M. le président. Monsieur le Médiateur de la République, je vous remercie de cet exposé extrêmement intéressant et précis.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le Médiateur de la République, mes chers collègues, les rapports d'activité que vous nous remettez, année après année, illustrent de manière spectaculaire le chemin parcouru depuis la création du Médiateur de la République, il y a trente-cinq ans.
Observatoire des plaintes, centre d'information et d'orientation, incubateur de réformes, telles sont les trois facettes complémentaires d'une institution qui jouit - les hommes de terrain que nous sommes le savent bien - d'une notoriété croissante auprès de nos concitoyens.
Cette notoriété apparaît nettement au travers de la progression continue du volume d'activité de la Médiature, que vous avez rappelé. En 2007, elle a reçu plus de 65 000 dossiers, soit une hausse de 3,5 % par rapport à 2006 ; cette hausse était déjà du même ordre l'année dernière. Depuis 1973, vous avez traité 750 000 dossiers, ce qui est considérable.
Il faut dire que si « le réflexe Médiateur » gagne du terrain, c'est en grande partie parce que nos concitoyens connaissent de mieux en mieux l'efficacité de vos interventions, menées tant par les services centraux que par vos délégués : comme ces dernières années, près de 80 % d'entre elles ont abouti à un accord, ce qui constitue un remarquable « indice de performance » de votre institution. Cela n'est pas seulement dû au bruit médiatique !
Cette notoriété, vous la devez, dans une large mesure, à l'action menée par les délégués du Médiateur de la République, dont vous avez cité le nombre. Répartis sur toute la France, ils traitent 90 % des affaires transmises à votre institution en assurant proximité, efficacité et rapidité, notamment au profit des plus vulnérables et des moins bien informés de nos concitoyens. Les délégués du Médiateur sont, comme vous l'avez rappelé, non seulement dans les préfectures, les sous-préfectures parfois, mais également au coeur des quartiers sensibles, dans les structures de proximité et, depuis 2005, auprès des détenus, point auquel la commission des lois est particulièrement attentive.
À cet égard, je tiens à réaffirmer solennellement que la privation de liberté ne signifie pas la privation de l'accès au droit. C'est pourquoi la mise en place de délégués du Médiateur dans les prisons a été couronnée de succès et mérite d'être encouragée et amplifiée : depuis 2005, 1 500 saisines de détenus ont ainsi été recensées avec un taux de réussite des interventions des délégués auprès de l'administration pénitentiaire variant de 60 % à 70 %, ce qui est tout à fait remarquable.
Parallèlement à la mise en place des délégués dans les prisons, votre institution a, je le sais, pris une part très active aux réflexions qui ont abouti, le 30 octobre 2007, au vote de la loi instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté, deux ans après la signature par la France du protocole facultatif à la convention des Nations unies contre la torture. Il importe désormais de procéder - je le dis à M. Bussereau, présent en cet instant au banc du Gouvernement - à la nomination du contrôleur afin de mettre en place ce contrôle indépendant dans les plus brefs délais.
Mais ce thème est loin d'épuiser le champ de votre action.
Il est édifiant de constater que votre rôle consiste souvent à guider le citoyen dans les méandres des circuits administratifs. J'ai ainsi relevé que 46 % des affaires traitées par vos services étaient des demandes d'information et d'orientation. Ce chiffre, certes en léger repli par rapport à 2006, témoigne de l'impérieuse nécessité, que vous avez rappelée tout à l'heure, de poursuivre inlassablement le chantier de simplification du droit.
Il s'agit là non seulement d'un impératif juridique - l'accessibilité et l'intelligibilité de la loi sont des objectifs de valeur constitutionnelle, que le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion de rappeler à propos de certains textes inintelligibles - mais également et surtout d'une exigence politique. La simplification répond en effet à une attente forte de nos concitoyens, déroutés par l'abondance et la complexité des normes, de nos entreprises, freinées dans leurs initiatives par la multiplicité des démarches administratives à accomplir, et des administrations publiques elles-mêmes, conscientes que l'inflation des textes et leur insuffisante clarté nuisent à l'efficacité de l'action des pouvoirs publics et en augmentent sensiblement le coût. Quand je parle des administrations publiques, je pense particulièrement aux administrations locales. Ce que vous avez cité en matière d'urbanisme est révélateur des difficultés croissantes que rencontrent les collectivités locales dans ce domaine et du peu d'assistance qu'elles peuvent désormais attendre des services de l'État.
On connaît tous la mise en garde du Conseil d'État formulée dans ses rapports annuels de 1991 et 2006 : « quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête qu'une oreille distraite ».
On connaît moins celle de Montaigne : « Nous avons en France plus de lois que tout le reste du monde ensemble, et plus qu'il n'en faudrait à régler tous les mondes d'Épicure... Qu'ont gagné nos législateurs à choisir cent mille espèces et faits particuliers et à y attacher cent mille lois ? Les lois les plus désirables, ce sont les plus rares, plus simples et générales. »
M. Charles Revet. C'est vrai !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est toujours vrai.
M. Christian Cointat. Absolument !
M. le président. Monsieur le président Hyest, à nous seuls nous avons plus de collectivités que l'ensemble des vingt-six autres pays de l'Union européenne ! (M. Charles Revet s'exclame.)
Essayez de supprimer une collectivité dans un département, vous verrez le travail !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est un autre sujet...
Cette préoccupation, monsieur le Médiateur, je sais que vous la partagez tout autant que notre commission des lois. À cet égard, je tiens à souligner le travail de coopération remarquable que vous avez engagé l'an passé avec le Parlement, à l'occasion de la proposition de loi de simplification du droit.
Ce travail, que vous avez réalisé au Sénat avec notre collègue Bernard Saugey, rapporteur de la proposition de loi, a abouti à des réformes importantes, inscrites dans la loi du 20 décembre 2007, au premier rang desquelles figure la simplification des règles de représentation devant la juridiction de proximité et le tribunal d'instance où le ministère d'avocat n'est pas obligatoire. Ainsi que vous l'avez rappelé, le législateur a ajouté à la liste des personnes habilitées à représenter une partie les concubins et les partenaires d'un pacte civil de solidarité, alors que, jusqu'à présent, seuls les conjoints mariés pouvaient le faire.
Au premier rang de ces réformes importantes figure également le renforcement des droits des automobilistes. Dans votre dernier rapport d'activité, vous aviez, monsieur le Médiateur de la République, émis certaines réserves quant à la procédure suivie dans le domaine des infractions au code de la route. Ces réserves ont été entendues puisque le Sénat a introduit dans le texte deux dispositions visant à réduire l'opacité des procédures en matière de traitement des contraventions.
Ces échanges entre la Médiature et le Parlement, je tiens à le rappeler, ne seraient en rien menacés par la suppression du filtre parlementaire obligatoire, que la commission des lois et le Sénat tout entier appellent de leurs voeux depuis de nombreuses années.
Rappelons à cet égard que si, en 1973, le législateur avait souhaité mettre en place ce filtre, dans le souci d'éviter l'engorgement d'une institution naissante, sa pertinence s'est estompée au fil des ans. La loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations l'a ainsi expressément supprimé s'agissant du pouvoir de proposer des réformes reconnu au Médiateur de la République. Celui-ci peut désormais être saisi par tout citoyen d'une demande de réforme et même s'autosaisir.
Par ailleurs, depuis la mise en place des délégués du Médiateur, les citoyens ont pris pour habitude de saisir directement cet échelon de proximité, ce qui oblige les délégués à faire valider cette démarche rétroactivement par un parlementaire, ce qui, vous l'avouerez, n'est pas d'une efficacité redoutable.
De même, l'amélioration de la transparence et de l'interactivité dans les relations entre l'administration et les usagers a naturellement conduit ces derniers à s'adresser directement aux services centraux de la Médiature, en particulier par voie électronique.
Vous soulignez d'ailleurs dans votre rapport que 47 % des demandes ont ainsi été adressées spontanément aux services centraux, sans respecter la règle du « filtre », ce qui oblige, là encore, à de fastidieuses démarches de formalisation a posteriori par des parlementaires. Certains de nos collègues devraient tout de même s'en rendre compte après plusieurs années.
Enfin, l'ouverture de la saisine directe du Médiateur obéirait à une logique de double harmonisation : d'une part, avec les pratiques européennes - le Médiateur européen et vingt-trois médiateurs nationaux peuvent être directement saisis - et, d'autre part, avec celles de nombreuses autorités administratives indépendantes créées depuis et chargées de la protection des droits, telles que la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la HALDE, la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL, le Défenseur des enfants, autorités auxquelles tout citoyen peut s'adresser directement.
Je note d'ailleurs que vous semblez partager cette analyse lorsque, plus généralement, vous mettez en exergue, dans votre rapport, la nécessité de faire évoluer votre institution en « Ombudsman à la Française », afin, dites-vous, d'élargir le champ de compétence de l'institution du Médiateur de la République et « de franchir une étape importante dans le sens d'une amélioration de la protection des droits des citoyens ».
Il s'agit là, en effet, d'un débat essentiel pour notre pays, débat qui pourrait bien s'engager devant notre assemblée prochainement à l'occasion de l'examen du projet de loi de réforme des institutions. En effet, il ressort, pour l'instant, de la communication du conseil des ministres du 19 mars dernier que le texte devrait prévoir la création d'un « défenseur des droits du citoyen » susceptible d'être saisi par toute personne s'estimant lésée par le fonctionnement d'un service public.
En tout état de cause, vous soulignez que l'institution d'un ombudsman à la française, en assurant une convergence institutionnelle avec certains de nos voisins européens, permettrait de « créer et d'entretenir une dynamique indispensable dans une société devenue transnationale et transculturelle ».
Naturellement, votre réflexion ne se limite pas, tant s'en faut, à l'évolution de votre statut. Cette année encore, votre rapport montre que l'institution que vous servez agit comme une force de proposition essentielle. En effet, les dizaines de milliers de réclamations, comme les demandes d'information et d'orientation, reçues chaque année vous placent à un poste d'observateur de la société privilégié, propre à faire évoluer notre droit vers plus d'équité et plus de simplicité.
Parmi les réformes qui ont abouti en 2007, outre les mesures de simplification du droit déjà évoquées, il faut mentionner la loi sur l'assurance vie.
La situation des contrats d'assurance vie non réclamés était inacceptable et le Parlement s'est saisi de cette question et a adopté le 17 décembre dernier une loi permettant la recherche des bénéficiaires des contrats d'assurance vie non réclamés et garantissant les droits des assurés.
Pour 2008, vous appelez de vos voeux la mise en oeuvre d'autres réformes.
L'une des questions que vous soulevez est celle de l'état civil des enfants nés sans vie. Cette question a reçu une acuité particulière - l'acuité était bien sûr déjà ressentie par les familles - avec les arrêts récents de la première chambre civile de la Cour de cassation, soulignant qu'une circulaire ne pouvait subordonner la délivrance d'un acte d'enfant sans vie à des conditions que la loi n'avait pas prévues.
Nos collègues Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Sueur, que vous avez d'ailleurs cités, se sont saisis de cette question, qui est extrêmement sensible et complexe. Nous allons y travailler afin de trouver une solution, mais celle-ci ne peut pas intervenir immédiatement dans le cadre de la législation funéraire. C'est d'abord un problème d'état civil (M. le Médiateur de la République opine), qui, une fois réglé, permettra de résoudre la situation, notamment pour ces familles qui sont souvent désemparées et qui ne comprennent pas la rigueur de notre droit.
En conclusion, monsieur le Médiateur de la République, votre mission paraît plus que jamais essentielle dans notre société, qui aspire à un droit accessible et à une administration respectueuse des droits fondamentaux.
Soyez assuré du soutien et de l'attention que la commission des lois et le Sénat tout entier portent à votre action. (Applaudissements.)
M. le président. Huissiers, veuillez reconduire M. le Médiateur de la République.
(M. Philippe Richert remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert
vice-président
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Accord de transport aérien avec les états-Unis d'Amérique
Adoption d'un projet de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification de l'accord de transport aérien entre la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et les États-Unis d'Amérique, d'autre part (nos 207, 234).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État chargé des transports. Permettez-moi tout d'abord, monsieur le président, de vous remercier de m'avoir permis d'entendre la communication passionnante de M. le Médiateur de la République ainsi que la réponse du président de la commission des lois.
Monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, l'accord de transport aérien dont la ratification est aujourd'hui soumise à votre autorisation peut vous paraître technique mais, d'un point de vue politique, il revêt une importance majeure pour l'Union européenne et les États-Unis. Compte tenu de l'urgence qui s'attache à son entrée en vigueur et à la demande expresse du ministre des affaires étrangères et européennes, qui est aujourd'hui aux côtés du chef de l'État à Londres, j'ai le privilège, au nom du Gouvernement, de vous présenter cet accord.
Les services aériens très nombreux entre l'Union européenne et les États-Unis sont actuellement régis par une série d'accords bilatéraux entre les États membres et les États-Unis, qui ont d'ailleurs fait l'objet de surenchères. Un citoyen de l'Union européenne qui souhaite voyager depuis un État membre pour se rendre aux États-Unis est donc contraint d'emprunter soit une compagnie américaine, soit une compagnie ayant la nationalité de l'État membre concerné par le vol.
C'est principalement parce que de tels accords aboutissaient à discriminer les compagnies européennes sur la base de la nationalité que la Cour de justice des Communautés européennes les a jugés incompatibles avec le droit communautaire, et plus particulièrement avec les prescriptions du traité CE relatives à la liberté d'établissement.
Les négociations, menées par la Commission européenne, après avoir reçu en juin 2003 un mandat de négociation du Conseil « Transport », ont été longues et complexes, ainsi que le vice-président de la Commission européenne chargé des transports, M. Jacques Barrot, l'a lui même reconnu. Il a fallu quatre années et onze sessions de négociations entre l'Europe et les États-Unis pour aboutir au résultat qui vous est aujourd'hui soumis.
L'exposé des motifs du projet de loi comporte le commentaire des principales dispositions de l'accord, je n'y reviendrai donc pas. Je rappellerai simplement que cet accord « mixte » - dans la mesure où il comporte des dispositions relevant encore de la compétence des États membres - tend à libéraliser les échanges aériens entre l'Europe et les États-Unis et garantit aux transporteurs aériens communautaires la possibilité de fixer librement les tarifs et les capacités de leurs vols, mais surtout de pouvoir voler librement au départ de tout État membre, et ce indépendamment de leur nationalité.
Il convient, à cet égard, de citer la levée des contraintes réglementaires concernant l'aéroport d'Heathrow, qui vient d'ailleurs d'ouvrir aujourd'hui, non sans difficultés, son nouveau terminal. En effet, jusqu'à ce jour, en vertu d'un accord bilatéral datant de 1977, seules deux compagnies britanniques, British Airways et Virgin Atlantic, et deux compagnies américaines, American Airlines et United Airlines, avaient la possibilité de desservir les États-Unis au départ de Londres.
Comme vous l'avez certainement lu dans la presse, mesdames, messieurs les sénateurs, Air France-KLM entend ouvrir un vol sur Los Angeles pour profiter de cet accord immédiatement après l'adoption de ce projet de loi.
Par ailleurs, nous devons nous réjouir du renforcement de la convergence réglementaire que cet accord favorise dans des domaines aussi importants que ceux de la sécurité, de la sûreté ou de la concurrence. Dans l'esprit du Grenelle de l'environnement et des accords que nous négocions entre l'Europe et l'Organisation de l'aviation civile internationale, ce texte marque le début d'une coopération en matière environnementale.
Je tiens également à souligner que ce projet de loi n'est qu'un accord de première étape. La perspective d'un second accord est d'ailleurs explicitement prévue à l'article 21.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous pouvez avoir une impression d'inachevé. En effet, vous aurez observé que la libéralisation du droit de cabotage, notamment, c'est-à-dire la possibilité pour une compagnie d'effectuer des vols à l'intérieur du territoire de l'autre partie, n'a pas été incluse dans cet accord ; elle a d'ailleurs été l'une des grandes difficultés de cette négociation. L'accès au marché intérieur américain est donc encore réservé aux seules compagnies américaines. L'un des objectifs principaux de l'accord de seconde étape sera plus précisément d'obtenir une ouverture du marché intérieur américain aux compagnies européennes.
En effet, l'accord du 30 avril 2007 appelle à la poursuite des négociations pour supprimer les limitations à la libéralisation des droits du trafic aérien qui subsistent. Il fixe, notamment, un échéancier selon lequel l'accord entrera provisoirement en vigueur le 30 mars 2008 et la seconde phase de négociations devra commencer avant le 30 mai 2008. Un bilan des progrès accomplis sera dressé au plus tard dix-huit mois à compter du début de cette seconde phase, c'est-à-dire à la fin de l'année 2009. Cette seconde phase de négociations doit en principe s'achever à la fin de l'année 2010.
Enfin, l'Union européenne s'est réservé le droit de suspendre certaines parties de l'accord si le dialogue ne permet pas son approfondissement dans les trois années suivantes.
Cela étant, et en dépit de certaines difficultés, nous attendons dans les semaines à venir des bénéfices réels de cet accord.
En premier lieu, en mettant fin à la fragmentation qui prévalait jusqu'alors, cet accord lève un obstacle important à la réalisation du marché unique européen de l'aviation. La présidence française de l'Union européenne sera l'occasion de faire progresser ce marché unique, notamment en engageant des négociations en matière de contrôle aérien.
En second lieu, cet accord couvrira près de 60 % du trafic aérien mondial grâce au rapprochement des deux plus grands marchés du transport aérien. Malgré la progression du nombre de vols vers l'Asie, le trafic aérien sur l'Atlantique Nord est le premier marché commercial dans le monde.
D'après la Commission européenne, l'ouverture des couloirs aériens transatlantiques pourrait se traduire par une augmentation du nombre de passagers entre l'Europe et les États-Unis de 26 millions de personnes environ en cinq ans, ainsi que par la création de 80 000 emplois au sein des aéroports et des compagnies aériennes.
Enfin, cet accord pourrait servir de modèle à de futurs accords de même nature avec d'autres pays. Sous la présidence française de l'Union européenne, nous allons avoir des discussions avec le Canada et d'autres États pour permettre la libéralisation progressive du transport aérien international.
C'est dans ce panorama que la ratification française prend toute son importance. Les parties à l'accord se sont engagées, je le répète, à ce que celui-ci soit appliqué dès le 30 mars 2008, avant même son entrée en vigueur définitive. La France ne pourrait, compte tenu de ses obligations constitutionnelles, être en mesure de le faire sans l'autorisation de ratification donnée par le Parlement.
C'est la raison pour laquelle je tiens, au nom du Gouvernement, à remercier M. le rapporteur, Philippe Nogrix, de la diligence dont il a fait preuve pour examiner ce texte.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de vous demander de bien vouloir autoriser la ratification de l'accord de transport aérien entre la Communauté européenne et ses États membres et les États-Unis d'Amérique. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Nogrix, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Permettez-moi tout d'abord de vous remercier, monsieur le secrétaire d'État, d'avoir souligné la diligence avec laquelle la commission des affaires étrangères a travaillé, mais l'échéance de l'entrée en vigueur de cet accord est toute proche !
La commission des affaires étrangères a effectivement approuvé cet accord entre la Communauté européenne et ses États membres et les États-Unis d'Amérique, qui va entraîner, d'ici à quelques jours, des modifications notables sur le marché du transport aérien transatlantique.
Cet accord trouve son origine directe dans une décision rendue en novembre 2002 par la Cour de justice des Communautés européennes à l'encontre des accords bilatéraux conclus entre huit pays européens et les États-Unis. Il se situe dans la logique d'une double évolution intervenue au cours de ces dernières années.
Depuis bientôt dix ans, l'Europe a unifié son marché intérieur du transport aérien, ce qui conduit naturellement à traiter désormais à l'échelle européenne la question des relations aériennes avec les pays tiers. Après les accords conclus avec les pays des Balkans occidentaux et le Maroc, l'accord euro-américain concrétise cette évolution vers des accords aériens globaux au niveau européen, en substitution aux accords bilatéraux existants.
Le second mouvement est celui de la libéralisation du trafic aérien au travers d'une nouvelle génération d'accords dits « ciel ouvert » permettant la levée des restrictions sur les possibilités de desserte ou le nombre de compagnies titulaires de droit de trafic.
J'ai évoqué, dans mon rapport écrit, les conditions dans lesquelles a été conduite, durant près de quatre ans, la négociation de l'accord signé avec les États-Unis le 30 avril 2007. Comme vous l'avez souligné, monsieur le secrétaire d'État, la question du cabotage et celle de la propriété des compagnies ont été renvoyées à une seconde étape, dont le calendrier et les objectifs sont précisément définis.
Dès l'entrée en vigueur provisoire de l'accord, ses effets sur le transport aérien transatlantique seront clairement perceptibles. Les compagnies européennes, quelle que soit leur nationalité, pourront desservir n'importe quelle ville des États-Unis à partir de n'importe quelle ville d'Europe.
L'accord lèvera également les restrictions sur la possibilité pour les compagnies de chaque partie d'assurer des liaisons vers une tierce destination, au-delà des États-Unis pour les compagnies européennes ou au-delà de leur destination européenne pour les compagnies américaines.
L'impact sera particulièrement sensible sur l'aéroport de Londres-Heathrow, premier aéroport européen pour les vols vers les États-Unis, mais dont la desserte était jusqu'à présent réservée à quatre compagnies aériennes seulement en vertu de l'accord américano-britannique de 1977. À compter du mois prochain, celui-ci sera ouvert à toutes les compagnies américaines et européennes, ce qui permettra, par exemple, à Air France de mettre en service un vol quotidien Londres-Los Angeles.
Comme je l'ai indiqué, les Européens n'ont pas atteint, dès la première étape, tous les objectifs qu'ils s'étaient fixés en début de négociation. L'accord n'ouvre pas le droit au trafic de cabotage, c'est-à-dire le droit d'exploiter des liaisons exclusivement intérieures.
Par ailleurs, s'il élargit les possibilités d'ouverture du capital des compagnies américaines, il exclut toujours qu'un investisseur étranger puisse en assurer le contrôle effectif. Par parallélisme, une restriction analogue, jusqu'à présent inexistante, est désormais imposée pour les investissements américains en Europe. Il s'agit donc d'un accord « gagnant-gagnant ».
Le mécanisme mis en place par l'accord, à savoir l'énoncé d'un calendrier précis pour de nouvelles négociations et la possibilité, en cas d'échec à l'échéance de fin 2010, de faire jouer une clause de suspension, semble de nature à favoriser des avancées sur ces deux points.
Un autre élément positif est la mise en place d'un comité mixte au sein duquel seront traitées les coopérations entre l'Europe et les États-Unis sur les questions essentielles touchant à la sécurité, la sûreté aérienne, la protection de l'environnement et celle du consommateur. Monsieur le secrétaire d'État, nous devrons être attentifs à ces questions, s'agissant notamment de la sécurité et de la sûreté aérienne, pour que la France ne se laisse pas imposer la volonté des États-Unis.
La commission des affaires étrangères a estimé que cet accord permettrait la levée de nombreuses restrictions pénalisantes pour les compagnies européennes, dont elles se plaignaient du reste. Celui-ci mettrait fin au régime très particulier qui protégeait le marché britannique. On constate aujourd'hui que 40 % des vols transatlantiques partent de Londres. Les voyageurs espèrent également bénéficier de l'ouverture de nouvelles routes aériennes et du renforcement de la concurrence.
C'est pourquoi la commission vous demande, mes chers collègues, d'adopter le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis nous invite à autoriser la ratification de l'accord dit « Ciel ouvert », signé à Washington le 30 avril 2007 lors du sommet entre l'Union européenne et les États-Unis.
Il ouvre les couloirs aériens transatlantiques à davantage de concurrence entre les compagnies et consiste donc à libéraliser le cadre réglementaire dans lequel elles évoluent.
Cet accord nous est présenté comme globalement satisfaisant. En effet, l'organisation de la libre concurrence serait censée permettre une baisse significative des tarifs et donc améliorer le pouvoir d'achat des usagers.
Il serait, en outre, favorable aux compagnies communautaires, en particulier Air France-KLM qui, bénéficiant d'un meilleur accès aux marchés, pourrait se développer et favoriser l'emploi et les activités aéroportuaires.
D'après la Commission européenne, l'ouverture des couloirs aériens transatlantiques à davantage de concurrence pourrait se traduire par une augmentation du nombre de passagers entre l'Europe et les États-Unis d'environ 25 millions en cinq ans, ainsi que par la création de 80 000 emplois. L'expérience des conditions dans lesquelles s'est développé le transport aérien et le ralentissement, voire la récession, attendus outre-Atlantique nous permettent d'en douter.
Face à ce bel optimisme, il serait donc souhaitable de regarder les choses d'un peu plus près.
Il a fallu quatre ans de laborieuses négociations avec les États-Unis, qui peinaient à céder une partie de leurs avantages concurrentiels, avant de pouvoir déboucher sur un accord. Pourtant, celui-ci est incomplet ; cela a été dit à la fois par M. le secrétaire d'État et par M. le rapporteur. De plus, il n'assure pas une égalité réciproque d'accès au marché intérieur de chacune des parties, et ce au détriment des compagnies européennes.
Cette ouverture presque totale du marché aérien transatlantique est également déséquilibrée sur les questions relatives au cabotage, au contrôle et à la propriété des entreprises.
Dans le domaine du cabotage, il n'y a pas d'égalité de traitement, puisqu'il ne sera pas permis aux compagnies aériennes européennes d'effectuer aux États-Unis des vols intérieurs. En revanche, les compagnies américaines pourront, elles, assurer des liaisons entre différents pays européens.
Les conditions de contrôle et de propriété des transporteurs aériens ne sont pas non plus identiques entre les deux parties. Les prises de participations des compagnies européennes aux États-Unis restent limitées à 25 %, certes avec un droit de veto sur les décisions stratégiques, alors que les Américains pourront, eux, acquérir 49 % d'une entreprise européenne. S'agit-il d'un accord « gagnant-gagnant » ?
M. Philippe Nogrix, rapporteur. Mais oui !
M. Michel Billout. Je vous laisse juges...
Ces déséquilibres sur des questions cruciales sont flagrants. Aussi a-t-il été convenu, s'il n'était pas possible, durant la seconde phase de négociations prévue après l'entrée en vigueur de cet accord dans trois jours, d'aboutir à la possession de 100 % d'une compagnie américaine, que chaque État européen pourrait suspendre tout ou partie de l'accord.
En permettant aux compagnies d'opérer sans restriction, il aura inévitablement pour effet d'exacerber la concurrence entre compagnies.
Pour que celle-ci s'exerce « dans des conditions libres et égalitaires » -- c'est le texte de l'accord -, conditions qui, nous l'avons vu, ne sont pas vraiment respectées, toute subvention ou aide d'État aux entreprises qui seraient menacées de rachat est interdite.
À terme, il risque, de fait, de favoriser les compagnies américaines les plus puissantes qui sont déjà engagées dans un fort mouvement de fusion, lequel aboutit à une concentration des compagnies par absorption des unes par les autres, même si elles gardent leur nom et leur identité.
Ce mouvement n'épargne pas l'Europe. On le voit ces jours-ci avec la tentative du groupe Air France-KLM de mettre, non sans difficulté, la main sur Alitalia.
M. Michel Billout. Le développement de la concurrence pourrait toutefois pénaliser les opérateurs qui ne bénéficient pas des meilleurs outils, en termes tant de fréquence et de réseau que de productivité.
Ce mouvement de fusion-absorption, qui a pour corollaire de faire baisser les coûts pour préserver les marges des entreprises, a fréquemment - l'expérience nous le montre - des conséquences sociales très négatives, en particulier sur les salaires et sur les effectifs. Cette rationalisation des coûts et le recours accru à la sous-traitance ont également des effets particulièrement néfastes sur la sûreté aérienne.
L'application concrète de l'accord de coopération en matière de sécurité du transport aérien me semble aussi sujette à caution. Il est vraisemblable que celui-ci entérinera les mesures discriminatoires que l'administration américaine, obsédée par la lutte antiterroriste, impose à certains passagers en provenance de l'Union européenne.
Enfin, en matière de lutte pour préserver notre environnement, la coopération envisagée entre les parties en est à ses balbutiements. Elle n'est en tout cas pas à la hauteur des problèmes, notamment en termes de nuisances sonores et d'émission de CO2, qui vont se poser avec le développement considérable du trafic aérien induit par l'accord « Ciel ouvert », qui concernera plus de 60 % du trafic mondial.
Pour cet ensemble de raisons, afin de marquer notre opposition à ce type d'accords économiques d'essence ultralibérale, et pour que la deuxième phase de négociations prenne en compte les réticences que nous émettons, le groupe communiste républicain et citoyen votera contre ce projet de loi de ratification.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.