre aux attentes légitimes de celles et ceux qui subissent chaque jour un traitement différencié en raison de leurs origines, de leurs patronymes, de leurs modes de vie, de leur situation de santé, de leurs orientations sexuelles, syndicales ou religieuses. Non, il s’agissait de faire bonne figure devant nos partenaires européens et d’éviter que la France ne soit, une fois encore, sanctionnée pour défaut de transposition à l’instant où Nicolas Sarkozy prend la présidence de l’Union européenne. Et cela se ressent profondément dans ce projet de loi, qui ne traite la discrimination que sur son aspect technique, au mépris total du ressenti de nos concitoyens.
Il aura définitivement manqué à ce texte le souffle humaniste. Sans doute est-ce là, et je le regrette, la conséquence d’un certain entêtement à n’appréhender ce projet de loi que d’une manière technique, le déclarant d’urgence alors que rien n’y obligeait et sans que soient reçues les associations qui auraient pourtant eu bien des choses à dire.
Que dissimule une telle précipitation ? Un temps, nous avons cru que le seul argument de l’impératif européen et de la présidence de l’Union suffisait à l’expliquer. Puis, les travaux avançant, les échanges se faisant, nous avons compris que le Gouvernement voulait éviter à la Haute Assemblée et, plus globalement, à la représentation nationale un réel débat sur les causes, les conséquences, les outils de lutte et sur les notions même de discrimination. Il ne voulait pas faire vite, il voulait éviter un débat d’ampleur qui aurait pu grandir avec le temps et le contraindre à des reculs qu’il ne voulait pas accepter. Ainsi s’explique l’urgence.
De la même manière, nous ne pouvons nous satisfaire du veto ministériel opposé à presque tous nos amendements, au motif que les directives européennes n’avaient pas prévu ce que nous proposons et qu’il fallait en rester à une stricte transposition. Mais alors, que n’avez-vous appliqué cette règle à votre propre rédaction, vous qui avez eu l’audace d’introduire, au détour de l’article 2, une disposition qui ne figure dans aucune des directives communautaires à transposer, et pour cause : cet alinéa prévoit la possibilité d’organiser des enseignements non mixtes ! C’est tout simplement contradictoire avec les objectifs même des directives que nous étions censés transposer.
En réalité, l’attitude du Gouvernement sur ce projet de loi fait écho à celle qu’il a eue lors de l’adoption récente du projet de loi de modernisation du marché du travail. Tantôt, il ne faudrait pas amender un projet de loi parce qu’il est issu d’une négociation avec les partenaires sociaux ; tantôt, il faudrait se contenter d’un simple copier-coller, car le projet de loi est d’inspiration communautaire.
À deux reprises, vous avez ainsi voulu réduire le rôle du Parlement à celui d’une simple chambre d’enregistrement, ce que nous ne pouvons comprendre ! C’est la raison pour laquelle nous avions déposé pas moins de vingt et un amendements, considérant, en outre, que votre projet de loi n’était pas de nature à résoudre les situations discriminantes subies par nos concitoyens.
Or, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, une directive, c’est, avant tout, la définition d’une conduite à mener, d’un objectif à atteindre. Les législateurs nationaux ne sont donc pas liés. Ils doivent, certes, transposer en droit interne et veiller au respect des orientations qui la caractérisent. Mais, à côté de ce devoir, réside une liberté, celle de prendre les mesures utiles pour rendre les directives effectives et les améliorer afin que le texte qui en résulte soit de pleine application. C’est ce droit que vous avez voulu restreindre en refusant de discuter sur le bien-fondé de nos amendements, sous le prétexte d’une interprétation très particulière du droit communautaire.
Ne croyez pas, madame la secrétaire d’État, que ces critiques ne soient que de pure forme, elles reposent sur le fond.
Ainsi, avez-vous rejeté les amendements que nous avions déposés visant à préciser les définitions des différentes discriminations. Il est regrettable, par exemple, que vous ayez refusé de transposer intégralement la définition du harcèlement sexuel. Cela ne sera pas sans conséquences pour les victimes de harcèlement sur leurs lieux de travail. Elles seront contraintes d’invoquer le seul harcèlement sexuel, alors que la directive européenne reconnaissait le harcèlement sexiste.
Cette même obstination à refuser la rédaction d’une définition unique du harcèlement, large dans son contenu, se traduit inéluctablement par une hiérarchisation inacceptable des discriminations. S’il est prohibé de discriminer dans l’accès au logement en raison des origines, le projet de loi reste muet pour ce qui est de la discrimination liée à l’état de santé ou aux orientations sexuelles. Cette hiérarchisation est d’autant plus inacceptable que, dans ces situations différentes, c’est toujours le même mécanisme d’exclusion qui se met en œuvre.
Ce débat aura au moins eu le mérite de faire naître sur le sujet une réelle discussion ; effectivement, tout traitement différencié n’est pas discriminatoire, mais reconnaissez que la limite est mince, car toute discrimination est nécessairement caractérisée par un traitement différencié.
Malgré leur opposition résolue à la méthode et bien que constatant l’insuffisance de ce projet de loi, les membres du groupe communiste républicain et citoyen étaient disposés à s’abstenir. Mais c’était sans compter avec l’insertion scandaleuse du dernier alinéa de l’article 2, qui prévoit, ni plus ni moins, l’autorisation légale de revenir dans les écoles à la ségrégation en fonction des sexes. Ce retournement philosophique et historique motive à lui seul l’opposition du groupe CRC. Vous comprendrez donc que je prenne quelques minutes pour approfondir ce qui me paraît être un renoncement inacceptable à l’école du XXIe siècle que nous étions – je le croyais – déterminés à construire.
En effet, quelle étonnante disposition que celle-ci ! Elle apparaît dans ce projet de loi alors même qu’elle n’était contenue dans aucune directive. Curieuse apparition dans un projet de loi qui n’avait pour seule et unique vocation que de transposer, et rien que transposer, les directives communautaires, alors que – je me permets de vous citer, madame Dini – « cette disposition est hors champ de la directive et est contraire à la volonté de lutter contre les discriminations » ! Et comment ne pas faire siens les propos du président About, qui déclara en commission que « la mesure n’était pas acceptable, car elle pourrait conduire à exclure les filles de l’accès à l’éducation ou les astreindre à certaines filières de formation » ? Tout est dit, je crois, sur les objectifs de la mixité scolaire.
Curieusement, malgré l’opposition de Mme la rapporteur, de bon nombre de nos collègues de l’UMP, de la délégation aux droits des femmes, de l’opposition, cette disposition a été entérinée !
Quel est donc le reproche fondamental fait à l’école mixte ? Car si cette disposition a été adoptée, ce n’est pas pour satisfaire les établissements possédant des internats. Ils parviennent déjà à s’organiser correctement. Et l’on ne peut légitimement justifier une mesure législative pour une seule école, serait-ce celle de la Légion d’honneur !
Il faut dire que nombreux sont ceux qui défendent un retour au passé, à une conception ancienne de l’éducation, revenant pêle-mêle à la morale, à la blouse grise, à l’enseignement réduit à des fondamentaux et, avec cet article 2, à la séparation entre les sexes pour certains enseignements…
J’ai en mémoire l’argument développé par le sociologue Michel Fize selon lequel, en somme, la présence de jeunes filles dans les classes influe sur le comportement et le résultat des jeunes garçons. Mais enfin, rien, aucun élément scientifique ne vient corroborer ces propos. Cela renvoie indirectement à la position machiste qui suggère que les femmes qui travaillent usurpent le travail des hommes !
Je reconnais toutefois qu’un contexte favorable à ce type de conception sexuée de l’éducation – et je ne dis pas sexiste – se trouve, précisément, dans ce qui a présidé à la création de l’école mixte, c’est-à-dire non un désir d’émancipation, d’égalité, mais un état d’esprit que définit en ces termes une circulaire de 1957 : « La crise de croissance de l’enseignement secondaire nous projette dans une expérience que nous ne conduisons pas au nom de principes mais pour servir les familles au plus proche de leur domicile ». On a ainsi construit la mixité autour d’une conception utilitariste, sans l’avoir, au préalable, pensée dans ses fondements.
Certes, l’école mixte n’est, hélas, pas parvenue à réduire, à elle seule, le sexisme de notre société. Elle a, toutefois, eu le mérite de permettre aux jeunes filles d’accéder à des enseignements qu’elles se voyaient jusqu’alors refuser. Progressivement, l’école est devenue le reflet d’un monde bisexué affirmant la coexistence des sexes.
Aussi, nous refusons qu’en une ligne un projet de loi fasse le procès de la mixité, car, si l’on doit faire un reproche à la mixité, ce n’est pas son existence, c’est le manque de moyens engagés pour la faire vivre autrement. C’est la raison pour laquelle le groupe CRC ne cesse de proposer des amendements visant à confier à l’école une mission pédagogique et à dispenser aux enseignants les formations nécessaires pour réussir dans cette mission.
Nous sommes rejoints dans cette proposition par Mme Marie-Jeanne Philippe. En effet, lors de son audition, mercredi 30 avril, Mme Philippe a estimé nécessaire que soit dispensée une formation particulière aux enseignants en la matière et a souhaité que des modules de formation adaptés, lesquels existent déjà dans certains instituts universitaires de formation des maîtres, les IUFM, soient, à l’avenir, généralisés dans la totalité de ces établissements.
Vous comprendrez donc que nous ne pouvons nous satisfaire de la position de M. André Blandin, secrétaire général adjoint de l’enseignement catholique, qui affirme : « Nous ne souhaitons pas remettre en question la mixité, mais en faire une véritable éducation à la différence et une ressource éducative. Il y a des écarts de maturité évidente au collège qu’il faut prendre en compte. De même, quand des adolescents de 13 ans sont condamnés pour agression sexuelle, on peut se demander si on a vraiment tout fait pour éviter cela ». Ainsi s’interroge ce brave homme !
Drôle de raisonnement que d’expliquer des faits de viols par la simple présence de jeunes filles ! C’est ainsi que, une fois encore, on culpabilise les femmes ayant subi des violences sexuelles en les accusant soit de les avoir provoquées – on connaît la vieille rengaine ! – soit, tout simplement, d’avoir côtoyé de jeunes hommes. Cette seule phrase est, je crois, la preuve qu’il nous faut investir en moyens et en concepts pour la mixité. Il ne faut pas la mettre à bas. Elle n’est pas la cause des défaillances scolaires ; la mixité est en soi une évidence et la réalité de toute société.
Les membres du groupe CRC regrettent également que vous n’ayez pas retenu leurs amendements visant à renforcer la HALDE, pour en faire un véritable outil de lutte contre les discriminations.
Pourtant, un rapport des Nations unies, intitulé « Promotion et protection de tous les droits de l’homme, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels », remis par Mme Gay McDougall, experte indépendante, pointe précisément ces insuffisances. Elle en fait d’ailleurs l’objet d’une de ses recommandations en son point 78, en précisant : « La législation antidiscrimination de la France devrait être modifiée de façon à permettre de sanctionner les pratiques discriminatoires par des peines et des amendes suffisamment lourdes pour être dissuasives. Elle devrait également être modifiée – et ce point me paraît le plus important – de façon à renforcer les pouvoirs de sanctions de la HALDE en cas de non-versement de l’amende transactionnelle ». Or le projet de loi prend, madame la secrétaire d’État, le contre-pied total de cette orientation !
Vous comprendrez que le groupe communiste républicain et citoyen vote contre ce texte et, en ce centenaire de la naissance de Simone de Beauvoir, je vous recommande, madame, mes chers collègues, – vous l’avez d’ailleurs sûrement déjà lu – de relire Le Deuxième Sexe. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)