compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert
vice-président
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
Candidatures à des Organismes extraparlementaires
M. le président. Je rappelle que la commission des affaires culturelles a proposé des candidatures pour plusieurs organismes extraparlementaires.
La présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du règlement.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame MM. Jean-Léonce Dupont et Philippe Adnot respectivement membre titulaire et membre suppléant du Comité de suivi de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, M. Ambroise Dupont membre de la Commission supérieure des sites, perspectives et paysages.
3
Rétention de sûreté
Adoption des conclusions du rapport d'une commission mixe paritaire
M. le président. L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental (n° 192).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental s'est réunie à l'Assemblée nationale, ce lundi 4 février.
Le texte adopté par le Sénat a été très largement repris, sous réserve de quelques modifications que je vais me permettre de vous présenter.
À l'article 1er, constatant que l'élargissement progressif du champ d'application de la rétention de sûreté à la suite des amendements adoptés à l'Assemblée nationale - victimes mineures âgées de quinze ans, de dix-huit ans, victimes majeures en cas de circonstances aggravantes - avait conduit à une formulation complexe n'échappant pas aux redondances, notre assemblée avait réécrit de manière beaucoup plus concise cet article.
Ainsi, dans la mesure où le code pénal prévoit déjà que l'âge de la victime peut être une circonstance aggravante, le Sénat avait jugé suffisant de faire référence dans la loi à la seule nature de l'infraction, sans qu'il soit nécessaire de mentionner explicitement le critère tenant à l'âge de la victime. Cette rédaction s'avérait cohérente avec le code pénal, qui ne distingue pas jusqu'à présent les victimes mineures de plus de quinze ans et les victimes majeures.
La commission mixte paritaire a souhaité rétablir cette distinction et rendre applicable la rétention de sûreté sans qu'aucune circonstance aggravante n'accompagne l'un des crimes visés dans toutes les hypothèses où la victime est mineure, y compris entre quinze et dix-huit ans.
En outre, le rapporteur de l'Assemblée nationale a proposé de préciser que les personnes concernées par la rétention de sûreté étaient celles qui présentaient une particulière dangerosité, caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu'elles souffrent d'un trouble grave de la personnalité.
Cette modification - « parce qu'elle souffre » - a été adoptée par la commission mixte paritaire après que je me fus interrogé sur son utilité, doutant - et c'est un euphémisme - que cette souffrance à laquelle on va donc tenter de porter remède permette de considérer la présente loi comme une loi pénale plus douce.
Toujours à l'article 1er, la « prise en charge médicale, éducative, sociale, psychologique et criminologique adaptée » qui devra être proposée à la personne placée en rétention de sûreté en centre socio-médico-judiciaire de sûreté a laissé place, de manière plus concise, à une « prise en charge médicale, sociale et psychologique ».
Enfin, dernière modification significative à l'article 1er, notre collègue député Georges Fenech, rapporteur pour l'Assemblée nationale, a proposé de modifier la rédaction de l'article 723-38 du code de procédure pénale afin de tirer la conséquence de l'introduction par le Sénat de la notion de « surveillance de sûreté » et de permettre que le placement sous surveillance électronique mobile puisse être prolongé dans le cadre non seulement de la surveillance judiciaire mais aussi de la surveillance de sûreté.
À l'article 6, qui comporte différentes modifications des dispositions du code de la santé publique relatives à la mise en oeuvre de l'injonction de soins, le Sénat a adopté, contre l'avis du Gouvernement, vous vous en souvenez, deux amendements revenant au droit en vigueur.
D'une part, il a estimé paradoxal, compte tenu des difficultés de recruter des médecins coordonateurs, de se passer d'autres sources de recrutement que les seuls psychiatres, dès lors qu'existent pour les médecins les garanties d'une formation appropriée.
D'autre part, il s'est opposé à la suppression de la faculté de recourir de manière encadrée à un psychologue à la place du médecin traitant, faculté qui constituait l'une des propositions de la mission d'information de la commission des lois de l'Assemblée nationale constituée en 2004 et consacrée au traitement de la récidive des infractions pénales, dont le président et le rapporteur étaient respectivement Pascal Clément et Gérard Léonard. Cette possibilité a été consacrée par la loi du 12 décembre 2005 qui précisait que les conditions de diplômes et les missions de ce psychologue traitant seraient précisées par décret.
Ce décret d'application n'ayant jamais été pris, la commission mixte paritaire propose de montrer la voie en ajoutant à l'article 6, dans la rédaction du Sénat, un alinéa précisant que les psychologues devront remplir une condition d'exercice de leur activité depuis au moins cinq ans.
Sur proposition du rapporteur pour l'Assemblée nationale et avec mon approbation, la commission mixte paritaire a disjoint de l'article 12, qui ne concerne que des dispositions transitoires, un paragraphe ajouté par le Sénat prévoyant que la libération conditionnelle d'une personne condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité ne pourrait intervenir qu'après avis favorable de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté. Cette disposition pourra donc s'appliquer sans limitation de durée.
Enfin, à l'article 12, relatif à l'entrée en vigueur des dispositions de la loi, et en dehors d'améliorations rédactionnelles, deux modifications ont été apportées. L'une permet au dispositif de la surveillance de sûreté d'être immédiatement applicable lorsqu'il fait suite non seulement à une surveillance judiciaire mais également à un suivi socio-judiciaire ; l'autre rend immédiatement applicable la disposition disjointe de l'article 12 relative aux conditions de libération conditionnelle des personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité, disposition que j'évoquais il y a un instant.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, les principaux apports du Sénat ont donc été intégralement respectés, qu'il s'agisse du caractère juridictionnel de l'instance dont relève la rétention de sûreté, de la définition d'un dispositif spécifique, la surveillance de sûreté, qui désignera les obligations susceptibles de prolonger une surveillance judiciaire, un suivi socio-judiciaire ou celles qui pourront être mises en oeuvre à l'issue d'une rétention de sûreté et, enfin et surtout, de la place éminente faite à l'évaluation.
Je suis convaincu, mes chers collègues, qu'en commençant à imposer une évaluation pluridisciplinaire d'au moins six semaines des personnes condamnées dans l'année qui suit leur condamnation définitive, en permettant au juge de l'application des peines de définir un parcours d'exécution de la peine individualisé, en se préoccupant des soins, de la dangerosité, de la formation, de la capacité à exercer un emploi dès l'entrée en détention, nous donnons à la réinsertion et donc à la lutte contre la récidive des atouts majeurs. De même, l'évaluation pluridisciplinaire en fin de peine, lorsque se posera le problème de l'éventuelle rétention de sûreté, permettra d'appréhender la dangerosité dans des conditions de fiabilité dignes de notre démocratie.
Nous avons ouvert une piste que je crois féconde et qu'il nous reviendra de défricher bien davantage encore lors du prochain examen du projet de loi pénitentiaire.
Enfin, si je n'ai pas abordé, mes chers collègues, la question de la rétroactivité, c'est simplement dans la mesure où, les deux assemblées ayant décidé l'application immédiate de la réforme, le problème ne se posait plus devant la commission mixte paritaire.
Il n'entre pas dans mes intentions, rassurez-vous, de reprendre le débat cent fois abordé de la distinction entre la peine et la mesure de sûreté, celui de la subtilité de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui semble assimiler, par exemple, le suivi socio-judiciaire à la première et la surveillance judiciaire à la seconde. Il n'en reste pas moins qu'une clarification s'impose en ce domaine et que nous ne pourrons qu'y être particulièrement attentifs.
Dans cette attente, je vous demande d'adopter le projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental dans le texte qui vous est proposé par la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à saluer le travail accompli par le Sénat et l'Assemblée nationale au sein de la commission mixte paritaire.
Je voudrais en particulier remercier le président de la commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest. Il a cerné tous les enjeux de ce texte. Il a su y sensibiliser ses collègues de la commission des lois.
Je tiens également à saluer le travail accompli par Jean-René Lecerf, votre rapporteur.
Le texte qui vous est proposé aujourd'hui est un texte équilibré et consensuel.
Les dispositions relatives à la nouvelle procédure de déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental n'ont pas fait l'objet de modifications substantielles.
De même, votre commission mixte paritaire a repris pour l'essentiel le texte que vous aviez adopté sur le volet sanitaire. Je n'y reviendrai donc pas.
Vous le savez, l'essentiel de nos débats a porté sur la rétention de sûreté. Cette mesure existe depuis de longues années dans d'autres démocraties, les Pays-Bas, l'Allemagne, la Belgique ou le Canada. Elle a été très longuement débattue dans cet hémicycle. Je crois que le texte issu de la commission mixte paritaire répond aux préoccupations qui ont été exprimées.
Le texte qui vous est soumis reprend la volonté de l'Assemblée nationale de bien préciser que les personnes visées sont les personnes qui présentent une grande dangerosité parce qu'elles souffrent d'un trouble grave de la personnalité. Les faits pour lesquels elles ont été condamnées démontrent leur dangerosité et la nécessité de suivre des soins.
Le texte reprend les nouvelles garanties que le Sénat a apportées afin que ce dispositif reste un dispositif d'exception.
Vous avez souhaité que les soins soient assurés dès le début de la détention. Le texte issu de la commission mixte paritaire reprend le principe d'un examen systématique dans le Centre national d'observation afin de définir un parcours adapté.
Vous avez souhaité que l'examen de dangerosité à la fin de la peine soit renforcé. C'est l'objet de l'examen de six semaines qui sera réalisé dans ce Centre national d'observation.
Sur toutes les travées de votre Haute Assemblée, on a exprimé la préoccupation que la rétention de sûreté ne soit pas un simple enfermement, une relégation sociale. Le texte issu de la commission mixte paritaire traduit parfaitement cette exigence.
Il reprend votre volonté qu'un suivi médical et psychologique adapté soit mis en place dans le centre socio-médico-judiciaire. II insiste sur la prise en charge des personnes retenues en matière de formation et d'éducation.
Le rôle des centres socio-médico-judiciaires de sûreté est de donner le plus de chances possible aux personnes concernées de remédier à leurs troubles, et donc de réduire leur dangerosité. Les personnes retenues bénéficieront d'offres de soins individualisées et adaptées à leur profil : prise en charge médico-sociale renforcée, traitement antihormonal avec le consentement de l'intéressé, psychothérapie individuelle ou de groupe, structuration sociale par le travail et la formation et accompagnement socio-éducatif.
M. Portelli a appelé de ses voeux la création d'un véritable centre Pinel en France, sur le modèle de ce centre qui existe au Canada. Le centre socio-médico-judiciaire qui sera installé dans l'hôpital de Fresnes doit nous permettre de mieux traiter cette dangerosité particulière des criminels dangereux qui souffrent de troubles graves de la personnalité.
Les garanties prévues par le Sénat pour l'application de la rétention de sûreté aux tueurs et aux violeurs en série qui sortiront de prison dans les années à venir ont été reprises.
Nous avons eu de longs débats sur ce sujet. Soyons clairs : les Français ne pourraient pas comprendre que l'on attende quinze ans avant que ce dispositif puisse s'appliquer à des psychopathes qui refusent de se soigner.
Nous l'avons dit, la rétention de sûreté est une mesure de sûreté, ce n'est pas une peine. Elle est donc immédiatement applicable. La Cour constitutionnelle allemande l'a expressément jugé dans une décision du 5 février 2004.
Vous avez souhaité renforcer le caractère exceptionnel et subsidiaire de ce dispositif transitoire en posant deux conditions : la première prévoit qu'une rétention de sûreté ne pourrait être envisagée que si une assignation à domicile sous surveillance électronique mobile était insuffisante ; la seconde condition est que les personnes incarcérées au moment de l'entrée en vigueur de la loi devront être averties par la chambre de l'instruction que la dangerosité révélée par leur condamnation pourra justifier un placement en rétention de sûreté à la fin de leur peine. Les personnes pourront ainsi s'engager dans une démarche de soins pendant leur détention en connaissant son enjeu.
Cet amendement a été repris par la commission mixte paritaire.
Après cet important travail préparatoire, nous sommes parvenus aujourd'hui, j'en ai la conviction, à un texte qui respecte nos principes constitutionnels fondamentaux et les exigences de la Convention européenne des droits de l'homme.
Le Gouvernement veillera avec une vigilance toute particulière à ce que la mise en oeuvre de ce dispositif respecte toutes les garanties que le Sénat a souhaité mettre en place.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte est un texte de protection. II vise à protéger nos concitoyens de criminels particulièrement dangereux. Il est attendu par tous. Je vous demande de l'adopter dans l'intérêt des Français. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.
M. Hugues Portelli. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la commission mixte paritaire qui s'est tenue ce lundi afin de s'accorder sur un texte commun aux deux chambres sur la rétention de sûreté et la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental a fait du bon travail.
Nous pouvons encore une fois être très fiers du travail fourni par les sénateurs, la commission des lois et son rapporteur : les membres de la commission mixte paritaire ont retenu la quasi-totalité des modifications votées par le Sénat. Ce consensus montre également que la majorité est soudée derrière ce texte qu'elle juge équilibré, utile et conforme au droit, qu'il soit pénal ou constitutionnel.
Je remercie Mme le garde des sceaux du dialogue qu'elle a su instaurer avec nous lors de l'élaboration de ce texte, puis au cours des débats parlementaires, ainsi que de son ouverture d'esprit, puisqu'elle a suivi les amendements que nous lui proposions.
Ce projet de loi est nécessaire, car il vise à protéger d'éventuelles victimes contre des personnes dont la justice a dû reconnaître qu'ils sont inamendables.
Les sénateurs et les députés se sont accordés sur le principe d'application immédiate de la rétention, y compris pour les personnes déjà condamnées avant la promulgation de la loi. Je le répète encore une fois, mes chers collègues, cette disposition ne nous semble pas contraire à la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel, qui reconnaît la constitutionnalité de la rétroactivité des mesures de sûreté dès lors qu'elles présentent, comme c'est le cas ici et comme nous y avons veillé, un caractère préventif.
Ils ont également approuvé le renforcement de la définition des centres socio-médico-judiciaires, qui auront pour mission d'assurer un suivi médical, éducatif et psychologique adapté. Pour cela, des groupes de parole seront mis en place, avec des thérapies comportementales et cognitives.
Les dispositions de ce projet de loi demeurent strictement encadrées sur le plan procédural, dans le respect du principe du contradictoire et des droits de la défense. La rétention de sûreté s'appliquera « à titre exceptionnel » après décision de la chambre d'instruction, qui devra constater « une probabilité très élevée » de la récidive de la part de la personne condamnée, celle-ci devant présenter « des troubles graves de la personnalité ». Les criminels pouvant être concernés seront tous ceux ayant été reconnus coupables d'infractions particulièrement graves commises sur tous mineurs, sans distinction d'âge, comme l'avait voté l'Assemblée nationale.
Seront aussi concernés les auteurs de crimes commis sur des victimes majeures avec des circonstances aggravantes.
En ce qui concerne la deuxième partie du texte, relative à l'instauration d'une nouvelle procédure liée à l'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, la commission mixte paritaire n'a pas apporté de modifications substantielles. Ce deuxième axe du projet de loi est également utile, car il apporte une réponse humaine à des familles endeuillées, privées de la reconnaissance de leur statut de victime. Il permet aussi à la personne irresponsable de prendre conscience, quand son état mental le lui permet, de la gravité des faits qui lui sont reprochés afin qu'elle puisse éventuellement entrer dans une démarche thérapeutique.
Ce projet de loi sera adopté et entrera en vigueur. Pour nous, c'est le plus important. Sachez que, durant toute la phase des travaux préparatoires et au cours de la discussion au Parlement, nous nous sommes préoccupés des problèmes juridiques qu'il pourrait poser. Désormais, nous veillerons à sa mise en oeuvre concrète et à la réalité de l'encadrement médical, psychiatrique qui sera apporté. Il faut donc que le personnel nécessaire soit recruté, formé et que les institutions soient effectivement créées. C'est sur ces points, madame le garde des sceaux, que nous serons attendus.
Le texte élaboré par la commission mixte paritaire respecte le travail du Sénat et sera approuvé sans réserve par le groupe de l'UMP. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous voici parvenus au terme de la discussion de ce projet de loi. Je tiens à nouveau à saluer les efforts constructifs de notre excellent rapporteur pour tenter d'apporter quelque tempérament à un texte que je considère toujours comme désastreux.
Désastreux d'abord par la voie - c'est à mon sens l'essentiel - sur laquelle il engage notre justice.
Désastreux ensuite, parce qu'il apporte de mauvaises réponses à un problème réel, celui des criminels atteints de graves troubles de la personnalité de nature à provoquer la récidive.
Vous avez dit, madame la garde des sceaux, que ce projet de loi comblait une faille dans notre dispositif législatif. Pour ma part, il ouvre une brèche dans notre justice pénale qui ne peut que s'élargir dans la législation de fait divers qui prévaut aujourd'hui.
Il ouvre une brèche, parce que, jusqu'à présent, nous avons toujours connu une justice pénale qui sanctionnait la commission des infractions criminelles, parfois excessivement. À cet égard, je pense bien sûr à la peine de mort, aujourd'hui heureusement abolie non seulement en France, mais également dans toute l'Europe et la majorité des États des autres continents, ainsi qu'à la relégation des condamnés instaurée en 1885, qui a été exécutée en Guyane jusqu'en 1939 et qui a été supprimée en 1970, tout comme à son succédané très faible, mais lourd de dommages humains, la tutelle pénale, qui a été supprimée en 1981 par Alain Peyrefitte.
Sous réserve de la décision du Conseil constitutionnel que je me garderai bien d'anticiper, ne serait-ce que par déférence, vous allez introduire dans notre droit pénal la rétention de sûreté. Quoi qu'il en soit, après avoir présenté notre motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, je ne pense pas que ce soit le moment de revenir sur ces questions à ce stade de la discussion.
Les mots « rétention de sûreté », je l'ai dit, ne signifient rien d'autre qu'un enfermement décidé pour un an et reconductible indéfiniment. La rétention de sûreté peut donc être perpétuelle. Elle s'exécutera dans des établissements fermés, gardés par les personnels pénitentiaires - qui appartiennent à une administration à laquelle je tiens toujours à rendre hommage, car je sais ô combien sa mission difficile ! -, d'où le retenu ne pourra sortir que sous escorte policière.
Quelles que soient les modalités de cet établissement fermé et sa finalité proclamée de traitement psychologique, éducatif et social, il ne s'agira en fait pour le détenu, ou plutôt pour le retenu, que de la continuation de sa détention dans une autre prison, quelle qu'en soit la dénomination ou le régime proclamé.
Je rappelle qu'il ne s'agit pas là de malades mentaux souffrant de troubles de dangerosité psychiatriques. Il s'agit de condamnés qui n'ont pas été déclarés irresponsables par la justice et dont les expertises ultérieures viendraient déceler un état de dangerosité criminologique, dont, reconnaissons-le, les contours et le diagnostic demeurent incertains.
Dès lors, on demandera à des magistrats, gardiens constitutionnels de la liberté individuelle, de retenir en détention des personnes après qu'elles auront purgé leur peine, non plus pour les infractions qu'elles ont commises ou qu'elles sont suspectées avoir commises, mais au regard de crimes virtuels qu'elles seraient réputées susceptibles de commettre !
À la justice pénale fondée sur la preuve de la culpabilité, établie selon les règles du droit et en respectant la présomption d'innocence, fondement de toute justice pénale, au moins dans une démocratie, va succéder une justice de dangerosité, fondée sur des présomptions criminologiques établies par des experts, notamment des psychiatres, et pouvant prononcer, par décisions successives, une véritable détention à durée illimitée, en dehors de toute infraction constatée.
À la justice de liberté fondée sur la responsabilité prouvée de l'auteur d'une infraction va succéder une justice de sûreté - c'est un ordre nouveau de juridiction qui se sera amené à se prononcer -, fondée sur la dangerosité diagnostiquée de l'auteur potentiel d'un crime virtuel.
C'est là une véritable révolution pour notre justice pénale !
Cette brèche dans les principes de notre justice ne peut que s'élargir sous la force des émotions suscitées par les crimes les plus graves dans l'opinion publique.
Vous avez à l'origine présenté un projet né de la réaction bien naturelle à l'affaire Évrard. Je rappelle que, à notre connaissance, il s'agissait d'un cas unique depuis trente ans. J'avais dit que la préférence aurait dû être donnée à une commission d'enquête afin de savoir exactement ce qui s'était passé et d'en tirer les conclusions.
Il ne s'agissait, dans ce projet d'origine, cela a souvent été rappelé, que de mettre hors la cité des pédophiles prédateurs qui s'en prennent aux enfants de moins de quinze ans. Mais puisqu'il s'agit de la dangerosité de l'auteur de crimes les plus graves - tel est maintenant l'axe de cette justice que vous nous proposez - et qu'il ne peut s'agir, évidemment, de déterminer cette dangerosité au regard de la fragilité des victimes, toutes dignes d'intérêt et de compassion, nous avons vu s'élargir votre projet au cours du trajet législatif, sur l'initiative de l'Assemblée nationale, presque par la force des choses, à tous les auteurs des crimes les plus graves commis contre la personne physique.
J'affirme que l'on ne s'en tiendra pas là. L'extension de cette justice nouvelle, fondée sur la dangerosité, est inévitable. La dangerosité s'apprécie au regard non pas de la victime, mais de la personnalité de l'auteur. L'émotion du public est toujours liée à la nature du second crime, pas du premier.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bien sûr !
M. Robert Badinter. Chaque fois que survient un crime provoquant l'indignation du public - ces crimes sont malheureusement inévitables - le pire, c'est d'entretenir le public dans l'illusion de la récidive zéro.
Il y aura toujours des récidives, il y aura toujours des crimes atroces, sauf si l'homme change de nature, ce qui est impossible. Caïn fait partie de l'espèce humaine ! Chaque fois, vous serez amenés, pour prévenir le second crime par la détention de sûreté de l'auteur du premier crime, à étendre le champ de la mesure.
Prenons le cas le plus simple. Une personne est condamnée à une peine de cinq années de réclusion criminelle pour un premier crime. À sa sortie de prison, elle commet un crime terrible. L'opinion publique indignée se demandera pourquoi la rétention de sûreté n'a pas été appliquée. On lui répondra que la mesure ne s'applique qu'aux condamnés à quinze ans d'emprisonnement. Des amendements seront déposés, afin que la rétention de sûreté vise les condamnés à cinq ans d'emprisonnement.
De la même manière, prenons le cas d'un délinquant récidiviste, voire multirécidiviste, condamné à une peine d'emprisonnement de quatre ou de cinq ans pour violence sur les personnes, qui commettra à sa sortie de prison un acte plus grave, de nature criminelle. L'opinion publique se demandera pourquoi ce délinquant n'a pas subi une période de rétention de sûreté. On vous demandera, une fois de plus, d'étendre le dispositif de rétention de sûreté.
Ainsi, de fait divers en fait divers, d'émotion en émotion, d'amendement en amendement, vous ne pourrez vous opposer à cette demande, et nous aurons ainsi créé une nouvelle justice qui aura changé de fondement !
Après des siècles, nous voyons aujourd'hui l'avènement de la justice de mesures préventives contre l'homme dangereux.
Derrière toutes les précautions que vous prenez, au-delà de toutes les discussions juridiques, c'est le triomphe d'une école de pensée visant à l'élimination sociale des individus considérés comme dangereux.
C'est contraire au fondement de nos sociétés de liberté, car la responsabilité et la liberté ne peuvent être dissociées dans le domaine pénal.
Il faut penser à la condition de ceux qui sont retenus et dont on pense qu'ils vont récidiver. Vous connaissez comme moi les chiffres, madame la ministre. Le taux de récidive en matière de crimes sexuels est le plus bas de notre justice pénale, 1,6 % contre 2,2 % pour les homicides selon les dernières données.
Vous voulez, madame la garde des sceaux, prévenir la réitération. Mais au nom de quoi maintenez-vous tous ceux qui n'auraient pas réitéré en détention pour une durée illimitée ? Des magistrats se prononceront-ils au nom d'un diagnostic? Dans un tel système, que restera-t-il de la présomption d'innocence ?
Mais alors, me direz-vous, que proposez-vous ?
Il est évident que les quelques pas en avant, que nous avons salués et soutenus, proposés par M. le rapporteur vont dans le bon sens.
Cependant, la vérité est que tout le système doit être repensé.
Les dispositions du nouveau code pénal, auxquelles le président de la commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest, a largement contribué en qualité de co-auteur, ne sont pas satisfaisantes.
Comme vous, monsieur le rapporteur, je pense que nous avons beaucoup d'enseignements à tirer des exemples hollandais et belges, ...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. Robert Badinter. ... à la condition de ne pas cumuler le système de sanction et le système de traitement de la dangerosité. Ce cumul est impossible.
Pour ces criminels, il faut commencer, au stade de l'instruction, qui est longue, par procéder à une mise en observation dans des centres spécialisés multidisciplinaires, comme il en existe aux Pays-Bas.
Ainsi, pendant huit semaines, cinquante spécialistes observent trente sujets et établissent dès le départ le diagnostic. À ce moment-là, si certains d'entre eux présentent des troubles graves, il faut choisir entre deux voies, celle qui convient le mieux à chacun.
Pour ceux qui sont atteints des troubles les plus graves de la personnalité susceptibles de mettre en danger la sécurité des autres et la leur, s'impose la voie du traitement et de l'enfermement, comme en Belgique, avec des médecins hospitaliers spécialisés et leurs assistants multidisciplinaires.
La durée ne peut pas en être fixée puisqu'il s'agit de la voie thérapeutique, avec ses exigences que l'on ne peut abolir, et non de la voie judiciaire, et qu'elle est fonction de l'évolution de la personnalité du sujet.
La deuxième voie qui s'ouvre pour tous les autres est la voie judiciaire, qui ne doit pas être un temps perdu de détention.
Le drame de notre justice pénale - ce n'est pas à vous, madame la ministre, que je l'imputerai, car vous êtes depuis peu garde des sceaux - c'est la situation pénitentiaire. La priorité absolue, c'est la loi pénitentiaire !
Il fallait commencer par là et ne pas mettre la charrue devant les boeufs, à la faveur de l'émotion du public.
Nous ne devons pas concevoir l'enfermement et l'établissement pénitentiaire comme un temps mort. La peine ne doit jamais être, comme elle l'est trop souvent, un temps mort.
Pour avoir visité plusieurs maisons centrales et centres de détention, madame la garde des sceaux, vous savez parfaitement que nous n'avons pas les moyens en personnels, ô combien dévoués, pour procéder à un traitement sélectif de malades mentaux, qui se comptent par milliers, dès le départ, après la mise en observation.
Le point le plus positif de ce triste débat est la disposition, adoptée par voie d'amendement, selon laquelle il convient de procéder dès le début de la peine à l'établissement du projet individualisé. Ce n'est pas à la dix-septième année que, soudainement, un homme comme Évrard s'en trouvera amélioré !
La responsabilité première est donc là. Il faut, à partir de la période de diagnostic à la hollandaise, avoir à disposition les deux voies : le traitement - dispositif d'ordre purement psychologique, social, psychiatrique, pour ceux auxquels on a diagnostiqué les troubles les plus graves de personnalité, avec les risques que cela comporte - et la solution judiciaire, qui n'est pas un temps perdu.
À l'issue de ce processus, si la surveillance demeure encore nécessaire, à quoi servent les dispositions que nous votons presque tous les ans ?
À quoi bon la surveillance qui suit, avec injonction de soins ? À quoi bon le prononcé de la peine dans le cadre du suivi socio-judiciaire, avec toutes les sanctions en cas de violation ? À quoi bon tous les dispositifs que nous avons adoptés à mesure qu'on nous présentait des textes pour combattre la récidive ? À quoi bon le fichier avec la présentation devant les instances de police ? À quoi bon la surveillance judiciaire et même, monsieur le rapporteur, la surveillance de sûreté si ces procédures ne bénéficient pas des moyens nécessaires ?
Nous ne manquons pas de textes. Je pense également au perfectionnement que vous avez apporté, par l'amendement sur la rétention à domicile, une sorte de mise aux arrêts de rigueur, chez soi. Mais ces pas n'ont de sens et ne peuvent répondre à la finalité qui leur est assignée que si les moyens nécessaires sont donnés. Sinon, ces textes ne sont que des cache-misère législatifs. Voilà ce que nous faisons !
Le moment, à mon sens, le plus saisissant de tout le débat - en dehors de l'invention remarquable de l'usine à gaz que nous devons à l'éminent talent créateur de M. Portelli, mais il appartiendra au Conseil constitutionnel de l'apprécier - fut celui où le président Nicolas About nous a rappelé en termes sensibles mais précis ce qu'est réellement la situation de détresse extrême de notre institution pénitentiaire.
Il a rappelé le terrible manque de psychiatres dans le secteur public, l'insuffisance de personnels compétents à tous les niveaux de ces instances pénitentiaires. Il a souligné que le suivi socio-judiciaire, pourtant voté depuis 1998, ne fonctionnait pas, faute de médecins coordinateurs ; je pourrais énumérer d'autres exemples cités par M. About.
En définitive, et ce sera ma conclusion, pour répondre à une violente émotion publique, née d'une affaire odieuse, vous avez à la hâte bâti un texte, déclaré l'urgence, sans que nous ayons eu le temps, dans le cadre de la commission parlementaire que nous aurions dû créer, d'examiner les causes précises du mal dans la circonstance et les réponses à apporter en profondeur.
Une législation conçue de cette façon entraîne - sans peut-être que vous en mesuriez toutes les conséquences - une profonde et dangereuse révolution de notre justice pénale. Je plains les magistrats qui auront à la mettre en oeuvre et ceux qui en seront l'objet.
Je demeure convaincu que c'est dans la voie qu'avait adoptée notre rapporteur, sans qu'il soit besoin de rétention de sûreté, qu'il fallait aller et peut-être même plus loin. Mais il faut toujours veiller, car là est la sauvegarde nécessaire, à ce que, dans notre justice de liberté, ce soit l'acte précis de celui qui viole la loi, ou une obligation juridictionnelle pesant sur lui, qui entraîne aussitôt et avec fermeté l'application des sanctions prévues.
Nous manquons à l'une des nombreuses obligations, si aisées à mettre en oeuvre pourvu qu'on en ait les moyens, qui sont déjà dans les lois, encore améliorées par les propositions du rapporteur ; cela permettait de faire face aux situations que nous avons évoquées. Je déplore la voie que vous avez choisie et je sais que nous n'avons pas fini d'en payer les conséquences. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)