M. le président. La parole est à M. Alain Fouché. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Alain Fouché. Ma question concerne l'avenir des territoires ruraux et s'adresse en particulier à M. le secrétaire d'État chargé de l'aménagement du territoire. (Bravo ! et applaudissements sur les mêmes travées.) J'en suis d'autant plus heureux, monsieur Falco, qu'avec vous c'est l'un des nôtres qui a désormais la charge de mettre en oeuvre la politique gouvernementale d'aménagement et de développement des territoires.
La nomination d'un sénateur à ce poste marque incontestablement la reconnaissance de compétences personnelles nourries par une grande expérience, mais aussi celle de l'attachement particulier de notre assemblée aux problématiques d'aménagement du territoire, ce qui lui confère sans aucun doute une certaine spécificité institutionnelle.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le Sénat a très activement contribué à l'élaboration de la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux. Cette loi est le premier texte spécifiquement dédié à la ruralité, son ambition étant de replacer l'ensemble des territoires au coeur de notre politique nationale d'aménagement du territoire.
Trois ans après sa promulgation, je souhaiterais savoir, monsieur le secrétaire d'État, quel bilan synthétique il vous est possible de dresser au regard de ces objectifs. Il est en particulier un point qui préoccupe un certain nombre d'entre nous : les différences d'accès aux soins selon les territoires, alors que plus de quatre millions de nos concitoyens vivent déjà dans des zones identifiées comme en difficulté ou fragiles en termes de présence médicale.
La loi de 2005 ayant privilégié le recours à des mécanismes d'incitation financière pour favoriser l'installation ou le maintien des médecins, pouvez-vous, monsieur le secrétaire d'État, nous en livrer les premiers résultats et nous dire si vous envisagez de prendre de nouvelles mesures, notamment dans le droit-fil des propositions exposées à l'automne dernier dans l'excellent rapport d'information de notre collègue Jean-Marc Juilhard ?
Enfin, inspirée par la politique des pôles de compétitivité proposée par Jean-Pierre Raffarin, à l'époque Premier ministre, la politique des pôles d'excellence rurale a été engagée afin de mettre l'innovation au service des campagnes. L'appel à projets a été couronné de succès et de nombreux pôles ont été labellisés, tout ceci en partenariat avec les collectivités.
Aussi, monsieur le secrétaire d'État, je souhaiterais savoir quelles conclusions vous tirez de cette politique des pôles d'excellence rurale et quelles évolutions vous semblent souhaitables. Envisagez-vous d'amplifier le mouvement avec la création d'autres pôles ? Quels financements entendez-vous y consacrer ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Hubert Falco, secrétaire d'État, pour sa première intervention devant le Sénat depuis son retour au Gouvernement. Soyez brillant ! (Sourires.)
M. Charles Revet. Il est toujours brillant, monsieur le président !
M. Jean-Pierre Raffarin. Il l'a été tout particulièrement aux municipales, à Toulon !
M. Hubert Falco, secrétaire d'État chargé de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est effectivement pour moi un grand honneur d'être aujourd'hui devant cette assemblée qui m'est chère et qui, comme l'a fort justement dit notre ami Alain Fouché, représente si bien la diversité et la richesse de l'ensemble de nos territoires. (Rires et exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Bel. Pas si bien !
M. Jean-Pierre Sueur. Elle pourrait les représenter mieux !
M. Yannick Bodin. Il y a une erreur de calcul ! (Sourires.)
M. Hubert Falco, secrétaire d'État. Au moment où je rejoins François Fillon, notre Premier ministre, pour porter avec lui l'ambition du Gouvernement et du Président de la République en matière d'aménagement du territoire, je vais vous faire part d'une conviction profonde : oui, cher Alain Fouché, les territoires ruraux sont une chance pour le développement de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. Très bien !
M. Hubert Falco, secrétaire d'État. Je le sais, Jean-Pierre Raffarin partage ce sentiment, lui qui fut, comme Premier ministre, à l'initiative de la première loi relative au développement des territoires ruraux.
Ces territoires sont une chance pour notre pays, car ils lui apportent un équilibre, un potentiel de ressources exceptionnel, un dynamisme exemplaire en matière d'activités et d'innovations.
Dans le même temps, ils sont aussi confrontés à de profondes dynamiques de morcellement, de fragmentation. Pour endiguer ces détériorations préoccupantes, tout l'enjeu des années qui viennent consiste à reconstruire de véritables cohérences territoriales, en partant de la réalité des espaces, de leur potentiel, de leur vocation, et évidemment de leur identité.
J'en ai l'intime conviction, le XXIe siècle doit être et sera certainement le siècle du retour aux territoires de vie, aux territoires à dimension humaine.
M. Charles Revet. Très bien !
M. Hubert Falco, secrétaire d'État. Ce doit être aussi, pour les populations qui y résident et qui s'y épanouissent, le retour à la qualité de vie, car si la croissance est dans le flux, la confiance est dans les lieux.
M. Yannick Bodin. Quelle aisance !
M. Hubert Falco, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, vous m'avez parlé des pôles d'excellence rurale. Effectivement, 379 initiatives ont été labellisées, sur plus de 750 candidatures déposées ; 20 % d'entre elles concernent les services au public et à la santé, offrant des réponses innovantes aux besoins de nos concitoyens, s'appuyant systématiquement sur la mutualisation, les nouvelles technologies. L'État y consacre 235 millions d'euros de crédits. Aujourd'hui, le taux d'engagement s'élève à 53 %. Je souhaite que, d'ici à la fin de l'année, qui est l'échéance prévue pour le lancement de l'ensemble des opérations, nous fassions un bilan précis de cette initiative.
Mais ne nous le cachons pas, derrière ce dynamisme se trouvent des disparités, des fragilités.
M. Jacques Mahéas. Vous êtes trop long !
M. Hubert Falco, secrétaire d'État. La question médicale est et sera l'une des plus emblématiques. Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, s'y attelle. (Ah ! sur les travées de l'UMP.) Elle a lancé les états généraux de l'offre de soins, où seront abordés ces véritables problèmes de stratégie territoriale.
Voilà, monsieur le président, brièvement présenté - mais nous aurons l'occasion d'en reparler -, ce qui fonde une partie de mon action. Croyez-moi, je serai au service de l'ensemble des territoires, ruraux et urbains, et je serai à vos côtés pour y travailler ! (Très bien ! et vifs applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
institutions : la nécessaire réforme du parlement
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, lors des élections de mars, les urnes ont parlé. Dans les communes, les départements, les Français ont choisi.
M. Hubert Falco, secrétaire d'État chargé de l'aménagement du territoire. À Toulon, par exemple !
M. Jean-Pierre Bel. Les résultats de ces élections, comme l'a confirmé notre collègue Henri de Raincourt, sont clairs et sans appel ; il ne sert à rien de les nier.
Aux élections municipales, la gauche a remporté le plus grand nombre de victoires : un peu moins de cent villes supplémentaires de plus de 9 000 habitants ; « Trois Français sur cinq vivent dans une ville administrée par la gauche », titrait un grand quotidien du soir.
Plusieurs sénateurs de l'UMP. Les pauvres ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Christian Cointat. Ils vont le payer !
M. Jean-Pierre Bel. La gauche, fait sans précédent dans son histoire, est également majoritaire dans près de 60 % des départements.
Enfin, je rappelle que le succès était encore plus éclatant aux élections régionales, la gauche l'ayant emporté dans vingt régions sur vingt-deux.
Pour résumer, aujourd'hui, en France, la gauche est majoritaire dans les communes, dans les départements et dans les régions.
M. Alain Gournac. Mais pas au Sénat !
M. Jean-Pierre Bel. Nous sommes ici au Sénat, dans une assemblée qui est censée représenter ces collectivités territoriales. En tout cas, nous, sénateurs, sommes élus par les délégués de ces collectivités. L'équation devrait donc être simple et transparente : puisque la gauche est majoritaire partout, elle devrait l'être au Sénat. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. David Assouline. Il faut y croire !
M. Jean-Pierre Bel. Eh bien, non ! Toutes les projections, même les plus optimistes, à partir de résultats objectifs qui sont d'ores et déjà connus, montrent que, ni en 2008, pour un renouvellement du tiers de notre assemblée, ni en 2011, pour un renouvellement de la moitié de notre assemblée, la gauche n'a la moindre de chance de provoquer l'alternance. (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Patrick Courtois. Voilà la bonne nouvelle !
M. Charles Revet. C'est bien de le reconnaître !
M. Jean-Luc Mélenchon. Ça vous fait rire ?
M. Jean-Pierre Bel. Pourquoi ? Si l'on connaît les résultats de ces élections, on connaît aussi le mode de scrutin qui favorise démesurément une catégorie de communes, celles de moins de 1 500 habitants,...
M. Charles Revet. Elles n'ont pas le droit d'exister ?
M. Jean-Pierre Bel. ...dont on sait que les trois quarts sont classés à droite par le ministère de l'intérieur, et qui, en représentant 20 % de la population, disposent à peu près de 40 % des délégués aux élections sénatoriales. (M. Jean-Pierre Michel applaudit.)
Il y a donc là un déni de démocratie. (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.- Protestations sur les travées de l'UMP.)
Mme Raymonde Le Texier. Une anomalie !
M. Jean-Pierre Bel. Nous sommes dans une situation où il pourrait être inscrit sur le fronton de notre assemblée : « Réservée à la droite ». Cela pourrait prêter à dérision si le décalage avec la réalité territoriale d'aujourd'hui ne remettait pas en cause la légitimité démocratique du Sénat.
Alors, monsieur le secrétaire d'État, comment parler d'une réforme des institutions, comment parler de revaloriser les droits du Parlement si vous ne commencez pas par réhabiliter le principe le plus élémentaire de démocratie ? Pouvez-vous nous indiquer dès aujourd'hui ce que vous comptez faire pour déverrouiller nos institutions et supprimer cette anomalie démocratique qui n'est pas digne de la France ? (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. David Assouline. Vous êtes obligé de répondre !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, monsieur le président Bel...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pas de langue de bois !
M. David Assouline. Ni de cynisme !
M. Yannick Bodin. Cela ne va pas être facile !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Si vous voulez que je réponde, il faut m'écouter !
J'entends bien ce que dit le président Bel. D'autant que ce n'est pas la première fois qu'il le dit : je l'ai entendu développer cette analyse tout le temps où j'ai siégé dans cette assemblée.
Je lui laisse la responsabilité de dire : « anomalie démocratique ».
M. Robert Bret. Oui, par rapport aux résultats électoraux !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Il fut un temps où le Premier ministre socialiste disait que tout le Sénat était une anomalie démocratique. Chacun jugera !
M. Jean-Claude Carle. Cela ne lui a pas porté chance !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. La première étape qui vous est proposée, c'est naturellement la revalorisation du rôle de l'ensemble du Parlement, Assemblée nationale et Sénat.
Un sénateur du groupe socialiste. Pas de marché de dupes !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Nous nous sommes très clairement exprimés et nous avons dissipé un certain nombre de rumeurs qui avaient circulé sur l'éventuelle réduction des pouvoirs du Sénat par rapport à ceux de l'Assemblée. La revalorisation du travail du Parlement est une revalorisation globale.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Trompe-l'oeil !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Je vous rappelle que la réforme de la Constitution ne comporte évidemment pas, puisque cela n'est pas constitutionnel, une révision des modes de scrutins.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est bien là que le bât blesse !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Monsieur Bel, vous le savez, le Président de la République et le Premier ministre l'ont dit, il y aura, après la révision de la Constitution, après la revalorisation du travail du Parlement, des débats sur les modes de scrutin. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Nous avons en effet notamment l'obligation de faire un redécoupage des circonscriptions.
M. Yannick Bodin. Sur le scrutin régional, sans doute ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Les élections régionales auront lieu dans deux ans, monsieur Bodin, vous aurez donc tout le loisir de participer à ce débat ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Charcutage !
Mme Nicole Bricq. La ficelle est grosse !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Je suis très étonné, je vous le dis ! Je comprends que vous vouliez gagner, c'est votre droit le plus strict,...
Mme Raymonde Le Texier. On va gagner !
M. Jacques Mahéas. On a déjà gagné !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. ...mais ne mettez pas en cause cette assemblée, ses pouvoirs et l'augmentation des pouvoirs du Parlement,...
Mme Raymonde Le Texier. C'est du tripatouillage !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. ...ne déniez pas toute valeur à l'augmentation des pouvoirs du Parlement s'il n'y a pas un mode de scrutin qui vous permette de l'emporter ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)
En conséquence, monsieur le président Bel, nous renforçons d'abord des pouvoirs du Parlement, nous parlerons ensuite des modes de scrutin ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Mme Raymonde Le Texier. C'est scandaleux !
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze.)
M. le président. La séance est reprise.
5
Communication du médiateur de la république
M. le président. L'ordre du jour appelle la communication de M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, sur son rapport annuel.
Huissiers, veuillez faire entrer M. le Médiateur de la République dans l'hémicycle.
(M. le Médiateur de la République est introduit avec le cérémonial d'usage.)
Monsieur le Médiateur de la République, cher Jean-Paul Delevoye, je suis heureux, au nom de l'ensemble de mes collègues, de vous souhaiter la bienvenue dans cet hémicycle, que vous connaissez bien et où vous venez aujourd'hui pour la quatrième fois présenter le rapport annuel de la Médiature de la République.
Votre communication, toujours très attendue, me fournit l'occasion de souligner devant le Sénat l'importance de votre mission institutionnelle de réception des réclamations des administrés, d'écoute et de dialogue en vue de la recherche de solutions concrètes.
Je profite de votre venue pour rappeler également l'attention constante que notre assemblée, très enracinée comme vous dans la vie locale, dans la vie rurale, porte naturellement aux problèmes qui touchent à la vie quotidienne de nos concitoyens souvent désorientés face aux formalités administratives.
Réunis par des préoccupations communes, c'est donc avec une grande attention que nous allons maintenant vous écouter. M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois répondra ensuite à votre intervention, en notre nom à tous.
Vous avez la parole, monsieur le Médiateur de la République. (Applaudissements.)
M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. Monsieur le président, permettez-moi de vous remettre officiellement le rapport de la Médiature de la République. (M. le Médiateur de la République remet à M. le président du Sénat un exemplaire dudit rapport.)
M. le président. Je vous remercie, monsieur le Médiateur de la République.
M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. Mesdames, messieurs les sénateurs, dans le cadre de mon mandat de six ans, c'est le quatrième rapport que j'ai l'honneur de vous présenter.
Ma mission repose sur trois piliers essentiels : les dysfonctionnements du service public, les réformes, la défense des droits de l'homme.
Pour agir, je dispose d'une centaine de collaborateurs à Paris, de 275 délégués sur tout le territoire, de 375 points d'accueil, dont la moitié sont situés en « zones sensibles », de 95 délégués correspondants auprès des maisons départementales des personnes handicapées et de 35 délégués auprès de la population carcérale avec l'objectif que tous les détenus bénéficient de la présence d'un délégué du Médiateur d'ici à 2010.
Cela signifie que l'institution que je représente est un lieu d'observation privilégié.
Je tiens à rendre hommage à mon personnel en soulignant que, depuis 2004, à effectifs constants, 20 % de dossiers de plus ont été traités et le temps de réponse par courrier a été réduit de quatre mois à trois semaines. Nous avons gagné deux mois sur le délai moyen de traitement grâce à un système de participation et d'intéressement conciliant la responsabilisation de chacun des acteurs et le respect des dossiers qui leur sont confiés.
Le nombre de dossiers à caractère fiscal diminue, d'où l'intérêt de la conciliation fiscale, tandis que le nombre de dossiers à caractère social augmente, notamment les indus, ainsi que les dossiers concernant les étrangers.
Le Sénat sera intéressé de l'apprendre, de plus en plus de dossiers de contentieux avec les collectivités locales sont liés aux questions d'urbanisme.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. La complexité juridique croissante et une plus grande capacité de contestation des citoyens risquent de poser de redoutables problèmes de qualité des décisions administratives.
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. C'est donc un point sur lequel nous devrons porter un regard particulièrement aiguisé.
La collaboration avec le Parlement, notamment le Sénat, présente un intérêt sur plusieurs points.
Après l'évolution des prestations familiales en cas de résidence alternée, qui a été saluée, il faut poursuivre la réflexion sur la répartition des autres prestations familiales par le biais du groupe de travail qui a été mis en place. Il faut également réfléchir sur une question qui était au coeur de notre projet, à savoir comment adapter nos politiques publiques aux évolutions de la société.
Aujourd'hui, nous constatons de nouveaux comportements en raison de la précarisation des individus. Ainsi, certaines personnes qui ne peuvent plus faire face seules à leur loyer optent pour la colocation. Paradoxalement, leur aide au logement diminue, car elles sont alors souvent considérées comme un couple. Une habitude nouvelle est en fait sanctionnée par des politiques publiques fondées sur des modalités de société anciennes.
Sur les 65 000 affaires que nous traitons, plus de la moitié concernent des demandes de renseignement. Dans notre société de l'information, cette situation nous incite à réfléchir à notre incapacité à fournir la bonne information au bon moment et au bon endroit, qui créé parfois des tensions extrêmement fortes. Une administration moderne doit pouvoir s'appuyer sur une capacité d'accueil adaptée.
Dans une société très compliquée comme la nôtre, il faut simplifier l'accueil, rendre une décision de qualité et permettre aux citoyens de pouvoir la contester. Or, dans le secteur public, l'information fait cruellement défaut. Par exemple, les fonctionnaires ne sont pas informés des recours possibles contre des décisions qui les concernent.
S'agissant des retraites, de plus en plus de fonctionnaires ne connaissent pas les conditions d'attribution de leur pension. Lorsqu'ils reçoivent leur bulletin de pension, ils s'aperçoivent que rien ne correspond aux informations qui leur avaient été données. Malheureusement, ils ne peuvent plus revenir en arrière, car leur pension a été liquidée.
M. Jean-Claude Frécon. Effectivement !
M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. Cette situation manque d'exemplarité. Lorsqu'un fonctionnaire a passé toute sa carrière au sein d'un service public, la moindre des choses est qu'il puisse connaître les conditions dans lesquelles il pourra prendre sa retraite.
M. Christian Cointat. Bien sûr !
M. Philippe Richert. Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. Si ces conditions sont différentes de celles qui lui avaient été indiquées, il doit pouvoir revenir sur sa décision.
J'ai en mémoire le cas d'un préfet qui a été obligé de réintégrer une employée pendant deux ans, car les conditions dans lesquelles elle était partie à la retraite se sont avérées finalement très différentes de celles qui lui avaient été annoncées. Il lui manquait en effet 300 ou 400 euros à la fin du mois.
En matière de droit à l'information, le service public doit être à la hauteur de ce que l'on exige du secteur privé.
M. Christian Cointat. Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. En ce qui concerne les recours, au sujet desquels j'ai sollicité le vice-président du Conseil d'État, je crois, monsieur le président, monsieur le président de la commission, que cette question pourrait faire l'objet d'un travail parlementaire afin de clarifier la foultitude de délais et de modalités.
M. Charles Revet. Effectivement !
M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. Parfois, le silence vaut approbation. Parfois, l'administration impose à l'usager un délai de réponse dans les deux mois qui ne s'applique pas pour elle... Il n'y a pas d'équité entre les parties !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est vrai !
M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. Il faut donc faire en sorte que le système ne se protège par un maquis de recours tellement difficiles que plus personne ne pourrait contester. Ce n'est pas à nous de protéger le système, c'est au système de protéger l'individu !
Dans un souci d'évaluation du travail parlementaire, le législateur devrait être attentif au rescrit fiscal. Je prends un seul exemple, celui des économies d'énergie avec les portes doubles.
Le texte de loi laissant une marge d'interprétation, l'administration fiscale a défini elle-même ce qu'est une porte double. En conséquence, des contribuables de bonne foi ont vu des déductions fiscales correspondant à la volonté du législateur être remises en cause et ont subi des redressements.
L'administration devrait soumettre ses interprétations au Parlement afin de vérifier que celles-ci correspondent bien à l'esprit du texte.
M. Christian Cointat. Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. Gageons qu'une telle procédure réserverait un certain nombre de surprises. (M. Alain Gournac s'esclaffe.)
Je voudrais également appeler l'attention du Sénat sur le fait qu'un certain nombre de bonnes décisions politiques peuvent parfois entraîner une fragilisation de la personne concernée. Je prends l'exemple du CESU, le chèque emploi service universel.
Cette formidable avancée, qui concerne 650 000 personnes, a permis de déclarer un certain nombre de personnes qui travaillaient auparavant « au noir ». Or il s'avère que, dans certains cas, la protection sociale des bénéficiaires du CESU est moins bonne que celle des salariés classiques. À preuve, si une personne tombe malade pendant ses vacances. En effet, la période de congés, pendant laquelle elle ne touchera aucun revenu puisque le paiement des congés est déjà intégré dans la rémunération à hauteur de 10 % du salaire, sera incluse dans la période de référence.
Il serait peut-être bon de mener une réflexion afin que cette avancée sociale ne se traduise pas par une moindre protection sociale des bénéficiaires.
Concernant le recours subrogatoire des caisses de sécurité sociale et la protection des victimes, je voudrais remercier le Sénat de cette formidable avancée, qui permet aujourd'hui aux victimes d'être mieux protégées s'agissant des indemnités fixées par les juges.
M. le président. Merci de ce compliment !
M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. Par ailleurs, le législateur a souhaité que la Médiature dispose d'un référent dans chaque maison départementale des personnes handicapées.
Un tour de France des maisons départementales des personnes handicapées nous a permis, avec l'Assemblée des départements de France, de mettre le doigt sur un certain nombre de problèmes qui nous paraissent aujourd'hui avoir été intégrés dans la loi. Ainsi, les conseils généraux, qui ont été investis de cette responsabilité, n'ont pas bénéficié d'un transfert de personnels. Nous avons donc constaté une très forte diminution du délai de traitement des dossiers ex-COTOREP. En outre, certains départements se sont retrouvés en grande difficulté, car le personnel d'État a refusé d'être muté. Lorsque l'on transfère des compétences, il faut également transférer les moyens, à l'instar de ce qui s'est fait avec les TOS, afin de permettre aux départements de faire face à leurs responsabilités.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l'administration modèle telle que je la conçois doit disposer d'une capacité d'accueil adaptée, rendre des décisions de qualité et avoir un contentieux digne de ce nom. Or le contentieux pour les handicapés n'est pas à la hauteur du problème.
Tout d'abord règne la confusion entre les tribunaux administratifs, les tribunaux des affaires de sécurité sociale et les tribunaux du contentieux de l'incapacité. Ensuite, les conditions de fonctionnement sont anormales par rapport au problème des handicapés : le personnel dépend des directions régionales des affaires sanitaires et sociales, sous couvert de la Chancellerie, perçoit des vacations de 85 euros et souffre d'une pénurie de locaux. En conséquence, un certain nombre de juridictions ne trouvent plus de magistrats honoraires pour traiter les contentieux, alors qu'il s'agit des personnes les plus fragiles de notre société.
Nous avons également mis le doigt sur un certain nombre de problèmes, par exemple l'insertion des personnes handicapées dans l'emploi.
Avec un taux d'incapacité entre 50 % et 80 %, il faut rester un an sans emploi pour percevoir l'AAH, l'allocation aux adultes handicapés.
En même temps, lorsqu'on perçoit le RMI, on a un contrat d'activité. Or, paradoxalement, ayant un contrat d'activité, la personne handicapée perd le bénéfice de l'AAH pendant un an.
Le résultat est que les personnes handicapées qui sont les plus capables de retrouver un emploi sont également les plus fragilisées par rapport à ce dispositif. Nous devons donc réfléchir à une solution.
Nous avons aussi soulevé le problème posé aux handicapés psychiques dont les médecins estiment que l'équilibre passe par un retour à l'activité. En effet, ils sont classés en catégorie 4 et ne peuvent donc pas bénéficier du soutien de l'ANPE.
Au moment où le Gouvernement lance une réflexion sur les valeurs du service public, nous pensons qu'une de ces valeurs devrait être l'exemplarité. Le service public doit demander à l'administré ce qu'il s'impose à lui-même.
Nous devons réfléchir sur le fait que, aujourd'hui, avec les « tapez 1 », « tapez 2 », « tapez 3 », « tapez 4 » et les vingt-cinq minutes d'attente téléphonique, il y a, à l'évidence, un déficit de qualité en termes d'accueil et d'écoute.
Nous avons constaté l'émergence, notamment pour les étrangers, dans une préfecture du bassin parisien, d'un métier nouveau : celui de négociateur de place. Des personnes prennent une place à six heures du matin et la revendent 50 euros à celles et à ceux qui désirent éviter trois heures de file d'attente.
En conséquence, si l'on veut apaiser les relations entre l'administré et l'administration, il faut mettre en oeuvre une capacité d'accueil à la hauteur des enjeux.
Il faut également améliorer la qualité des réponses apportées. Aujourd'hui, la non-réponse, liée quelquefois au principe de précaution, pose un vrai problème d'instabilité de la situation de l'administré.
La notion de preuve est aussi un sujet sur lequel il nous faut réfléchir. Nous nous fondons, le Conseil d'État l'a confirmé, sur le fait que l'administration a raison. Il faut toutefois tenir compte de comportements nouveaux, comme l'usurpation d'identité.
Je prends un exemple : une personne a vu brusquement exploser son imposition. Elle a découvert, après enquête auprès de l'administration fiscale, que cinq entreprises avaient déclaré cinq revenus sous son nom. Comme l'administration considère que la déclaration de l'employeur fait foi, nous avons dû faire un énorme effort pour inverser la charge de la preuve.
Les délais et les recours, que j'ai évoqués tout à l'heure, ont également leur importance.
L'exemplarité, c'est aussi la réflexion sur la précarité dans l'éducation nationale. J'ai abordé ce sujet avec le ministre de l'éducation nationale et avec les représentants syndicaux. Nous assistons aujourd'hui à un détournement du décret de la vacation. Le vacataire devrait pallier momentanément une absence de professeur, limitée à 200 heures. Or quand ce seuil est atteint, un nouveau vacataire intervient, et ainsi de suite, une même classe voyant se succéder trois ou quatre vacataires.
De plus, les vacataires sont parfois affectés dans plusieurs collèges, si leur affectation ne concerne que le secondaire, et leurs frais de déplacement ne sont pas pris en charge. De surcroît, ils sont quelquefois recrutés au mois de septembre et ne sont payés que quatre mois plus tard.
Il s'agit d'une situation absolument anormale pour des bac+6 ou bac+7. C'est un des sujets sur lesquels nous devrions ouvrir une réflexion. Si on ne peut pas avoir le « tout-titularisation », on ne peut pas avoir non plus le « tout-précarisation ».
Je vous remercie des réformes que vous avez su faire avancer sur nos propositions : la représentation devant les tribunaux par le concubin ou le partenaire pacsé, le droit à la décharge de solidarité du couple. Je remercie la commission des finances d'avoir intégré la suppression de la différence, pour les veufs, entre enfants légitimes et enfants naturels.
Je sais que la commission des finances travaille sur une autre proposition de réforme que nous lui avons suggérée et selon laquelle, puisque l'on peut déduire des impôts les enfants de moins de vingt-cinq ans qui sont étudiants, la déduction devrait être possible pour tous les enfants de moins de vingt-cinq ans qui vivent au foyer - ils sont de plus en plus nombreux -, dès lors qu'ils sont réellement à charge.
Il en va de même pour les revenus différés. De plus en plus de contentieux sont résolus au bout de trois ou quatre ans. L'indemnité alors perçue fait brusquement augmenter les revenus, ce qui aboutit à une surtaxation fiscale. Une possibilité d'étalement devrait exister.
Je vous remercie également pour les assurances vie en déshérence, ainsi que pour le soulever d'office pour le juge en matière de droit de la consommation.
Je sais, monsieur le président, monsieur Hyest, que vous y êtes attentifs, ainsi que MM. Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Sueur, mais je veux insister sur un point.
Dans les deux derniers rapports, nous avions souligné la lacune juridique de la circulaire fondée sur les critères définis par l'Organisation mondiale de la santé et concernant la notion de viabilité pour les enfants nés sans vie.
La Cour de cassation a pris une décision logique, qui pose aujourd'hui un véritable problème auquel nous ne pouvons échapper. L'établissement des actes de naissance et de décès d'un enfant né sans vie est confié à la responsabilité du médecin, comme la libre interprétation de la notion de viabilité. Si le médecin délivre un certificat attestant que l'enfant est né vivant et viable, il donne une responsabilité juridique à l'enfant et des droits aux parents.
Cette circulaire, sur le fondement de laquelle des congés de paternité ont été octroyés, se trouve fragilisée.
Cela pose un vrai problème à la sécurité sociale, qui avant vingt-deux semaines, en cas de rupture de grossesse, accorde un congé maladie et, après vingt-deux semaines, accorde un congé maternité.
Cela pose enfin un vrai problème à l'ensemble des officiers d'état civil de nos communes. Aujourd'hui, il y a prescription d'inscription sur les registres de l'état civil en cas de déclaration de naissance après trois jours. Or une telle prescription n'existe pas pour les enfants nés sans vie. Cela signifie que même vingt-cinq ans après, il est possible de demander à l'officier d'état civil d'établir un acte. Actuellement, en l'absence de circulaire, les officiers d'état civil ne savent que faire.
Dans un service d'état civil d'une grande ville, il m'a été dit qu'une instruction avait été donnée pour ne pas délivrer d'acte civil en dessous de douze semaines. Une telle décision n'a aucun fondement juridique.
Aujourd'hui, il n'est pas question de rouvrir le débat sur la nature juridique du foetus ni sur l'avortement ; il est question de savoir si la notion de viabilité est normative ou subjective, si elle est laissée au soin du médecin ou du politique.
Mon combat en tant que Médiateur est de restaurer l'autorité politique. Le politique doit précéder le droit. Il ne doit pas fuir ses responsabilités par crainte d'un débat. Il doit au contraire l'assumer.
Je sais que MM. Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Sueur travaillent sur ce sujet. Nous sommes conscients que, en l'absence de décision politique, il existe aujourd'hui une insécurité juridique qui met des officiers d'état civil dans une situation difficile, fait subir aux familles une douleur insupportable et engendre une incertitude qui pourrait poser de redoutables problèmes éthiques si la vague médiatique émotionnelle s'en emparait.
Nous avons également soutenu très clairement, devant le rapport Guinchard-Kunstler, la mise en oeuvre de pôle de famille, notamment en ce qui concerne la problématique du conjoint violent.
Nous serons attentifs à la réforme des tutelles et à son application en 2009.
Par ailleurs, sans entrer dans le débat sur la déjudiciarisation, je crois qu'une société a besoin de repères. Elle a besoin du repère à son instituteur, elle a besoin du repère au juge. En matière de contestations des contraventions, l'accès au juge doit être aujourd'hui absolument primordial. Il correspond à la conception européenne des droits de l'homme.
Concernant l'amiante, il appartient au politique de définir le montant budgétaire. Je comprends bien les contraintes budgétaires. Mais je pose, en tant que Médiateur, la question de l'équité : à situation équivalente, y a-t-il traitement équivalent ? La réponse est non.
En travaillant sur le même chantier, avec les mêmes risques d'exposition, les mêmes déclenchements de maladie, si vous êtes salarié d'une entreprise sous-traitante, vous n'avez pas droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, l'ACAATA, si vous êtes salarié d'une entreprise reconnue, vous avez droit à l'ACAATA. Selon le statut du salarié et selon le statut de l'entreprise, il existe des différences de traitement : ce n'est pas normal.
Il est question de la mobilité européenne et internationale. On a supprimé les frontières pour la circulation des marchandises, mais on a élevé des barrières juridiques pour la circulation des hommes.
Je prends un exemple. Une personne qui travaillait en Belgique revient s'installer en France pour y travailler et demande un logement. On lui dit : très bien, apportez-moi votre déclaration de revenu. Vous n'avez aucun revenu en France ? Vous n'avez pas droit au logement !
Autre exemple : un homosexuel, avec un certificat de vie maritale au Danemark, qui n'a aucune valeur juridique en France, doit divorcer de son compagnon au Danemark, mettant en péril sa succession, pour avoir le droit d'acquisition d'un patrimoine immobilier avec un partage d'indivision.
Il existe également un problème d'équivalence de diplômes, qui ne favorise pas la mobilité européenne.
On ne peut pas imaginer un continent où les marchandises ont plus de facilité de circulation que les hommes, sauf à risquer d'avoir un marché du droit : chacun cherche le pays qui permet d'adopter sans difficulté, de se marier avec un partenaire du même sexe, d'accéder à l'euthanasie active, etc.
Laisser cette Europe se transformer en marché du droit est le contraire même de la philosophie de la construction européenne, à laquelle nous étions les uns et les autres attachés.
Nous avons également posé la question de l'expertise judiciaire médicale. Il est évident que nous avons un vrai problème devant nous : celui de la dépendance entre le pouvoir décisionnel et le pouvoir de l'expertise. Je pense notamment à la médecine légale. L'année dernière, j'avais déjà demandé la mise en place d'un système d'observation parlementaire sur les applications positives et négatives de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF.
Dans certaines enquêtes criminelles, des présidents renoncent aux autopsies pour des raisons financières et, au nom de la tarification à l'activité, la T2A, certains établissements hospitaliers estiment que la médecine légale ne rapporte pas - mobiliser deux praticiens pendant une après-midi est facturé 150 euros.
Il me semble donc, mesdames, messieurs les parlementaires, que vous devez mettre en place une capacité d'analyse et d'évaluation des conséquences positives et négatives de la LOLF sur le comportement des administrations.
Par ailleurs, je soulève un débat sur un problème que je ne connaissais pas : le don du corps à la science. Paradoxalement, le donataire, c'est-à-dire celui qui reçoit le corps, fait facturer au donateur, donc à ses héritiers, des frais d'établissement, etc. Une correction législative doit être apportée pour que le donateur ne soit pas pénalisé.
De plus, nous avons soulevé l'année dernière le problème du malendettement. En ce qui concerne la protection des consommateurs, nous avons alerté le Président de la République sur le comportement très préoccupant d'un certain nombre d'opérateurs de téléphonie mobile : problèmes de facturation, de recouvrement, de changement d'abonnement sans même en avertir les différents abonnés. J'ai en mémoire le cas d'un professeur d'université qui s'est vu supprimer trois abonnements, dont celui de sa mère atteinte de la maladie d'Alzheimer et qui était lié aux urgences.
En ce qui concerne les prisons, je voudrais apporter un éclairage. Nous avons mis en place une expérimentation, extrêmement positive, tant du point de vue de l'administration pénitentiaire que des ONG ou des observateurs. Actuellement, 40 % de la population carcérale est concernée.
Seulement 30 % des réclamations émanant des détenus concernent l'administration pénitentiaire : le rapprochement familial, le calcul de remise de peine, l'inventaire sur les objets perdus. Le reste des réclamations concerne des procédures classiques de contact avec l'administration.
Nous avons demandé, dans le cadre de la future loi pénitentiaire, de réfléchir à des modifications de procédure administrative. Par exemple, pour le renouvellement des titres de séjour d'étrangers en situation régulière emprisonnés, on peut sans doute imaginer, pour simplifier la vie du détenu, d'autres méthodes administratives que d'aller à la préfecture.
Nous devons également réfléchir à la problématique de la présence dans les prisons françaises de détenus étrangers, qui sont souvent maintenus sur place en raison de problèmes de recouvrement de créance de la douane en cas de trafic de drogue. Le rapprochement familial, au sein de cette communauté européenne, avec les règles pénitentiaires européennes, permettrait peut-être l'exécution de la peine dans le pays d'origine.
Nous avons également un vrai débat sur l'accès aux soins, débat que vous avez ouvert sur la psychiatrie.
Alerté par le commissaire européen, je me suis rendu en tant que Médiateur à l'infirmerie de psychiatrie de la préfecture de police, et j'y suis d'ailleurs retourné depuis. J'y ai découvert une capacité d'expertise médicale extrêmement importante, avec un système d'urgence et de respect de la dignité des personnes tout à fait à la hauteur de l'enjeu.
Il convient éventuellement d'avoir une réflexion sur le transfert par les commissaires auprès de cette infirmerie. Mais c'est un autre sujet.
Sur la problématique de l'Europe, nous menons, avec la Cour européenne des droits de l'homme, une réflexion expérimentale avec trois pays, dont la France, sur la saisine de cette juridiction.
À Paris, avec le commissaire européen, le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, Mme Arbour, le représentant du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, une réflexion a été conduite avec de nombreux pays - je remercie M. Robert Badinter et Mme Yade d'y avoir participé - au sujet de la mise en place d'un contrôle extérieur des lieux privatifs de liberté. Le commissaire européen m'a d'ailleurs téléphoné il y a quarante-huit heures pour me dire à quel point l'impact de cette réunion avait été important.
Actuellement, de nombreux pays sont en train d'essayer d'imaginer la mise en place d'un contrôleur extérieur des lieux privatifs de liberté.
Les résultats de vos travaux parlementaires ont été particulièrement étudiés. Nous formons le voeu qu'ils puissent être rapidement mis en oeuvre.
Enfin, nous avons réuni, les 8, 9 et 10 novembre 2007 à Rabat, l'ensemble des ombudsmans du bassin méditerranéen - marocain, algérien, palestinien, israélien, maltais, grec, turc - de manière que, si les États ne se parlent pas en raison de conflits qui les concernent, les institutions qui sont réunies par la cause des droits de l'homme puissent se rencontrer. Le principe a été arrêté d'une réunion sous présidence française à Marseille au second semestre. En outre, un centre de formation pour le personnel des ombudsmans a été mis en place, à Rabat, et la première séance de formation devrait intervenir dans les deux mois qui viennent.
Voilà, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, brièvement présentée, une synthèse de ce rapport d'activité.
L'intérêt que nous portons aux défenseurs des droits fondamentaux correspond au souhait que nous avions exprimé devant la commission Balladur de voir émerger un ombudsman « à la française ». Dans la société actuelle, les institutions indépendantes doivent apaiser le rapport entre le collectif et l'individu. Si elles n'y parviennent pas, il est à craindre que le droit de la force ne l'emporte sur la force du droit, ce droit auquel nous sommes tous attachés, et que, du dialogue, nous ne basculions malheureusement vers la violence. (Applaudissements.)