M. Jean-Pierre Sueur. Ce n’est pas si technique !
M. René Garrec, rapporteur. Madame la ministre, vous avez omis de préciser, en dépit des exigences posées par l’article 38 de la Constitution, le délai pendant lequel le Gouvernement peut prendre l’ordonnance et celui avant lequel un projet de loi de ratification devra être déposé devant le Parlement. Je vous soumettrai donc un amendement simple visant à fixer les délais respectivement à neuf mois et à trois mois.
Enfin, les nouveaux délais de communication adoptés par l’Assemblée nationale nous paraissent une solution de compromis équilibré. Je n’y reviens donc pas.
Madame la ministre, nous n’avons pas pu aboutir à un texte conforme, mais, hormis nos amendements purement rédactionnels ou ceux qui portent sur les délais relatifs à l’ordonnance, nous sommes très proches de la version adoptée par l’Assemblée nationale, laquelle, vous l’avez dit, « respecte un équilibre harmonieux » et est bien conçue. Cela convient donc parfaitement à la commission des lois. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les archives constituent la mémoire de notre société. Ce sont les indispensables matériaux à partir desquels on peut faire l’histoire, la comprendre, écrire la mémoire, préparer l’avenir. C’est donc un sujet très important.
Les textes qui nous sont soumis comportent des points positifs, que nous avons d’ailleurs évoqués dès la première lecture, en particulier par le biais de l’intervention de notre collègue Jean-Claude Peyronnet.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, et M. René Garrec, rapporteur. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Sueur. Il s’agit du principe posé de la libre communicabilité des archives publiques, de la suppression du délai de trente ans actuellement en vigueur pour les documents qui ne mettent pas en cause les secrets protégés par la loi., de la réduction des délais de trente ans à vingt-cinq ans pour les documents relatifs aux délibérations du Gouvernement, de soixante ans à cinquante ans pour ceux qui relèvent du secret de la défense nationale et de la politique extérieure, de cent ans à soixante-quinze ans pour les actes d’état civil.
En première lecture, la Haute Assemblée a recherché un compromis entre les exigences liées au respect de la vie privée et les nécessités du travail des historiens.
Si ce souci est compréhensible, et nous le partageons, je soutiens cependant la position exprimée par de nombreux historiens et usagers des archives nationales, estimant qu’il était pour le moins paradoxal que le projet de loi dont l’objet premier visait à faciliter l’accès aux archives puisse se traduire dans les faits par un allongement des délais de communicabilité par rapport à la situation existante.
C’est pourquoi je me réjouis, monsieur le rapporteur, que vous ayez proposé à la commission de suivre l’Assemblée nationale. Il aurait été difficilement justifiable que le délai de cinquante ans pour les documents relatifs à la vie privée fût allongé à soixante-quinze ans, alors qu’il est de soixante ans actuellement et que les deux textes prévoient de revenir à cinquante ans. Des archives concernant le Front populaire ou la période de l’Occupation, consultables actuellement, eussent été fermées, et les archives de la guerre d’Algérie n’auraient été consultables qu’en 2029, voire en 2037.
Il importe de trouver un équilibre, je l’ai dit, mais il faut se garder de tomber dans une utilisation excessive, voire abusive, du concept de vie privée eu égard aux nécessités de l’histoire.
Et puisque la position que vous proposez au Sénat d’adopter, monsieur le rapporteur, est différente de celle qu’il a prise lors de la première lecture, qu’il me soit permis d’ouvrir une parenthèse au sujet du débat qui nous occupera bientôt, concernant les institutions de notre pays.
Imaginez qu’il n’y ait eu qu’une seule lecture dans chaque assemblée et que, une fois encore, on nous eût infligé la fameuse déclaration d’urgence : c’eût été à coup sûr préjudiciable ! Il est donc bon que les navettes aient lieu et qu’un texte ne soit déclaré d’urgence que d’une façon tout à fait exceptionnelle, car il peut arriver que nous changions d’avis à la suite des débats se déroulant dans l’autre assemblée. Telle est la raison d’être du Parlement.
Nous assistons aujourd'hui à une belle démonstration de ce que, à chaque fois que l’on veut brider le jeu démocratique normal, nous aboutissons à de mauvaises solutions. C’est pourquoi j’ose espérer que la prochaine réforme institutionnelle s’accompagnera d’une stricte limitation des cas où il est fait appel à la procédure d’urgence. Mais nous aurons l’occasion d’en parler.
Restent trois points, madame la ministre, qui continuent à poser problème. Malheureusement, je crains que les amendements déposés ne permettent pas de les résoudre.
Le premier d’entre eux porte sur le caractère éternellement incommunicable – vous avez parlé, pour votre part, d’« incommunicabilité perpétuelle », madame la ministre – de certaines archives. Certes, l’Assemblée nationale a proposé que les documents susceptibles de mettre en cause la sécurité des personnes soient accessibles au bout de cent ans, proposition à laquelle vous avez souscrit, monsieur le rapporteur. Néanmoins, resteront perpétuellement fermées les archives publiques dont la communication serait susceptible « d’entraîner la diffusion d’informations permettant de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, biologiques, chimiques ou toutes autres armes ayant des effets directs ou indirects de destruction d’un niveau analogue », ainsi que les documents relatifs aux agents spéciaux et de renseignement.
Annette Wieviorka, brillante directrice de recherches au CNRS, a posé cette question simple : à quoi bon, dans ce cas, conserver des documents s’il est impossible d’y accéder, si l’on considère que ceux-ci doivent à jamais demeurer incommunicables à l’humanité ? Ne faudrait-il pas, alors, les détruire sur le champ ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ils seront incommunicables seulement au grand public !
M. René Garrec, rapporteur. Et ils pourront être déclassés !
M. Jean-Pierre Sueur. En outre, écoutons ce que dit, par exemple, M. Gilles Morin, historien et président de l’Association des usagers du service public des Archives nationales, l’AUSPAN : « Il suffit qu’un seul document soit manquant pour rendre tout un dossier incompréhensible. Nous ne saurons jamais ce qu’il contenait, puisque aucun inventaire ne sera fait. Les documents sur les essais nucléaires en Algérie et à Mururoa et leurs effets sur les personnes contaminées ne pourront jamais, par exemple, être consultés. Établir des délais longs et révisables serait une meilleure solution. »
Je souscris à ces propos. Nul ne peut considérer qu’il est bon pour notre démocratie et pour la connaissance du problème, éventuellement pour la réparation du préjudice que d’aucuns auraient subi, que les archives concernant, par exemple, les essais nucléaires de Mururoa demeurent par principe à jamais inaccessibles, même si des dérogations restent possibles.
Notre collègue François Calvet, rapporteur à l’Assemblée nationale, a lui-même déclaré ceci : « Ne jamais connaître les archives laisse place au fantasme ou au révisionnisme. »
En deuxième lieu, l’officialisation du recours à des sociétés d’archivage privées nous pose problème. Celui-ci est contraire à la quatrième des quarante propositions du rapport Braibant, auquel il est souvent fait allusion, qui, pour des raisons évidentes tenant à la notion de service public, vise à « exclure, en dehors des prestations techniques ponctuelles, le recours à des entreprises d’archivage pour la collecte et la conservation des archives publiques ».
Madame la ministre, ces opérations relèvent le plus souvent des missions régaliennes de l’État. Aussi, vous comprendrez aisément que l’officialisation, prévue dans ce projet de loi, du dépôt d’archives publiques auprès de sociétés privées spécialisées dans l’archivage suscite quelques interrogations.
Je profite de l’occasion pour vous demander de préciser le rôle des fondations. Nombre d’entre elles, qu’il s’agisse de l’Institut Charles-de-Gaulle, de l’Institut François-Mitterrand, de la Fondation nationale des sciences politiques ou de la Fondation Jean-Jaurès, nous ont saisis en vue de se voir accorder l’autorisation d’effectuer une partie du travail d’archivage tel que le présent projet de loi entend, de manière problématique ainsi que je viens de le souligner, le confier aux entreprises privées d’archivage.
Je sais que, sur l’initiative de notre collègue Marietta Karamanli, cette question a été abordée lors de l’examen du texte par l’Assemblée nationale. Aussi, madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer votre position ?
En troisième et dernier lieu, j’évoquerai l’habilitation à légiférer par ordonnance, délivrée au Gouvernement par l’article 29 du projet de loi.
M. le rapporteur, notre cher collègue René Garrec, n’a pas manqué de nous dire que cette habilitation ne portait que sur des questions techniques. Toutefois, avisé comme il l’est, et parce qu’il fut un brillant conseiller d’État, il sait très bien que, dans sa rédaction actuelle, l’article 29 du projet de loi autorise le Gouvernement à légiférer par ordonnance sur l’ensemble des questions relatives à la communicabilité des archives. Or il s’agit là d’un point tout à fait essentiel. Par conséquent, nous ne saurions nous satisfaire que cette question de fond, qui n’est aucunement une simple question technique, ne soit pas débattue devant le Parlement.
À cet égard, je me permets d’ouvrir une parenthèse sur le projet de réforme institutionnelle. Je regrette que, dans sa rédaction actuelle et à défaut d’être amendé de manière heureuse, il laisse perdurer ce mécanisme totalement absurde en vertu duquel une ordonnance est ratifiée de facto dès lors que le Gouvernement a déposé sur le bureau du Parlement un projet de loi de ratification, rendant cette procédure purement formelle.
Pour les trois raisons que je viens d’invoquer, madame la ministre, le groupe socialiste s’abstiendra sur ce projet de loi, sauf à ce qu’il soit modifié au cours du débat, ce qui est peu probable, et en dépit des avancées enregistrées au cours de sa première lecture devant le Sénat, alors inspiré par les forces de l’Esprit. Monsieur le président de la commission, j’emploie cette expression à dessein !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous ne sommes pas des oiseaux de nuit ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. Certes, mais l’Esprit souffle où il veut, quand il veut : le matin, l’après-midi, le soir, et même la nuit !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pas toujours ! Parfois, il se repose !
M. Jean-Pierre Sueur. Il a bien raison ! Il doit lui aussi penser à sa santé psychologique ! (Nouveaux sourires.)
En outre, madame la ministre, ce projet de loi ne répond pas à trois autres interrogations dont nous ont fait part de nombreux historiens et représentants des usagers des archives.
La première, bien sûr, a trait à l’émergence du monde virtuel et d’Internet, qui entraîne une croissance quasiment exponentielle des documents à conserver. Or je lisais récemment que ces documents du monde virtuel étaient plus fragiles que les incunables du Moyen Âge, qu’il nous est toujours loisible de consulter.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la ministre, où en est votre réflexion à cet égard et quelles dispositions comptez-vous prendre ?
En second lieu, je tiens à évoquer la réorganisation de votre ministère, telle que vous l’avez annoncée.
Une majorité du personnel et de l’encadrement de la Direction des archives de France tient à ce que celle-ci demeure une direction à part entière du ministère. Certes, vous avez pris soin d’expliquer que, dans le cadre de la réforme, elle serait rattachée à un secrétariat général du patrimoine ; mais vous n’ignorez pas que ces questions d’organigramme sont hautement symboliques. Vous aurez beau dire et répéter que cette organisation est plus rationnelle et qu’elle n’enlève absolument rien à la place éminente qu’occuperont, au sein de votre ministère et dans la politique culturelle de la France, les Archives nationales, ne croyez-vous pas qu’il vaudrait mieux renoncer à ce nouveau dispositif et maintenir, telle qu’elle existe actuellement, la Direction des archives de France ?
Enfin, madame la ministre, pouvez-vous nous donner quelques informations sur le nouveau centre pour les Archives nationales, prévu à Pierrefitte-sur-Seine ? Les consultations à son sujet étant maintenant achevées, il a été annoncé qu’il serait opérationnel en 2012. Cette date est-elle toujours d’actualité ? Il le faut, car tous les usagers des archives connaissent bien les problèmes que pose le centre, situé dans ce beau quartier du Marais.
Madame la ministre, nous sommes attachés à l’objet de ce texte. On ne construit pas l’avenir sur l’amnésie, et les archives sont très importantes non seulement pour le passé et le présent, mais encore pour l’avenir de notre société et de notre pays, et, au-delà, de l’Europe et du monde.
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi, depuis son adoption en première lecture par la Haute Assemblée, le 8 janvier 2008, a fait l’objet d’une profonde contestation de la part des chercheurs et des historiens. L’ampleur de ce mouvement – la pétition lancée le 12 avril dernier a recueilli plus de cinq cents signatures en quelques jours seulement – est à la hauteur des espérances déçues.
En effet, élaboré à l’instigation du ministre de la culture du précédent gouvernement, le projet de loi initial marquait incontestablement une ouverture en permettant aux citoyens d’ « accéder avec plus de facilité aux sources de leur histoire ».
Toutefois, la suite des événements allait démontrer que le chemin vers une meilleure communicabilité des archives n’est pas uniquement pavé de bonnes intentions.
Le projet de loi initial remettait en cause le délai de trente ans, jusqu’à présent applicable à toute consultation d’archives publiques, et posait le principe, réclamé par tous, de la libre communicabilité des archives. En première lecture, le Sénat a d’ailleurs réaffirmé ce principe en précisant que les archives publiques sont communicables de plein droit.
Les cinq régimes d’exception aujourd’hui en vigueur, qui prévoient des délais s’échelonnant de soixante à cent cinquante ans suivant qu’ils remettent en cause ou non la vie privée, la sûreté de l’État, les affaires judiciaires et les données médicales ou patrimoniales, étaient réduits à trois par le texte initial : vingt-cinq, cinquante ou cent ans.
Les délais se trouvaient ainsi raccourcis pour chacune des catégories d’exception. C’est pourquoi tout le monde, à commencer par nous-mêmes, mais aussi les historiens et les chercheurs, voyait dans ce texte une avancée importante en matière de communicabilité des archives par rapport aux dispositions de la loi du 3 janvier 1979 sur les archives.
Le texte qui nous a finalement été soumis au mois de janvier et que nous examinons aujourd’hui en deuxième lecture s’est toutefois quelque peu éloigné de l’esprit d’ouverture qui avait présidé à sa rédaction.
En effet, le Gouvernement a décidé de créer une nouvelle catégorie d’archives, les archives non communicables. Sont concernés les documents relatifs aux armes de destruction massive, qui ne pourront donc jamais être divulgués.
Étaient également concernés les documents susceptibles de mettre en cause « la sécurité des personnes » ; mais, à la suite de l’adoption d’un amendement du rapporteur de l’Assemblée nationale, ces documents seront accessibles au terme d’un délai de cent ans. Ce n’est pas la panacée, mais cela représente néanmoins un progrès.
Il n’en reste pas moins que certaines archives resteront à jamais incommunicables, ce qui semble pour le moins contestable. En effet, on peut tout d’abord s’étonner, à l’instar de certains historiens, que l’on archive des documents alors qu’on les sait inaccessibles. Dans ces conditions, à quoi bon les conserver ? Ne va-t-on pas à l’exact opposé du principe posé par le projet de loi, selon lequel les archives publiques sont communicables de plein droit ?
Par ailleurs, s’agissant de documents sensibles, tels ceux qui sont relatifs aux armes de destruction massive, il est pour le moins contestable de retirer aux personnes qui en auraient été victimes – je pense notamment aux victimes d’essais nucléaires effectués par la France – le droit, et même l’espoir, d’obtenir un jour des réponses à leurs questions. Cela pose le problème des recherches sur cette question : doit-on interdire aux chercheurs tout travail portant sur les armes de destruction massive ? Cette culture du secret paraît, en l’espèce, bien déplacée : secret-défense ou défense du secret ?
Le deuxième point qui a déclenché la vague de protestation des chercheurs et des historiens concerne le délai de communication des documents portant atteinte à la protection de la vie privée.
Aujourd’hui, le délai de communicabilité de ces archives est fixé à soixante ans. Le projet de loi initial avait réduit ce délai à cinquante ans, justifiant d’ailleurs notre approbation première, malgré nos quelques réserves relatives à l’externalisation du stockage des archives, au devenir des personnels et au traitement des archives des entreprises publiques. Ces dernières restent d’ailleurs toujours d’actualité puisque le projet de loi n’a pas évolué sur ces questions. Mais j’y reviendrai ultérieurement.
S’agissant de la communicabilité des archives portant atteinte à la protection de la vie privée, le délai de soixante-quinze ans prévu par le Sénat en première lecture posait incontestablement des problèmes, puisqu’il interdisait d’accéder à des documents d’archives relatifs à la guerre d’Algérie avant 2037 ; pis, il entraînait la fermeture des dossiers d’archives actuellement ouverts, comme ceux qui portent par exemple sur la Seconde Guerre mondiale.
Nous ne pouvons que saluer l’initiative de nos collègues députés consistant à ramener ce délai à cinquante ans. Néanmoins, nous regrettons que ce retour vers l’esprit et la lettre du projet de loi initial n’ait pas porté sur l’ensemble des documents dont l’accès était possible au terme de cinquante ans, terme que le Sénat a porté à soixante-quinze ans et que les députés n’ont pas remis en cause. Je pense, entre autres, aux minutes notariales ou aux documents relatifs aux affaires portées devant les juridictions et à l’exécution des décisions de justice.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pensez-vous à l’état civil ?
Mme Josiane Mathon-Poinat. Pas forcément, monsieur le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous ne tenez pas compte de la vie privée ?
Mme Josiane Mathon-Poinat. Bien sûr que si !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Aujourd’hui, le délai est de cent ans !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Je ne dis pas que vous ne l’avez pas réduit ! Mais, monsieur Hyest, le texte initial le portait, que je sache, non pas à soixante-quinze ans, mais à cinquante ans ! La commission des lois l’a ramené à soixante-quinze ans. Il a donc été raccourci, mais pas autant que nous aurions pu l’espérer.
Ce projet de loi conserve quelques notions ambiguës et des zones d’ombres. Certaines entraînent la restriction du droit à la communicabilité des archives, notamment lorsqu’il est prévu que la demande de consultation de documents d’archives ne conduit pas à porter une « atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger » ; d’autres pourraient conduire à l’extension du principe de protection de la vie privée, notamment lorsque des documents « portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable », notion floue mais qui soumet ces documents à un délai de communicabilité de cinquante ans.
Le texte issu de l’Assemblée nationale n’est donc pas parfait, loin de là. Nous désapprouvons le principe, confirmé par nos collègues députés, de confier à des sociétés privées le stockage des archives publiques au stade d’archives courantes ou intermédiaires au prétexte que c’est une pratique courante.
Officialiser une pratique contestable, qui remet en cause le service public des archives nationales, est un acte grave. Guy Braibant avait d’ailleurs expressément exclu une telle possibilité dans son rapport de 1996, qui est souvent cité. Nous regrettons par conséquent qu’il n’ait pas été tenu compte de toutes ces observations et que l’article 3 n’ait pas été modifié. Nous avons donc déposé à nouveau un amendement sur ce point et espérons pouvoir enfin vous convaincre du danger d’une telle mesure, mes chers collègues.
Enfin, et je terminerai mon intervention sur ce point, je tenais à dénoncer la manœuvre du Gouvernement qui a consisté à déposer un amendement visant à l’autoriser à modifier par ordonnance les dispositions législatives relatives aux archives et à l’accès aux documents administratifs. Cela revient tout simplement à nier le Parlement et le travail effectué par ce dernier sur ce projet de loi depuis le mois de janvier. Là encore, nous aurons l’occasion d’en discuter au moment de l’examen de l’amendement que nous avons déposé à l’article 29, mais je peux d’ores et déjà dire que l’adoption de cet article a fortement contribué à modifier notre avis émis en première lecture.
Les archives nationales sont notre mémoire, elles sont au cœur de notre démocratie. Le citoyen doit pouvoir y avoir accès librement afin de connaître son passé ; il en va de même de l’historien, les archives ne constituant ni plus ni moins que son matériel de base.
Je conclurai simplement en regrettant que ce texte, qui était à l’origine plutôt positif, n’ait pas été amélioré au fil de la navette parlementaire. Nous pourrons donc difficilement le voter en l’état.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les archives constituent notre mémoire vivante : elles nous donnent les clés de compréhension de notre histoire, de notre identité et de celle de nos territoires ; elles sont aussi ancrées dans notre quotidien et sont un instrument fondamental de toute démocratie.
Le projet de loi, que la Haute Assemblée a déjà enrichi puis adopté à l’unanimité en janvier dernier, s’articule autour de la double dimension – patrimoniale et citoyenne – des archives. Il tend à répondre à une exigence de modernité de cette politique, face aux défis de l’ère numérique et dans un contexte de production de plus en plus massive d’archives publiques, dont le volume a quasiment doublé en trente ans.
Une rénovation du cadre juridique des archives, issu de la loi du 3 janvier 1979, était donc devenue nécessaire. C’est pourquoi la commission des affaires culturelles du Sénat, saisie pour avis en première lecture et dont j’étais alors le rapporteur, a partagé les orientations générales de ce texte, tout en contribuant à l’enrichir sur certains points.
En effet, le projet de loi répond, d’une part, à des besoins et à des attentes légitimes de la communauté scientifique et de nombre de nos concitoyens, généalogistes amateurs ou passionnés d’histoire contemporaine, en ouvrant plus largement l’accès aux archives publiques.
Ce texte renforce, d’autre part, la protection de ce pan de notre patrimoine culturel et historique que représentent les archives, aussi bien publiques que privées.
Je me réjouis que ce projet de loi, fruit d’une réflexion approfondie, soit enfin sur le point d’aboutir. Cette lente maturation ainsi que les modifications introduites par le Sénat et les échanges que celles-ci ont suscités lors de l’examen du texte par l’Assemblée nationale montrent la difficulté à trouver un point d’équilibre satisfaisant entre des intérêts parfois contradictoires : l’exigence de transparence de l’action publique, le principe tout aussi fondamental de protection de la vie privée et de la sûreté de l’État, et, enfin, les intérêts scientifiques de la recherche.
Néanmoins, à l’issue de cette première navette, le compromis trouvé sur la question des délais de communication des archives publiques paraît équilibré.
Contrairement aux interprétations qui ont pu en être données ces dernières semaines, ce texte ne traduit pas un recul. Son ambition est tout autre, puisqu’il s’agit d’abord de libéraliser l’accès aux archives, afin de rapprocher notre régime des dispositifs en vigueur chez nos voisins européens, et de faciliter ainsi les travaux des historiens, des étudiants et des chercheurs.
L’affirmation du principe de libre communicabilité des archives est un premier progrès en ce sens. La réduction des délais et de leur nombre consacre cette même volonté de lisibilité et d’ouverture accrue de notre politique des archives. En outre, sur l’initiative de nos deux commissions, le texte réaffirme le principe d’autonomie des assemblées dans la conservation de leurs archives, tout en rappelant l’exigence de transparence qui prévaut déjà, d’ailleurs, dans leur gestion.
La reconnaissance des protocoles de versement et le cadre juridique donné aux archives des groupements de collectivités permettront également d’améliorer la collecte des archives politiques.
Par ailleurs, ce texte participe d’une démarche de valorisation de la politique des archives : c’est ce qu’a souhaité la commission des affaires culturelles en instituant dans la loi le Conseil supérieur des archives et en donnant ainsi une plus grande visibilité à cette politique.
Je me réjouis, en parallèle, de la mobilisation qui a permis le lancement du chantier du nouveau centre des Archives nationales, qui devrait voir le jour d’ici à 2012 à Pierrefitte-sur-Seine. Ce projet traduit une ambition nouvelle. Il contribue aussi à l’ouverture des archives, puisqu’il répond à la saturation des locaux actuels et offrira des conditions optimales de conservation et surtout de consultation des documents pour le public. Il permettra également – du moins je le souhaite – d’intensifier les actions de sensibilisation en direction des jeunes publics. Ces dernières sont en effet essentielles pour faire prendre conscience à chacun de l’intérêt des archives et de l’impérieuse nécessité d’en assurer la collecte, non seulement dans les administrations, mais également dans les entreprises.
Toutefois, malgré ces avancées incontestables, il nous faut également entendre les inquiétudes exprimées par les chercheurs, historiens et archivistes, même si celles-ci ont été en partie levées après le compromis trouvé sur les délais de communication.
C’est pourquoi j’insiste, madame la ministre, sur la nécessité de veiller aux conditions d’application de ce texte, afin que celles-ci traduisent, dans les interprétations qui en seront faites par l’administration des archives et les services producteurs, ce souci d’une plus large ouverture des archives.
Or il existe des craintes que cette ambition ne se retrouve limitée, dans les faits, soit par des interprétations trop restrictives de la loi, soit, très concrètement, par un manque de moyens humains dans les services d’archives pour classer et traiter les fonds qui pourront désormais être consultés ; cela représentera en effet un travail colossal, et c’est un point sur lequel nous avons insisté lors de la première lecture.
Une autre inquiétude concerne l’octroi des dérogations. L’Assemblée nationale a introduit, à cet égard, un délai maximum de deux mois pour l’examen des demandes. Si cette durée ne semble guère réaliste au regard de la situation actuelle, il faudrait néanmoins parvenir à tendre vers cet objectif, notamment pour les étudiants qui ne disposent que de peu de temps pour réaliser leurs travaux.
Pourriez-vous, madame la ministre, nous apporter des garanties sur ces différents sujets de préoccupation partagés par les usagers et professionnels des archives ?
S’agissant ensuite du volet « Protection du patrimoine d’archives », je me réjouis que le projet de loi consacre l’engagement que vous aviez pris à l’automne, en lien avec Mme la ministre de la justice, pour réprimer plus sévèrement le vol, la dégradation, la destruction ou le trafic de biens culturels, notamment d’archives classées.
Notre arsenal pénal manquait, en effet, de sanctions adaptées à la gravité de ces actes de délinquance, alors que notre pays, de par la richesse de son patrimoine, est l’un des plus touchés par le trafic de biens culturels. Nous avons pu prendre la mesure, ces derniers mois, de sa vulnérabilité, après le pillage de la cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Perpignan ou le vol à main armée de quatre tableaux de maître au musée des Beaux-Arts de Nice, en août 2007.
Nous ne pouvons nous satisfaire que la seule réponse préventive soit la fermeture de nos églises ou de nos monuments historiques par leurs propriétaires. Toutefois, nous savons que le trafic d’œuvres d’art est international et que tout ne peut être réglé au seul niveau national. Il est donc nécessaire que les pays unissent leurs efforts pour lutter contre cette forme de délinquance organisée. Nous espérons que des avancées seront également engagées en ce sens, notamment à l’échelon européen, à l’occasion de la présidence française de l’Union européenne.
Enfin, je regrette, madame la ministre, qu’ait été finalement supprimé du texte le dispositif fiscal, adopté par le Sénat en première lecture, visant à inciter les propriétaires d’archives privées classées comme archives historiques à conserver ce patrimoine dans de bonnes conditions. L’Assemblée nationale a en effet voté, contre l’avis du rapporteur de la commission des lois, l’amendement de suppression présenté par le Gouvernement.
Cette mesure, je le rappelle, étendait aux archives le dispositif de réduction plafonnée d’impôt introduit, dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2007, au bénéfice des biens mobiliers classés.