Sommaire
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert
2. Candidatures à des organismes extraparlementaires
3. Rétention de sûreté. - Adoption des conclusions du rapport d'une commission mixe paritaire
Discussion générale : M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire ; Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice ; MM. Hugues Portelli, Robert Badinter, le président, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Pierre Fauchon.
Clôture de la discussion générale.
Texte élaboré par la commission mixte paritaire
M. Louis Mermaz.
Adoption définitive du projet de loi.
Mme le garde des sceaux.
4. Nomination de membres d'organismes extraparlementaires
5. Organismes génétiquement modifiés. - Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
Amendement n° 13 rectifié de la commission et sous-amendement no 239 du Gouvernement. - M. Jean Bizet, rapporteur de la commission des affaires économiques ; Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État chargée de l'écologie ; M. Jean Desessard. - Adoption du sous-amendement et de l'amendement modifié.
Amendement no 108 de M. Jacques Muller. - MM. Jacques Muller, le rapporteur, Mme la secrétaire d'État. - Rejet.
Amendement n° 14 rectifié de la commission. - M. le rapporteur, Mme la secrétaire d'État, M. Jean Desessard. - Adoption.
Amendement no 109 de M. Jacques Muller. - MM. Jacques Muller, le rapporteur, Mme la secrétaire d'État. - Rejet.
Adoption de l'article modifié.
Article additionnel après l'article 2
Amendement n° 80 de M. Gérard Le Cam. - MM. Gérard Le Cam, Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques ; le rapporteur, Mme la secrétaire d'État, M. Jean Desessard. - Rejet.
Amendement n° 15 de la commission. - M. le rapporteur, Mme la secrétaire d'État. - Adoption de l'amendement modifiant l'intitulé.
Division additionnelle avant l'article 3
Amendement n° 193 de M. Jean-Marc Pastor. - MM. Daniel Raoul, le rapporteur, Mme la secrétaire d'État. - Rejet.
Articles additionnels avant l'article 3 ou après l'article 7
Amendements nos 16 de la commission, 127 de M. Jacques Muller et 218 rectifié bis de M. Jean-Marc Pastor. - MM. le rapporteur, Jacques Muller, Jean-Marc Pastor, Mme la secrétaire d'État, M. Daniel Raoul, Mme Évelyne Didier. - Retrait de l'amendement no 16 ; rejet des amendements nos 127 et 218 rectifié bis.
M. Jacques Muller.
Amendement n° 17 de la commission. - M. le rapporteur. - Retrait.
Amendements nos 110 de M. Jacques Muller, 53 rectifié de M. Daniel Soulage et sous-amendement no 241 du Gouvernement ; amendements nos 194 rectifié, 192 de M. Jean-Marc Pastor, 76, 59 de M. Gérard Le Cam et 111 de M. Jacques Muller. - MM. Jacques Muller, Daniel Soulage, Mme la secrétaire d'État, MM. Jean-Marc Pastor, Gérard Le Cam, Mme Évelyne Didier, M. le rapporteur, Mme Marie-Christine Blandin. - Rejet des amendements nos 110, 76, 111 et 59 ; adoption du sous-amendement no 241, de l'amendement no 53 rectifié modifié, et de l'amendement no 192, l'amendement no 194 rectifié devenant sans objet.
Amendement n° 54 rectifié de M. Daniel Soulage. - MM. Daniel Soulage, le rapporteur, Mme la secrétaire d'État. - Retrait.
Reprise de l'amendement no 54 rectifié bis par Mme Marie-Christine Blandin. - Mme Marie-Christine Blandin, MM. le rapporteur, Pierre Laffitte, Gérard Longuet Jacques Gautier. - Rejet.
Amendements nos 227 rectifié et 228 rectifié de M. Daniel Soulage. - MM. Daniel Soulage, le rapporteur, Mme la secrétaire d'État, MM. Michel Mercier, Gérard César, vice-président de la commission des affaires économiques. - Retrait de l'amendement no 228 rectifié.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
6. Questions d'actualité au Gouvernement
MM. Claude Domeizel, Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité.
calendrier social: minimum vieillesse et retraite
MM. Claude Biwer, Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité.
Mme Évelyne Didier, M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité.
MM. Georges Othily, Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.
volet militaire des événements du tchad
MM. Xavier Pintat, Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État chargé de la coopération et de la francophonie.
MM. Yannick Bodin, Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité.
M. Jean-Luc Miraux, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.
institutions : le rôle du parlement
MM. Bernard Angels, Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.
MM. Jean-François Humbert, Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité.
collectivités locales parties civiles en cas de catastrophe écologique
M. Bruno Retailleau, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État chargée de l'écologie.
7. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire du Qatar
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert
8. Organismes génétiquement modifiés. - Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. Gérard Le Cam, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État chargée de l'écologie ; MM. Jean Bizet, rapporteur de la commission des affaires économiques ; le président.
Amendement no 227 rectifié bis de M. Daniel Soulage. - MM. Daniel Soulage, le rapporteur, Mme la secrétaire d'État, Marie-Christine Blandin, M. Jean-Marc Pastor. - Adoption.
Amendements nos 78 de M. Gérard Le Cam, 112 de M. Jacques Muller, 195 rectifié de M. Jean-Marc Pastor, 19 de la commission et sous-amendements nos 225 de M. Jean-Marc Pastor et 240 du Gouvernement. - MM. Gérard Le Cam, Jacques Muller, Jean-Marc Pastor, le rapporteur, Mme la secrétaire d'État. - Rejet des amendements nos 78, 112, 195 rectifié et du sous-amendement no 225 ; adoption du sous-amendement no 240 et de l'amendement no 19 modifié.
Amendements nos 113 de M. Jacques Muller et 196 de M. Jean-Marc Pastor. - MM. Jacques Muller, Roland Courteau, le rapporteur, Mme la secrétaire d'État. - Rejet des deux amendements.
Amendement n° 55 rectifié de M. Jean-Paul Amoudry. - MM. Daniel Soulage, le rapporteur. - Retrait.
Amendements nos 197 de M. Jean-Marc Pastor, 114 de M. Jacques Muller et 20 de la commission. - MM. Roland Courteau, Jacques Muller, le rapporteur, Mme la secrétaire d'État. - Rejet des amendements nos 197 et 144 ; adoption de l'amendement no 20.
Adoption de l'article modifié.
Article additionnel après l'article 3
Amendement n° 223 de M. Thierry Repentin. - MM. Paul Raoult, le rapporteur, Mme la secrétaire d'État, M. Jean-Marc Pastor. - Rejet.
M. Gérard Le Cam.
Amendement no 244 du Gouvernement. - Mme la secrétaire d'État, M. le rapporteur, Mme Marie-Christine Blandin, M. Jean-Marc Pastor. - Adoption.
Amendement n° 115 de M. Jacques Muller. - M. Jacques Muller. - Retrait.
Amendement n° 21 rectifié de la commission. - M. le rapporteur, Mme la secrétaire d'État, M. Michel Charasse, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Dominique Braye, Jacques Muller, Mme Évelyne Didier, MM. Laurent Béteille, Jean Desessard, Jean-Marc Pastor, Paul Raoult. - Adoption.
Amendement n° 198 de M. Jean-Marc Pastor. - MM. Paul Raoult, le rapporteur, Mmes la secrétaire d'État, Marie-Christine Blandin, MM. Dominique Braye, Jacques Muller. - Rejet.
Adoption de l'article modifié.
MM. Jacques Muller, Jean-Marc Pastor.
Amendement n° 22 de la commission. - M. le rapporteur. - Retrait.
Amendements nos 79 de M. Gérard Le Cam, 116 à 118 rectifié de M. Jacques Muller, 199, 200 de M. Jean-Marc Pastor et 23 de la commission ; amendements identiques nos 24 de la commission et 204 de M. Jean-Marc Pastor ; amendements nos 119 de M. Jacques Muller, 25 de la commission et 201 de M. Jean-Marc Pastor. - MM. Gérard Le Cam, Jacques Muller, Jean-Marc Pastor, le rapporteur, Roland Courteau, Mmes la secrétaire d'État, Marie-Christine Blandin, MM. Laurent Béteille, Daniel Soulage. - Rejet des amendements nos 79, 116, 199, 200, 117, 119 et 201 ; adoption des amendements nos 118 rectifié, 23 à 25 et 204.
Amendements nos 120 de M. Jacques Muller et 202 de M. Jean-Marc Pastor. - Devenus sans objet.
Amendements nos 121 de M. Jacques Muller et 203 de M. Jean-Marc Pastor. - MM. Jacques Muller, Paul Raoult, le rapporteur, Mme la secrétaire d'État, M. Jean-Marc Pastor. - Rejet des deux amendements.
Amendements nos 122 de M. Jacques Muller et 206 de M. Jean-Marc Pastor. - MM. Jacques Muller, Paul Raoult, le rapporteur, Mme la secrétaire d'État. - Rejet des deux amendements.
Adoption de l'article modifié.
Articles additionnels après l'article 5
Amendement n° 71 de M. Gérard Le Cam. - MM. Gérard Le Cam, le rapporteur, Mme la secrétaire d'État. - Rejet.
Amendement n° 123 de M. Jacques Muller. - MM. Jacques Muller, le rapporteur, Mme la secrétaire d'État. - Rejet.
Mme Marie-Christine Blandin.
Amendements nos 26 rectifié de la commission, 207 de M. Jean-Marc Pastor et 51 rectifié bis de M. Daniel Soulage. - MM. le rapporteur, Jean-Marc Pastor, Daniel Soulage, Mmes la secrétaire d'État, Marie-Christine Blandin, MM. Paul Raoult, Gérard Le Cam. - Adoption des amendements nos 26 rectifié et 51 rectifié bis ; rejet de l'amendement no 207.
M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables.
Renvoi de la suite de la discussion.
Suspension et reprise de la séance
9. Traité de Lisbonne. - Adoption définitive d'un projet de loi
Discussion générale : MM. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État chargé des affaires européennes ; Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères ; Jean François-Poncet, rapporteur de la commission des affaires étrangères, Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne ; Jacques Blanc, Robert Bret, Bernard Seillier, Michel Mercier, Bruno Retailleau, Pierre Mauroy, Jean Bizet, Nicolas Alfonsi, Mme Marie-Christine Blandin.
M. le secrétaire d'État.
Clôture de la discussion générale.
Suspension et reprise de la séance
Motion no 2 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. le rapporteur, le secrétaire d'État. - Rejet par scrutin public.
Motion no 3 de M. Jean-Luc Mélenchon. - MM. Jean-Luc Mélenchon, le rapporteur, le secrétaire d'État. - Rejet par scrutin public.
Amendement no 1 de M. Michel Charasse. - MM. Michel Charasse, le rapporteur, le secrétaire d'État, Jean-Luc Mélenchon, Bruno Retailleau, le président de la commission, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Jean-Jacques Hyest. - Rejet par scrutin public.
MM. Jean Desessard, Pierre-Yves Collombat.
Adoption définitive, par scrutin public, de l'article unique du projet de loi.
MM. le président de la commission, le secrétaire d'État.
10. Transmission de projets de loi
11. Texte soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
13. Dépôt d'un rapport d'information
14. Ordre du jour
compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert
vice-président
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
Candidatures à des Organismes extraparlementaires
M. le président. Je rappelle que la commission des affaires culturelles a proposé des candidatures pour plusieurs organismes extraparlementaires.
La présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du règlement.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame MM. Jean-Léonce Dupont et Philippe Adnot respectivement membre titulaire et membre suppléant du Comité de suivi de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, M. Ambroise Dupont membre de la Commission supérieure des sites, perspectives et paysages.
3
Rétention de sûreté
Adoption des conclusions du rapport d'une commission mixe paritaire
M. le président. L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental (n° 192).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental s'est réunie à l'Assemblée nationale, ce lundi 4 février.
Le texte adopté par le Sénat a été très largement repris, sous réserve de quelques modifications que je vais me permettre de vous présenter.
À l'article 1er, constatant que l'élargissement progressif du champ d'application de la rétention de sûreté à la suite des amendements adoptés à l'Assemblée nationale - victimes mineures âgées de quinze ans, de dix-huit ans, victimes majeures en cas de circonstances aggravantes - avait conduit à une formulation complexe n'échappant pas aux redondances, notre assemblée avait réécrit de manière beaucoup plus concise cet article.
Ainsi, dans la mesure où le code pénal prévoit déjà que l'âge de la victime peut être une circonstance aggravante, le Sénat avait jugé suffisant de faire référence dans la loi à la seule nature de l'infraction, sans qu'il soit nécessaire de mentionner explicitement le critère tenant à l'âge de la victime. Cette rédaction s'avérait cohérente avec le code pénal, qui ne distingue pas jusqu'à présent les victimes mineures de plus de quinze ans et les victimes majeures.
La commission mixte paritaire a souhaité rétablir cette distinction et rendre applicable la rétention de sûreté sans qu'aucune circonstance aggravante n'accompagne l'un des crimes visés dans toutes les hypothèses où la victime est mineure, y compris entre quinze et dix-huit ans.
En outre, le rapporteur de l'Assemblée nationale a proposé de préciser que les personnes concernées par la rétention de sûreté étaient celles qui présentaient une particulière dangerosité, caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu'elles souffrent d'un trouble grave de la personnalité.
Cette modification - « parce qu'elle souffre » - a été adoptée par la commission mixte paritaire après que je me fus interrogé sur son utilité, doutant - et c'est un euphémisme - que cette souffrance à laquelle on va donc tenter de porter remède permette de considérer la présente loi comme une loi pénale plus douce.
Toujours à l'article 1er, la « prise en charge médicale, éducative, sociale, psychologique et criminologique adaptée » qui devra être proposée à la personne placée en rétention de sûreté en centre socio-médico-judiciaire de sûreté a laissé place, de manière plus concise, à une « prise en charge médicale, sociale et psychologique ».
Enfin, dernière modification significative à l'article 1er, notre collègue député Georges Fenech, rapporteur pour l'Assemblée nationale, a proposé de modifier la rédaction de l'article 723-38 du code de procédure pénale afin de tirer la conséquence de l'introduction par le Sénat de la notion de « surveillance de sûreté » et de permettre que le placement sous surveillance électronique mobile puisse être prolongé dans le cadre non seulement de la surveillance judiciaire mais aussi de la surveillance de sûreté.
À l'article 6, qui comporte différentes modifications des dispositions du code de la santé publique relatives à la mise en oeuvre de l'injonction de soins, le Sénat a adopté, contre l'avis du Gouvernement, vous vous en souvenez, deux amendements revenant au droit en vigueur.
D'une part, il a estimé paradoxal, compte tenu des difficultés de recruter des médecins coordonateurs, de se passer d'autres sources de recrutement que les seuls psychiatres, dès lors qu'existent pour les médecins les garanties d'une formation appropriée.
D'autre part, il s'est opposé à la suppression de la faculté de recourir de manière encadrée à un psychologue à la place du médecin traitant, faculté qui constituait l'une des propositions de la mission d'information de la commission des lois de l'Assemblée nationale constituée en 2004 et consacrée au traitement de la récidive des infractions pénales, dont le président et le rapporteur étaient respectivement Pascal Clément et Gérard Léonard. Cette possibilité a été consacrée par la loi du 12 décembre 2005 qui précisait que les conditions de diplômes et les missions de ce psychologue traitant seraient précisées par décret.
Ce décret d'application n'ayant jamais été pris, la commission mixte paritaire propose de montrer la voie en ajoutant à l'article 6, dans la rédaction du Sénat, un alinéa précisant que les psychologues devront remplir une condition d'exercice de leur activité depuis au moins cinq ans.
Sur proposition du rapporteur pour l'Assemblée nationale et avec mon approbation, la commission mixte paritaire a disjoint de l'article 12, qui ne concerne que des dispositions transitoires, un paragraphe ajouté par le Sénat prévoyant que la libération conditionnelle d'une personne condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité ne pourrait intervenir qu'après avis favorable de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté. Cette disposition pourra donc s'appliquer sans limitation de durée.
Enfin, à l'article 12, relatif à l'entrée en vigueur des dispositions de la loi, et en dehors d'améliorations rédactionnelles, deux modifications ont été apportées. L'une permet au dispositif de la surveillance de sûreté d'être immédiatement applicable lorsqu'il fait suite non seulement à une surveillance judiciaire mais également à un suivi socio-judiciaire ; l'autre rend immédiatement applicable la disposition disjointe de l'article 12 relative aux conditions de libération conditionnelle des personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité, disposition que j'évoquais il y a un instant.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, les principaux apports du Sénat ont donc été intégralement respectés, qu'il s'agisse du caractère juridictionnel de l'instance dont relève la rétention de sûreté, de la définition d'un dispositif spécifique, la surveillance de sûreté, qui désignera les obligations susceptibles de prolonger une surveillance judiciaire, un suivi socio-judiciaire ou celles qui pourront être mises en oeuvre à l'issue d'une rétention de sûreté et, enfin et surtout, de la place éminente faite à l'évaluation.
Je suis convaincu, mes chers collègues, qu'en commençant à imposer une évaluation pluridisciplinaire d'au moins six semaines des personnes condamnées dans l'année qui suit leur condamnation définitive, en permettant au juge de l'application des peines de définir un parcours d'exécution de la peine individualisé, en se préoccupant des soins, de la dangerosité, de la formation, de la capacité à exercer un emploi dès l'entrée en détention, nous donnons à la réinsertion et donc à la lutte contre la récidive des atouts majeurs. De même, l'évaluation pluridisciplinaire en fin de peine, lorsque se posera le problème de l'éventuelle rétention de sûreté, permettra d'appréhender la dangerosité dans des conditions de fiabilité dignes de notre démocratie.
Nous avons ouvert une piste que je crois féconde et qu'il nous reviendra de défricher bien davantage encore lors du prochain examen du projet de loi pénitentiaire.
Enfin, si je n'ai pas abordé, mes chers collègues, la question de la rétroactivité, c'est simplement dans la mesure où, les deux assemblées ayant décidé l'application immédiate de la réforme, le problème ne se posait plus devant la commission mixte paritaire.
Il n'entre pas dans mes intentions, rassurez-vous, de reprendre le débat cent fois abordé de la distinction entre la peine et la mesure de sûreté, celui de la subtilité de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui semble assimiler, par exemple, le suivi socio-judiciaire à la première et la surveillance judiciaire à la seconde. Il n'en reste pas moins qu'une clarification s'impose en ce domaine et que nous ne pourrons qu'y être particulièrement attentifs.
Dans cette attente, je vous demande d'adopter le projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental dans le texte qui vous est proposé par la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à saluer le travail accompli par le Sénat et l'Assemblée nationale au sein de la commission mixte paritaire.
Je voudrais en particulier remercier le président de la commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest. Il a cerné tous les enjeux de ce texte. Il a su y sensibiliser ses collègues de la commission des lois.
Je tiens également à saluer le travail accompli par Jean-René Lecerf, votre rapporteur.
Le texte qui vous est proposé aujourd'hui est un texte équilibré et consensuel.
Les dispositions relatives à la nouvelle procédure de déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental n'ont pas fait l'objet de modifications substantielles.
De même, votre commission mixte paritaire a repris pour l'essentiel le texte que vous aviez adopté sur le volet sanitaire. Je n'y reviendrai donc pas.
Vous le savez, l'essentiel de nos débats a porté sur la rétention de sûreté. Cette mesure existe depuis de longues années dans d'autres démocraties, les Pays-Bas, l'Allemagne, la Belgique ou le Canada. Elle a été très longuement débattue dans cet hémicycle. Je crois que le texte issu de la commission mixte paritaire répond aux préoccupations qui ont été exprimées.
Le texte qui vous est soumis reprend la volonté de l'Assemblée nationale de bien préciser que les personnes visées sont les personnes qui présentent une grande dangerosité parce qu'elles souffrent d'un trouble grave de la personnalité. Les faits pour lesquels elles ont été condamnées démontrent leur dangerosité et la nécessité de suivre des soins.
Le texte reprend les nouvelles garanties que le Sénat a apportées afin que ce dispositif reste un dispositif d'exception.
Vous avez souhaité que les soins soient assurés dès le début de la détention. Le texte issu de la commission mixte paritaire reprend le principe d'un examen systématique dans le Centre national d'observation afin de définir un parcours adapté.
Vous avez souhaité que l'examen de dangerosité à la fin de la peine soit renforcé. C'est l'objet de l'examen de six semaines qui sera réalisé dans ce Centre national d'observation.
Sur toutes les travées de votre Haute Assemblée, on a exprimé la préoccupation que la rétention de sûreté ne soit pas un simple enfermement, une relégation sociale. Le texte issu de la commission mixte paritaire traduit parfaitement cette exigence.
Il reprend votre volonté qu'un suivi médical et psychologique adapté soit mis en place dans le centre socio-médico-judiciaire. II insiste sur la prise en charge des personnes retenues en matière de formation et d'éducation.
Le rôle des centres socio-médico-judiciaires de sûreté est de donner le plus de chances possible aux personnes concernées de remédier à leurs troubles, et donc de réduire leur dangerosité. Les personnes retenues bénéficieront d'offres de soins individualisées et adaptées à leur profil : prise en charge médico-sociale renforcée, traitement antihormonal avec le consentement de l'intéressé, psychothérapie individuelle ou de groupe, structuration sociale par le travail et la formation et accompagnement socio-éducatif.
M. Portelli a appelé de ses voeux la création d'un véritable centre Pinel en France, sur le modèle de ce centre qui existe au Canada. Le centre socio-médico-judiciaire qui sera installé dans l'hôpital de Fresnes doit nous permettre de mieux traiter cette dangerosité particulière des criminels dangereux qui souffrent de troubles graves de la personnalité.
Les garanties prévues par le Sénat pour l'application de la rétention de sûreté aux tueurs et aux violeurs en série qui sortiront de prison dans les années à venir ont été reprises.
Nous avons eu de longs débats sur ce sujet. Soyons clairs : les Français ne pourraient pas comprendre que l'on attende quinze ans avant que ce dispositif puisse s'appliquer à des psychopathes qui refusent de se soigner.
Nous l'avons dit, la rétention de sûreté est une mesure de sûreté, ce n'est pas une peine. Elle est donc immédiatement applicable. La Cour constitutionnelle allemande l'a expressément jugé dans une décision du 5 février 2004.
Vous avez souhaité renforcer le caractère exceptionnel et subsidiaire de ce dispositif transitoire en posant deux conditions : la première prévoit qu'une rétention de sûreté ne pourrait être envisagée que si une assignation à domicile sous surveillance électronique mobile était insuffisante ; la seconde condition est que les personnes incarcérées au moment de l'entrée en vigueur de la loi devront être averties par la chambre de l'instruction que la dangerosité révélée par leur condamnation pourra justifier un placement en rétention de sûreté à la fin de leur peine. Les personnes pourront ainsi s'engager dans une démarche de soins pendant leur détention en connaissant son enjeu.
Cet amendement a été repris par la commission mixte paritaire.
Après cet important travail préparatoire, nous sommes parvenus aujourd'hui, j'en ai la conviction, à un texte qui respecte nos principes constitutionnels fondamentaux et les exigences de la Convention européenne des droits de l'homme.
Le Gouvernement veillera avec une vigilance toute particulière à ce que la mise en oeuvre de ce dispositif respecte toutes les garanties que le Sénat a souhaité mettre en place.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte est un texte de protection. II vise à protéger nos concitoyens de criminels particulièrement dangereux. Il est attendu par tous. Je vous demande de l'adopter dans l'intérêt des Français. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.
M. Hugues Portelli. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la commission mixte paritaire qui s'est tenue ce lundi afin de s'accorder sur un texte commun aux deux chambres sur la rétention de sûreté et la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental a fait du bon travail.
Nous pouvons encore une fois être très fiers du travail fourni par les sénateurs, la commission des lois et son rapporteur : les membres de la commission mixte paritaire ont retenu la quasi-totalité des modifications votées par le Sénat. Ce consensus montre également que la majorité est soudée derrière ce texte qu'elle juge équilibré, utile et conforme au droit, qu'il soit pénal ou constitutionnel.
Je remercie Mme le garde des sceaux du dialogue qu'elle a su instaurer avec nous lors de l'élaboration de ce texte, puis au cours des débats parlementaires, ainsi que de son ouverture d'esprit, puisqu'elle a suivi les amendements que nous lui proposions.
Ce projet de loi est nécessaire, car il vise à protéger d'éventuelles victimes contre des personnes dont la justice a dû reconnaître qu'ils sont inamendables.
Les sénateurs et les députés se sont accordés sur le principe d'application immédiate de la rétention, y compris pour les personnes déjà condamnées avant la promulgation de la loi. Je le répète encore une fois, mes chers collègues, cette disposition ne nous semble pas contraire à la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel, qui reconnaît la constitutionnalité de la rétroactivité des mesures de sûreté dès lors qu'elles présentent, comme c'est le cas ici et comme nous y avons veillé, un caractère préventif.
Ils ont également approuvé le renforcement de la définition des centres socio-médico-judiciaires, qui auront pour mission d'assurer un suivi médical, éducatif et psychologique adapté. Pour cela, des groupes de parole seront mis en place, avec des thérapies comportementales et cognitives.
Les dispositions de ce projet de loi demeurent strictement encadrées sur le plan procédural, dans le respect du principe du contradictoire et des droits de la défense. La rétention de sûreté s'appliquera « à titre exceptionnel » après décision de la chambre d'instruction, qui devra constater « une probabilité très élevée » de la récidive de la part de la personne condamnée, celle-ci devant présenter « des troubles graves de la personnalité ». Les criminels pouvant être concernés seront tous ceux ayant été reconnus coupables d'infractions particulièrement graves commises sur tous mineurs, sans distinction d'âge, comme l'avait voté l'Assemblée nationale.
Seront aussi concernés les auteurs de crimes commis sur des victimes majeures avec des circonstances aggravantes.
En ce qui concerne la deuxième partie du texte, relative à l'instauration d'une nouvelle procédure liée à l'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, la commission mixte paritaire n'a pas apporté de modifications substantielles. Ce deuxième axe du projet de loi est également utile, car il apporte une réponse humaine à des familles endeuillées, privées de la reconnaissance de leur statut de victime. Il permet aussi à la personne irresponsable de prendre conscience, quand son état mental le lui permet, de la gravité des faits qui lui sont reprochés afin qu'elle puisse éventuellement entrer dans une démarche thérapeutique.
Ce projet de loi sera adopté et entrera en vigueur. Pour nous, c'est le plus important. Sachez que, durant toute la phase des travaux préparatoires et au cours de la discussion au Parlement, nous nous sommes préoccupés des problèmes juridiques qu'il pourrait poser. Désormais, nous veillerons à sa mise en oeuvre concrète et à la réalité de l'encadrement médical, psychiatrique qui sera apporté. Il faut donc que le personnel nécessaire soit recruté, formé et que les institutions soient effectivement créées. C'est sur ces points, madame le garde des sceaux, que nous serons attendus.
Le texte élaboré par la commission mixte paritaire respecte le travail du Sénat et sera approuvé sans réserve par le groupe de l'UMP. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous voici parvenus au terme de la discussion de ce projet de loi. Je tiens à nouveau à saluer les efforts constructifs de notre excellent rapporteur pour tenter d'apporter quelque tempérament à un texte que je considère toujours comme désastreux.
Désastreux d'abord par la voie - c'est à mon sens l'essentiel - sur laquelle il engage notre justice.
Désastreux ensuite, parce qu'il apporte de mauvaises réponses à un problème réel, celui des criminels atteints de graves troubles de la personnalité de nature à provoquer la récidive.
Vous avez dit, madame la garde des sceaux, que ce projet de loi comblait une faille dans notre dispositif législatif. Pour ma part, il ouvre une brèche dans notre justice pénale qui ne peut que s'élargir dans la législation de fait divers qui prévaut aujourd'hui.
Il ouvre une brèche, parce que, jusqu'à présent, nous avons toujours connu une justice pénale qui sanctionnait la commission des infractions criminelles, parfois excessivement. À cet égard, je pense bien sûr à la peine de mort, aujourd'hui heureusement abolie non seulement en France, mais également dans toute l'Europe et la majorité des États des autres continents, ainsi qu'à la relégation des condamnés instaurée en 1885, qui a été exécutée en Guyane jusqu'en 1939 et qui a été supprimée en 1970, tout comme à son succédané très faible, mais lourd de dommages humains, la tutelle pénale, qui a été supprimée en 1981 par Alain Peyrefitte.
Sous réserve de la décision du Conseil constitutionnel que je me garderai bien d'anticiper, ne serait-ce que par déférence, vous allez introduire dans notre droit pénal la rétention de sûreté. Quoi qu'il en soit, après avoir présenté notre motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, je ne pense pas que ce soit le moment de revenir sur ces questions à ce stade de la discussion.
Les mots « rétention de sûreté », je l'ai dit, ne signifient rien d'autre qu'un enfermement décidé pour un an et reconductible indéfiniment. La rétention de sûreté peut donc être perpétuelle. Elle s'exécutera dans des établissements fermés, gardés par les personnels pénitentiaires - qui appartiennent à une administration à laquelle je tiens toujours à rendre hommage, car je sais ô combien sa mission difficile ! -, d'où le retenu ne pourra sortir que sous escorte policière.
Quelles que soient les modalités de cet établissement fermé et sa finalité proclamée de traitement psychologique, éducatif et social, il ne s'agira en fait pour le détenu, ou plutôt pour le retenu, que de la continuation de sa détention dans une autre prison, quelle qu'en soit la dénomination ou le régime proclamé.
Je rappelle qu'il ne s'agit pas là de malades mentaux souffrant de troubles de dangerosité psychiatriques. Il s'agit de condamnés qui n'ont pas été déclarés irresponsables par la justice et dont les expertises ultérieures viendraient déceler un état de dangerosité criminologique, dont, reconnaissons-le, les contours et le diagnostic demeurent incertains.
Dès lors, on demandera à des magistrats, gardiens constitutionnels de la liberté individuelle, de retenir en détention des personnes après qu'elles auront purgé leur peine, non plus pour les infractions qu'elles ont commises ou qu'elles sont suspectées avoir commises, mais au regard de crimes virtuels qu'elles seraient réputées susceptibles de commettre !
À la justice pénale fondée sur la preuve de la culpabilité, établie selon les règles du droit et en respectant la présomption d'innocence, fondement de toute justice pénale, au moins dans une démocratie, va succéder une justice de dangerosité, fondée sur des présomptions criminologiques établies par des experts, notamment des psychiatres, et pouvant prononcer, par décisions successives, une véritable détention à durée illimitée, en dehors de toute infraction constatée.
À la justice de liberté fondée sur la responsabilité prouvée de l'auteur d'une infraction va succéder une justice de sûreté - c'est un ordre nouveau de juridiction qui se sera amené à se prononcer -, fondée sur la dangerosité diagnostiquée de l'auteur potentiel d'un crime virtuel.
C'est là une véritable révolution pour notre justice pénale !
Cette brèche dans les principes de notre justice ne peut que s'élargir sous la force des émotions suscitées par les crimes les plus graves dans l'opinion publique.
Vous avez à l'origine présenté un projet né de la réaction bien naturelle à l'affaire Évrard. Je rappelle que, à notre connaissance, il s'agissait d'un cas unique depuis trente ans. J'avais dit que la préférence aurait dû être donnée à une commission d'enquête afin de savoir exactement ce qui s'était passé et d'en tirer les conclusions.
Il ne s'agissait, dans ce projet d'origine, cela a souvent été rappelé, que de mettre hors la cité des pédophiles prédateurs qui s'en prennent aux enfants de moins de quinze ans. Mais puisqu'il s'agit de la dangerosité de l'auteur de crimes les plus graves - tel est maintenant l'axe de cette justice que vous nous proposez - et qu'il ne peut s'agir, évidemment, de déterminer cette dangerosité au regard de la fragilité des victimes, toutes dignes d'intérêt et de compassion, nous avons vu s'élargir votre projet au cours du trajet législatif, sur l'initiative de l'Assemblée nationale, presque par la force des choses, à tous les auteurs des crimes les plus graves commis contre la personne physique.
J'affirme que l'on ne s'en tiendra pas là. L'extension de cette justice nouvelle, fondée sur la dangerosité, est inévitable. La dangerosité s'apprécie au regard non pas de la victime, mais de la personnalité de l'auteur. L'émotion du public est toujours liée à la nature du second crime, pas du premier.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bien sûr !
M. Robert Badinter. Chaque fois que survient un crime provoquant l'indignation du public - ces crimes sont malheureusement inévitables - le pire, c'est d'entretenir le public dans l'illusion de la récidive zéro.
Il y aura toujours des récidives, il y aura toujours des crimes atroces, sauf si l'homme change de nature, ce qui est impossible. Caïn fait partie de l'espèce humaine ! Chaque fois, vous serez amenés, pour prévenir le second crime par la détention de sûreté de l'auteur du premier crime, à étendre le champ de la mesure.
Prenons le cas le plus simple. Une personne est condamnée à une peine de cinq années de réclusion criminelle pour un premier crime. À sa sortie de prison, elle commet un crime terrible. L'opinion publique indignée se demandera pourquoi la rétention de sûreté n'a pas été appliquée. On lui répondra que la mesure ne s'applique qu'aux condamnés à quinze ans d'emprisonnement. Des amendements seront déposés, afin que la rétention de sûreté vise les condamnés à cinq ans d'emprisonnement.
De la même manière, prenons le cas d'un délinquant récidiviste, voire multirécidiviste, condamné à une peine d'emprisonnement de quatre ou de cinq ans pour violence sur les personnes, qui commettra à sa sortie de prison un acte plus grave, de nature criminelle. L'opinion publique se demandera pourquoi ce délinquant n'a pas subi une période de rétention de sûreté. On vous demandera, une fois de plus, d'étendre le dispositif de rétention de sûreté.
Ainsi, de fait divers en fait divers, d'émotion en émotion, d'amendement en amendement, vous ne pourrez vous opposer à cette demande, et nous aurons ainsi créé une nouvelle justice qui aura changé de fondement !
Après des siècles, nous voyons aujourd'hui l'avènement de la justice de mesures préventives contre l'homme dangereux.
Derrière toutes les précautions que vous prenez, au-delà de toutes les discussions juridiques, c'est le triomphe d'une école de pensée visant à l'élimination sociale des individus considérés comme dangereux.
C'est contraire au fondement de nos sociétés de liberté, car la responsabilité et la liberté ne peuvent être dissociées dans le domaine pénal.
Il faut penser à la condition de ceux qui sont retenus et dont on pense qu'ils vont récidiver. Vous connaissez comme moi les chiffres, madame la ministre. Le taux de récidive en matière de crimes sexuels est le plus bas de notre justice pénale, 1,6 % contre 2,2 % pour les homicides selon les dernières données.
Vous voulez, madame la garde des sceaux, prévenir la réitération. Mais au nom de quoi maintenez-vous tous ceux qui n'auraient pas réitéré en détention pour une durée illimitée ? Des magistrats se prononceront-ils au nom d'un diagnostic? Dans un tel système, que restera-t-il de la présomption d'innocence ?
Mais alors, me direz-vous, que proposez-vous ?
Il est évident que les quelques pas en avant, que nous avons salués et soutenus, proposés par M. le rapporteur vont dans le bon sens.
Cependant, la vérité est que tout le système doit être repensé.
Les dispositions du nouveau code pénal, auxquelles le président de la commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest, a largement contribué en qualité de co-auteur, ne sont pas satisfaisantes.
Comme vous, monsieur le rapporteur, je pense que nous avons beaucoup d'enseignements à tirer des exemples hollandais et belges, ...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. Robert Badinter. ... à la condition de ne pas cumuler le système de sanction et le système de traitement de la dangerosité. Ce cumul est impossible.
Pour ces criminels, il faut commencer, au stade de l'instruction, qui est longue, par procéder à une mise en observation dans des centres spécialisés multidisciplinaires, comme il en existe aux Pays-Bas.
Ainsi, pendant huit semaines, cinquante spécialistes observent trente sujets et établissent dès le départ le diagnostic. À ce moment-là, si certains d'entre eux présentent des troubles graves, il faut choisir entre deux voies, celle qui convient le mieux à chacun.
Pour ceux qui sont atteints des troubles les plus graves de la personnalité susceptibles de mettre en danger la sécurité des autres et la leur, s'impose la voie du traitement et de l'enfermement, comme en Belgique, avec des médecins hospitaliers spécialisés et leurs assistants multidisciplinaires.
La durée ne peut pas en être fixée puisqu'il s'agit de la voie thérapeutique, avec ses exigences que l'on ne peut abolir, et non de la voie judiciaire, et qu'elle est fonction de l'évolution de la personnalité du sujet.
La deuxième voie qui s'ouvre pour tous les autres est la voie judiciaire, qui ne doit pas être un temps perdu de détention.
Le drame de notre justice pénale - ce n'est pas à vous, madame la ministre, que je l'imputerai, car vous êtes depuis peu garde des sceaux - c'est la situation pénitentiaire. La priorité absolue, c'est la loi pénitentiaire !
Il fallait commencer par là et ne pas mettre la charrue devant les boeufs, à la faveur de l'émotion du public.
Nous ne devons pas concevoir l'enfermement et l'établissement pénitentiaire comme un temps mort. La peine ne doit jamais être, comme elle l'est trop souvent, un temps mort.
Pour avoir visité plusieurs maisons centrales et centres de détention, madame la garde des sceaux, vous savez parfaitement que nous n'avons pas les moyens en personnels, ô combien dévoués, pour procéder à un traitement sélectif de malades mentaux, qui se comptent par milliers, dès le départ, après la mise en observation.
Le point le plus positif de ce triste débat est la disposition, adoptée par voie d'amendement, selon laquelle il convient de procéder dès le début de la peine à l'établissement du projet individualisé. Ce n'est pas à la dix-septième année que, soudainement, un homme comme Évrard s'en trouvera amélioré !
La responsabilité première est donc là. Il faut, à partir de la période de diagnostic à la hollandaise, avoir à disposition les deux voies : le traitement - dispositif d'ordre purement psychologique, social, psychiatrique, pour ceux auxquels on a diagnostiqué les troubles les plus graves de personnalité, avec les risques que cela comporte - et la solution judiciaire, qui n'est pas un temps perdu.
À l'issue de ce processus, si la surveillance demeure encore nécessaire, à quoi servent les dispositions que nous votons presque tous les ans ?
À quoi bon la surveillance qui suit, avec injonction de soins ? À quoi bon le prononcé de la peine dans le cadre du suivi socio-judiciaire, avec toutes les sanctions en cas de violation ? À quoi bon tous les dispositifs que nous avons adoptés à mesure qu'on nous présentait des textes pour combattre la récidive ? À quoi bon le fichier avec la présentation devant les instances de police ? À quoi bon la surveillance judiciaire et même, monsieur le rapporteur, la surveillance de sûreté si ces procédures ne bénéficient pas des moyens nécessaires ?
Nous ne manquons pas de textes. Je pense également au perfectionnement que vous avez apporté, par l'amendement sur la rétention à domicile, une sorte de mise aux arrêts de rigueur, chez soi. Mais ces pas n'ont de sens et ne peuvent répondre à la finalité qui leur est assignée que si les moyens nécessaires sont donnés. Sinon, ces textes ne sont que des cache-misère législatifs. Voilà ce que nous faisons !
Le moment, à mon sens, le plus saisissant de tout le débat - en dehors de l'invention remarquable de l'usine à gaz que nous devons à l'éminent talent créateur de M. Portelli, mais il appartiendra au Conseil constitutionnel de l'apprécier - fut celui où le président Nicolas About nous a rappelé en termes sensibles mais précis ce qu'est réellement la situation de détresse extrême de notre institution pénitentiaire.
Il a rappelé le terrible manque de psychiatres dans le secteur public, l'insuffisance de personnels compétents à tous les niveaux de ces instances pénitentiaires. Il a souligné que le suivi socio-judiciaire, pourtant voté depuis 1998, ne fonctionnait pas, faute de médecins coordinateurs ; je pourrais énumérer d'autres exemples cités par M. About.
En définitive, et ce sera ma conclusion, pour répondre à une violente émotion publique, née d'une affaire odieuse, vous avez à la hâte bâti un texte, déclaré l'urgence, sans que nous ayons eu le temps, dans le cadre de la commission parlementaire que nous aurions dû créer, d'examiner les causes précises du mal dans la circonstance et les réponses à apporter en profondeur.
Une législation conçue de cette façon entraîne - sans peut-être que vous en mesuriez toutes les conséquences - une profonde et dangereuse révolution de notre justice pénale. Je plains les magistrats qui auront à la mettre en oeuvre et ceux qui en seront l'objet.
Je demeure convaincu que c'est dans la voie qu'avait adoptée notre rapporteur, sans qu'il soit besoin de rétention de sûreté, qu'il fallait aller et peut-être même plus loin. Mais il faut toujours veiller, car là est la sauvegarde nécessaire, à ce que, dans notre justice de liberté, ce soit l'acte précis de celui qui viole la loi, ou une obligation juridictionnelle pesant sur lui, qui entraîne aussitôt et avec fermeté l'application des sanctions prévues.
Nous manquons à l'une des nombreuses obligations, si aisées à mettre en oeuvre pourvu qu'on en ait les moyens, qui sont déjà dans les lois, encore améliorées par les propositions du rapporteur ; cela permettait de faire face aux situations que nous avons évoquées. Je déplore la voie que vous avez choisie et je sais que nous n'avons pas fini d'en payer les conséquences. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Mes chers collègues, permettez-moi de saluer notre nouveau collègue M. François Pillet, qui succède à Serge Vinçon et, pour la première fois, siège dans notre Haute Assemblée.
Je lui adresse nos voeux de cordiale bienvenue en souhaitant qu'il trouve pleine satisfaction dans l'exercice de ses nouvelles responsabilités. (Applaudissements.)
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, M. Badinter ayant tout dit, je vais peut-être reprendre, avec moins de talent, certains de ses propos.
De toute façon, il est toujours utile de dire ce que nous pensons, car, hélas, nous n'en avons pas fini avec les débats sur la dérive de notre système pénal.
La commission mixte paritaire a entériné le projet de loi. Notre rapporteur avait fait beaucoup d'efforts, ayant écouté, et entendu, de nombreuses personnes. Néanmoins, comme nous l'avons constaté en travaillant sur ce texte, la majorité des sénateurs de la majorité n'entend pas ou ne veut pas entendre, ou est sur une autre planète.
Ainsi, le texte - à quelques modifications près, essentiellement formelles - reste ce qu'il était ; pour la première fois, le Parlement s'apprête à voter une loi qui prévoit qu'une personne qui a été condamnée, qui a purgé sa peine, sera placée de nouveau en détention et pour une durée indéfiniment renouvelable.
Ce projet de loi est intervenu à la suite d'un fait divers, comme d'ailleurs les précédents, notamment ceux qui, justement destinés à lutter contre la récidive, ont été votés en 2005 et tout récemment en juillet 2007 sur les peines plancher.
Cette logique est sans fin. De fait divers en fait divers, évidemment, nous pouvons aller très loin. Est-ce une façon d'exorciser les démons de notre société ? Peut-être...Je ne sais pas.
Qui plus est, il est toujours des plus zélés que nous, ou que d'autres. Le champ du projet de loi a été considérablement élargi par rapport au texte initial, ce qui n'a fait l'objet d'aucune contestation de notre commission des lois. Donc les plus zélés sont écoutés.
La prochaine étape sera-t-elle de mettre en rétention de sûreté des personnes condamnées pour participation à des faits de terrorisme ou des criminels en bande organisée ? Ou bien encore consistera-t-elle, à la suite d'un fait divers n'entrant pas dans le champ d'application de la loi, comme l'a dit M. Badinter, à abaisser le seuil de la peine parce que la société, évidemment, craindra toujours que, quelle que soit la durée de la peine initiale, les personnes récidivent ? Si l'on considère que cette crainte n'est pas supportable, il faudra effectivement mettre en relégation de plus en plus de gens.
La France est, parmi les pays européens, celui qui a déjà les peines les plus longues en matière d'infractions sexuelles. Il faudrait donc s'interroger sur le rapport entre notre façon de traiter les crimes et les infractions de ce type et la récidive. Malgré cela, notre échelle des peines est constamment durcie.
Les lois s'empilent sans former de cadre cohérent. Pourtant, des outils législatifs destinés à lutter contre la récidive existent, nous l'avons dit, mais il faut y insister. Compte tenu de leur adoption récente pour certains, nous comprenons qu'il soit difficile de faire un bilan, une évaluation, mais le problème est que le Gouvernement - sans s'embarrasser de bilan ou d'évaluation - nous demande de légiférer de nouveau.
Comment, au regard des mesures qui ont été prises depuis quelques années, et même précédemment, ne pas opposer le fait que, par exemple, le suivi socio-judiciaire n'a pas les moyens d'être appliqué, que les aménagements de peines sont de plus en plus limités ? Or, dans la faible proportion où ces dispositifs sont utilisés, ils ont prouvé leur efficacité en matière de prévention de la récidive. Il y a donc une absurdité dans cette logique, qui est évidemment très regrettable, du point de vue, en tout cas, du législateur.
Avec la rétention de sûreté, il est question non plus de responsabilité pénale et de punition pour une infraction commise mais de dangerosité et de relégation, c'est très clair. Comme l'a dit, à titre personnel, le président du Comité consultatif national d'éthique, c'est un substitut à la peine de mort, que, dans notre pays, nous ne pouvons plus rétablir, malgré les demandes répétées d'un certain nombre de parlementaires depuis qu'elle a été abolie. Finalement, une minorité de parlementaires va devenir majorité pour substituer à la peine de mort la relégation à vie.
Ce texte est donc véritablement inquiétant parce qu'il rompt le lien fondamental entre le fait punissable et la peine qui sanctionne son auteur et prévoit l'exclusion définitive de la société d'une personne sur la seule base d'expertises.
La justice est confiée non plus aux tribunaux mais à des experts, desquels dépendra l'enfermement en centre de rétention de sûreté d'une personne considérée comme dangereuse.
On demande à des psychiatres de prédire si une personne commettra de nouveau un crime. L'énoncé de cette hypothèse devrait suffire à en illustrer le non-sens. On confond diagnostic et pronostic, alors que chacun sait que les psychiatres ont du mal à expertiser les troubles de la personnalité.
Même la notion de dangerosité ne fait pas l'objet d'une définition communément admise. Pourtant, toute l'architecture de ce texte repose sur les notions de dangerosité et de probabilité. La conséquence sera sans doute qu'aucun expert ne prendra la responsabilité de déclarer qu'une personne n'est pas dangereuse.
Le projet de loi est révélateur de l'incapacité dans laquelle se trouve le Gouvernement quand il est question de prise en charge des détenus.
Le Gouvernement propose le placement en rétention de sûreté après la peine. Mais attendre quinze ou vingt ans avant de prendre en charge une personne de surcroît considérée comme dangereuse est une absurdité.
D'une part, c'est reconnaître que la détention est inadaptée, et cela nous renvoie à la loi pénitentiaire qui aurait dû précéder, comme cela a été dit et répété, toute nouvelle loi pénale. Il est donc très regrettable qu'une réflexion ne soit pas envisagée sur les finalités de l'emprisonnement et sur les dispositifs d'insertion et de probation, dans le cadre d'une nouvelle loi pénitentiaire.
D'autre part, si les centres de rétention de sûreté sont, d'après vous, tout à fait appropriés pour les personnes présentant des troubles profonds de la personnalité - j'ai bien entendu M. Hugues Portelli nous vanter les mérites de ces futurs centres qui vont prendre en charge médicalement, psychiatriquement, socialement, les personnes en question - pourquoi ne pas prévoir le placement dans ces centres des personnes immédiatement après leur condamnation et pour la durée de leur peine ? Il y a là un hiatus qui n'est absolument pas compréhensible. J'ai déjà posé cette question, mais, dans la mesure où aucune réponse n'y est apportée, il faut bien la répéter ; ce sera pour des débats futurs.
Si, par la suite, dans le cas où elle aurait été immédiatement placée dans un centre de ce type, la personne condamnée s'avérait toujours potentiellement dangereuse et incapable de contrôler ses pulsions, il faudrait prononcer une mesure d'hospitalisation d'office en psychiatrie.
Le placement d'office permet de rester dans le cadre d'une mesure exceptionnelle et administrative, que la société peut toujours prendre. La rétention de sûreté, quoique vous en disiez les uns et les autres, n'est déjà plus une mesure exceptionnelle tant le nombre de personnes auxquelles elle est susceptible de s'appliquer s'est élargi depuis le moment où le Parlement a commencé à débattre de ce projet de loi.
Dans ce contexte, la proposition du rapporteur prévoyant une évaluation d'une durée de six semaines de la personne, dans l'année qui suit sa condamnation définitive, est une mesure positive, mais incohérente avec la philosophie de ce projet de loi.
Pourquoi les pays qui ont mis en place une rétention de sûreté, dans des conditions totalement différentes de la nôtre, parviennent-ils à des résultats positifs ?
D'abord, parce que celle-ci intervient le plus souvent en substitution de la peine. Parfois, c'est même une peine avec sursis qui est prononcée, comme en Belgique, par exemple.
Ensuite, parce que les évaluations interviennent très tôt dans la procédure pénale mise en oeuvre, pendant l'instruction puis après la condamnation, afin que le parcours d'exécution de la peine soit le plus individualisé possible pour obtenir les meilleurs résultats.
Enfin - et cette question est inhérente aux deux constats que je viens de faire -, parce que ces pays ont dégagé des moyens considérables en faveur de la prise en charge de ces personnes dites dangereuses. Aux Pays-Bas, l'observation prévue d'une personne dans le centre Pieter Baan coûte mille euros pas jour ! Ces pays n'ont pas hésité à mettre en oeuvre toute une série de mesures psychiatriques, psychologiques, sociales, éducatives. Ils ont donné le temps - les évaluations durent plusieurs semaines - à tous ces professionnels de travailler dans la sérénité.
Telle n'est pas l'optique adoptée par ce projet de loi ! La réflexion qui l'inspire s'inscrit dans le court terme : elle fait le choix de la facilité et de l'affichage. Malheureusement, sur le long terme, nous pouvons constater à quel point l'emprisonnement de longue durée conduit à la dégradation des conditions de détention et à l'apparition, chez certains détenus, de troubles psychiques ! Cette logique est donc totalement contreproductive.
Ce constat s'applique aussi aux personnes déclarées irresponsables pénalement. Le nombre d'accusés jugés « irresponsables au moment des faits » a considérablement diminué par rapport aux années quatre-vingt. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant de constater que, dans nos prisons, 30 % environ des détenus souffriraient de troubles mentaux.
Ce qui pose problème, ce n'est donc pas tant l'application de l'article 122-1 du code pénal que la médiatisation des faits divers dans lesquels sont impliquées des personnes irresponsables pénalement. Vous instrumentalisez la souffrance des victimes afin de revenir sur le principe de la responsabilité pénale, en ne dispensant plus les malades mentaux d'un jugement devant une juridiction pénale.
De plus, il me semble difficile d'imaginer qu'une personne, dont on a reconnu qu'elle souffrait de troubles mentaux, sera en état psychique de respecter les obligations ordonnées par le juge. Par ailleurs, comment lui appliquer des sanctions pénales en cas de non-respect de ses obligations alors qu'elle a été déclarée irresponsable pénalement ? Nous vous avons déjà dit tout cela, mais vous ne voulez pas l'entendre !
Je terminerai mon intervention en évoquant la rétroactivité de l'article 1er du projet de loi, que le Gouvernement et la majorité souhaitent imposer coûte que coûte. Quels que soient les arguments utilisés, vous n'arrivez pas à nous convaincre et j'espère que vous n'arriverez pas à convaincre le Conseil constitutionnel. Celui-ci ne s'honorerait pas en acceptant que le principe de non-rétroactivité de la loi pénale soit bafoué, par exemple sous le motif fallacieux que la rétention de sûreté ne serait pas une peine, ce qui paraît impensable ! Si l'on écarte aujourd'hui le principe de non-rétroactivité, notre démocratie s'effacera devant le fait du prince, je suis désolé de vous le dire, madame la ministre.
Dans ces conditions, vous comprendrez que nous voterons résolument contre ce projet de loi qui, malheureusement, nous a été infligé selon la procédure d'urgence, comme les précédents ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes de ceux qui admettent qu'il existe des « individus dangereux »...
M. Pierre Fauchon. ..., au sens du projet de loi, bien entendu, et que ces individus doivent être mis « hors d'état de nuire », de nuire aux autres mais aussi de se nuire à eux-mêmes, ce qui, selon moi, a été constamment oublié dans nos débats. (Protestations sur les travées du groupe CRC.) Mais si !
Ces individus ne peuvent être mis en liberté après l'exécution de la longue peine à laquelle ils ont été condamnés et il nous faut organiser pour eux une « rétention », qui est une mesure de sureté et non une peine, les conditions de vie quotidienne devant confirmer cette distinction fondamentale ; c'est un point essentiel que nous tenons à souligner. Moi qui n'aime pas dramatiser, par nature et par construction, je me permets de dire qu'il y va de l'honneur du Gouvernement ! En effet, si on devait s'apercevoir, au terme de quelques années, que la vie quotidienne de ces personnes, dans la réalité, est restée celle de détenus, alors nous aurions eu tort et nous serions un peu... embarrassés d'avoir soutenu ce projet de loi. Il ne faut pas que cela arrive !
Me tournant vers le côté gauche de l'hémicycle, je dis à mes amis qu'il faut une sérieuse dose d'aveuglement, d'angélisme et, disons-le, de passion d'avocat pour sous-estimer ces réalités et nous faire croire que l'homme dangereux n'est qu'un mythe, qu'il n'existe qu'un seul type d'homme, le fameux homme des Lumières, doué de raison et de conscience, qui peut commettre des fautes mais qui ne manquera pas de s'amender après avoir exécuté sa punition, autant dire le « bon sauvage » de Jean-Jacques ! ... Comme s'il n'y avait pas aussi quelques « mauvais sauvages », quelques irresponsables, que je ne me risquerai pas à condamner moralement, car je les tiens non pas pour responsables, mais pour premières victimes de leur propre mal !
Au demeurant, je suis de ceux qui pensent qu'il serait plus prudent de ne pas mêler la morale au droit pénal et de se fonder davantage sur des considérations objectives de sécurité que sur des concepts de culpabilité qui relèvent d'un autre ordre, supérieur sans doute, mais que les institutions humaines sont malhabiles à apprécier. Ne dit-on pas que la justice n'est pas de ce monde ? Mais c'est une restriction qui dépasse notre sujet, je le reconnais bien volontiers.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Si la justice n'est pas de ce monde, allons dans l'au-delà !
M. Pierre Fauchon. Je suis surtout de ceux qui croient que la paix et la sécurité - aussi banal que cela paraisse, il faut sans cesse le rappeler - sont les premières raisons d'être de la société et donc son premier devoir, que nous ne devons pas oublier que la criminalité fait des victimes, et pas seulement des « faits divers », et que la souffrance des victimes vaut bien la souffrance des coupables, à tout le moins !
Il est assez significatif, à cet égard, que certains articles publiés sous des signatures qui font autorité - non sans raison - n'accordent aucune attention aux victimes et que ce terme même n'y figure même pas, ce qui montre assez le caractère unilatéral de ces plaidoyers, qui contiennent par ailleurs bien des observations justifiées ; j'en ai enregistré un certain nombre tout à l'heure, en les approuvant.
Nous voterons donc ce projet de loi auquel de récents et terribles drames ont conféré les caractères d'actualité et de nécessité que nous savons ; je refuse de qualifier ces drames de « faits divers » !
À titre personnel, je confirme cependant mon regret de voir ce texte non pas complété, mais alourdi, encombré par l'alinéa 4 de l'article 1er et l'ensemble de l'article 12, qui en est la conséquence.
Dan cet alinéa litigieux, après avoir clairement posé le principe de la rétention de sureté, on croit devoir ajouter que « la rétention de sûreté ne peut toutefois être prononcée qui si la cour d'assises a expressément prévu dans sa décision de condamnation que la personne pourra » - dans le texte originel, ce verbe était au conditionnel ; on a cru plus sage de passer au futur de l'indicatif, mais que signifie ce changement ? Il ne nous avance pas plus ! - « faire l'objet à la fin de sa peine d'un réexamen de sa situation en vue d'une éventuelle rétention de sûreté. »
Sans revenir sur une démonstration détaillée - elle risquerait de fatiguer mon auditoire - rappelons que c'est cette exigence qui semble encourager certains à considérer que ce texte n'est pas à l'abri d'une critique de rétroactivité ; Mme Nicole Borvo Cohen-Seat l'a encore rappelé à l'instant.
Je continue à penser que cette critique est totalement infondée et je maintiens - cela figurera dans le compte rendu de nos débats - que la cause de la décision de rétention réside dans le fait que les personnes concernées présentent un état de particulière dangerosité, constatée hic et nunc par une commission pluridisciplinaire. Cette commission se réunit non pas pour se prononcer sur des faits antérieurs, mais pour apprécier la situation présente de ces personnes. Ce n'est pas un fait, mais un état qui justifie la mise en rétention !
Encore une fois, la cause de la rétention est la constatation de cet état dangereux même si, bien sûr, s'y ajoute l'exigence d'une condamnation initiale prévoyant un tel examen. Mais il s'agit d'une condition préalable et non pas de la cause de la mise en rétention. La décision de mise en rétention résultant de l'appréciation portée par la commission, cette décision sera nécessairement postérieure au vote de la loi.
D'ailleurs, tout ceux qui ont évoqué la rétroactivité ont agité un épouvantail, mais sans démontrer qu'elle était clairement établie. On se contente de laisser planer la menace !
Les choses iraient encore mieux si l'on supprimait cet alinéa 4 et, par voie de conséquence, l'article 12 qui s'efforce laborieusement - mais avec un talent remarquable - de surmonter la difficulté au prix d'une rédaction dont le byzantinisme - Byzance n'est pas sans charme ! - l'emporte à l'évidence sur la clarté et la sobriété latines auxquelles j'ai la faiblesse de rester attaché. Sans doute suis-je de la vieille école !
On a bien voulu m'indiquer que la présence de cet alinéa s'expliquait par le souci de tenir compte des dispositions de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme qui stipule : « nul ne peut être privé de sa liberté », sauf dans un certain nombre de cas énumérés par ce texte, le premier correspondant à l'hypothèse de « la condamnation par un tribunal compétent ».
Puis-je faire observer que la rédaction même de cet alinéa la prive de toute portée et donc de véritable signification, puisque le fait de prévoir - même expressément - qu'un événement « pourra » se produire - si vous sortez dans la rue, vous « pourrez être écrasé », mais vous ne le serez peut-être pas ! - est totalement inopérant et relève de l'ornement mais non de la norme. Autant je suis amateur du baroque dans les beaux-arts, autant j'estime qu'il vaut mieux l'éviter en matière de législation !
Dès lors, une telle disposition ne saurait jouer un rôle dans l'appréciation de la rétroactivité. En outre, une lecture plus attentive du texte de la convention permet de soulever deux objections.
Premièrement, la « condamnation » mentionnée par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme pourrait aussi bien être la décision de la « juridiction » - car, grâce à notre rapporteur, la décision de mise en rétention est bien une décision juridictionnelle et, donc, une « condamnation ».
Sans doute, cette décision ne sera-t-elle pas une condamnation au sens pénal le plus courant du terme, auquel nous sommes habitués, mais il suffit de se référer à un dictionnaire pour constater que le terme de « condamnation » peut avoir une signification beaucoup plus générale. Toute décision imposant le respect d'une obligation peut constituer une condamnation, même si elle n'intervient pas en matière pénale. Vous trouverez cette acception dans divers dictionnaires, y compris ceux qui sont spécialisés en droit !
Deuxièmement et, me semble-t-il, plus justement encore, l'une des justifications de la privation de liberté prévue expressément par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, cette fois sans aucun préalable de condamnation, est le cas d'aliénation. L'aliénation est un terme qui ne recouvre pas un état très précisément et scientifiquement défini même si, dans le langage courant, un aliéné est un fou, au sens sommaire - celui du xixe siècle - du terme. La psychiatrie a fait des progrès depuis cette époque ! La Cour européenne des droits de l'homme a déjà eu l'occasion de relever, dans sa jurisprudence, que le sens du terme « aliéné » ne cessait d'évoluer avec les progrès de la recherche psychiatrique. Or, la convention, dans l'hypothèse de l'aliénation, n'exige pas de condamnation préalable.
Ces considérations me renforcent dans la conviction que cet alinéa 4 de l'article 1er, comme l'ensemble de l'article 12, dont j'ai déjà fait l'éloge tout à l'heure, sont une surcharge fâcheuse dans ce texte. La poursuite du débat aurait pu nous permettre d'en faire l'économie, évitant ainsi de prêter le flanc à la critique de rétroactivité, si mal justifiée soit-elle.
Cela dit, j'espère me tromper, madame la ministre, mais je n'en suis pas sûr... Quoi qu'il en soit, je m'en tiendrai à l'absence de signification de cet alinéa 4, qui ne pourra donc servir de support à aucun recours sérieux.
Ces réserves que j'ai cru devoir formuler à nouveau ne m'empêcheront pas, non plus que la plupart de mes amis excellemment représentés ici, de voter un projet de loi dont nous croyons, pour l'essentiel, qu'il est suffisamment justifié par des réalités que nul ne peut ignorer et qui ne se résument pas à de simples « faits divers » ! (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je rappelle que, en application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, lorsqu'il examine après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, le Sénat se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte.
Je donne lecture du texte adopté par la commission mixte paritaire.
TITRE IER
DISPOSITIONS MODIFIANT LE CODE DE PROCÉDURE PÉNALE
CHAPITRE IER
DISPOSITIONS RELATIVES À LA RÉTENTION DE SÛRETÉ ET À LA SURVEILLANCE DE SÛRETÉ
Article 1er
I. -- Après l'article 706-53-12 du code de procédure pénale, il est inséré un chapitre III ainsi rédigé :
« CHAPITRE III
« De la rétention de sûreté et de la surveillance de sûreté
« Art. 706-53-13. -- À titre exceptionnel, les personnes dont il est établi, à l'issue d'un réexamen de leur situation intervenant à la fin de l'exécution de leur peine, qu'elles présentent une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu'elles souffrent d'un trouble grave de la personnalité, peuvent faire l'objet à l'issue de cette peine d'une rétention de sûreté selon les modalités prévues par le présent chapitre, à la condition qu'elles aient été condamnées à une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans pour les crimes, commis sur une victime mineure, d'assassinat ou de meurtre, de torture ou actes de barbarie, de viol, d'enlèvement ou de séquestration.
« Il en est de même pour les crimes, commis sur une victime majeure, d'assassinat ou de meurtre aggravé, de torture ou actes de barbarie aggravés, de viol aggravé, d'enlèvement ou de séquestration aggravé, prévus par les articles 221-2, 221-3, 221-4, 222-2, 222-3, 222-4, 222-5, 222-6, 222-24, 222-25, 222-26, 224-2, 224-3 et 224-5-2 du code pénal.
« La rétention de sûreté ne peut toutefois être prononcée que si la cour d'assises a expressément prévu dans sa décision de condamnation que la personne pourra faire l'objet à la fin de sa peine d'un réexamen de sa situation en vue d'une éventuelle rétention de sûreté.
« La rétention de sûreté consiste dans le placement de la personne intéressée en centre socio-médico-judiciaire de sûreté dans lequel lui est proposée, de façon permanente, une prise en charge médicale, sociale et psychologique destinée à permettre la fin de cette mesure.
« Art. 706-53-14. -- La situation des personnes mentionnées à l'article 706-53-13 est examinée, au moins un an avant la date prévue pour leur libération, par la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté prévue par l'article 763-10, afin d'évaluer leur dangerosité.
« À cette fin, la commission demande le placement de la personne, pour une durée d'au moins six semaines, dans un service spécialisé chargé de l'observation des personnes détenues aux fins d'une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité assortie d'une expertise médicale réalisée par deux experts.
« Si la commission conclut à la particulière dangerosité du condamné, elle peut proposer, par un avis motivé, que celui-ci fasse l'objet d'une rétention de sûreté dans le cas où :
« 1° Les obligations résultant de l'inscription dans le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes, ainsi que les obligations résultant d'une injonction de soins ou d'un placement sous surveillance électronique mobile, susceptibles d'être prononcés dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire ou d'une surveillance judiciaire, apparaissent insuffisantes pour prévenir la commission des crimes mentionnés à l'article 706-53-13 ;
« 2° Et si cette rétention constitue ainsi l'unique moyen de prévenir la commission, dont la probabilité est très élevée, de ces infractions.
« Si la commission estime que les conditions de la rétention de sûreté ne sont pas remplies mais que le condamné paraît néanmoins dangereux, elle renvoie le dossier au juge de l'application des peines pour qu'il apprécie l'éventualité d'un placement sous surveillance judiciaire.
« Art. 706-53-15. -- La décision de rétention de sûreté est prise par la juridiction régionale de la rétention de sûreté territorialement compétente. Cette juridiction est composée d'un président de chambre et de deux conseillers de la cour d'appel, désignés par le premier président de cette cour pour une durée de trois ans.
« Cette juridiction est saisie à cette fin par le procureur général, sur proposition de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté prévue par l'article 763-10, au moins trois mois avant la date prévue pour la libération du condamné. Elle statue après un débat contradictoire et, si le condamné le demande, public, au cours duquel le condamné est assisté par un avocat choisi ou commis d'office. La contre-expertise sollicitée par le condamné est de droit.
« La décision de rétention de sûreté doit être spécialement motivée au regard des dispositions de l'article 706-53-14.
« Cette décision est exécutoire immédiatement à l'issue de la peine du condamné.
« Elle peut faire l'objet d'un recours devant la Juridiction nationale de la rétention de sûreté, composée de trois conseillers à la Cour de cassation désignés pour une durée de trois ans par le premier président de cette cour.
« La juridiction nationale statue par une décision motivée, susceptible d'un pourvoi en cassation.
« Art. 706-53-16. -- La décision de rétention de sûreté est valable pour une durée d'un an.
« La rétention de sûreté peut être renouvelée, après avis favorable de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, selon les modalités prévues par l'article 706-53-15 et pour la même durée, dès lors que les conditions prévues par l'article 706-53-14 sont toujours remplies.
« Art. 706-53-17. -- Supprimé
« Art. 706-53-18. -- Après un délai de trois mois à compter de la décision définitive de rétention de sûreté, la personne placée en rétention de sûreté peut demander à la juridiction régionale de la rétention de sûreté qu'il soit mis fin à cette mesure. Il est mis fin d'office à la rétention si cette juridiction n'a pas statué dans un délai de trois mois à compter de la réception de la demande. En cas de rejet de la demande, aucune autre demande ne peut être déposée avant l'expiration d'un délai de trois mois.
« La décision de cette juridiction peut faire l'objet des recours prévus à l'article 706-53-15.
« Art. 706-53-19. -- La juridiction régionale de la rétention de sûreté ordonne d'office qu'il soit immédiatement mis fin à la rétention de sûreté dès lors que les conditions prévues par l'article 706-53-14 ne sont plus remplies.
« Art. 706-53-20. -- Si la rétention de sûreté n'est pas prolongée ou s'il y est mis fin en application des articles 706-53-18 ou 706-53-19 et si la personne présente des risques de commettre les infractions mentionnées à l'article 706-53-13, la juridiction régionale de la rétention de sûreté peut, par la même décision et après débat contradictoire au cours duquel la personne est assistée par un avocat choisi ou commis d'office, placer celle-ci sous surveillance de sûreté pendant une durée d'un an. La surveillance de sûreté comprend des obligations identiques à celles prévues dans le cadre de la surveillance judiciaire mentionnée à l'article 723-30, et en particulier une injonction de soins prévue par les articles L. 3711-1 à L. 3711-5 du code de la santé publique, et le placement sous surveillance électronique mobile dans les conditions prévues par les articles 763-12 et 763-13 du présent code. Le placement sous surveillance de sûreté peut faire l'objet des recours prévus à l'article 706-53-15 du même code.
« À l'issue de ce délai, la surveillance de sûreté peut être renouvelée dans les mêmes conditions et pour la même durée.
« Si la méconnaissance par la personne des obligations qui lui sont imposées fait apparaître que celle-ci présente à nouveau une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de commettre à nouveau l'une des infractions mentionnées à l'article 706-53-13, le président de la juridiction régionale peut ordonner en urgence son placement provisoire dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté. Ce placement doit être confirmé dans un délai maximal de trois mois par la juridiction régionale statuant conformément à l'article 706-53-15, après avis favorable de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, à défaut de quoi il est mis fin d'office à la rétention. La décision de confirmation peut faire l'objet des recours prévus par l'article 706-53-15.
« Art. 706-53-21. -- Les dispositions du présent chapitre ne sont pas applicables à la personne qui bénéficie d'une libération conditionnelle, sauf si cette mesure a fait l'objet d'une révocation.
« Lorsque la rétention de sûreté est ordonnée à l'égard d'une personne ayant été condamnée à un suivi socio-judiciaire, celui-ci s'applique, pour la durée fixée par la décision de condamnation, à compter du jour où la rétention prend fin.
« Art. 706-53-22. -- Un décret en Conseil d'État précise les conditions et les modalités d'application du présent chapitre.
« Ce décret précise les conditions dans lesquelles s'exercent les droits des personnes retenues dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté, y compris en matière d'emploi, d'éducation et de formation, de visites, de correspondances, d'exercice du culte et de permissions de sortie sous escorte ou sous surveillance électronique mobile. Il ne peut apporter à l'exercice de ces droits que les restrictions strictement nécessaires aux exigences de l'ordre public.
« La liste des cours d'appel dans lesquelles siègent les juridictions régionales prévues au premier alinéa de l'article 706-53-15 et le ressort de leur compétence territoriale sont fixés par arrêté du garde des sceaux. »
I bis. -- L'article 362 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Dans les cas prévus par l'article 706-53-13, elle délibère aussi pour déterminer s'il y a lieu de se prononcer sur le réexamen de la situation du condamné avant l'exécution de la totalité de sa peine en vue d'une éventuelle rétention de sûreté conformément à l'article 706-53-14. »
I ter. -- Avant l'article 717-1 du même code, il est inséré un article 717-1 A ainsi rédigé :
« Art. 717-1 A. -- Dans l'année qui suit sa condamnation définitive, la personne condamnée à une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans pour l'une des infractions visées à l'article 706-53-13 est placée pour une durée d'au moins six semaines dans un service spécialisé permettant de déterminer les modalités de la prise en charge sociale et sanitaire au cours de l'exécution de sa peine. Au vu de cette évaluation, le juge de l'application des peines définit un parcours d'exécution de la peine individualisé. Si la personne souffre de troubles psychiatriques, sur indication médicale, elle fait l'objet d'une prise en charge adaptée à ses besoins, le cas échéant en hospitalisation. »
I quater. -- L'article 712-22 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Ce décret précise les conditions dans lesquelles l'expertise prévue par l'article 712-21 peut ne pas être ordonnée, avec l'accord du procureur de la République, soit en raison de l'existence dans le dossier du condamné d'une précédente expertise, soit, pour les personnes condamnées pour des infractions dont il fixe la liste, en cas de permission de sortir ou en raison de la personnalité de l'intéressé. »
II. -- L'article 717-1 du même code est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Deux ans avant la date prévue pour la libération d'un condamné susceptible de relever des dispositions de l'article 706-53-13, celui-ci est convoqué par le juge de l'application des peines auprès duquel il justifie des suites données au suivi médical et psychologique adapté qui a pu lui être proposé en application des deuxième et troisième alinéas du présent article. Au vu de ce bilan, le juge de l'application des peines lui propose, le cas échéant, de suivre un traitement dans un établissement pénitentiaire spécialisé.
« Les agents et collaborateurs du service public pénitentiaire transmettent aux personnels de santé chargés de dispenser des soins aux détenus les informations utiles à la mise en oeuvre des mesures de protection des personnes. »
III. -- L'article 723-37 du même code devient l'article 723-39 et, après l'article 723-36 du même code, il est rétabli un article 723-37 et inséré un article 723-38 ainsi rédigés :
« Art. 723-37. -- Lorsque le placement sous surveillance judiciaire a été prononcé à l'encontre d'une personne condamnée à une réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans pour l'une des infractions visées à l'article 706-53-13, la juridiction régionale mentionnée à l'article 706-53-15 peut, selon les modalités prévues par cet article, décider de prolonger tout ou partie des obligations auxquelles est astreinte la personne, au-delà de la limite prévue à l'article 723-29, en la plaçant sous surveillance de sûreté pour une durée d'un an.
« La juridiction régionale de la rétention de sûreté est saisie par le juge de l'application des peines ou le procureur de la République six mois avant la fin de la mesure.
« Le placement sous surveillance de sûreté ne peut être ordonné, après expertise médicale constatant la persistance de la dangerosité, que dans le cas où :
« 1° Les obligations résultant de l'inscription dans le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes apparaissent insuffisantes pour prévenir la commission des crimes mentionnés à l'article 706-53-13 ;
« 2° Et si cette mesure constitue l'unique moyen de prévenir la commission, dont la probabilité est très élevée, de ces infractions.
« La surveillance de sûreté peut être prolongée selon les mêmes modalités et pour la même durée si les conditions prévues par le présent article demeurent remplies.
« Les dispositions du dernier alinéa de l'article 706-53-20 sont applicables.
« Art. 723-38. -- Lorsque le placement sous surveillance électronique mobile a été prononcé dans le cadre d'une surveillance judiciaire à l'encontre d'une personne condamnée à une réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans pour l'une des infractions visées à l'article 706-53-13, il peut être renouvelé tant que la personne fait l'objet d'une surveillance judiciaire ou d'une surveillance de sûreté. »
IV. -- L'article 763-8 du même code est ainsi rétabli :
« Art. 763-8. -- Lorsqu'un suivi socio-judiciaire a été prononcé à l'encontre d'une personne condamnée à une réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans pour l'une des infractions visées à l'article 706-53-13, la juridiction régionale de la rétention de sûreté peut, selon les modalités prévues par l'article 706-53-15, décider de prolonger tout ou partie des obligations auxquelles est astreinte la personne, au-delà de la durée prononcée par la juridiction de jugement et des limites prévues à l'article 131-36-1 du code pénal, en la plaçant sous surveillance de sûreté pour une durée d'un an.
« Les dispositions des deuxième à cinquième alinéas de l'article 723-37 du présent code sont applicables, ainsi que celles de l'article 723-38. »
CHAPITRE II
DISPOSITIONS RELATIVES AUX RÉDUCTIONS DE PEINES
...............................................................
CHAPITRE III
DISPOSITIONS APPLICABLES EN CAS D'IRRESPONSABILITÉ PÉNALE EN RAISON D'UN TROUBLE MENTAL
Article 3
Après l'article 706-118 du code de procédure pénale, il est inséré un titre XXVIII ainsi rédigé :
« TITRE XXVIII
« DE LA PROCÉDURE ET DES DÉCISIONS D'IRRESPONSABILITÉ PÉNALE POUR CAUSE DE TROUBLE MENTAL
« CHAPITRE IER
« Dispositions applicables devant le juge d'instruction et la chambre de l'instruction
« Art. 706-119. -- Si le juge d'instruction estime, lorsque son information lui paraît terminée, qu'il est susceptible d'appliquer le premier alinéa de l'article 122-1 du code pénal relatif à l'irresponsabilité pénale d'une personne en raison d'un trouble mental, il en informe le procureur de la République lorsqu'il lui communique le dossier ainsi que les parties lorsqu'il les avise, en application du premier alinéa de l'article 175 du présent code.
« Le procureur de la République, dans ses réquisitions, et les parties, dans leurs observations, indiquent s'ils demandent la saisine de la chambre de l'instruction afin que celle-ci statue sur l'application du premier alinéa de l'article 122-1 du code pénal conformément aux articles 706-122 à 706-127 du présent code.
« Art. 706-120. -- Lorsqu'au moment du règlement de son information, le juge d'instruction estime, après avoir constaté qu'il existe contre la personne mise en examen des charges suffisantes d'avoir commis les faits reprochés, qu'il y a des raisons plausibles d'appliquer le premier alinéa de l'article 122-1 du code pénal, il ordonne, si le procureur de la République ou une partie en a formulé la demande, que le dossier de la procédure soit transmis par le procureur de la République au procureur général aux fins de saisine de la chambre de l'instruction. Il peut aussi ordonner d'office cette transmission.
« Dans les autres cas, il rend une ordonnance d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental qui précise qu'il existe des charges suffisantes établissant que l'intéressé a commis les faits qui lui sont reprochés.
« Art. 706-121. -- L'ordonnance d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental met fin à la détention provisoire ou au contrôle judiciaire.
« L'ordonnance de transmission de pièces rendue en application de l'article 706-120 ne met pas fin à la détention provisoire ou au contrôle judiciaire, qui se poursuit jusqu'à l'audience de la chambre de l'instruction, sans préjudice de la possibilité pour le juge d'instruction, par ordonnance distincte, d'ordonner la mise en liberté ou la levée du contrôle judiciaire. S'il n'a pas été mis fin à la détention provisoire, la chambre de l'instruction doit statuer dans un délai de six mois en matière criminelle ou quatre mois en matière correctionnelle à compter de la date de l'ordonnance de transmission de pièces, à défaut de quoi la personne mise en examen est remise en liberté si elle n'est pas détenue pour une autre cause.
« Art. 706-122. -- Lorsque la chambre de l'instruction est saisie en application de l'article 706-120, son président ordonne, soit d'office, soit à la demande de la partie civile, du ministère public ou de la personne mise en examen, la comparution personnelle de cette dernière si son état le permet. Si celle-ci n'est pas assistée d'un avocat, le bâtonnier en désigne un d'office à la demande du président de la juridiction. Cet avocat représente la personne même si celle-ci ne peut comparaître.
« Les débats se déroulent et l'arrêt est rendu en audience publique, hors les cas de huis clos prévus par l'article 306.
« Le président procède à l'interrogatoire de la personne mise en examen, si elle est présente, conformément à l'article 442.
« Les experts ayant examiné la personne mise en examen doivent être entendus par la chambre de l'instruction, conformément à l'article 168.
« Sur décision de son président, la juridiction peut également entendre au cours des débats, conformément aux articles 436 à 457, les témoins cités par les parties ou le ministère public si leur audition est nécessaire pour établir s'il existe des charges suffisantes contre la personne d'avoir commis les faits qui lui sont reprochés et déterminer si le premier alinéa de l'article 122-1 du code pénal est applicable.
« Le procureur général, l'avocat de la personne mise en examen et l'avocat de la partie civile peuvent poser des questions à la personne mise en examen, à la partie civile, aux témoins et aux experts, conformément à l'article 442-1 du présent code.
« La personne mise en examen, si elle est présente, et la partie civile peuvent également poser des questions par l'intermédiaire du président.
« Une fois l'instruction à l'audience terminée, l'avocat de la partie civile est entendu et le ministère public prend ses réquisitions.
« La personne mise en examen, si elle est présente, et son avocat présentent leurs observations.
« La réplique est permise à la partie civile et au ministère public, mais la personne mise en examen, si elle est présente, et son avocat auront la parole les derniers.
« Art. 706-123. -- Si elle estime qu'il n'existe pas de charges suffisantes contre la personne mise en examen d'avoir commis les faits qui lui sont reprochés, la chambre de l'instruction déclare qu'il n'y a lieu à suivre.
« Art. 706-124. -- Si elle estime qu'il existe des charges suffisantes contre la personne mise en examen d'avoir commis les faits qui lui sont reprochés et que le premier alinéa de l'article 122-1 du code pénal n'est pas applicable, la chambre de l'instruction ordonne le renvoi de la personne devant la juridiction de jugement compétente.
« Art. 706-125. -- Dans les autres cas, la chambre de l'instruction rend un arrêt de déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental par lequel :
« 1° Elle déclare qu'il existe des charges suffisantes contre la personne d'avoir commis les faits qui lui sont reprochés ;
« 2° Elle déclare la personne irresponsable pénalement en raison d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes au moment des faits ;
« 3° Si la partie civile le demande, elle renvoie l'affaire devant le tribunal correctionnel compétent pour qu'il se prononce sur la responsabilité civile de la personne, conformément à l'article 489-2 du code civil, et statue sur les demandes de dommages et intérêts ;
« 4° Elle prononce, s'il y a lieu, une ou plusieurs des mesures de sûreté prévues au chapitre III du présent titre.
« Art. 706-126. -- L'arrêt de déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental met fin à la détention provisoire ou au contrôle judiciaire.
« Il peut faire l'objet d'un pourvoi en cassation.
« Art. 706-127. -- Les articles 211 à 218 sont applicables aux décisions prévues aux articles 706-123 à 706-125.
« Art. 706-128. -- Les articles 706-122 à 706-127 sont applicables devant la chambre de l'instruction en cas d'appel d'une ordonnance d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ou en cas d'appel d'une ordonnance de renvoi lorsque cet appel est formé par une personne mise en examen qui invoque l'application du premier alinéa de l'article 122-1 du code pénal.
« CHAPITRE II
« Dispositions applicables devant le tribunal correctionnel ou la cour d'assises
« Section 1
« Dispositions applicables devant la cour d'assises
« Art. 706-129. -- Lorsqu'en application des articles 349-1 et 361-1 la cour d'assises a, au cours du délibéré, répondu positivement à la première question relative à la commission des faits et positivement à la seconde question portant sur l'application du premier alinéa de l'article 122-1 du code pénal, elle déclare l'irresponsabilité pénale de l'accusé pour cause de trouble mental.
« Art. 706-130. -- Lorsque la cour d'assises rentre dans la salle d'audience en application de l'article 366, le président prononce un arrêt portant déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.
« Cet arrêt met fin à la détention provisoire ou au contrôle judiciaire.
« Art. 706-131. -- En application de l'article 371 du présent code et conformément à l'article 489-2 du code civil, la cour, sans l'assistance du jury, statue alors sur les demandes de dommages et intérêts formées par la partie civile.
« Elle prononce s'il y a lieu une ou plusieurs des mesures de sûreté prévues au chapitre III du présent titre.
« Art. 706-132. -- Le procureur général peut faire appel des arrêts portant déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. La cour d'assises statuant en appel est alors désignée conformément aux articles 380-14 et 380-15.
« L'accusé et la partie civile peuvent faire appel de la décision sur l'action civile. L'appel est alors porté devant la chambre des appels correctionnels, conformément à l'article 380-5.
« Section 2
« Dispositions applicables devant le tribunal correctionnel
« Art. 706-133. -- S'il estime que les dispositions du premier alinéa de l'article 122-1 du code pénal sont applicables, le tribunal correctionnel rend un jugement de déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental par lequel :
« 1° Il déclare que la personne a commis les faits qui lui étaient reprochés ;
« 2° Il déclare la personne irresponsable pénalement en raison d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes au moment des faits ;
« 3° Il se prononce sur la responsabilité civile de la personne auteur des faits, conformément à l'article 489-2 du code civil, et statue, s'il y a lieu, sur les demandes de dommages et intérêts formées par la partie civile ;
« 4° Il prononce, s'il y a lieu, une ou plusieurs des mesures de sûreté prévues au chapitre III du présent titre.
« Le jugement de déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental met fin à la détention provisoire ou au contrôle judiciaire.
« Art. 706-134. -- Les dispositions de l'article 706-133 sont applicables devant la chambre des appels correctionnels.
« Elles sont également applicables, à l'exception du 4°, devant le tribunal de police ou la juridiction de proximité.
« CHAPITRE III
« Mesures de sûreté pouvant être ordonnées en cas de déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental
« Art. 706-135 A. -- Sans préjudice de l'application des articles L. 3213-1 et L. 3213-7 du code de la santé publique, lorsque la chambre de l'instruction ou une juridiction de jugement prononce un arrêt ou un jugement de déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, elle peut ordonner, par décision motivée, l'hospitalisation d'office de la personne dans un établissement mentionné à l'article L. 3222-1 du même code s'il est établi par une expertise psychiatrique figurant au dossier de la procédure que les troubles mentaux de l'intéressé nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l'ordre public. Le représentant de l'État dans le département ou, à Paris, le préfet de police est immédiatement avisé de cette décision. Le régime de cette hospitalisation est celui prévu pour les hospitalisations ordonnées en application de l'article L. 3213-1 du même code, dont le deuxième alinéa est applicable. L'article L. 3213-8 du même code est également applicable.
« Art. 706-135. -- Lorsque la chambre de l'instruction ou une juridiction de jugement prononce un arrêt ou un jugement de déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, elle peut ordonner à l'encontre de la personne les mesures de sûreté suivantes, pendant une durée qu'elle fixe et qui ne peut excéder dix ans en matière correctionnelle et vingt ans si les faits commis constituent un crime ou un délit puni de dix ans d'emprisonnement :
« 1° Interdiction d'entrer en relation avec la victime de l'infraction ou certaines personnes ou catégories de personnes, et notamment les mineurs, spécialement désignées ;
« 2° Interdiction de paraître dans tout lieu spécialement désigné ;
« 3° Interdiction de détenir ou de porter une arme ;
« 4° Interdiction d'exercer une activité professionnelle ou bénévole spécialement désignée, dans l'exercice de laquelle ou à l'occasion de laquelle l'infraction a été commise ou impliquant un contact habituel avec les mineurs, sans faire préalablement l'objet d'un examen psychiatrique déclarant la personne apte à exercer cette activité ;
« 5° Suspension du permis de conduire ;
« 6° Annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la délivrance d'un nouveau permis.
« Ces interdictions, qui ne peuvent être prononcées qu'après une expertise psychiatrique, ne doivent pas constituer un obstacle aux soins dont la personne est susceptible de faire l'objet.
« Si la personne est hospitalisée en application des articles L. 3213-1 et L. 3213-7 du code de la santé publique, les interdictions dont elle fait l'objet sont applicables pendant la durée de l'hospitalisation et se poursuivent après la levée de cette hospitalisation, pendant la durée fixée par la décision.
« Art. 706-136. -- La personne qui fait l'objet d'une interdiction prononcée en application de l'article 706-135 peut demander au juge des libertés et de la détention du lieu de la situation de l'établissement hospitalier ou de son domicile d'ordonner sa modification ou sa levée. Celui-ci statue en chambre du conseil sur les conclusions du ministère public, le demandeur ou son avocat entendus ou dûment convoqués. Il peut solliciter l'avis préalable de la victime. La levée de la mesure ne peut être décidée qu'au vu du résultat d'une expertise psychiatrique. En cas de rejet de la demande, aucune demande ne peut être déposée avant l'expiration d'un délai de six mois.
« Art. 706-137. -- Lorsque l'interdiction prévue au 1° de l'article 706-135 est prononcée, la partie civile peut demander à être informée par le procureur de la République de la levée de l'hospitalisation d'office dont cette personne aura pu faire l'objet en application des articles L. 3213-1 et L. 3213-7 du code de la santé publique.
« La partie civile peut, à tout moment, indiquer au procureur de la République qu'elle renonce à cette demande.
« Art. 706-138. -- La méconnaissance par la personne qui en a fait l'objet des interdictions prévues par l'article 706-135 est punie, sous réserve des dispositions du premier alinéa de l'article 122-1 du code pénal, de deux ans d'emprisonnement et 30 000 € d'amende.
« Art. 706-139. -- Un décret précise les modalités d'application du présent titre. »
....................................................................
TITRE II
DISPOSITIONS MODIFIANT LE CODE DE LA SANTÉ PUBLIQUE
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Article 6
Le livre VII de la troisième partie du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° L'article L. 3711-1 est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est ainsi rédigé :
« Pour la mise en oeuvre de l'injonction de soins prévue par les articles 131-36-4 et 132-45-1 du code pénal et les articles 723-30 et 731-1 du code de procédure pénale, le juge de l'application des peines désigne, sur une liste de psychiatres ou de médecins ayant suivi une formation appropriée établie par le procureur de la République, un médecin coordonnateur qui est chargé : » ;
a bis) Dans le 4°, les mots : « est arrivé à son terme, » sont remplacés par les mots : «, le sursis avec mise à l'épreuve ou la surveillance judiciaire est arrivé à son terme, ou le condamné qui a bénéficié d'une libération conditionnelle, » ;
b) Il est ajouté un 5° ainsi rédigé :
« 5° De coopérer à la réalisation d'évaluations périodiques du dispositif de l'injonction de soins ainsi qu'à des actions de formation et d'étude. » ;
c) Supprimé ;
2° Après le premier alinéa de l'article L. 3711-2, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Sans que leur soient opposables les dispositions de l'article 226-13 du code pénal, les praticiens chargés de dispenser des soins en milieu pénitentiaire communiquent les informations médicales qu'ils détiennent sur le condamné au médecin coordonnateur afin qu'il les transmette au médecin traitant. » ;
3° Le dernier alinéa de l'article L. 3711-3 est ainsi rédigé :
« Le médecin traitant est habilité à prescrire au condamné, avec le consentement écrit et renouvelé, au moins une fois par an, de ce dernier, un traitement utilisant des médicaments qui entraînent une diminution de la libido. » ;
4° Après les mots : « psychologue traitant », la fin du premier alinéa de l'article L. 3711-4-1 est ainsi rédigée : « ayant exercé pendant au moins cinq ans. »
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TITRE III
DISPOSITIONS DIVERSES
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Article 12 A
Le dernier alinéa de l'article 729 du code de procédure pénale est complété par une phrase ainsi rédigée :
« La personne condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité ne peut bénéficier d'une libération conditionnelle qu'après avis favorable de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté dans les conditions prévues par le deuxième alinéa de l'article 706-53-14. »
Article 12
I. -- Les personnes exécutant, à la date du 1er septembre 2008, une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans à la suite, soit de plusieurs condamnations, dont la dernière à une telle peine, pour les crimes mentionnés à l'article 706-53-13 du code de procédure pénale, soit d'une condamnation unique à une telle peine pour plusieurs de ces crimes commis sur des victimes différentes, peuvent être soumises, dans le cadre d'une surveillance judiciaire, d'un suivi socio-judiciaire ou d'une surveillance de sûreté, à une obligation d'assignation à domicile sous le régime du placement sous surveillance électronique mobile.
À titre exceptionnel, si cette obligation apparaît insuffisante pour prévenir la récidive, ces personnes peuvent être soumises à un placement en rétention de sûreté selon la procédure prévue par les articles 706-53-14 et suivants de ce code.
Dans ce cas, la mise en oeuvre de la procédure tendant au placement en rétention de sûreté doit être précédée d'une décision de la chambre de l'instruction avertissant la personne condamnée qu'elle pourra faire l'objet d'un réexamen de sa situation dans les conditions prévues par les quatre alinéas ci-après.
Le procureur général saisit, après avis du juge de l'application des peines du lieu de détention de la personne condamnée, la chambre de l'instruction de la cour d'appel dans le ressort de laquelle se trouve la cour d'assises ayant prononcé la condamnation.
La chambre de l'instruction statue en chambre du conseil après avoir fait comparaître la personne condamnée assistée par un avocat choisi ou commis d'office.
Si elle constate qu'il résulte de la ou des condamnations prononcées une particulière dangerosité de cette personne, caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu'elle souffre d'un trouble grave de la personnalité, susceptible de justifier, à l'issue de sa peine, un placement en rétention de sûreté, elle avertit celle-ci qu'elle pourra faire l'objet d'un examen de dangerosité pouvant entraîner son placement en rétention de sûreté.
La rétention de sûreté peut ensuite être décidée suivant la procédure prévue aux articles 706-53-14 et 706-53-15 du même code nonobstant, le cas échéant, les délais prévus par ces dispositions.
II. -- Les I et I bis de l'article 1er sont applicables aux personnes faisant l'objet d'une condamnation prononcée après la publication de la présente loi pour des faits commis avant cette publication.
III. -- La surveillance de sûreté instaurée par les III et IV de l'article 1er est immédiatement applicable après la publication de la présente loi. Si la méconnaissance par la personne des obligations qui lui sont imposées fait apparaître que celle-ci présente à nouveau une particulière dangerosité caractérisée par la probabilité très élevée de commettre à nouveau l'une des infractions mentionnées à l'article 706-53-13 du code de procédure pénale, la personne peut être placée jusqu'au 1er septembre 2008, dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article 706-53-20 du même code, dans un établissement mentionné au premier alinéa de l'article L. 6141-5 du code de la santé publique.
IV. -- L'évaluation prévue par le I ter de l'article 1er est également applicable aux personnes condamnées avant la publication de la présente loi à une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans pour l'une des infractions visées à l'article 706-53-13 du code de procédure pénale.
V. -- L'article 12 A est immédiatement applicable aux personnes exécutant une peine de réclusion criminelle à perpétuité.
VI. -- L'article 2 est applicable aux personnes exécutant une peine privative de liberté à la date de publication de la présente loi.
Article 12 bis A
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Après le 3° de l'article 723-30, il est inséré un 4° ainsi rédigé :
« 4° Si la personne a été condamnée à une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans pour l'un des crimes mentionnés à l'article 706-53-13 du présent code, obligation d'assignation à domicile, emportant pour l'intéressé l'interdiction de s'absenter de son domicile ou de tout autre lieu désigné par le juge en dehors des périodes fixées par celui-ci. Les périodes et les lieux sont fixés en tenant compte : de l'exercice d'une activité professionnelle par le condamné ; du fait qu'il suit un enseignement ou une formation, effectue un stage ou occupe un emploi temporaire en vue de son insertion sociale ; de sa participation à la vie de famille ; de la prescription d'un traitement médical. » ;
2° L'article 763-3 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Si la personne a été condamnée à une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans pour l'un des crimes mentionnés à l'article 706-53-13, le juge de l'application des peines peut également prononcer une obligation d'assignation à domicile prévue par le 4° de l'article 723-30. Les dispositions des deux premiers alinéas du présent article sont applicables. »
Article 12 bis
L'article 706-53-7 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Dans le 3°, les mots : « pour l'examen des demandes d'agrément » sont remplacés par les mots : « pour les décisions administratives de recrutement, d'affectation, d'autorisation, d'agrément ou d'habilitation » ;
2° À la fin de l'avant-dernier alinéa, les mots : « demande d'agrément » sont remplacés par les mots : « décision administrative » ;
3° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Les maires, les présidents de conseil général et les présidents de conseil régional sont également destinataires, par l'intermédiaire des préfets, des informations contenues dans le fichier, pour les décisions administratives mentionnées au 3° concernant des activités ou professions impliquant un contact avec des mineurs ainsi que pour le contrôle de l'exercice de ces activités ou professions. »
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Article 12 quater
La présente loi fera l'objet d'un nouvel examen d'ensemble par le Parlement dans un délai maximum de cinq ans après son entrée en vigueur.
Article 13
I. -- Les articles 1er à 4, 6, 9, 11, 12 A, 12 bis A et 12 bis de la présente loi sont applicables dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.
II. -- Supprimé
M. le président. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisi d'aucun amendement.
Quelqu'un demande-t-il la parole sur l'un de ces articles ?...
Le vote est réservé.
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je donne la parole à M. Louis Mermaz, pour explication de vote.
M. Louis Mermaz. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au moment de nous prononcer sur le projet de loi tel qu'il ressort des travaux de la commission mixte paritaire, je veux m'élever contre la méthode, pratiquée depuis le sommet de l'État jusqu'au Gouvernement, consistant à faire voter, une fois de plus, un texte dans la précipitation, en s'appuyant sur l'émotion légitime de l'opinion, lorsqu'un drame est survenu.
En abusant de la douleur des victimes, douleur qui est partagée sur toutes les travées de cet hémicycle, les promoteurs de ce projet de loi, loin de leur rendre justice et de leur apporter réparation, provoqueront une extrême confusion. Ce texte va, ô paradoxe ! détourner l'attention de la nécessaire punition du criminel.
On tente ainsi de cacher l'insuffisance des moyens pour assurer l'exécution de la peine, l'insuffisance des moyens pour apporter au délinquant, pendant la durée de sa détention et dès le début de celle-ci, un traitement médical et psychiatrique approprié chaque fois que cela s'avère nécessaire, l'insuffisance des moyens pour préparer le condamné à la réinsertion une fois la peine accomplie, sans oublier, à la sortie, de le suivre sur les plans médical et social.
Mais comment expliquer que, dans leur immense majorité, les acteurs du monde judiciaire soient violemment hostiles à ce projet de loi, y compris ceux d'entre eux qui se sont toujours montrés le plus sévères dans la répression des crimes sexuels ?
En effet, malgré toutes les circonlocutions dont on veut l'entourer et l'insertion de quelques dispositions retenues par la commission mixte paritaire sur l'initiative du Sénat, comme l'a exposé M. le rapporteur, ce texte instaure, dans des conditions aléatoires, la peine après la peine.
Il ouvre ainsi, comme en a fait la démonstration notre collègue Robert Badinter, une brèche dangereuse dans le droit pénal français, puisqu'il entraîne, avec la rétention de sûreté, la sanction de faits n'ayant pas été commis, cela au nom de la « dangerosité » du condamné, c'est-à-dire d'un profil psycho-criminologique toujours évalué par des experts, même si l'on veut ici mettre l'accent sur un encadrement juridictionnel.
Comme si ce manquement grave aux principes posés par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne suffisait pas, ce texte instaure en outre, qu'on le veuille ou non, la peine rétroactive. Quelques subterfuges de procédure visant uniquement à offrir une justification éventuelle au Conseil constitutionnel pour refuser de le censurer ne changent rien au fait que la rétroactivité de la peine est instituée, ce qui va à l'encontre de toute la tradition juridique de notre pays.
Ainsi, le présent projet de loi, né de l'émotion de l'opinion, renvoie en fait à la décision d'experts qui seront à leur tour soumis au même processus émotionnel, aux mêmes peurs que le public, alors que le diagnostic et le traitement des criminels réclament que l'on agisse avec maîtrise, discernement et, bien sûr, sévérité, en se donnant, encore une fois, des moyens efficaces de prévenir la récidive.
Nous voterons donc contre un texte néfaste. Voilà quelques années, le rapport issu des travaux de la commission d'enquête du Sénat sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France avait été intitulé : « Une humiliation pour la République ». La situation dans nos prisons s'est, depuis, lourdement aggravée, avec l'empilement de lois de plus en plus répressives, sans que l'on s'attaque aux vraies causes de la délinquance. Il aurait mieux valu éviter d'infliger, avec ce projet de loi, une nouvelle humiliation à la République, dans une période où le pouvoir se comporte avec de plus en plus d'incohérence et de fébrilité, et où ses insuffisances commencent à se révéler aux yeux des Français. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Conformément à l'article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l'ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Mesdames, messieurs les sénateurs, en adoptant aujourd'hui ce texte, vous avez donné à notre pays les moyens de mieux protéger ses citoyens. Nous pourrons assurer une meilleure prise en charge des criminels particulièrement dangereux en fin de peine, et c'est là une avancée inestimable.
Ce progrès a été rendu possible grâce à l'engagement des parlementaires. La navette entre les deux assemblées a permis d'enrichir le texte initialement déposé par le Gouvernement. C'est tout à l'honneur du Parlement.
À ce moment, mes pensées vont aux familles de victimes et à leurs proches, en particulier à la famille du jeune Enis, que j'ai reçue, ainsi qu'à Mme et M. Schmitt, les parents d'Anne-Lorraine. Cette loi n'apaisera pas leur souffrance, cette loi ne permettra pas de rattraper le temps perdu, cette loi n'empêchera pas la commission de nouveaux crimes, ce serait illusoire de le croire, mais ce qui est certain, c'est que le Gouvernement et votre assemblée auront tout fait pour prévenir de nouveaux drames. C'est une question d'honneur et de responsabilité, et je suis extrêmement fière d'avoir présenté ce texte devant vous. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
4
nomination de membres d'Organismes extraparlementaires
M. le président. Je rappelle que la commission des affaires culturelles a proposé des candidatures pour plusieurs organismes extraparlementaires. La présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du règlement.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame :
- MM. Jean-Léonce Dupont et Philippe Adnot respectivement membre titulaire et membre suppléant du Comité de suivi de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités ;
- M. Ambroise Dupont membre de la Commission supérieure des sites, perspectives et paysages.
5
Organismes génétiquement modifiés
Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif aux organismes génétiquement modifiés (urgence déclarée) (nos 149, 181).
Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus, au sein de l'article 2, aux amendements tendant à insérer des articles additionnels après l'article L. 531-4 du code de l'environnement.
J'informe le Sénat que notre collègue Jean-François Le Grand a retiré les amendements qu'il avait déposés sur ce projet de loi. Le dérouleur qui vient de vous être distribué en tient compte. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)
Article 2 (suite)
Les articles L. 531-3, L. 531-4 et L. 531-5 du code de l'environnement sont remplacés par les dispositions suivantes :
« Art. L. 531-3. - La Haute autorité sur les organismes génétiquement modifiés a pour missions d'éclairer le Gouvernement sur toutes questions intéressant les organismes génétiquement modifiés et de formuler les avis en matière d'évaluation du risque pour l'environnement et la santé publique en cas d'utilisation confinée ou de dissémination volontaire des organismes génétiquement modifiés ainsi qu'en matière de surveillance prévue à l'article L. 534-1.
« En vue de l'accomplissement de ses missions, la Haute autorité :
« 1° Peut se saisir d'office ou à la demande de toute personne concernée de toute question intéressant son domaine de compétence et proposer toutes mesures de nature à préserver l'environnement et la santé publique en cas de risque grave ;
« 2° Élabore des méthodes d'évaluation des risques environnementaux et sanitaires conformément aux dispositions communautaires en vigueur ;
« 3° Procède à toutes expertises et analyses et fait procéder à toute étude qu'elle juge nécessaire ;
« 4° Rend publics ses avis et recommandations ;
« 5° Peut mener des actions d'information se rapportant à ses missions ;
« 6° Établit un rapport annuel d'activité adressé au Gouvernement et au Parlement. Ce rapport est rendu public.
« Art. L. 531-4. - La Haute autorité sur les organismes génétiquement modifiés est composée d'un comité scientifique et d'un comité économique, éthique et social. Le collège de la Haute autorité sur les organismes génétiquement modifiés est constitué de son président et des présidents des deux comités.
« Le président de la Haute autorité sur les organismes génétiquement modifiés et les présidents des comités, ainsi que les membres des comités sont nommés par décret du Premier ministre.
« En cas d'utilisation confinée, le collège transmet les avis du comité scientifique à l'autorité administrative.
« En cas de dissémination volontaire, le collège rend l'avis de la Haute autorité sur les organismes génétiquement modifiés sur le fondement des recommandations des deux comités. Cet avis comporte, outre une évaluation des risques, une évaluation des bénéfices.
« Art. L. 531-5. - Un décret en Conseil d'État précise les conditions d'application des articles L. 531-3 et L. 531-4, notamment la composition, les attributions ainsi que les règles de fonctionnement, de saisine et de déontologie de la Haute autorité sur les organismes génétiquement modifiés. »
M. le président. L'amendement n° 13 rectifié, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après le texte proposé par cet article pour l'article L. 531-4 du code de l'environnement, insérer un article ainsi rédigé :
« Art. L. 531-4-1. - Le comité scientifique est composé de personnalités désignées en raison de leur compétence scientifique et technique reconnue par leurs pairs, dans les domaines se rapportant au génie génétique, à la protection de la santé publique, aux sciences agronomiques, aux sciences appliquées à l'environnement, au droit, à l'économie et à la sociologie.
« Le comité de la société civile est composé de représentants d'associations, de représentants d'organisations professionnelles, d'un membre du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé, d'un député et d'un sénateur membres de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, et de représentants des associations de collectivités territoriales. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur de la commission des affaires économiques. Cet amendement vise à préciser la composition respective des deux comités constituant la Haute autorité sur les organismes génétiquement modifiés.
Le comité scientifique serait composé d'experts reconnus dans leur domaine, qu'il s'agisse de biotechniques ou de sciences « molles », à savoir l'économie, le droit et la sociologie.
Le comité de la société civile serait, pour sa part, composé de représentants d'associations ou d'organismes professionnels et comporterait un membre du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé, un député et un sénateur membres de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.
Je propose d'associer également à ce second comité des représentants des collectivités territoriales, comme le suggérait notre collègue Le Grand au travers du sous-amendement qu'il a retiré. Je tiens à saluer cette idée, tout à fait pertinente à mon avis. Je crois qu'il revient au Sénat de la reprendre.
Une telle composition permettrait de lever la confusion entre deux principes de légitimité distincts : d'un côté, la légitimité scientifique des chercheurs, qu'il est d'usage de sélectionner par appel à candidatures ; de l'autre, la légitimité élective de représentants désignés par le vote.
Ce schéma s'inspire de la distinction proposée dans le rapport Kourilsky-Viney de 1999 entre deux cercles de nature différente pour une mise en oeuvre efficace du principe de précaution.
M. le président. Le sous-amendement n° 239, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. - Au deuxième alinéa de l'amendement n° 13, après les mots :
se rapportant
insérer le mot :
notamment
II. - Au troisième alinéa du même amendement, après le mot :
composé
insérer le mot :
notamment
La parole est à Mme la secrétaire d'État, pour présenter ce sous-amendement et pour donner l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 13 rectifié.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État chargée de l'écologie. Le Gouvernement trouve tout à fait légitime la volonté de la commission de préciser quelles seront les compétences et les qualités des membres des deux comités devant composer la Haute autorité. Cependant, il souhaiterait que cette liste ne soit pas limitative.
C'est la raison pour laquelle nous présentons ce sous-amendement, qui vise à introduire le mot « notamment » dans la rédaction proposée, ce qui permettrait de garantir que les différentes disciplines ou institutions citées par M. le rapporteur seront représentées au sein des comités sans exclure une extension éventuelle de cette énumération.
Sous réserve de l'adoption de ce sous-amendement, le Gouvernement émet un avis favorable sur l'amendement n° 13 rectifié.
Je profite de cette occasion pour souligner que nous sommes favorables à la proposition d'inclure, au sein du comité de la société civile, des représentants des associations de collectivités territoriales, proposition qui avait été formulée par M. Le Grand pour faire suite, si ma mémoire est bonne, à une suggestion de M. Pierre Laffitte. Cette initiative me semble tout à fait judicieuse.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur le sous-amendement ?
M. Jean Bizet, rapporteur. Tout à fait favorable.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote sur l'amendement n° 13 rectifié.
M. Jean Desessard. Nous ne sommes pas opposés par principe à cet amendement, mais dans la mesure où nous contestons l'architecture générale du texte, nous nous abstiendrons.
M. le président. Je mets aux voix, modifié, l'amendement n° 13 rectifié.
M. Jean-Marc Pastor. Le groupe socialiste s'abstient.
M. le président. L'amendement n° 108, présenté par MM. Muller et Desessard et Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet, est ainsi libellé :
I. - Après le texte proposé par cet article pour l'article L. 531-4 du code de l'environnement, insérer un article ainsi rédigé :
« Art. L. ... - Le Parlement vote le budget alloué à la Haute autorité. Il est notamment financé par la taxe prévue à l'article L. 535-4.
II. - Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... - Les pertes de recettes pour l'État résultant du financement de la Haute autorité par la taxe prévue à l'article L. 535-4 du code de l'environnement sont compensées à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Jacques Muller.
M. Jacques Muller. Nous estimons que, pour que la Haute autorité sur les organismes génétiquement modifiés puisse travailler dans de bonnes conditions, il convient de lui allouer un budget suffisant, qui doit être financé en partie par les pétitionnaires des autorisations via la taxe prévue dans la rédaction présentée à l'article 9 du projet de loi pour l'article L. 535-4 du code de l'environnement, et qui ne doit pas être plafonnée.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean Bizet, rapporteur. Le principe d'universalité budgétaire commande de ne pas affecter la taxe créée par le projet de loi au financement du Haut conseil.
Surtout, il convient d'éviter que la taxe acquittée par les demandeurs d'autorisation ne serve de variable d'ajustement au fonctionnement du Haut conseil, ce qui reviendrait à décourager le dépôt de dossiers de demande d'autorisation.
Je reviendrai à plusieurs reprises dans le débat sur le point suivant : nous ne pouvons pas, d'un côté, afficher que le Gouvernement affecte 45 millions d'euros supplémentaires à la recherche et, d'un autre, pénaliser les porteurs et les créateurs de richesses au travers du dépôt d'autorisation !
L'avis est donc défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Cet amendement pose un problème de principe. Le Haut conseil ne disposant pas de la personnalité juridique, son budget doit être voté dans le cadre du projet de loi de finances et ajusté en fonction de ses besoins réels.
L'avis du Gouvernement est donc défavorable.
M. le président. L'amendement n° 14 rectifié, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Avant le texte proposé par cet article pour l'article L. 531-5 du code de l'environnement, insérer un article ainsi rédigé :
« Art. L. ... - Afin de garantir l'indépendance et la dignité de leurs fonctions, et pendant la durée de celles-ci, les membres du Haut conseil des biotechnologies ne prennent, à titre personnel, aucune position publique sur des questions ayant fait ou susceptibles de faire l'objet d'une décision de la part du Haut conseil sans en avoir préalablement informé son président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur. Cet amendement vise à assurer l'indépendance et la dignité de la fonction de membre du Haut conseil des biotechnologies.
Sans interdire aux membres du Haut conseil toute expression publique - ce qui peut se justifier dans le cadre du Conseil constitutionnel ou d'une autorité de régulation chargée d'un pouvoir décisionnel -, l'amendement tend à prévoir que les membres informent le président avant toute prise de parole publique. Cette disposition présente, en outre, l'avantage d'asseoir le rôle de coordination du président du Haut conseil, et permettra à cette structure de tenir un langage clair vis-à-vis de nos concitoyens.
Depuis trop longtemps, nous souffrons du fait que des propos cacophoniques sont tenus sur ce dossier. Il est important d'établir une hiérarchie, et de permettre au président du Haut conseil de s'exprimer très clairement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Les dispositions que vous proposez d'introduire dans la loi ont un caractère exorbitant du droit commun et ne sont appliquées qu'aux membres du Conseil constitutionnel. Par ailleurs, pour l'objet qui nous intéresse aujourd'hui, elles relèvent clairement du domaine réglementaire.
Certes, nous partageons le souci de la commission que les prises de position publique des membres du Haut conseil ne puissent pas nuire au crédit de cette instance ou à la portée de ses avis. Mais les mesurer que vous suggérez ne doivent pas être de nature législative ; elles peuvent relever du domaine réglementaire, ou figurer dans le règlement intérieur du Haut conseil. C'est la raison pour laquelle nous demandons le retrait de cet amendement, sinon, le Gouvernement émettra un avis défavorable.
M. le président. Monsieur le rapporteur, maintenez-vous votre amendement ?
M. Jean Bizet, rapporteur. Je suis absolument désolé : s'il est vrai que le Conseil constitutionnel interdit à ses membres de prendre la parole, il est bien précisé dans l'amendement que les membres du Haut conseil ne peuvent pas s'exprimer, sauf s'ils en ont préalablement informé le président.
Nous introduisons donc un élément de souplesse qui n'existe pas dans les règles applicables aux membres du Conseil constitutionnel, et pour cause ! Les deux structures sont tout de même de dimension et d'autorité totalement différentes.
Par conséquent, je ne retirerai pas mon amendement. J'insiste, il faut pouvoir - enfin ! - s'exprimer clairement sur ce sujet dans notre pays.
M. Michel Bécot. Très bien !
M. Jean Bizet, rapporteur. Il n'est pas tout de même dramatique de demander aux membres du Haut conseil qui veulent s'exprimer d'en référer préalablement au président !
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Nous sommes favorables au fait que les membres du Haut conseil puissent, dans un souci de transparence, s'exprimer, par exemple pour expliquer leur position sur telle ou telle question.
Il semble que M. le rapporteur ne souhaite pas leur interdire de s'exprimer publiquement (M. Jean Bizet le confirme.). C'est déjà une avancée. S'il s'agit d'informer le président avant toute prise de position publique - sur les chaînes de télévision, par exemple - par simple politesse, cela n'a pas la valeur d'une interdiction.
Mais alors, comme l'a souligné Mme la secrétaire d'État, ce type de disposition relèverait plutôt du règlement intérieur du Haut conseil. Est-il vraiment utile de l'inscrire dans la loi ?
Mme Évelyne Didier. Tout à fait !
M. le président. L'amendement n° 109, présenté par MM. Muller et Desessard et Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet, est ainsi libellé :
Compléter le texte proposé par cet article pour l'article L. 531-5 du code de l'environnement par les mots :
et du Comité de biovigilance
La parole est à M. Jacques Muller.
M. Jacques Muller. C'est un amendement de cohérence avec des mesures que nous avons adoptées précédemment.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean Bizet, rapporteur. Nous n'avons pas la même appréciation de la cohérence que M. Muller !
L'avis est donc défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Il est également défavorable.
Je ne vois pas en quoi cet amendement permet une mise en cohérence avec des dispositions adoptées précédemment...
M. Gérard César. C'est de l'incohérence !
M. le président. Je mets aux voix l'article 2, modifié.
(L'article 2 est adopté.)
Article additionnel après l'article 2
M. le président. L'amendement n° 80, présenté par MM. Le Cam, Billout et Danglot, Mmes Didier, Terrade et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le rapport d'évaluation transmis par l'État à la Commission européenne, lors de demande d'autorisation, contient les lignes directrices énumérées à l'annexe VI de la directive 2001/18/CE et est accessible au public.
La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Avant de défendre cet amendement quelque peu technique, je voudrais exprimer mon étonnement après avoir entendu ce matin, sur les antennes, M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, indiquer que la discussion au Sénat sur le texte relatif aux OGM se passait bien.
Je constate que le sénateur Jean-François Le Grand vient de jeter l'éponge (M Jean Desessard approuve.), découragé, sans doute, par le rouleau compresseur mis en route par le groupe majoritaire de cette assemblée. Je suis assez surpris, car il travaillait dans l'esprit du prolongement du Grenelle de l'environnement. Tout ne va donc pas si bien que cela dans notre assemblée !
M. Jean-Marc Pastor. Dérive !
M. Gérard Le Cam. À l'instant même, le groupe majoritaire vient de désavouer, une fois de plus, le Gouvernement.
Mme Évelyne Didier. C'est la troisième fois au moins !
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. Me permettez-vous de vous interrompre, mon cher collègue ?
M. Gérard Le Cam. Je vous en prie, monsieur le président de la commission.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le Sénat est une assemblée indépendante. Je n'ai pas le sentiment que le groupe UMP ait mis en route un rouleau compresseur.
M. Jean-Marc Pastor. Mais si !
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. Il se prononce en toute liberté. Il arrive, d'ailleurs, que certains de nos collègues ne votent pas les amendements du rapporteur : c'est l'expression de la démocratie.
Il y a eu d'autres rouleaux compresseurs à d'autres époques et dans d'autres pays, mais pas en France !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Le Cam.
M. Gérard Le Cam. L'annexe VI de la directive 2001/18/CE précise les lignes directrices concernant les rapports d'évaluation prévus aux articles 13, 17, 19 et 20 de ladite directive.
Ainsi, les rapports transmis par l'État à la commission devraient contenir cinq types d'informations : l'identification des caractéristiques de l'organisme récepteur qui sont pertinentes pour l'évaluation du ou des OGM concernés et l'identification de tout risque connu que la dissémination dans l'environnement de l'organisme récepteur non modifié comporte pour la santé humaine et l'environnement ; une description du résultat de la modification génétique dans l'organisme modifié ; une évaluation indiquant si la modification génétique a été suffisamment caractérisée pour qu'il soit possible d'évaluer les risques qu'elle comporte pour la santé humaine et l'environnement ; l'identification, fondée sur l'évaluation des risques pour l'environnement menée conformément à l'annexe II, de tout nouveau risque pour la santé humaine et l'environnement qui peut résulter de la dissémination du ou des OGM en question par rapport à la dissémination du ou des organismes non modifiés correspondants ; enfin, une conclusion sur les questions suivantes : le ou les OGM concernés doivent-ils être mis sur le marché en tant que produits ou éléments de produits et dans quelles conditions? Le ou les OGM doivent-ils ne pas être mis sur le marché ? Convient-il de demander, sur des points spécifiques de l'évaluation du risque pour l'environnement, l'avis d'autres autorités compétentes et de la Commission ?
Ces points devraient être spécifiés. La conclusion devrait clairement rappeler l'utilisation proposée, la gestion des risques et le plan de surveillance préconisé.
En vertu du respect de la transparence des procédures, nous demandons que ces informations, qui conditionneront en grande partie la future autorisation, soient rendues accessibles au public.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean Bizet, rapporteur. Il est certain que les rapports d'évaluation seront établis conformément aux lignes directrices contenues dans l'annexe VI de la directive.
En revanche, prévoir la publicité intégrale de ces rapports serait contraire à l'article 25 de cette directive, qui précise les motifs légitimes pour lesquels certaines informations de ces rapports peuvent - et doivent - rester confidentielles.
Je perçois, au travers de vos propos, votre crainte que ces dispositions ne masquent une volonté d'éviter toute transparence en la matière. Mais tel n'est pas le cas : il s'agit, à mon avis, d'une question de protection du secret industriel et de sécurité de l'État. Là encore, nous ne pouvons pas, d'un côté, afficher notre souhait de développer la recherche en France, y mettre les moyens que vous connaissez - c'est-à-dire 45 millions d'euros, et je profite de l'occasion pour saluer la volonté du Gouvernement d'inscrire une telle ligne budgétaire -, et, de l'autre, faire peur aux chercheurs, et surtout aux industriels, en livrant des informations qui relèveraient du secret industriel.
L'avis est donc très clairement défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Les dispositions que prévoit cet amendement figurent déjà à l'article R. 533-30 du code de l'environnement relèvent, d'ailleurs, du domaine réglementaire.
Pour ces raisons, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Je me sens obligé d'intervenir, puisque M. le président de la commission des affaires économiques a évoqué, en conclusion de son intervention, le rouleau compresseur mis en place dans certains pays pour « renvoyer dans leurs cordes » mes camarades du groupe CRC.
Mais, monsieur Emorine, cela commence à dater ! Depuis combien d'années le mur de Berlin est-il tombé ? Il faudrait tout de même penser à lire les textes et positions communistes (Exclamations sur les travées de l'UMP.) pour actualiser votre documentation !
En tout cas, je voudrais m'associer aux propos tenus par M. Le Cam : tout ne va pas si bien au Sénat. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.) Je ne sais pas quel pays ou quelles références vous allez pouvoir trouver pour me « régler mon compte »...
J'ai du mal à suivre M. le ministre d'État lorsqu'il que estime que tout va bien alors qu'il est désavoué par sa majorité, et que M. Le Grand est marginalisé, malgré le comportement très correct qui a été le sien à la suite du Grenelle de l'environnement. Mais le Gouvernement pense peut-être qu'il est positif de ne pas tenir compte du Grenelle !
La situation est grave ! Mais, mes chers collègues de la majorité, vous allez de toute façon vous en apercevoir très rapidement, lors des élections municipales...
Mme Bernadette Dupont. C'est du chantage !
M. Jean Desessard. Non ! Ce n'est quand même pas moi qui fais les votes ! Je vous décris simplement une situation.
Vous avez fait des promesses sur le pouvoir d'achat, que vous ne pouvez pas tenir ! Vous avez fait des promesses aux Français, que vous ne pourrez pas tenir ! Vous avez fait des promesses lors du Grenelle de l'environnement, que vous pourriez tenir mais que vous ne voulez pas tenir ! C'est bien dommage ! Je pourrais répondre à M. le ministre d'État que tout ne va pas si bien au Sénat !
M. le président. Le Parlement s'exprime et prend des décisions dans le cadre de ses compétences. Nous sommes heureux d'avoir pu entendre l'explication de vote très ciblée de M. Desessard, qui va permettre à chacun de prendre position avec la plus grande clarté ! (Sourires.)
Je mets aux voix l'amendement n° 80.
(L'amendement n'est pas adopté.)
CHAPITRE II
RESPONSABILITÉ
M. le président. L'amendement n° 15, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Compléter l'intitulé de ce chapitre par les mots :
et coexistence entre cultures
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur. La modification du titre du chapitre II du projet de loi vise à améliorer la lisibilité du texte. Elle est, en outre, conforme aux choix que le Sénat avait effectués en 2006.
Depuis le début de nos débats, nous avons souvent abordé la question, très importante, de la coexistence des cultures. Il est logique qu'il en soit clairement question dans le projet de loi.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Le chapitre II contient, en effet, des dispositions concernant la coexistence des cultures.
Cet amendement ne nous pose pas de problème et nous y sommes favorables.
M. le président. En conséquence, l'intitulé du chapitre II est ainsi modifié.
Division additionnelle avant l'article 3
M. le président. L'amendement n° 193, présenté par MM. Pastor, Raoul, Dussaut et les membres du groupe Socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Avant l'article 3, insérer une division additionnelle ainsi rédigée :
Dispositions relatives aux plantes génétiquement modifiées (PGM)
La parole est à M. Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire lors de la discussion générale, 80 % de ce texte ne concernent que les plantes génétiquement modifiées.
Parler de coexistence entre cultures est ambigu parce qu'il y a des cultures en laboratoire, des cultures pour les vaccins. Les articles 3, 4, 5 et 6 contenant des dispositions relatives aux plantes génétiquement modifiées, je propose d'introduire, avant l'article 3, une division additionnelle: intitulée : « Dispositions relatives aux plantes génétiquement modifiées ». Aucun de ces articles ne concerne, en fait, les cultures pratiquées dans les laboratoires pharmaceutiques. Ils visent la culture en plein champ de plantes génétiquement modifiées.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean Bizet, rapporteur. La division additionnelle que cet amendement tend à introduire n'est pas du tout cohérente avec les deux autres divisions du projet de loi.
Je comprends bien l'esprit de cet amendement et je connais l'attachement de Daniel Raoul à la distinction, fort justifiée, entre plantes génétiquement modifiées et organismes génétiquement modifiés, mais introduire une division à cet endroit précis du texte n'apporterait pas la clarté qu'il souhaite.
À chaque fois que cela sera possible, nous essaierons de clarifier les choses, mais, dans ce cas précis, je ne peux malheureusement qu'émettre un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Nous nous rallions aux arguments de M. le rapporteur. Nous sommes défavorables à cet amendement.
M. Daniel Raoul. C'est succinct!
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 193.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Articles additionnels avant l'article 3 ou après l'article 7
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 16, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. Avant l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le chapitre II du titre VI du livre VI du code rural, il est inséré un chapitre ainsi rédigé :
« Chapitre II bis « La culture des plantes génétiquement modifiées
« Art. L. 662-4.- Est obligatoire l'étiquetage des semences dans lesquelles la présence d'organismes génétiquement modifiés est supérieure à un seuil défini par décret après avis du comité scientifique du Haut conseil institué par l'article L. 531-3 du code de l'environnement. »
II. En conséquence, remplacer respectivement dans l'ensemble du texte les références : L. 663-8, L. 663-9, L. 663-10 et L. 663-11
par les références :
L. 662-5, L. 662-6, L. 662-7 et L. 662-8.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur. Dans un souci de transparence, et pour faciliter la coexistence entre les cultures avec et sans plantes génétiquement modifiées, la commission vous propose de rendre obligatoire l'étiquetage des semences qui contiennent des OGM, au-delà d'un seuil qu'il reviendra aux services du Gouvernement de préciser.
M. le président. L'amendement n° 127, présenté par MM. Muller et Desessard et Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet, est ainsi libellé :
Après l'article 7, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le chapitre III du titre VI du livre VI du code rural est complété par un article ainsi rédigé :
« Art. .... - Pour les semences et plantes génétiquement modifiées, toute mention d'une variété génétiquement modifiée, quel que soit son support (catalogues, étiquettes, publicités, bons de commande, bons de livraison, factures, etc.), doit indiquer clairement que la variété est génétiquement modifiée. »
La parole est à M. Jacques Muller.
M. Jacques Muller. Cet amendement vise à apporter une clarification concernant les semences.
L'article 9-5 de la directive communautaire 2002/53/CE sur le catalogue commun des variétés, dont le maïs, exige que toute personne commercialisant une variété OGM indique clairement dans son catalogue qu'il s'agit d'un OGM. Cependant, aucun texte législatif ou réglementaire français n'a transposé cette disposition.
C'est ainsi que, aujourd'hui, les agriculteurs français reçoivent des catalogues vantant les mérites de semences sans pour autant indiquer que la variété est un OGM. Les agriculteurs achetant beaucoup sur catalogue, ils ne découvrent qu'à la réception de leur lot de semences, sur l'étiquette, qu'il s'agit d'une variété OGM.
Il est important de compléter le dispositif d'information des agriculteurs.
M. le président. L'amendement n° 218 rectifié, présenté par MM. Pastor, Raoul, Dussaut et les membres du groupe Socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Après l'article 7, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Pour les semences et plantes génétiquement modifiées, toute mention d'une variété génétiquement modifiée, quel que soit son support (catalogues, étiquettes, publicités, bons de commande, bons de livraison, factures) doit indiquer clairement que la variété est génétiquement modifiée.
La parole est à M. Jean-Marc Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. Cet amendement, qui vise à insérer un article additionnel après l'article 7, est similaire à celui que vient de présenter mon collègue.
Nous souhaitons que les semences soient correctement étiquetées afin que les agriculteurs puissent savoir exactement s'il s'agit ou non d'OGM. C'est un minimum en termes de traçabilité.
J'indique que la modification de notre amendement porte sur l'endroit du texte où nous souhaitons introduire cet article additionnel et non sur le fond.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements nos 127 et 218 rectifié ?
M. Jean Bizet, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur l'amendement n° 127, car il vise à la fois les plantes génétiquement modifiées et les semences, sans faire aucune référence à un seuil, ce qui est contraire à la directive 2001/18/CE. En outre, cet amendement est satisfait par l'amendement n° 16 de la commission.
Je remercie nos collègues socialistes d'avoir accepté de rectifier l'amendement n° 218 afin qu'il puisse être discuté en même temps que l'amendement n° 127, auquel il est presque identique. Logiquement, la commission a émis un avis défavorable sur l'amendement n° 218 rectifié, pour les mêmes raisons que celles qui ont prévalu pour l'amendement n° 127.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements nos 16, 127 et 218 rectifié ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. L'amendement n° 16 nous pose problème. Sur le fond, il nous semble intéressant, car nous souhaitons en effet progresser sur la question des seuils d'étiquetage, qui est essentielle. La demande des professionnels dans ce domaine est forte. Fixer un seuil est donc nécessaire, pour des questions de transparence et de sécurité juridique.
La directive prévoit que les seuils sont fixés à l'échelon communautaire, mais la Commission n'a toujours pas statué sur cette question. Dans cette attente, il nous faut fixer des seuils à l'échelon national afin de clarifier la situation. Il est possible de le faire par voie réglementaire, sans introduire une nouvelle disposition législative.
À ce stade, nous souhaitons donc que la commission retire l'amendement n° 16. Il faut attendre que toutes les réflexions nécessaires soient menées à leur terme pour définir le ou les seuils les plus pertinents.
Pour les mêmes motifs, nous sommes défavorables aux amendements nos 127 et 218 rectifié.
M. le président. Monsieur le rapporteur, l'amendement n° 16 est-il maintenu ?
M. Jean Bizet, rapporteur. Sur le fond, je souscris à l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 16. Le but, à terme, est de parvenir à un étiquetage des semences, mais la Commission n'est pas encore assez mûre sur ce sujet.
À la demande de Mme la ministre, j'accepterai naturellement de retirer cet amendement. Toutefois, j'aimerais auparavant lui faire une autre proposition. Peut-être pourrions-nous rectifier l'amendement n° 16, qui viserait alors simplement à introduire un chapitre II bis, mais plus l'article L. 662-4 ? Cela permettrait une plus grande lisibilité.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur la proposition de M. le rapporteur ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Je préfère le retrait pur et simple de l'amendement n° 16.
M. Jean Bizet, rapporteur. Dans ces conditions, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 16 est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 127.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul, pour explication de vote sur l'amendement n° 218 rectifié.
M. Daniel Raoul. Vous l'avez compris, l'amendement n° 16 ayant été retiré, l'amendement n° 218 rectifié n'est plus satisfait. L'argument de M. le rapporteur ne tient donc plus la route !
J'indique à Mme la secrétaire d'État que notre amendement devrait poser moins de problèmes que l'amendement n° 16 puisqu'il n'y est fait allusion à aucun seuil défini en France ou par la Commission. Pour une meilleure transparence entre les cultures avec et sans OGM, il convient donc de l'adopter !
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Pastor, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Pastor. J'ai bien entendu les propos de Mme la ministre sur l'amendement n° 218 rectifié et j'y souscris. La fixation des seuils doit faire l'objet d'un débat à l'échelon communautaire ; il faut donc éviter de fixer des seuils dans la loi française. Je suis tout à fait d'accord sur ce point, même s'il faudra bien, à un moment donné, placer le curseur quelque part.
Toutefois, ce débat ne nous empêche pas de définir plus précisément l'étiquetage dans la loi française et de dire ce que nous attendons en matière de transparence et de suivi des produits et des semences OGM.
Alors oui, les seuils doivent être fixés à l'échelon communautaire, mais on peut tout de même apporter dans la loi française un certain nombre de précisions afin de permettre la traçabilité. L'amendement n° 218 rectifié s'inscrit dans cette logique.
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote.
Mme Évelyne Didier. Je suis tout à fait favorable à cet amendement. C'est à travers des dispositions comme celle-là, qui traduit clairement une intention, que l'on pourra juger du véritable intérêt de ce projet de loi. Nos concitoyens attendent de la transparence ; ils attendent que les choses soient clairement dites.
Bien entendu, nous sommes d'accord pour patienter jusqu'à ce que des seuils soient définis à l'échelon communautaire, nous conformant ainsi au droit européen. Mais indiquer quand des produits contiennent des OGM serait faire un premier pas en direction de nos concitoyens, qui pourraient alors considérer qu'on ne se moque pas d'eux et que leur droit à l'information est véritablement pris en considération.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur. Je rappelle à nos collègues que nous sommes dans un environnement législatif communautaire. La France ne peut pas faire semblant d'être seule ; nous sommes vingt-sept !
La proposition de Mme la secrétaire d'État me paraît être d'une grande cohérence. Nous cherchons tous à atteindre le même objectif. À terme, les semences devront être étiquetées, mais les seuils ne peuvent être fixés qu'à l'échelon communautaire. Il serait donc incohérent de s'avancer dans ce domaine. Il faut attendre que la Commission prenne une décision, ce qu'elle a « failli » faire voilà déjà quelques années, mais cette question n'étant pas facile, elle fait toujours l'objet d'une réflexion.
Soyons cohérents. Je partage l'analyse du Gouvernement et je souhaite que nous en tirions les conséquences.
M. Jean-Marc Pastor. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. Vous vous êtes déjà exprimé sur cet amendement, monsieur Pastor !
M. Jean-Marc Pastor. Il y a du nouveau ! M. le rapporteur a donné une explication différente !
M. le président. Monsieur Pastor, chaque orateur n'a la possibilité d'expliquer son vote qu'une seule fois. Vous ne pouvez donc plus le faire, même si M. le rapporteur est intervenu depuis ; lui peut prendre la parole chaque fois qu'il le désire.
Cela étant dit, s'agissant d'un dossier fondamental, je vais vous donner la parole de façon tout à fait exceptionnelle, afin que vous puissiez compléter votre explication de vote ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Vous avez la parole, monsieur Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. C'est formidable ! Je comprends mieux pourquoi M. Borloo a déclaré à la radio que les choses se passaient bien au Sénat : c'est vrai, je le reconnais, monsieur le président ! Merci de nous donner la parole, car si nous ne pouvons pas faire adopter de nombreux amendements, au moins pouvons-nous nous exprimer ! (Rires.)
Je voudrais simplement formuler une remarque.
M. le rapporteur vient de tenir des propos totalement contraires à ce qu'il nous a expliqué voilà cinq minutes en présentant l'amendement n° 16, qui allait à l'encontre des règlements communautaires. En effet, il lui paraissait alors normal que la législation française mentionne l'existence d'un seuil, même si une telle disposition était contraire à la réglementation européenne. Or, lorsque nous proposons, nous, de mettre en place un étiquetage à des fins de traçabilité, M. le rapporteur nous répond que ces notions seraient anti-communautaires ! Je ne saisis pas très bien la cohérence...
M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul, pour explication de vote.
M. Daniel Raoul. Je vous remercie de votre générosité, monsieur le président. (Sourires.)
Je souhaite simplement émettre une suggestion.
Afin d'éviter toute ambiguïté entre la notion de « seuil » et la reconnaissance des organismes génétiquement modifiés, je vous propose de modifier l'amendement n° 218 rectifié, en insérant le terme « reconnues » entre les mots « pour les semences et plantes » et les mots « génétiquement modifiées ».
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 218 rectifié bis, présenté par MM. Pastor, Raoul, Dussaut et les membres du groupe Socialiste et apparentés, et ainsi libellé :
Après l'article 7, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Pour les semences et plantes reconnues génétiquement modifiées, toute mention d'une variété génétiquement modifiée, quel que soit son support (catalogues, étiquettes, publicités, bons de commande, bons de livraison, factures) doit indiquer clairement que la variété est génétiquement modifiée.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean Bizet, rapporteur. De notre point de vue, cela ne change rien. L'avis de la commission est toujours défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Ainsi rédigée, une telle disposition nous pose beaucoup moins de problèmes, s'il est entendu que le terme « reconnues » fait bien référence aux critères de traçabilité fixés par l'Union européenne.
M. Jean-Marc Pastor. C'est le cas !
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Mais est-ce véritablement le cas ? Le mot « reconnues » ne signifie pas forcément cela. Qui « reconnaîtra » que ces semences et plantes sont génétiquement modifiées ? Et comment ?
M. Gérard César. Eh oui ! C'est trop vague !
M. Daniel Raoul. Nous pouvons préciser « reconnues par l'Union européenne » !
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Le mot « reconnues » soulève effectivement un véritable problème juridique. Qui reconnaît ? Comment ? À quel titre ?
S'il était certain qu'une telle disposition soit compatible avec la réglementation européenne, elle ne nous poserait aucun problème. Mais la formulation actuelle n'est, me semble-t-il, pas suffisamment claire.
M. Daniel Raoul. Nous pouvons le rédiger ainsi : « qualifiées de ?génétiquement modifiées? par l'Union européenne »
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. À mon sens, comme le sujet est actuellement en cours de discussion au sein de l'Union européenne, et compte tenu de sa fragilité, nous pouvons continuer d'y réfléchir. Il est peut-être préférable d'approfondir la question d'ici à la prochaine lecture.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur. Effectivement, le sujet fait actuellement l'objet d'une réflexion au sein de la Commission européenne. Cela dure depuis quelques années déjà !
Pour ma part, je ne pense pas que nous clarifierons le débat en adoptant aujourd'hui une position dans le cadre national. Mieux vaut donc en rester là pour le moment, car nous sommes dans un environnement législatif communautaire.
Même si nous partageons un objectif identique s'agissant de l'étiquetage des semences, je crois sincèrement qu'adopter une mesure législative au niveau national, loin de rendre la question plus lisible, aurait pour seul effet de la complexifier encore plus.
C'est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable sur l'amendement n° 218 rectifié bis, tout comme elle avait émis un avis défavorable sur l'amendement n° 218 rectifié.
M. le président. La parole est à M. Jacques Muller, pour explication de vote.
M. Jacques Muller. Pour ma part, je propose de considérer cet amendement comme un amendement d'appel en vue de la suite de l'examen du texte.
Cela serait tout à fait constructif et nous permettrait d'avoir, enfin, le signal positif que nous attendons depuis le début de la discussion du projet de loi.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Pour ma part, en vue de la deuxième lecture, je suis prête à travailler sur une nouvelle version de la disposition que cet amendement vise à instituer, notamment en reprenant la notion de « reconnaissance » du caractère génétiquement modifié de certaines plantes et semences, mais dans une rédaction qui aurait un véritable sens juridique.
En attendant, à ce stade, je préférerais que cet amendement soit retiré. Nous pourrons ensuite réfléchir sur le sujet dans la perspective de la deuxième lecture
M. Roger Romani. Il n'a aura pas de deuxième lecture, puisque l'urgence a été déclarée !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 218 rectifié bis.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 3
Dans le chapitre III du titre VI du livre VI du code rural sont insérés les articles L. 663-8 et L. 663-9 ainsi rédigés :
« Art. L. 663-8. - La mise en culture des végétaux autorisés au titre de l'article L. 533-5 du code de l'environnement ou en vertu de la réglementation communautaire est soumise au respect de conditions techniques relatives aux distances entre cultures ou à leur isolement, visant à éviter la présence accidentelle d'organismes génétiquement modifiés dans d'autres productions.
« Ces conditions techniques sont fixées par l'autorité administrative, selon des modalités définies par décret.
« Art. L. 663-9. - Le respect des prescriptions prévues à l'article L. 663-8 est contrôlé par les agents mentionnés au I de l'article L. 251-18. Ces agents sont habilités à procéder ou ordonner, dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'agriculture, tous prélèvements et analyses nécessaires à l'exercice de cette mission.
« Les sanctions que l'autorité administrative peut prononcer comprennent la destruction totale ou partielle des cultures.
« Les frais entraînés par ces sanctions sont à la charge de l'exploitant. »
M. le président. La parole est à M. Jacques Muller, sur l'article.
M. Jacques Muller. Nous abordons à présent l'examen de l'article 3, qui concerne les périmètres d'isolement.
Même s'il n'appartient pas au législateur de fixer aujourd'hui ces fameux périmètres, il s'agit, me semble-t-il, d'un sujet essentiel. En effet, pour les semenciers, la question est stratégique du point de vue non seulement de la protection des cultures, mais également de la diffusion des OGM dans l'environnement.
À cet égard, je souhaite m'exprimer à la fois sur le fond et sur la méthode.
S'agissant d'abord du fond, en tant qu'ingénieur agronome, je reste perplexe quant aux fameux 50 mètres de périmètre d'isolement, qui sont systématiquement martelés par l'Association générale des producteurs de maïs, l'AGPM, et qui figurent dans les textes réglementaires adoptés en 2006.
Premièrement, un tel chiffre est contradictoire avec les pratiques en vigueur chez nos voisins européens, où les périmètres d'isolation atteignent 200 mètres ou 300 mètres. En optant pour un périmètre de 50 mètres, la France apparaîtrait comme l'un des pays les plus laxistes de l'Union européenne, après les Pays-Bas.
Deuxièmement, la réglementation relative aux essais en plein champ de nouvelles variétés de maïs OGM fixe les périmètres d'isolation à 400 mètres. Dans ces conditions, je m'interroge : alors qu'un maïs OGM à l'essai est isolé à 400 mètres d'un autre maïs, le périmètre d'isolation tomberait à 50 mètres pour les maïs OGM cultivés en plein champ. C'est totalement incohérent !
Troisièmement, je constate que les études internationales sur le sujet sont beaucoup plus prudentes. Ainsi, celle qui a été menée par l'unité de recherche de Worcester aboutissait aux conclusions suivantes : « Il est clair que le pollen de maïs se propage bien au-delà du périmètre de 200 mètres, cité dans quelques études comme susceptible de prévenir la pollinisation croisée. »
En d'autres termes, avec le chiffrage de 50 mètres qui circule actuellement, nous sommes totalement hors-sujet.
Quatrièmement, aujourd'hui, les producteurs de semences s'imposent des périmètres de 300 mètres à 400 mètres. Aussi, j'aimerais bien qu'il y ait un minimum de cohérence. Si le maïs hybride certifié exige des périmètres de protection de 300 mètres à 400 mètres, il est hors de question que les périmètres d'isolement d'OGM soient de 50 mètres.
J'en viens à présent à mes observations sur la méthode.
Étant de culture scientifique, lorsque je suis en présence de chiffres aussi hétérogènes que ceux que je viens d'évoquer, j'aime bien disposer d'un nouveau regard.
C'est pourquoi j'avais proposé l'audition par la commission des affaires économiques de trois chercheurs, en l'occurrence MM. Méssean et Brunet, de l'Institut national de la recherche agronomique, l'INRA, et Mme Jarosz, qui a travaillé avec ce dernier. Ces auditions ont été refusées.
Certes, il n'est pas dans les habitudes de la Haute Assemblée qu'un « sénateur lambda » organise le débat. Mais, compte tenu des incohérences que j'ai évoquées, le minimum serait tout de même que nous puissions avoir un débat serein sur le sujet, avec l'éclairage de scientifiques de l'INRA.
On m'a expliqué que cela n'était pas possible. Ainsi, M. le rapporteur a déclaré : « Il est hors de question d'envisager des périmètres d'isolement de plus de 50 mètres pour les cultures de maïs OGM, en raison des structures agricoles trop petites ».
Qu'est-ce que cela signifie ? Que des périmètres supérieurs à 50 mètres empêcheraient la diffusion souhaitée des OGM en France ? Mais, que je sache, les périmètres d'isolement ont pour objet non pas d'organiser la diffusion maximale des OGM en France, mais de protéger les structures qui ne souhaitent pas d'OGM dans leur produit.
En conclusion, je présenterai des amendements afin que la question des périmètres soit abordée de la manière la plus sérieuse possible par le futur Haut conseil. Il est hors de question que les périmètres soient définis par arrêté ministériel ou par décret, en catimini, comme ils l'ont été jusqu'à présent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. L'amendement n° 17, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le premier alinéa de cet article :
Dans le chapitre II bis du titre VI du livre VI du code rural sont insérés deux articles ainsi rédigés :
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur. Monsieur le président, par cohérence avec le retrait de l'amendement n° 16, je retire l'amendement n° 17.
Nous reviendrons sur la notion de distance au cours de notre débat.
Simplement, je voudrais adresser plusieurs observations à M. Muller.
D'abord, au cours de la saison céréalière qui vient de s'achever en 2007 - cela concerne 22 000 hectares -, il n'a pas été fait état de problèmes particuliers. Ainsi, les périmètres d'isolement de 50 mètres, mis en place à la suite du texte réglementaire qui a été adopté sur l'initiative de M. Dominique Bussereau, se sont révélés suffisants. Au demeurant, le choix du seuil retenu a été fondé sur l'avis de scientifiques, qui avaient proposé une distance de 25 mètres. Par souci de sécurité, M. Dominique Bussereau a opté pour des périmètres de 50 mètres.
Ensuite, on peut faire dire ce que l'on veut aux études. Monsieur Muller, j'ai moi aussi une formation scientifique, mais je n'en ferai pas spécialement état dans cette enceinte.
Il faut établir une distinction entre la distance parcourue par le pollen et son pouvoir de germination, c'est-à-dire appréhender le problème dans une dimension spatio-temporelle. Comme vous le savez, la durée de vie d'un pollen de maïs, qui est le plus lourd qui soit, n'est que de deux heures.
Je le répète, des études contradictoires ont été menées sur le terrain, dans le Sud-Ouest. M. Daniel Soulage sait très bien à quel agriculteur je fais référence. Au-delà de douze rangs, c'est-à-dire au-delà de dix mètres, le taux de présence fortuite d'OGM est de 0,3 %. Nous reviendrons peut-être en détail sur ce point, mais je tenais à le préciser.
En outre, je souhaite tout de même que l'on ne fasse pas d'amalgame avec les distances qui sont déterminées dans d'autres pays de l'Union européenne. Celles-ci vont de 25 mètres au Royaume-Uni jusqu'à 700 mètres ou 800 mètres dans certains pays d'Europe centrale et orientale. Cela tient à un parcellaire complètement différent. Je ne voudrais pas que l'on réserve une telle technologie novatrice aux seuls agriculteurs ayant de grandes surfaces. Il faut qu'elle puisse également être appréhendée, abordée et utilisée par les petits agriculteurs.
Enfin, s'agissant de l'audition de certains scientifiques auxquels notre collègue Jacques Muller a fait référence, je voudrais faire référence au colloque Biotechnologies et Agriculture durable, un post-Grenelle de l'environnement, que j'ai coprésidé le 17 janvier dernier en compagnie de notre collègue de l'Assemblée nationale Jean-Yves Le Déaut.
Monsieur Muller, vous y avez assisté et vous avez écouté, ce dont je vous félicite, l'ensemble des scientifiques qui étaient présents ce jour-là. Tous ont insisté sur la dimension spatio-temporelle du transport de pollen. Quand un pollen parcourt 50 kilomètres, 100 kilomètres ou 150 kilomètres, l'important est non pas la distance, mais le pouvoir germinatif.
M. le président. L'amendement n° 17 est retiré.
Je suis saisi de sept amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 110, présenté par MM. Muller et Desessard et Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet, est ainsi libellé :
Remplacer le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 663-8 du code rural par trois alinéas ainsi rédigés :
« La mise en culture des végétaux autorisés au titre de l'article L. 533-5 du code de l'environnement ou en vertu de la réglementation communautaire, ainsi que les opérations d'obtention des semences, d'importation, de récolte, de stockage, de transport, de conditionnement, de transformation et de distribution sont soumises au respect de conditions techniques, destinées à éviter la présence d'organismes génétiquement modifiés dans d'autres productions.
« Les personnes impliquées dans le processus de culture, d'importation, de transport, de stockage, de transformation et de distribution des organismes génétiquement modifiés doivent attester d'un certificat obtenu à l'issue d'une formation permettant d'obtenir les connaissances, les compétences et l'équipement nécessaire pour prendre les mesures adéquates destinées à prévenir les disséminations fortuites d'organismes génétiquement modifiés.
« Cette formation, dont les coûts sont pris en charge par les opérateurs concernés, est valable 5 ans.
La parole est à M. Jacques Muller.
M. Jacques Muller. Cet amendement vise à clarifier les vecteurs de dispersion des gènes dans l'environnement.
Le champ d'application des mesures destinées à éviter une contamination ne doit pas être limité aux contaminations issues de cultures. En effet, la contamination au champ par dissémination du pollen n'est pas la seule source de contamination possible : les négligences humaines dans le stockage, le transport, la transformation, le conditionnement ou la distribution sont des sources de contamination qui ne peuvent être occultées par ce projet de loi.
Cette mesure ne doit donc pas être proposée de manière exclusive.
La plupart des États européens mettent en place de telles dispositions en obligeant toute personne intervenant dans le processus des OGM à attester d'une formation et d'un certificat.
Il en va ainsi de l'Allemagne, en vertu de l'article 16 b de la loi sur les OGM ; de la Hongrie, aux termes de l'article 2 du décret de 2006 et de l'article 21 B de la loi sur les OGM ; du Danemark, en application de l'article 3 de la loi cadre.
Sur la prise en charge des coûts et la validité de la formation, il faut se référer à l'article 21/B (9) de la loi hongroise.
Nous souhaitons que ces dispositions soient précisées et que soit élargi le champ des vecteurs des risques de contamination.
M. le président. L'amendement n° 53 rectifié, présenté par M. Soulage et les membres du groupe Union centriste - UDF, est ainsi libellé :
Dans le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 663-8 du code rural, après les mots :
La mise en culture
insérer les mots :
, la récolte, le stockage, le transport, la transformation, le conditionnement et la distribution
La parole est à M. Daniel Soulage.
M. Daniel Soulage. Cet article tend à soumettre la mise en culture des plantes et plants génétiquement modifiés au respect de conditions techniques visant à éviter la présence accidentelle d'OGM dans d'autres productions.
En effet, la contamination au champ n'est pas la seule source de contamination possible : les négligences humaines dans le stockage, le transport, la transformation, le conditionnement ou la distribution sont des sources de contamination qui ne peuvent être occultées par ce projet de loi.
Pour de nombreuses espèces, les distances d'isolement sont totalement illusoires. Cette mesure ne doit donc pas être proposée de manière privilégiée.
L'objet de cet amendement est d'assurer la coexistence de cultures en encadrant plus strictement les opérations effectuées en aval, comme la récolte ou le stockage.
Une étude européenne à laquelle l'INRA a participé conclut que le nettoyage des machines de récoltes entre leur utilisation sur les champs de cultures transgéniques et leur utilisation sur des champs de cultures non transgéniques se révèle être une mesure efficace en faveur de la coexistence de ces deux types de cultures.
C'est le genre d'actions que cet amendement a pour objet de généraliser : il convient, en effet, d'accroître la vigilance quant aux risques de contamination autres que la pollinisation croisée, qui, selon les scientifiques, sont beaucoup plus élevés.
M. le président. Le sous-amendement n° 241, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Dans le dernier alinéa de l'amendement n° 53 rectifié, supprimer les mots :
, la transformation, le conditionnement et la distribution
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Le Gouvernement est tout à fait favorable au principe d'un élargissement des compétences réglementaires pour les activités de l'amont de la filière, à savoir la manipulation et le transport des plantes. Toutefois, il souhaiterait que cette extension reste raisonnable et entend donc limiter le pouvoir réglementaire à certains secteurs.
Sous réserve de l'adoption de ce sous-amendement, il sera favorable à l'amendement n° 53 rectifié.
M. le président. L'amendement n° 194 rectifié, présenté par MM. Pastor, Raoul, Dussaut et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Dans le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 663-8 du code rural, remplacer les mots :
est soumise
par les mots :
, ainsi que les opérations d'obtention des semences, d'importation, de récolte, de stockage, de transport, de conditionnement, de transformation et de distribution sont soumises
La parole est à M. Jean-Marc Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. Les risques de contamination ne concernent pas que la culture au champ. Toute une série d'opérations sont directement des vecteurs de contamination : les transports et les stockages, notamment, ainsi que l'arrivée de produits OGM importés dans les ports, aucune régulation des dispositifs n'y étant prévue, et ces produits devant, ensuite, être stockés et véhiculés sur tout le territoire national.
Ce n'est pas la réponse de l'OMC qui rassurera nos concitoyens.
Dans notre législation, ces oléagineux - le soja, en particulier - doivent être soumis au même régime que les produits français.
C'est à cette condition que notre législation sera cohérente et donc de nature à rassurer nos citoyens.
Monsieur le président, afin de gagner du temps et de faire écho à votre largesse, tout à l'heure, s'agissant des prises de parole, je présenterai dès maintenant l'amendement n° 192, qui s'inscrit dans la suite logique de celui-ci.
M. le président. L'amendement n° 192, présenté par MM. Pastor, Raoul, Dussaut et les membres du groupe Socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Dans le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 663-8 du code rural, après les mots :
conditions techniques
insérer le mot :
notamment
Veuillez poursuivre, monsieur Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. Si ces deux amendements étaient adoptés, le premier alinéa du texte proposé par l'article 3 pour l'article L. 663-8 du code rural se lirait ainsi : « La mise en culture des végétaux autorisés au titre de l'article L. 533-5 du code de l'environnement ou en vertu de la réglementation communautaire, ainsi que les opérations d'obtention des semences, d'importation, de récolte, de stockage, de transport, de conditionnement, de transformation et de distribution sont soumises au respect de conditions techniques, notamment, relatives aux distances entre cultures ou à leur isolement, visant à éviter la présence accidentelle d'organismes génétiquement modifiés dans d'autres productions. »
Le champ des investigations serait ainsi élargi, afin que nos concitoyens soient mieux protégés et rassurés.
Je le répète : il est impératif de veiller à mettre sur un pied d'égalité les produits importés et les produits français, les premiers n'étant pas soumis à la même réglementation, s'agissant du transport et du stockage, que les seconds. Il serait, en effet, aberrant d'imposer aux agriculteurs français des contraintes que nous n'imposerions pas aux exportateurs étrangers.
.
M. le président. L'amendement n° 76, présenté par MM. Le Cam, Billout et Danglot, Mmes Didier, Terrade et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
I. - Dans le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 663-8 du code rural, supprimer les mots :
relatives aux distances entre cultures ou à leur isolement
II. - Compléter ce même alinéa par les mots :
et dans l'environnement en général
La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. L'article 3 vise à modifier le code rural afin d'imposer le respect de certaines conditions techniques à toute culture d'OGM ayant fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché, ce afin d'éviter la présence fortuite d'OGM dans les cultures traditionnelles.
Cet amendement, qui est de repli, a pour objet de permettre l'élargissement des conditions techniques requises pour les cultures en plein champ à des critères autres que les seules distances entre les cultures ou leur isolement.
Cependant, nous réaffirmons ici notre grand scepticisme quant à l'efficacité des mesures techniques pour éviter la contamination des cultures traditionnelles par les OGM.
M. le président. L'amendement n° 111, présenté par MM. Muller et Desessard et Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet, est ainsi libellé :
Dans le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 663-8 du code rural, supprimer le mot :
accidentelle
La parole est à M. Jacques Muller.
M. Jacques Muller. Cet amendement vise à ce que soit admis par la loi le caractère prévisible de la contamination des plantes conventionnelles ou biologiques par des végétaux génétiquement modifiés.
Ce caractère prévisible est reconnu de fait par le Gouvernement, puisque ce dernier propose au législateur de prendre, par ce projet de loi, des mesures adéquates de protection contre la contamination.
Par ailleurs, il est prévu, aux termes de l'article 26 bis de la directive européenne 2001/18, que les États membres « peuvent prendre les mesures nécessaires pour éviter la présence d'OGM dans d'autres produits », ce afin d'assurer la protection des cultures conventionnelles ou biologiques de toute contamination par des OGM.
La contamination n'est pas simplement « accidentelle » ou hypothétique, elle est inévitable : les recherches scientifiques font état de cette contamination sur des dizaines ou des centaines de mètres. Le législateur doit donc, dans la loi, la qualifier non pas d'« accidentelle », mais d'« inévitable ».
M. le président. L'amendement n° 59, présenté par MM. Le Cam, Billout et Danglot, Mmes Didier, Terrade et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Compléter le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 663-8 du code rural par deux phrases ainsi rédigées :
Le respect de la distance de recul incombe aux parcelles d'organismes génétiquement modifiés. Le respect de l'existant, ruchers, propriétés privées est toujours prioritaire.
La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Nous souhaiterions que ce soit celui qui cultive des OGM qui prenne toutes les précautions pour éviter la contamination, et non pas l'inverse.
Pourtant, il a été demandé à certains apiculteurs de reculer leurs ruches et d'aller les installer plus loin, à un endroit plus propice. Ce n'est pas correct.
Cet amendement tend à réduire le nombre de contentieux qui risquent de naître sur la question de savoir sur la propriété de qui doit être imputée la distance de sécurité.
Nous réaffirmons également que le respect de l'existant, en termes de faune et de flore, devrait être prioritaire.
Nous souhaitons donc qu'il ne puisse plus être répondu à quelqu'un qui craint une contamination par les OGM que ce sont les plus gênés qui doivent s'en aller.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean Bizet, rapporteur. La commission est défavorable à l'amendement n° 110. Ses rédacteurs auront partiellement satisfaction si l'amendement n° 53 rectifié est adopté.
Elle est également défavorable à l'amendement n° 53 rectifié. En revanche, si le sous-amendement n° 241 est adopté, elle y sera favorable.
La commission est favorable au sous-amendement n° 241.
Elle est défavorable à l'amendement n° 194 rectifié, qui appelle les mêmes observations que l'amendement précédent.
Elle est favorable à l'amendement n° 192. Je ferai remarquer à M. Pastor que cela ne se passe pas si mal au Sénat pour l'opposition : quand ses amendements sont pertinents et constructifs, la majorité est ravie de les adopter !
La commission est défavorable à l'amendement n° 76.
Elle est également défavorable à l'amendement n° 111, car il est illogique : la contamination de cultures traditionnelles par des OGM est nécessairement fortuite. J'en veux pour preuve les stipulations de la directive 2001/18.
L'amendement n° 59 est satisfait. Il va de soi que la coexistence entre cultures traditionnelles et cultures d'OGM suppose le respect de la propriété privée. Je suis, d'ailleurs, ravi que M. Le Cam et les membres du groupe communiste républicain et citoyen soient soucieux du respect de la notion de propriété privée ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Un sénateur de l'UMP. C'est un progrès !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Le Gouvernement est favorable au principe d'un élargissement des compétences réglementaires pour les activités de l'amont, principe qu'il propose d'instaurer par le sous-amendement n° 241, et est donc plutôt défavorable à l'amendement n° 110 : il lui préfère son sous-amendement, qui vise à une limitation de l'extension - mais à une extension tout de même - du champ du domaine réglementaire pour les activités de l'amont.
À l'amendement n° 194 rectifié il préfère également le sous-amendement n° 241, pour les raisons que je viens d'exposer.
Le Gouvernement est favorable à l'amendement n° 192. Je précise que l'adoption de cet amendement entraînerait, de fait, un élargissement du champ des responsabilités en matière délictuelle. Il conviendrait donc de modifier la rédaction de l'article L. 671-14 du code rural, pour préciser exactement quelles sont les infractions constitutives d'un délit, faute de quoi nous nous heurterions à un risque d'inconstitutionnalité, risque auquel nous sommes tous sensibles. Le Gouvernement à déposé un amendement à l'article 4 visant à cette mise en cohérence.
Le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 76. Il ne peut évidemment être favorable au paragraphe I, compte tenu de sa position sur l'amendement n° 192, non plus qu'au paragraphe II, la directive visant plutôt la présence accidentelle d'OGM dans d'autres produits.
J'en viens à l'amendement n° 111 : le terme « accidentelle » étant utilisé dans la directive européenne, il paraît difficile de le supprimer.
Enfin, l'amendement n° 59 ne semble pas utile au Gouvernement, même si, sur le principe, ce dernier y serait plutôt favorable et comprend les objectifs de ses auteurs. Évoquer les propriétés privées et les ruchers ne lui paraît guère pertinent.
De toute façon, il va sans dire que le respect de la distance de recul incombe aux propriétaires de parcelles sur lesquelles sont cultivés des OGM. La jurisprudence est sans équivoque. Apporter une telle précision n'est donc pas nécessaire d'un point de vue juridique.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Pastor, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 241.
M. Jean-Marc Pastor. Madame la secrétaire d'État, sur ce sous-amendement qui nous renvoie aux différentes sources de contamination possibles, permettez-moi d'ouvrir une parenthèse. Si je ne suis certes pas producteur direct de maïs semence, je participe, en tant que maire, à l'organisation des îlots qui, implantés sur le territoire de ma commune, sont justement destinés à ce type de culture. Chaque année, en effet, nous discutons avec les agriculteurs concernés des distances minimales de séparation, lesquelles peuvent varier entre cinquante mètres et quatre cents mètres.
M. le rapporteur l'a dit tout à l'heure, dans le cas du maïs, la durée de vie du pollen est de deux heures. Étant donné que la phase de fécondation dure au maximum une heure et demie, il faut un coup de chance incroyable pour que la fécondation réussisse.
Par conséquent, lors des discussions sur l'implantation des îlots dont l'objet est d'éviter un certain nombre de contaminations, il convient de prendre en considération l'ensemble des critères, ce qui inclut la distance de séparation, la durée de vie du pollen et la phase de fécondation, mais aussi d'autres notions et, notamment, les vents dominants.
Or, madame la secrétaire d'État, par ce sous-amendement n° 241, vous proposez de supprimer trois éléments : le conditionnement, la transformation et la distribution. Ce n'est tout de même pas rien ! Vous êtes donc prête à accepter, par exemple, l'importation et l'entrée sur le territoire national d'un soja OGM, sans qu'il soit soumis aux conditions restrictives que vous entendez imposer aux agriculteurs français !
Mme Évelyne Didier. Très bien !
M. Jean-Marc Pastor. Votre proposition est, à mes yeux, pour le moins gênante. Certes, je souscris à votre objectif de prudence, car il faut mettre de la distance et poser des barrières par rapport aux agriculteurs qui produiraient éventuellement des semences et des produits OGM. Mais, de grâce! faisons en sorte que tous les produits entrant sur le territoire français soient soumis aux mêmes règles !
Si le sous-amendement n° 241 est adopté, certaines contraintes seront levées. Ainsi, le conditionnement, la transformation et la distribution du soja OGM venant du Brésil ne seront plus contrôlés ni soumis aux mêmes règles de protection. C'est bien de cela qu'il s'agit, madame la secrétaire d'État !
Par conséquent, je vous demande, en toute honnêteté, de corriger votre sous-amendement, faute de quoi vous allez introduire une distorsion entre les agriculteurs-producteurs de cultures OGM français et les autres, en laissant entrer sur le territoire national des produits sans règles ni mesures.
Mme Évelyne Didier. Et sans étiquettes !
M. Jean-Marc Pastor. Absolument, ma chère collègue !
Ce faisant, chacun pourra faire ce qu'il voudra. À terme, l'introduction d'une telle distorsion dans les grilles d'analyse n'est pas de nature à aller dans le bon sens, en tout cas pas dans celui de l'équité que, les uns et les autres, nous souhaiterions tout de même pouvoir intégrer à ce texte de loi.
M. Jean-Marc Pastor. La République est ébranlée ! Il n'y a plus d'équité sur le fond !
M. Gérard César, vice-président de la commission des affaires économiques. Pas du tout !
M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam, pour explication de vote sur l'amendement n° 53 rectifié, tel qu'il vient d'être modifié.
M. Gérard Le Cam. L'adoption du sous-amendement n° 241 du Gouvernement introduit une différence de traitement selon les parties concernées. D'un côté, le monde agricole, y compris les coopératives, est soumis à toutes les règles et à toutes les exigences possibles. De l'autre, dès qu'il s'agit des industriels et des grands transporteurs, les contraintes s'allègent. Je l'ai dit hier, dans le port du Havre, la cargaison des navires entiers que l'on décharge comprend des produits OGM. Selon ce qu'ils transportent, les camions qui partent portent la mention « Avec OGM » ou « Sans OGM », alors même que les produits proviennent des mêmes cales !
Dans la mesure où une partie de la filière est donc, en quelque sorte, dédouanée, il y a tout de même de quoi être inquiets pour l'avenir. Comme par hasard, il s'agit, encore une fois, des industriels et des transformateurs. Ce n'est pas normal !
M. le président. En conséquence, l'amendement n° 194 rectifié n'a plus d'objet.
Je mets aux voix l'amendement n° 192.
(L'amendement est adopté à l'unanimité.)
M. le président. Monsieur Le Cam, l'amendement n° 59 est-il maintenu ?
M. Gérard Le Cam. Mme la secrétaire d'État et M. le rapporteur considèrent que cet amendement est satisfait. Mais cela ne me « satisfait » pas totalement, loin s'en faut !
En effet, l'apiculteur auquel j'ai fait référence a été condamné par le tribunal de Marmande, et ce jugement a été confirmé en appel. Il lui a été demandé de reculer ses ruches ou de ne pas les installer à certaines périodes, ce qui est tout de même anormal ! J'espère donc que, dans les mois à venir, pareil cas ne se reproduira pas et que la justice voudra bien tenir compte de ce qui s'est dit ici même.
Je maintiens donc cet amendement, monsieur le président.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. Mes chers collègues, c'est à la majorité d'entre vous, convaincue des vertus des OGM, que je voudrais m'adresser. Cette conviction vous conduit finalement à vous éloigner de l'analyse que vous feriez dans d'autres domaines.
Pour appuyer ce que vient de dire M. Le Cam, je vais illustrer mon propos en prenant une situation similaire, mais dans une circonstance bien différente. Imaginez un lotissement de personnes âgées au côté duquel viendrait s'installer une boîte de nuit. Le bruit ainsi occasionné ne sera bien sûr pas mortel pour les pensionnaires, mais cette nuisance va indubitablement leur « pourrir » la vie. Vous qui êtes souvent aussi des élus locaux, il ne vous viendrait pas à l'idée d'aller dire à ces personnes âgées : si le bruit vous gêne, vous n'avez qu'à déménager !
Mme Évelyne Didier. Exactement !
Mme Marie-Christine Blandin. Or, je le confirme, c'est bien ce qui se passe en matière d'OGM. Le tribunal de Marmande n'a pas retenu le bien-fondé de la plainte déposée par cet apiculteur, lequel - je simplifie - s'est vu ordonner d'aller mettre ses ruches ailleurs !
Mes chers collègues, placez-vous donc dans la problématique plus large des nuisances du même genre. Vous n'aurez alors peut-être pas le même regard sur cet amendement. (MM. Jacques Muller et Gérard Le Cam applaudissent.)
M. le président. L'amendement n° 54 rectifié, présenté par MM. Soulage et Laffitte, est ainsi libellé :
Après le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 663-8 du code rural, insérer un alinéa ainsi rédigé :
« La culture d'organismes génétiquement modifiées est interdite dans les parcs naturels nationaux et dans les parcs naturels régionaux.
La parole est à M. Daniel Soulage.
M. Daniel Soulage. La table ronde n° 2 du Grenelle de l'environnement « Préserver et gérer la biodiversité et les milieux naturels » a conclu à la nécessité d'arrêter la perte de la biodiversité et de conforter la richesse du vivant, en affirmant notamment avec force : « La biodiversité est ainsi une réserve de réponses du vivant aux changements de l'environnement, qui ont été testées durant cette longue histoire. En amenuisant ce potentiel d'évolution, nous réduisons aussi notre capacité d'adaptation à la variabilité de l'environnement et, en particulier à celle du climat. C'est en ce sens que la biodiversité est notre assurance vie. »
Parallèlement, le projet de trame verte, maillant l'ensemble du territoire, a été affirmé, lui aussi avec force, à l'issue des travaux du Grenelle.
Les parcs naturels, qu'ils soient nationaux ou régionaux, ont pour objet de préserver un patrimoine naturel particulièrement remarquable. Ils forment la soupente de cette trame verte et, surtout, ils permettent de valoriser et de préserver la biodiversité de nos territoires. C'est pourquoi il nous semble indispensable de promouvoir une agriculture durable, sans OGM, dans ces zones particulièrement sensibles.
Mme Évelyne Didier. Bravo !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean Bizet, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement. En la matière, il faut que les choses soient claires, car il n'y a qu'une alternative possible.
Soit on pense que les plantes génétiquement modifiées sont dangereuses. Dans ce cas, il faut les interdire partout, et non uniquement dans certaines zones, les autres étant alors en quelque sorte sacrifiées.
Soit on considère, comme moi, qu'elles ne sont pas dangereuses. Dès lors que le principe de précaution a été respecté, cela signifie que les produits ont fait l'objet d'un examen très attentif avant d'être autorisés dans un cadre précis. Ces plantes peuvent alors être cultivées. Dans ce cas, on ne voit pas pourquoi leur culture devrait être interdite dans certaines zones.
M. Gérard César, vice-président de la commission des affaires économiques. Tout à fait !
Mme Évelyne Didier. Ce serait bien, pourtant !
M. Jean Bizet, rapporteur. Si nous nous engageons dans la voie qui nous est proposée par cet amendement, il est clair que c'est, en réalité, la majorité du territoire national qu'il faudra interdire aux plantes génétiquement modifiées. En outre, je ne suis pas sûr que les parcs nationaux soient des zones de grande culture agricole.
Par ailleurs, je le répète, il nous faut respecter la réglementation communautaire. Or l'adoption de cet amendement nous placerait précisément en porte-à-faux par rapport à ce cadre. Il importe également de préserver l'architecture présidant à nos débats sur ce projet de loi, en consacrant le droit de produire ou de consommer avec ou sans OGM. Pourquoi, alors, interdire aux agriculteurs qui le souhaitent de cultiver des produits OGM, quand bien même le périmètre de leur exploitation intégrerait des productions sous signes de qualité ou serait situé à proximité de telles cultures ?
Mes chers collègues, qu'il me soit permis en cet instant de remercier une nouvelle fois l'ancien Premier ministre, M. Jean-Pierre Raffarin, de m'avoir confié une mission de réflexion sur les produits sous signes de qualité. Ne l'oublions pas, ceux-ci représentent 20 % de l'ensemble des productions agricoles nationales. Ne négligeons donc pas les 80 % restants !
Ces produits jouissent d'une excellente image, à laquelle nous sommes très attachés. Il importe véritablement de ne pas la gâcher au travers d'un cahier des charges qui ne doit être qu'un engagement privé.
Je le répète, je suis défavorable à cet amendement. Nous avons déjà eu ce débat en 2006. Il ne faudrait pas que nous privions une partie de notre territoire de l'utilisation de cette technologie.
M. Gérard César, vice-président de la commission des affaires économiques. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Il s'agit d'un sujet extrêmement délicat, qui a déjà fait débat voilà presque deux ans, à l'occasion de l'examen d'un précédent projet de loi portant sur les OGM.
En effet, l'article 19 de la directive 2001/18/CE prévoit que, si un OGM a fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché, il peut être utilisé « sur tout le territoire de la Communauté pour autant que les conditions spécifiques d'utilisation et les environnements et/ou les zones géographiques précisés dans ces conditions soient strictement respectées. » Toute la question est de savoir si les parcs naturels nationaux et régionaux entrent dans ces catégories.
Dans la mesure où cet article 19 est ambigu dans sa deuxième partie, mais clair dans sa première partie, en précisant que l'OGM concerné peut être utilisé sur tout le territoire de la Communauté, nous sommes défavorables à cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Daniel Soulage, pour explication de vote.
M. Daniel Soulage. C'est justement parce qu'il n'y a pas d'agriculture intensive dans les parcs naturels qu'il me paraissait intéressant de les classer « Sans OGM ». Par ailleurs, je le redis, les conclusions du Grenelle de l'environnement préconisent, notamment, la mise en place d'une trame verte.
Puisque tout classement de ce type de zones n'est pas envisagé, une telle trame pourra-t-elle exister, s'intégrer à ces territoires en respectant les conditions fixées au niveau européen ? Madame la secrétaire d'État, il me tarde de connaître la réponse à ces questions !
Cela étant dit, monsieur le président, je retire mon amendement.
M. le président. L'amendement n° 54 rectifié est retiré.
Mme Marie-Christine Blandin. Je le reprends, monsieur le président !
M. le président. Il s'agit donc de l'amendement n° 54 rectifié bis.
Vous avez la parole pour le défendre, madame Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Le raisonnement de M. le rapporteur, selon lequel il existe, d'une part, des plantes génétiquement modifiées dangereuses, qu'il faut interdire partout, et, d'autre part, des plantes OGM dépourvues de dangerosité, dont la culture doit être autorisée dans les parcs, est quelque peu manichéen.
Tout d'abord, cette homogénéité trahit complètement la notion de territoire privilégié pour la biodiversité, et méconnaît les formes de développement que sont les parcs, ainsi que les chartes qui les portent et les définissent.
Ensuite, un impact de culture OGM ne se résume pas à sa dangerosité. Heureusement pour nous, d'ailleurs, car nous serions tous en train de faire nos valises ! Cet impact est aussi défini par la modification de la biodiversité qu'il entraîne. Ainsi, la commission nationale qui a en charge les parcs et qui valide les chartes promeut-elle un nombre croissant d'indicateurs, afin d'examiner si cette biodiversité est préservée ou, au contraire, si elle est altérée. Et nous savons que les cultures d'OGM vont les altérer.
Enfin, qui soumet les chartes des parcs pour validation au niveau national ? Ce sont les conseils régionaux ! Or, ils se sont manifestés lors des débats du Grenelle de l'environnement afin de porter haut et fort la revendication de création de territoires sans OGM.
Notre Constitution ne permet pas aujourd'hui, dans le cadre d'une décentralisation coûteuse mais chichement concédée, de réaliser cet objectif. Ce serait pourtant une belle opportunité, madame la ministre, monsieur le rapporteur, de montrer que la décentralisation ne se paie pas de mots et que, sur le territoire des parcs tout au moins, on en tient compte !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur. En matière de préservation de la biodiversité, il faut être très clair ! Tous les avis de l'INRA, et nos dernières discussions avec sa directrice générale l'ont confirmé, indiquent clairement que la présence de plantes génétiquement modifiées ne menace pas la biodiversité.
Mais j'en viens au coeur du sujet. La mesure que vous proposez, madame Blandin, est anti-communautaire ! Il n'a d'ailleurs échappé à personne que la demande émanant de l'ensemble des régions, qui revendiquent le droit d'être des « territoires sans OGM », est en fait une posture.
Or si l'on observe ce qui se passe dans d'autres pays, on constate qu'une telle posture, lorsqu'elle est adoptée par les régions, n'a jamais beaucoup de résultats, ces collectivités étant alors sanctionnées par la Commission européenne.
J'ajoute, sans vouloir être désagréable, qu'une posture n'est jamais bien éloignée de l'imposture...
Mme Marie-Christine Blandin. Prenez un miroir, monsieur le rapporteur !
M. Jean Bizet, rapporteur. Sur ce point précis, il est hors de question d'accéder à la demande formulée dans l'amendement n° 54 rectifié bis.
M. le président. La parole est à M. Pierre Laffitte, pour explication de vote.
M. Pierre Laffitte. Sur le principe, cet amendement me paraît parfaitement raisonnable.
Mais, compte tenu des avis émis par le Gouvernement et par la commission, je pense qu'il est important de revenir à la proposition, approuvée par le ministère, tendant à faire participer les collectivités locales au comité de biovigilance, d'une part, et à la Haute autorité, d'autre part.
Ce point me paraît fondamental. Les acteurs de proximité doivent pouvoir s'exprimer sur ces sujets, au même titre que les diverses associations, et il est souhaitable qu'une telle disposition soit introduite dans le projet de loi.
Pour ma part, je m'abstiendrai sur l'amendement n° 54 rectifié bis.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur. La demande de M. Laffitte a déjà été entendue, puisque nous avons rectifié préalablement un amendement en ce sens. Les représentants des collectivités locales font désormais partie du comité de la société civile du futur Haut conseil.
M. Gérard Longuet. Je remercie M. Soulage d'avoir retiré son amendement, même si celui-ci a été repris.
Pour ma part, j'aurais voté contre. En effet, pour avoir soutenu pendant douze ans un parc naturel régional, en tant que président de région, je tiens à vous dire que les parcs naturels régionaux sont d'abord des espaces ruraux vivants, au sein desquels travaillent des artisans, des salariés et des agriculteurs qui souhaitent bénéficier des meilleures chances de réussite.
Si nous voulons démotiver et démobiliser les élus ruraux, les agriculteurs, les artisans ruraux et les éloigner des parcs naturels, continuons à accumuler les contraintes ! D'ailleurs, nous recevons déjà des requêtes de conseils municipaux qui, pour manifester leur mauvaise humeur, demandent à quitter les parcs naturels régionaux. C'est exactement le contraire de ce que nous souhaitons faire !
C'est la raison pour laquelle nous devons repousser cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier, pour explication de vote.
M. Jacques Gautier. Je suivrai l'avis défavorable de M. le rapporteur. En effet, les mêmes régions qui ont fait ces effets d'annonce créent des terminaux pour importer les plants de soja OGM. Il faut savoir ce que l'on veut ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 227 rectifié, présenté par M. Soulage et les membres du groupe Union centriste-UDF, est ainsi libellé :
Après le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 663-8 du code rural, insérer quatre alinéas ainsi rédigés :
« Afin de prévenir la contamination des cultures non génétiquement modifiées par des essais en plein champ ou des mises en culture d'organismes génétiquement modifiés, des zones de protection peuvent être créées dans le périmètre desquelles l'autorité administrative interdit l'implantation de cultures d'organismes génétiquement modifiés.
« Les distances de protection s'entendent par nature de culture. Elles sont fixées par le ministère en charge de l'agriculture.
« Elles sont définies comme les distances à partir desquelles la dissémination entre les cultures est inférieure au seuil réglementaire. Ces distances prennent notamment en considération les distances de pollinisation, et pourront être pondérées par les tailles relatives des champs émetteurs et donneurs, les caractéristiques des vents dominants, la synchronisation des floraisons et l'hétérogénéité spatiales (haies, relief).
« Ces distances pourront être révisées tous les deux ans, sur la base de travaux scientifiques.
L'amendement n° 228 rectifié, présenté par M. Soulage et les membres du groupe Union centriste-UDF et M. Lafitte, est ainsi libellé :
Après le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 663- du code rural, insérer quatre alinéas ainsi rédigés :
« Afin de prévenir la contamination des cultures non génétiquement modifiées par des essais en plein champ ou des mises en culture d'organismes génétiquement modifiés, des zones de protection peuvent être créées dans le périmètre desquelles l'autorité administrative interdit l'implantation de cultures d'organismes génétiquement modifiés.
« Ces distances de protection sont de 100 mètres pour les cultures conventionnelles et de 300 mètres pour les cultures biologiques, pour les cultures allogames. Elles s'entendent par nature de culture.
« Elles peuvent cependant être réduites en tenant compte des tailles relatives des champs émetteurs et donneurs, des caractéristiques des vents dominants, de la synchronisation des floraisons et de l'hétérogénéité spatiales (haies, relief).
« Ces distances pourront être révisées tous les deux ans, sur la base de travaux scientifiques.
La parole est à M. Daniel Soulage.
M. Daniel Soulage. Monsieur le président, si vous n'y voyez pas d'inconvénient, je commencerai par présenter l'amendement n° 228 rectifié.
Les OGM suscitent des craintes, voire un rejet chez nos concitoyens et chez les agriculteurs biologiques, même s'ils représentent un atout pour notre agriculture. C'est pourquoi il est indispensable de permettre, dans un premier temps, une coexistence des cultures, en prévoyant une séparation physique stricte des cultures OGM, conventionnelles et biologiques par des zones de protection qui permettront de garantir une étanchéité entre les cultures transgéniques et les autres, afin de faciliter leur coexistence.
Je propose donc que l'autorité administrative fixe des intervalles obligatoires entre les champs de 100 à 300 mètres suivant le type d'agriculture pratiquée, ce qui est comparable aux distances fixées par le décret actuellement soumis au Bundesrat pour ratification. Ces espacements ont été fixés sur la base d'expertises scientifiques et devraient prévenir à peu près totalement la pollinisation et la contamination des cultures traditionnelles par les OGM : à une distance de 100 mètres, le risque de croisement entre espèces n'est plus que de 0,5 %.
Actuellement, la France recommande 25 mètres de distance minimum entre production de maïs OGM et production conventionnelle. Or, à 50 mètres, on détecte encore 1 % de pollen OGM, ce qui est supérieur au seuil réglementaire d'étiquetage de 0,9 %. Si l'on veut protéger efficacement les différentes filières, il est donc indispensable de prévoir un espacement suffisant entre les cultures concernées. Cet espacement doit être calculé de parcelle à parcelle, en prenant en compte l'exploitation dans son ensemble.
Enfin, il faudra prendre en compte l'historique des cultures sur les parcelles concernées, afin de s'assurer qu'un agriculteur ne se convertit pas au bio « par opportunisme » ou qu'il ne se lance pas dans la culture du maïs seulement pour éviter que son voisin ne puisse semer du maïs OGM.
La réglementation sur ces zones de protection devra, en outre, être régulièrement révisée à la lumière des nouvelles découvertes scientifiques.
Par ailleurs, le décret prévu par l'article 3 du projet de loi fixera les éventuels assouplissements à ces distances, liés au relief, au décalage des semis, à la séparation des récoltes, à la densité de cultures OGM, aux vents dominants, etc. On n'improvise rien : ce sont des méthodes que nous connaissons et que nous appliquons, en particulier pour les semences de maïs.
Enfin, ces zones de protection ne s'appliquent bien sûr qu'aux seules cultures allogames, comme le maïs.
J'en viens à l'amendement n° 227 rectifié. Il vise à mettre en oeuvre des distances de protection entre les cultures OGM et les autres types de cultures, propres à rassurer nos concitoyens ainsi que les agriculteurs biologiques, qui se sentent condamnés par les cultures d'OGM.
Au niveau européen, le projet SIGMEA, piloté en France par l'Institut national de la recherche agronomique, l'INRA, a été lancé en 2004 pour rassembler et analyser l'ensemble des données européennes sur le flux de gènes et les impacts environnementaux des principales espèces concernées par les OGM - maïs, colza, betterave, riz, blé -, analyser la faisabilité technique et la pertinence économique de la coexistence dans les principales régions européennes, proposer des outils d'aide à la décision publique et privée, et formuler des recommandations en termes de gestion et de gouvernance.
Les scientifiques ont ainsi déterminé toute une série de facteurs propres à limiter la dissémination des gènes modifiés, de façon à respecter le seuil réglementaire de 0,9 %.
Je cite directement les conclusions d'Antoine Messéan, directeur de l'unité Impacts écologiques des innovations en production végétale de l'INRA, concernant cette étude : « Les différents résultats obtenus par SIGMEA montrent que les probabilités sont graduées suivant le contexte cultural et suivant les caractéristiques de l'OGM envisagé.
« Pour le maïs, dans certaines situations, il peut suffire d'organiser la récolte séparément (à condition d'un accord entre agriculteurs) pour satisfaire des seuils même inférieurs au seuil réglementaire de 0,9 %. Sinon, des mesures comme des décalages de semis ou des distances d'isolement sont efficaces mais elles ne sont pas toujours faciles à appliquer. En cas de très grande densité de maïs ou pour des espèces comme le colza, la séparation géographique entre cultures OGM et cultures conventionnelles est la solution raisonnable.
« Enfin, pour les filières telles que l'agriculture biologique qui revendiquent une absence totale d'OGM dans leurs productions, la coexistence à l'échelle locale est en revanche techniquement impossible dans la plupart des cas ».
On peut trouver cette citation sur Internet. Ce n'est un secret pour personne !
Il est donc nécessaire de disposer de véritables zones de protection entre les différents types de cultures afin de permettre leur coexistence.
Les travaux de l'INRA ont mis en exergue que la taille relative des champs émetteurs et donneurs, la distance, la synchronisation des floraisons et les caractéristiques du vent sont les facteurs principaux expliquant les niveaux de pollinisation croisée entre champs de maïs. C'est pourquoi nous proposons que les ministres en charge de l'agriculture et de l'environnement définissent des distances de protection adaptées à chaque culture et à chaque zone de culture en fonction des différents critères énoncés.
Au moment où nous parlons, toutes les études d'opinion montrent qu'il existe un réel engouement pour les produits bios. Par ailleurs, le Grenelle de l'environnement a prévu que la production de l'agriculture biologique devait être multipliée par trois. Si nous voulons atteindre cet objectif, il faut que nos producteurs bios aient retrouvé la confiance.
La confiance, ils ne la retrouveront ni dans la lecture des articles publiés, ni en se référant à ce qui s'est passé ces dernières semaines ou ces derniers mois Si la science a avancé, il faut que les vérités soient démontrées à l'échelon local. J'invite donc à mettre en place, dans la transparence, une série d'essais dont les résultats seront publiés sous le contrôle de l'INRA.
M. Jean-Marc Pastor. Très bien !
M. Daniel Soulage. Je suis plutôt partisan d'une sévérité accrue à l'égard des faucheurs, car personne n'a le droit de mettre à mal le travail des scientifiques, mais il faut que la paix revienne. Par conséquent, gardons à l'esprit l'importance d'apaiser ceux qui se consacrent à une agriculture plus respectueuse de l'environnement. Ils ont d'autant plus besoin d'être rassurés sur la permanence de leurs activités que, à lire certains rapports, l'isolement ne pourrait être organisé que par région. Il ne reste donc plus à l'agriculteur biologique qu'à se préparer à la délocalisation !
M. Jean-Marc Pastor. Très bien !
M. Gérard Le Cam. Pour un peu, on les enverrait à Guantanamo !
M. Daniel Soulage. Le plus important, c'est de reconquérir la confiance perdue.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean Bizet, rapporteur. La commission est plutôt défavorable à l'amendement n° 227 rectifié et ce, pour trois raisons.
D'abord, parce qu'elle ne partage pas l'approche qui est celle de M. Soulage en termes de contamination.
Ensuite, parce que les prescriptions techniques doivent permettre la coexistence des cultures. Or ce qui est prévu ici, c'est l'exclusion des champs de plantes génétiquement modifiées, sans tenir aucun compte des recommandations des chercheurs qui ont mis en évidence la possibilité d'organiser la coexistence des cultures. C'est sur ce socle que repose l'architecture de l'ensemble du texte.
Enfin, parce que le droit communautaire ne permet pas de décréter des zones d'interdiction des OGM. Nous en revenons au principe posé par l'article 1er du projet de loi, la liberté de produire, avec ou sans OGM. Si cet amendement était adopté, cette liberté fondamentale serait compromise.
Avec une honnêteté intellectuelle à laquelle je rends hommage, l'auteur de cet amendement a souligné que, si certaines cultures non OGM étaient opportunément ou malicieusement localisées, cela empêcherait la culture de champs en OGM. Il a ainsi montré le danger de cet amendement, dont l'adoption rendrait impossible la culture OGM sur une certaine surface du territoire.
Je salue, à ce propos, les commentaires de notre collègue Gérard Longuet : si les parcs naturels régionaux méritent, plus que d'autres, une attention, ce ne sont pas des sanctuaires.
M. Gérard Longuet. Ou des mouroirs !
M. Jean Bizet, rapporteur. Nous devons veiller à ne pas en faire des ghettos, sauf à les voir peu à peu se désertifier, par le départ des acteurs et des créateurs de richesses eux-mêmes.
Daniel Soulage a appelé au retour à la confiance. Il a tout à fait raison ! Je peux regarder Michel Mercier droit dans les yeux et lui dire que la confiance, nous l'avons rétablie il y a quelques années en votant la Charte de l'environnement. Vous étiez présent, mon cher collègue, comme Mme la secrétaire d'État, alors rapporteur du texte à l'Assemblée nationale.
Ce principe de précaution est là pour restaurer la confiance. C'est aussi un principe d'action, un principe d'anticipation, non un principe de suspicion, comme il est malheureusement de plus en plus perçu par nos concitoyens.
Je rejoins donc notre collègue Daniel Soulage dans son acte de foi, que je ne veux pas croire sans lendemain. Mais, honnêtement, je ne peux, au nom de la commission, que donner un avis défavorable sur l'amendement n° 227 rectifié.
Sur l'amendement n° 228 rectifié, l'avis est également défavorable, en raison d'une connotation de nature réglementaire inappropriée.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. L'amendement n° 228 rectifié nous gêne dans la mesure où il revient à fixer dans la loi des distances révisables tous les deux ans. Or, ces distances doivent être fixées à l'échelon réglementaire, conformément à l'article L.663-8 du code rural.
Le Gouvernement est donc clairement défavorable à l'amendement n° 228 rectifié.
L'amendement n° 227 rectifié pose des problèmes différents. Le Gouvernement pourrait être favorable au premier et au quatrième paragraphe.
Il n'en va pas de même du troisième paragraphe, les précisions qu'il contient ne nous semblant pas relever de la loi.
Le deuxième paragraphe ne nous convient pas non plus : le Gouvernement a, en effet, déposé un sous-amendement - nous l'examinerons ultérieurement - pour que les distances soient fixées par le ministère en charge de l'agriculture, après avis du Haut conseil des biotechnologies et du ministère en charge de l'environnement.
Telles sont les raisons pour lesquelles, en l'état, nous ne pouvons pas être favorables à l'amendement n° 227 rectifié.
M. le président. Monsieur Daniel Soulage, maintenez-vous ces amendements ?
M. Daniel Soulage. Je retire d'ores et déjà l'amendement n° 228 rectifié, car la fixation des distances est d'ordre réglementaire.
Je suis prêt à modifier une nouvelle fois la rédaction de l'amendement n° 227 rectifié, pour tenir compte des souhaits de Mme la ministre.
M. Michel Mercier. Pour prendre en considération ce qu'a dit Mme la ministre et recueillir un avis favorable du Gouvernement, nous sommes prêts à supprimer le paragraphe 3 et à modifier le paragraphe 2 de l'amendement n° 227 rectifié
. Nous pourrions prévoir que, pour la fixation des distances, le ministère de l'environnement sera associé au ministère de l'agriculture. A moins que nous ne nous contentions de mentionner « par l'autorité réglementaire », sans plus de précision !
M. le président. Pour la clarté du débat, je vais faire le point.
Serait conservé le paragraphe 1. Le paragraphe 2 pourrait être ainsi rédigé : « Les distances de protection s'entendent par nature de culture. Elles sont fixées par les ministères en charge de l'agriculture et de l'environnement. » Le paragraphe 3 serait supprimé et le paragraphe 4, conservé.
La parole est à M. le vice-président de la commission.
M. Gérard César, vice-président de la commission des affaires économiques. Pour clarifier le débat et nous permettre d'étudier en profondeur les rectifications proposées, je demande une suspension de séance.
M. le président. Le Sénat va, bien sûr, accéder à votre demande.
Nous allons donc interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
M. le président. La séance est reprise.
6
Questions d'actualité au Gouvernement
M. le président. L'ordre du jour appelle les réponses à des questions d'actualité au Gouvernement.
Je rappelle que l'auteur de la question ainsi que la ou le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes trente.
la dépendance
M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel.
M. Claude Domeizel. Ma question s'adresse à M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, le Président de la République a réuni hier les partenaires sociaux afin d'évoquer les réformes sociales à venir. Le programme est particulièrement chargé !
M. Roland Courteau. Ça, c'est sûr !
M. Claude Domeizel. Plus de huit textes sont annoncés simultanément. Sauf qu'à tout vouloir faire en même temps on risque la thrombose sociale,...
M. Josselin de Rohan. Quand on ne fait rien, ils ne sont pas contents non plus !
M. Claude Domeizel. ... mais nous commençons à être habitués à la frénésie présidentielle. Il est vrai aussi que nous sommes à la veille d'élections importantes et que les effets d'annonce peuvent toujours servir !
M. Jean-Marc Pastor. On l'a vu avec les OGM !
M. Claude Domeizel. Au programme, entre autres choses : retraites, organisation du système de santé, politique familiale et dépendance des personnes âgées...
S'agissant précisément de la dépendance des personnes âgées, au vu des annonces qui viennent d'être faites, le Gouvernement et sa majorité parlementaire semblent soudain redécouvrir ce dossier à travers la mission mise en place ici, au Sénat.
Monsieur le ministre, vous voulez réformer une loi dont l'application n'a donné lieu à aucun bilan.
Peut-être craignez-vous de vous apercevoir que, depuis 2003, vous ne respectez pas vos engagements, puisque, d'un financement à égalité entre l'État et les départements, nous sommes passés à un financement assuré à 70 % par les conseils généraux et à 30 % par l'État !
M. Roland Courteau. Bien dit !
M. Guy Fischer. Voilà la vérité !
M. Charles Revet. Vous n'aviez rien fait !
M. Claude Domeizel. En effet, depuis 2003, la participation de l'État n'a pas varié, alors que le nombre de bénéficiaires a pratiquement doublé, passant de 550 000 à un million.
M. René Garrec. Et ce n'est pas fini !
M. Claude Domeizel. Mais, dans vos effets d'annonce, pas la moindre trace d'un euro supplémentaire ! Il est vrai que les 15 milliards d'euros de cadeaux fiscaux faits l'été dernier aux plus riches (Exclamations sur les travées de l'UMP)...
M. Alain Gournac. Ça faisait longtemps !
M. Claude Domeizel. ...vous empêchent aujourd'hui d'avoir un regard social en direction de ceux qui en ont le plus besoin.
M. Robert Hue. Eh oui !
M. Josselin de Rohan. C'est bien long, monsieur le président !
M. Claude Domeizel. En clair, les Français n'auront désormais d'autre recours face à la dépendance que leurs propres moyens, soit en utilisant leur patrimoine - s'ils en ont un -, soit en contractant des assurances privées. À moins qu'en réponse à ma question...
M. le président. Venez-en justement à votre question, monsieur Domeizel.
M. Claude Domeizel. ...vous ne fassiez des annonces...
M. Guy Fischer. Deux cents euros !
M. Claude Domeizel. ...qui nous laissent augurer que vous n'avez pas sonné le glas de toute perspective de prise en charge solidaire de la dépendance dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Monsieur le sénateur, ce qui pourrait créer une « thrombose sociale » dans notre pays, c'est l'absence de réforme,...
M. René Garrec. Juste !
M. Xavier Bertrand, ministre. ...mais, rassurez-vous, nous mènerons toutes les réformes dont notre pays a besoin ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. Jacques Mahéas. Pas de doute que la réforme fiscale fonctionne bien...
M. Guy Fischer. Deux cents euros !
M. Xavier Bertrand, ministre. D'ailleurs, ces réformes, nous ne les avons pas décidées seuls dans nos bureaux : ce sont les Français qui les ont voulues,...
M. Guy Fischer. On sait ce qu'ils en pensent !
M. Xavier Bertrand, ministre. ...ce sont les Français qui les ont validées en mai dernier en votant pour Nicolas Sarkozy ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. Jacques Mahéas. On verra aux municipales !
M. Claude Domeizel. Vos réformes ne sont pas sociales !
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie !
M. Xavier Bertrand, ministre. Vous parlez fort bien de réforme, monsieur Domeizel, et pourtant, pour bien parler de réforme, il faut avoir des références, ce qui en la matière n'est pas vraiment le cas des socialistes ! (Rires sur les travées de l'UMP.- Protestations continues sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Certes, vous avez créé l'APA, l'allocation personnalisée d'autonomie, mais pourquoi n'êtes-vous pas allés au bout de votre logique en prévoyant également le financement ? Instituer une prestation, c'est bien ; la financer, c'est tout de même beaucoup mieux ! (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Jacques Mahéas. Et le fonds de réserve pour les retraites ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Vous portez un jugement sévère sur ce qui, en fait, incombe aux socialistes, mais, rassurez-vous, les erreurs commises par le parti socialiste,...
Mme Raymonde Le Texier. C'est faux !
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Roland Courteau. Vous ne connaissez pas votre dossier !
Mme Raymonde Le Texier. Et c'est de votre gouvernement que nous parlons, pas d'un autre !
M. Xavier Bertrand, ministre. Nous avons une proposition à vous faire. (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.)
Le sujet de la dépendance peut-il être de gauche ou de droite ? Je ne le crois pas. Nous sommes face à un défi. Il y a aujourd'hui 1,3 million de personnes de plus de quatre-vingt-cinq ans en France ; en 2015, c'est-à-dire demain, elles seront 2 millions. Face à cette évidence, nous avons la possibilité d'avoir un débat serein, fondé sur une évaluation exacte des besoins...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et le financement ?
M. Xavier Bertrand, ministre. ...pour assurer à toutes ces personnes soit un soutien à domicile, soit des places dans des maisons de retraite, avec une exigence : aller au-delà de la médicalisation et inventer les maisons de retraite de demain.
M. Guy Fischer. Les maisons de retraite du xxie siècle !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et même du xxiie siècle !
M. Xavier Bertrand, ministre. Il nous faut faire en sorte, monsieur Domeizel, que le reste à charge ne prive pas les personnes âgées d'une place en établissement.
M. Guy Fischer. Parlons-en, du reste à charge !
M. Claude Domeizel. Qui va payer ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Aujourd'hui, ce reste à charge est en moyenne de 1 500 euros et même, du fait du prix du foncier,...
M. Xavier Bertrand, ministre. ... de plus de 2 200 euros en région parisienne. Ces évidences s'imposent à tous.
Conformément à la volonté exprimée hier par Président de la République, qui nous a chargés, Valérie Létard et moi-même, de conduire ce chantier, nous avons convenu avec les partenaires sociaux d'une méthode et d'un calendrier.
Dès lors, monsieur Domeizel, ce que je propose, c'est que nous relevions ensemble le défi de la dépendance : laissons la polémique et la politique loin derrière nous, car c'est ce que les Français attendent ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Claude Domeizel. Et qui va payer ?
M. Ivan Renar. Errare humanum est, perseverare diabolicum !
calendrier social: minimum vieillesse et retraite
M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.
M. Claude Biwer. Ma question s'adresse à M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité.
La problématique du pouvoir d'achat constitue, nous le savons tous, l'une des préoccupations majeures des Français.
Nos compatriotes sont victimes d'un phénomène de ciseaux avec, d'un côté, une hausse des prix des produits de base - pain, lait, fruits, etc. - mais aussi des loyers, du gaz, du fioul et, de l'autre côté, des revalorisations salariales qui ne permettent pas de compenser cette évolution, ce qui ampute leur revenu disponible.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Jacques Mahéas. Très juste !
M. Claude Biwer. Et ce problème concerne tout le monde, les actifs du secteur privé, durablement « plombé » par les 35 heures,...
M. Rémy Pointereau. Il est bon de le rappeler !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En France, on travaille en moyenne plus que dans les autres pays européens !
M. Claude Biwer. ...comme ceux du secteur public, où les hausses de traitement n'ont pas été à la hauteur des espérances.
M. Paul Raoult. Depuis sept ans !
M. Claude Biwer. Mais il concerne aussi les 13 millions de retraités, qui, par définition, ne font pas grève et défilent peu.
N'oublions pas que, parmi ceux-ci, figurent aussi les retraités de l'artisanat, du commerce et de l'agriculture, à qui il avait été un moment annoncé que la réforme des retraites leur garantirait une retraite équivalente à 85 % du SMIC, but qui n'a pas été atteint.
Les plus hautes autorités de l'État ont pris récemment la mesure du problème, et je les en remercie.
Le Premier ministre a annoncé ces jours derniers une revalorisation de 25 % en cinq ans du minimum vieillesse...
M. Guy Fischer. Deux cents euros !
M. Claude Biwer. ...et précisé que les pensions de réversion seraient progressivement portées à 60 % du salaire d'activité.
M. Robert Bret. S'il l'a dit, cela doit être vrai...
M. Claude Biwer. De son côté, le Président de la République a décidé hier d'accorder à chacun des bénéficiaires du minimum vieillesse une prime de 200 euros comme avance à valoir sur les revalorisations à venir.
Cependant, malgré l'effort budgétaire que cela représente, je crains que ce ne soit pas suffisant.
M. Guy Fischer. Ah! Merci!
M. Claude Biwer. C'est ce qui me conduit à poser quatre questions. (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est trop pour le Gouvernement !
M. Claude Biwer. À quelle date interviendra la revalorisation de 5 % du minimum vieillesse prévue pour 2008 ?
Quelle sera l'importance du relèvement des pensions de réversion en 2008 ?
Le Gouvernement envisage-t-il de donner un coup de pouce supplémentaire...
M. Charles Gautier. Oh là !
M. Claude Biwer. ...aux 12 millions de retraités qui ne sont pas au minimum vieillesse, dans la mesure où seule une augmentation de 1,1 % est prévue pour eux en 2008 ?
M. le président. Il vous faut terminer, monsieur Biwer !
M. Claude Biwer. Enfin, compte tenu du déficit de l'assurance vieillesse, ne conviendra-t-il pas de conduire très rapidement une réflexion sur le financement des retraites ? (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Monsieur le sénateur, nous tiendrons tous les engagements pris devant les Français.
M. Guy Fischer. Ah!
M. Roland Courteau. Mais oui ! Comme pour la croissance...
M. Xavier Bertrand, ministre. Cela signifie en particulier que nous tiendrons nos engagements envers celles et ceux qui ne peuvent pas ou ne peuvent plus travailler.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. À quatre-vingt-quinze ans ?
M. Xavier Bertrand, ministre. La volonté du Gouvernement, vous le savez, est de valoriser ceux qui travaillent,...
M. Jacques Mahéas. Jusqu'à quel âge ?
M. Xavier Bertrand, ministre. ...c'est de ramener vers l'emploi ceux qui ne travaillent pas aujourd'hui, mais c'est aussi de veiller au pouvoir d'achat des retraités.
Nous l'avons dit, nous le ferons : le minimum vieillesse sera augmenté de 25 % durant ce quinquennat, et cette augmentation commencera à prendre effet en 2008.
Lors de la réunion de travail qui s'est tenue hier avec Roselyne Bachelot-Narquin, Éric Woerth, Éric Besson, Martin Hirsch et Valérie Létard,...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tout ça !
M. Xavier Bertrand, ministre. ...nous avons décidé d'une méthode s'agissant des retraites.
Dès le mois prochain, nous engagerons - là encore - des discussions avec les partenaires sociaux de façon à pouvoir présenter au Parlement pour l'été un texte qui constituera le rendez-vous 2008 pour les retraites.
Ce texte portera donc sur la revalorisation de 25 % du minimum vieillesse sur l'ensemble du quinquennat, mais aussi sur les pensions de réversion, car le taux actuel de 54 % de la pension du conjoint défunt est insuffisant et nous voulons le porter à 60 %.
M. Jacques Mahéas. Qui paye ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Monsieur Biwer, pour répondre précisément à votre question, nous voulons également garantir le pouvoir d'achat de l'ensemble des retraités, mais pour ce faire nous devons connaître exactement le taux d'inflation et examiner avec les partenaires sociaux le rythme de progression des petites retraites,...
M. Jacques Mahéas. Ah !
M. Guy Fischer. C'est 1,1 % !
M. Xavier Bertrand, ministre. ...car, nous, nous respectons les partenaires sociaux et, lorsque nous nous mettons d'accord sur une méthode avec eux, nous appliquons jusqu'au bout cette méthode ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.- Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Xavier Bertrand, ministre. Le Président de la République a en revanche souhaité que l'on n'attende pas les discussions avec les partenaires sociaux...
M. Jacques Mahéas. Il prend donc des décisions avant de les consulter ?...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pour faire des effets d'annonce !
M. Xavier Bertrand, ministre. Voilà pourquoi une somme de 200 euros sera versée dès le mois d'avril.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Poisson d'avril !
M. Xavier Bertrand, ministre. Cette mesure sera financée par le fonds de solidarité vieillesse, dont l'excédent va largement dépasser les 120 millions d'euros ici nécessaires.
M. Guy Fischer. Et voilà !
M. Xavier Bertrand, ministre. Ainsi, et c'est mieux que les grands discours, la volonté d'améliorer le pouvoir d'achat des retraités les plus modestes se traduira en actes concrets dès le mois d'avril ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Dominique Braye. Les Français vous en seront reconnaissants !
M. Jacques Mahéas. Les caisses sont vides !
M. Jean-Pierre Sueur. Il n'y a plus de sous !
M. Guy Fischer. Ce sont les retraités eux-mêmes qui paieront pour les plus pauvres d'entre eux !
mittal
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Ma question s'adresse à M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité.
Le bassin d'emploi de la Lorraine subit à nouveau des coups très rudes : le site de Gandrange et ses 995 emplois directs sont menacés et le groupe Michelin veut fermer son usine de Toul, forte de 826 salariés.
Avec l'usine d'Arcelor-Mittal, quarante entreprises sous-traitantes présentes sur le site vont elles aussi être durement touchées. Cela représente environ 1 200 personnes si l'on compte les cocontractants et les intérimaires. Ces derniers ont souvent plusieurs années d'ancienneté, mais ils ne seront pas concernés par les plans sociaux si l'on en arrive à cette extrémité.
Face à cette décision purement financière, comme le confiait l'un des patrons européens du groupe aux syndicats, le Président de la République et le Gouvernement entretiennent un trouble inacceptable pour les salariés.
Nicolas Sarkozy, lors de sa visite à Gandrange, assurait que l'État était « prêt à prendre en charge tout ou partie des investissements nécessaires ». S'agit-il, une nouvelle fois, d'un exercice de communication ou d'un véritable engagement ? Après les récents propos de Mme Lagarde, qui mettent un sérieux bémol à l'engagement présidentiel,...
M. Robert Hue. Ça...
Mme Évelyne Didier. ...on peut légitimement se poser cette question.
En effet, Mme la ministre de l'économie, des finances et de l'emploi a déclaré à l'Assemblée nationale qu'il était « hors de question que l'État subventionne le sauvetage de l'usine » mais, mardi dernier, elle rappelait que le PDG d'Arcelor-Mittal s'était engagé à attendre début avril un contre-projet de l'intersyndicale.
Pourtant, la direction du site a annoncé ces jours-ci la remise du rapport d'expertise pour le 3 mars prochain, lors d'un comité d'entreprise extraordinaire. Elle est même déjà en train de proposer des reclassements à certains salariés !
Monsieur le ministre, quand nous direz-vous enfin la vérité ? L'État peut-il intervenir dans une entreprise rattachée à un grand groupe international qui réalise huit milliards d'euros de bénéfices en 2007 ?
Le Président de la République citait le cas d'Alstom, mais Mittal ne se trouve pas dans la même situation !
M. Robert Hue. Absolument !
M. Charles Gautier. Mittal ? C'est son ami !
Mme Évelyne Didier. L'État n'est pas actionnaire de cette entreprise ! Comment va-t-il donc convaincre Arcelor-Mittal, l'unique propriétaire ? Le Président de la République pourra-t-il tenir ses promesses ?
M. Charles Revet. Il le faudra bien !
Mme Évelyne Didier. Et, si je puis me permettre, monsieur le ministre, pourriez-vous être précis dans votre réponse, par respect pour les salariés qui nous écoutent ? Car, voyez-vous, le langage approximatif, cela ne passe plus en Lorraine ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Robert Bret. Encore lui ? Mais ils sont où, les autres ?
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Madame la sénatrice, ce sujet est suffisamment grave pour qu'on l'aborde avec le plus grand sérieux.
M. Dominique Braye. Bien sûr !
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Xavier Bertrand, ministre. Je n'ai pas entendu dans votre question que vous proposiez de solution.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est précisément pour en avoir que nous vous interrogeons !
M. Xavier Bertrand, ministre. Mais, rassurez-vous, nous allons, nous, en apporter !
J'étais lundi dernier à Gandrange avec le Président de la République, et savez-vous exactement ce qui a été dit aux ouvriers ?
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est nous qui posons les questions !
M. Xavier Bertrand, ministre. Le Président de la République a répondu très clairement : non, la situation que connaît le site de Gandrange n'est pas une fatalité. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Contrairement à d'autres, naguère - leurs propos en témoignaient ! -, nous cherchons des solutions et souhaitons que l'État ne laisse pas seuls les salariés, qu'ils travaillent chez Arcelor-Mittal ou chez ses sous-traitants. En effet, comme l'a affirmé le Président de la République, ces salariés ne sont pas habillés de la même façon, mais ils travaillent dans la même usine, et ils doivent donc recevoir la même attention.
Nous savons que Mittal est responsable vis-à-vis de ses salariés, mais nous n'avons pas l'intention pour autant d'oublier les sous-traitants.
M. Jean-Luc Mélenchon. Paroles, paroles !
M. Xavier Bertrand, ministre. Comme l'a souligné également le Président de la République, nous préférons apporter des moyens financiers pour faire vivre ce site, ...
M. Jacques Mahéas. Donc ce n'est pas l'entreprise qui doit vivre, c'est le site !
M. Xavier Bertrand, ministre. ... plutôt que pour financer des préretraites ou attendre que les personnes concernées retrouvent un emploi. Oui, nous préférons investir dans un site comme celui-ci, d'autant que nous savons que l'acier a de l'avenir.
Alors que l'on fabrique de plus en plus d'acier dans le monde, nous pouvons d'ailleurs légitimement nous poser la question : pourquoi fermer une usine dans un secteur qui a de l'avenir ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nationalisez-la, alors !
M. Roland Courteau. Lesquelles ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Mais elles exigent un partenaire : le Président de la République a reçu M. Mittal avant de se rendre à Gandrange. Il a pris ensuite l'engagement de recevoir de nouveau les organisations syndicales, ...
M. Robert Hue. Cela ne leur suffit pas !
M. Xavier Bertrand, ministre. ... et de revenir sur le site de Gandrange, afin que nous puissions trouver des solutions pour les ouvriers, ...
M. Jean-Pierre Caffet. Lesquelles ?
M. Xavier Bertrand, ministre. ...à la lumière du dialogue social, qui existe dans cette entreprise, et en tenant le calendrier qui a été fixé.
J'étais avec le Président de la République. Ceux qui se trouvaient là-bas, et notamment les ouvriers de Mittal, savent bien que la situation n'est pas facile et qu'il ne suffit pas de poser le problème pour dégager des solutions. Toutefois, ils ont bien compris que le Président de la République et l'État seraient à leurs côtés dans ce dossier, qui n'est pas le plus facile qui soit, mais dont j'ai le sentiment qu'il sera réglé. Et vous verrez alors si nous avons tenu, ou non, nos engagements.
M. Roland Courteau. Nous verrons, en effet !
M. Robert Bret. C'est tout vu !
M. Xavier Bertrand, ministre. En effet, la grande différence entre ce mandat présidentiel et les précédents, c'est que nous tiendrons tous nos engagements ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Le Président de la République sera aux côtés des habitants de cette région et des ouvriers, du début jusqu'à la fin. Je vous donne donc rendez-vous, mesdames, messieurs les sénateurs, ainsi qu'aux ouvriers concernés. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Robert Hue. On ne vous croit plus sur parole !
M. Jacques Mahéas. C'est la litanie habituelle !
M. Dominique Braye. Sarkozy, ce n'est pas Jospin !
M. Jean-Luc Mélenchon. Ça, c'est clair !
M. le président. La parole est à M. Georges Othily.
M. Georges Othily. Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.
Le Président de la République se rendra en Guyane les 11 et 12 février prochain. Le développement économique se trouve au coeur de nos préoccupations et nous attendons beaucoup d'une rencontre entre le chef de l'État et l'ensemble des acteurs socio-économiques.
Monsieur le secrétaire d'État, que pouvons-nous en espérer ?
Par ailleurs, le Sénat et l'Assemblée nationale vont bientôt interrompre leurs travaux, comme le veut l'usage républicain, à l'approche d'élections importantes pour notre pays. C'est l'occasion, je crois, de tirer un premier bilan des réformes engagées par le Gouvernement depuis le mois de juin dernier.
Monsieur le secrétaire d'État, certains estiment que le Parlement est trop sollicité et le rythme des réformes trop intense. D'autres jugent que les résultats concrets se font désirer.
M. Charles Gautier. C'est vrai !
M. Roland Courteau. Oh oui !
M. Robert Bret. Et vous êtes encore loin du compte !
M. Georges Othily. Pour ce qui me concerne, je considère que le Sénat a pris sa part dans ce train de réformes engagées, depuis huit mois, à un rythme que je qualifierais de soutenu, c'est même le moins que l'on puisse dire !
Conformément à sa tradition et, ajouterai-je, à sa raison d'être, notre assemblée a contribué largement à l'amélioration des textes proposés par le Gouvernement, et je ne doute pas qu'il en ira de même à la rentrée, après les élections municipales et cantonales.
À l'occasion de ces échéances électorales, il importe d'éclairer nos concitoyens sur l'action menée par le Gouvernement depuis juin dernier.
Monsieur le secrétaire d'État, ma question est donc très simple : après huit mois, quel bilan concret tracez-vous des réformes engagées pour nos concitoyens ? Dans la perspective de la reprise de nos travaux, quel programme le Gouvernement entend-il nous soumettre, et à quel rythme ? (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. Jacques Mahéas. La question est téléphonée !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est une question facile ! Il suffit de lire Le Figaro pour avoir la réponse !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Monsieur Othily (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste), vous avez posé deux questions en une ; je m'efforcerai de répondre à chacune d'entre elles.
Tout d'abord, le Président de la République se rendra effectivement en Guyane le 11 février prochain.
Il aura alors l'occasion de vous préciser comment nous comptons développer les zones franches globales destinées aux entreprises, dans le cadre de la loi de programmation pour l'outre-mer qui sera discutée par le Parlement au printemps prochain.
Afin de favoriser l'intégration de la Guyane dans son environnement régional, le chef de l'État rencontrera le président Lula. Il prendra et annoncera un certain nombre de mesures de sécurité qui sont tout à fait nécessaires dans ce département. Enfin, dans le cadre du Grenelle de l'environnement, il présentera certaines dispositions relatives au développement durable de la Guyane.
S'agissant à présent des réformes, nous avons effectivement suivi un rythme soutenu, et je vous en remercie tous, mesdames, messieurs les sénateurs, quelle que soit votre orientation politique.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il n'y a pas de quoi !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Vingt-quatre lois ont été votées et promulguées depuis le 1er juillet dernier.
M. Paul Raoult. Mais quid des décrets d'application ?
M. Jacques Mahéas. N'espérez pas le pire !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Il est tout à fait clair - je le dis ouvertement à la représentation nationale - que le rythme des réformes non seulement ne fléchira pas, mais sera aussi soutenu, voire encore plus rapide, au printemps prochain.
Vous le savez, un certain nombre de réformes fortes nous attendent, s'agissant de la modernisation de l'économie, du Grenelle de l'environnement, ...
M. Roland Courteau. S'agissant aussi de la rigueur !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. ...s'agissant aussi de diverses mesures sociales, du marché du travail, ...
M. Charles Gautier. De la TVA sociale...
M. Robert Bret. Des marchés financiers ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. ... et de la loi pénitentiaire, entre autres. Il est donc nécessaire que le Parlement travaille, et beaucoup !
Pour mettre fin à une désinformation chronique, j'ajouterai que les lois que vous avez votées, mesdames, messieurs les sénateurs, commencent à produire leurs effets, comme nous le voyons déjà. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jacques Mahéas. Sur le commerce extérieur, notamment !
M. Charles Gautier. Oui, les salaires baissent et les prix montent !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Par exemple, avant l'adoption du projet de loi pour le pouvoir d'achat - et je parle sous le contrôle de Xavier Bertrand -, 20 % des entreprises de moins de dix salariés proposaient des heures supplémentaires. Au mois d'octobre, 40 % de ces entreprises offraient 20 millions d'heures supplémentaires. Au mois de novembre, elles sont 50 %, pour 40 millions d'heures supplémentaires. (Mêmes mouvements sur les mêmes travées.)
M. Jacques Mahéas. Et en décembre ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En janvier, 200 % !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et les chômeurs ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, les heures supplémentaires ne sont pas faites pour ces riches que vous dénoncez tant, mais pour tous les salariés ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Paul Raoult. Allez le dire à ceux qui cherchent un emploi !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. De la même manière, 95 % des héritages ne sont plus soumis aux droits de succession, et nous allons monétiser les RTT - là encore, je m'exprime sous le contrôle de Xavier Bertrand. En outre, nous avons réformé les loyers et les dépôts de garantie, grâce au texte que vous avez adopté, mesdames, messieurs les sénateurs.
M. le président. Il faut conclure, monsieur le secrétaire d'État !
Mme Raymonde Le Texier. C'est bien dommage !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Je conclus, monsieur le président.
On nous disait qu'il était impossible de réformer les universités, et elles ont toutes adopté un statut d'autonomie. On nous disait que les peines plancher étaient contraires à notre tradition judiciaire, et 4 500 de ces peines ont été prononcées en trois mois.
Mme Raymonde Le Texier. Il n'y a pas de quoi être fier !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quand tout le monde sera en centre de rétention, vous aurez pleinement réussi !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Monsieur Othily, ce train de réformes a donc commencé à produire ses effets.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement, collectivement, porte une responsabilité, celle de transformer le pays, parce que c'est lui qui compte ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Xavier Pintat.
M. Xavier Pintat. Ma question s'adresse à M. le ministre de la défense.
Avant tout, permettez-moi de rendre hommage au remarquable travail des soldats français au Tchad, dont on parle trop peu.
M. Gérard César. C'est vrai !
M. Xavier Pintat. La capitale N'Djamena a vécu samedi dernier une tentative de renversement du gouvernement d'ldriss Déby par des groupes rebelles. Ces affrontements ont provoqué de très nombreux morts et blessés parmi les combattants, mais également au sein de la population civile. Environ 30 000 Tchadiens se sont réfugiés au Cameroun voisin.
Cette tentative de prise de pouvoir par la force a été fermement condamnée par l'Union européenne, ainsi que par le Conseil de sécurité des Nations unies, à travers la déclaration de son président.
C'est dans ce contexte que les troupes françaises, déployées dans le cadre de l'opération Épervier, ont procédé avec rapidité et efficacité à l'évacuation de plusieurs centaines de ressortissants français et étrangers présents sur place, notamment les personnels des ambassades d'Allemagne et des États-Unis.
Il convient de rappeler que les troupes françaises, injustement mises en cause par l'Alliance rebelle dirigée par le général Nouri, n'ont en rien pris part aux combats entre les deux belligérants. Elles ont strictement respecté les termes de l'accord de coopération technique qui nous lie au Tchad et porté secours aux blessés tchadiens, qui ont été transférés dans les hôpitaux, y compris donc à l'hôpital militaire français.
M. le ministre de la défense revient tout juste du Tchad. Monsieur le secrétaire d'État chargé de la coopération et de la francophonie, alors qu'un calme tout relatif semble être revenu dans la capitale, N'Djamena, pouvez-vous faire le point sur la mission assignée aux forces françaises, au regard de nos accords avec le Tchad mais aussi de la déclaration du Conseil de sécurité ?
Par ailleurs, pouvez-vous nous dire comment se présente la poursuite du déploiement de la force européenne Eufor ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Mal !
M. Xavier Pintat. Les vingt pays participants viennent de réaffirmer leur engagement lors de la dernière réunion du Comité politique et de sécurité, le COPS, à Bruxelles.
Monsieur le secrétaire d'État, peut-on espérer une reprise rapide du déploiement de cette mission indissociable de la mise en place de la force hybride de l'Union africaine et des Nations unies au Darfour ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il est ministre de la défense ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État chargé de la coopération et de la francophonie. Monsieur Pintat, je veux tout d'abord vous prier d'excuser l'absence de M. Hervé Morin : celui-ci qui, comme vous l'avez rappelé, est rentré hier soir de N'Djamena, se trouve aujourd'hui à Vilnius pour le sommet de l'OTAN.
Vous avez raison de le souligner, la France peut être fière de ses soldats, dont l'action a été à la fois courageuse et professionnelle, dans des circonstances parfois extrêmement dangereuses, notamment lors de l'évacuation et de l'exfiltration de ressortissants étrangers ou des personnels des ambassades. Comme vous l'avez rappelé à juste titre, nos soldats ont strictement respecté les termes de notre accord de coopération technique. Le président Déby a d'ailleurs eu l'occasion de remercier à plusieurs reprises la France du soutien qu'elle lui avait apporté dans le cadre de cet accord.
À la minute où je vous parle, des combats parfois assez violents se poursuivent au Tchad avec, notamment, des offensives rebelles dans plusieurs villes. Dans ce contexte, je rappellerai une fois encore la légitimité du gouvernement tchadien, comme l'ont fait d'ailleurs le Conseil de sécurité des Nations unies, qui appelle la communauté internationale à apporter son aide à ce pays agressé, ainsi que l'Union africaine.
Ces organisations s'expriment d'autant plus volontiers en ce sens qu'elles savent que nous avons respecté les termes de l'accord qui nous lie au Tchad, ce qui renforce encore la légitimité de notre position et de notre action dans ce pays - je crois que cela que méritait d'être souligné. Nous avions d'ailleurs agi de la même façon lors des précédentes offensives rebelles, en novembre et en décembre dernier.
Nous continuerons à soutenir le Tchad sur un plan logistique, matériel, médical et humanitaire.
Enfin, en ce qui concerne Eufor, la pertinence d'une telle force est plus que jamais avérée après les troubles de ces derniers jours, qui ont été causés par des rebelles venus du Soudan. La question des réfugiés du Darfour reste entière, comme M. Solana le rappelait encore lundi.
Dès dimanche dernier, la présidence slovène de l'Union européenne affirmait son engagement à poursuivre un tel déploiement, et tous les contributeurs européens nous assurent de leur détermination à respecter leurs engagements.
Sur un plan logistique et technique, le général Patrick Nash, qui commande cette opération, a suspendu le déploiement jusqu'au 12 février prochain. À cette date, il évaluera alors la situation avec les partenaires que nous sommes pour déterminer quand pourra reprendre la projection de la force. Nous estimons aujourd'hui que, sauf événement imprévisible, une dizaine de jours de retard est parfaitement rattrapable : le déploiement sera donc achevé au mois de mai prochain, avant la saison des pluies.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le secrétaire d'État !
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Voulue et soutenue par la communauté internationale, cette force est plus que jamais nécessaire : elle accomplira sa mission. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
pouvoir d'achat
M. le président. La parole est à M. Yannick Bodin.
M. Yannick Bodin. Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'économie, des finances et de l'emploi, dont je regrette l'absence.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Elle est dans le XIIe arrondissement !
M. Jean-Marc Pastor. Elle est en campagne !
M. Yannick Bodin. Le 1er février dernier s'est produit un événement social sans précédent dans notre pays : 80 % des magasins de la grande distribution ont été touchés par un mouvement de grève des personnels.
Oui, cet événement est sans précédent. Précarisés et bravant des pressions patronales inadmissibles,...
M. Jean-Pierre Raffarin. C'est vrai !
M. Yannick Bodin. ...de nombreux employés ont participé, pour la première fois, à des manifestations, dans une profession souvent peu syndiquée et dispersée dans des milliers de points de vente.
La situation des employés des grandes surfaces, en grande majorité des femmes, est scandaleuse.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Avec des salaires de 1 100 euros par mois !
M. Yannick Bodin. Tous subissent des temps partiels contraints.
M. Jean-Pierre Raffarin. C'est vrai !
M. Yannick Bodin. Environ 37 % de ces femmes en sont victimes. Les heures supplémentaires n'existent pas, les conditions de travail restent parmi les plus pénibles, les horaires sont sans cesse décalés. Bien pis, on fait peser la menace du travail le dimanche.
À cela s'ajoutent des salaires au niveau du SMIC, et même très souvent inférieurs. Le salaire d'un temps partiel avoisine les 770 euros nets, soit près de 50 euros de moins que le seuil de pauvreté ! Ce faible pouvoir d'achat crée des situations de précarité, parfois même de détresse, lorsqu'il s'agit de mères qui élèvent seules leurs enfants. Enfin, les retraites, même après quarante annuités de cotisations, n'atteignent que rarement le montant du minimum vieillesse.
Si les caisses de l'État sont vides, celles des sociétés de la grande distribution ne le sont pas !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oui ! Elles sont pleines !
M. Yannick Bodin. Les profits battent chaque année de nouveaux records. C'est pourquoi il serait temps de penser au pouvoir d'achat des employés des grandes surfaces.
Selon les organisations syndicales, 80 % à 90 % des salariés à temps partiel veulent passer à temps complet. On les comprend !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oui ! Travailler plus pour gagner plus : ils ont très bien entendu !
M. Yannick Bodin. La durée moyenne du travail est de 27 heures par semaine.
Que compte faire Mme la ministre pour permettre à toutes celles et à tous ceux qui le veulent de travailler à temps plein ? Que compte-t-elle faire pour permettre une augmentation des revenus de ces personnels ?
Les organisations syndicales souhaitent que tout soit remis à plat : les salaires, les conditions de travail, le temps de travail, les retraites, la protection sociale, la formation...
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Bodin !
M. Robert Bret. C'est important, monsieur le président !
M. Yannick Bodin. Il y va du respect et de la justice que réclament des hommes et des femmes qui exercent une des professions les plus pénibles dans notre pays aujourd'hui, avec des conditions de vie qui ne sont pas dignes de la France du XXIe siècle.
M. Dominique Braye. Mais il ne finit pas ?
M. Yannick Bodin. Le Gouvernement est-il prêt à faire en sorte qu'une discussion s'engage et aboutisse ? Les caissières des supermarchés vous écoutent ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Pour une fois, ce n'est pas une mauvaise question !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Monsieur le sénateur, sur le dossier de la grande distribution, le Gouvernement a fixé deux priorités, qui, toutes deux, concernent les personnels.
La première priorité porte sur les négociations salariales. Je souhaite que celles-ci aboutissent le plus rapidement possible.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ah oui !
M. Xavier Bertrand, ministre. Certaines dispositions qui ont été votées dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 permettent aujourd'hui de donner un contenu à ces négociations salariales, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs. En tout état de cause, les conditions semblent aujourd'hui réunies pour que ces négociations aboutissent.
M. Guy Fischer. Lesquelles ?
M. Xavier Bertrand, ministre. La seconde priorité concerne les conditions de travail, notamment le temps partiel contraint et éclaté, sujet que j'ai évoqué moi-même pour la première fois avec les organisations syndicales à la fin de l'année dernière, à l'issue de la conférence sociale tripartite : égalité professionnelle et salariale hommes-femmes.
Parler de l'égalité salariale, c'est faire enfin respecter un principe qui existe depuis 1972 et qui peut se résumer ainsi : à travail égal, salaire égal. Nous savons que ce n'est pas le cas dans nombre de situations.
Je vous l'ai déjà annoncé, mesdames, messieurs les sénateurs : le Gouvernement présentera au Parlement un texte pour que les entreprises qui, d'ici à deux ans, n'auront pas conclu d'accord de rattrapage salarial soient contraintes de verser des sanctions financières plus importantes que l'écart qu'elles auraient dû combler.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Demain, on rase gratis !
M. Xavier Bertrand, ministre. « Enfin ! », direz-vous avec raison. Oui, nous allons enfin changer de politique.
Cela étant, sur la question de la grande distribution, nous sommes conscients qu'aujourd'hui de nombreuses salariées ne touchent pas le SMIC, parce qu'elles font moins d'heures que si elles travaillaient à temps complet. Pourtant, elles connaissent les mêmes contraintes : transport et, bien souvent aussi, gardes d'enfant.
Sur ce sujet, les partenaires sociaux m'ont demandé de mener une action d'ensemble, de façon à pouvoir favoriser le passage du temps partiel au temps complet. J'ai donné mon accord et nous accomplirons ce travail. De la même façon, au cours de cette année - c'est l'engagement qu'ont pris deux grandes enseignes de la grande distribution -, des actions exemplaires seront entreprises afin de favoriser le passage du temps partiel au temps complet. Cela s'inscrit non seulement dans une logique de pouvoir d'achat, mais aussi dans une démarche d'amélioration de la qualité de vie et de véritable conciliation de la vie familiale avec la vie professionnelle.
Voilà de quelle façon j'avais présenté la situation à la fin de l'année dernière. Voilà de quelle façon nous continuons à travailler avec tous les acteurs de ce dossier pour faire en sorte que, quand un mouvement social se déclenche, quel qu'il soit, chacun soit vraiment attentif et, surtout, soit porteur de solutions. C'est ce que le Gouvernement entend faire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Guy Fischer. Que des promesses !
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Miraux.
M. Jean-Luc Miraux. Ma question s'adresse à Mme la ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.
M. Yannick Bodin. Tant mieux, elle est là !
M. Jean-Luc Miraux. Madame la ministre, vendredi dernier, le Président de la République, qui a fait de la lutte contre la maladie d'Alzheimer un des chevaux de bataille de son quinquennat, présentait à Sophia Antipolis son plan Alzheimer.
Ce plan quinquennal sera doté de 1,6 milliard d'euros, afin de venir en aide aux 850 000 malades que compte aujourd'hui la France, contre 350 000 en 2001 !
Cette aide aux malades est très attendue par toutes les familles de France. C'est que, hélas ! aucune d'entre elles n'est épargnée par ce fléau et que toutes voient des êtres chers disparaître mentalement, avant que ce ne soit physiquement.
C'est un drame particulièrement terrible, qui touche également - ne l'oublions pas - des personnes plus jeunes, puisque 6 000 malades en France ont moins de soixante ans.
Cette aide aux malades est également très attendue par les élus locaux que nous sommes, puisque nombre d'entre nous, confrontés à la douleur des familles, sont engagés sur le terrain et ont par exemple créé des « unités Alzheimer » dans les maisons de retraite de nos communes.
Madame la ministre, je salue le volontarisme et l'implication personnelle du Président de la République dans ce domaine, ainsi que l'action du Premier ministre et le travail très important que vous menez sur ce sujet avec vos collègues Valérie Pécresse et Valérie Létard.
Pouvez-vous nous indiquer ce que le plan Alzheimer apportera, notamment en termes de dépistage, de prise en charge des malades et d'accélération de la recherche ? Ces trois points nous paraissent en effet essentiels.
Par ailleurs, il me paraît également primordial que les efforts de la France soient soutenus à l'échelon européen, afin de gagner encore plus de temps, en matière de recherche notamment.
La France, qui assurera prochainement la présidence de l'Union européenne, a-t-elle l'intention de faire de la lutte contre la maladie d'Alzheimer un des enjeux européens ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports. Monsieur le sénateur, à n'en pas douter, la maladie d'Alzheimer représente un enjeu de santé publique majeur. Vous avez bien voulu rappeler l'ampleur du plan décidé et présenté par le Président de la République : 1,6 milliard d'euros. Ce plan veut mettre la personne et sa famille au coeur du dispositif, grâce à des moyens tout à fait substantiels.
Je veux d'ailleurs rendre hommage au professeur Joël Ménard, qui a conduit les travaux sur ce thème et a proposé des pistes de réflexion qui sont maintenant mises en oeuvre.
Pour ce qui concerne le secteur ministériel dont j'ai la responsabilité, pas moins de vingt-deux mesures sont prévues. Je ne les énumérerai pas toutes, je citerai celles qui font réponse aux points saillants que vous avez soulignés.
Afin de favoriser le dépistage de cette maladie, trente-huit nouvelles « consultations mémoire » seront établies en cinq ans. Notre but est de fixer une « consultation mémoire » par tranche de 15 000 personnes âgées de plus de soixante-quinze ans dans notre pays. Un centre sera spécialement dédié aux malades jeunes : comme vous l'avez rappelé, monsieur le sénateur, entre 6 000 et 8 000 personnes âgées de moins de soixante ans sont atteintes de la maladie d'Alzheimer. Un guide des bonnes pratiques de consultation pour l'annonce de la maladie aussi bien à la personne qu'à sa famille sera établi.
Nous voulons également que des unités spécialisées dédiées à la maladie d'Alzheimer soient ouvertes dans les soins de suite et de réadaptation. Nous voulons aussi qu'une carte d'information accompagne le malade et sa famille pour qu'ils puissent être informés de toutes les complications qui sont possibles.
La recherche constitue un volet très important de ce plan. Ainsi, 200 millions d'euros ont été dédiés à la recherche fondamentale par ma collègue Valérie Pécresse et, sur la durée du plan, 45 millions d'euros seront consacrés à la recherche sur la maladie d'Alzheimer, dans le cadre du programme hospitalier de recherche clinique.
Enfin, bien entendu, la présidence française de l'Union européenne permettra une implication forte à l'échelle européenne. Le Président de la République, le Premier ministre et moi-même avons décidé que la maladie d'Alzheimer constituerait l'une des trois priorités de la France en matière de santé, grâce à des réseaux en Europe, grâce à la recherche et à grâce à des échanges de bonne pratique.
Vous le voyez, l'engagement du Gouvernement en matière de santé publique, en particulier en ce qui concerne la maladie d'Alzheimer, est total. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
institutions : le rôle du parlement
M. le président. La parole est à M. Bernard Angels.
M. Bernard Angels. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
À l'heure où la responsabilité des agences privées de notation est largement engagée dans la crise financière des subprimes, qui menace la croissance économique dans le monde, le Premier ministre a cru judicieux de recourir à la notation des ministres par des cabinets privés. (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Le simplisme de la démarche aurait pu incliner à mettre cette annonce sur l'aveuglement passager d'un conseiller en communication maladroit.
M. Jean-Pierre Sueur. Mais ?
M. Bernard Angels. Mais, à y regarder de près, on remarque que le Premier ministre n'en était pas à son coup d'essai.
La révision générale des politiques publiques conduite dans le cadre de la réforme de l'État recourt aux mêmes procédés. Menée dans le plus grand secret, cette revue générale des politiques publiques donne ensuite lieu à des annonces médiatiques qui assènent à nos concitoyens, aux parlementaires, aux responsables des collectivités locales, des décisions à la préparation desquelles ils n'ont nullement été associés.
Ce faisant, le Premier ministre confirme que les modèles d'évaluation participative, pluraliste et finalement démocratique des politiques publiques ne sont décidément pas son affaire ! Les responsables des politiques publiques que le Gouvernement a doublement devant lui, comme sénateurs et, souvent, comme dirigeants d'exécutifs locaux, auront été méprisés.
Aux citoyens et à leurs représentants, le Gouvernement préfère les consultants privés qu'il engage à grands frais, mettant au chômage technique les grands corps d'inspection. (Sourires.)
À cette conception ahurissante de l'évaluation des politiques publiques s'ajoutent les questions très graves que pose l'accès des cabinets à vocation marchande à des données administratives couvertes par la confidentialité ou le secret.
Quand donc le Premier ministre cessera-t-il de poursuivre le rêve d'une technocratie privée qu'il tente d'établir en catimini ? Quand associera-t-il vraiment le Parlement aux évolutions ? Le Gouvernement peut-il nous donner toutes les assurances que les données fiscales, judiciaires ou les informations qui sont relatives à la sûreté extérieure, à la défense, aux marchés publics sont à l'abri de toutes les indiscrétions auxquelles le Premier ministre semble les exposer si légèrement ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, je crains que vous ne mêliez plusieurs problèmes.
M. Josselin de Rohan. Il est hors sujet !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Il n'y a jamais de hors sujet au Parlement ! (Sourires.) Mais plusieurs questions sont posées en même temps.
D'abord, monsieur le sénateur, je tiens à vous rassurer : on ne note pas les ministres, on évalue les politiques conduites par les différents ministères,...
M. Alain Gournac. C'est autre chose !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. ...ce qui, effectivement, n'est pas exactement la même chose.
M. Robert Hue. Sauvés !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Vous voudrez bien admettre que l'objectivité relative à une politique conduite est une notion beaucoup plus neutre que la notation, très subjective, d'un membre du Gouvernement. Et c'est très naturellement devant le Parlement, et non devant une agence de notation, que la responsabilité des membres du Gouvernement est engagée. Chacune et chacun en est parfaitement conscient. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Par ailleurs, la révision générale des politiques publiques a pour objet d'apprécier dans quelle mesure lesdites politiques sont efficaces et efficientes et dans quelle mesure elles doivent être modifiées ou évoluer.
Tous les gouvernements, de gauche comme de droite, ont essayé de faire en sorte que l'action publique soit la plus efficace possible.
M. Jacques Mahéas. Le cabinet Mars and Co !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Dans ces conditions, point n'est besoin de critiquer cette volonté d'évaluation.
Enfin, sur ce qui m'a semblé être le plus important de votre propos, vous vous êtes demandé qui était le décideur, des cabinets ou du Parlement. Naturellement, monsieur le sénateur, c'est le pouvoir démocratique de la représentation nationale.
Quels que soient les gouvernements, il y a toujours eu des experts, des rapports...
M. Jean-Pierre Sueur. Le rapport Attali !
M. Jean-Pierre Godefroy. Oui, si on parlait du rapport Attali...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il y a un rapport par jour !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. ... autant d'éléments d'information indispensables pour procéder à l'analyse de la situation et pour dégager des pistes, des orientations.
Je vous ai déjà indiqué tout à l'heure que vingt-quatre lois ont été votées et promulguées depuis huit mois.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n'est pas ce qu'il y a de mieux !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Mais, en définitive, qui décide ? Le Gouvernement dépose des projets de loi, les parlementaires déposent des propositions de loi, et le Parlement se prononce. Dans ce pays, rien ne se fait sans l'aval démocratique de la représentation nationale, et celle-ci sera encore renforcée avec la révision institutionnelle qui vous sera proposée dans les prochains mois.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quand ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. J'en suis sûr, monsieur Angels, vous veillerez personnellement à participer aux débats relatifs à cette révision, qui renforcera encore et revalorisera le rôle du Parlement. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Humbert.
M. Jean-François Humbert. Ma question s'adresse à Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Elle est également relative à l'agenda social.
Pendant la campagne présidentielle, le Président de la République a pris l'engagement de réaliser des réformes fortes et ambitieuses, notamment en matière de protection sociale, afin de consolider le système et d'entrer dans une ère nouvelle de relations entre les syndicats et les entreprises, placée sous le signe du dialogue.
Monsieur le ministre, vous avez conduit la réforme des régimes spéciaux à l'automne, réalisant ainsi une première étape forte. Ce succès est aussi la preuve que la pratique du dialogue social combinée à l'action est un élément crucial pour que des réformes profondes et efficaces aboutissent.
Mais il reste encore beaucoup à faire. Je pense, notamment, aux retraites et à la revalorisation du minimum vieillesse, à la création d'un cinquième risque pour les personnes âgées et les personnes handicapées,...
M. Charles Revet. C'est très important !
M. Jean-François Humbert. ... à l'assurance maladie, ou encore à la prise en considération de la pénibilité du travail dans certains métiers.
Le Président de la République a réuni hier, à l'Élysée, l'ensemble des partenaires sociaux pour évoquer avec eux les enjeux de la protection sociale et les réformes dont notre système devra être l'objet au cours de l'année 2008.
Monsieur le ministre, pouvez-vous, dès aujourd'hui, nous apporter des précisions supplémentaires sur les mesures que le Président de la République a annoncées aux partenaires sociaux ? Quel sera, en 2008, le calendrier des réformes de la protection sociale, réformes nécessaires pour notre pays, réformes attendues par nos concitoyens ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre, qui a visiblement bien fait de venir ! (Sourires.)
M. Guy Fischer. Il va se répéter !
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Monsieur le sénateur, pour mettre en oeuvre les réformes dans le domaine de la protection sociale, le Gouvernement veut suivre la même logique que celle qui l'a guidé lors de l'adoption des réformes dans le secteur social. Il souhaite en permanence tendre la main vers les partenaires sociaux. Le Président de la République a voulu les rencontrer hier, à l'Élysée, pour déterminer avec eux le calendrier. Le climat fut très constructif. Nous sommes en train de mettre en place une méthode de travail apaisée, certainement plus efficace pour mener à bien les grandes réformes.
M. Pierre-Yves Collombat. Apaisée mais efficace...C'est beau !
M. Xavier Bertrand, ministre. Ainsi, pour ce qui concerne les retraites, le Président de la République m'a demandé d'engager, dès le mois prochain, la concertation avec les partenaires sociaux pour pouvoir présenter au Parlement un texte dès l'été.
M. Guy Fischer. Encore pendant les vacances ?
M. Xavier Bertrand, ministre. M. Roger Karoutchi aura l'occasion d'évoquer avec vous l'ensemble des modalités.
Quant au cinquième risque lié à la dépendance, la logique est la même. Dès le mois prochain, Valérie Létard et moi-même commencerons les concertations avec tous les acteurs de ce dossier. Outre les partenaires sociaux, n'oublions pas, par exemple, les acteurs présents au sein de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, la CNSA. Je pense également aux associations, aux présidents de conseils généraux. Nous espérons pouvoir présenter un texte à peu près à la même échéance.
Roselyne Bachelot-Narquin, quant à elle, va engager un travail de concertation sur des textes relatifs à la santé et à l'assurance maladie.
J'en viens à la famille et à la mise en place du droit opposable à la garde d'enfant. De façon à permettre à chaque femme qui, par exemple, reprendrait une activité ou entreprendrait une démarche d'insertion, de disposer d'un mode de garde pour ses enfants, nous avons pris l'engagement que ce droit opposable soit une réalité à partir de 2012. Mais, pour cela, nous devons agir dès maintenant. Nous allons donc commencer les discussions dès cette année, afin de pouvoir déterminer, dans la convention d'objectifs et de gestion signée entre l'État et la caisse d'allocations familiales, quels nouveaux modes de garde doivent être créés, quels sont les besoins et de quelle façon délimiter ce droit opposable. L'objectif est de soumettre un projet de loi au Parlement dès 2009.
Comme vous pouvez le constater, sur tous ces sujets, non seulement nous avons une méthode, le dialogue, mais aussi nous sommes déterminés, mesdames, messieurs les sénateurs, déterminés à mener à bien toutes les réformes dont notre pays a besoin et, surtout, dont les Français ont envie. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UC-UDF.)
collectivités locales parties civiles en cas de catastrophe écologique
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Ma question s'adresse à Mme la secrétaire d'État chargée de l'écologie.
Le 16 janvier dernier, la chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris a reconnu le principe du préjudice écologique dans l'affaire de la marée noire de l'Erika. C'est fondamental. Au-delà de nos différences, force est de reconnaître que les collectivités - communes, départements, régions - ont pris une part déterminante dans ce combat judiciaire.
Mais, pour importante qu'elle soit, cette avancée reste fragile. Surtout, il ne s'agit que d'une étape pour permettre aux collectivités de mieux prendre en charge les problèmes de l'environnement. En effet, pour se prévaloir du préjudice écologique, une collectivité, quelle qu'elle soit, doit, au préalable, pouvoir se constituer partie civile. Or, en l'état actuel de notre droit, les cas dans lesquels une collectivité peut avoir un intérêt à agir, comme l'on dit en termes un peu plus techniques, sont extrêmement rares : ce n'est que lorsque la propriété d'une collectivité est directement concernée ou lorsque cette collectivité a une compétence très spécifique lui imposant de préserver un territoire très particulier.
Dans tous les autres cas, vous pouvez en être sûre, madame la secrétaire d'État, tout juge considérera que l'intérêt que veut pourtant légitimement défendre la collectivité se confond avec l'intérêt général, que seul le ministère public a la charge de représenter auprès des différentes autorités judiciaires. Cette situation n'est pas satisfaisante ; elle est même choquante, et ce pour trois raisons.
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Bruno Retailleau. Tout d'abord, les collectivités sont toujours en première ligne ; ce sont toujours elles qui sont les premières confrontées aux dégâts et toujours elles qui doivent commencer à les réparer.
M. Jean-Pierre Raffarin. Absolument !
M. Bruno Retailleau. La situation est aussi choquante parce que les associations agréées en matière d'environnement ont, elles, la possibilité de se constituer parties civiles, à l'inverse des assemblées délibérantes élues.
M. Dominique Braye. Très juste !
M. Bruno Retailleau. Enfin, il existe une brèche. Effectivement, aux termes du code de procédure pénale, en cas d'incendie volontaire, cette faculté a été reconnue aux collectivités.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Bruno Retailleau. Monsieur le ministre d'État, alors que la décentralisation est désormais une réalité qui permet à chacun de constater que les collectivités sont entrées dans l'âge adulte, alors que nous parlons de plus en plus de la préservation de notre environnement, l'heure n'est-elle pas venue de moderniser notre droit pour donner à nos collectivités la capacité pleine et entière de défendre leur population et surtout leur territoire, lorsque ce denier est blessé par une atteinte à l'environnement ? (Très bien ! et applaudissements sur un grand nombre de travées.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État chargée de l'écologie. Monsieur le sénateur, comme vous l'avez souligné, le 16 janvier a été rendu le jugement concernant l'Erika. La justice a donc reconnu le préjudice écologique. C'est une étape très importante, tant pour le monde judiciaire que pour les suites du Grenelle de l'environnement, à la mise en oeuvre duquel Jean-Louis Borloo et moi-même consacrons tous nos efforts quotidiennement.
Cette décision marque à quel point la responsabilité est au coeur du développement durable.
Cependant, et c'est tout l'objet de la question, le tribunal de grande instance a considéré aussi que le préjudice écologique ne peut donner lieu à réparation qu'aux seules collectivités locales qui ont « une compétence spéciale en matière d'environnement leur conférant une responsabilité particulière dans la protection, la gestion ou la conservation d'un territoire ».
Très concrètement, le tribunal de grande instance a considéré que seuls les départements étaient concernés par cette définition, et sous certaines réserves.
Je vous l'accorde, on peut s'interroger sur l'application de la règle, notamment à l'égard des communes situées sur le littoral qui, de manière évidente, sont impliquées dans la protection, la gestion et la conservation de leur territoire. La cour d'appel a été saisie par un certain nombre de collectivités publiques. Elle se prononcera ultérieurement sur ce point.
Au-delà de la question de la réparation et du préjudice écologique, le tribunal de grande instance a ouvert très largement la possibilité à toutes les communes d'engager une action sur le fondement de l'atteinte à leur image, à leur réputation. Toutes les communes du littoral qui ont demandé réparation à ce titre ont obtenu un dédommagement, de l'ordre de 300 000 euros. Dans votre département, la Vendée, monsieur le sénateur, neuf communes ont obtenu un tel dédommagement.
Cependant, cette ouverture, certes importante, ne résout pas le problème hautement symbolique de la possibilité d'obtenir une réparation au titre du préjudice écologique.
Comme je l'ai déjà indiqué, la cour d'appel se prononcera. Mme le garde des sceaux et moi-même examinerons cet arrêt avec la plus grande attention. Nous en tirerons les conséquences afin de garantir à toutes les communes victimes la faculté de se défendre, y compris d'engager une action devant la justice lorsque leur environnement est touché.
Dès le printemps, un projet de loi résultant des travaux du Grenelle de l'environnement sera déposé devant les assemblées. Il reprendra la transposition de la directive européenne sur la responsabilité environnementale. Ce texte pourra être l'occasion de discuter de nouvelles dispositions. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
7
souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire du Qatar
M. le président. Mes chers collègues, j'ai le plaisir et l'honneur de saluer dans notre tribune officielle, en votre nom et en mon nom personnel, une délégation du Majlis al Choura de l'État du Qatar, conduite par son président, M. Mohamed Bin Mubarak Al-Khulaifi, présente en France à notre invitation.
J'en profite pour saluer l'action de notre collègue M. Philippe Marini, président du groupe interparlementaire d'amitié France-Arabie saoudite-Pays du Golfe, qui s'est rendu en septembre dernier, avec une délégation de sénateurs, au Qatar.
Je forme des voeux pour que cette visite contribue à renforcer les liens politiques et économiques entre nos deux pays.
Nous vous souhaitons, messieurs, une cordiale bienvenue au Sénat et un heureux séjour dans notre pays. (Mmes et MM. les membres du Gouvernement, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux. La séance sera reprise dans quelques instants pour la suite de l'examen du projet de loi relatif aux organismes génétiquement modifiés.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Philippe Richert.)
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
8
Organismes génétiquement modifiés
Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président. Nous reprenons la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif aux organismes génétiquement modifiés.
Rappel au règlement
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, ce rappel au règlement porte sur l'organisation de nos travaux.
Nous déplorons, tout d'abord, le « saucissonnage » de l'examen de ce texte au cours de cette semaine.
Mais, bien plus important encore, nous nous interrogeons sur la déclaration d'urgence. Si en effet l'on se fie à ce qui figure sur le site du Sénat, l'urgence est déclarée sur ce texte. Or, ce matin encore, on nous a annoncé qu'un certain nombre de points pourraient être améliorés dans le cadre d'une deuxième lecture.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, l'urgence a-t-elle été déclarée, ou non, sur ce texte ? Nous souhaiterions que ce point soit clarifié.
M. le président. Madame la secrétaire d'État, avez-vous des précisions supplémentaires à apporter sur le cadre dans lequel nous examinons ce texte ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État chargée de l'écologie. À ma connaissance, monsieur le président, monsieur le sénateur, l'urgence n'a pas été déclarée sur ce projet de loi ; ce doit être une coquille sur le site du Sénat, par ailleurs remarquablement bien administré.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur de la commission des affaires économiques. Je comprends que M. Gérard Le Cam et plusieurs de nos collègues se soient émus. En fait, le projet de loi a été déclaré d'urgence et on ne peut pas lever l'urgence, mais le Gouvernement s'est engagé à ne pas l'appliquer. Il y aura donc bien autant de lectures qu'il convient sur ce texte.
M. le président. Madame la secrétaire d'État, si l'on trouve sur le site du Sénat la mention de la déclaration d'urgence, c'est parce que M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le courrier suivant, en date du 19 décembre 2007 : « Monsieur le président, j'ai l'honneur de vous faire savoir qu'en application de l'article 45, alinéa 2, de la Constitution le Gouvernement déclare l'urgence du projet de loi relatif aux organismes génétiquement modifiés, déposé sur le bureau du Sénat le 19 décembre 2007. »
Il s'agissait donc tout simplement, de la part du Sénat, de prendre acte de ce courrier.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Mea culpa, monsieur le président, c'est donc nous qui avons changé d'avis,...
M. Jean-Marc Pastor. Ce n'est pas la première fois !
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. ...mais, je le confirme, l'urgence ne sera pas appliquée à ce texte.
M. le président. De nombreux collègues s'étaient déjà exprimés ou souhaitaient intervenir sur cette question de l'urgence, ils sont donc pleinement...
M. Jean-Marc Pastor. Informés !
M. le président. ... rassurés, et nous ne pouvons que nous réjouir de cette clarification.
Nous poursuivons donc la discussion de l'article 3, que le Sénat a entamée ce matin.
Article 3 (suite)
Dans le chapitre III du titre VI du livre VI du code rural sont insérés les articles L. 663-8 et L. 663-9 ainsi rédigés :
« Art. L. 663-8. - La mise en culture des végétaux autorisés au titre de l'article L. 533-5 du code de l'environnement ou en vertu de la réglementation communautaire est soumise au respect de conditions techniques relatives aux distances entre cultures ou à leur isolement, visant à éviter la présence accidentelle d'organismes génétiquement modifiés dans d'autres productions.
« Ces conditions techniques sont fixées par l'autorité administrative, selon des modalités définies par décret.
« Art. L. 663-9. - Le respect des prescriptions prévues à l'article L. 663-8 est contrôlé par les agents mentionnés au I de l'article L. 251-18. Ces agents sont habilités à procéder ou ordonner, dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'agriculture, tous prélèvements et analyses nécessaires à l'exercice de cette mission.
« Les sanctions que l'autorité administrative peut prononcer comprennent la destruction totale ou partielle des cultures.
« Les frais entraînés par ces sanctions sont à la charge de l'exploitant. »
M. le président. Je rappelle que nous en étions parvenus, au sein de l'article 3, aux amendements nos227 rectifié et 228 rectifié faisant l'objet d'une discussion commune. Leur auteur, M. Daniel Soulage, a présenté l'amendement n°227 rectifié et retiré l'amendement n° 228 rectifié. La commission a donné son avis sur l'amendement n° 227 rectifié et le Gouvernement a proposé des modifications que M. Soulage a visiblement prises en compte au cours de la suspension.
Je suis donc saisi d'un amendement n° 227 rectifié bis, présenté par M. Soulage et les membres du groupe Union centriste - UDF, et ainsi libellé :
Après le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 663-8 du code rural, insérer trois alinéas ainsi rédigés :
« Ces distances, fixées par nature de culture, par le ministre chargé de l'agriculture définissent les périmètres au sein desquels ne sont pas pratiquées les cultures d'organismes génétiquement modifiés.
« Elles doivent permettre que la dissémination entre les cultures soit inférieure au seuil défini par la réglementation communautaire.
« Ces distances peuvent être révisées tous les deux ans sur la base de travaux scientifiques.
La parole est à M. Daniel Soulage.
M. Daniel Soulage. Je tiens tout d'abord à remercier Mme la secrétaire d'État de sa proposition, ainsi que la présidence, qui nous a permis, en suspendant judicieusement la séance, d'arriver en cet instant devant le Sénat avec cette nouvelle rédaction.
Si je n'avais pas compris d'emblée la proposition de Mme la secrétaire d'État, c'est tout simplement parce que je comptais le nombre de paragraphes de l'ensemble du texte, alors qu'il était question des seuls paragraphes de l'amendement.
La nouvelle rédaction que je vous soumets, et qui a fait l'objet d'une concertation entre la commission et les ministres concernés, devrait faciliter l'acceptation du dispositif au niveau communautaire, dispositif dont par ailleurs le fond reste inchangé.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur cet amendement ainsi rectifié ?
M. Jean Bizet, rapporteur. La commission, qui a donc été consultée sur cet amendement n° 227 rectifié bis, estime que la rectification proposée par notre collègue Daniel Soulage rend l'amendement beaucoup plus acceptable au regard des règles communautaires.
La commission a donc émis un avis favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Le Gouvernement est favorable à cet amendement, sous réserve de l'adoption ultérieure d'un sous-amendement précisant que les conditions techniques, donc notamment les distances, sont fixées conjointement par le ministre chargé de l'agriculture et par le ministre chargé de l'environnement.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. Nous aurions pu rêver mieux, mais c'est déjà une avancée significative.
La révision des distances tous les deux ans nous semble particulièrement fondée, si l'on en croit les scientifiques, eu égard au changement climatique : la rapidité du vent, les conditions naturelles vont évoluer, et donc les périmètres devront effectivement évoluer aussi.
Cependant, je me permets d'insister sur le fait que l'expression « les périmètres au sein desquels ne sont pas pratiquées les cultures d'organismes génétiquement modifiés », doit bien s'entendre comme désignant des périmètres de sauvegarde appartenant à l'exploitant OGM, sous sa responsabilité, sans possibilité de culture juxtaposée exempte d'OGM. En effet, prise à la lettre, la phrase est curieusement rédigée, parce qu'elle pourrait presque renvoyer au champ de l'agriculteur biologique d'à côté, qui pratique des cultures non modifiées.
Que l'on soit bien tous d'accord : le périmètre est un périmètre de sauvegarde, de protection.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Pastor, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Pastor. Nous voterons cet amendement tout en considérant que la question des périmètres de cultures n'est pas définitivement bouclée. Nous savons très bien que, dans le domaine de la contamination, la distance n'est pas le seul critère ; j'en veux pour preuve la pratique des semenciers, notamment en matière d'îlots de maïs semence, qui prennent également en compte la notion de vent dominant, dont on sait qu'elle peut avoir une influence.
Je n'entre pas dans le détail, mais nous sommes rassurés puisque les conditions techniques seront fixées par décret et que l'arrêté est pris conjointement par le ministère chargé de l'agriculture et le ministère chargé de l'environnement. Nous serons d'ailleurs amenés à proposer un certain nombre d'amendements afin que les deux ministères aient une lecture commune des PGM et des OGM.
M. Daniel Soulage. Ce vote me paraît très important, mes chers collègues, en particulier pour restaurer la confiance !
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 78, présenté par MM. Le Cam, Billout et Danglot, Mmes Didier, Terrade et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le second alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 663-8 du code rural :
« Ces conditions techniques sont fixées par arrêté conjoint du ministre chargé de l'agriculture et du ministre chargé de l'environnement, après consultation de la Haute autorité sur les organismes génétiquement modifiés et conformément aux dispositions communautaires en vigueur.
La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. L'article 3 impose le respect de certaines conditions techniques à toute culture d'OGM ayant fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché, afin d'éviter la présence fortuite d'OGM dans les cultures qui en sont exemptes.
Ces conditions techniques sont fixées par l'autorité administrative, selon des modalités définies par décret. Le projet de loi débattu il y a quelques mois devant le Sénat prévoyait un arrêté du ministre de l'agriculture, après avis du ministre de l'environnement ; cela présentait au moins l'avantage d'indiquer l'autorité administrative compétente.
Nous estimons qu'il n'est pas souhaitable que la définition des conditions techniques requises se fasse sans la consultation préalable du Haut conseil sur les OGM. Cette instance, qui dispose de grandes compétences techniques de par ses deux comités, sera à même d'éclairer l'administration sur les choix qui devront être faits.
Le rapporteur a également pointé du doigt les insuffisances de cet article. Cependant, l'amendement de la commission ne va pas assez loin, selon nous, puisqu'il ne requiert que l'avis du comité scientifique.
C'est pourquoi nous vous demandons d'adopter cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 112, présenté par MM. Muller et Desessard et Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet, est ainsi libellé :
Dans le second alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 663-8 du code rural, remplacer les mots :
l'autorité administrative, selon des modalités définies par décret
par les mots :
arrêté conjoint du ministre chargé de l'agriculture et du ministre chargé de l'environnement après consultation de la Haute autorité sur les organismes génétiquement modifiés, des représentants des professions susceptibles de subir des préjudices liées à la contamination génétique, notamment l'apiculture, l'agriculture biologique et plus largement l'agriculture porteuse de signes de qualité, et conformément aux dispositions communautaires en vigueur
La parole est à M. Jacques Muller.
M. Jacques Muller. Dans le même esprit, j'avais souligné au début de la discussion de l'article 3 que la question des périmètres d'isolement était très complexe et qu'il me paraissait nécessaire que la Haute autorité puisse donner un avis préalable avant la rédaction des arrêtés par les ministres respectivement chargés de l'agriculture et de l'environnement.
J'insiste sur la représentation des professionnels agricoles au sein de la Haute autorité, notamment ceux qui sont susceptibles de subir les dégradations liées aux contaminations génétiques.
C'est pour cette double raison que, de mon point de vue, la Haute autorité doit être associée pour donner un avis autorisé avant la rédaction des arrêtés.
M. le président. L'amendement n° 195 rectifié, présenté par MM. Pastor, Raoul, Dussaut et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Après les mots :
fixées par
rédiger comme suit la fin du second alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 663-8 du code rural :
arrêté conjoint du ministre chargé de l'agriculture et du ministre chargé de l'environnement après consultation du Haut conseil des biotechnologies.
La parole est à M. Jean-Marc Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. Cette proposition va dans le sens de l'amendement n° 227 rectifié bis présenté par notre collègue Soulage. Comme je l'évoquais à l'instant, il s'agit de faire en sorte que les conditions techniques soient fixées par arrêté conjoint des ministres chargés de l'agriculture et de l'environnement, après consultation du Haut conseil.
C'est donc un amendement de cohérence avec l'ensemble du dispositif que nous sommes en train de bâtir.
M. le président. L'amendement n° 19, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Dans le second alinéa du texte prévu par cet article pour l'article L. 663-8 du code rural, remplacer les mots :
l'autorité administrative, selon des modalités définies par décret
par les mots :
arrêté du ministre chargé de l'agriculture, pris après avis du comité scientifique du Haut conseil institué à l'article L. 531-3 du code de l'environnement
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur. Cet amendement a deux objets.
Dune part, il semble utile de rappeler que les prescriptions techniques de culture seront définies par les services du ministère de l'agriculture, afin de prendre en compte au mieux les spécificités des différentes espèces végétales - c'était du reste ce que prévoyait la rédaction du projet de loi en 2006.
D'autre part, il serait bon que le comité scientifique du Haut conseil sur les OGM puisse rendre un avis sur ces prescriptions.
M. le président. Le sous-amendement n° 225, présenté par MM. Pastor, Raoul, Dussaut et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Après les mots :
de l'agriculture
rédiger comme suit la fin du dernier alinéa de l'amendement n° 19 :
et du ministre chargé de l'environnement pris après avis du comité scientifique du Haut conseil institué à l'article L. 531-3 du code de l'environnement et consultation des collectivités territoriales concernées.
La parole est à M. Jean-Marc Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. L'excellent amendement de la commission ne vise pas le ministre chargé de l'environnement. Notre sous-amendement tend donc à ce qu'il y ait une décision commune des deux ministères, prise après avis du comité scientifique du Haut conseil, toujours dans l'idée de ménager cette lecture commune à laquelle je faisais allusion tout à l'heure.
Chacun peut le constater, nous faisons tout pour réunir les meilleures conditions possibles. (Sourires.)
M. le président. Le sous-amendement n° 240, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Compléter le dernier alinéa de l'amendement n° 19 par les mots :
et du ministre chargé de l'environnement
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Le Gouvernement pense qu'il est important que puissent participer à la décision, après avis du comité scientifique du Haut conseil, outre le ministre chargé de l'agriculture, le ministre chargé de l'environnement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean Bizet, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur l'amendement n° 78, car il est contraire à l'amendement n° 19. Toutefois, l'adoption du sous-amendement n° 240 devrait donner en partie satisfaction à M. Le Cam.
L'amendement n° 112 est, lui aussi, contraire à l'amendement n° 19. Le Haut conseil a vocation à représenter la société civile. La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement un peu redondant.
L'amendement n° 195 rectifié est concurrent de l'amendement de la commission et s'inscrit, lui aussi, dans la logique de « contamination ». Cela étant, j'ai remarqué la rectification qui a supprimé la référence aux collectivités territoriales ...
Le fait que le ministre de l'environnement soit associé à la décision sera rendu possible, comme je l'ai déjà dit, par le vote du sous-amendement n° 240, auquel la commission est favorable. Par voie de conséquence, la commission a émis un avis défavorable sur le sous-amendement n° 225.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Compte tenu du grand nombre d'acteurs qui devraient être consultés, l'adoption de l'amendement n° 112 aboutirait à instaurer une procédure peu opérationnelle. Le Gouvernement a donc émis un avis défavorable.
L'amendement n° 195 rectifié présente, lui aussi, la caractéristique de mettre en oeuvre une procédure peu applicable. Le Gouvernement émet donc également un avis défavorable.
J'en viens maintenant aux amendements nos 78 et 19 et au sous-amendement n° 225. Comme je l'ai dit, le ministère de l'environnement souhaite pouvoir être associé à la décision prise après avis du comité scientifique du Haut conseil. À cet égard, le sous-amendement n° 225 est extrêmement séduisant. Cependant, la commission ayant fait connaître sa préférence pour le sous-amendement n° 240, le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 113, présenté par MM. Muller et Desessard et Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet, est ainsi libellé :
Compléter le texte proposé par cet article pour l'article L. 663-8 du code rural par un alinéa ainsi rédigé :
« Chaque année, le Comité de biovigilance évalue les conditions techniques en matière de séparation de la filière de produits agricoles d'organismes génétiquement modifiés des autres filières, et propose le cas échéant des mesures correctives en vue de limiter les risques de présence d'organismes génétiquement modifiés dans d'autres produits.
La parole est à M. Jacques Muller.
M. Jacques Muller. Au cours de la séance de nuit de mardi, M. le ministre d'État a déclaré : « Il est clair que les règles d'il y a dix ans ne sont pas forcément toujours adaptées aujourd'hui ».
Parions, si nous n'y prenons garde, qu'il pourrait en être de même des décisions qui sont prises aujourd'hui. C'est la raison pour laquelle je présente cet amendement, dont je note qu'il est rejoint sur le fond par l'amendement de M. Pastor et celui qui avait été déposé par M. Le Grand, mais qui a été retiré.
M. Jean-Marc Pastor. Je le regrette !
M. Jacques Muller. Une réévaluation régulière chaque année des mesures de protection prises est en effet une condition indispensable à leur efficacité.
Comme l'a rappelé Marie-Christine Blandin, la contamination génétique est non seulement irréversible, mais elle est également cumulative. En d'autres termes, dès lors que des cultures d'OGM seront mises en place, nous savons que le cadre dans lequel nous aurons à agir sera peu à peu modifié, ce qui devra nous obliger à adapter au fur et à mesure des connaissances techniques les dispositions réglementaires.
M. le président. L'amendement n° 196, présenté par MM. Pastor, Raoul, Dussaut et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Compléter le texte proposé par cet article pour l'article L. 663-8 du code rural par un alinéa ainsi rédigé :
« Chaque année, le comité de biovigilance évalue les conditions techniques en matière de séparation totale de la filière des organismes génétiquement modifiés, et propose le cas échéant des mesures correctives pour limiter les risques de présences accidentelles d'organismes génétiquement modifiés dans d'autres produits.
La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Une réévaluation fréquente et régulière de l'efficacité des mesures est impérative pour garantir la protection du droit à produire et à consommer sans organismes génétiquement modifiés.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean Bizet, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur l'amendement n° 113 ainsi que sur l'amendement n° 196, qui est pratiquement identique. En effet, selon l'article L. 251-1 du code rural, qui figure à l'article 6 du projet de loi, « Un comité de biovigilance est chargé de donner un avis sur les protocoles de suivi de l'apparition éventuelle d'événements indésirables et d'alerter le ministre chargé de l'agriculture (...) ».
Mes chers collègues, comme vous pouvez le constater, vous avez d'ores et déjà satisfaction. Dans ces conditions, il n'est pas nécessaire d'ajouter une disposition qui serait redondante. Pour autant, ne soyez pas inquiets, nous reviendrons sur ce point, ce qui vous montrera combien nous sommes attachés au comité de biovigilance.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Le Gouvernement partage tout à fait l'objectif des auteurs de ces deux amendements, mais, compte tenu de la façon dont sont définies les compétences générales de la Haute autorité, ils semblent superfétatoires.
Le Gouvernement a donc émis un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Pastor, pour explication de vote sur l'amendement n° 113.
M. Jean-Marc Pastor. J'aurais tout aussi bien pu intervenir sur l'amendement n° 196, car ces deux amendements se ressemblent en effet beaucoup, et ils rejoignent l'amendement de M. Soulage que nous avons adopté tout à l'heure.
Nous sommes tout à fait d'accord, madame la secrétaire d'État, le comité de biovigilance a des règles de fonctionnement. En revanche, il n'est inscrit nulle part que cette institution doive rendre des comptes à la société. Il s'agit donc d'une précaution de notre part : nous souhaitons apporter davantage de transparence afin de permettre à nos concitoyens d'y voir plus clair.
Vous le savez comme moi, dans ce problème des OGM, on considère que les scientifiques vivent dans une bulle. Nous, nous essayons de faire en sorte qu'ils en sortent le plus possible. Je ne vois donc pas en quoi il serait gênant de préciser que ce comité doit de temps en temps rendre des comptes à la société.
M. le président. L'amendement n° 55 rectifié, présenté par MM. Amoudry, Soulage et les membres du groupe Union centriste - UDF et M. Laffitte, est ainsi libellé :
Après le texte proposé par cet article pour l'article L. 663-8 du code rural, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. L. ... - À l'intérieur du périmètre des productions bénéficiant d'un signe de qualité appellation d'origine contrôlée (AOC) ou d'une indication géographique protégée (IGP) et ayant interdit dans leur cahier des charges l'utilisation d'intrants génétiquement modifiés, l'autorité administrative compétente doit avant mise en place sur sa zone de production de cultures « OGM » consulter l'Organisme de défense et de gestion du signe de qualité. À condition que ce dernier produise un argumentaire scientifiquement établi les justifiant et dans le but exclusif d'éviter tout risque de contamination de l'alimentation apportée aux troupeaux des producteurs de lait bénéficiant d'une appellation d'origine contrôlée ou d'une indication géographique protégée, l'autorité administrative compétente peut mettre en oeuvre, type de culture « OGM » par type de culture « OGM », les mesures supplémentaires de protection proposées par l'Organisme de défense et de gestion, pouvant aller jusqu'à l'interdit.
« Un décret en Conseil d'État précise les modalités d'application du présent article, et notamment la liste des organisations professionnelles et interprofessionnelles habilitées à proposer des mesures de protection et leur périmètre. »
La parole est à M. Daniel Soulage.
M. Daniel Soulage. AOC, appellation d'origine contrôlée, et IGP, indication géographique protégée, obéissent à un cahier des charges très strict. Plusieurs de ces signes de qualité ont d'ores et déjà pris dans leur cahier des charges des dispositions pour garantir aux consommateurs une réponse à leur attente dans la mesure où leur écrasante majorité considère que AOC ou IGP et OGM ne sont pas compatibles.
L'INAO, l'Institut national de l'origine et de la qualité, a le pouvoir d'agréer ces dispositions restrictives, contraignantes et sources de surcoûts. Garantir des intrants au taux d'OGM inférieur au taux admis de 0,9 % suppose des efforts de traçabilité qui les renchérissent systématiquement.
Le présent texte a pour objet d'étendre le pouvoir de l'INAO afin de lui permettre de proscrire les risques de contamination par telle ou telle culture d'OGM sur l'ensemble du territoire du signe géographique de qualité, AOC ou IGP. À défaut de cette protection supplémentaire, les efforts déjà fournis par ces filières seraient anéantis par les contaminations inévitables à l'intérieur même du terroir de ce signe de qualité. De plus, les producteurs du signe de qualité, AOC ou IGP, pour lesquels l'interdit de culture d'OGM est effectif sur leur exploitation, se verraient injustement mis hors du champ de l'AOC ou de l'IGP par les contaminations extérieures.
Le nombre des AOC ou des IGP ayant pris effectivement des mesures d'interdiction des cultures d'OGM et des intrants d'OGM est faible. Par conséquent, le présent amendement aura une zone d'application réduite et limitée aux mesures nécessaires et proportionnées à l'objectif de prévention des risques de contamination.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean Bizet, rapporteur. Nous abordons une question très intéressante et très importante. Vous vous en souvenez, mes chers collègues, nous en avions déjà longuement débattu en 2006.
Je voudrais signaler en préambule que la commission des affaires économiques est particulièrement attachée aux signes de qualité et à leur défense. Notre commission a eu l'occasion de le rappeler à de très nombreuses reprises ces dernières années, notamment à l'occasion des excellents travaux de notre collègue Gérard César.
Cet amendement vise à proposer un dispositif assez complexe dans lequel l'autorité administrative doit consulter les organismes de gestion avant de mettre en place toute culture d'OGM. Pour éclaircir ce débat, il me semble utile de rappeler quelques points.
En premier lieu, les AOC peuvent parfaitement écrire dans leur cahier des charges que les produits bénéficiant de leur signe ne doivent pas résulter d'organismes génétiquement modifiés. Cependant, j'y insiste, il ne s'agit que d'un engagement privé qu'il leur est uniquement loisible de s'imposer à eux-mêmes.
En deuxième lieu, je vous invite à lire attentivement le deuxième alinéa du paragraphe V de l'article L. 251-1 du code rural, qui dispose : « Dans l'intérêt de la protection des appellations d'origine contrôlée, l'Institut national de l'origine et de la qualité peut proposer à l'autorité administrative » des mesures d'interdiction, de restriction ou de prescriptions particulières concernant la mise sur le marché, la délivrance et l'utilisation des produits mentionnés à cet article, y compris les supports de cultures composés en tout ou partie d'organismes génétiquement modifiés.
Par conséquent, la préoccupation légitime de nos collègues du groupe de l'Union centriste, que nous partageons, comme je n'ai cessé de le leur dire depuis deux ans, est doublement satisfaite par le droit en vigueur. Certes, on peut me rétorquer que, si cela existe déjà dans le droit, on pourrait aussi bien le répéter ici.
M. Jean-Marc Pastor. C'est pédagogique !
M. Jean Bizet, rapporteur. Je vois deux raisons qui s'y opposent : tout d'abord, il n'est pas de bonne pratique législative de répéter sous deux formes différentes un même dispositif ; cette méthode de la répétition aurait, certes, l'avantage d'être pédagogique, comme le dit M. Pastor, mais elle nous ferait perdre de la lisibilité.
En outre, dans la mesure où la procédure proposée par l'amendement n° 55 rectifié diffère de celle qui existe dans le droit en vigueur tout en ayant le même objectif, nous risquons d'empiler deux dispositifs concurrents avec pour résultat de les affaiblir tous les deux.
C'est pourquoi la commission demande aux auteurs de cet amendement de bien vouloir le retirer. Je le répète, nous en partageons l'esprit - d'ailleurs, Daniel Soulage le sait bien, car nous avons eu l'occasion à plusieurs reprises d'en parler -, mais l'amendement est déjà satisfait par le droit en vigueur et son adoption aboutirait en réalité à compliquer la gestion des signes de qualité et in fine, je le crains, à les affaiblir.
M. le président. Monsieur Soulage, l'amendement n° 55 rectifié est-il maintenu ?
M. Daniel Soulage. Non, je me range aux arguments de la commission et je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 55 rectifié est retiré.
Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 197, présenté par MM. Pastor, Raoul, Dussaut et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Supprimer les deux derniers alinéas du texte proposé par cet article pour l'article L. 663-9 du code rural.
La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Cet amendement se justifie par son texte même.
Il s'agit d'un amendement rédactionnel, en cohérence avec l'amendement n° 198 déposé à l'article 4.
M. le président. L'amendement n° 114, présenté par MM. Muller et Desessard et Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le deuxième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 663-9 du code rural :
« L'autorité administrative prononce des sanctions. Celles-ci comprennent la destruction totale ou partielle des cultures.
La parole est à M. Jacques Muller.
M. Jacques Muller. Cet amendement vise à préciser plus clairement que dans le texte la portée des sanctions prononcées par l'autorité administrative en cas non-respect des prescriptions prévues à l'article L. 663-8 selon les termes du projet de loi.
Il s'agit bien de préciser que la destruction, totale ou partielle, des cultures est automatique dès lors que le non-respect des prescriptions a été avéré par des agents habilités. Elle n'est pas une option parmi une palette de sanctions aujourd'hui non précisées, mais elle est le premier palier desdites sanctions.
Si nous reconnaissons quelque valeur aux prescriptions élaborées par l'autorité administrative, que cette dernière sera chargée de faire respecter, il va de soi que les cultures mises en place en dehors du respect desdites prescriptions doivent être considérées comme illégales. Par conséquent, leur destruction doit être ordonnée par l'autorité administrative.
M. le président. L'amendement n° 20, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le deuxième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 663-9 du code rural :
« En cas de non-respect de ces prescriptions, l'autorité administrative peut ordonner la destruction totale ou partielle des cultures.
La parole est à M. le rapporteur pour présenter l'amendement n° 20 et pour donner l'avis de la commission sur les amendements nos 197 et 114.
M. Jean Bizet, rapporteur. La rédaction proposée par le Gouvernement laisse entrevoir un champ indéfini de sanctions, ce qui est contraire à la Constitution. Il vous est donc proposé, par l'amendement n° 20, d'en revenir au dispositif de 2006, juridiquement mieux encadré.
En ce qui concerne l'amendement n° 197, la commission y est défavorable, car il est contraire à l'amendement n° 20. En outre, la commission émettra logiquement un avis défavorable sur l'amendement n° 198 à l'article 4, dont l'amendement n° 197 est en quelque sorte le préalable.
La commission est également défavorable à l'amendement n° 114. D'une part, cet amendement maintient la difficulté juridique qui existe déjà dans le projet de loi - il n'est pas conforme à la Constitution de créer des sanctions non définies. D'autre part, il est concurrent de l'amendement n° 20 de la commission.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. L'amendement n° 20 nous convient. Il prévoit une destruction totale ou partielle des cultures, et il est suffisamment clair.
En conséquence, le Gouvernement est défavorable aux amendements nos 197 et 114, qui semblent plus flous et peu précis.
M. le président. Je mets aux voix l'article 3, modifié.
(L'article 3 est adopté.)
Article additionnel après l'article 3
M. le président. L'amendement n° 223, présenté par MM. Repentin, Pastor, Raoul, Dussaut et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - À l'intérieur du périmètre des productions bénéficiant d'un signe de qualité appellation d'origine contrôlée (AOC), ou d'une indication géographique protégée (IGP), et ayant interdit dans leur cahier des charges l'utilisation d'intrants génétiquement modifiés, l'autorité administrative compétente doit avant mise en place sur sa zone de production, de cultures d'organismes génétiquement modifiés consulter l'Organisme de défense et de gestion (ODG) du signe de qualité. À condition que ce dernier produise un argumentaire scientifiquement établi les justifiant et dans le but exclusif d'éviter tout risque de contamination de l'alimentation apportée aux troupeaux des producteurs de lait d'appellation d'origine contrôlée ou d'une indication géographique protégée, l'autorité administrative compétente peut mettre en oeuvre type de culture d'organismes génétiquement modifiés par type de culture d'organismes génétiquement modifiés les mesures supplémentaires de protection proposées par l'Organisme de défense et de gestion, pouvant aller jusqu'à l'interdit.
II. - Un décret en Conseil d'État précise les modalités d'application de la présente disposition, et notamment la liste des organisations professionnelles et interprofessionnelles habilitées à proposer des mesures de protection et leur périmètre.
La parole est à M. Paul Raoult.
M. Paul Raoult. Les appellations d'origine contrôlées, AOC, et les indications géographiques protégées, IGP, obéissent à un cahier des charges très strict.
Plusieurs de ces signes de qualité ont d'ores et déjà pris dans leur cahier des charges des dispositions pour garantir aux consommateurs une réponse à leur attente dans la mesure où, dans leur écrasante majorité, ils considèrent que les AOC ou les IGP et les OGM ne sont pas compatibles.
L'Institut national des appellations d'origine, l'INAO, a le pouvoir d'agréer ces dispositions restrictives, contraignantes et sources de surcoûts : garantir des intrants au taux d'OGM inférieur au taux admis de 0,9 % suppose des efforts de traçabilité qui les renchérissent systématiquement.
Le présent amendement a pour objet d'étendre le pouvoir de l'INAO pour lui permettre d'interdire les risques de contamination par telle ou telle culture d'OGM sur l'ensemble du territoire du signe géographique de qualité - AOC ou IGP.
À défaut de cette protection supplémentaire, les efforts déjà fournis par ces filières seraient anéantis par les contaminations inévitables à l'intérieur même du terroir de ce signe de qualité.
De plus, les producteurs du signe de qualité, AOC ou IGP, pour lesquels l'interdit de culture d'OGM est effectif sur leur exploitation, se verraient injustement mis hors du champ de l'AOC ou de l'IGP par les contaminations extérieures.
Le nombre des AOC ou des IGP ayant pris effectivement des mesures d'interdit des cultures d'OGM et des intrants d'OGM est faible.
En conséquence, le présent amendement aura une zone d'application réduite, limitée aux mesures nécessaires, et qui sera proportionnée à l'objectif de prévenir des risques de contamination.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean Bizet, rapporteur. M. Soulage nous a fait, il y a quelques minutes, exactement la même proposition en nous présentant l'amendement n° 55 rectifié.
La commission n'a pas changé d'avis. Par conséquent, elle est défavorable à cet amendement !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. M. Soulage avait tout à l'heure retiré son amendement avant que le Gouvernement ait pu s'exprimer. S'agissant d'un amendement pour ainsi dire identique, je tiens à dire que l'objectif visé, c'est-à-dire la défense des AOC et des IGP, nous semble très sain.
Le Sénat avait eu, d'ailleurs, l'an passé, au moment de l'examen du précédent projet de loi sur les OGM, des débats d'une très grande qualité et d'un très grand intérêt. M. le ministre d'État et moi-même les avons relus très attentivement pour essayer d'en tirer le meilleur parti en travaillant à l'élaboration de ce projet de loi.
Il s'agit d'un sujet extraordinairement difficile puisqu'il est d'ores et déjà possible pour les AOC d'exclure les OGM. D'ailleurs, un certain nombre d'entre elles ne s'en privent pas.
Faut-il aller plus loin ? Franchement, le système que vous proposez est très complexe, monsieur Raoult. On ne voit pas bien comment il pourrait fonctionner. On ne voit pas bien non plus comment on éviterait de déplacer vers les organismes de défense et de gestion un débat sur les OGM qui, probablement, leur compliquerait très fortement l'existence.
L'objet de cet amendement est donc très légitime, mais la formule qui est proposée ne nous semble pas adaptée à l'objectif. Son adoption compliquerait beaucoup la vie des organismes de défense et de gestion, qui ont, par ailleurs, fort à faire.
Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Pastor, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Pastor. J'ai écouté avec beaucoup d'attention les propos de Mme la secrétaire d'État. Cet amendement pose une question de fond : qui des OGM ou des productions traditionnelles à la primauté?
Aura-t-on le droit de cultiver des OGM sur le territoire de productions bénéficiant d'une IGP ou d'une AOC, et ayant clairement interdit dans son cahier des charges l'utilisation d'OGM ?
Que se passera-t-il dans ce cas de figure, madame la secrétaire d'État ? Êtes-vous sûre qu'il n'y aura pas de contentieux ? Pour ma part, je pense qu'ils sont inévitables !
Notre rôle, au Sénat, avec vous, est d'anticiper ces situations de façon à prévenir cette petite guerre civile qui risque demain, madame la secrétaire d'État, de naître un peu partout sur notre territoire.
Je comprendrais si vous me disiez que la rédaction de cet amendement doit être plus claire, plus souple. Cet argument, je l'entendrais d'autant plus que nous sommes tout à fait disposés à revoir notre copie. Mais, sur le fond, je ne vois pas comment, demain, vous pourrez vous contenter de dire, à ceux qui ne manqueront pas de vous saisir du problème, car, encore une fois, des contentieux, il y en aura, que vous ne savez pas qui des deux prévaut !
C'est donc ennuyeux.
Vous le savez comme moi, les Français sont attachés à cette notion de produit du terroir. La grande distribution le sait très bien puisqu'elle organise régulièrement des semaines de promotion précisément consacrées à des AOC ou à des IGP. On sait que cela attire des clients !
Comment resterons-nous crédibles et pourrons-nous encore mettre en avant cette spécificité française qui consiste à assurer la protection d'un certain nombre de produits liés à des terroirs ?
Madame la secrétaire d'État, très honnêtement, je souhaiterais que vous y réfléchissiez à deux fois avant de laisser s'enclencher une mécanique qui n'aura d'autre effet que d'enflammer nos territoires, ce qui n'est pas, je suppose, l'objet de ce texte de loi !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Je comprends bien l'objectif visé au travers de cet amendement, et je le trouve très légitime.
Les AOC et les IGP font la richesse et la spécificité de l'agriculture française des terroirs, ainsi que la fierté des territoires.
Monsieur le sénateur, avec le Grenelle de l'environnement, dont nous respecterons scrupuleusement, selon les propres termes du Président de la République, les engagements - d'un côté, la clause de sauvegarde sur le Monsantos 810, de l'autre ce projet de loi qui encadre les OGM -, avec aussi l'intergroupe OGM, nous essayons précisément d'éviter la guerre civile pour entrer dans une phase plus constructive.
Cet amendement, je le crains, risque de transporter cette « guerre civile », pour reprendre votre expression, monsieur le sénateur, au sein des organismes de défense et de gestion du signe de qualité.
Ces organismes de défense et de gestion ont besoin d'être solides et ne peuvent assumer cette responsabilité. Ils se retrouveront eux-mêmes sous tension et vivront des déchirements.
Ce n'est donc pas un cadeau à faire à ces organismes que de leur confier une telle responsabilité !
C'est la raison pour laquelle j'ai émis un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur. Je voudrais essayer de rassurer Jean-Marc Pastor que je trouve quelque peu ému dans cette discussion, en particulier en ce qui concerne cet amendement.
Il ne faut pas perdre de vue que notre exercice doit assurer la coexistence entre les cultures et le respect de chaque mode cultural. Il n'est pas question d'instituer une domination d'une forme d'agriculture sur une autre.
Je crois beaucoup à l'agriculture plurielle, qui est une réalité dans notre pays. Il n'est pas question d'opposer les différents modes de culture, mais il faut simplement faciliter leur enrichissement mutuel.
Globalement, 20 % des agriculteurs français s'investissent dans une agriculture sous signe de qualité. Ils sont le fer de lance et l'image de notre agriculture.
Loin de nous l'idée, au travers de cette technologie et de cette innovation, de les fragiliser ou de les mettre en difficulté. Il s'agit d'un saut technologique que les uns et les autres feront ou ne feront pas, mais il ne faut pas que cette forme d'agriculture sous signe de qualité empêche le développement d'une autre forme d'agriculture, les deux devant coexister dans un respect mutuel.
Je ne sais pas si j'ai réussi à vous rassurer, mais, croyez-moi, il n'y a aucune volonté de domination d'une forme d'agriculture par rapport à une autre.
M. Jean-Marc Pastor. Nous le ferons savoir !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 223.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 4
Au titre VII du livre VI du code rural sont insérés les articles L. 671-14 et L. 671-15 ainsi rédigés :
« Art. L. 671-14. - Est puni de deux ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende :
« 1° Le fait de ne pas respecter une ou plusieurs des conditions techniques prévues à l'article L. 663-8 ;
« 2° Le fait de ne pas avoir déféré à une des mesures de destruction ordonnée par l'autorité administrative en application de l'article L. 663-9.
« Les personnes physiques encourent également les peines complémentaires d'affichage de la décision prononcée ou de diffusion de celle-ci soit par la presse écrite, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique.
« Les personnes morales encourent, outre l'amende prévue au premier alinéa de l'article 131-38 du code pénal, les peines prévues au 9° de l'article 131-39 du code pénal.
« Art. L. 671-15. - Est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 € d'amende le fait de faire obstacle à l'exercice des fonctions des agents mentionnés au I de l'article L. 251-18 agissant en application de l'article L. 663-9. »
M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam, sur l'article.
M. Gérard Le Cam. L'article 4 est relatif aux sanctions pénales auxquelles s'expose une personne qui ne respecte pas l'une des conditions techniques de mise en culture imposées pour les OGM ou qui ne détruit pas les cultures lorsque les agents du service de protection des végétaux l'ont ordonné.
S'agissant des destructions de cultures autorisées - et je tiens à ce qu'il soit clair pour tout le monde que ce sont bien les cultures qui sont « autorisées » -, la commission des affaires économiques propose un amendement qui tendrait à faire croire que les faucheurs sont aujourd'hui exempts de toute sanction pénale. L'arsenal juridique nous semble pourtant largement suffisant.
Ainsi, l'article 322-1 du code pénal prévoit que la destruction, la dégradation, la détérioration d'un bien appartenant à autrui est punie de deux ans d'emprisonnement et de 200 000 francs d'amende. De plus, cette sanction est aggravée quand la destruction est faite en réunion.
Ainsi, à part l'affichage politique, rien ne justifie les modifications proposées à l'article 4.
Je voudrais obtenir quelques éclaircissements sur les sanctions encourues par des exploitants agricoles qui planteraient des OGM en violation de l'arrêté d'interdiction du maïs MON 810. Nous ne sommes pas sûrs qu'ils tombent sous le coup de l'article L. 671-14 du code rural
En effet, cet article prévoit la sanction du non-respect de l'article L. 663-8, qui est relatif aux seules cultures de végétaux autorisées. Il nous semble donc que la situation dont nous faisions mention n'est pas concernée.
Pourriez-vous nous répondre sur cette question ? (M. Jean Desessard applaudit.)
M. le président. L'amendement n° 244, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Dans le deuxième alinéa (1°) du texte proposé par cet article pour l'article L. 671-14 du code rural, remplacer les mots :
une ou plusieurs des conditions techniques
par les mots :
les conditions techniques relatives aux distances entre cultures
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Cet amendement va de pair avec un sous-amendement que nous avions proposé à l'amendement n° 18 de la commission, avant que ce dernier soit retiré. Il s'agissait de l'élargissement du pouvoir réglementaire en matière de conditions techniques.
Cet élargissement nécessite de modifier l'article 4 pour définir précisément dans la loi le champ de l'infraction constitutive du délit que nous avions mentionnée à l'article L. 671-14 qui portera, lui, uniquement sur le non-respect des distances de cultures. Donc, le non-respect des conditions techniques autres que celles qui sont relatives aux distances de cultures sera simplement constitutif d'une contravention. La sanction sera précisée par voie réglementaire.
Tel est le sens de cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean Bizet, rapporteur. La commission n'a pas eu le temps d'examiner l'amendement n° 244 du Gouvernement. Toutefois, à titre personnel, et considérant qu'il apporte une précision utile, j'y suis favorable.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. Cet amendement n° 244, sous couvert d'un recentrage sur le problème du respect ou du non-respect des périmètres, est finalement très libéral avec ceux qui vident leurs bennes sur les bas-côtés !
Je rappelle que ce texte ne concerne pas que les maïs en plein champ mais qu'il a trait à l'ensemble des OGM. Or tous les praticiens de l'agriculture savent à quelle vitesse se multiplie le colza, par exemple. Il est aussi grave selon moi de négliger les grains qui sont disséminés que de ne pas respecter le périmètre. Cela fait autant de dégâts. Donc, je ne vois pas pourquoi nous nous limitons à une simple contravention pour ce genre de méfait alors que nous prévoyons la destruction de la culture pour non-respect des périmètres.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Pastor, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Pastor. La nuit dernière, notre assemblée a rejeté un amendement qui concernait les conditions techniques liées aux OGM importés. Madame la secrétaire d'État, comment doit-on lire l'amendement que vous nous proposez par rapport aux OGM importés ? Tout à l'heure, nous avons évoqué des questions techniques de conditionnement : une benne que l'on vide peut entraîner des contaminations. Comment va-t-on aborder le sujet avec votre amendement ? Très honnêtement, je n'y vois pas très clair.
M. le président. L'amendement n° 115, présenté par MM. Muller et Desessard et Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet, est ainsi libellé :
Compléter le deuxième alinéa (1°) du texte proposé par cet article pour l'article L. 671-14 du code rural par les mots :
y compris le fait d'intervenir ou de faire intervenir une personne dans le processus de culture, d'importation, de transport, de stockage, de transformation et de diffusion des organismes génétiquement modifiés sans le certificat requis
La parole est à M. Jacques Muller.
M. Jacques Muller. Depuis le début, les amendements que je présente sont recalés. Celui-ci était un amendement de coordination, je le retire.
M. le président. L'amendement n° 115 est retiré.
L'amendement n° 21 rectifié, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après le troisième alinéa (2°) du texte proposé par cet article pour l'article L.671-14 du code rural, insérer deux alinéas ainsi rédigés :
« 3° Le fait de détruire ou de dégrader une parcelle de culture autorisée en application des articles L. 533-5 et L. 533-6 du code de l'environnement.
« Lorsque l'infraction visée au 3° porte sur une parcelle de culture autorisée en application de l'article L. 533-3 du code de l'environnement, la peine est portée à trois ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur. Cet amendement tend à équilibrer le dispositif pénal du projet de loi.
Si celui-ci prévoit en effet de sanctionner lourdement le cultivateur de plantes génétiquement modifiées qui n'aurait pas respecté les prescriptions techniques prévues à l'article L.663-8, il ne comporte pas de protection spécifique du cultivateur qui a bien respecté ses obligations.
Or, comme cela avait été exprimé dans les conclusions du Grenelle de l'environnement, le législateur se doit de sanctionner les destructions illégales de cultures autorisées par la loi.
Le premier alinéa à insérer vise donc à étendre la sanction déjà prévue par le projet de loi pour l'article L.671-14 du code rural. Le second alinéa vise à aggraver cette sanction dans le cas de destructions d'essais autorisés, ce qui correspond pleinement aux engagements du Grenelle de l'environnement en faveur de la protection de la recherche.
La rectification est purement rédactionnelle.
Ainsi que j'ai déjà eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises, et sans vouloir être excessif, mais pour reprendre les propos de l'ancien président du Conseil national de l'alimentation, M. Babusiaux, si le champ est devenu un espace social, pour autant, il n'est pas devenu un espace de non-droit. Il me paraît donc souhaitable d'apporter cette rectification, madame la secrétaire d'État, car, croyez-moi, dans cette assemblée, les valeurs et les repères de ce type sont éminemment importants.
M. le président. Le sous-amendement n° 243, présenté par MM. César, Bailly et Sido, est ainsi libellé :
Compléter le deuxième alinéa (3°) de l'amendement n° 21 rectifié par les mots :
ou d'entraver le semis ou la culture
Ce sous-amendement n'est pas soutenu.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 21 rectifié ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. L'article 322-1 du code pénal réprime la destruction et la dégradation du bien d'autrui ; c'est un délit qui est puni de deux ans de prison et de 30 000 euros d'amende.
Par ailleurs, un texte spécifique définit des circonstances aggravantes : ainsi, l'article 322-3 du code pénal punit le fauchage en réunion de cinq ans de prison et de 75 000 euros d'amende.
La commission nous propose de passer d'une peine de cinq ans de prison et de 75 000 euros d'amende à une peine de trois ans de prison, soit presque deux fois moins, et de 150 000 euros d'amende, soit deux fois plus. Deux fois plus d'amende et deux fois moins de prison, pourquoi, monsieur le rapporteur ?
Faute de saisir le sens de cette modification, le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
Mme Évelyne Didier. Peut-on parler de « sagesse » en l'occurrence ?
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.
M. Michel Charasse. À propos de l'amendement n° 21 rectifié de la commission, je voudrais faire deux observations de nature rédactionnelle.
La première, c'est que je crois fâcheux de ne pas préciser dans le texte de l'amendement - sans préjuger la position de fond - que ces destructions ou dégradations sont faites « volontairement ». En effet, en cas de destruction ou de dégradation accidentelle, ces peines naturellement ne sont pas applicables. Il serait donc souhaitable de le préciser.
La deuxième chose qui me gêne, cher monsieur le rapporteur, malgré votre effort rédactionnel, c'est que vous évoquez « une parcelle de culture autorisée ». Cela peut vouloir dire a contrario que l'on peut détruire librement des cultures non autorisées, et que l'on peut donc se faire justice soi-même, ce qui, au regard des principes de la République, est une horreur absolue.
S'il doit y avoir des sanctions, quelles qu'elles soient, elles doivent s'appliquer à toutes les destructions de cultures, autorisées ou non. Nous ne sommes pas chez les Huns et ce ne sont pas les règles d'Attila ! Il y a en France des tribunaux ; la loi prévoit la destruction des cultures irrégulières et je ne voudrais pas, cher monsieur le rapporteur, que votre texte soit une incitation pour un certain nombre d'hurluberlus à se constituer en milices privées locales pour aller rendre la justice sur les terres d'autrui.
Par conséquent, je préférerais que la rédaction vise « le fait de détruire ou de dégrader volontairement une parcelle de culture », autorisée ou non, n'entrons pas dans ces détails, car si seules sont sanctionnées les destructions de cultures autorisées, cela veut dire que, désormais, chacun peut rendre sa petite justice dans son canton, sa commune ou son hameau !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. Je ne me place pas sur le même terrain que M. Michel Charasse. Je voudrais simplement rappeler que, dans l'intergroupe OGM du Grenelle de l'environnement, une somme de propositions avaient été promues de façon consensuelle, après de longs débats, et quelques propositions avaient été notées comme n'étant pas votées par l'ensemble.
L'honnêteté intellectuelle me conduit à dire que la FNSEA nous avait effectivement demandé que soient sanctionnés de façon plus sévère les faucheurs d'OGM, etc.
Mais, à ce stade du débat, il faut quand même comparer le devenir de tout ce qui a été proposé dans cet intergroupe. Autrement dit, où en sommes-nous aujourd'hui ?
Nous voulions la garantie de pouvoir cultiver sans OGM ; nous avons la garantie de pouvoir cultiver avec.
Nous voulions une vigilance sur les apiculteurs. Tout le monde a versé sa petite larme, mais ils sont absents du texte.
Nous avons refusé aujourd'hui par nos votes d'affirmer les droits de l'agriculteur préexistant. Il n'a qu'à se débrouiller avec la pollution qui lui arrivera. Nous avons refusé les droits du préexistant, y compris ceux qui vont perdre des AOC ou des IGP.
On a exonéré l'aval de la coopérative, c'est-à-dire l'importation, la transformation, le conditionnement, la distribution. Aucune vigilance, aucune exigence !
On recueille l'avis de la Haute autorité, devenue Haut conseil, mais uniquement de sa composante scientifique, alors que l'histoire nous apprend que les usagers et les donneurs d'alerte ont été, dans les catastrophes sanitaires - je pense à l'hormone de croissance -, vraiment utiles et, hélas, mal entendus.
Face à cela, l'amendement répressif, dont Mme la ministre a montré qu'il visait à moins de prison et à plus d'argent - il est vrai qu'il est plus amusant de détruire les gens à petit feu - ressemble plus à une vengeance. J'en appelle donc à la hiérarchie de nos arbitrages, car je trouve anormal de suivre une telle proposition. (M. Jean Desessard applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Braye, pour explication de vote.
M. Dominique Braye. Je souhaite simplement rappeler la volonté de l'immense majorité de nos concitoyens. Je soutiendrai évidemment l'amendement de notre rapporteur qui nous a bien expliqué qu'il s'agit de rétablir un équilibre : à partir du moment où nous faisons le choix d'identifier les parcelles cultivées, ceux que notre collègue Charasse appelle des « hurluberlus »...
M. Michel Charasse. Cet après-midi, j'ai décidé d'être aimable !
M. Dominique Braye. ... quant à moi, je préfère les appeler « délinquants », ont la partie facile. Je suis donc d'accord pour que les sanctions soient aggravées à leur encontre.
Nous le savons tous, actuellement, ces délinquants sont parfois plus considérés que ceux qui respectent la loi dans notre pays. Étant élu d'une collectivité où se trouvent des quartiers « sensibles », je me suis entendu dire à de nombreuses reprises, par des jeunes qui ont brûlé des voitures et ont été condamnés pour cette raison, que des gens qui détruisaient des champs, avec des conséquences économiques autrement graves, étaient manifestement toujours en liberté et même parfois honorés, voire embrassés en public ! (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Jean-Marc Pastor. Jaloux !
M. Dominique Braye. Tout cela pour dire que l'on ne s'y retrouve plus ! Nous souhaitons que le droit soit respecté, que le Gouvernement et les services de sécurité aient enfin le courage de le faire respecter, qu'il n'y ait plus deux poids et deux mesures...
M. Paul Raoult. On s'éloigne du sujet !
M. Dominique Braye. ... et que la sanction de la justice ne soit pas réservée aux faibles, qui sont sévèrement condamnés pour des faits souvent plus légers, voire mineurs.
Nous souhaitons que la répression soit beaucoup plus lourde pour ces délinquants qui détruisent soit des biens privés, soit - et c'est beaucoup plus grave - des champs consacrés à la recherche sur la mucoviscidose ou d'autres maladies.
Je me fais le porte-parole de tous nos concitoyens et, en tout cas, des plus faibles et des plus fragiles (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste) pour que notre Gouvernement retrouve enfin le courage qui, depuis quelque temps, lui a beaucoup manqué vis-à-vis de certains ! (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Muller, pour explication de vote.
M. Jacques Muller. Quelle ambiance ! Je crois que certains d'entre nous perdent leurs nerfs ; en termes de goujaterie, excusez-moi, cher collègue, vous vous posez là ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Charles Pasqua. Pourquoi : « goujaterie » ?
M. Jacques Muller. Vous avez bien entendu en quels termes M. Braye a parlé de Mme la secrétaire d'État !
M. Dominique Braye. On le connaît, Muller !
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie !
M. Jacques Muller. Monsieur le président, je n'ai pas interrompu M. Braye et je ne souhaite pas être interrompu !
Cet amendement tend à instaurer une amende de 75 000 euros pour le délit de fauchage. Je voudrais attirer votre attention sur le fait que nous allons discuter, à l'article suivant, de l'indemnisation des victimes : nous avons souvent parlé de la défense du droit des victimes ces derniers temps !
Mais quid des victimes de contaminations par des organismes génétiquement modifiés ? Elles verront leur indemnité évaluée « au pèse-lettre » en fonction de la différence entre le prix « OGM » et le prix « non OGM ». En Europe, cela signifie que, pour un hectare de maïs bio pollué par des cultures OGM, l'agriculteur biologique serait généreusement indemnisé à hauteur de 30 euros. Et voilà que l'on veut punir le délit de fauchage d'une amende de 75 000 euros !
Pardonnez-moi, mais ce n'est pas cela, la justice !
Mme Évelyne Didier. C'est disproportionné !
M. Jacques Muller. Oui, ces montants sont totalement disproportionnés ! On entre dans l'irrationnel, l'idéologie, et je pèse mes mots ! Je refuse catégoriquement ce type d'article !
Revenons-en à la loi. Soyons clairs : il existe déjà aujourd'hui une loi qui protège les biens des personnes. Nous n'avons pas à nous prononcer sur la manière dont les juges appliquent les lois. Si des juges ont rendu des décisions qui ne vous conviennent pas, ils n'ont fait que leur métier en interprétant la loi.
Je terminerai en rappelant ce que j'avais dit dans mon intervention lors de la discussion générale : les troubles que nous connaissons aujourd'hui dans notre pays trouvent leur origine dans le vide juridique qui prévaut, puisque la directive n° 2001/18/CE aurait dû être transposée depuis octobre 2002 ! C'est en raison de ce vide juridique qu'on observe effectivement des désordres.
De grâce, ne mettons pas sur un même pied 30 euros d'indemnisation et 75 000 euros d'amende, c'est franchement indécent !
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote.
Mme Évelyne Didier. Je souhaiterais rebondir sur l'intervention de notre collègue Marie-Christine Blandin, qui a fait la liste des préconisations présentée par le groupe OGM au cours du Grenelle de l'environnement et mis en lumière le fait que, face à toutes les préconisations qui n'ont pas été reprises, la seule qui est ici retenue a trait à la répression, comme par hasard !
Depuis le début de la discussion de ce projet de loi, au-delà du problème particulier des OGM, je ressens un grand malaise : j'ai participé au Grenelle de l'environnement, notre collègue Dominique Braye également ; ce processus a été mis en place en grande pompe, sur la demande du Président de la République ; par ailleurs, on a créé le grand ministère de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables ou MEDAD ; M. Borloo a mis toute son énergie dans la question, Mme Kosciusko-Morizet également.
Nous étions donc en présence d'un grand dessein, présenté et porté par l'ensemble du Gouvernement, du moins semblait-il ! Or, au fur et à mesure des discussions, il s'avère que M. Le Grand a des états d'âme, que des amendements sont retirés et que, chaque fois que l'on évoque le Grenelle de l'environnement, certains dans les rangs de la majorité font la fine bouche, voire réagissent très mal.
Je ne peux donc que poser la question : cette démarche n'était-elle pas, d'une certaine façon, contre-nature par rapport aux thèmes défendus habituellement par la majorité et ne sommes-nous pas en train de vivre en direct la fin du Grenelle de l'environnement ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Gérard Le Cam. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille, pour explication de vote.
M. Laurent Béteille. Pour en revenir à l'amendement qui nous est présenté par la commission, je souhaiterais tout d'abord rappeler à notre collègue Muller qu'il confond la sanction et l'indemnisation. On ne peut comparer l'une et l'autre, puisqu'elles répondent à des finalités différentes. (M. Jacques Muller fait un geste de dénégation.)
Cela dit, je n'ai aucune sympathie pour les gens qui détruisent le bien d'autrui, qu'il s'agisse de véhicules ou de récoltes. Les deux sont également inadmissibles.
Pour autant, des dispositions législatives existent déjà et il ne me paraît pas nécessaire d'en faire plus. Si nous voulons que la loi pénale soit intelligible pour tous, n'ajoutons pas des textes à d'autres textes, ni des textes spécialisés aux textes généraux qui peuvent déjà s'appliquer.
Cet amendement, si compréhensible soit-il, ne me paraît pas utile à notre droit pénal. De plus, il instaure une proportion différente entre la peine d'emprisonnement et la peine d'amende, or je vous rappelle qu'il existe un principe de proportionnalité dans notre droit pénal et qu'il ne semble pas devoir être modifié.
De grâce, pour l'équilibre de notre droit pénal, n'adoptons pas cet amendement malvenu ! En ce qui me concerne, je ne pourrai pas le voter.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Je pense effectivement que cette mesure est idéologique : elle est à mettre en relation avec d'autres débats en cours sur l'emprisonnement.
On va condamner des faucheurs à la prison. Mais, puisqu'on nous dit qu'il ne faut pas relâcher un récidiviste, et puisque nous savons bien qu'un faucheur volontaire est déterminé, combien de temps va-t-on l'enfermer ? C'est ma première question.
La deuxième porte sur le « profil » des délinquants, que l'on ne manque pas de mettre en exergue. N'a-t-on pas entendu dire que certains peuvent être délinquants, ou rebelles, dès la naissance ou dès l'adolescence ! (Protestations sur les travées de l'UMP.) On sera donc fiché comme rebelle !
Bref, combien de temps va-t-on nous enfermer et à partir de quand va-t-on nous considérer comme rebelles ?
Mme Isabelle Debré. Vous vous trompez de débat !
M. Jean Desessard. Mes chers collègues de l'UMP, comme vous ne voulez pas de débat devant les Français - vous n'avez pas voulu du référendum, mais c'est une autre question - et comme vous voulez durcir la loi, que se passera-t-il lorsqu'il y aura des confrontations ?
Il est facile d'employer de grands mots, d'évoquer le bien d'autrui, comme si nous nous trouvions dans une société parfaite, sans pauvres ni riches, où tous seraient égaux. Mais non, nous sommes dans une société injuste !
M. Charles Pasqua. Allez !
M. Jean Desessard. Les OGM profitent aux lobbies agricoles, aux firmes multinationales (Exclamations sur les travées de l'UMP.) et les gens les combattent en fauchant les cultures, comme les ouvriers défendent leurs entreprises en les occupant ! Certaines formes de résistance ne sont peut-être pas légales, mais elles sont justes !
M. Laurent Béteille. C'est n'importe quoi !
M. Jean Desessard. Aujourd'hui, vous dites que ce combat est injuste et vous voulez condamner les gens le plus possible, dès l'adolescence, jusqu'à ce que leur résistance soit brisée !
Aujourd'hui, vous affirmez idéologiquement que vous êtes bien la droite, celle qui entend réprimer ceux qui veulent résister ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Luc Miraux. Intolérant !
M. le président. Mes chers collègues, gardons notre calme !
M. Paul Blanc. Monsieur le président, j'espère que vous avez un défibrillateur en état de fonctionnement !
M. Michel Charasse. Voilà ce qui arrive, quand on ne mange que du bio ! (Sourires.)
M. Dominique Braye. On lui avait dit que c'était dangereux !
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Pastor, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Pastor. Notre pays est un État de droit, avec des règles, des droits et des devoirs. Ces règles existent et ce n'est certainement pas dans cet hémicycle qu'il convient de les remettre en cause.
Je fais partie de ceux qui condamnent tous ceux qui détruisent les biens d'autrui,...
M. Charles Pasqua. Très bien !
M. Jean-Marc Pastor. ... qu'il s'agisse de voitures ou d'autre chose. Ces agissements sont inadmissibles et la République française s'est dotée d'une justice à même de régler ce type de problème.
M. Dominique Braye. Encore faut-il appliquer les lois votées !
M. Jean-Marc Pastor. Avant de proposer des sanctions dans une loi portant sur un sujet bien précis - parce que nous n'en finirons pas d'identifier la sanction la mieux adaptée -, commençons par appliquer ce que le législateur a déjà voté ! Force est de le constater, mes chers collègues, on pourrait parler longtemps du problème de l'application des lois.
M. Dominique Braye. Nous le regrettons autant que vous !
M. Jean-Marc Pastor. Je ne regrette rien, je fais un constat !
La loi existe, la justice l'applique, elles ont l'une et l'autre leur raison d'être, n'en rajoutons pas ! Seuls les régimes extrémistes prévoient toujours la répression et la condamnation comme solution à tous leurs problèmes.
Mes chers collègues, sur un sujet comme celui-ci, je préfère de très loin recourir à l'information et à la pédagogie. Une série d'amendements, que nous avons vus avant-hier et que nous reverrons demain, prévoient une information pédagogique de l'ensemble de nos concitoyens, chaque fois que l'on emploiera des OGM. Voyons donc ensemble comment apporter une information supplémentaire afin que, demain, les gens ne se braquent pas contre les OGM. Nous avons un travail collectif à faire sur ce sujet.
Je préfère inscrire cette démarche dans le texte de la loi plutôt que de savoir que telle personne fera tant de mois ou d'années de prison si elle va faucher une parcelle ou détruire le bien d'autrui - alors que je considère effectivement que ces agissements méritent d'être sanctionnés par notre justice. Ne confondons donc pas les approches ! Je préfère l'information et la pédagogie à la répression et à la condamnation, telles qu'on voudrait les inscrire dans le texte de la loi.
Les propos que vient de tenir notre collègue Laurent Béteille me conviennent parfaitement, et je suis tout à fait sur la même ligne.
M. Auguste Cazalet. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur. J'avoue que j'essaie de retrouver mon calme et mes esprits après ces échanges.
Monsieur Desessard, vous nous aviez habitués à davantage d'humour et de courtoisie - vous vous êtes « lâché », mais comme l'a dit M. Charasse, c'est peut-être dû à un excès d'aliments bio... (Sourires.)
M. Michel Charasse. Simple supposition !
M. Jean Bizet, rapporteur. Je vous laisserai à votre régime, je préfère le mien, mais je vous conseille de ne pas trop forcer ! (Nouveaux sourires.)
En revanche, j'ai beaucoup apprécié les propos de notre collègue Pastor : nous sommes dans un État de droit, il faut sans cesse le rappeler. Si nous ne le faisons pas au Parlement et, notamment, au Sénat, je ne sais pas où on le fera !
S'agissant de ces notions d'emprisonnement et d'amende, je tiens à rappeler que notre texte repose sur un équilibre.
Ceux qui mettent en place des cultures de plantes génétiquement modifiées en s'affranchissant d'un certain nombre de règles seront, on l'a rappelé, condamnés par la justice à des peines d'amende et d'emprisonnement, dont nous avons établi le niveau.
De même, puisqu'il s'agit d'équilibre, ceux qui détruisent illégalement des cultures doivent être sanctionnés. Il faut le rappeler, car, depuis un certain nombre d'années, un certain laxisme me semble s'être instauré dans la répression de la destruction illégale de cultures ayant fait l'objet d'un avis favorable du ministre de l'agriculture après avis des ministres de l'environnement et de la santé. Ce n'est pas moi qui irai juger les juges, mais, au fil du temps, une forme de tolérance s'est tout doucement installée. Cela devient inacceptable.
Voilà comment nous sommes en train de glisser insensiblement d'une société de l'inquiétude vers une société de la confusion. Certes, j'approuve les propos de M. Pastor quand il insiste sur la pédagogie. Toutefois, à force de faire de la pédagogie sans être entendu, on en arrive à être obligé de passer à la sanction. Il y a un temps pour tout, et voici précisément venu le temps de la sanction.
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Jean Bizet, rapporteur. Par ailleurs, j'indiquerai à M. Charasse que, si je ne suis pas, comme lui, un juriste distingué, il ne me paraît pas souhaitable, s'agissant de la destruction de parcelles, d'envisager à cet instant le cas de cultures non autorisées. Nous nous intéressons en l'occurrence aux cultures autorisées de plantes génétiquement modifiées dont la destruction constitue, à notre avis, un délit spécifique. En ce qui concerne les cultures « classiques », elles relèvent en quelque sorte des dispositions générales du droit commun relatives à la destruction du bien d'autrui.
Je voudrais ensuite, répondant ainsi indirectement à M. Béteille, souligner qu'il est important de définir un délit de fauchage et un délit de fauchage aggravé, si je puis dire, comme il existe un délit de grand excès de vitesse. Nous avons eu l'occasion d'échanger sur ce point avec le Gouvernement. Cela a été rendu nécessaire parce que les juges, au fil du temps, ont presque banalisé de tels actes. Ceux qui les ont commis n'ont pas été sanctionnés comme ils auraient dû l'être.
Mme la secrétaire d'État a trouvé que prévoir une peine de trois ans d'emprisonnement en cas de circonstances aggravantes, contre cinq ans antérieurement, revenait en somme à faire montre de clémence. Sans vouloir être provocateur - ce n'est pas mon style -, je lui ferai remarquer que nous pouvons revenir à cinq ans d'emprisonnement si elle le souhaite ! Il n'y a pas de problème, le Sénat est généreux !
Plus sérieusement, nous en resterons à trois ans, car notre volonté, je le redis, est de parvenir à un équilibre. Il s'agit surtout de donner plus de lisibilité au dispositif, afin qu'il soit plus facile à adapter par le juge.
Enfin, j'avoue que j'ai de plus en plus de mal à comprendre M. Muller !
M. Dominique Braye. Vous n'êtes pas le seul !
M. Jean Desessard. Moi, je le comprends bien ! (Sourires.)
M. Dominique Braye. Cela ne nous étonne pas !
M. Jean Bizet, rapporteur. Je fais pourtant des efforts !
M. Muller a évoqué une indemnisation à hauteur de 30 euros par hectare des producteurs de maïs biologique dont les cultures auraient été contaminées par des OGM. Je lui répondrai que nos calculs sont fondés, parce que c'est la règle communautaire qui le veut, sur un différentiel de prix économiques de cultures.
À cet égard, il faut être attentif au fait que, comme on commence déjà à le constater dans le Sud-Ouest après trois années de culture du maïs Bt, la structure des prix est en voie de s'inverser, tout simplement parce que le maïs Bt a acquis une qualité supérieure sur le plan de la sécurité sanitaire, au regard des mycotoxines. Les agriculteurs ne s'y trompent pas !
Mon cher collègue, c'est là toute la problématique du « bio ». J'y reviendrai sans aucune agressivité : si les agriculteurs biologiques ne veulent pas écouter le message qu'on leur adresse, s'ils refusent la main qu'on leur tend, s'ils veulent s'engager par une obligation de résultat, ils vont progressivement s'isoler et nous serons alors obligés de mettre le doigt là où ça fait mal, c'est-à-dire de nous pencher sur la question de la sécurité sanitaire et du niveau de mycotoxines.
Vous le savez très bien, mon cher collègue, la situation devient extrêmement dangereuse. C'est la raison pour laquelle la structure de prix des cultures est en train de s'inverser. Faites donc très attention quand vous vous exprimez sur ce sujet. Je le répète encore une fois, ce que nous voulons, au travers de ce texte, c'est trouver un équilibre, et non pas faire de la provocation.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. En fait d'équilibre, je le redis, diviser par deux la durée des peines d'emprisonnement pour multiplier par deux le montant des amendes ne me paraît guère satisfaisant.
Je suis tout à fait d'accord, sur ce point, avec les propos de M. Béteille. Cela dit, la loi pénale relève de la responsabilité du Parlement. C'est pourquoi le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.
M. Michel Charasse. Sans vouloir mettre en cause, si peu que ce soit, les efforts méritoires du rapporteur, je soulignerai que, si le Sénat doit le suivre, il faudra que la commission mixte paritaire revoie cette question, afin de coordonner avec cette disposition particulière les dispositions générales que Mme le secrétaire d'État a rappelées il y a un instant.
En effet, il ne faut pas en arriver à une situation où détruire une parcelle non autorisée coûterait plus cher que détruire une parcelle autorisée ! Il y a tout de même là un petit problème de logique et de coordination !
Par ailleurs, je le dis amicalement à M. Bizet, je ne crois pas au renforcement des amendes car, la plupart du temps, les personnes concernées ne les paient pas. On ne les poursuit pas pour les y obliger puisque, dans ce domaine comme dans bien d'autres, il y a longtemps qu'il n'y a plus d'État !
Par conséquent, il vaut mieux prévoir une sanction significative autre qu'une amende.
M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam, pour explication de vote.
M. Gérard Le Cam. Comme je l'ai dit tout à l'heure, cet amendement présente un fort caractère d'affichage. Je crois que son dispositif ne sera pas efficace et n'empêchera pas, malheureusement, les faucheurs d'agir. C'est du même « tonneau » qu'une loi antigrève qui n'empêche pas les fonctionnaires de faire grève !
M. Jean Desessard. Bravo !
M. Georges Gruillot. Belle mentalité !
M. Dominique Braye. Je ne sais pas pourquoi nous sommes là !
M. Gérard Le Cam. Cette question me fait penser à un autre débat, très ancien, entre terrorisme et résistance.
Personnellement, je suis naturellement, comme tous mes collègues, pour le respect du bien d'autrui. Cela étant, je crains que, notamment en matière de plantes génétiquement modifiées, il n'y ait, d'un côté, des faucheurs de maïs, et, de l'autre, des gens qui vont « faucher » dans les poches des agriculteurs français et du monde entier, notamment ceux qui appartiennent à la petite paysannerie. Où se situe donc la plus grande délinquance ?
M. le président. La parole est à M. Paul Raoult, pour explication de vote.
M. Paul Raoult. Voter un texte de circonstance parce que des incidents impliquant des faucheurs sont survenus les années précédentes ne me paraît pas de bon aloi.
M. Dominique Braye. La loi sert toujours à régler des problèmes !
M. Paul Raoult. Il y a une loi, qui s'applique quels que soient les circonstances et les délits commis. Je ne vois pas pourquoi il faudrait mettre en exergue le cas particulier de la dégradation de cultures de plantes génétiquement modifiées.
Si l'on en est arrivé à cette situation passionnelle, c'est parce que, de façon générale, on n'a pas eu le courage, dans ce pays, de voter un tel texte voilà quelques années !
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Paul Raoult. Dès lors, la situation est devenue passionnée et passionnelle. Si l'on avait élaboré un texte adéquat en temps et en heure, on n'aurait pas connu ces incidents à répétition,...
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Paul Raoult. ... et la loi aurait été mieux respectée. Il est clair que, à gauche comme à droite, on n'a pas su prendre les décisions au moment où il le fallait.
M. Dominique Braye. Ça, c'est sûr !
M. Paul Raoult. Je rappelle que la jurisprudence actuelle nous dit que, en somme, dans le domaine qui nous occupe, ce qui n'est pas autorisé est interdit. Dans ces conditions, certains ont pu se croire fondés à donner libre cours à leurs réactions passionnelles.
Cela étant, agiter aujourd'hui le chiffon rouge d'une aggravation des sanctions financières ne me paraît pas non plus être une bonne réponse à la situation que nous vivons, bien au contraire ! La question des OGM est problématique, on le sait, et nous nous interrogeons tous sur l'opportunité d'accepter le développement de leur culture à l'avenir.
Par conséquent, il est aberrant de menacer les faucheurs de parcelles de plantes génétiquement modifiées de leur infliger des amendes d'un montant bien supérieur à ce que prévoit la loi « ordinaire », puisqu'il a été dit tout à l'heure que celui qui dégraderait une culture classique serait moins lourdement sanctionné !
M. Roland Courteau. Exact !
M. Paul Raoult. Le barème doit être le même quelle que soit la nature des plantes détruites. Le montant de l'amende ne doit pas être supérieur quand il s'agit d'OGM. Cela n'a pas de sens sur le plan du droit ; c'est même ridicule !
Je vous en conjure donc, mes chers collègues, gardez votre sang-froid. Ne prévoyez pas des amendes spécifiques visant un cas particulier, mais restez dans le domaine de l'universel, qui doit être celui de la loi.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. le président. Je voudrais souligner que dix orateurs ont expliqué leur vote, M. Charasse ayant d'abord proposé une interprétation du texte et indiqué seulement ensuite quel serait son vote. Je pense donc que nous sommes maintenant en mesure de nous prononcer ! (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)
Je mets aux voix l'amendement n° 21 rectifié.
M. Auguste Cazalet. Je m'abstiens.
M. le président. L'amendement n° 198, présenté par MM. Pastor, Raoul, Dussaut et les membres du groupe Socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Compléter le texte proposé par cet article pour l'article L. 671-14 du code rural par un alinéa ainsi rédigé :
« Les sanctions que l'autorité administrative peut prononcer comprennent la destruction totale ou partielle des cultures incriminées. Les frais entraînés par ces sanctions sont à la charge de l'exploitant.
La parole est à M. Paul Raoult.
M. Paul Raoult. Cet amendement rédactionnel vise à insérer à l'article L. 671-14 du code rural les dispositions relatives aux sanctions que peut prendre l'autorité administrative.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean Bizet, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement en raison, d'une part, d'un problème de constitutionnalité, et, d'autre part, d'un problème de cohérence. Je crois m'être déjà exprimé précédemment sur ce point.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Il me semble que cet amendement pose un vrai problème juridique, puisque les sanctions administratives sont déjà prévues à l'article L. 663-9 du code rural. Il n'y a donc pas vraiment lieu de les mentionner à l'article L. 671-14 du même code, qui concerne les sanctions pénales.
Par conséquent, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. Au nom du principe selon lequel il ne faut pas se faire justice soi-même, M. Charasse nous a alertés sur le fait qu'il ne fallait pas parler de cultures « autorisées ». Ce mot le gêne, à très juste titre, parce que le Conseil d'État a récusé les autorisations données par le Gouvernement sur avis de la Commission du génie biomoléculaire, car celle-ci avait laissé de côté des études aux conclusions gênantes et inquiétantes.
Par ailleurs, toute entreprise, y compris rurale, se doit de couvrir le risque lié à son activité par le biais d'une assurance. Or, aucun assureur ne garantit le risque dans le domaine qui nous intéresse, et les champs de plantes génétiquement modifiées ne sont donc pas assurés.
J'informe donc notre collègue que, même autorisées, ces cultures ne respectent pas la loi.
Par conséquent, l'amendement n° 198 vient à point, même si l'on nous affirme qu'il n'est pas à sa place. En effet, même si l'on refuse d'interpréter le geste de faucher une culture de PGM comme une alerte, cet amendement nous ramène à la préconisation de M. Charasse : c'est une autorité publique qui exerce la sanction. Mes chers collègues, si vous préférez que des fonctionnaires, plutôt que des militants par des actions sauvages, fassent ce qui doit être fait, c'est-à-dire détruire des cultures illégales, il faut soutenir cet amendement.
M. Jean Desessard. Les faucheurs devraient être payés !
M. le président. La parole est à M. Dominique Braye, pour explication de vote.
M. Dominique Braye. Puisque nous allons en finir avec la question des sanctions, je voudrais rappeler une évidence : celles-ci sont d'abord là pour prévenir ; elles ont pour but de dissuader les faucheurs volontaires de commettre les exactions auxquelles ils se livrent tous les jours.
Je voudrais attirer votre attention sur un point : nous sommes les uns et les autres profondément fautifs, car nous n'avons pas apporté suffisamment d'informations à nos concitoyens sur le sujet des OGM !
M. Jean-Marc Pastor. Merci !
M. Dominique Braye. Comme certains orateurs socialistes l'ont souligné, 90 % de nos concitoyens ne veulent pas d'OGM dans leur assiette ; les mêmes affirment ne disposer d'aucune information sur la question et ne rien y connaître.
Cela soulève un véritable problème démocratique : il est profondément condamnable que nous obligions nos concitoyens à se prononcer sur un dossier aussi important sans leur apporter un minimum d'informations.
J'assistais hier dans ma commune à une réunion sur les OGM. Sur les 150 personnes présentes, 90 % étaient, en toute logique, contre les OGM. Et pourtant, je peux vous garantir que pratiquement personne ne savait ce qu'était un OGM. Je leur ai expliqué qu'il ne s'agissait pour l'instant que de faire des essais, mais que, à mon humble avis, cette technique constituerait demain un grand progrès non seulement pour l'agriculture, en permettant de nourrir plus de personnes, mais aussi pour la prévention et la santé publiques. Nous avons aussi évoqué les mycotoxines dont personne n'avait entendu parler. De même, aucun ne savait que les OGM permettent de diminuer l'épandage de pesticides alors que nous les utilisons depuis onze ans ! À part quelques lombrics peu vivaces trouvés par le président de la Haute autorité au bout du champ qu'il a lui-même expertisé (Sourires.), il n'a jamais été démontré de façon scientifique que les OGM soulèvent des problèmes. En revanche, il est indéniable que les pesticides provoquent des décès que l'on peut aisément quantifier en recensant le nombre de cancers. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Marie-Christine Blandin. Bravo !
M. Jean Desessard. Enfin !
M. Dominique Braye. Mais cela fait très longtemps qu'on le sait, ma chère collègue ! C'est pour cette raison que je répète ce que j'ai déjà dit dans ce débat : les OGM sont aux pesticides ce que le nucléaire est aux gaz à effet de serre.
Il n'y a pas si longtemps, tout le monde était contre le nucléaire. Maintenant, on se félicite d'un tel choix, eu égard à nos faibles émissions de gaz à effet de serre. Il faut bien reconnaître, en toute humilité, que cela a été rendu possible grâce à l'impulsion du général de Gaulle en la matière.
Nous devons donc tous accomplir des efforts très importants pour éclairer nos concitoyens sur la question.
Pour terminer, je voudrais évoquer le principe démocratique. Mme Évelyne Didier s'est désolée en estimant que le Grenelle de l'environnement était foulé aux pieds. Quant à M. Jacques Muller, il s'est présenté hier, je crois, comme le « fantassin du Grenelle ».
Rappelons-nous ce que répondait le ministre du travail, M. Xavier Bertrand, lorsqu'il était interrogé sur le problème des relations avec les partenaires sociaux : les choses se sont passées tout à fait comme elles le devaient.
M. Jean Desessard. On verra bien !
M. Dominique Braye. Le problème vient effectivement du fait qu'en donnant une tribune à certaines personnes on leur a laissé croire que le débat démocratique n'allait pas se dérouler conformément aux règles républicaines. En effet, ces individus ont pu bénéficier d'une audience proportionnellement bien supérieure à ce qu'ils représentent dans la population. Ils ont donc naturellement cru que, une fois les décisions prises à la table du Grenelle, le Parlement ne serait qu'une chambre d'enregistrement. Mais ce n'est pas comme cela que fonctionne la démocratie !
Dans nos communes, si nous croyons en la démocratie participative, nous commençons par informer la population - nous voulons qu'elle se prononce en connaissance de cause -, puis nous la consultons avant de décider. C'est aux instances délibératives telles qu'elles sont prévues par nos institutions qu'appartient le pouvoir de décision. Il est ensuite de notre devoir d'aller expliquer les raisons de nos choix. En l'espèce, nos décisions ne vont pas forcément dans le sens des opinions de ceux qui, disposant d'une tribune, croyaient qu'ils allaient arbitrer alors qu'ils ne représentaient pas grand-chose.
Les institutions sont là, et notre République fonctionne de manière satisfaisante depuis un certain temps. Tout est bien respecté.
Ce sujet me tenait à coeur depuis un certain temps. Je regrette que Mme Évelyne Didier ne soit pas là, car c'est à elle que s'adressait ma réponse. Mais je compte sur mon collègue Gérard Le Cam pour lui rapporter les propos que j'ai tenus.
M. le président. La parole est à M. Jacques Muller, pour explication de vote.
M. Jacques Muller. Monsieur Braye, je ne prétends pas être le fantassin du Grenelle...
M. Dominique Braye. C'est vous qui l'avez dit !
M. Jacques Muller. Non, j'ai simplement fait observer que le « soldat Grenelle » était en danger, et j'ai invité l'ensemble de l'assemblée à venir le sauver. Ce n'est tout de même pas la même chose !
J'ai formulé des propositions constructives pour que les engagements du Grenelle soient bien respectés. Je n'allais pas plus loin.
Monsieur le rapporteur, vous m'avez interpellé tout à l'heure sur les aspects pratiques et économiques. Effectivement, la filière maïs en Alsace s'est orientée vers le non-OGM pour que sa production soit rémunérée de 25 % à 30 % au-dessus du prix. Ne généralisons pas à l'ensemble de la France un phénomène local propre au Sud-Ouest !
Sur l'amendement n° 198, nous devons être clairs ! Pourquoi s'acharner à faire passer une mesure qui manque quelque peu de bon sens ? C'est tout simplement parce qu'il y a eu des tractations avec l'association générale des producteurs de maïs, qui a accepté la transparence à la parcelle à l'unique condition que soit institué un délit de fauchage. C'est du marchandage : encore une fois, les lobbies viennent pourrir - je pèse mes mots - le débat.
Je suis tout à fait d'accord avec les propos tenus par M. Laurent Béteille. Je constate aussi que M. Charles Pasqua n'a pas voté le fameux amendement n° 21 rectifié. Une loi punit déjà aujourd'hui les personnes qui dégradent des biens. C'est suffisant, et il n'est pas nécessaire d'en rajouter, sinon, je le répète, on verse dans l'idéologie.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur. À ce stade du débat, je voudrais essayer de calmer quelque peu le jeu.
Madame Blandin, je voudrais vous rassurer sur la question des assurances. Le groupe de travail sur les OGM a auditionné les professionnels. Nos collègues Jean-Marc Pastor et Jacques Muller étaient présents. Effectivement, les assureurs ne souhaitent pas, dans un premier temps, s'engager, mais, selon eux, c'est tout simplement parce qu'ils n'ont pas encore eu le temps de faire fonctionner leurs outils de modélisation.
Mme Marie-Christine Blandin. Les OGM ont le temps de pousser !
M. Jean Bizet, rapporteur. Je vous rassure, madame Blandin, nous ne nous trouverons pas pour autant dans un vide assurantiel ! En effet, la profession agricole, qui a toujours su se prendre en charge, va assurer l'ensemble au travers des organismes stockeurs et d'une cotisation volontaire à l'hectare des seuls agriculteurs OGM.
Mme Marie-Christine Blandin. Cinq ans d'impunité pour des cultures en plein champ non assurées !
M. Jean Bizet, rapporteur. Je ne veux pas entrer dans ce type de débat, mais vous pouvez en tout cas être rassurée, car il n'y aura pas, je le répète, de vide assurantiel. Les agriculteurs conventionnels ou biologiques ne seront pas abandonnés. Nous saurons respecter leurs problématiques.
Quant à M. Muller, je ne veux pas entamer un débat avec lui. J'ai choisi mon camp, celui des non-faucheurs, et lui, le sien. Je le laisse libre de son choix ! (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 4, modifié.
(L'article 4 est adopté.)
Article 5
Dans le chapitre III du titre VI du livre VI du code rural sont insérés les articles L. 663-10 et L. 663-11 ainsi rédigés :
« Art. L. 663-10. - I. - Tout exploitant agricole mettant en culture une variété génétiquement modifiée dont la mise sur le marché est autorisée est responsable, de plein droit, du préjudice économique résultant de la présence accidentelle de l'organisme génétiquement modifié de cette variété dans la production d'un autre exploitant agricole, lorsque sont réunies les conditions suivantes :
« 1° Le produit de la récolte dans laquelle la présence de l'organisme génétiquement modifié est constatée est issu d'une parcelle située à distance de dissémination d'une parcelle sur laquelle est cultivée cette variété et a été obtenu au cours de la même campagne de production ;
« 2° Le produit de la récolte mentionné au 1° était destiné, lors de la mise en culture, soit à être vendu en tant que produit non soumis à l'obligation d'étiquetage mentionnée au 3°, soit à être utilisé pour l'élaboration d'un tel produit ;
« 3° L'étiquetage du produit de la récolte mentionné au 1° dans laquelle la présence de l'organisme génétiquement modifié est constatée est rendu obligatoire en application des dispositions communautaires relatives à l'étiquetage des produits contenant des organismes génétiquement modifiés.
« II. - Le préjudice économique mentionné au I est constitué par la dépréciation du produit résultant de la différence entre le prix de vente du produit de la récolte soumis à l'obligation d'étiquetage visée au 3° du I et celui d'un même produit non soumis à une telle obligation.
« III. - Tout exploitant agricole mettant en culture une variété génétiquement modifiée autorisée à la mise sur le marché doit souscrire une garantie financière couvrant sa responsabilité au titre du I.
« IV. - Un décret en Conseil d'État précise les modalités d'application du présent article.
« Art. L. 663-11. - Les dispositions de l'article L. 663-10 ne font pas obstacle à la mise en cause sur tout autre fondement de la responsabilité des exploitants mettant en culture une variété génétiquement modifiée, des distributeurs et des détenteurs de l'autorisation de mise sur le marché et du certificat d'obtention végétale. »
M. le président. La parole est à M. Jacques Muller, sur l'article.
M. Jacques Muller. Depuis le début de notre discussion, M. le rapporteur a indiqué à plusieurs reprises qu'il considérait le seuil de 0,9 % comme le seul acceptable. Selon lui, ce seuil est incontournable parce qu'il est défini au niveau européen.
Sur le plan éthique, le droit de produire sans OGM contenu dans l'article 1er doit être appréhendé comme un droit à ne pas être pollué. Pour l'agriculteur dont les productions relèvent de filières de production identifiées « sans OGM », le seuil d'étiquetage de 0,9 % n'a pas de sens. Il en va de même pour le consommateur. Il s'agit d'un seuil de contamination maximal à partir duquel le consommateur doit être prévenu que « ce produit contient des OGM ».
Selon un sondage CSA du 4 février 2008, 71 % des Français estiment qu'un produit étiqueté « sans OGM » ne doit contenir absolument aucun OGM.
Sur le plan juridique, par rapport à la dimension européenne de cette question très technique, M. le rapporteur a raison en ce qui concerne l'obligation d'étiquetage. Mais il a tort lorsqu'il parle du seuil de contamination déclenchant d'éventuelles indemnisations, ou bien de la charge de la responsabilité en cas de contamination avérée.
En effet, ce seuil de déclenchement de responsabilité n'est pas déterminé par la réglementation européenne : c'est aux États membres qu'il incombe de légiférer sur les indemnisations et sur la responsabilité. La directive 2001/18/CE les y invite très clairement : il faut éviter la présence d'OGM dans d'autres produits.
Il faut par conséquent empêcher que le seuil d'étiquetage ne détermine en quelque sorte un seuil de contamination fortuite ou techniquement inévitable au-dessus duquel il devient nécessaire d'informer le consommateur : le fameux taux de 0,9 % ne résulte que de tractations politiques entre les États membres de l'Union européenne et les industries agroalimentaires.
Il ne faut pas confondre ce seuil d'étiquetage avec le seuil de détection, qui définit scientifiquement le « sans OGM ». Ce dernier est fixé par les États, lesquels doivent traduire dans leurs législations le principe bien connu de responsabilité appliqué à la production agricole.
Ainsi, la loi allemande prévoit l'indemnisation en cas de contamination « notamment en dessus de 0,9% », ce qui veut aussi dire en dessous. L'Italie a fait de même. La Styrie, région de l'Autriche qui soutient le développement de l'agriculture biologique, a fixé ce seuil à 0,1 % de la production.
En aucun cas, la Commission européenne, pourtant réputée particulièrement vigilante quant aux obstacles juridiques que pourraient mettre les États en vue de freiner la diffusion des OGM dans l'environnement ou de contourner la règle de la libre concurrence, n'a été en mesure de contester juridiquement les dispositions prises.
Par conséquent, imposer le seuil de 0,9 % comme une réalité européenne incontournable est, au plan juridique, une erreur.
En toute rigueur, le seuil de contamination de la production - c'est l'objet de l'article dont nous allons discuter - ne peut être que le seuil de détection fiable, c'est-à-dire reproductible lors des analyses. C'est ce que l'on appelle le seuil de quantification, soit 0,1 %. Je souligne au passage qu'il est déjà appliqué dans notre pays par les filières bio « sans OGM ».
Légiférer en niant cette réalité juridique signifierait que la fixation du seuil de déclenchement de la procédure d'indemnisation des victimes de contaminations répondrait non plus à l'objectif contenu dans l'article 1er, à savoir la liberté de produire sans OGM, mais à d'autres considérations nettement moins avouables, comme celle d'« ouvrir les vannes » des cultures d'OGM au risque de mettre en difficulté l'agriculture de qualité au sujet de laquelle je me suis déjà exprimé.
Nos concitoyens et les consommateurs sauraient apprécier ce nouveau détournement des engagements du Grenelle !
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Pastor, sur l'article.
M. Jean-Marc Pastor. Nous avions déposé un amendement sur cet article tendant à créer un fonds d'indemnisation des agriculteurs dont les cultures auraient été contaminées de façon involontaire. Il était prévu que ce fonds soit géré par l'Office national interprofessionnel des grandes cultures. Un tel système n'avait rien de nouveau, car il en existe de semblables : il aurait été alimenté par le produit d'une taxe prélevée chez chaque agriculteur cultivant des OGM.
Malheureusement, la commission des finances a invoqué l'article 40 de la Constitution et déclaré cet amendement irrecevable. Nous le regrettons. C'est d'autant plus surprenant qu'il était prévu un financement privé et que la gestion complète de ce fonds devait être assurée par une structure interprofessionnelle. L'intervention de l'État n'était pas du tout prévue.
Je me suis entretenu de cet amendement avec le président de la commission des finances, et j'avoue très honnêtement ne pas avoir été convaincu par les arguments qu'il a avancés. Cet amendement ne sera donc pas discuté en séance publique, ce que nous déplorons.
Un tel système n'est pourtant pas aberrant. Les organisations professionnelles que nous avons rencontrées étaient tout à fait disposées à gérer elles-mêmes ce financement et à accompagner ainsi les agriculteurs qui, demain, seront contaminés.
Monsieur le président, nous examinerons à nouveau ce texte dans quelques semaines ou dans quelques mois. Nous redéposerons alors un amendement visant à créer ce fonds d'indemnisation.
Je rappelle que la création d'un tel fonds avait été votée ici à l'unanimité voilà cinq ans et qu'elle figurait dans les conclusions du rapport d'information de la mission d'information présidée par M. Bizet et dont j'étais rapporteur. Nous ne faisions donc que reprendre une disposition que nous avions déjà votée.
M. Roland Courteau. Et voilà !
M. Jean-Marc Pastor. Nous y reviendrons !
M. le président. L'amendement n° 22, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le premier alinéa de cet article :
Le chapitre II bis du titre VI du livre VI du code rural est complété par deux articles ainsi rédigés :
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur. Je retire cet amendement, monsieur le président, par cohérence avec le retrait de l'amendement n° 16.
Je profiterai de cette intervention, monsieur le président, pour répondre à nos collègues Jacques Muller et Jean-Marc Pastor.
M. Muller ne cesse de répéter qu'il refuse la notion de seuil communautaire. Je lui rappellerai donc - et je le ferai autant de fois que cela sera nécessaire - que nous sommes dans un environnement législatif communautaire et que cette notion a été négociée en 2003. Le vice-président de la délégation pour l'Union européenne que je suis ne saurait vous tenir un autre discours. J'ajoute que, à la veille de la présidence française de l'Union européenne, je m'étonne d'entendre ce type d'argumentaire sur ce sujet.
Nous sommes dans un environnement européen, et nous devons donc respecter les engagements que nous avons pris dans ce cadre.
Monsieur Pastor, il est vrai que nous avions imaginé voilà quelques années, notamment dans le rapport d'information de 2003, la création d'un fonds public. Quant au projet de loi de 2006, il faisait référence à un fonds géré par l'Office national interprofessionnel des grandes cultures, car, là encore, les assureurs ne se sentaient pas prêts.
Le texte qui nous est aujourd'hui proposé par le Gouvernement ne prévoit pas un tel fonds. En revanche, il dispose que « tout exploitant agricole mettant en culture une variété génétiquement modifiée autorisée à la mise sur le marché doit souscrire une garantie financière [...] ». Un fonds sera donc créé, mais il sera privé. Honnêtement, quand la prise en charge peut être assurée par le secteur privé, c'est toujours beaucoup mieux.
Monsieur Pastor, je tiens à vous rassurer vous aussi, comme Mme Blandin tout à l'heure. La profession agricole se prend en charge par un processus assurantiel à double détente : tout d'abord, l'échange de grains via des organismes stockeurs - tout agriculteur pratiquant l'agriculture biologique ou conventionnelle et dont les cultures seraient contaminées de manière fortuite par des OGM bénéficiera d'un échange de grains et ne perdra donc rien -, ensuite, la cotisation volontaire des agriculteurs eux-mêmes pour les contentieux qui ne pourraient pas être réglés par l'échange de grains.
Ce dispositif est d'une très grande souplesse et d'un très grand professionnalisme. Les professionnels savent extrêmement bien gérer ce genre de choses, via les organismes stockeurs, pour les productions qui ont déjà une visibilité, que ce soit le tournesol, le colza érucique ou linoléique. Lorsque le secteur privé sait faire, laissons l'État se tenir en retrait.
M. le président. L'amendement n° 22 est retiré.
Je suis saisi de douze amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 79, présenté par MM. Le Cam, Billout et Danglot, Mmes Didier, Terrade et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le I et le II du texte proposé par cet article pour l'article L.663-10 du code rural :
I. - Le détenteur de l'autorisation administrative d'utilisation ou de dissémination d'un organisme génétiquement modifié, le distributeur et l'utilisateur final, dont l'exploitant agricole, sont responsables de plein droit de tout préjudice lié à la dissémination dans l'environnement d'organismes génétiquement modifiés, et ce, sans préjudice des actions récursoires éventuelles entre eux. En ce qui concerne le préjudice économique, il devra notamment englober les coûts induits par la traçabilité des produits.
« II. - La preuve du lien de causalité entre le préjudice allégué et son fait générateur est à la charge des personnes citées au I.
La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. L'article 5 du projet de loi, qui prévoit la responsabilité des exploitants cultivant des OGM, organise la gestion des dommages qui ne manqueront pas de se multiplier au fur et à mesure que progresseront les cultures d'OGM en plein champ.
Le régime proposé par le texte ne nous satisfait pas, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, l'organisation du régime de responsabilité entre exploitants agricoles pour la seule réparation du préjudice économique est d'une précision telle qu'elle pourrait être interprétée comme une volonté de limiter la responsabilité des exploitants visés.
Notre amendement vise donc à prévoir la responsabilité de plein droit de l'ensemble de la filière OGM en cas de contamination : du détenteur de l'autorisation administrative, du distributeur et de l'utilisateur final.
Ensuite, si la réparation du préjudice économique est nécessaire, elle n'est pas suffisante. L'ensemble des préjudices résultant d'une contamination doivent être considérés.
La réparation du préjudice économique devra notamment prendre en compte les coûts induits par la traçabilité des produits : pour garantir que leur production ne contient pas d'OGM, les agriculteurs sont tenus d'effectuer des analyses et des contrôles onéreux, dont la charge devrait être supportée par les filières OGM.
Dans le cadre d'une procédure pénale, les frais d'expertise ne sont pas avancés par les parties. Ce n'est pas le cas dans les procédures civiles. Comme l'a dit avant-hier M. Borloo, ce n'est pas à la victime de payer. Notre amendement vise donc à renverser la charge de la preuve en faveur de la victime.
Pour finir, j'aimerais que chacun, ici, soit bien conscient que la victime n'est pas toujours celle que l'on croit. Nous devons tous avoir à l'esprit l'expérience américaine et ses dérives judiciaires, et ce d'autant plus que nous avons recours à des avocats américains pour défendre certains de nos paysans.
Un livre fort instructif, Le marché de la faim, écrit par Erwin Wagenhofer et Max Annas, relate le procès de Monsanto contre Percy Schmeiser, cultivateur de colza canadien.
Les détectives de l'entreprise Monsanto affirmaient avoir découvert parmi les semences de Percy Schmeiser des graines présentant les propriétés des graines de colza transgéniques de Monsanto. L'entreprise a alors intenté un procès au cultivateur en accusant ce dernier d'avoir volé les semences. Par la suite, les détectives avoueront qu'ils n'ont en fait trouvé que quelques plantes suspectes dans un fossé délimitant les terrains, arrivées là par pollinisation. Le juge canadien a pourtant donné raison à Monsanto et déclaré les parcelles du cultivateur propriété de Monsanto !
Nous le voyons, le droit n'est, hélas ! pas suffisant pour protéger les paysans des conséquences de la contamination de leurs champs par des cultures OGM. Il se retournera même parfois contre eux, au titre de la défense de la brevetabilité et de la propriété du vivant.
C'est pourquoi notre amendement, qui n'est qu'un amendement de repli, vise à améliorer le système proposé dans le projet de loi. (M. Jean Desessard applaudit.)
M. le président. L'amendement n° 116, présenté par MM. Muller et Desessard et Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet, est ainsi libellé :
Au début du premier alinéa du I du texte proposé par cet article pour l'article L. 663-10 du code rural, ajouter les mots :
Tout détenteur de l'autorisation visée à l'article L. 533-3 du code de l'environnement,
La parole est à M. Jacques Muller.
M. Jacques Muller. Cet amendement vise à étendre la responsabilité des cultures commerciales aux essais de nouvelles variétés en plein champ. Les capacités de diffusion des gènes sont en effet les mêmes pour toutes les cultures, qu'il s'agisse de cultures commerciales ou d'essai.
À titre d'exemple, je rappelle que la contamination mondiale de la filière du riz non OGM par le riz OGM LL601 a pour origine un seul essai. J'estime donc que la responsabilité doit porter non pas sur les seules cultures commerciales, mais également sur les cultures d'essai. Le détenteur de l'autorisation doit être responsable du préjudice.
M. le président. L'amendement n° 199, présenté par MM. Pastor, Raoul, Dussaut et les membres du groupe Socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Dans le premier alinéa du I du texte proposé par cet article pour l'article L. 663-10 du code rural, après les mots :
Tout exploitant agricole
insérer les mots :
ainsi que tout détenteur de l'autorisation visée à l'article L. 533-3 du code de l'environnement, y compris tout opérateur réalisant un essai d'organismes génétiquement modifiés en milieu ouvert,
La parole est à M. Jean-Marc Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. J'ai évoqué au cours de mon intervention dans la discussion générale notre position sur les OGM, notamment en matière de recherches : ces dernières ne doivent avoir lieu qu'en milieu confiné et, exceptionnellement, en plein champ, dans des conditions spécifiques. En effet, des accidents pourraient se produire avec des recherches effectuées à l'extérieur.
Dans ces conditions, je ne vois pas pourquoi la recherche ne serait pas, au même titre que les cultures commerciales ou industrielles d'OGM, responsable en cas de préjudice. Soyons logiques avec nous-mêmes !
M. le président. L'amendement n° 200, présenté par MM. Pastor, Raoul, Dussaut et les membres du groupe Socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Dans le premier alinéa du I du texte proposé par cet article pour l'article L. 663-10 du code rural, remplacer les mots :
est responsable
par les mots :
est solidairement responsable avec le distributeur auprès duquel il a acquis les semences
La parole est à M. Jean-Marc Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. À l'instar de l'amendement que vient de défendre notre collègue Gérard Le Cam, cet amendement vise à ce que l'agriculteur ayant produit ou semé des OGM ne soit pas considéré comme le seul responsable en cas de contamination. L'ensemble de la filière doit être responsable, y compris le distributeur.
M. le président. L'amendement n° 117, présenté par MM. Muller et Desessard et Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet, est ainsi libellé :
Dans le premier alinéa du I du texte proposé par cet article pour l'article L. 663-10 du code rural, après les mots :
de plein droit,
insérer les mots :
ainsi que le distributeur auprès duquel il a acquis les semences,
La parole est à M. Jacques Muller.
M. Jacques Muller. Cet amendement est très proche de celui que vient de défendre mon collègue Jean-Marc Pastor.
La responsabilité du distributeur en cas de contamination de cultures immédiatement voisines a pour effet de réduire les risques de culture « sauvage » des OGM - notamment les achats de semences en Espagne, sur lesquelles il est difficile d'exercer un contrôle - et de favoriser les cultures sous contrat avec le distributeur.
M. le président. L'amendement n° 118, présenté par MM. Muller et Desessard et Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet, est ainsi libellé :
Dans le premier alinéa du I du texte proposé par cet article pour l'article L. 663-10 du code rural, après les mots :
autre exploitant agricoleinsérer les mots : y compris les apiculteurs,
La parole est à M. Jacques Muller.
M. Jacques Muller. Cet amendement vise à ce que les apiculteurs, pour qui se pose un problème de fond, soient pris en compte de manière bien précise dans le projet de loi.
L'agriculture englobe la céréaliculture, la polyculture élevage, la viticulture, l'arboriculture, le maraîchage, mais aussi l'apiculture. (Mme la secrétaire d'État acquiesce.)
Si j'insiste sur les apiculteurs, c'est pour deux raisons.
La première, c'est que ces producteurs agricoles sont les premières victimes potentielles des contaminations génétiques puisque, par définition, les abeilles volent sur des espaces importants, variant entre trois et dix kilomètres. Ils doivent figurer explicitement sur la liste des personnes indemnisées. Cette contamination est d'autant plus grave que le miel bénéficie souvent d'une appellation AOC.
La seconde raison tient au fait que, compte tenu du rôle que jouent les abeilles dans les écosystèmes et dans les structures agraires, la production d'externalité par les apiculteurs doit être reconnue dans la loi. En effet, un apiculteur ne produit pas que du miel, il rend également un service à l'ensemble de la collectivité. Il importe que cela soit reconnu une bonne fois pour toutes dans la loi.
Les apiculteurs sont d'autant plus sensibles à cette question que, partout dans le monde, les ruches disparaissent. Ils connaissent des pertes de cheptels énormes. Notre assemblée pourrait donc leur envoyer un signal fort et leur montrer qu'elle se soucie de cette situation. Bien sûr, les causes de la disparition des abeilles ne sont pas bien connues. Les pesticides, les ondes électromagnétiques des portables, ainsi que, peut-être, les OGM seraient responsables de leur disparition. En tout cas, c'est aux États-Unis, où les OGM sont les plus développés, que l'on compte le plus grand nombre de pertes de ruches.
Par conséquent, je voudrais que l'on puisse mentionner les apiculteurs dans ce texte législatif, d'autant qu'ils ont été « enterrés » mardi soir. D'ailleurs, je le constate, le Gouvernement, en émettant un avis de sagesse, a préféré laisser la Haute Assemblée trancher.
Pour ma part, je regrette que le compte des apiculteurs et de l'apiculture ait été « réglé » dans le projet de loi à une heure tardive de la nuit. C'est bien dommage. J'espère qu'une telle erreur sera corrigée.
M. le président. L'amendement n° 23, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Dans le deuxième alinéa (1°) du I du texte proposé par cet article pour l'article L. 663-10 du code rural, remplacer les mots :
à distance de dissémination
par les mots :
à proximité
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur. Cet amendement concerne la notion de « parcelle située à distance de dissémination ». De notre point de vue, il s'agit d'une dénomination assez vague.
En 2006, le Sénat avait accepté la proposition du Gouvernement de retenir l'expression « parcelle située à proximité », qui paraît tout de même moins floue.
Il reviendra aux textes d'application d'apporter les précisions qui s'imposent sur ce point.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 24 est présenté par M. Bizet, au nom de la commission.
L'amendement n° 204 est présenté par MM. Pastor, Raoul, Dussaut et les membres du groupe Socialiste et apparentés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
I. Au début du troisième alinéa (2°) du I du texte proposé par cet article pour l'article L. 663-10 du code rural, remplacer les mots :
Le produit de la récolte mentionné au 1°
par le mot :
Il
II. Au début du quatrième alinéa (3°) du même I, remplacer les mots :
L'étiquetage du produit de la récolte mentionné au 1° dans laquelle la présence de l'organisme génétiquement modifié est constatée
par les mots :
Son étiquetage
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 24.
M. Jean Bizet, rapporteur. C'et amendement tend à une simplification rédactionnelle.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Pastor, pour présenter l'amendement n° 204.
M. Jean-Marc Pastor. Il s'agit d'un amendement rédactionnel.
M. le président. L'amendement n° 119, présenté par MM. Muller et Desessard et Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le II du texte proposé par cet article pour l'article L. 663-10 du code rural :
« II. - Le préjudice mentionné au I est constitué par la dépréciation du produit résultant de la différence entre, d'une part, le prix de vente du produit de la récolte soumis à l'obligation d'étiquetage visée au 3 du I ou perdant la possibilité d'être garanti « sans organismes génétiquement modifiés » et, d'autre part, celui d'un même produit non soumis à une telle obligation. Par « sans organisme génétiquement modifié », il faut entendre absence de toute présence d'ADN modifié dépassant le seuil de détection à l'analyse.
« Ce préjudice est également constitué par toute autre perte avérée, directe ou indirecte, immédiate ou différée, ou par toute autre atteinte à la santé ou à l'environnement.
La parole est à M. Jacques Muller.
M. Jacques Muller. Dans sa rédaction actuelle, le projet de loi limite la notion de préjudice au seuil de 0,9 %. Je reviens donc sur le sujet, qui me paraît important.
M. le rapporteur a évoqué un environnement européen. Mais, si l'on parle d'Europe, il faut également évoquer la réglementation européenne. Le seuil de 0,9 % est un seuil d'étiquetage à destination des consommateurs, et non un seuil lié à la contamination des cultures. La directive 2001/18/CE est très claire sur ce point. Il s'agit d'éviter la présence d'OGM dans d'autres produits. Cela concerne donc les cultures, et il n'est pas question des consommateurs.
La Commission européenne est extrêmement vigilante à l'égard des pays qui détourneraient la libre-concurrence. Elle n'aurait pas laissé passer la législation des pays ayant fixé leur seuil de contamination des cultures au seuil scientifique, c'est-à-dire à 0,1 %. Je persiste et je signe, monsieur le rapporteur.
M. le président. L'amendement n° 25, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. Dans le II du texte proposé par cet article pour l'article L. 663-10 du code rural, supprimer le mot :
économique
II. Dans le même II, remplacer les mots :
une telle
par le mot :
cette
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur. Là encore, il s'agit d'un amendement rédactionnel.
M. le président. L'amendement n° 201, présenté par MM. Pastor, Raoul, Dussaut et les membres du groupe Socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Après les mots :
différence entre
rédiger comme suit la fin du II du texte proposé par cet article pour l'article L. 663-10 du code rural :
d'une part, le prix de vente du produit de la récolte soumis à l'obligation d'étiquetage visée au 3° du I ou perdant la possibilité d'être étiqueté « sans organismes génétiquement modifiés » et, d'autre part, celui d'un même produit non soumis à une telle obligation, ou étiqueté « sans organismes génétiquement modifiés ».
La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Cet amendement vise à modifier la rédaction de la fin du II du texte proposé pour l'article L. 663-10 du code rural.
La mention « sans OGM » correspond à la définition retenue par les services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, dans sa note n° 2004?113. La présence de toute trace d'OGM est exclue du produit.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean Bizet. La commission émet un avis défavorable sur l'amendement n° 79, et ce pour plusieurs raisons.
D'abord, le dispositif qu'il vise à établir aurait pour effet de rendre l'utilisateur final, y compris le consommateur, responsable du préjudice causé si des plantes génétiquement modifiées étaient destinées à l'alimentation humaine.
Ensuite, on ne peut pas assimiler les coûts des contrôles spécifiques à un préjudice. Je vous renvoie d'ailleurs aux coûts des contrôles sur les phytosanitaires.
Enfin, le II de cet amendement paraît contradictoire avec l'explication qui nous est apportée. Il n'y a pas lieu de dire que la charge de la preuve repose sur les exploitants d'OGM, puisque c'est déjà le sens de la responsabilité de plein droit. De plus, on ne voit pas très bien pourquoi ces personnes établiraient un lien de causalité. Il s'agit plutôt de l'absence de lien qu'elles pourraient souhaiter démontrer.
L'amendement n° 116 vise à étendre le régime de la responsabilité aux personnes procédant à des essais.
Sur cette question intéressante, la commission a souhaité entendre l'avis du Gouvernement. De prime abord, une telle idée aurait pu paraître séduisante. Néanmoins, je souhaite formuler deux observations. D'une part, les essais sont menés dans le respect d'un cadre très strict. D'autre part, les parcelles d'essais, qui sont souvent de très petite taille, ne sont pas de nature à entraîner des seuils de présence fortuite supérieurs au seuil communautaire. Sur certains essais concernant le maïs, je vous le rappelle, les organes mâles sont castrés et les organes femelles sont encapsulés. Nous sommes donc bien au-delà des conditions normales d'exploitation. C'est ce que l'on entend par « respect d'un cadre très strict ».
Enfin, nous avons tous insisté sur la nécessité d'amplifier la recherche en la matière. Il ne faudrait donc pas que, par une telle modification du dispositif, on fasse peser une charge très lourde sur les établissements procédant à des essais. Je pense en particulier aux établissements publics de recherche.
Il vient d'être annoncé que 45 millions d'euros seraient consacrés à la recherche. Je n'aimerais pas qu'une telle annonce ne soit pas suivie d'effet parce que l'on aurait sanctionné les établissements publics de recherche.
C'est la raison pour laquelle, je le répète, la commission souhaite connaître l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 116.
L'amendement n° 199, qui est pratiquement identique à l'amendement n° 116, appelle les mêmes observations.
L'amendement n° 200 vise à étendre la responsabilité aux distributeurs de semences en cas de contamination.
Je sais que le sujet soulève des questions, mais, à titre personnel, j'y suis plutôt défavorable. En effet, dès lors que le distributeur n'est pas en mesure de contrôler les conditions dans lesquelles les plantes génétiquement modifiées sont cultivées, pourquoi devrait-il être tenu pour responsable d'un éventuel préjudice ?
J'ai entendu les arguments de nos collègues du groupe socialiste, mais il faut bien garder un élément à l'esprit. C'est bien l'exploitant agricole qui choisit en définitive la parcelle sur laquelle il va semer la variété concernée. Souhaitons-nous véritablement instituer un dispositif dans lequel les distributeurs prendraient cette décision à la place des exploitants ? Je ne le pense pas.
En outre, selon les informations dont je dispose, les services du ministère de la justice trouveraient une telle modification problématique dans son application, en raison précisément de la liberté de choix laissée à l'exploitant.
L'amendement n° 117 concernant également l'extension de la responsabilité aux distributeurs de semences, il appelle les mêmes observations que l'amendement précédent.
La commission émet un avis défavorable sur l'amendement n° 118, qui paraît purement redondant, et donc inutile.
Elle émet bien évidemment un avis favorable sur l'amendement n° 204, identique à son amendement n° 24.
En revanche, elle est défavorable à l'amendement n° 119.
Les auteurs de l'amendement sont dans une logique très particulière, qui consiste à faire supporter à l'ensemble de la collectivité nationale les exigences d'un cahier des charges privé. Vous comprenez que la commission ne puisse pas y souscrire.
L'amendement n° 201 vise à étendre le préjudice à la perte de la possibilité d'avoir un produit non OGM. La commission émet un avis défavorable sur cet amendement, et ce pour deux raisons. D'une part, il est concurrent avec son amendement n° 25. D'autre part, il paraît également aborder une question annexe, l'étiquetage du « sans-OGM ».
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. S'agissant de l'amendement n° 79, le texte proposé par le projet de loi pour l'article L. 663-10 du code rural permet déjà la mise en oeuvre de la responsabilité sans faute dès lors que les conditions prévues par le I de cet article sont remplies. Il paraît donc inutile d'apporter des précisions sur la démonstration du lien de causalité.
Par ailleurs, nous ne souhaitons clairement pas étendre de responsabilité aux détenteurs d'une autorisation d'essais.
En effet, compte tenu de leur nature juridique - il peut s'agir d'un établissement universitaire ou d'une société semencière -, ces détenteurs ont généralement une solvabilité qui permet de toute façon de couvrir un préjudice éventuel à un tiers au travers d'un régime de responsabilité de droit commun.
Quant à la notion d'utilisateur final, elle est trop large.
Enfin, s'agissant des coûts de traçabilité, il nous semble difficile de les introduire dans le préjudice économique. Dans la mesure où ils sont nécessairement antérieurs à toute contamination, ils n'ont rien à voir avec le dommage subi par l'exploitant. Cela semble donc très compliqué.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur l'amendement n° 79.
Les amendements nos 116 et 199 portent un peu sur le même thème.
Certes, monsieur Muller, la capacité de diffusion d'un gène est identique entre une culture commerciale et une culture de recherche. Pour autant, nous ne souhaitons pas étendre le régime de responsabilité aux opérateurs qui réalisent des essais, parce que ceux-ci sont clairement identifiés. Il sera toujours possible de rechercher la responsabilité de tels opérateurs par le biais des régimes de responsabilité civile classiques.
Dans ces conditions, cela ne relève pas, me semble-t-il, du régime de responsabilité tel que nous souhaitons le mettre en place.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements.
Monsieur Pastor, l'amendement n° 200 nous semble clairement contraire à la Constitution. On ne peut pas, dans la loi, engager de manière générale la responsabilité d'une personne qui n'est manifestement pas responsable du dommage considéré. Adopter cet amendement poserait donc un véritable problème juridique.
Il en est de même pour l'amendement n° 117, même si sa rédaction est un peu différente.
L'amendement n° 118 concerne l'apiculture. Nous avons effectivement eu un débat sur le sujet, et j'avais émis un avis de sagesse.
Il est vrai, il y a un problème d'indemnisation des apiculteurs. Si nous voulons que les apiculteurs participent au régime, il faut que cela soit précisé. Actuellement, la filière apicole est menacée. Elle est mise en difficulté par des problèmes qui, s'ils n'ont sans doute rien à voir avec les OGM, la fragilisent néanmoins.
C'est pourquoi le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement et souhaite son adoption.
L'amendement n° 23 vise à remplacer les mots « à distance de dissémination » par les mots « à proximité ».
Nous partageons le souci de la commission. La loi doit offrir une plus grande sécurité juridique à tout le monde. Pour cela, il faut préciser autant que possible les conditions dans lesquelles la responsabilité des uns et des autres est engagée.
Cela dit, monsieur le rapporteur, à vrai dire, aucune des deux formulations, ni la nôtre ni la vôtre, c'est-à-dire ni « à distance de dissémination » ni « à proximité », n'est satisfaisante, puisque chacune fait l'objet d'un débat.
Au final, s'il fallait vraiment effectuer un choix, nous opterions plutôt pour notre rédaction, à savoir « à distance de dissémination ». Néanmoins, ce point nécessite une réflexion approfondie, puisque nous sommes prêts à reconnaître que notre formulation n'est pas satisfaisante non plus.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis de sagesse sur cet amendement. De toute façon, compte tenu de ce que je viens d'indiquer, nous reviendrons sur le sujet lors de la deuxième lecture.
Le Gouvernement émet un avis favorable sur les amendements identiques nos 24 et 204, qui sont des amendements rédactionnels.
En revanche, le Gouvernement émet un avis défavorable sur l'amendement n° 119.
En effet, le système de réparation prévu par la loi doit permettre la mise en place d'un marché de l'assurance. C'est tout son objet. Pour cela, nous avons besoin de critères d'intervention certes précis, mais également limités.
Dès lors, dans un premier temps, il ne nous semble pas possible de couvrir les effets mentionnés dans cet amendement, tels qu'une « perte avérée, directe ou indirecte, immédiate ou différée » ou « toute autre atteinte à la santé ou à l'environnement ».
Cela dit, ces préjudices possibles doivent évidemment pouvoir être couverts. C'est l'objet de la transposition de la directive sur la responsabilité environnementale, qui sera prochainement discutée devant la Haute Assemblée. Nous incluons cette transposition dans la « loi Grenelle » que M. le ministre d'État et moi-même vous présenterons au printemps. Les dispositions relatives à la responsabilité environnementale couvriront la culture d'OGM.
Aussi, en l'état, nous proposons d'en rester à la rédaction actuelle du dispositif relatif au régime de responsabilité spécifique. Nous reconnaissons qu'elle est limitée, mais elle permet toutefois d'instituer un système de responsabilité. Nous pourrons discuter du reste à l'occasion de l'examen de la « loi Grenelle ».
Le Gouvernement émet un avis favorable sur l'amendement n° 25 et, par conséquent, un avis défavorable sur l'amendement n° 201.
Nous partageons les objectifs des auteurs de l'amendement n° 201, mais nous estimons que l'amendement n° 25 y répond mieux.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote sur l'amendement n° 79.
Mme Marie-Christine Blandin. Je m'exprimerai sur un point très particulier : le coût induit par la traçabilité des produits. Mme la secrétaire d'État nous a affirmé que ce coût n'avait rien à voir avec une éventuelle contamination et était habituel.
Tel n'est pas tout à fait le cas. J'en veux pour preuve cet exemple, pas du tout écologique, d'un fermier du Gers, contraint de prouver qu'il ne gavait pas ses oies et ses canards avec du maïs transgénique, après que le doute s'était répandu quant à l'origine du grain avec lequel il nourrissait ses anatidés.
Il arrive donc bien que le coût de la traçabilité soit induit par la proximité de cultures de maïs transgénique ou par son importation d'Espagne.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote sur l'amendement n° 116.
Mme Marie-Christine Blandin. M. le rapporteur a émis un avis défavorable, expliquant que les organes mâles du plant de maïs sont coupés et les organes femelles encapsulés. Fort bien !
Cependant, nous légiférons non pas sur le maïs, mais, d'une façon générale, sur les OGM actuels et futurs, appelés à être cultivés éventuellement en plein champ, qu'il s'agisse de céréales ou d'autres cultures. Les betteraves génétiquement modifiées n'ont pas cette particularité du maïs : on ne peut en couper les organes mâles et en encapsuler les organes femelles.
M. le président. La parole est à M. Jacques Muller, pour explication de vote.
M. Jacques Muller. Sur le principe de responsabilité, M. le rapporteur nous a expliqué que son avis était plutôt négatif, les essais étant réalisés dans des conditions techniques plus précises, plus strictes et plus contraignantes. Je veux bien le reconnaître. Ainsi, les essais de nouvelles variétés de maïs génétiquement modifié sont entourés d'un périmètre de quatre cents mètres et non pas de cinquante mètres.
Pour autant, si l'on met en place un système d'assurance, c'est bien pour couvrir les risques éventuels qui peuvent survenir.
Je maintiens donc ma position.
M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille, pour explication de vote sur l'amendement n° 118.
M. Laurent Béteille. D'une manière générale, je n'aime pas que l'on répète les choses lorsque cela n'est pas nécessaire.
On pourrait penser que la formulation d'origine se suffit à elle-même, puisqu'il est question d'« exploitant agricole » ; mais certaines interprétations posent problème, si bien qu'il me paraît indispensable de préciser que les apiculteurs sont également concernés.
Apporter cette précision permettra de protéger un certain nombre d'exploitations apicoles, notamment celles du Gâtinais : ce territoire, qui m'est cher, est situé en partie dans le département de l'Essonne, cher également à Mme le secrétaire d'État. Si vous voulez continuer à consommer du miel du Gâtinais, je vous invite, mes chers collègues, à adopter cet amendement. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Il y a des intérêts particuliers qui sont défendus ici... (Sourires.)
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Le miel est d'intérêt général ! (Nouveaux sourires.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. Après ce plaidoyer en faveur du miel du Gâtinais, que nous apprécions tous, je tiens à défendre moi aussi la cause des apiculteurs, leur passion, leur travail et leurs revenus.
Les abeilles fécondent les arbres fruitiers. Aux États-Unis, leur raréfaction a entraîné une baisse de la production de fruits ; pour remédier à ce manque de fécondation des arbres, des convois de semi-remorques transportent des ruches d'un verger à l'autre.
Pour éviter que telle mésaventure ne survienne dans notre pays, nous devons protéger les abeilles, en adoptant cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Daniel Soulage, pour explication de vote.
M. Daniel Soulage. Mon collègue M. Etienne et moi-même apprécions beaucoup cet avis favorable du Gouvernement. En effet, les abeilles sont de précieuses auxiliaires des agriculteurs.
J'ajoute que M. Muller, dans l'exposé des motifs de son amendement, évoque un jugement du tribunal de grande instance de Marmande, confirmé par la cour d'appel d'Agen, et que ces communes sont sises dans mon département du Lot-et-Garonne. Ce jugement a fait l'objet d'une certaine publicité et a suscité une grande émotion, non seulement dans le monde agricole, mais aussi chez l'ensemble de nos concitoyens.
Je voterai cet amendement.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur. J'ai bien entendu l'appel du Gouvernement sur cet amendement ainsi que les inquiétudes d'un certain nombre de mes collègues. Je veux bien y souscrire, sachant qu'il nous faudra, à la faveur de la navette, affiner notre réflexion.
Je serais néanmoins partisan d'écrire : « dont les apiculteurs, », plutôt que : « y compris les apiculteurs, ». C'est un peu différent, mais reconnaissez honnêtement, madame Blandin, monsieur Muller, que je fais là un effort qui mérite d'être salué !
M. le président. Monsieur Muller, que pensez-vous de la suggestion de M. le rapporteur ?
M. Jacques Muller. J'ai toujours le souci de construire, et j'apprécie le geste de M. le rapporteur : je rectifie donc mon amendement.
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 118 rectifié, présenté par MM. Muller et Desessard et Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet, qui est ainsi libellé :
Dans le premier alinéa du I du texte proposé par cet article pour l'article L. 663-10 du code rural, après les mots :
autre exploitant agricole
insérer les mots :
dont les apiculteurs,
Je le mets aux voix.
(L'amendement est adopté.)
M. Gérard Le Cam. Les abeilles nous rassemblent !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 24 et 204.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 120, présenté par MM. Muller et Desessard et Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet, est ainsi libellé :
Dans le III du texte proposé par cet article pour l'article L. 663-10 du code rural, après les mots :
mise sur le marché
insérer les mots :
, tout détenteur de l'autorisation visée à l'article L. 533-3 du code de l'environnement,
Cet amendement n'a plus d'objet.
L'amendement n° 202, présenté par MM. Pastor, Raoul, Dussaut et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Dans le III du texte proposé par cet article pour l'article L. 663-10 du code rural, après les mots :
sur le marché
remplacer le mot :
doit
par les mots :
ainsi que tout détenteur de l'autorisation visée à l'article L. 533-3 du code de l'environnement doivent
Cet amendement n'a plus d'objet.
Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 121, présenté par MM. Muller et Desessard et Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet, est ainsi libellé :
Avant le IV du texte proposé par cet article pour l'article L. 663-10 du code rural, insérer trois paragraphes ainsi rédigés :
« ... - En cas de présence d'organismes génétiquement modifiés dans d'autres produits ayant une autre origine que celle prévue au 1° du I, qu'il soit ou non possible de déterminer cette origine, les exploitants agricoles cultivant des variétés génétiquement modifiées sur le territoire français, les distributeurs leur fournissant les semences, les détenteurs de l'autorisation de mise sur le marché et du certificat d'obtention végétale et les importateurs d'organismes génétiquement modifiés sont solidairement responsables, de plein droit, des préjudices qui s'ensuivent.
« Ils sont aussi responsables de plein droit des surcoûts résultant de l'obligation de protection contre les risques de contamination supportée par les filières conventionnelles et « sans organisme génétiquement modifié », de tout préjudice non intentionnel à l'environnement ou à la santé et de leur réparation.
« ... - Ils doivent pour cela souscrire une garantie financière couvrant leur responsabilité au titre du paragraphe précédent. Il leur appartient de constituer par leurs propres moyens et en tant que de besoin un fonds leur permettant de réparer solidairement tous ces éventuels préjudices dans les mêmes conditions que prévu ci-dessus aux 2° et 3° du I et au II pour ce qui concerne les préjudices économiques et conformément à la loi pour ce qui concerne les atteintes à l'environnement ou à la santé. Il leur appartient ensuite d'amener eux-mêmes la preuve de la responsabilité directe d'un opérateur particulier s'ils veulent se retourner contre lui.
« ... - Le fait de ne pas souscrire une garantie financière et de ne pas contribuer à un fonds est puni de deux ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
La parole est à M. Jacques Muller.
M. Jacques Muller. À ce jour, la majorité des contaminations constatées trouvent leur origine non pas dans une culture voisine, mais dans des cultures souvent éloignées ou dans les filières de production et de distribution des semences. Le caractère souvent tronqué des événements génétiques analysés rend parfois impossible toute identification précise de l'OGM concerné, ou renvoie à plusieurs OGM.
Ni le droit actuel ni la rédaction actuelle du projet de loi ne permettent la réparation des dommages qui proviennent de sources autres que les cultures voisines.
Compte tenu de la difficulté à déterminer le lien de causalité entre une contamination et son origine, il convient de mettre en place un dispositif de responsabilité solidaire et de plein droit.
M. le président. L'amendement n° 203, présenté par MM. Pastor, Raoul, Dussaut et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Remplacer le IV du texte proposé par cet article pour l'article L. 663-10 du code rural par trois paragraphes ainsi rédigés :
« IV. En cas de contamination ayant une autre origine qu'une parcelle à distance de dissémination ayant porté une culture génétiquement modifiée durant la même campagne de production que la récolte contaminée, qu'il soit ou non possible de déterminer cette origine, les exploitants agricoles cultivant des variétés génétiquement modifiées sur le territoire français, les distributeurs leur fournissant les semences, les détenteurs de l'autorisation de mise sur le marché et du certificat d'obtention végétale et les importateurs d'organismes génétiquement modifiés sont solidairement responsables, de plein droit, des préjudices qui s'en suivent.
« Ils sont aussi responsables de plein droit des surcoûts résultant de l'obligation de protection contre les risques de contamination supportée par les filières conventionnelles et « sans OGM », de tout préjudice non intentionnel à l'environnement ou à la santé et de leur réparation.
« V. Ils doivent pour cela souscrire une garantie financière couvrant leur responsabilité au titre du IV. Il leur appartient de constituer par leurs propres moyens et autant que de besoin un fond leur permettant de réparer solidairement tous ces éventuels préjudices dans les mêmes conditions que prévu aux 2° et 3° du I et du II pour ce qui concerne les préjudices économiques et conformément à la loi pour ce qui concerne les atteintes à l'environnement ou à la santé. Il leur appartient ensuite d'amener eux-mêmes la preuve de la responsabilité directe d'un opérateur particulier s'ils veulent se retourner contre lui.
« VI. Le fait de ne pas souscrire une garantie financière et de ne pas contribuer au fonds d'indemnisation est puni de deux ans d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. »
La parole est à M. Paul Raoult.
M. Paul Raoult. Cet amendement est pratiquement le même que le précédent, à cette différence près que la sanction est un peu moins sévère : seulement 15 000 euros d'amende au lieu de 75 000 euros.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean Bizet, rapporteur. La commission réserve le même sort aux amendements nos 121 et 203, qui sont très voisins : elle y est défavorable, car trop d'interrogations subsistent.
Ces amendements tendent à créer un fonds obligatoire, mais n'en précise pas les modalités de fonctionnement.
J'ai déjà exposé les problèmes juridiques et logiques que soulève l'extension de la responsabilité aux distributeurs, aux détenteurs et aux importateurs.
Enfin, ces amendements visent à étendre sans limite le préjudice couvert par le dispositif. La commission ne peut bien sûr approuver cette logique.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Distributeurs de semences, détenteurs d'autorisations de mise sur le marché et de certificats d'obtention végétale et importateurs ne sont pas exonérés de toute responsabilité. Ils peuvent déjà, dans le système actuel, voir leur responsabilité engagée au titre des régimes de responsabilité classiques, évoqués à l'article L. 663-11 du code rural.
En revanche, comme je le disais tout à l'heure, la « loi Grenelle », qui vous sera soumise au printemps et qui inclura la transposition de la directive sur la responsabilité environnementale, nous permettra de revenir sur ce sujet de la culture des OGM dans de meilleures conditions et d'instaurer des régimes de responsabilité différents et plus étendus. Aborder ce point par le biais de cet amendement ne serait pas gage d'une bonne lisibilité.
M. le président. La parole est à M. Paul Raoult, pour explication de vote sur l'amendement n° 203.
M. Paul Raoult. Je ferai le parallèle avec l'épandage des boues : celui qui fabrique les boues engage sa responsabilité au même titre que celui qui les épand. Ainsi, il a été considéré, dans le code de l'environnement, que l'agriculteur n'était pas seul responsable de la contamination des sols, mais que le producteur de boues l'était lui aussi.
Le même raisonnement vaut pour les semences : celui qui conçoit et vend des semences d'OGM doit se sentir responsable de l'utilisation future desdites semences et de l'endroit où elles vont être semées.
M. Jean-Marc Pastor. Très bien !
M. Paul Raoult. L'un et l'autre doivent être liés. Cela n'est qu'une comparaison, mais il serait utile que celui qui vend les semences d'OGM sache exactement dans quelles parcelles elles vont être semées.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Pastor, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Pastor. Quand un distributeur vend un lot de semences, un protocole de culture y est toujours adossé. Il en est toujours allé ainsi. Je ne vois pas pourquoi ce distributeur n'aurait pas une petite part de responsabilité quant à la façon dont est utilisée par la suite la semence.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 122, présenté par MM. Muller et Desessard et Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet, est ainsi libellé :
Après le texte proposé par cet article pour l'article L. 663-11 du code rural, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. L. ... - Tout acte de vente ou de location de terrain doit obligatoirement être accompagné d'une information écrite relative à la culture ou non d'organismes génétiquement modifiés dans les vingt-cinq dernières années, et relative à l'événement transgénique cultivé. »
La parole est à M. Jacques Muller.
M. Jacques Muller. Cet amendement vise essentiellement à répondre à un objectif de transparence. En effet, l'introduction des cultures d'OGM constitue pour l'environnement un événement génétique nouveau et peut provoquer des modifications substantielles des biens qui les « portent », en l'occurrence les sols.
Or, les effets à long terme des OGM sur la microfaune des sols sont aujourd'hui très mal cernés. Au regard de la transparence devant prévaloir dans ce domaine, à partir du moment où s'échangent des terres et des biens agricoles, il est nécessaire d'informer les agriculteurs concernés des productions qui y ont été cultivées.
M. le président. L'amendement n° 206, présenté par MM. Pastor, Raoul, Dussaut et les membres du groupe Socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
I - Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Art. L. 663-12. - Tout acte de vente ou de location de terrain doit obligatoirement être accompagné d'une information écrite relative à la culture ou non d'organismes génétiquement modifiés dans les 25 dernières années, et relative à l'évènement transgénique cultivé. »
II - En conséquence, dans le premier alinéa de cet article, remplacer les mots :
et L. 663-11
par les mots :
, L. 663-11 et L. 663-12
La parole est à M. Paul Raoult.
M. Paul Raoult. Il s'agit d'un amendement pratiquement identique au précédent. Toute personne sur le point de récupérer des terres doit pouvoir être informée de la façon dont celles-ci ont été utilisées.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean Bizet, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur ces deux amendements très similaires, car ils n'ont aucune justification. Je ne comprends notamment pas pourquoi il faudrait imposer un laps de temps de vingt-cinq années, alors même que la durée de conversion pour passer d'une agriculture conventionnelle à une agriculture bio est de trois ans. À une époque où l'on essaie de diminuer les contraintes administratives pour répondre à une demande lancinante des agriculteurs, une telle disposition est pour le moins excessive.
Par ailleurs, je perçois dans ces amendements une logique fondamentalement hostile à la culture des produits génétiquement modifiés.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Il s'agit d'un sujet extrêmement délicat, que je connais un peu pour être l'élue d'une circonscription de la grande couronne comprenant nombre d'anciens terrains industriels, qui, sous la pression foncière, se trouvent être utilisés pour l'habitation. Cela pose toutes sortes de difficultés, notamment sur le plan de l'information, cette dernière faisant souvent défaut. De manière générale, il y a un réel problème en la matière au moment de l'achat d'un terrain. (M. Jacques Muller approuve.)
La grande difficulté, vous le savez, c'est que toute demande d'information pèse lourdement sur le processus de cession d'échanges de terrain, au vu du nombre de diagnostics et d'informations obligatoires qu'il faut déjà annexer à l'acte de vente. Pour avoir défendu par le passé des amendements similaires concernant les pollutions industrielles, je me souviens bien à quel point la lourdeur de ces processus d'inscription et d'information automatiques était rédhibitoire.
À l'époque, d'ailleurs, nous étions parvenus à sortir d'une telle embûche en consacrant la montée en puissance du registre qui recense les anciens terrains ayant été par le passé des zones industrielles. Ce faisant, si l'information n'était pas obligatoire, son accès était grandement facilité puisqu'il suffisait de consulter la base de données pour savoir si, oui ou non, le terrain en question apparaissait sur ce registre.
Ce problème peut peut-être se régler tout simplement, dans la mesure où, un peu plus loin dans le texte, nous aborderons la transparence en matière de cultures d'OGM. Il suffirait alors de faire en sorte que les déclarations des années précédentes puissent toujours être disponibles, sur Internet par exemple, ou du moins accessibles de quelque manière que ce soit. Ainsi, l'information ne serait pas obligatoire, mais son accès en serait facilité : tout agriculteur qui souhaiterait absolument s'investir dans une agriculture sous signes de qualité ou dans l'agriculture biologique serait donc en mesure de récupérer l'ensemble des informations nécessaires.
À mon sens, la question peut véritablement être résolue de cette manière. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis défavorable sur les amendements nos 122 et 206.
M. Jean-Marc Pastor. Tout était parfait, madame la secrétaire d'État,...sauf la fin !
M. le président. La parole est à M. Jacques Muller, pour explication de vote sur l'amendement n° 122.
M. Jacques Muller. Madame la secrétaire d'État, j'ai bien entendu vos explications. Cela étant, les personnes qui pratiquent une agriculture conventionnelle ou bio, pour reprendre l'exemple que vous avez donné, seraient amenées à entreprendre elles-mêmes les démarches d'investigation nécessaires.
Or, j'estime pour ma part que c'est à ceux qui introduisent un événement génétique nouveau dans l'environnement et les structures agricoles qu'il appartient de prendre leurs responsabilités.
Votre analyse revient en quelque sorte à inverser la charge des démarches à mener.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, peut-être suffit-il d'envisager la création d'un registre, disponible sur Internet, qui serait tout simplement la synthèse des déclarations des années passées. La question pourrait être réglée en deuxième lecture. D'ici là, à titre personnel, l'idée me paraît intéressante, compte tenu, d'une part, de la facilité avec laquelle les données sont actuellement saisies en informatique et, d'autre part, de l'accord général qui prévaut sur l'objectif fixé de transparence à la parcelle. Il suffirait de garder en mémoire l'historique des sols et, évidemment, de permettre l'accès à toutes ces informations qui auront été enregistrées et diffusées.
M. le président. Je mets aux voix l'article 5, modifié.
(L'article 5 est adopté.)
Articles additionnels après l'article 5
M. le président. L'amendement n° 71, présenté par MM. Le Cam, Billout et Danglot, Mmes Didier, Terrade et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Après l'article 5, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le premier alinéa de l'article L. 623-25 du code de la propriété intellectuelle est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Ne constitue pas une contrefaçon la reproduction par un agriculteur de semences de ferme pour les besoins de son exploitation agricole, et ce, quelle que soit l'origine de ces semences. »
La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Lors des débats sur le projet de loi de lutte contre la contrefaçon, trois amendements similaires à celui-ci avaient été débattus au Sénat. La suppression de l'article 19 du projet de loi initial, qui limitait la contrefaçon à l'échelle commerciale, risquait en effet de placer l'agriculteur sous le coup de sanctions financières et pénales pouvant aller jusqu'à l'emprisonnement.
Il était donc apparu nécessaire à un certain nombre d'entre nous, au regard de la définition très floue de la contrefaçon donnée par le code de la propriété intellectuelle, d'en exclure la pratique ancestrale des semences de ferme.
À l'époque, le secrétaire d'État chargé des entreprises et du commerce extérieur, M. Hervé Novelli, tout en reconnaissant qu'il était opportun de sécuriser la pratique des semences de ferme par une disposition législative, considérait qu'un tel texte n'était pas le bon vecteur pour ce faire.
L'examen du présent projet de loi relatif aux organismes génétiquement modifiés, qui, vous en conviendrez, a un lien étroit avec la question de la brevetabilité du vivant et donc avec celle de la contrefaçon, nous semble être le cadre idéal pour que le législateur prenne ses responsabilités à l'égard des agriculteurs concernés.
En effet, il nous semble urgent que le problème soit enfin réglé, sans attendre la fin des débats sur le projet de loi relatif aux obtentions végétales et modifiant le code de la propriété intellectuelle et le code rural. Notons d'ailleurs que cette proposition n'entre pas en contradiction avec la Convention internationale pour la protection des obtentions végétales, qui permet aux États membres de prévoir une exception aux droits des obtenteurs en faveur des agriculteurs utilisant des semences de ferme pour leurs exploitations.
Il est d'autant plus urgent de sécuriser la situation de nos agriculteurs que les semences de ferme se sont révélées indispensables pour assurer notre indépendance alimentaire.
Ainsi, la pratique d'autoproduction de semences de ferme à partir de récoltes concerne 300 000 agriculteurs et génère une économie de 60 millions d'euros à la « ferme France ». Selon le GNIS, le groupement national interprofessionnel des semences, entre 2002 et 2005, dans les grandes espèces, la semence de ferme représente en moyenne, en France, 46 % du blé tendre, 30 % du colza, 51 % des pois, 30 % du triticale et de l'orge, et 65 % des fèves. Dans le département d'Eure-et-Loir, plus particulièrement dans la Beauce, cette semence représente 73 % du blé tendre.
Lors de la campagne 2007, alors que les conditions climatiques avaient gâté un certain nombre de semences de blé chez les agriculteurs et les semenciers, les distributeurs qui avaient mis l'accent sur la semence commerciale n'ont pas pu assurer les livraisons de semences qu'ils avaient vendues.
Il semblerait malheureusement qu'une telle situation se reproduise pour les orges de printemps dans le nord de la France. D'où l'importance d'encourager les semences de ferme aux côtés des semences commerciales, et donc de ne pas faire peser sur les agriculteurs la menace de sanctions financières et pénales.
Cela est d'autant plus important que la tendance est à la production de variétés hybrides verrouillées, comme en témoigne le cas du maïs. Le colza est également de plus en plus concerné.
Mes chers collègues, parce qu'il nous semble dangereux d'assimiler la propriété du vivant à la propriété intellectuelle, parce que les semences de ferme ont montré leur importance dans les capacités de la production agricole, nous vous demandons d'adopter sans plus attendre cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean Bizet, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur cet amendement, dans la mesure où la France ne peut se soustraire aux engagements internationaux en matière de propriété intellectuelle auxquels elle a souscrit.
Par ailleurs, n'est-il pas paradoxal de présenter les OGM comme des innovations très dangereuses et de vouloir en même temps permettre aux agriculteurs de les utiliser de plus en plus en les reproduisant eux-mêmes ? La cohérence de cette démarche m'échappe.
M. Paul Raoult. Allons, monsieur le rapporteur ! Ce n'est pas un argument !
M. Gérard Le Cam. Vous déformez mes propos !
M. Jean Bizet, rapporteur. Sur ce sujet des semences de ferme, le Sénat a déjà délibéré et légiféré. Je regrette que l'Assemblée nationale ne se soit pas encore prononcée. Elle devra le faire.
En la matière, tout agriculteur a le droit d'utiliser et de conserver, sur son exploitation et autant d'années qu'il le souhaite, toute sa vie même, la semence de ferme qu'il a achetée ou héritée de son grand-père. Disant cela, je ne fais que reprendre la dénomination consacrée pour cette notion, à savoir la « semence du grand-père ».
Néanmoins, chacun le sait, la semence perd une partie de son pouvoir germinatif au bout de trois années. L'agriculteur n'a alors que deux possibilités : ou l'échanger avec celle de son voisin, ce qui est alors assimilé à un acte commercial, ou bien en acheter une autre.
Autrement dit, cette fameuse « semence du grand-père » n'est pas aussi ancestrale que cela. Elle repose en réalité sur le travail des semenciers, qui élaborent une nouvelle variété toujours plus performante que la précédente.
C'est à ce niveau que nous sommes contraints de faire percevoir une taxe, non pas pour le plaisir, bien sûr, mais pour soutenir la recherche. Permettez-moi d'ailleurs de vous citer à nouveau l'exemple de la Grande-Bretagne : ce pays ultralibéral, s'il en est, n'a pas voulu instituer un mécanisme de ce type ; sa production semencière s'est alors totalement effondrée, du fait de l'arrêt des recherches.
Par ailleurs, en ce qui concerne la notion de propriété intellectuelle, la durée de vie d'un brevet est au maximum de vingt ans à partir du moment où il est déposé. Cette durée se décompose en deux parties égales : dix années de laboratoire et dix années d'exploitation. Au-delà, la semence tombe dans le domaine public.
Par conséquent, monsieur Le Cam, vous obtenez satisfaction. (M. Gérard Le Cam en doute.) Tout un chacun peut ainsi se procurer gratuitement la semence au bout de dix ans. Sur ce sujet, il faut faire attention à ce que l'on dit !
Certes, comme vous l'avez souligné, la plupart des semences sont aujourd'hui hybrides. Mais au gain ainsi obtenu sur les plans de la modernité, de la productivité et de la qualité, notamment en termes de résistance, répond une perte sur le plan de la reproductibilité. Vous ne pouvez pas tout avoir !
Par ces explications, j'espère avoir clarifié le débat sur ce sujet. En tout état de cause, je le répète, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. Georges Gruillot. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Monsieur Le Cam, si l'objet de votre amendement est à la fois intéressant et important, il n'est pas du tout spécifique aux organismes génétiquement modifiés. Comme vous l'avez vous-même signalé, un projet de loi sur les obtentions végétales a déjà été adopté par le Sénat, mais le bureau de l'Assemblée nationale ne l'a pas inscrit à son ordre du jour.
Or, ce texte prévoit dans son article 16 une dérogation au code de la propriété intellectuelle en faveur des agriculteurs, ce qui correspond justement à l'objet de votre amendement. Vous l'avez rappelé, il est conforme à la Convention internationale pour la protection des obtentions végétales. Je le redis ici devant vous, lors de la discussion au Sénat de la loi du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon, le Gouvernement s'est engagé à réactiver rapidement le processus d'examen de ce projet de loi.
Par conséquent, il est à mon sens préférable de réserver le débat sur un tel sujet, qui n'est donc pas spécifique aux OGM, à l'examen dudit texte. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 123, présenté par MM. Muller et Desessard et Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet, est ainsi libellé :
Après l'article 5, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 411-29 du code rural est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le preneur envisage d'implanter une culture à base de plantes génétiquement modifiées, il doit avoir obtenu l'autorisation du bailleur qu'il aura avisé par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, deux mois avant la plantation. L'autorisation du bailleur est donnée par écrit. Le défaut d'autorisation interdit au preneur d'y procéder, sous peine de résiliation sans que le bailleur n'ait à rapporter la preuve de la dégradation du fonds. »
La parole est à M. Jacques Muller.
M. Jacques Muller. L'amendement n° 123 repose sur les mêmes considérations que l'amendement n° 122. Il est cependant question ici non pas d'échange de terrain, mais du droit pour les propriétaires du sol de savoir si des cultures d'OGM ont été implantées sur leurs terres.
Cet amendement se fonde sur la crainte de nombreux propriétaires de terres agricoles de voir les exploitants agricoles auxquels ils ont donné ces terres à bail y cultiver des plantes génétiquement modifiées, sans qu'eux-mêmes en soient informés. Il nous paraît important, en effet, que les propriétaires fonciers aient connaissance des pratiques agricoles.
Comme je l'ai dit précédemment, la culture d'OGM représente un événement génétique nouveau, dont nous ne connaissons pas aujourd'hui les conséquences, à long terme, sur la qualité du sol et l'évolution de la microfaune.
Au regard du droit de la propriété, il me semble important d'adopter cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean Bizet, rapporteur. La commission émet un avis défavorable. La culture de plantes génétiquement modifiées ne peut nullement être assimilée à une dégradation du fonds agricole.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Cet amendement créerait un précédent dans le régime des baux ruraux. N'oublions pas qu'il s'agit ici de la mise en culture d'une plante dont la mise sur le marché a été autorisée à l'issue d'une évaluation, même si l'opportunité de cette mise sur le marché a pu donner lieu à des débats.
Une telle mesure me semble d'autant moins appropriée que la publicité sera désormais totale sur les parcelles cultivées en OGM. Il sera donc possible d'être informé par le bailleur, en amont, des pratiques du preneur dans ce domaine. Il est vrai qu'il faudra pour cela aller se renseigner, mais cette recherche d'information sera facilitée grâce au registre évoqué précédemment et sur lequel nous devons travailler.
M. le président. La parole est à M. Paul Raoult, pour explication de vote.
M. Paul Raoult. Cet amendement pose le problème du droit du propriétaire et de sa relation avec le bailleur. Je rappelle que, en pays de bocage, le locataire n'a pas le droit de supprimer les haies. S'il veut en supprimer une, il doit demander l'autorisation au propriétaire.
La même autorisation devrait être demandée en l'espèce, dès lors que l'on considère que la culture d'OGM peut mettre en cause la richesse de la biodiversité et la qualité du sol. En effet, le problème est bien là !
M. Jean Desessard. C'est très clair !
M. le président. La parole est à M. Jacques Muller, pour explication de vote.
M. Jacques Muller. Je ne voudrais pas que l'on me fasse dire ce que je n'ai pas dit ! Je ne sais pas si les OGM sont dangereux. Ce que je sais, en revanche, c'est qu'ils introduisent des modifications et des recombinaisons génétiques.
Il est question, ici, non pas d'une transaction portant sur un terrain, mais de biens du sol subissant une modification dont les conséquences sont aujourd'hui inconnues. La moindre des choses est donc que les propriétaires de ces biens soient informés des cultures en cours, sans devoir pour ce faire accomplir des démarches particulières. En effet, tout le monde ne dispose pas d'Internet pour consulter le registre des cultures !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Je reconnais que l'exemple de la suppression des haies constitue un argument fort. S'il existe un précédent, nous devons examiner attentivement ce point, par exemple en nous référant au droit existant en matière de baux ruraux, dont j'avoue ne pas être une spécialiste.
Le Gouvernement s'en remet donc à la sagesse du Sénat et souhaite que cette question soit approfondie d'ici à la deuxième lecture.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 123.
(L'amendement n'est pas adopté.)
CHAPITRE III
TRANSPARENCE
Article 6
I. - L'article L. 251-1 du code rural est ainsi modifié :
1° Le II est remplacé par les dispositions suivantes :
« II. - Le détenteur de l'autorisation visée à l'article L. 533-3 ou l'exploitant mettant en culture des organismes génétiquement modifiés ayant fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché doit déclarer auprès de l'autorité administrative les lieux où sont pratiquées ces cultures. Un décret précise les informations qui doivent être communiquées à cette autorité, notamment en ce qui concerne les parcelles cultivées, les dates d'ensemencement et la nature de l'organisme.
« L'autorité administrative établit un registre national indiquant la nature et la localisation à l'échelle parcellaire des cultures d'organismes génétiquement modifiés. Ce registre est rendu public. » ;
2° Le premier alinéa du V est remplacé par les dispositions suivantes :
« Dans l'intérêt de l'environnement et de la santé publique, l'autorité administrative peut, par arrêté, prendre toutes mesures destinées à collecter les données et informations relatives à la mise sur le marché, la délivrance et l'utilisation des produits mentionnés au I, afin d'en assurer le traitement et la diffusion. »
3° Au VI, les mots : « du comité de biovigilance » sont remplacés par les mots : « de la Haute autorité sur les organismes génétiquement modifiés ».
II. - À l'article L. 251-21 du code rural, les mots : « en application du V » sont remplacés par les mots : « en application du II et du V ».
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, sur l'article.
Mme Marie-Christine Blandin. L'article 6 relève du chapitre III du projet de loi, joliment intitulé « Transparence ». Il y a de nombreux degrés de passage de la lumière : l'opacité, le verre brouillé, le translucide, le limpide.
Hier, M. Le Cam avait interrogé le Gouvernement sur la clause de sauvegarde et obtenu une réponse que je qualifierai de « translucide ». (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Pourtant, des informations récentes très autorisées, nous dit-on, semblent remettre en cause notre optimisme naissant. Nous aimerions donc entendre le Gouvernement, afin de pouvoir passer, en matière de clause de sauvegarde, du translucide au limpide !
M. Jean Desessard. Bravo, madame Blandin !
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 26 rectifié, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Remplacer le deuxième alinéa (1°) du I de cet article par six alinéas ainsi rédigés :
1° Le I et le II sont remplacés par les dispositions suivantes :
« I. - La surveillance biologique du territoire a pour objet de s'assurer de l'état sanitaire et phytosanitaire des végétaux et des effets non intentionnels des pratiques agricoles sur l'environnement. Les résultats de cette surveillance font l'objet d'un rapport annuel du Gouvernement à l'Assemblée nationale et au Sénat.
« Il est créé un comité de surveillance biologique du territoire. Ce comité est consulté sur les protocoles et méthodologies d'observations nécessaires à la mise en oeuvre de la surveillance biologique du territoire et sur les résultats de cette surveillance.
« Il formule des recommandations sur les orientations à donner à la surveillance biologique du territoire et alerte l'autorité administrative lorsqu'il considère que certains effets non intentionnels nécessitent des mesures de gestion particulières.
« Il est consulté sur le rapport annuel mentionné au premier alinéa.
« Un décret précise la composition, les missions et attributions ainsi que les règles de fonctionnement de ce comité.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur. Cet amendement tend à maintenir, et c'est fondamental, l'existence du comité de biovigilance, dont la mission de surveillance, en aval, doit être clairement distinguée de celle d'évaluation des risques, en amont, dont est chargé le Haut conseil des biotechnologies. Il était sain, pour des raisons de lisibilité, de dissocier ces deux structures.
Cet amendement tend également à élargir les compétences du comité de biovigilance. En l'état actuel de l'article L. 251-1 du code rural, le comité de biovigilance dispose de compétences réduites. Il est chargé de donner un avis sur les protocoles de suivi de l'apparition éventuelle d'événements indésirables liés à la mise en culture d'OGM, et d'alerter les ministres lorsque de tels événements sont mis en évidence.
Est envisagée, au travers de l'amendement n° 26 rectifié, la création d'un comité de biovigilance, qui prendrait la forme d'un comité d'appui scientifique et technique pour la mise en place d'un dispositif pertinent et performant de détection des effets adverses sur l'environnement du fait de l'ensemble des activités agricoles ou de l'utilisation d'intrants sur les productions végétales, y compris les OGM. Une telle mesure permettrait d'améliorer l'appui technique à la gestion globale des risques.
Ce comité sera « consulté sur les protocoles et méthodologies d'observations nécessaires à la mise en oeuvre de la surveillance biologique du territoire » et alertera « l'autorité administrative lorsqu'il considère que certains effets non intentionnels nécessitent des mesures de gestion particulières ». Il sera également consulté sur le rapport annuel de surveillance biologique du territoire.
Je pense très sincèrement, mes chers collègues, que cet amendement s'inscrit dans le droit fil des recommandations du Grenelle de l'environnement.
M. le président. L'amendement n° 207, présenté par MM. Pastor, Raoul, Dussaut et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Dans la première phrase du premier alinéa du texte proposé par le 1° du I de cet article pour le II de l'article L. 251-1 du code rural, après les mots :
doit déclarer
insérer les mots :
avant leur implantation
La parole est à M. Jean-Marc Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. Le chapitre III du présent projet de loi est intitulé « Transparence ». Cette transparence se traduit par un registre national et le recours aux nouvelles technologies de l'information, notamment l'accès à Internet. Or, je ne suis pas convaincu que tous les citoyens français manient l'outil numérique aussi aisément qu'un journal.
Si l'on veut vraiment de la transparence, madame la secrétaire d'État, monsieur le ministre d'État, il faut décliner l'information nationale au niveau de chaque commune, c'est-à-dire de chaque mairie, service public aujourd'hui le plus proche des citoyens : il existe encore une mairie dans toutes les communes, et aucun autre service n'est à ce point décentralisé. C'est la seule façon de tenir cette information à la disposition de chaque citoyen. Ce sera le sens de l'amendement n° 209.
S'agissant de l'amendement n° 207, l'information prévue n'a de sens que si l'agriculteur fait la déclaration préalablement à l'implantation des cultures. Ce n'est pas aberrant : les agriculteurs doivent déjà faire, auprès des directions départementales de l'agriculture, des déclarations concernant leur plan d'occupation des sols et leur assolement.
Or l'agriculture est soumise à des aléas climatiques qui obligent quelquefois à modifier les implantations prévues. Un agriculteur a prévu de semer telle céréale, mais, n'ayant pu le faire en temps voulu, il doit en planter une autre. Cela arrive à tout le monde ! Il n'est nullement gênant de modifier, à un moment donné, sa déclaration d'assolement, et je ne vois pas pourquoi cette possibilité ne pourrait pas être d'ores et déjà prévue.
L'amendement n° 207 tend donc à prévoir que la déclaration précède l'assolement, ce qui est la moindre des choses. À défaut, la transparence n'aurait pas de sens.
M. le président. L'amendement n° 51 rectifié bis, présenté par M. Soulage et les membres du groupe Union centriste-UDF, est ainsi libellé :
Après la première phrase du premier alinéa du texte proposé par le 1° du I de cet article pour le II de l'article L. 251-1 du code rural, insérer une phrase ainsi rédigée :
Il doit également informer, préalablement aux semis, les exploitants des parcelles entourant les cultures d'organismes génétiquement modifiés.
La parole est à M. Daniel Soulage.
M. Daniel Soulage. Cet amendement est avant tout un amendement de bon sens.
En effet, il paraît logique qu'un agriculteur prévienne les propriétaires des parcelles voisines avant de semer des plants d'OGM. Une telle mesure permettrait bien sûr de limiter les risques de contamination et de garantir au mieux la séparation des filières avec ou sans OGM, mais aussi de préserver le dialogue entre agriculteurs voisins, même s'ils font des choix culturaux opposés.
Ce dialogue entre agriculteurs est très important, car il permet de préserver la confiance entre voisins et est un gage de bonne application des dispositions de coexistence des cultures, définies à l'article 3 de ce projet de loi.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean Bizet, rapporteur. L'amendement n° 207 tend à prévoir que les agriculteurs projetant de cultiver des OGM en fassent la déclaration à l'autorité administrative avant l'implantation de ces mêmes cultures.
Ce dispositif paraît trop bureaucratique et entraînerait de facto la constitution de deux registres. Je lui préférerai donc celui de l'amendement n° 51 rectifié bis, qui donne satisfaction aux auteurs de l'amendement n° 207 en répondant à leur souci, que je partage, de permettre aux agriculteurs voisins de prendre leurs dispositions.
Mais les débats nourris qui ont eu lieu en commission sur cet amendement m'amènent à solliciter l'avis du Gouvernement.
Auparavant, je ferai un voeu, qui pourrait d'ailleurs servir à éclairer le Gouvernement. Les agriculteurs ne cessent de réclamer, depuis des années, une simplification administrative. Pourquoi, dans ces conditions, ne pas profiter de la déclaration PAC, qui doit intervenir avant le 15 mai ? Cela permettrait d'intégrer la déclaration des agriculteurs qui souhaitent implanter des cultures d'OGM sur certaines de leurs parcelles, et donc de répondre indirectement à la demande de notre collègue Jean-Marc Pastor. Par ailleurs, la charge administrative pesant sur les agriculteurs ne serait pas alourdie.
L'amendement n° 51 rectifié bis est pertinent, et la commission y est donc favorable. Il est très important de rendre obligatoire cette pratique de bon voisinage, qui mériterait d'être systématisée. Il est vrai que l'on se parle plus facilement dans le sud-ouest qu'au nord de la Loire ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste. -M. le ministre d'État et Mme la secrétaire d'État manifestent leur étonnement.)
M. Paul Raoult. Nous allons vous inviter dans le nord !
M. Jean Bizet, rapporteur. L'information des exploitants des parcelles qui entourent une parcelle cultivée en OGM permettrait d'éviter à ces exploitants d'avoir à consulter régulièrement le registre national.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Le Gouvernement est favorable à l'amendement n° 26 rectifié relatif au comité de biovigilance.
S'agissant de l'amendement n° 207, il est vrai que l'idée de s'appuyer sur la déclaration PAC est intéressante. Mais il nous semble que les modalités de déclaration ne relèvent pas forcément du niveau de la loi.
En effet, si l'on veut raisonner de manière très fine, on pourrait lier le calendrier à la nature de l'OGM, aux périodes de germination ou de floraison. L'avis du Haut conseil des biotechnologies serait sûrement utile.
Sans doute un système simplifié serait-il préférable. En tout état de cause, cette question devra faire l'objet d'une discussion approfondie et ne pas être figée forcément dans la loi. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis défavorable.
Il est favorable, en revanche, à l'amendement n° 51 rectifié bis de M. Soulage, car la demande d'information préalable est légitime.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Pastor, pour explication de vote sur l'amendement n° 207.
M. Jean-Marc Pastor. J'ai écouté attentivement M. le rapporteur et Mme le secrétaire d'État, qui proposent que la déclaration se fasse avant le 15 mai. Mais, chez nous, certaines variétés de maïs se sèment dès les premiers jours de mai, et l'intérêt est que la déclaration ait lieu avant le semis.
Par ailleurs, qui nous dit que, demain, les cultures d'OGM ne concerneront pas les orges, les luzernes, les céréales, dont les semis se font à une autre date que le 15 mai ? Plutôt que de faire figurer tous les détails dans la loi, pourquoi ne pas limiter cette dernière à un cadre plus générique et renvoyer les précisions à un décret ?
La question de fond, c'est de savoir si, d'un point de vue technique, il n'est pas possible d'avoir une déclinaison du registre national par commune. Dans l'affirmative, je ne vois pas pourquoi cette information ne serait pas disponible au niveau de la commune.
On a beaucoup parlé d'information à destination du public, et on évoque la transparence. Pour moi, la transparence consiste à rendre l'accès à l'information le plus proche possible du citoyen et du public. Et je ne vois pas de lieu plus adéquat que la mairie.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Monsieur Pastor, vos arguments ne sont pas loin de me séduire... Retenir pour principe que la déclaration ait lieu avant le semis nous semble intéressant. Ce qu'il faut éviter, ce sont les complications inhérentes aux déclarations multiples. Ces aspects pourront être réglés par décret par la suite. Si nous nous accordons pour éviter des registres et des déclarations multiples, le principe me paraît acceptable. (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur. Je suis soucieux de simplification, ce qui - je le dis honnêtement - exclut la tenue de deux registres. La loi nous oblige à un registre national. Faisons l'économie d'un double registre : un registre d'intention, plus un registre de déclaration !
C'est la raison pour laquelle je vous proposais de faire coïncider le tout avec la déclaration PAC. La date limite pour l'envoi par les agriculteurs de leur dossier PAC à la direction départementale de l'agriculture et de la forêt est le 15 mai. Et, comme chacun le sait, mieux vaut anticiper les éventuelles difficultés de courrier et s'y prendre un peu avant, sauf à s'exposer à des soucis de perception des DPU.
Mon opposition au double registre est fondée non sur une raison de fond, mais sur le pragmatisme. Je le sais, les agriculteurs ne vont pas pouvoir supporter cette nouvelle complication.
M. André Dulait. Ils supportent déjà beaucoup !
M. Dominique Braye. Trop ! Ils le disent tous ! Ils se plaignent de devoir faire face à trop de paperasserie !
M. Jean Bizet, rapporteur. Effectivement ! C'est un problème non pas de fond, mais de simplification.
M. le président. Monsieur Pastor, l'amendement est-il maintenu ?
M. Jean-Marc Pastor. Monsieur le rapporteur, dans notre amendement, il n'est pas question de double registre ! Ce qui est proposé, c'est que, pour les cultures d'OGM, la déclaration se fasse avant l'implantation de ces derniers. Si la date du 15 mai peut convenir pour certaines cultures de maïs, il n'en va pas de même pour toutes les cultures ! Or la loi ne précise pas que le champ d'application se limite au maïs ; demain, les OGM concerneront peut-être des céréales, des betteraves ou autres. Pour de telles cultures, la date du 15 mai ne conviendra pas.
Il suffirait de dire que la déclaration doit intervenir avant l'implantation de la culture, quitte à ce qu'un décret précise les choses.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Il me semble que l'on peut réconcilier les positions en précisant que l'on s'en tient à un seul registre, celui de la PAC. Pour les agriculteurs qui veulent cultiver des OGM, la déclaration PAC devrait impérativement intervenir avant la date du premier semis. Cette précision peut relever du décret. Ne serait-ce pas là une solution acceptable ?
M. Jean-Marc Pastor. Pour moi, c'est acceptable !
M. le président. Monsieur le rapporteur, qu'en pensez-vous ?
M. Jean Bizet, rapporteur. Ce qui nous guide dans la réflexion sur ce point précis, c'est le souci de ne pas alourdir encore les contingences administratives que les agriculteurs ont à assumer.
M. Dominique Braye. Ils en ont assez !
M. Jean Bizet, rapporteur. Si M. Pastor ne retire pas son amendement, la commission émettra un avis défavorable, et nous reviendrons sur cette proposition à l'occasion de la deuxième lecture.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. Notre soutien à l'amendement est décuplé par la proposition simplificatrice de Mme la secrétaire d'État : un seul registre suffit, nourri par une déclaration précédant l'implantation des substances OGM. Ainsi, il n'y aura pas de surcharge administrative pour les agriculteurs !
M. le président. La parole est à M. Paul Raoult, pour explication de vote.
M. Paul Raoult. Si cet amendement est adopté, les agriculteurs n'auront pas à supporter des tracasseries administratives supplémentaires : de toute façon, ils doivent, pour bénéficier des primes de la PAC, faire une déclaration.
M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam, pour explication de vote sur l'amendement n° 51 rectifié bis.
M. Gérard Le Cam. L'amendement de Daniel Soulage est plein de bon sens paysan ; néanmoins, une chose m'inquiète : je ne voudrais pas que, demain, en cas de contentieux, la justice tire argument de cette disposition pour débouter un plaignant dont les cultures ont été contaminées, arguant du fait qu'il a semé en connaissance de cause à côté de plants d'OGM.
Soyons vigilants ! J'aimerais être rassuré sur cette interrogation à mon sens justifiée.
M. le président. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables. Je souhaite répondre à Mme Blandin sur la clause de sauvegarde. Je répondrai ainsi plus précisément à M. Le Cam, après l'avoir fait spontanément avant-hier.
La réunion de mise au point rédactionnelle avec les équipes du ministère de l'agriculture et de la pêche a eu lieu cet après-midi, d'où mon absence momentanée de cet hémicycle.
La situation est maintenant très simple : vu la Charte de l'environnement, notamment son article 5, vu la directive 2001/18/CE du Parlement européen, notamment son article 23, la mise en culture est interdite en France jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la demande de renouvellement de l'autorisation de mise sur le marché de cet organisme. Il s'agit donc bien de la clause de sauvegarde, avec tous les débats préalables que cela suppose.
Le ministre de l'agriculture et de la pêche devrait signer au plus tard demain matin ce texte, qui fera l'objet d'une notification à la Commission européenne dans la journée de demain, puis d'une publication au Journal officiel le 9 février, date ultime mise en place par l'arrêté du 5 décembre 2007, qui sera par voie de conséquence abrogé.
La clause de sauvegarde entrera donc en application, après que la procédure contradictoire a eu lieu, conformément aux textes.
Mme Marie-Christine Blandin. C'est limpide !
M. le président. La suite de la discussion de ce projet de loi est renvoyée à la prochaine séance.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à vingt et une heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
9
Traité de Lisbonne
Adoption définitive d'un projet de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification du traité de Lisbonne modifiant le traité sur l'Union européenne, le traité instituant la Communauté européenne et certains actes connexes (n°201).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, monsieur le président de la délégation pour l'Union européenne, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le 4 juillet dernier, je vous présentais les résultats du Conseil européen des 21 et 22 juin, qui venait de s'accorder sur un mandat pour une conférence intergouvernementale. Je vous faisais part alors de notre optimisme quant au rapide aboutissement de cette conférence intergouvernementale.
Puis les choses sont allées vite, conformément à la volonté du Président de la République, parce qu'il y avait une volonté commune pour sortir l'Europe de l'impasse.
Je ne reviendrai pas sur les dernières étapes d'une négociation serrée et délicate ; nous avons déjà eu l'occasion d'échanger à ce sujet à de très nombreuses reprises.
L'essentiel est là : pour la première fois, vingt-sept États signent un traité européen, et l'Europe concilie, après plus de dix ans de débats, approfondissement et élargissement.
Les chefs d'État de pays qui avaient dit « oui » et ceux de pays qui avaient dit « non » ont trouvé, sous l'impulsion de la France, de l'Allemagne, du Portugal et de tous nos autres partenaires, l'énergie d'écrire une nouvelle page de notre histoire commune.
Le 4 février, le Congrès a approuvé la loi constitutionnelle qui nous permet aujourd'hui de procéder à la ratification du traité de Lisbonne.
Que de chemin parcouru en quelques mois ! J'entends encore les sceptiques et les pessimistes de tous bords qui se lamentaient au printemps dernier sur l'incapacité de l'Union européenne à faire face à ses propres échecs, les Cassandre qui stigmatisaient la perte d'influence irrémédiable de notre pays dans une Union qu'il avait tant contribué à créer et à façonner, et redoutaient qu'on ne puisse aboutir à un nouveau traité fondé sur de nouvelles valeurs !
J'en retire pour ma part une confirmation de plus que nous avons collectivement créé, avec l'Union européenne, une organisation unique au monde, fondée sur le droit, la confiance et la réconciliation entre les peuples, une organisation qui, à chaque échéance importante, sait trouver l'équilibre entre les intérêts de chacun de ses membres et l'intérêt collectif.
Nous sommes plus efficaces à vingt-sept pour régler des problèmes qui nous concernent tous. Et, justement, ce traité nous permettra de mieux répondre aux défis auxquels l'évolution du monde nous confronte.
Avec le traité de Lisbonne, nous tournons la page des doutes et des atermoiements pour passer à une autre étape, plus constructive, car il est urgent d'agir pour une Europe plus démocratique, plus active, et plus protectrice aussi. (M. Jean-Luc Mélenchon rit.)
Le traité incarne en effet une Europe plus démocratique et plus active : à cet égard, nous remplissons bien la tâche que nous nous sommes assignés lors de la ratification du traité d'Amsterdam ou lors de la conférence intergouvernementale réunie en 2000, lorsque, conscients que nous étions de l'insuffisance des traités, nous demandions le renforcement de la démocratie européenne.
C'est le cas avec le droit d'initiative citoyen et avec le renforcement des pouvoirs du Parlement européen, qui devient enfin un véritable colégislateur, à égalité avec le Conseil, tant en matière budgétaire que dans un nombre important de domaines passant dans le champ de la procédure de codécision.
C'est surtout le cas, mesdames, messieurs les sénateurs, avec votre nouvelle implication dans le processus de décision européen. Comme l'a déjà dit M. Haenel, c'est une « révolution juridique ». La représentation nationale pourra désormais davantage se prononcer sur les projets européens et veiller au respect des compétences entre les États et l'Union européenne à travers le contrôle de la subsidiarité. Pour la première fois, les parlements nationaux contribueront à la prise de décision européenne et seront les gardiens de la répartition des compétences entre l'Union et les États membres.
Avec la présidence stable, avec le haut représentant pour les affaires étrangères, avec de nouveaux moyens juridiques, nous pourrons mieux répondre à la demande sans cesse renouvelée d'action de l'Europe dans le monde.
Agir à l'échelon national n'est plus suffisant, ni dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, ni dans le combat pour une meilleure sécurisation de l'approvisionnement énergétique, ni pour lutter contre le changement climatique, ni pour dialoguer sur les migrations avec les pays d'origine, ni pour la promotion de la paix. À vingt-sept, incontestablement, nous serons plus efficaces.
Grâce à ces avancées, l'Europe pourra devenir un acteur global sur la scène internationale.
C'est aujourd'hui une urgence, et nous ne voulons pas que cette grande ambition se trouve réduite à une zone de libre-échange.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Très bien !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Pour exister aux yeux du monde, l'Union européenne a d'abord besoin de prouver son efficacité et sa puissance.
Le traité de Lisbonne incarne également une Europe plus protectrice, fondée sur un nouvel humanisme et sur un nouvel idéal européen. Pour la première fois, nos valeurs sont clairement affirmées.
Avec la Charte des droits fondamentaux, avec l'obligation de prendre en compte les objectifs sociaux de l'Union dans toutes les politiques européennes, avec la solidarité entre États membres face aux catastrophes naturelles, avec le remplacement de l'objectif de la concurrence libre et non faussée par celui de la protection des citoyens, avec la reconnaissance du droit des États d'offrir à tous un service public de qualité, sur tout le territoire de l'Union, peut-on considérer qu'il n'y a là aucun progrès dans les politiques sociales ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Aucun ! Zéro !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Certes, mesdames, messieurs les sénateurs, le traité de Lisbonne ne réglera pas tout. (Ah ! sur les travées du groupe CRC.)
M. Robert Bret. Loin s'en faut !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Un traité n'est jamais un projet. Il permet d'en inventer un et de le préserver, de passer des intérêts communs à l'idéal commun.
À cette fin, il faut d'abord que le traité entre en vigueur le 1er janvier 2009 et, pour cela, il faut que l'ensemble des États membres l'aient ratifié. C'est un processus long. C'est la raison pour laquelle le débat du Parlement français revêt, aujourd'hui, une dimension particulière.
Ce traité doit aussi nous permettre de mettre en oeuvre des politiques ensemble.
Je prendrai l'exemple de la coordination des politiques économiques. Elle sera ce que nous voudrons bien en faire.
Le traité nous permet de consolider la portée juridique des décisions prises par l'Eurogroupe, dans lequel ne décident que les membres de la zone euro, et d'unifier notre représentation dans les enceintes financières internationales. Mais c'est par la pratique et par la volonté politique que nous la ferons évoluer.
Je voudrais ainsi citer l'exemple de la démarche effectuée par le président de l'Eurogroupe, le commissaire en charge des questions économiques et financières et le président de la Banque centrale européenne en Chine pour aborder la question du taux de change entre l'euro, le dollar et le yuan.
Il en est de même pour la régulation financière, si indispensable dans ce monde instable.
Enfin, il ne dépend que de nous de faire en sorte qu'il y ait une plus grande réciprocité dans les échanges commerciaux et économiques pour maintenir nos activités en Europe.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce sont les pays de l'ancien bloc communiste qui, les premiers, ont ratifié ce traité.
M. Jean-Luc Mélenchon. Ils sont habitués à la soumission !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Quel symbole ! Quel signe de confiance dans l'Europe nouvelle : c'est de Budapest, cinquante ans après la première insurrection contre le totalitarisme de l'après-guerre, qu'est venue la première ratification !
Redonnons confiance aux peuples, soyons au rendez-vous d'un monde qui attend et qui espère l'Europe.
Soyons fidèles à la France, à ce qu'elle a été pour l'Europe et à ce qu'elle sera demain pour une Europe plus politique et plus influente.
Poursuivons ensemble la formidable aventure humaine que nous avons entreprise ensemble - tous gouvernements et toutes majorités confondus, grâce en particulier aux grands « Européens » qui sont dans cet hémicycle et que je salue -, au service de la paix ainsi que du développement économique et social.
C'est au nom de cette aventure unique au monde que je vous demande ce soir l'autorisation de ratifier le traité de Lisbonne. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Ce sera fait !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le vote du traité de Lisbonne mettra fin à une période de trouble et d'immobilité en Europe : de trouble, parce que les « non » français et néerlandais, exprimés par deux pays fondateurs de la Communauté économique européenne, ont ébranlé l'Union et l'ont fait douter de son avenir ; d'immobilité, parce que la règle de l'unanimité et la recherche de compromis improbables ou précaires empêchaient tout progrès significatif de la construction européenne et, à terme, la condamnaient à l'impuissance, voire au délitement.
Il faut savoir gré au Président de la République de s'être employé avec ardeur et conviction, dès son élection, à rechercher les moyens de sortir de l'impasse et, tout en tenant compte du vote des Français, à donner un nouveau départ à l'Europe.
Il faut également rendre hommage au Chancelier d'Allemagne, Angela Merkel, qui a su convaincre nos partenaires d'aboutir à un règlement acceptable par tous, conciliant le respect de la souveraineté des États membres avec une extension du domaine d'action communautaire.
Comme le constate M. Sauron, « traité réformateur plutôt que refondateur », le traité de Lisbonne ne se substitue pas aux traités existants et il ne les remplace pas : il les complète et les améliore.
Notre excellent rapporteur Jean François-Poncet, dans un rapport remarquable par sa clarté, son exhaustivité et sa concision, décrit avec minutie le dispositif du traité, les nouvelles instances qu'il crée, la nouvelle répartition des compétences comme les avancées importantes qu'il permettra. Aussi me garderai-je de paraphraser, avec moins de talent que lui, ses propos.
Nous ne pouvons que nous féliciter de voir l'Union européenne dotée d'une gouvernance plus efficace et cohérente, de compétences clarifiées, plus étendues et mieux définies, d'un contrôle démocratique perfectionné grâce à l'extension des pouvoirs du Parlement européen et de ceux qui sont reconnus aux parlements nationaux, grâce aussi et surtout à l'extension du domaine des votes à la majorité qualifiée qui rendra possible l'adoption de véritables politiques communes.
Le traité de Lisbonne nous fournit des outils pour forger ces politiques censées apporter des réponses et des solutions concrètes aux questions que se posent les citoyens européens comme aux grands problèmes auxquels ces derniers se trouvent confrontés.
Le Président de la République a énuméré les grands chapitres qu'il entendait ouvrir lors de la présidence française, au second semestre 2008. Il s'agit de l'immigration, de l'énergie, de l'environnement, de la politique étrangère et de défense et, sans attendre l'échéance de 2013, de l'étude des nouveaux fondements d'une politique agricole commune.
Les Européens doivent comprendre que, devant les défis que leur posent l'immigration incontrôlée, le réchauffement climatique, la raréfaction des énergies fossiles et les menaces mettant en cause leur sécurité, la coopération intergouvernementale est insuffisante. Dans ces domaines, seules des actions globales menées sur l'ensemble du territoire de l'Union et financées par le budget communautaire peuvent désormais conduire à des résultats indéniables.
Il est non moins clair que, sans une coopération véritablement harmonieuse entre les instances chargées d'élaborer les politiques budgétaires et fiscales et celles qui s'occupent de la politique monétaire, le développement de l'économie européenne sera constamment freiné. Par exemple, faute de disposer d'un taux de change unique, l'Europe se trouve désarmée devant les États qui utilisent leur monnaie pour promouvoir leurs exportations.
Enfin, pour préserver les acquis de la politique agricole commune, à laquelle la France est profondément et justement attachée, il nous faudra nous adapter aux nouvelles règles du jeu et nouer des alliances nous permettant d'obtenir la majorité qualifiée. Cette recherche demandera autant d'habileté que de constance.
Nous sommes tous conscients de l'importance que revêt, pour l'Europe, l'existence d'une véritable politique étrangère qui soit à l'image de la puissance démographique et économique de l'Union. Or il n'est pas sûr que les instances prévues par le traité favorisent son émergence, tant les attributions respectives du président du Conseil européen, du haut représentant, du président du Conseil des affaires étrangères et du président de la Commission risquent de se chevaucher. Cette complexité peut nuire à l'action commune : il faudra beaucoup de diplomatie et de souplesse pour éviter les conflits, et bien de l'imagination pour les transcender.
Toutefois, sans une défense européenne, la politique étrangère de l'Europe n'aura pas de consistance. La politique de défense ne verra le jour que si elle trouve sa place dans une OTAN rénovée, ce qui suppose un accord préalable avec les États-Unis. Le choix est non pas entre la politique de défense et l'OTAN, mais entre le maintien d'une vision et de structures de l'Alliance qui datent de la Guerre froide et une nouvelle répartition des tâches, au sein de l'Alliance, qui confierait aux partenaires européens une mission propre et une large autonomie.
La seconde condition est l'acceptation, par les pays de l'Union européenne, d'une contribution plus équilibrée à l'effort de défense, qui se traduirait par un accroissement des crédits budgétaires des États membres. L'Agence européenne de défense peut être l'instrument de cette ambition.
Enfin, je voudrais affirmer une conviction : le maintien et le renforcement de l'entente entre la France et l'Allemagne constitue une condition essentielle de la redynamisation de la construction européenne. Chaque fois que nos deux pays ont agi de concert et se sont efforcés de faire converger leurs politiques et leurs analyses, la construction européenne a réalisé des progrès décisifs.
Toutefois, pour que nos politiques convergent, encore faut-il qu'elles soient assises sur des valeurs partagées. La France aura du mal à convaincre ses partenaires si elle ne procède pas à un redressement rapide de ses finances publiques et à des réformes fondamentales qui ne fassent plus douter de son aptitude à s'adapter au monde moderne.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Tout à fait !
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. À ceux qui estiment que le traité de Lisbonne ne va pas assez loin dans le sens de l'unité européenne, comme à ceux qui jugent qu'il porte un coup fatal à l'indépendance ou à la souveraineté du pays, je livre cette réflexion formulée par Jean Monnet dans ses Mémoires : « Ceux qui ne veulent rien entreprendre parce qu'ils ne sont pas assurés que les choses iront comme ils l'ont arrêté par avance se condamnent à l'immobilité. Personne ne peut dire aujourd'hui la forme qu'aura l'Europe où nous vivrons demain, car le changement qui naîtra du changement est imprévisible ».
Oui, mes chers collègues, l'avenir de l'Europe réside dans le mouvement, car l'immobilité entraînerait inévitablement son déclin ! C'est pourquoi nous voterons ce traité, avec l'espoir qu'il libère des énergies qui conduiront l'Union sur la voie de prospérité et de la puissance. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean François-Poncet, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, parmi les nombreux accords qui ont jalonné l'histoire de la construction européenne, trois traités ont marqué les avancées les plus décisives : le traité de Rome, qui a créé en 1957 une union douanière entre les six pays du marché commun ; l'Acte unique européen de 1986, qui a supprimé les protections réglementaires et les monopoles d'État fragmentant cette union douanière et qui a donc créé un espace économique sans frontières ; le traité de Maastricht de 1992, qui a fait naître la monnaie unique et lancé la coopération européenne en matière de politique étrangère, de défense, de justice et de police.
Le traité de Lisbonne mérite d'être considéré comme le quatrième texte fondateur. En effet, il résout le problème sur lequel l'Union européenne s'était cassé les dents depuis quinze ans et qui consistait à adapter les institutions de l'Union au choc de l'élargissement
Il s'agissait, en réalité, d'un double choc. Celui du nombre, tout d'abord. À vingt-sept États membres, bientôt à trente et davantage, l'Union, si elle était restée soumise à la règle de l'unanimité, n'aurait pu ni décider ni agir. L'Europe, pour éviter la paralysie, n'avait d'autre choix que de généraliser le vote à la majorité. À vingt-sept, par ailleurs, la règle de l'alternance semestrielle privait la présidence du Conseil européen de continuité et de visibilité. Et le tour de présidence pour des pays comme la France, le Royaume-Uni ou l'Allemagne ne revenait que tous les quatorze ou quinze ans !
Au choc du nombre s'est ajouté celui de l'hétérogénéité. Je pense ici non pas aux écarts considérables de niveau de vie et de développement entre les anciens membres de l'Union et les nouvelles démocraties de l'Est, mais à un autre choc : depuis le dernier élargissement, l'Union ne compte que six pays dont la population atteint ou dépasse quarante millions d'habitants, à savoir la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et la Pologne, contre vingt et un dont la population est inférieure à dix millions d'habitants - certains États, comme Malte, Chypre ou le Luxembourg, n'en comptent même que quelques centaines de milliers.
En application des règles en vigueur, un député maltais au Parlement européen représente 67 000 électeurs, contre 860 000 pour un député allemand !
M. Bernard Frimat. Et le Sénat ?
M. Jean François-Poncet, rapporteur. La pondération des votes au Conseil européen et au Conseil des ministres corrigeait cette inégalité, mais très imparfaitement. Aussi une nouvelle définition de la majorité qualifiée s'imposait-elle.
Enfin, la Commission, composée d'un commissaire par État, soit de 27 membres qui tendent tous à se considérer comme les porte-parole de leur pays, cesse de remplir le rôle qui lui est dévolu, c'est-à-dire celui d'un organe collégial veillant au respect des traités et défendant l'intérêt général de l'Union.
Pour reprendre une terminologie qui a beaucoup servi, mais qui résume bien la situation, l'élargissement exigeait un approfondissement. C'est cet approfondissement, recherché en vain pendant quinze ans à travers les traités d'Amsterdam et de Nice, que le traité de Lisbonne réalise.
Je n'ai pas le temps de rappeler la part essentielle prise par la Convention pour l'avenir de l'Europe, présidée par M. Valéry Giscard d'Estaing, dans l'élaboration des innovations institutionnelles qui ont été reprises par le traité de Lisbonne. Permettez-moi seulement de souligner le rôle que deux de nos collègues, MM. Hubert Haenel et Robert Badinter, ont joué, avec beaucoup de distinction, au sein de cette Convention.
Je ne reviendrai pas non plus sur les circonstances qui ont conduit au rejet par la France - je n'évoquerai pas le cas des Pays-Bas - du traité constitutionnel, lors du référendum du 29 mai 2005.
Toutefois, je ne veux pas ignorer la position de ceux qui, dans notre assemblée et hors d'elle, demandent que le traité de Lisbonne soit, comme l'a été le traité constitutionnel, ratifié par référendum.
M. Charles Pasqua. Eh oui !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Je ne m'arrêterai pas aux changements de vocabulaire. Le traité de Lisbonne ne parle plus de Constitution.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. C'est dommage !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Les symboles de l'Union - drapeau, devise, hymne - ont disparu. La libre concurrence cesse d'être un objectif pour n'être plus qu'un moyen. Les services publics obtiennent officiellement droit de cité. Certains jugent que ces changements sont de peu de portée. Je ne partage pas leur sentiment, mais je le respecte.
Je veux, en revanche, attirer l'attention de la Haute Assemblée sur deux données essentielles qui justifient pleinement, à mes yeux, que le Gouvernement ait choisi de faire ratifier le traité par le Parlement.
Tout d'abord, le traité de Lisbonne fait disparaître la troisième partie du traité constitutionnel, celle qui rassemblait en un texte unique l'ensemble des dispositions économiques et sociales dispersées dans les traités et les textes antérieurs. Ce travail de collationnement, de codification ne changeait rien au fond, mais il a créé le sentiment, erroné, que l'Union mettait le cap sur une sorte de libéralisme débridé.
Que la construction européenne ait été, depuis le premier jour, une entreprise d'inspiration libérale ne fait évidemment aucun doute ! Mais le traité constitutionnel n'y ajoutait rien. Que cette vérité n'ait pas été reconnue tient au vent de polémique, pas toujours loyale, ...
M. Jean-Luc Mélenchon. En effet !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. ... qui a soufflé sur le pays.
Le traité de Lisbonne ne reprend que la première partie du traité constitutionnel, celle qui concernait les institutions.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est faux !
M. Robert Bret. Contre-vérité !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Or cette partie n'avait suscité, au cours du débat référendaire, que peu d'attention et presque aucune critique - et je fais partie de ceux qui ont animé une bonne cinquantaine de réunions électorales ! -, d'autant qu'elle ne modifiait pas l'équilibre existant entre les dimensions communautaire et intergouvernementale de l'Union.
Aux avancées accordées à la Commission européenne correspondaient, en effet, celles dont bénéficie le Conseil européen. La « supra-nationalité » ne progressait pas. Certains européens le déploraient. Mais le fait était là.
Dans le débat sur le recours à la procédure parlementaire, une seconde donnée doit, à mon avis, être prise en considération.
Contrairement au traité établissant une Constitution pour l'Europe, le traité de Lisbonne n'est pas un traité nouveau remplaçant tous les traités antérieurs. Il s'agit d'un traité « réformateur », comme ceux qui l'ont précédé. Il rassemble dans un texte unique un grand nombre d'amendements aux textes existants. Ceux-ci restent en vigueur, de sorte qu'il faut rapprocher chaque amendement du texte qu'il modifie pour en comprendre la portée.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. C'est sûr !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. C'est un véritable travail de chartiste ! (Sourires.)
M. Guy Fischer. Nous sommes d'accord !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Lire et comprendre les 448 articles du traité établissant une Constitution pour l'Europe était - chacun l'avait admis - un exercice rebutant, auquel bien peu d'électeurs...
M. Jean-Luc Mélenchon. Et de parlementaires !
M. Jean François-Poncet, rapporteur.... avaient eu le courage de se livrer. Pourtant, c'était un jeu d'enfant comparé à l'effort qu'imposeraient à chaque citoyen la lecture et la compréhension du traité de Lisbonne.
Mes chers collègues, s'il est un texte qui appelle une ratification parlementaire, c'est bien le traité de Lisbonne. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous mesurez ce que vous approuvez ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous avez vidé la démocratie de sa substance !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Nous aurons l'occasion d'en débattre, puisque deux motions dont l'intérêt est indéniable ont été déposées. Nous y répondrons de notre mieux.
M. Robert Bret. Ce sera dur !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Il m'incombe, en tant que rapporteur, de vous rappeler maintenant les principales dispositions du texte qui vous est soumis. Je me contenterai de les énumérer de façon succincte.
Le traité de Lisbonne confère la personnalité juridique à l'Union européenne. Ce n'est pas neutre, car cela lui permettra de siéger dans les institutions internationales, telles que l'ONU, ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent.
Le traité de Lisbonne ne reprend pas le texte de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, mais il rend celle-ci juridiquement contraignante.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Si peu !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Le Royaume-Uni ainsi que la Pologne ont obtenu de déroger à cette obligation.
M. Robert Bret. C'est l'Europe à géométrie variable !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Dans le cas du Royaume-Uni, cette dérogation s'ajoute à celles dont elle bénéficie pour l'euro, la convention de Schengen, la coopération judiciaire et policière. Son statut de membre de plein exercice de l'Union européenne se trouve, de ce fait, implicitement posé.
M. Robert Bret. Sans oublier le chèque !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Le traité de Lisbonne établit pour la première fois une répartition des compétences entre l'Union européenne et les États membres. Il distingue trois catégories de compétences, celles qui sont l'apanage exclusif de l'Union européenne, celles qui sont partagées entre l'Union européenne et les États, celles qui appartiennent en propre aux États, ce qui n'empêche pas l'Union européenne d'appuyer leur mise en oeuvre.
Le président du Conseil européen sera désormais élu pour un mandat de deux ans et demi, renouvelable une fois.
M. Jean-Luc Mélenchon. M. Blair ?
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Le traité de Lisbonne substitue une présidence stable, exercée à plein-temps, à la présidence semestrielle tournante instaurée par le traité de Rome.
La pondération des droits de vote entre les États disparaît. Pour réunir une majorité qualifiée, un vote devra rassembler au moins 55 % des États membres représentant au moins 65 % de la population. Ce système dit de « la double majorité » règle le différend qui a si longtemps opposé petits et grands États. Il fait droit tout à la fois au principe démocratique de la représentation proportionnelle des populations et à celui de l'égalité entre les États, qu'ils soient petits ou grands.
À partir de 2014, l'effectif de la Commission européenne sera réduit d'un tiers, soit dix-huit commissaires dans une Union à vingt-sept.
Le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, qui, à la demande du Royaume-Uni, ne portera pas le titre de « ministre des affaires étrangères de l'Union », sera désigné à la majorité qualifiée par le Conseil européen. Il cumulera cette fonction avec les attributions de commissaire européen chargé des relations extérieures, et il sera en outre chargé de coordonner les autres aspects de l'action extérieure de l'Union européenne. Il aura rang de vice-président de la Commission européenne.
Le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité disposera d'un « service européen pour l'action extérieure » - on n'a pas voulu l'appeler « service diplomatique -, qui rassemblera sous son autorité les services extérieurs de la Commission européenne, du Secrétaire général du Conseil européen ainsi que des membres des services diplomatiques des États.
Le traité de Lisbonne reprend les dispositions antérieures sur les coopérations renforcées et introduit la possibilité de créer, dans le domaine de la défense, ce que l'on appelle des « coopérations structurées permanentes » - il faut excuser cette logomachie bruxelloise ! (Sourires.) Cela signifie qu'entre des États membres qui remplissent des critères de capacité militaire et qui ont souscrit à des engagements plus contraignants en la matière peut se constituer un groupe qui a une réalité permanente.
Par ailleurs, le traité de Lisbonne prend trois mesures destinées à combler le déficit démocratique dont souffrait l'Union.
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Premièrement, il généralise la procédure de la codécision, qui aligne les pouvoirs législatifs et budgétaires du Parlement européen sur ceux du Conseil des ministres, le dernier mot en matière budgétaire revenant au Parlement.
Deuxièmement, il instaure un droit d'initiative citoyen.
Troisièmement, il dispose que, si un tiers des parlements nationaux estime que la Commission européenne n'a pas respecté le principe de subsidiarité, celle-ci devra reprendre l'examen du texte incriminé. Si 55 % des parlements nationaux prennent une telle position et que celle-ci est soutenue par une majorité des membres du Parlement européen, le texte visé ne peut être adopté.
M. Jean-Luc Mélenchon. Ouf !
M. Robert Bret. Quelle avancée !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Enfin, et ce n'est pas le moins important, si la présidence du Conseil européen devient stable, il en va différemment des différents Conseils des ministres - agriculture, industrie, recherche scientifique... -, qui restent soumis à la règle de la rotation semestrielle entre les États membres.
Cela signifie concrètement que quatre personnalités se partageront la conduite de l'Union européenne : le président du Conseil européen, le président de la Commission européenne, le président « tournant » du Conseil des ministres, et le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, qui présidera de droit le conseil Affaires étrangères. Il est évident que ce « quadripole » ne simplifiera pas le système, mais il a été l'un des éléments constitutifs de l'accord entre grands et petits pays.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, j'espère que vous me pardonnerez l'aridité de cette énumération que j'ai résumée à l'extrême, mais que le rapport écrit de la commission développe avec force détails. (Sourires.) Les curieux seront récompensés ! (Nouveaux sourires.)
M. Jacques Blanc. C'est vrai !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Je formulerai maintenant quelques observations sur les problèmes que soulève la mise en oeuvre du traité de Lisbonne. Elles prendront essentiellement la forme d'interrogations.
La première interrogation concerne le rôle du président du Conseil européen. Il exercera son mandat à plein temps. Il est élu pour deux ans et demi et sera rééligible une fois, de sorte qu'il pourra rester en fonction pendant cinq ans. Ainsi, son mandat aura une durée identique à celui du président de la Commission européenne.
De quel type de présidence s'agira-t-il ? Le président du Conseil européen se contentera-t-il d'être un chairman, sur le modèle anglo-saxon, c'est-à-dire de fixer les ordres du jour et de présider les réunions du Conseil, de faire en sorte, comme le traité l'y incite, qu'un consensus se dégage au sein du Conseil européen ? Ou bien veillera-t-il, entre les sessions du Conseil européen, comme le mandat à plein-temps qu'il exerce semble l'impliquer, à faire respecter par la Commission européenne et les Conseils des ministres les décisions et les orientations du Conseil européen ?
S'il entend sa mission de cette façon-là, le président du Conseil européen deviendra le coordonnateur suprême de l'action de l'Union européenne. Le traité de Lisbonne le charge de représenter « à son niveau » l'Union européenne à l'étranger. Le fera-t-il seul ou se fera-t-il accompagner par le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ? Quelle autorité exercera-t-il sur ce dernier ? Qui portera la parole de l'Union à la Maison Blanche ?
De quels services le président du Conseil européen disposera-t-il ? Se pourrait-il qu'il soit un « général sans armée » ou bien disposera-t-il des centaines de fonctionnaires des services du Secrétariat général du Conseil des ministres ?
La deuxième interrogation porte sur le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, qui porte deux casquettes. Laquelle l'emportera sur l'autre : celle qu'il tient du Conseil européen et qui lui donne la haute main sur la politique étrangère et de sécurité ou celle qui fait de lui le vice-président de la Commission européenne ? J'ai posé cette question à Bruxelles, dans le cadre de la mission d'investigation organisée par la commission des affaires étrangères. Où installera-t-il ses bureaux ?
M. Robert Bret. Question déterminante !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. La question peut paraître secondaire. Elle ne l'est pas !
Fera-t-il allégeance au président du Conseil européen, dont il tient son mandat, ou au président de la Commission européenne et au Parlement européen, qui auront validé son élection comme membre de la Commission européenne ?
M. Charles Pasqua. C'est un débat de fond !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. La politique étrangère et de défense commune s'imposera-t-elle à toutes les institutions de l'Union européenne ? Quid des États membres qui continueront de décider à l'unanimité de la politique étrangère et de défense, et dont les principaux - la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne - n'entendent pas renoncer à leur autonomie en la matière ?
La réduction du nombre des membres de la Commission aux deux tiers du nombre des États membres à partir de 2014 n'est pas, elle non plus, sans soulever quelques problèmes, bien que ce soit, à mes yeux, une très bonne chose.
La réforme atteindra-t-elle son but, qui est de restituer à la Commission son autorité en tant que gardienne des traités et force d'impulsion pour l'Union ? En application de la rotation égalitaire de ses membres, les grands États comme la France, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, ne seront représentés à la Commission que pendant cinq ans tous les quinze ans. D'importantes décisions les concernant seront donc prises en leur absence. Les accepteront-ils sans discuter ? Ne faudra-t-il pas, tout en conservant le principe d'une Commission resserrée, réexaminer le mode de désignation de ses membres ?
On pourrait, par exemple, poussant plus loin le renforcement déjà engagé des pouvoirs du président, envisager de lui confier l'entière responsabilité de la composition de la Commission. C'est à lui qu'incomberait alors la tâche délicate de choisir les commissaires, en tenant compte de leur origine géographique et de leurs capacités personnelles, ainsi que des attentes de la majorité du Parlement européen.
Mes chers collègues, toutes ces questions que j'ai soulevées afin de vous faire part des interrogations que le traité pose au moment de son application, la présidence française de l'Union, qui s'exercera lors du second semestre de cette année, devra les examiner et trancher un certain nombre d'entre elles pour que le traité de Lisbonne puisse entrer en vigueur le 1er février 2009 si, à cette date, comme il est permis de le penser, tous les pays l'ont ratifié.
Le traité de Lisbonne dote l'Union des moyens qui permettent à une Europe élargie de fonctionner et de progresser. C'est ce que l'on attendait de ce texte. Mais rien n'est définitivement acquis. Beaucoup dépendra, comme toujours, des hommes et des circonstances.
Considérons les hommes d'abord. Si ceux qui président le Conseil européen, la Commission, le Conseil des ministres et le Haut représentant poursuivent en bonne intelligence les mêmes objectifs et s'assurent du soutien du Parlement européen, l'Union, en dépit du nombre de ses membres, répondra aux espoirs que les opinions placent en elle.
Si, au contraire, les innovations institutionnelles du traité de Lisbonne débouchaient sur des rivalités internes, ce qui n'est ni probable ni impossible, l'Union trébucherait. D'autres réformes plus audacieuses deviendraient alors nécessaires, telles que la création d'une présidence unique rassemblant les trois présidences mises en place par le traité de Lisbonne.
Les circonstances, elles aussi, pèseront d'un grand poids, comme elles l'ont toujours fait. Les progrès de la construction européenne ont toujours répondu aux défis intérieurs ou extérieurs auxquels l'Union était confrontée. Le traité de Rome répondait au défi que constituait l'échec de la Communauté européenne de défense, la CED. L'Acte unique répondait à la prise de conscience de la fragmentation de l'espace économique communautaire, que l'union douanière n'avait que partiellement unifiée. Le traité de Maastricht et la création de l'euro relevaient un double défi : celui de la réunification de l'Allemagne - terrible défi - et celui de l'instabilité monétaire engendrée par les fluctuations du dollar.
Les défis qui, demain, attendent l'Union européenne à vingt-sept sont considérables. Il y a la menace politique du fondamentalisme islamique avec, en perspective, un possible choc des civilisations. Il y a la menace économique, que constitue la concurrence de l'Asie avec les délocalisations dont elle menace notre continent.
Mes chers collègues, ces défis, et bien d'autres sans doute, l'Union ne les relèvera que si, tout en restant fidèle à sa devise « unis dans la diversité », elle met l'accent sur l'unité plus que sur la diversité.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n'est pas le cas aujourd'hui !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Ce n'est que dans et par l'Union que l'Europe défendra ses intérêts et son identité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Hubert Haenel.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le traité de Lisbonne va marquer un second tournant dans la construction européenne. Le premier tournant, c'était le traité de Maastricht, qui a parachevé la construction économique de l'Europe et commencé sa construction politique, tout en ouvrant la voie à un élargissement qui a fait passer l'Union de douze à vingt-sept membres.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Par référendum !
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Après le traité de Maastricht, nous avons vécu quinze ans de débat institutionnel sans frein. Comment mettre en oeuvre la nouvelle dimension politique de l'Union ? Comment préserver l'efficacité du processus de décision dans une Europe élargie ? Nous avons beaucoup tâtonné pour répondre à ces questions : le traité de Lisbonne est le quatrième traité institutionnel depuis celui de Maastricht, je le rappelle. Mais tout laisse à penser que, s'il est ratifié par tous, ce sera le dernier avant longtemps.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Oh oui !
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Après l'Europe économique, l'Europe politique aura enfin trouvé sa physionomie.
Bien sûr, cette physionomie peut déconcerter. Les points d'interrogation sont nombreux. Il est difficile de dire comment se répartiront les responsabilités dans l'exécutif tricéphale que ce nouveau traité met en place. Mais, après tout, à l'époque, on disait la même chose de la Constitution de 1958.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh bien !
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Elle aussi dérangeait les classifications des professeurs de droit. Cependant, au bout d'un demi-siècle, elle est toujours là.
Le président Pompidou avait fait à ce sujet une remarque fort juste : « Notre système, précisément parce qu'il est bâtard, est peut-être plus souple qu'un système logique : les corniauds sont souvent plus intelligents que les chiens de race ».
M. Dominique Braye. C'est bien vrai !
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. On pourrait sans doute dire la même chose de l'Union, telle que la dessine le traité de Lisbonne : pas vraiment fédérale, pas vraiment confédérale, elle est un système mixte évolutif - Jacques Delors disait « un objet politique non identifié » -, dont les équilibres dépendront largement des personnalités qui seront choisies pour les différentes fonctions. Et cette souplesse est peut-être ce dont une entreprise aussi originale que la construction européenne a le plus besoin.
Au sein de cette nouvelle donne institutionnelle, un point, à mon avis, n'est pas assez souligné. Il s'agit de la place considérable qu'auront désormais les parlements dans la vie de l'Union - Parlement européen et parlements nationaux -, comme vient de le souligner M. le secrétaire d'État dans son intervention.
On a souvent accusé l'Europe d'être une construction trop technocratique. C'est un procès un peu facile et assez injuste, car c'est la défaillance du politique qui crée le technocrate, et non l'inverse.
M. Jacques Blanc. Eh oui !
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Mais il est vrai que l'Europe est restée trop longtemps l'affaire des seuls gouvernements. Le contrôle parlementaire demeurait très limité, en droit et plus encore en fait. Cette situation a commencé à changer au fil des traités ; le Parlement européen a conquis de véritables pouvoirs, mais dans certains domaines seulement. Les parlements nationaux, peu à peu, ont appris à mieux contrôler l'action européenne des gouvernements et à se concerter entre eux.
Le traité de Lisbonne va permettre d'aller beaucoup plus loin. Désormais, le Parlement européen, à de très rares exceptions près, va disposer d'un pouvoir de codécision sur la législation et le budget de l'Union. Plus rien d'important ne pourra se faire sans lui.
De manière plus novatrice encore, le nouveau traité va directement associer les parlements nationaux à la construction européenne. Leur rôle ne sera plus seulement de contrôler, plus ou moins bien, la politique européenne de leur gouvernement. Ils interviendront dans le processus de décision européen lui-même, pour veiller à ce que l'Union respecte le principe de subsidiarité, c'est-à-dire n'intervienne qu'à bon escient.
Pourquoi ce changement m'apparaît-il si important ? Lors du référendum sur le traité constitutionnel, j'ai animé quelque cent vingt réunions en faveur du « oui ».
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Bravo !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quelle efficacité ! (Sourires.)
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. J'ai entendu très souvent certaines critiques sur l'Europe, émises pourtant par des électeurs qui allaient approuver le traité. Tout d'abord, l'Europe apparaît souvent trop lointaine, inaccessible, incontrôlable. Ensuite, certaines de ses interventions ne sont pas toujours comprises. Dans certains domaines - sécurité, action extérieure, soutien à la croissance - nombre de nos concitoyens estiment que l'Union n'en fait pas assez ; mais, dans d'autres domaines, ils ont tendance à penser qu'elle en fait trop ou qu'elle le fait mal. Personne ne comprend que l'Europe réglemente la TVA sur la coiffure, la qualité des eaux de baignade ou la protection des dunes. Elle doit être là pour aider à résoudre les grandes questions, non pour faire à la place des pays membres ce qu'ils pourraient faire eux-mêmes et sans doute mieux, et qui, à la limite, ne regarde qu'eux.
M. Paul Blanc. Très bien !
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Le traité de Lisbonne apporte une réponse à ces deux critiques. En associant les parlements nationaux à la vie de l'Union, il introduit un relais entre l'Europe et les citoyens. En instaurant un contrôle du respect de la subsidiarité, il tend à recentrer l'action de l'Union vers ses vraies missions.
Il ne s'agit pas, cela va de soi, de jouer les nations contre l'Europe. Il faut en finir avec cette suspicion à laquelle j'ai souvent été confronté, lorsque j'étais membre de la convention. Il n'y a pas d'un côté, les « bons Européens » à Bruxelles et, de l'autre côté, les « mauvais Européens » dans les capitales ! Ce doit être l'objectif de tous, parce que c'est l'intérêt de l'Europe de partager les responsabilités d'une manière qui rende les politiques plus efficaces, plus légitimes, plus proches des citoyens.
Le contrôle de subsidiarité permettra aux parlements nationaux de se faire entendre directement auprès des institutions de l'Union, y compris, le cas échéant, auprès de la Cour de justice dite « de Luxembourg ».
Si l'on considère le rôle important que nous jouons déjà et le rôle nouveau qui va s'y ajouter, on peut dire que les parlements nationaux feront désormais pleinement partie des acteurs de la construction européenne. D'ailleurs, le traité de Lisbonne en prend acte puisque, pour la première fois, un article relatif aux parlements nationaux figure dans le corps même des traités.
Cette situation nouvelle constituera également pour nous tous une responsabilité à assumer. Nous ne pourrons plus nous défausser, comme nous le faisons souvent les uns et les autres, sur Bruxelles. Devant telle ou telle décision européenne qui nous déplaît, on pourra nous demander ce que nous avons fait. C'est pourquoi nous devrons nous doter, ici même, au Sénat, le moment venu, d'un dispositif d'examen des questions européennes qui soit pleinement opérationnel.
Je n'entends pas anticiper sur le futur débat constitutionnel. Je ne suis pas non plus ici pour prêcher pour ma paroisse, comme on dit dans nos campagnes : au contraire, je crois que le bon dispositif sera celui qui fera participer l'ensemble des organes du Sénat, et par là l'ensemble des sénateurs, à l'examen des questions européennes.
Ce que je souhaite souligner, c'est qu'il sera absolument nécessaire d'adapter notre fonctionnement à la nouvelle donne. J'ai d'ailleurs bon espoir : avec les propositions du comité Balladur, nous sommes, à mon avis, sur la bonne voie. Un « comité des affaires européennes », inscrit au titre XV de la Constitution, ne serait pas concurrent, mais bien complémentaire des commissions permanentes, dont les compétences seraient préservées, voire amplifiées dans ce domaine. Notre assemblée disposerait alors de tous les instruments nécessaires pour faire face aux différents aspects de son rôle européen.
Je terminerai cependant mon propos par un regret. Malgré les avancées qu'il contient, le traité de Lisbonne ne règle pas toutes les questions concernant le contrôle parlementaire. En particulier, dès lors que l'Europe de la défense commence à s'affirmer, nous devons trouver une formule pour que les parlementaires nationaux et européens puissent en assurer un suivi régulier, sinon personne ne contrôlera démocratiquement cette Europe de la défense.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah ça !
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. La question se pose également pour l'Europe judiciaire et policière, avec la nécessité d'une évaluation d'Eurojust et d'un contrôle sur Europol.
Ce sont des questions pour lesquelles le nouveau traité ouvre des possibilités, mais il faudra de la détermination pour qu'elles se concrétisent. J'espère, monsieur le secrétaire d'État, que la présidence française y contribuera.
Quoi qu'il en soit, je crois avoir montré, si besoin était, que le traité de Lisbonne marque une avancée considérable vers une Europe plus démocratique. C'est une raison essentielle - qui s'ajoute à beaucoup d'autres - pour approuver sans réserve ce texte qui va permettre à l'Europe, après deux ans d'incertitudes, de repartir enfin sur de bonnes bases.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous disposons désormais des instruments pour prendre en temps utile les bonnes décisions correspondant aux attentes de nos concitoyens.
Nos concitoyens sont très impatients, ne les décevons pas ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc. Après les remarquables interventions de M. le secrétaire d'État, du président de la commission des affaires étrangères, de M. le rapporteur, puis du président de la délégation européenne, je centrerai mon propos sur quelques points.
Je commencerai par un constat politique : mes chers collègues, mesure-t-on bien ce que représente la possibilité qui s'offre à nous, ce soir, de voter le projet de loi de ratification de ce traité ?
Il a fallu d'abord que la Convention, sous la houlette de son éminent président Valéry Giscard d'Estaing - convention à laquelle Hubert Haenel a participé, ainsi que notre collègue Robert Badinter, comme cela a été rappelé tout à l'heure - réussisse à faire passer des propositions.
M. Robert Bret. Je croyais que ce n'était pas le même texte !
M. Jacques Blanc. Et puis, il y a eu l'onde de choc du référendum de 2005.
M. Robert Bret. Eh oui !
M. Jacques Blanc. Chacun a interprété, non sans quelques difficultés d'ailleurs, la signification du « non ». N'est-ce pas une leçon pour que, désormais, les référendums portent sur des questions simples ? Sinon, chacun peut en tirer des conclusions.
Ensuite, il a fallu le mérite et le courage politique du candidat à la présidence de la République Nicolas Sarkozy (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste), qui a osé affirmer pendant une campagne électorale, à un moment qui n'était peut-être pas porteur, qu'il s'engageait à soutenir l'idée d'un traité simplifié soumis à une ratification parlementaire.
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Jacques Blanc. Mes chers collègues, s'il n'y avait pas eu ce courage politique, jamais on n'aurait sorti l'Europe de l'ornière ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.) Je veux le dire ici avec fermeté et féliciter le Gouvernement.
Certes, Mme Merkel s'est mobilisée, au cours de la présidence allemande, mais avec le candidat devenu Président de la République, comme elle le rappelait voilà quelques jours à Paris en présence de Nicolas Sarkozy. C'est ainsi que - j'allais presque dire « par miracle » - vingt-sept pays se sont mis d'accord sur un texte.
M. Robert Bret. Vingt-sept chefs d'État, pas vingt-sept pays !
M. Jacques Blanc. Quand on connaît la diversité de la réalité, on mesure combien le fait d'arriver à une proposition approuvée par vingt-sept pays après l'échec des ratifications, est le fruit d'une situation politique exceptionnelle qui démontre la force de l'Europe.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Jacques Blanc. Aujourd'hui, j'exprime le sentiment d'une grande majorité de l'UMP : oui, nous mesurons le résultat du courage et de la volonté politique de la France, qui a ainsi retrouvé sa capacité d'agir !
M. Jacques Blanc. J'en viens au deuxième point. Si l'on regarde la réalité de ce traité - rassurez-vous, mes chers collègues, je ne reprendrai pas tout ce qui a été parfaitement dit - plusieurs éléments marquent une force politique nouvelle en Europe.
Oui, la démocratie en Europe avance grâce à ce traité, nul ne peut le contester !
M. Robert Bret. Si, nous le contestons !
M. Jacques Blanc. Le Parlement européen voit son pouvoir de codécision étendu : c'est capital ! Le Parlement européen, ce sont des femmes et des hommes élus sur l'ensemble de ce territoire ; c'est bien une instance démocratique !
M. Dominique Braye. Élue la proportionnelle !
M. Jacques Blanc. Le rôle des parlements nationaux sera renforcé. Cela impliquera sans doute, M. Haenel vient de le souligner, une certaine réorganisation, non pas pour supprimer une délégation à laquelle on peut appartenir en étant membre d'une commission permanente, mais pour donner à cette délégation, quel que soit son nom, une capacité nouvelle, tout en laissant à chaque commission la possibilité d'avoir une approche européenne forte.
Je reviens un instant sur le contrôle de la subsidiarité, même si je sais que cela vous fait sourire, mes chers collègues. (Mais non ! sur les travées de l'UMP.)
La subsidiarité est un élément majeur ; l'Europe a compris qu'elle ne pouvait se substituer à ceux qui pouvaient faire aussi bien qu'elle, à un niveau différent. Ce principe répond à l'attente de ceux qui trouvaient que l'Europe en faisait parfois trop.
M. Robert Bret. Ou dans le mauvais sens !
M. Jacques Blanc. En application du principe de subsidiarité, il y a donc une possibilité de contrôle par les parlements et par le Comité des régions. De ce comité, personne n'en parle ici, sauf moi : il faut dire que j'en ai été le premier président et que j'ai été renouvelé hier dans mes fonctions de membre du bureau.
Tout le monde parle de la nécessité de rapprocher les citoyens des instances européennes. Les collectivités régionales et locales ne sont-elles pas à même de faire passer un message européen auprès des populations, dans les villes, les départements, les régions ? Vous savez, comme moi, que les élus locaux sont plus proches des femmes et des hommes de ces collectivités. Si ces élus participent à l'élaboration de la législation européenne par leurs conseils, s'ils contrôlent la subsidiarité et ont le courage de faire passer le message, on répondra à cette exigence de proximité.
Reconnaissons l'avancée que constitue la création du Comité des régions par le traité de Maastricht ! Ce Comité est doté d'un pouvoir de saisine de la Cour de justice, non seulement quand ses prérogatives ne sont pas respectées, mais aussi en cas de non-respect de la subsidiarité. Il existe donc un système de contrôle faisant intervenir parallèlement les parlements nationaux et les collectivités territoriales.
Je me réjouis d'ailleurs que notre délégation ait participé au réseau de monitoring de la subsidiarité mis en place par le Comité des régions, qui représente une réponse concrète aux besoins de proximité.
Le deuxième fait politique majeur, c'est que l'Europe s'est donné des objectifs nouveaux. À côté de la cohésion sociale et économique, l'Europe a désormais un objectif de cohésion territoriale. Cela signifie que l'Europe fera jouer la solidarité en faveur des territoires présentant un handicap. Je pense aux régions de montagne, aux régions périphériques et maritimes, mais aussi aux régions qui sont victimes de choc, industriel ou naturel. Cette nouvelle dimension devra imprégner les politiques européennes. Une telle perspective répond à notre souhait.
L'aménagement du territoire est une clé pour le développement durable. Or l'Europe s'engage pour le développement durable, ce qui suppose un aménagement du territoire équilibré et harmonieux. En allant dans cette voie, en luttant contre le réchauffement climatique, en jouant un rôle moteur dans le monde pour faire passer cette exigence de protection de l'environnement, l'Europe répond à l'attente des uns et des autres. Il y a une cohérence dans cette réponse. Le traité de Lisbonne n'est qu'un outil, mais il permet à l'Europe de prendre en main de telles politiques.
J'évoquerai un autre point dont on parle peu mais sur lequel la délégation a décidé de travailler, à savoir la consécration dans le traité de la politique de voisinage.
Mes chers collègues, la politique de voisinage ne concerne pas les pays candidats à l'élargissement. Au passage, permettez-moi de souhaiter, à titre personnel, que soit levée dans les évolutions constitutionnelles l'exigence de référendum pour les élargissements. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame.) Cela me paraît important. La politique de voisinage ne concernant que les pays non candidats, on ne peut pas ignorer le problème de ces élargissements.
Quels territoires peuvent bénéficier de cette politique de voisinage ? Ne croyez-vous pas que le traité de Lisbonne apporte une perspective nouvelle pour donner corps à l'ambition du Président de la République sur l'Union méditerranéenne, ambition que nous pouvons tous partager ?
M. Bruno Retailleau. Sauf l'Allemagne !
M. Jacques Blanc. Mes chers collègues, la Méditerranée est ô combien traversée par les drames, les violences. N'est-ce pas une exigence pour l'Europe, pour la paix, pour la France que d'entraîner le bassin méditerranéen dans un mouvement inverse ? Ne croyez-vous pas que la politique de voisinage, certes bilatérale, conditionne l'avenir de notre pays, parce qu'elle peut concerner les bassins de la mer Noire, de la mer Baltique, mais surtout de la mer Méditerranée ?
Dans les Balkans, une politique de voisinage permettant de déboucher sur une situation nouvelle ne serait-elle pas un signe fort ? C'est la paix qui est en cause, la prospérité ! Il s'agit donc là d'une avancée dont on parle peu mais qui me paraît très significative.
Le préambule mentionne sans complexe l'héritage judéo-chrétien et humaniste !
Ne croyez-vous pas qu'en appliquant un véritable principe de laïcité au lieu de rejeter ou de nier ces héritages religieux - sans oublier l'influence musulmane -, l'Europe pourrait porter un message fort afin d'empêcher le choc des civilisations et apporter une réponse nécessaire à notre société ?
En cet instant, je suis sûr d'exprimer le sentiment d'une grande partie de l'UMP en disant que nous avons une chance formidable que de pouvoir consacrer un succès politique qui favorisera la mise en place d'outils permettant que se développent demain des politiques nouvelles au service de cette civilisation qu'incarnent les valeurs de l'Europe !
Nous respectons donc pleinement nos engagements politiques en nous mettant au service des femmes et des hommes qui attendent de nous des réponses à leurs angoisses - je pense au développement durable -, à leurs espérances - je pense à la paix, à la fraternité, au développement partagé - et en jouant un rôle nouveau d'équilibre dans le monde, et ce d'abord auprès de nos voisins. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la réunion du Sénat cette nuit en toute hâte est la parfaite illustration du mot d'ordre passé entre les chefs d'État et de gouvernement : se débarrasser au plus vite de l'étape de la ratification en contournant soigneusement les peuples !
Eh oui, monsieur le secrétaire d'État, vous avez au moins raison sur ce point, le mot d'ordre a été respecté : tout est allé très vite !
L'élaboration du traité, orchestrée par les États membres sans consulter ni informer les citoyens européens, a été particulièrement rapide entre mai et mi-octobre 2007. Même la méthode conventionnelle est passée à la trappe, monsieur Haenel, au nom de calculs politiques, partant du postulat d'une opposition de principe entre l'Europe et les peuples d'Europe. Ensuite, la signature du traité de Lisbonne, le 13 décembre 2007, a lancé le top du départ de la course à la ratification.
Dans notre pays, après la révision constitutionnelle adoptée le 4 février dernier à la va-vite, le Gouvernement revient devant notre assemblée pour nous faire enregistrer le projet de loi de ratification, trois jours après.
Alors que le projet de loi autorisant la ratification du traité de Lisbonne a été adopté hier en conseil des ministres et voté cet après-midi à l'Assemblée nationale, la commission des affaires étrangères du Sénat n'a pas hésité à se réunir, dès ce matin, avant le vote du texte à l'Assemblée nationale,...
M. Guy Fischer. Elle a anticipé !
M. Robert Bret.... faisant fi de l'article 42 de la Constitution française de 1958,...
M. Guy Fischer. Ce n'est pas bien !
M. Robert Bret.... qui dispose : « La discussion des projets de loi porte, devant la première assemblée saisie, sur le texte présenté par le Gouvernement. Une assemblée saisie d'un texte voté par l'autre assemblée délibère sur le texte qui lui est transmis. » Je vous l'ai d'ailleurs fait remarquer, monsieur de Rohan.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Monsieur Bret, puis-je vous interrompre ?
M. Robert Bret. Je vous en prie, mon cher collègue.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Je tiens à préciser que, ce matin, la commission n'a fait qu'adopter le rapport de M. François-Poncet, ce qui est parfaitement son droit. Ce n'est que, lorsque nous nous sommes réunis une deuxième fois, à dix-sept heures, que nous nous sommes prononcés sur le texte. En effet, comment aurions-nous pu nous prononcer sur un texte qui n'avait pas encore été adopté et dont nous ne connaissions pas la teneur ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Dominique Braye. Monsieur Bret, il ne faut pas travestir la vérité !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Bret.
M. Robert Bret. La réunion de dix-sept heures a été provoquée par la remarque que j'ai faite ce matin, remarque que vous avez d'ailleurs taxée de « juridisme », monsieur le président de la commission. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Cette réunion était déjà programmée ! Vous êtes de mauvaise foi !
M. Robert Bret. On voit comment notre Constitution est appliquée !
Quelle précipitation pour ratifier un traité qui ne doit entrer en vigueur qu'au début de 2009 ! Un tel empressement à liquider l'étape de la ratification atteste du renoncement à combler le déficit démocratique qui gangrène la construction européenne. Ainsi, une fois de plus, l'Union européenne se trouve confrontée à ses contradictions.
L'ambition affirmée de la « relance » de l'Europe est poursuivie coûte que coûte, tandis que l'adhésion des peuples au projet européen est censée découler des bénéfices que les citoyens européens seront supposés tirer des politiques européennes. Vous l'avez d'ailleurs redit ce soir, monsieur le secrétaire d'État.
Or un tel raisonnement place les citoyens européens en position d'extériorité par rapport à la construction européenne. Selon cette vision, l'histoire européenne se construit sans eux.
Les citoyens européens sont alors strictement cantonnés à une posture passive. Cette conception témoigne surtout du peu de cas que les dirigeants européens font de la parole du peuple, qui s'est pourtant massivement et clairement exprimée le 29 mai 2005.
Je rappelle que, par cet acte de souveraineté, le peuple a signifié de la manière la plus forte qui soit son rejet de l'Europe libérale consacrée par la « Constitution européenne » et, à présent, par le traité de Lisbonne. J'insiste sur le fait que ce refus portait sur une conception marchande de l'Europe sans que cela remette en cause l'adhésion populaire à l'aventure européenne. Oui, les peuples ont envie de plus d'Europe, mais pas celle d'aujourd'hui ni celle du traité de Lisbonne !
Aussi, le choix d'accélérer le calendrier et de recourir à la voie parlementaire pour éviter d'avoir à affronter un débat public ne nous semble pas digne d'une démarche démocratique. La démarche poursuivie soustrait l'étape de la ratification au débat public, pourtant inhérent à une telle procédure.
L'autorisation donnée par les parlementaires à la ratification est alors assimilée à un exercice de pure forme expédié en quelques heures loin de tout véritable débat susceptible d'aller dans le sens d'une politisation et d'une démocratisation de la construction européenne. Or, vous le savez, subtiliser le traité de Lisbonne au débat citoyen ne va certainement pas dans le sens d'une réappropriation du projet européen par le peuple ni du renforcement de la légitimation du processus européen.
Dès lors, je déplore que la perspective de la réalisation d'une Europe politique s'éloigne encore un peu plus, et cela parce que le traité de Lisbonne doit passer coûte que coûte et à n'importe quel prix démocratique. Telle est l'idée commune à tous les tenants de la « Constitution européenne » et de son prolongement, le traité de Lisbonne, qui voient là une revanche contre le peuple.
Et dire que l'argument d'une Europe plus démocratique avait été avancé pour faire accepter la Constitution européenne ! Quelle ironie !
Mesurons bien que le choix de la ratification par la voie parlementaire est éminemment politique. Il exprime le manque de courage de soumettre la question directement au peuple.
Chacun doit bien comprendre que l'utilisation de la démocratie représentative pour échapper à l'expression directe du peuple dénature le rôle du Parlement, qui se trouve ainsi, une nouvelle fois, instrumentalisé par l'exécutif. Pourtant, pour se revendiquer de la démocratie, il faut que le peuple soit susceptible d'avoir le dernier mot.
Dans ces conditions, que l'on soit favorable ou défavorable au traité, peut-on passer outre la décision du peuple de mai 2005 en l'annulant par un vote du Parlement ?
Pour reprendre l'expression de Didier Mauss, président de l'association française de droit constitutionnel, le Parlement peut-il désavouer le peuple ? Politiquement, c'était inconcevable ; juridiquement, c'est pratiquement fait !
Tel est donc l'enseignement tiré du « non » français de 2005. Le peuple ayant manifesté un vif intérêt pour la construction européenne et ayant rejeté le traité constitutionnel en toute connaissance de cause, il faut aujourd'hui être prudent et contourner le peuple, l'écarter de la construction européenne pour adopter une copie de la défunte « Constitution européenne ».
Ce déni de démocratie est d'autant plus inquiétant que l'avenir dessiné par le traité de Lisbonne est sombre. On le sait, ce sont malheureusement les peuples et les salariés qui continueront à subir les conséquences.
En prônant la concurrence libre et non faussée, qui reste, monsieur François-Poncet, la référence de toutes les politiques - même si elle n'apparaît plus dans le corps du traité, elle est reprise dans un protocole annexe qui a la même valeur juridique que le traité -, en prônant la libre circulation des capitaux, la liquidation des services publics et l'indépendance de la Banque centrale européenne à l'égard des État, vous soumettez nos concitoyens aux quatre volontés d'une Europe ultralibérale au sein de laquelle les crises se sont multipliées : désordres financiers périodiques, crise de la dette, fuite des capitaux, expansion des flux financiers internationaux, opacité croissante des flux spéculatifs, krachs boursiers à répétition.... Comment cette Europe de l'argent roi, et même de l'argent fou comme l'illustre le scandale de la Société générale, pourrait-elle répondre aux attentes des peuples, monsieur le secrétaire d'État ?
Elle ne le peut pas. Vous le savez et nos concitoyens le savent. C'est la raison pour laquelle vous avez soigneusement évité tout débat public avec le peuple.
Ne poussez pas trop vite un « ouf » de soulagement. La page ne se tournera pas si facilement, car ce passage en force va laisser des traces. Si vous imaginez que l'Europe peut continuer comme cela longtemps, sans les citoyens, vous vous trompez. Tôt ou tard, ils demanderont des comptes.
Pour le groupe communiste républicain et citoyen, ratifier le traité par voie parlementaire, c'est nuire au peuple. C'est un déni de démocratie, car, vous le savez, ce choix est uniquement déterminé par la volonté de bâillonner le peuple.
Ratifier le traité par voie parlementaire, c'est creuser encore plus le fossé existant entre citoyens et pouvoir politique.
Monsieur le secrétaire d'État chargé des affaires européennes, ce que vous avez appelé à l'Assemblée nationale un « acte majeur » du Président de la République n'est en réalité qu'un acte de frilosité, pour ne pas dire de lâcheté. Cela traduit la peur que vous avez de vous livrer à un débat public sur le contenu de ce traité, et l'on sait bien pourquoi.
Ratifier le traité par voie parlementaire, c'est nuire au Parlement, car, une fois encore, il se place en position de subordonné par rapport au Gouvernement.
Enfin, ratifier le traité par voie parlementaire, c'est nuire à l'Europe, car une Europe construite sans les peuples, voire contre la volonté des peuples, n'a pas d'avenir.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, vous comprendrez que notre groupe ne participe pas à ce hold-up démocratique et vote contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC - M. Mélenchon applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Seillier.
M. Bernard Seillier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le recours à la ratification parlementaire du traité de Lisbonne, fût-elle clairement annoncée à l'avance, pour passer outre le refus référendaire, suscite une véritable gêne. Ne sommes-nous pas dans le registre des chartes octroyées au peuple, qui, inversant la démarche démocratique, peut avoir des conséquences plus graves que l'effet même du refus populaire ?
L'argument avancé pour justifier le recours à une telle procédure est principalement fondé sur le fait que l'isolement de la France et la nécessaire relance de la construction européenne constitueraient des cas de force majeure. Or ces deux arguments ne sont pas convaincants.
La vie, quelle qu'elle soit, continue, et ce n'est pas la forme des institutions qui crée la liberté et la vie. C'est l'inverse. Les institutions doivent respecter la source de la vie ainsi que la liberté de la pensée et de l'existence des personnes et des peuples. Le moteur n'est pas au sommet, mais sur le terrain. La vie n'est pas quantité, mais qualité.
La démocratie doit avant tout être substantielle et ne pas se contenter d'être formelle.
On ne peut non plus considérer l'isolement comme une tare en soi que si l'on a déjà renoncé à toute hiérarchie des valeurs à défendre.
Être isolé parce que l'on a commis un délit est tout à fait différent du fait de l'être parce qu'on défend une position juste. On ne peut pas considérer qu'être isolé est en soi rédhibitoire, sauf si l'on privilégie la dynamique constructiviste par rapport à une dynamique éthique et politique. Or c'est bien là en définitive que se fondent les divergences légitimes entre deux conceptions de la construction européenne, au point que la forme actuellement privilégiée pourrait se révéler ultérieurement avoir été celle de sa dissolution.
Le principe inspirateur de la construction européenne consistait, il y a cinquante ans, à créer des liens économiques étroits entre les États-nations de l'Europe occidentale pour empêcher toute exaspération conflictuelle entre eux.
L'évolution du monde a complètement changé la donne, au point de faire apparaître aujourd'hui deux types de menaces totalement différentes de celles qu'avaient en tête les initiateurs du traité de Rome ; je veux parler de la guerre commerciale et du terrorisme.
La véritable question est donc aujourd'hui de savoir quelle est la meilleure réponse à donner aux conditions de demain.
Je pense personnellement que la suprématie des réseaux de coopération et de coordination politique, économique et sociale correspond plus à la nécessité du temps que la formation de grands ensembles d'exaspération des compétitions inégalitaires, et donc injustes, sous couvert de liberté.
De tels ensembles risquent, en outre, d'être perçus par les autres peuples comme des menaces belliqueuses. La puissance des réseaux, des coopérations et des coordinations me semble plus conforme aux exigences de l'ère d'Internet, à l'instar des microordinateurs qui ont succédé aux énormes machines des années soixante.
L'Europe a un autre rayonnement à faire valoir dans le monde, aux peuples de notre époque, qui attendent autre chose qu'une réponse en termes de structuralisme et de bureaucratie tatillonne.
Il faut nourrir la construction européenne de valeurs humaines pratiquée à tous les niveaux, et pas seulement affirmées dans les textes.
Les pétitions de principe, les catalogues de bonnes intentions sont sans fécondité, surtout quand ils sont en contradiction avec la manière d'appliquer le principe de subsidiarité.
La subsidiarité imposerait que soient mieux définies des compétences partagées ou attribuées aux nations et à l'Union européenne.
Il est spécifié dans le traité de Lisbonne que les parlements nationaux auront leur mot à dire au cas où la subsidiarité serait remise en cause. Mais, ici encore, il s'agit d'une subsidiarité octroyée, c'est-à-dire définie par le sommet. Ne faudra-t-il pas, en effet, réunir la majorité des Parlements concernés, c'est-à-dire mettre en minorité le pouvoir central, pour faire valoir son droit ?
Une grande confusion règne sur cette notion de subsidiarité faute d'admettre qu'elle n'est pas principalement procédurale, mais qu'elle est indissociable de l'essence même de la démocratie, et plus profondément encore de ce qui fonde le sens de la participation des citoyens et des familles à l'organisation de leur destin.
Cela implique que, pour chaque catégorie de problèmes, soit reconnue une compétence au niveau le plus adéquat à partir du terrain, et que soient respectées les valeurs de civilisation sur lesquelles repose la volonté de vivre ensemble. Ce peut être un échelon local, national, international, européen ou mondial, selon la nature du problème.
Seule cette mise en perspective générale exigée par notre époque permet de concevoir un autre dynamisme que celui de la forme de gouvernance kafkaïenne mise en oeuvre depuis plusieurs décennies.
C'est en ce sens que, rassembleur déterminé, démocrate affirmé, européen convaincu, mais pas exclusivement, je ne peux approuver la démarche actuelle qui prétend construire l'Europe, car je pense sincèrement qu'elle en ruine les véritables potentialités et la fécondité ! (M. Bruno Retailleau applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, j'expliquerai, de la façon la plus brève possible, pourquoi mon groupe votera en faveur du projet de loi autorisant la ratification du traité de Lisbonne et pourquoi nous acceptons que cette autorisation ait lieu par la voie parlementaire.
Placé entre nos collègues Bernard Seillier et Bruno Retailleau, je sais que la tâche ne sera pas facile pour moi ! (Sourires.)
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Ce n'est pas confortable !
Un sénateur de l'UMP. Les arguments de Bernard Seillier ne nous ont pas convaincus !
M. Michel Mercier. Le traité de Lisbonne, M. le rapporteur l'a excellemment dit, présente un certain nombre d'avantages. Néanmoins, il conserve un certain nombre d'ambiguïtés. Il faut éviter d'être trop béat d'admiration devant ce texte et ne pas oublier les questions qui restent pendantes et ne sont pas résolues par lui.
Très naturellement, s'agissant d'en autoriser la ratification, la voie parlementaire qui a été retenue nous semble justifiée. Il s'agit, en effet, de modifier des traités dont l'autorisation de ratification a été donnée par la voie parlementaire et qui n'ont pas fait l'objet d'autres modes de ratification que celle que nous utilisons ce soir.
La modestie du traité de Lisbonne justifie toute à fait cette procédure. Il s'agit en réalité de faire produire aux traités existants tous leurs effets, dans une Europe à vingt-sept, et de rendre efficaces des institutions qui ne le sont plus aujourd'hui.
En revanche, si demain une autre étape européenne devait être franchie, si l'on reparlait de Constitution, de symbole, d'une Union européenne plus forte, il serait tout à fait naturel de demander aux peuples, et d'abord au peuple français, de se prononcer.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est ça ! Des colifichets pour le peuple !
M. Michel Mercier. Aujourd'hui, il s'agit simplement de faire fonctionner ce qui ne fonctionne plus.
Tel qu'il nous est proposé, le traité de Lisbonne présente trois séries d'avantages.
Tout d'abord, il remet la France dans le circuit européen, ce qui est essentiel. Il n'y a jamais eu de construction européenne sans que la France, avec l'Allemagne, joue un rôle moteur. Depuis l'échec du référendum sur le traité constitutionnel, la France est en dehors du circuit européen, de la pensée européenne, de la construction européenne. Il y a quelques mois, des chefs d'État se sont réunis à Madrid en dehors d'elle. Il est totalement inimaginable de laisser l'Europe se construire sans nous. Le traité de Lisbonne marque donc le retour de la France dans la construction européenne. C'est, pour nous, un avantage tout à fait remarquable.
Le deuxième avantage du traité de Lisbonne est qu'il donne à l'Europe, composée de vingt-sept États membres, les moyens de travailler. Sur ce point également, des progrès ont été réalisés. Ils ont été soulignés par les différents orateurs et je n'y reviendrai pas. Il s'agit de la mise en place de dispositifs plus simples, plus clairs en matière d'organisation des institutions, de mode de votation au sein du Conseil, etc.
Par ailleurs, ce traité permettra à l'Europe de travailler dans de nouveaux domaines, là où les citoyens européens l'attendent : l'énergie, la coopération judiciaire et policière, les questions d'immigration, de contrôle aux frontières. Ce sont de nouvelles politiques que l'Europe pourra mettre en oeuvre grâce au traité de Lisbonne.
Le troisième avantage du traité de Lisbonne est qu'il constitue une avancée de la démocratie européenne. La critique véhémente souvent faite à l'Europe est qu'elle est lointaine, technocratique. Comment pouvait-on faire pour remettre de la démocratie dans l'Europe ?
Le traité de Lisbonne corrige le traité de Nice s'agissant du poids relatif de chacun des États ; c'est un progrès. Désormais, on tiendra compte de la population réelle de chaque État et donc de ce qui est le fondement même de la démocratie : un homme, une voix. Ce principe sera mieux appliqué dans le fonctionnement de l'Union européenne grâce au traité de Lisbonne.
Les pouvoirs du Parlement européen augmentent ; le domaine des codécisions devient de droit commun. Il s'agit d'une avancée démocratique évidente.
Le rôle des parlements nationaux est réaffirmé, ce qui donne un contenu concret à la notion de subsidiarité.
Certes, il n'est pas facile de faire jouer le principe de subsidiarité. Mais, comme en bien d'autres domaines, il nous appartiendra de nous organiser en tant que parlement national pour faire jouer au traité toutes ses potentialités et éviter de reporter sur les institutions de Bruxelles ce que nous aurions pu faire localement.
Au demeurant, ce traité ne règle pas tout et soulève des problèmes.
Ainsi, quelle sera la place du président du Conseil européen, celle du Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ? Quels seront les rapports entre le président du Conseil européen, le Haut représentant et le président de la Commission ?
Si, habituellement, il appartient aux institutions de canaliser la fougue et la passion des individus qui les font vivre, s'agissant des institutions du traité de Lisbonne, il faudra toute la sagesse des individus qui rempliront les postes essentiels prévus par ce texte pour que ce qui constitue des ambiguïtés ne devienne pas, demain, des sources de désaccords institutionnels à l'échelon de l'Europe.
Conscient de ce qu'apporte le traité de Lisbonne, de la possibilité qu'il donne à la France de jouer à nouveau son rôle traditionnel dans la construction européenne, mais tout aussi conscient des problèmes qu'il pose, mon groupe votera en faveur de ce projet de loi de ratification. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je peux rassurer Michel Mercier, qui a fait aimablement allusion à deux de ses collègues à l'instant : je ne suis pas béat devant ce traité ! (Sourires.)
Il aura donc fallu moins de deux ans pour qu'on nous resserve, par la petite porte parlementaire,...
M. Dominique Braye. La porte parlementaire n'est pas une petite porte !
M. Bruno Retailleau.... le contenu du traité constitutionnel, qui était sorti par la porte du référendum !
Si, malheureusement, l'Europe se construit sans les peuples, on risque d'encourager la méfiance qui se manifeste en France à chaque élection européenne. L'abstention dans notre pays est trois fois plus forte aux élections européennes qu'aux élections présidentielles.
C'est également le cas dans d'autres pays. Par exemple, en Bulgarie, lors des dernières élections européennes, en mai 2007, le taux de participation s'est élevé à 29 %. Le déficit démocratique est donc bien présent.
Peut-on y remédier, mes chers collègues, en passant subrepticement sur la décision du peuple et en adoptant un traité, certes compliqué, mais qui nous ressert la même « sauce » que le traité constitutionnel ?
En réalité, pour reprendre l'expression qu'a utilisée Hubert Védrine dans son livre, que vous avez sûrement lu, Continuer l'Histoire, il me semble que nous avons manqué une grande occasion, celle d'une triple clarification : clarification sur les pouvoirs entre le centre et la périphérie, entre les États membres et l'Union européenne ; clarification sur les frontières ; surtout, clarification sur le projet.
Je commencerai par la clarification sur les pouvoirs et sur les institutions.
Quand on lit la presse étrangère, on constate que tous les Gouvernements des pays où l'on a voté « oui » affirment que le nouveau traité est le même que le traité constitutionnel ! Ce texte, tout comme le traité constitutionnel, n'a qu'un seul objectif : renforcer la logique fédérale.
Tous les éléments constitutifs d'un super-État européen en devenir sont là : la personnalité juridique, le fait que désormais l'Union existe distinctement des État qui l'ont créée, la primauté du droit communautaire, y compris sur nos constitutions, encore une fois réaffirmée par le biais de la jurisprudence de la Cour de justice.
Il y a toujours plus de domaines de compétence dans lesquels les décisions sont prises suivant la règle de la majorité et non plus suivant la règle de l'unanimité. Nous sommes en train de construire une Europe boulimique.
Certes, je reconnais que l'Europe est légitime dans des domaines où les États restent impuissants, soit parce qu'il s'agit de domaines de dimension transnationale, soit parce que, en vertu du principe de subsidiarité, un certain nombre de problèmes doivent être traités à un échelon supérieur.
Mais, toujours aller dans le sens de l'abandon de souveraineté, c'est vouloir construire un certain type d'Europe, une forme d'Europe fédérale.
Un sénateur socialiste. Eh oui !
M. Bruno Retailleau. Les éléments constitutifs d'un État fédéral sont la monnaie, un service diplomatique. Au demeurant, on aura beau avoir un service diplomatique commun, ce n'est pas demain que le Royaume-Uni et la France partageront la même vision des rapports avec les États-Unis !
Les États européens du Nord ne sont pas près d'avoir la même conception de la politique méditerranéenne, cher Jacques Blanc. Il se passera également du temps avant qu'un Polonais ait la même préhension qu'un Allemand ou un Français du rapport avec la Russie.
Donc, on peut construire en commun et faire fonctionner l'Europe, mais, un jour ou l'autre, les réalités créées par l'histoire, par la géographie, celles qui sont dans le coeur des peuples s'imposeront. Aujourd'hui, l'intérêt communautaire triomphe provisoirement : il n'y a plus, mes chers collègues, d'intérêt national, il n'y a plus que des égoïsmes nationaux qu'il faut absolument combattre.
J'ai entendu dire tout à l'heure qu'il fallait entreprendre des réformes dans notre pays. Certes, elles sont nécessaires, mais pour qu'elles soient portées, un élan est indispensable. On met un peuple en mouvement non pas en lui proposant d'augmenter la croissance de 1 %, mais parce qu'il a le sentiment d'une appartenance commune. S'il accepte de se « serrer un peu la ceinture », c'est parce qu'il a le souci des générations futures et peut-être aussi parce qu'il pense aux générations précédentes.
Il n'y a pas de clarification non plus sur les frontières.
L'Europe se détache des peuples, mais elle se détache aussi de tout territoire particulier. Les critères de Copenhague sont bien impuissants, mes chers collègues, à projeter sur la moindre carte du continent une délimitation, même si on ajoute le critère de la capacité d'absorption.
Le problème de la Turquie est pendant. Les mécanismes que vous allez voter tout à l'heure auraient pour conséquence, si, un jour, la Turquie était intégrée à l'Union, que le pays le moins européen serait celui qui pèserait le plus, peut-être avec l'Allemagne, au sein du Conseil, au Parlement européen, et sans doute aussi celui qui nous coûterait le plus cher en matière d'intégration.
Ce problème turc, vous l'avez posé, monsieur le secrétaire d'État, puisque vous remettez en cause l'article 88-5 de la Constitution - chaque opinion est respectable - que Jacques Chirac avait imaginé pour nous convaincre que les deux questions, celle de la Constitution et celle de la Turquie, étaient séparées.
À l'époque, je n'avais pas, bien entendu, voté cette révision constitutionnelle. Mais faut-il croire que, demain, une nouvelle révision constitutionnelle interviendra, visant à supprimer cet article ? Peut-être nous l'indiquerez-vous, mais il faut le dire au peuple ; il convient de jamais agir de façon détournée.
La réalité, c'est la question des frontières : il faut dire ce qu'est l'Europe, où elle commence et où elle finit. Je crois que cette incertitude est à la base d'un certain nombre d'incompréhensions.
La troisième clarification qui fait défaut, malheureusement, concerne le projet européen. Quelle Europe voulons-nous ? Une Europe anglo-saxonne, simple zone de libre-échange ?
M. Bruno Retailleau. Une Europe messianique, qui serait une sorte d'avant-garde d'une humanité en voie d'unification et dont nos institutions seraient une sorte de préfiguration ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Eh oui...
M. Bruno Retailleau. Un universalisme cher à la démocratie chrétienne, cher Michel Mercier ?
Une Europe bruxelloise, super-État technocratique, alors que, dans nos collectivités, pour la moindre décision, nous nous heurtons déjà aux injonctions tatillonnes de Bruxelles ?
Je veux bien la grande aventure européenne, mais où est-elle lorsque le Président de la République lui-même se fait rappeler à l'ordre par Bruxelles parce qu'il a le projet ambitieux d'une Union méditerranéenne ou parce qu'il veut aider les pêcheurs de notre pays ? Nous sommes contraints, cher Josselin de Rohan, de construire des usines à gaz pour éviter de nous faire taper sur les doigts par les technocrates de Bruxelles !
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. On n'a pas construit d'usine à gaz !
M. Bruno Retailleau. Mais où va-t-on ? C'est nous qui sommes responsables de cette situation ; on ne peut pas à la fois déplorer les effets et renchérir les causes.
On ne nous dit pas où l'on va, ni comment on y va. De mécanisme en machinerie institutionnelle, on voit bien se profiler, en filigrane, une unité en devenir, qui doit rester confidentielle, en tout cas dans une prudente indécision au sens étymologique : « Y penser toujours, n'en parler jamais » !
Longtemps, on a cru que l'union économique permettrait de forger l'union politique. Comme l'a écrit Ernest Renan, un Zollverein n'a jamais fait une patrie.
Il a donc fallu changer de méthode et, depuis quelques années, on tente de dépasser le fait national par le droit, un peu comme Jürgen Habermas et son « patriotisme constitutionnel. » Certes, mais les hommes ne sont pas uniquement des êtres de raison ; ils ont une histoire, ils tendent vers une destinée commune, ce ne sont pas des monades totalement désincarnées !
Le point d'inflexion de l'Europe, cette Europe technocratique telle qu'elle apparaît aujourd'hui, se situe aux environs de Maastricht. Pendant une longue période, les États nations et l'Europe se sont développés de façon assez harmonieuse, en tout cas dans un concert mutuel. Puis, un infléchissement s'est produit et, progressivement, l'instrument s'est détaché des corps nationaux. La créature a pris vie et s'est détachée de ses créateurs.
On ne peut pas créer un destin commun en se fondant exclusivement sur des mécanismes institutionnels et juridiques ; il y faut un grand élan collectif. C'est la raison pour laquelle je voterai contre le projet de loi autorisant la ratification du traité de Lisbonne. (Mme Paulette Brisepierre et M. Bernard Seillier applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Mauroy.
M. Pierre Mauroy. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, depuis cinquante ans, les Européens ont engagé une construction originale qui n'a aucun équivalent dans le monde. Au fil des années, ils ont bâti à six, puis à neuf, puis à quinze et désormais à vingt-sept, un ensemble juridique, économique, social et politique, fondé sur les valeurs de la démocratie et des droits de l'homme.
Certes, rien n'est encore achevé, tout est encore imparfait. Mais, au fil du temps, l'Union européenne a assuré à ses habitants un relatif bien-être social et est devenue la première puissance économique mondiale.
Mais surtout, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les peuples européens vivent en paix, une paix renforcée sur le continent en 2004 avec l'adhésion de dix nouveaux États membres issus de l'ex-Europe de l'Est communiste. C'est, à mes yeux, la réussite majeure de l'Europe, que l'on ne rappelle jamais assez et qu'il faut à tout prix préserver.
M. Gérard Longuet. C'est vrai !
M. Pierre Mauroy. Malgré cette réussite exceptionnelle, les citoyens européens doutent de l'efficacité de la construction européenne. Il en résulte, chez un nombre grandissant d'entre eux, au mieux une certaine indifférence, au pire des réactions de rejet, comme celles des Français et des Néerlandais en 2005.
On évoque souvent, pour expliquer cette attitude, l'opacité du fonctionnement des institutions, l'éloignement des instances de décision, la bureaucratie « bruxelloise », l'élargissement réalisé trop rapidement, l'essoufflement du projet des Pères fondateurs, l'absence de projets mobilisateurs et, surtout, le déficit démocratique de l'Union.
Il est certain que le débat institutionnel européen a duré trop longtemps et a trop mobilisé les énergies, au détriment de réalisations plus concrètes qui auraient pu rencontrer l'adhésion des citoyens au projet européen.
Le premier mérite du traité, dit traité de Lisbonne, qui nous est soumis est de clore pour un certain temps cette longue période de réflexion, de querelle, sur l'évolution et l'efficacité des institutions de l'Union.
Ce traité, s'il est adopté avant la fin de l'année par les vingt-sept États membres - ce que je souhaite -, devrait permettre d'enrayer la crise de confiance qui a suivi l'échec du traité constitutionnel en 2005, après les « non » français et néerlandais, et favoriser la relance de la dynamique européenne en sommeil depuis deux ans.
II le pourra d'autant plus qu'il est le résultat d'un compromis signé, pour la première fois, par les vingt-sept chefs d'État et de gouvernement de l'Union, à Lisbonne, le 13 décembre dernier.
Certes, comme tout compromis, il ne satisfait totalement personne, et notamment pas les socialistes français. Ce traité manque de souffle, et « l'esprit européen » n'est pas vraiment au rendez-vous ! On est revenu à un exercice classique de type intergouvernemental négociant des « modifications » aux traités existants.
Pour autant, comme tout compromis, il présente des aspects positifs que je rappellerai brièvement.
En premier lieu, il modifie notamment le traité de Nice, toujours en vigueur, dont tout le monde s'accorde à reconnaître qu'il n'est pas satisfaisant. L'objectif est faible, mais c'est, hélas ! la réalité dans laquelle nous retomberions si, par malheur, était effacé ce que nous sommes en train de construire.
Les dispositions institutionnelles du traité de Lisbonne vont permettre d'améliorer de façon substantielle l'équilibre et le fonctionnement des institutions, les modes de prise de décision, les droits des citoyens et la démocratie au sein de l'Union élargie.
En effet, une architecture plus équilibrée et plus démocratique est instaurée entre les trois principales institutions.
D'abord, le Parlement européen - et nous y attachons beaucoup d'importance - monte en puissance, avec l'accroissement du nombre de ses membres afin de prendre en compte l'arrivée des nouveaux États membres. Les parlementaires européens seront désormais 750, le nombre des représentants de chaque État étant établi en fonction de la taille de sa population.
Le rôle du Parlement européen est renforcé aussi par l'extension de la procédure de codécision avec le Conseil des ministres à quarante nouveaux domaines législatifs. Cela est de la plus grande importance. En fait, la quasi-totalité de la législation européenne sera adoptée par le Parlement européen, mis sur un pied d'égalité avec le Conseil des ministres représentant les États membres.
Il lui reviendra, en outre, d'investir le président de la Commission ainsi que le collège qu'il aura formé, en tenant compte de la majorité politique issue des élections européennes. Cela est également primordial.
Enfin, les parlements nationaux vont devenir des acteurs de la construction européenne, puisqu'ils se voient attribuer un rôle inédit de contrôle du respect du principe de subsidiarité. À ce titre, ils bénéficient désormais d'un « droit d'alerte précoce » en cas de dépassement de ses prérogatives par la Commission.
Ce nouveau droit accompagne la clarification qu'effectue le texte entre les pouvoirs de l'Union et ceux des États membres en distinguant trois catégories de compétences : les compétences exclusives de l'Union, où elle seule légifère - union douanière, politique monétaire, établissement des règles de concurrence, etc. - ; les compétences partagées entre l'Union et les États membres ; enfin, les compétences d'appui, c'est-à-dire les domaines où les États demeurent compétents, mais dans lesquels l'Union européenne peut apporter son appui.
Les parlements nationaux disposent, enfin, d'un « droit d'opposition » à la « clause passerelle », qui permet d'étendre la majorité qualifiée à des domaines jusque-là régis par la règle de l'unanimité. Cette innovation est importante, car l'avenir de l'Europe, vous le savez, se joue aussi dans ce passage de la règle de l'unanimité à celle de la majorité qualifiée.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Tout à fait !
M. Pierre Mauroy. En outre, alors que la cohésion territoriale est affirmée comme objectif à part entière de l'Union, les conséquences administratives et financières des propositions de la Commission sur les budgets des collectivités territoriales seront examinées et le comité des régions pourra être consulté. Je ne sais pas si cette notion est importante mais, en tout cas, c'est la première fois qu'elle est mise en avant, ce que je considère comme positif.
Ces dispositions nouvelles rapprochent ainsi les débats nationaux de ceux de l'Union.
De son côté, la composition de la Commission est revue de façon à privilégier l'intérêt européen par rapport à l'addition des intérêts nationaux. Cette modification, qui ramènera le nombre des commissaires à dix-huit - au lieu de vingt-sept actuellement - devrait ne prendre effet qu'à partir de 2014.
Enfin, la création de la fonction de « président du Conseil européen », élu pour deux ans et demi et renouvelable une fois, qui ne pourra pas exercer de fonction nationale, donnera enfin un visage à l'Union et à la présidence une stabilité et une visibilité qui manquaient cruellement dans le système actuel des présidences tournantes semestrielles. Certains de nos collègues se sont demandé qui, de ces différents présidents, finirait par l'emporter ? Si la nouvelle fonction ne l'emporte pas, c'est qu'on aura mal choisi celui qui l'exerce !
M. Jean Desessard. Pourtant cela arrive, même en France !
M. Pierre Mauroy. Cela peut arriver, il faudra y prendre garde ! Mais je crois que la précaution prise devrait permettre de répondre à la question.
Sur le plan institutionnel, les avancées sont donc importantes. D'autant qu'elles sont complétées par d'autres dispositions permettant, elles aussi, une amélioration du fonctionnement démocratique de l'Union. Ainsi en est-il de la révision du mode de décision au Conseil des ministres, fondé sur la « double majorité » - 55 % des États membres et 65 % de la population. Ce système n'entrera en vigueur qu'en 2014, voire en 2017, mais concernera trente-trois nouveaux articles, notamment le contrôle aux frontières, la politique d'asile ou la gestion des fonds structurels.
Certes, la règle de l'unanimité demeure en vigueur pour la politique fiscale ou la politique étrangère. Mais cette dernière progresse malgré tout, avec la création d'un « haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité », disposant d'un service européen pour l'action extérieure, renforçant la présence et l'action de l'Union dans le monde.
Les socialistes considèrent aussi comme positive l'introduction d'une initiative citoyenne européenne : une pétition signée par un million de citoyens peut contraindre la Commission...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais non !
M. Pierre Mauroy.... à prendre des mesures dans un domaine où ils estiment son intervention nécessaire.
M. Robert Bret. C'est une interprétation abusive !
M. Pierre Mauroy. Dans le même sens, le traité favorise le développement du dialogue avec les associations et conforte le rôle des partenaires sociaux.
Le traité consacre aussi la possibilité de « coopérations structurées » réunissant un groupe d'États - on leur a accordé beaucoup d'importance et elles ont été au coeur des débats de ces dernières années - et institutionnalise l'Eurogroupe, permettant une meilleure coordination des politiques économiques, budgétaires et fiscales des quinze États membres de la zone euro.
Nous approuvons aussi les dispositions concernant la solidarité énergétique et environnementale européenne, le recadrage du principe de concurrence - qui avait joué un rôle important dans l'échec du traité constitutionnel -, la reconnaissance des services publics prévue dans le protocole adjoint au traité, le renforcement de la coopération judiciaire et policière et du cadre d'action de la défense européenne.
Enfin, l'Union est dotée de la personnalité juridique. Ses valeurs fondatrices sont rappelées dans le préambule du traité comme étant « universelles et indivisibles » : respect de la dignité humaine, liberté, démocratie, égalité, État de droit, droits de la personne, droits de l'enfant, tolérance, justice, solidarité, citoyenneté, égalité entre les femmes et les hommes. Ce sont peut-être des mots, mais ce sont des mots qu'on aime entendre et ils ont été repris dans le traité !
Ainsi, l'Union européenne se définit non pas seulement comme un espace économique, mais aussi comme un espace de droits, porteur de valeurs humanistes et sociales, comme nul autre au monde, il faut le souligner !
Malgré ces aspects positifs, force est de constater les graves faiblesses du traité et ses lacunes indéniables. Pour ma part, je regrette certains abandons effectués à la demande de quelques États membres, Grande-Bretagne et Pologne notamment. J'ouvre une parenthèse pour observer que, chaque fois qu'on énumère les caractéristiques de ce traité, la Pologne et surtout la Grande-Bretagne y jouent un rôle de frein excessif ! Il est parfaitement clair, sur ce plan, qu'une mobilisation des Européens s'impose pour changer cet état de fait !
M. Robert Bret. Il faut les exclure !
M. Pierre Mauroy. Ces deux pays ont refusé que soient mentionnés dans les textes les symboles de l'Union que sont le drapeau, l'hymne ou la devise. Certes, là n'est pas le plus important, mais je crois à la force des symboles pour convaincre. Je regrette cette manie de supprimer tout ce qui irait dans le sens de la création d'une entité qui dépasserait nécessairement les nations existantes sans leur porter un préjudice inacceptable.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Très bien !
M. Pierre Mauroy. On peut regretter aussi le report de la mise en application de certaines dispositions à 2014, voire à 2017, qu'il s'agisse, on l'a vu, du mécanisme de la double majorité pour la prise de décision au Conseil des ministres ou de la composition de la Commission.
On peut regretter encore les nombreuses dérogations aux dispositions communes ouvertes à certains États membres, toujours les mêmes, notamment dans le domaine de la justice et des affaires intérieures et dans celui de la Charte des droits fondamentaux. Ces dérogations concernent essentiellement la Grande-Bretagne et touchent au coeur de l'engagement européen. Il faudra s'assurer que cette souplesse ne se réalise pas au détriment des droits, de la sécurité juridique et de l'égalité entre les citoyens européens, autrement dit, qu'elle ne porte pas atteinte à la citoyenneté européenne en devenir.
Surtout, les socialistes regrettent vivement que la Charte des droits fondamentaux ne soit pas intégrée au traité, même si les droits qu'elle proclame se voient reconnaître une force juridique contraignante et si une « clause sociale générale », de large portée, est instaurée.
L'Europe sociale, pour laquelle les socialistes se battent depuis le début, les citoyens européens l'attendent. C'est l'une des raisons fondamentales, liée à un juridisme excessif étalé partout, du rejet par la France du traité constitutionnel qui lui était proposé.
M. Guy Fischer. On en reparlera !
M. Jean Desessard. Il ne fallait pas appeler à voter pour !
M. Pierre Mauroy. Incontestablement, on peut vanter la construction européenne, mais si le peuple est malheureux et vit l'Europe comme une aggravation de sa condition, il est évident qu'il réagit en manifestant son opposition, ce qui s'est produit et risque de se reproduire sur bien des sujets internationaux, si l'on n'y prend pas garde !
M. Louis Le Pensec. Évidemment !
M. Pierre Mauroy. Par conséquent, l'Europe sociale...
M. Guy Fischer. Elle est inexistante !
M. Pierre Mauroy.... que les citoyens attendent et sur laquelle nous avons tant insisté, est une fois encore la grande oubliée de ce traité, malgré quelques mesures de principe.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il y a des raisons à cela !
M. Pierre Mauroy. Il faudra donc nous atteler à cette tâche.
D'ailleurs, de façon générale, on pourrait reprocher au traité de Lisbonne que l'application de nombre de ses dispositions, définies comme autant d'intentions, notamment dans les domaines de l'environnement, de l'énergie, de l'harmonisation des normes sociales et budgétaires, des services publics, dépende de la volonté politique des États membres. Par conséquent, la qualité des hommes et des femmes qui seront appelés à exercer de hautes responsabilités au niveau européen aura une importance capitale, cela a été démontré tout à l'heure.
Sur le plan économique, peu abordé dans le traité, on ne voit toujours pas se concrétiser l'émergence, aux côtés de la Banque centrale européenne, d'un gouvernement économique de l'Europe, permettant de remettre la croissance et l'emploi au coeur de la politique économique, en accompagnement de la monnaie unique. Il s'agit là d'un problème essentiel, mais on sait l'opposition irréductible en la matière de quelques États. C'est toujours la même question !
Face à ses faiblesses et à ses insuffisances graves, faut-il pour autant refuser de ratifier le traité de Lisbonne ?
M. Robert Bret. Il le faut !
M. Pierre Mauroy. Il serait illusoire de présenter le traité de Lisbonne comme une sorte de panacée. Il comporte des dispositions positives, mais nombre d'autres qui sont insuffisantes ; par conséquent, il faut faire un choix.
Les sénateurs socialistes, fidèles à une longue histoire européenne constitutive de leur identité, ont estimé que ce nouveau traité contenait des avancées significatives qui justifient un vote positif de leur part, du moins de la grande majorité d'entre eux, comme viennent de le faire les députés socialistes.
Comme en 2005, les socialistes se sont à nouveau divisés sur la question européenne. Pourtant, le traité qui nous est proposé n'est plus une « constitution ». Il se borne à modifier les traités existants, en permettant un fonctionnement de l'Union à vingt-sept dans des conditions meilleures qu'auparavant. Ces dispositions, reprises pour l'essentiel du défunt traité constitutionnel, n'avaient pas soulevé alors d'oppositions majeures.
S'agissant du mode de ratification de ce traité, le parti socialiste et sa candidate à l'élection présidentielle de 2007 avaient souhaité un référendum ; le candidat qui est devenu Président de la République souhaitait le contraire, on s'en souvient. Les parlementaires socialistes ont soutenu, la semaine dernière au Sénat et hier à l'Assemblée nationale, une motion référendaire qui a été rejetée par les deux assemblées. Cette question est donc derrière nous.
Aujourd'hui, l'important est de savoir si les avancées contenues dans le traité modificatif répondent aux besoins immédiats de l'Union européenne. En tant que socialiste, j'ai toujours inscrit mon action politique dans la perspective européenne. Ainsi, en 1983, alors que j'étais Premier ministre, il était tentant de quitter l'Europe en sortant du système monétaire européen, le SME. J'ai convaincu François Mitterrand de renoncer au repli sur soi. Il s'est rallié à la position que je défendais et on connaît la suite.
Aujourd'hui, j'ai la conviction que, malgré ses manques, le traité de Lisbonne renforce la démocratie au sein de l'Union européenne et peut remettre sur les rails le projet européen. Telle est ma conviction, partagée par la majorité du groupe socialiste du Sénat.
Les Européens ont donc un nouveau rendez-vous avec leur avenir. À chaque étape de la construction européenne, les socialistes, parfois majoritaires, parfois minoritaires, ont toujours eu l'intelligence, avec d'autres, d'en être partie prenante. Car l'Europe est partie intégrante de l'identité des socialistes : Jean Jaurès, Léon Blum, François Mitterrand ont toujours porté un message européen, et nous ne l'avons pas oublié.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je pense souvent à la belle phrase de Léon Blum : « Faire l'Europe en pensant au monde ». Plus que jamais, dans le monde globalisé que nous connaissons depuis la chute du mur de Berlin en 1989, quel destin une puissance moyenne comme la France peut-elle espérer se forger seule ?
M. Robert Bret. Personne ne le propose !
M. Pierre Mauroy. Il faut répondre à cette question !
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Tout à fait !
M. Jean-Luc Mélenchon. Il faut aussi savoir aimer la France !
M. Pierre Mauroy. Face à la montée des dangers et à l'émergence rapide de puissances nouvelles, comme la Chine ou l'Inde - que nous saluons, d'ailleurs -, comment ne pas voir que seule la poursuite de la construction européenne - la France devrait y jouer un rôle moteur - est la seule voie pour affronter des défis comme la croissance économique, la compétition mondiale, la régulation des marchés financiers, la lutte contre le réchauffement climatique, la protection sociale des citoyens européens contre les excès du marché, la paix dans le monde ?
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Robert Bret. C'est mal barré !
M. Pierre Mauroy. Plutôt que de nous livrer à des débats juridiques où nous trouvons quelque plaisir, nous devrions répondre à ces questions !
M. Louis Le Pensec. Très bien !
M. Pierre Mauroy. Je pense que, dans le monde d'aujourd'hui, c'est l'Europe qui peut nous y aider et qu'il n'existe pas d'autre solution !
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Pierre Mauroy. Certes, ce traité ne répond pas à tous ces défis, mais ses dispositions vont dans le bon sens.
Il lève une hypothèque sur l'exigence, désormais, de bâtir un projet porteur de sens pour le XXIe siècle. Cette exigence devrait être au coeur de la prochaine bataille des élections européennes de 2009, dont l'enjeu sera plus important que jamais.
Je ne résiste pas à la tentation de vous rappeler quelques paroles prononcées par François Mitterrand en 1995, devant le Parlement européen :
« Ce dont il s'agit, c'est bien d'assurer à l'Europe la place et le rôle qui lui reviennent dans un monde à construire, une Europe puissante économiquement et commercialement, unie monétairement, active sur le plan international, capable d'assurer sa défense, féconde et diverse dans sa culture. Cette Europe-là sera d'autant plus attentive aux autres peuples qu'elle sera plus sûre d'elle-même. »
Cela dépend de nous !
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Pierre Mauroy. Nous n'y sommes pas encore, mais ces propos demeurent d'une actualité brûlante. Ils résument la conception que se font les socialistes de l'Europe, une Europe qui s'affirme comme une puissance politique dotée d'institutions renforcées, plus efficaces et plus démocratiques, une Europe qui protège et favorise le progrès social et stimule la croissance.
La réalisation de ce projet exigera de nous et de la France encore beaucoup d'efforts, que notre pays devra prendre en compte, monsieur le secrétaire d'État, au cours de sa présidence de l'Union européenne, qui débutera en juillet prochain.
La réalisation de ce projet passe aujourd'hui par la porte étroite de la ratification du traité de Lisbonne, que le groupe socialiste du Sénat, à une forte majorité, va approuver.
Nous le faisons avec les réticences que j'ai exprimées, mais aussi avec la conviction, que je crois largement partagée, d'accompagner ainsi le lent et décisif accomplissement de l'histoire. L'Europe est un chemin difficile, mais elle est notre plus grande chance au début de ce siècle. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il y a quelques jours, le Congrès, réuni à Versailles, a modifié notre Constitution, afin de rendre possible la ratification par le Parlement du traité de Lisbonne. Il s'agissait d'une révision a minima, strictement limitée aux points de contradiction relevés par le Conseil constitutionnel et adoptée à une très large majorité. En quinze ans, la Constitution a été modifiée à six reprises pour permettre l'approfondissement du projet européen.
La voie est donc ouverte aujourd'hui à la ratification de cet important traité, et par conséquent à son entrée en vigueur lorsque nos partenaires européens auront accompli le même processus que nous. Cela doit permettre à l'Union européenne de sortir par le haut de la crise de confiance dans laquelle elle était plongée depuis les référendums français et néerlandais.
Il s'agit d'un accord politique de premier plan, qui marque non seulement la fin d'une période d'incertitude institutionnelle, mais également des avancées démocratiques importantes et nouvelles au bénéfice des citoyens et des parlements nationaux.
Le nouveau traité, « modificatif » pour les uns, « simplifié » pour les autres, apporte des amendements aux traités antérieurs que la France a ratifiés depuis 1957 : je pense bien sûr au traité de Rome, à l'Acte unique européen, aux traités de Maastricht, d'Amsterdam ou de Nice. En procédant ainsi, le Conseil européen a choisi de recourir de nouveau à la méthode traditionnelle des avancées européennes.
Il ne s'agit donc pas d'un texte nouveau qui définit tous les équilibres institutionnels et toutes les politiques de l'Union européenne en les gravant dans le marbre constitutionnel ; il s'agit d'apporter les modifications indispensables pour que l'Union européenne puisse mieux décider et agir.
Le traité de Lisbonne est d'abord un outil avant d'être un projet européen à long terme. Il n'est pas de même nature que le « traité constitutionnel », qui tendait à changer la nature même de la construction européenne, faisait table rase des anciens traités et présentait une constitution pour l'Europe. Ce n'est pas le cas ici, et cela justifie en grande partie le choix de le ratifier par la voie parlementaire. Ce choix correspond aussi à une promesse du Président de la République faite aux Français lors de la campagne présidentielle, promesse que nous tenons aujourd'hui.
Pour entrer en vigueur le 1er janvier 2009, et s'appliquer ainsi aux élections européennes de juin 2009 et à l'investiture de la future Commission européenne, le traité devra être ratifié d'ici là par les vingt-sept États membres. Il faut donc faire vite ; c'est pourquoi le Président de la République a engagé la procédure de ratification le jour même de la signature du traité, en saisissant immédiatement le Conseil constitutionnel.
Il nous faut donc aujourd'hui franchir une nouvelle étape, après avoir inscrit dans notre Constitution les avancées du traité de Lisbonne. Je ne reviendrai pas sur les principaux éléments de ce traité, largement commentés par notre excellent rapporteur, M. Jean François-Poncet, et par le président de la délégation pour l'Union européenne, M. Hubert Haenel.
Cependant, je crois qu'il faut insister sur les mesures qui donnent de nouveaux droits au Parlement européen comme aux parlements nationaux. Les prérogatives du Parlement européen seront accrues, dans la procédure législative européenne, par le renforcement de la codécision et l'extension du champ du vote à la majorité qualifiée.
Je rappelle que le Parlement européen est l'organe d'expression démocratique et de contrôle politique de l'Union européenne. Le renforcement de ses pouvoirs en fait l'institution la plus sensible aux intérêts des collectivités locales.
Depuis l'Acte unique européen de 1987, les compétences de cette assemblée n'ont cessé de s'étendre. Avec le traité de Maastricht, la procédure de codécision l'élève réellement au rang de colégislateur, à égalité avec le Conseil des ministres de l'Union européenne, et nous savons que les domaines régis par la procédure de codécision touchent souvent de près les collectivités territoriales.
Après l'entrée en vigueur du traité de Maastricht, cette procédure concernait, entre autres domaines, l'établissement et la prestation des services, les réseaux transeuropéens, l'environnement, la culture, ou encore la santé.
Le traité d'Amsterdam a, quant à lui, élargi l'application de cette procédure au Fonds européen de développement régional, le FEDER, à l'emploi, à la politique sociale...
Le traité de Lisbonne, pour sa part, étend encore le champ de la procédure de codécision. Celle-ci devient la procédure ordinaire. Elle élargit ainsi les compétences du Parlement européen et favorise donc indirectement la prise en compte des intérêts des collectivités locales dans le processus décisionnel communautaire.
Il ne serait peut-être pas inutile qu'à l'avenir le Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales, entretienne de façon plus institutionnelle des relations avec le Parlement européen ; M. Haenel a très clairement souligné ce point tout à l'heure.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Merci !
M. Jean Bizet. Autre point à noter, le passage à la majorité qualifiée, immédiat ou différé, dans des domaines jusqu'alors régis par la règle de l'unanimité. Les nouveaux transferts portent, par exemple, sur la coopération judiciaire en matière pénale, mais aussi sur la création d'un parquet européen compétent pour poursuivre les auteurs d'infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne.
Je tiens à dire, à ce sujet, que l'apport majeur du traité de Lisbonne en matière de justice est la construction de l'espace judiciaire européen. Depuis 1977, date de la première évocation de cette notion, très peu d'outils communs ont été mis en place. Je tenais à saluer ce progrès, qui aura sûrement un effet d'entraînement pour d'autres dossiers qui mériteraient de connaître de semblables avancées, notamment en matière de justice et d'affaires intérieures.
Les nouvelles prérogatives que le traité reconnaît aux parlements nationaux forment une autre série de dispositions remarquables. C'est un point très important et qui doit être apprécié à sa juste valeur, s'agissant d'un sujet cher à M. Haenel.
Les parlements nationaux disposeront désormais de prérogatives renforcées dans la construction européenne. C'est la première fois qu'un article spécifique est consacré aux parlements nationaux dans un traité. Je vous en donne lecture : « Les Parlements nationaux contribuent activement au bon fonctionnement de l'Union. »
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Et c'est vrai !
M. Jean Bizet. Tout parlement national pourra s'opposer à la procédure de révision simplifiée des traités. En outre, l'Assemblée nationale ou le Sénat pourront s'adresser directement aux institutions européennes lorsque des projets d'acte leur paraîtront en contradiction avec le principe de subsidiarité. Cette prérogative permettra à une majorité de parlements nationaux de s'opposer à une proposition de la Commission européenne qui empiéterait sur les compétences des États membres.
Par ailleurs, une possibilité de recours devant la Cour de justice des Communautés européennes sera ouverte, qu'il conviendra d'utiliser avec discernement, le principe de subsidiarité ne devant pas servir de prétexte pour mettre en échec la construction européenne.
Avec ce traité, la légitimité de la construction européenne sera élargie et renforcée, et nous devons nous en féliciter. Ces progrès contribuent à démocratiser l'Europe et à développer une véritable vie politique européenne, à laquelle nous avons le devoir de participer et que nous devons animer.
Je crois utile de rappeler que, pour la première fois, l'Union européenne se fixe pour objectif de protéger ses citoyens dans le cadre de la mondialisation. Ce point a été évoqué par un certain nombre d'entre nous, notamment par M. Jean François-Poncet. Les préoccupations exprimées par les Français ont été entendues.
La concurrence ne sera plus un objectif en soi pouvant fonder les politiques de l'Union européenne, mais elle sera utilisée comme un outil au service des consommateurs. Nous verrons bien quelle sera l'évolution de la jurisprudence des juridictions européennes à cet égard.
Une autre mesure prévoit que les services publics seront protégés par un protocole ayant même valeur que les traités, et une clause sociale générale impose de prendre en compte des critères sociaux dans la mise en oeuvre de l'ensemble des politiques de l'Union européenne.
Enfin, s'agissant des avancées nouvelles, je veux insister sur les progrès que comporte le traité en matière de politique étrangère et de sécurité commune, au service d'un accroissement du rôle de l'Europe dans le monde. Cela a été nettement mis en lumière par M. de Rohan.
Le traité de Lisbonne ne représente pas le traité idéal dont beaucoup d'Européens rêvent, et il est, sous quelques aspects, en retrait par rapport au projet constitutionnel issu des travaux de la Convention européenne, mais il a le mérite d'exister. Il résulte d'une négociation difficile et représente le maximum atteignable dans les circonstances actuelles. C'est dans les situations de ce genre que l'on peut distinguer ceux qui souhaitent faire progresser l'unité européenne et ceux qui préfèrent le succès de leurs thèses et de leurs intérêts.
Soutenir ce traité est d'autant plus nécessaire que le chemin menant à son entrée en vigueur n'est pas simple. La ratification n'est pas encore acquise partout, et la mise en oeuvre des réformes institutionnelles comporte pas mal de pièges, comme l'a rappelé dans son rapport notre collègue Jean François-Poncet.
À côté des incertitudes - très relatives - sur la ratification du traité de Lisbonne, le vrai problème concerne à mon sens la mise en oeuvre des réformes institutionnelles introduites. Leur application soulève un certain nombre de difficultés, que nous allons devoir analyser rapidement. Ce travail incombera en grande partie à la présidence française de l'Union européenne.
Ce n'est pas un hasard si le Conseil européen a décidé que les « travaux techniques » sur la mise en oeuvre des dispositions institutionnelles du traité de Lisbonne « commenceront à Bruxelles en janvier sur la base d'un programme de travail qui sera présenté sous l'autorité du futur président du Conseil européen », c'est-à-dire le Premier ministre slovène. Les chefs d'État ou de gouvernement avaient ainsi reconnu que les innovations institutionnelles, ou du moins certaines parmi elles, impliquent des difficultés ou suscitent des problèmes qui méritent réflexion.
L'un des aspects essentiels des innovations institutionnelles tient à la création d'une présidence durable du Conseil européen. Elle a été accueillie en général de façon positive, y compris par le Parlement européen, mais des craintes existent toujours que le président de longue durée ne se dote, pour préparer les sommets, d'une structure nouvelle à caractère intergouvernemental, en dehors des institutions communautaires.
Nous verrons à l'expérience, mais il est d'une importance majeure de consacrer l'année 2008 à la mise en oeuvre de ces changements avant d'envisager d'autres chantiers, qui ne font pas l'unanimité dans l'Union européenne et dont l'ouverture pourrait se révéler une erreur en raison d'un pilotage déficient. Je pense bien sûr ici, vous l'avez compris, au projet d'Union méditerranéenne. L'initiative française a eu le mérite de relancer le débat et de placer les relations euro-méditerranéennes au centre de l'actualité. C'est loin d'être négligeable, mais, de toute évidence, la politique méditerranéenne est une question européenne, qui doit être traitée dans l'intérêt de tous.
Tout devra donc être préparé en temps utile afin que les innovations décidées se concrétisent dans de bonnes conditions. Nous devons regarder en avant. Il y va de la réussite de la future présidence française de l'Union européenne. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi.
M. Nicolas Alfonsi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le traité dont on nous demande d'autoriser la ratification aujourd'hui est d'une nature particulière puisqu'il emporte des transferts de compétence. Nous avons réglé ce problème ces derniers jours en adoptant le projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution, dans les deux assemblées, puis au Congrès.
Beaucoup d'arguments de fond ayant été invoqués lors de la discussion de ce texte - j'avais évoqué, quant à moi, des questions juridiques - pour justifier la position de la majorité d'entre nous, je ne fatiguerai pas notre assemblée en les reprenant à cette heure tardive et me contenterai de formuler deux observations qui me paraissent essentielles.
La première concerne la procédure de ratification. Fallait-il un référendum ? Nombre d'entre nous ont été, à juste raison, troublés dans la mesure où, comme l'a indiqué le président Valéry Giscard d'Estaing, les outils du traité de Lisbonne sont pratiquement les mêmes que ceux de la Constitution européenne. Nous sommes en quelque sorte dans une opération à la découpe. La Constitution amoindrie et réduite a donné naissance à ce traité.
Les scrupules que certains peuvent avoir à passer par la voie parlementaire, en évitant le spectre du référendum, alors que le peuple s'est prononcé une première fois, doivent être dissipés parce qu'ils pèsent sur le débat.
Tout d'abord, il s'agit d'un traité. Ensuite, le principe de réalité doit reprendre tous ses droits si nous voulons, comme l'a dit Pierre Mauroy, relancer l'Europe. Enfin, il faut prendre en considération les pouvoirs dont dispose le Président de la République. Ses décisions ou ses choix ne peuvent en aucun cas être subordonnés à l'hypothèque d'une décision antérieure, prise par quelqu'un d'autre.
L'approbation parlementaire est donc une bonne chose.
Deuxième observation, les avancées du traité sont tout de même considérables.
On peut se réjouir de disposer dorénavant d'un président élu pour deux ans, voire pour cinq ans. C'est en quelque sorte une réponse aux sarcasmes d'Henry Kissinger qui demandait : « L'Europe, quel numéro de téléphone ? ». Dorénavant, l'Union européenne aura un représentant bien identifié sur la scène internationale.
On peut aussi se réjouir de l'octroi à l'Union de la personnalité juridique, de la création d'un Haut représentant pour les affaires étrangères, du développement de la codécision législative et de l'intégration de la charte des droits fondamentaux, même si la Grande-Bretagne émet des réserves sur ce sujet.
Il faut insister sur les points de nature à rassurer ceux, qui, dans leur diversité, ont voté « non » en 2005. Ainsi, je rappelle que, comme la France l'avait demandé, la concurrence libre et renforcée n'est plus un objectif de l'Union, et le protocole sur les services d'intérêt général préserve la compétence des États membres, ce qui est un progrès considérable.
Certes, certains éléments ont été retirés du traité : c'est notamment le cas des symboles, le drapeau et l'hymne, auxquels Pierre Mauroy a fait allusion. Mais croyez-vous que la bannière bleue étoilée sera réellement ôtée des bâtiments ? Je ne le pense pas, car les symboles ont la vie dure. N'oublions pas comment Bismarck a fait disparaître le privilège qu'avait le représentant de l'Autriche de fumer le cigare à la Diète de Francfort...
M. le rapporteur et M. le secrétaire d'État ont exprimé leurs réserves sur ce traité, s'agissant notamment du fonctionnement des institutions. Le traité est effectivement extrêmement complexe, et l'articulation entre les quatre piliers ne sera pas chose simple. Par ailleurs, nous avons bien conscience qu'en matière de gouvernance économique, par exemple, face à des pays tels que l'Inde ou la Chine, la maîtrise de certains éléments nous échappe. Et avons-nous les moyens pour lutter contre les mafias ?
En quelque sorte, avec le traité de Lisbonne, l'approfondissement rattrape quelque peu l'élargissement, mais on peut redouter que celui-ci ne reprenne sa course en tête. Nous serions alors obligés de tenter de rattraper un élargissement sans fin, que certains des intervenants ont pu évoquer. Sur cette question, j'ai déjà eu l'occasion d'exprimer mes réserves sur l'adhésion de la Turquie, et je n'avais pas voté l'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l'Union.
Monsieur le secrétaire d'État, vous avez plaidé pour la suppression de l'exigence du référendum avant tout élargissement. Je suis opposé à l'adhésion de la Turquie, mais je me demande quel pourrait être, demain, le crédit de la France si, après avoir « promené » la Turquie pendant dix ans, elle lui refusait in extremis, par référendum, l'entrée dans l'Union ? Il y va de l'honneur de notre pays, de son crédit, de sa réputation.
« Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple », a écrit Jean-Jacques Rousseau dans Les Confessions. C'est le cas de l'entreprise qu'engagèrent les pères fondateurs de l'Europe, qui ont aujourd'hui disparu, sauf Maurice Faure, à qui nous devons rendre hommage. Il nous faut poursuivre cette entreprise. « Ami, il n'y a pas de chemins ; c'est en marchant qu'on les trace », dit un proverbe espagnol. Le RDSE, dans sa quasi-unanimité, empruntera ce chemin. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP. - M. Pierre Mauroy applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à l'échelle de la planète, nos destins sont liés et nous voulons en garder la maîtrise collective.
L'Europe des peuples, les Verts la veulent ardemment. En tant qu'Européens et démocrates convaincus, nous avions souhaité en 2005 que se tienne une consultation transnationale des populations à l'initiative des institutions communautaires, car il fallait donner d'emblée le signe que nous devions construire un projet commun. Cela n'a pas été possible et nous avons tiré, pour notre part, les leçons du mécontentement majoritaire des Français.
Tandis que certains voyaient dans le traité un outil d'un changement, l'aspiration des uns à un monde meilleur et le recul nationaliste des autres se sont cristallisés dans le refus de la Constitution européenne en 2005.
L'Europe s'est réveillée grippée.
L'impasse institutionnelle nous oblige à revenir à un scénario de compromis qui se doit de satisfaire les dix-huit pays qui ont approuvé le texte tout en prenant en compte les réticences des pays les plus eurosceptiques et les exigences des citoyens. Mais la diplomatie secrète des conseils a pris le dessus sur le débat public.
La moindre des choses était donc de soumettre le nouveau traité à un référendum. La démarche qui sous-tend le raisonnement du Gouvernement : « s'il existe une éventualité que le peuple dise non, alors on ne lui pose pas la question », est inadmissible !
Le traité quelque peu modifié, mais non simplifié, ne dessine certes pas l'Europe de nos rêves - il reste quelques hypothèques à lever -, mais il traduit une persévérance dans la vision d'un espace élargi, en paix, un espace qu'il faut maintenant « labourer » pour faire émerger un mieux-disant social et environnemental.
Il y a des innovations institutionnelles. Elles ont été largement évoquées : règles de vote à la majorité, rôle renforcé du Parlement européen par le vote du budget de la défense et codécision, ce qui aurait pu nous épargner, en 2005, les OGM en plein champ ! Hélas, la future politique agricole commune sera élaborée selon les anciennes règles.
Le droit d'initiative législative populaire est maintenu.
Nous accueillons favorablement une véritable présidence, la création d'un Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, le resserrement du nombre de commissaires. À la place d'un camaïeu de désignations opportunistes, nous souhaitons que les quinze prochains commissaires travaillent en meilleure intelligence avec le Parlement européen.
Après la médiatisation de la conférence de Bali, nous voulons une Europe qui donne le « la » au plan international sur l'urgence d'une prise en compte sérieuse des changements climatiques et sur la nécessité d'une solidarité en matière énergétique.
Nous sommes attachés à nos services publics. Les dispositions des traités ne portent pas atteinte à la compétence des États membres. Les services d'intérêt général dépendent des États. La Confédération européenne des syndicats s'est battue pour imposer que les États aient la responsabilité de les fournir et de les financer.
L'Europe des peuples, certes nous la voulons, mais pas à n'importe quel prix. Nous la voulons sociale, démocratique, et écologique, qui parle fort au coeur des citoyens. Edgar Morin parlerait avec sens d'un projet de « civilisation ».
Alors que la Turquie, pays où les femmes votent depuis 1934, est sommée de se montrer plus laïque, notre Président de la république s'interroge sur les bienfaits de la religion sur la stabilité des sociétés. Au lieu de nous égarer sur des racines religieuses hier nouées dans le sang (Mme Dominique Voynet applaudit.), laissons ces convictions relever du domaine de l'intime et développons au niveau européen l'ambition d'une compétence culturelle nourrie de diversité, d'échanges, de parcours individuels et de mémoire collective. Fouillons ce qui fait richesse et lien, et non ce qui exacerbe les défiances. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Il y a honte, à la veille de la présidence française, de forger le tout-répressif, fichage ADN en prime - j'espère qu'on ne l'exportera pas à Bruxelles ! - mettant côte à côte des populations exsangues fuyant les conflits armés et les désordres climatiques, et les citoyens convaincus des bienfaits de la solidarité, criminalisés, fichés, dans le cauchemar d'une Europe barbelée.
L'article 11 dispose : « Les droits de l'homme et la démocratie sont un fondement de la politique extérieure de l'Union européenne. »
Il y a honte aussi pour la France à intervenir auprès de Bruxelles pour minorer l'ambition européenne du règlement sur l'enregistrement, l'évaluation, l'autorisation, et les restrictions des substances chimiques, appelé REACH, qui est le registre des caractéristiques toxiques de certaines de ces substances ! (Mme Dominique Voynet et M. Jacques Muller applaudissent.)
Avec la mondialisation, les guerres et les perturbations climatiques, des milliers de réfugiés affluent. Nous sous-traitons la répression ; hors de notre vue, des camps sont érigés, grâce à des financements européens, pour maintenir en périphérie les familles en quête de survie. Si ces réfugiés sont à nos portes, c'est que rien dans notre prétendue oeuvre civilisatrice et dans nos échanges commerciaux inéquitables ne leur a permis de rester sereinement chez eux. Ainsi, l'exode des sans-papiers du Congo est le résultat des forêts ravagées pour nos salons en teck !
Les Verts travaillent à une politique de prévention des conflits qui articule clairement le défi humaniste, la justice sociale et la solidarité avec le Sud. Mais cette politique est incompatible avec la prolifération nucléaire, l'impunité pour les pilleurs, le manque d'énergie face aux corruptions et la course aux armements.
Le Grenelle de l'environnement a débouché, grâce au dialogue, sur des propositions ambitieuses. La cérémonie déclarative, placée sous les auspices de MM. José Manuel Barroso et Al Gore, ouvre une responsabilité nouvelle : pour commencer, nous nous devons de respecter intra muros les leçons que nous nous sommes permis de donner aux autres ! Pour l'instant, en matière d'OGM, le Grenelle se fracasse sur la majorité sénatoriale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
L'esprit de bonne gouvernance a permis de mettre en valeur l'apport des usagers, des citoyens et de leur relais associatifs.
À quand un statut européen pour les associations ? À quand également le respect des directives sur la préservation de la nature, l'accès à l'information, la protection de l'eau et la gestion des déchets ?
La présidence française sera l'heure de vérité. Le renforcement du rôle du parlement européen va de pair avec celui des parlements nationaux. Ceux qui, hier encore, se défaussaient en usant de la rhétorique classique : « C'est la faute de l'Europe » devront se responsabiliser.
C'est une chose de plaider à Bruxelles pour la préservation des réserves halieutiques, c'en est une autre d'annoncer des levées de quotas de pêche à Boulogne !
C'est une chose de se proclamer le champion des énergies renouvelables, c'en est une autre de relancer le nucléaire.
C'est une chose d'envisager une politique agricole commune durable, sans pesticides, respectueuse de la biodiversité,...
M. Dominique Braye. Grâce aux OGM !
Mme Marie-Christine Blandin.... de l'emploi et de la santé, c'en est une autre d'engager des négociations au cas par cas sans éco-conditionnalité.
Ce sont les mêmes qui, le coeur sur la main, promeuvent les OGM au nom de la sécurité alimentaire...
M. Dominique Braye. Pour lutter contre les pesticides !
Mme Marie-Christine Blandin.... et font du lobbying pour les agrocarburants ! (Mme Dominique Voynet applaudit.) Le rapport de Jean Ziegler, expert des Nations unies, a pourtant montré que la production de ce type d'énergie pour les plus riches entraînait la confiscation des terres au détriment des cultures alimentaires des plus pauvres. (Mme Dominique Voynet applaudit.)
M. Sarkozy soutient l'idée d'un « new deal écologique » à l'échelon européen et de taxes sur les produits importés des pays qui ne respectent pas le protocole de Kyoto. Nous verrons ce qu'il fera des propositions européennes vertes d'éco-conditionnalité. Taxons également les produits fabriqués dans des conditions non conformes aux règles du Bureau international du travail !
Ces mesures obligent l'Europe à refondre les règles de l'OMC ? Allons-y !
La France qui, isolée, plaide pour la levée de l'embargo sur les ventes d'armes à la Chine aura bientôt, nous l'espérons, l'occasion de renoncer à cette proposition déshonorante et dangereuse.
L'Europe est fragile parce que ses relations sont placées sous le prisme exclusif de l'économique, ce qui s'est révélé être une impasse.
Nous réaffirmons notre soutien à une Europe culturelle, vertueuse, solidaire et audible dans le monde.
Je souligne que 80 % des sénateurs Verts sont présents sur nos travées ce soir. (Rires sur les travées de l'UMP.)
M. Dominique Braye. Quel humour !
Mme Marie-Christine Blandin. La codécision, l'initiative citoyenne, le renforcement du Parlement nous donnent des outils. À nous ensuite d'assortir d'exigences élevées notre vote - qu'il soit de refus parce qu'il n'y a pas eu référendum ou parce que le compte n'y est pas, ou qu'il soit de soutien parce que nous avons bien l'intention d'en faire quelque chose - pour rendre espoir et avenir aux 492 646 492 habitants que compte l'Europe. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Dominique Braye. Je vous applaudis parce que vous nous avez fait bien rire !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à remercier M. le président de la commission des affaires étrangères, M. le président de la délégation pour l'Union européenne, ainsi que M. le rapporteur, pour son rapport exhaustif et extrêmement précis, ainsi que l'ensemble des orateurs de leurs interventions de grande qualité.
Je répondrai d'abord sur la nature du débat et sur sa portée, évoquées notamment par M. Bret.
La démocratie parlementaire est un élément fondamental du pacte républicain. La démocratie et la souveraineté nationale s'expriment parfaitement dans cet hémicycle. La légitimité du Parlement ne varie pas en fonction des sujets ou des sondages. Il convient de le rappeler ici solennellement. C'est d'ailleurs ce que pensent tous nos partenaires européens, qu'ils aient voté « oui » ou qu'ils aient voté « non », comme les Pays-Bas, et quelle que soit la sensibilité de leurs gouvernants.
Par ailleurs, tous considèrent que ce traité, quelles que soient ses différences avec le traité constitutionnel n'est plus de nature constitutionnelle. (M. Michel Charasse s'exclame.) Tous les organes des différents pays qui ont eu à se prononcer sur ce point l'ont très clairement indiqué.
Enfin, il faut le répéter, le Président de la République a pris ses risques, il a fait montre de courage et n'a fait preuve d'aucune ambigüité à l'égard de nos concitoyens, à un moment où cela n'était pas évident.
Nous avons eu, monsieur Bret, tout le temps de discuter de ce traité depuis le mois de juin dernier.
M. Robert Bret. Je parlais du peuple français !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Vous le savez, je me suis tenu à la disposition de la délégation pour l'Union européenne de la Haute Assemblée. Le débat a lieu depuis 2005 au moins. Les travaux de la commission intergouvernementale ont été présentés ici-même le 4 juillet dernier. J'ai eu l'occasion, à de nombreuses reprises, d'en parler avec vous. J'ai également été présent tout au long des débats sur le projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution, qui a permis à chacun de s'exprimer longuement sur le traité de Lisbonne, comme l'a rappelé Nicolas Alfonsi.
La ratification du traité de Lisbonne permettra de rendre l'Europe plus politique. C'est l'Europe qui protège le mieux contre les spéculations financières internationales - M. Mauroy l'a rappelé - et qui protège le mieux les citoyens dans la mondialisation.
Cela figure d'ailleurs explicitement dans le traité lui-même. La protection des citoyens, voilà un nouvel objectif pour l'Union !
J'observe, et je m'en réjouis, que la très grande majorité des intervenants, quelle que soit leur sensibilité - M. le rapporteur, M. le président de la commission des affaires étrangères, M. le président de la délégation pour l'Union européenne, M. Blanc, M. Mercier, M. Mauroy, en des termes choisis et émouvants, M. Bizet, M. Alfonsi et même Mme Blandin - se sont félicités de la fin de la panne institutionnelle et du renforcement des institutions. (M. Dominique Braye applaudit.)
M. Josselin de Rohan a parfaitement souligné les avantages que présente ce traité en matière de politique extérieure et de défense en structurant mieux les coopérations. Monsieur Retailleau, il ne s'agit donc pas d'un traité d'esprit fédéraliste.
Améliorer le fonctionnement des institutions et renforcer leur caractère démocratique constituent véritablement la marque de fabrique, l'essence du traité.
M. Jean François-Poncet, et je l'en remercie, a détaillé les modalités de fonctionnement de ces nouvelles institutions. Le nouveau traité fixe en effet un nouvel équilibre, qui nécessitera des travaux avec nos partenaires, en vue de préparer son entrée en vigueur, comme vous l'avez souligné, monsieur le rapporteur. Je sais que nous n'aurons pas le temps de tout faire durant la présidence française, mais nous prendrons avec nos partenaires toutes les décisions nécessaires à l'entrée en vigueur du traité le 1er janvier 2009. Les présidences tchèque et suédoise, qui nous succéderont, auront également un rôle à jouer dans sa mise en oeuvre. Nous travaillerons pour répondre aux questions que vous avez tout à fait légitimement posées ce soir.
Comme M. Haenel, comme vous-même, monsieur le rapporteur, comme M. Mauroy, je crois au génie des institutions, ainsi qu'à celui des hommes et des femmes qui les incarnent ou les incarneront dans le futur.
D'autres questions ont été abordées ce soir.
Le rôle des parlements nationaux est renforcé, notamment en ce qui concerne les politiques de la justice et de la coopération policière. Les parlements nationaux auront la possibilité de faire valoir leurs vues en ces domaines.
L'Europe de la défense, lorsqu'elle sera mise en oeuvre, reposera nécessairement sur les États. Elle sera essentiellement de nature intergouvernementale et sera naturellement soumise au contrôle des parlements nationaux.
J'en viens au contrôle des compétences de l'Union, monsieur Retailleau. Le contrôle de la subsidiarité est à l'évidence renforcé par les dispositions que je viens d'indiquer. J'ajoute - et c'est un élément de clarification et de simplification qu'apporte le traité - que les compétences respectives de l'Union et des États membres sont désormais clairement identifiées, comme l'ont souligné MM. de Rohan et Mauroy.
Le traité permet également d'autres avancées.
Je tiens à souligner, ainsi que M. Blanc l'a fait, la reconnaissance du rôle consultatif du Comité des régions, ainsi que l'intégration des éléments relatifs à la cohésion économique, sociale et territoriale. C'est très important pour certaines zones, en particulier pour les collectivités territoriales d'outre-mer.
M. Mauroy, notamment, s'est interrogé sur le Royaume-Uni et la Pologne. Il est vrai qu'on peut regretter les clauses dites « opt-out » et « opt-in », mais qui dit possibilité de sortir dit aussi possibilité d'entrer. Jusqu'à présent, les États qui ne souhaitaient pas participer à une coopération pouvaient la bloquer. Aujourd'hui, le traité empêche ces pays de bloquer les coopérations dans un certain nombre de domaines. C'est là une avancée qui me paraît tout à fait fondamentale.
Je dirai maintenant un mot sur les relations avec les pays dits « du voisinage » : le traité comporte un nouvel article, l'article 8, qui nous permettra de développer une politique en direction de ces pays. Cette politique a déjà été relancée par la présidence allemande.
Comme l'a souligné M. Retailleau, la question des frontières doit être clarifiée. C'est pourquoi nous avons demandé et obtenu, lors du dernier Conseil européen, qu'un groupe, présidé par Felipe Gonzáles, soit chargé de réfléchir à cette question.
Monsieur Retailleau, les arguments que vous avez invoqués font partie des motifs extrêmement importants qui ont conduit le Président de la République à indiquer très clairement que la Turquie n'avait pas vocation à adhérer à l'Union européenne.
M. Bruno Retailleau. Très bien !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. En ce qui concerne le recours systématique au référendum dans le cadre de l'article 88-5 de la Constitution, je me suis exprimé à titre personnel, d'une manière générale et sans viser tel ou tel pays.
En conclusion, je dirai que le traité de Lisbonne n'est pas la panacée, comme vous l'avez souligné, monsieur Mauroy, mais qu'il constitue une avancée majeure, qui permettra de prolonger l'oeuvre des grands européens qu'ont été tous les dirigeants français depuis la signature du traité de Rome, de tous les Européens qu'ont été Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Delors et vous-même, monsieur le Premier ministre, qui avez fait des choix courageux en 1983. Tous s'accordent à dire, et nous avec eux, qu'il faut faire l'Europe en pensant au monde. En effet, ce n'est pas l'Europe qui est boulimique, comme cela a été dit, c'est le monde.
Comment se protéger face aux immenses défis qu'a soulignés Mme Blandin, par exemple, dans un monde qui est aujourd'hui plus dur, plus complexe et sans doute plus dangereux ? L'Europe est bien la seule voie qui permettra de relever ces défis, même si nous savons que cela nécessitera exigence, patience et ténacité. C'est pour cela qu'il est urgent d'avancer ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. Jean-Luc Mélenchon. Blablabla...
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Avant de passer à la discussion de la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à zéro heure trente, est reprise à zéro heure trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
Je rappelle que la discussion générale a été close.
Exception d'irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mme Borvo Cohen-Seat, M. Bret et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, d'une motion n° 2, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale autorisant la ratification du traité de Lisbonne modifiant le traité sur l'Union européenne, le traité instituant la Communauté européenne et certains actes connexes (n° 200, 2007-2008).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la motion.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je ne manque jamais de rappeler que, au Sénat, par une sorte de bizarrerie du Sénat, les motions sont présentées après la réponse du représentant du Gouvernement aux orateurs qui se sont exprimés dans la discussion générale. Il conviendrait, me semble-t-il, de modifier notre règlement sur ce point, car il y a là quelque chose d'absolument anormal.
Cette observation liminaire étant faite, j'observe que, à minuit et demi passé, le Sénat est sommé de conclure à marche forcée l'examen du projet de loi autorisant la ratification du traité de Lisbonne. On pourrait même éteindre les lumières pour que cela passe encore plus inaperçu !
Moins de deux mois se sont écoulés depuis la signature du traité par les gouvernements de l'Union européenne, le 13 décembre 2007. Le processus a donc été vraiment très rapide.
Le Président de la République avait donné sa parole, surtout à ses partenaires : la France devait en quelque sorte se « racheter » et figurer parmi les premiers pays à ratifier le traité. Le Président de la République aurait même aimé qu'elle soit la première, mais ce ne sera pas le cas. Ainsi, la France évite avant tout de consulter le peuple et incite les autres pays à en faire autant.
Certains évoquent aujourd'hui la clôture d'un « chapitre difficile ». Certes, pour des responsables politiques, il est toujours « difficile » d'admettre que le peuple les a désavoués. Pourtant, c'est bien ce qui s'est passé le 29 mai 2005. Le peuple a désavoué les principaux états-majors et 93 % des parlementaires.
D'ailleurs, l'enthousiasme qui animait tout à l'heure l'orateur du groupe de l'UMP...
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Il y en avait deux !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ... ne correspondait pas tout à fait à la réalité.
En effet, à l'Assemblée nationale, seuls 336 députés sur 557 ont approuvé le traité.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. C'est déjà bien !
M. Dominique Braye. C'est sûr que vous, les communistes, avec 1,93 % des voix, vous ne risquez pas d'y arriver !
M. Guy Fischer. Taisez-vous, monsieur Braye !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Certes, c'est une majorité, je vous l'accorde. Mais cela ne correspond pas à l'enthousiasme dont certains ont témoigné dans cet hémicycle.
M. le président. Ma chère collègue, si vous le souhaitez, je peux vous apporter quelques précisions sur l'adoption du présent projet de loi à l'Assemblée nationale.
La majorité absolue était de 196 voix et 336 députés ont approuvé le texte législatif.
Certes, tous les députés n'ont pas assisté au vote, car certains d'entre eux n'étaient pas en séance, comme cela arrive parfois à l'Assemblée nationale, et même au Sénat. (Sourires.)
Veuillez poursuivre, ma chère collègue.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. À mon sens, pour revenir sur un vote populaire, il eût été préférable que tous les députés soient présents.
En tout cas, j'estime qu'un chapitre douloureux s'ouvre aujourd'hui, celui d'une Europe qui se construit ouvertement dans le dos des peuples, contre les peuples. (Marques d'ironie sur les travées de l'UMP.) Vous pouvez continuer à rire, mesdames, messieurs de l'UMP, cela ne me dérange pas !
M. Dominique Braye. Moi, je ris, mais vous, tout à l'heure, vous gloussiez ! (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je sais, je « glousse » comme les poules. Je vois qu'en plus du reste, vous êtes extrêmement galant ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Tout au long des discussions, nous avons avancé des arguments dénonçant le recours à la voie parlementaire pour ratifier ce traité.
Tout d'abord, nous avons souligné que le traité de Lisbonne reprenait pour l'essentiel le traité constitutionnel rejeté par nos concitoyens le 29 mai 2005.
Jamais la majorité parlementaire n'a reconnu ce fait, pourtant évident, alors que tous les observateurs, eux, l'admettent. C'est le cas du « pilote » du traité constitutionnel européen, M. Valéry Giscard d'Estaing, et de la plupart des autres dirigeants des pays européens, qui s'en prévalent d'ailleurs. Je l'ai déjà dit, mais j'aime à le répéter : dans les pays où le peuple a voté « oui » par référendum au traité constitutionnel européen, on précise qu'il est inutile d'organiser un nouveau référendum sur le traité de Lisbonne puisque celui-ci est identique au traité déjà approuvé. En France, on nous tient le discours exactement inverse : le référendum ne s'impose pas puisqu'il ne s'agit pas du même traité. C'est d'une logique imparable ! (Rires sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Dominique Braye. Imparable pour des communistes !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. J'ai d'ailleurs noté que l'éditorialiste du journal Le Monde, qui n'avait rien dit pendant les semaines précédant le débat, a reconnu la légitimité démocratique de la demande de référendum sur le traité, en raison précisément de la similitude entre les deux textes.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Si Le Monde le reconnaît...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il est évident qu'il faut aller au-delà des différences terminologiques. Certes, le traité n'est plus « constitutionnel » et les symboles ont disparu, mais subsistent les transferts de compétences, la durée illimitée d'application du traité et, surtout, l'intégralité des contenus que le peuple a foncièrement rejetés. Ce que le peuple a rejeté, c'est l'Europe de l'ultralibéralisme, d'une Banque centrale européenne toute-puissante, de l'absence d'harmonisation sociale ou fiscale et de la résignation devant les grands problèmes des sociétés européennes et les désordres mondiaux ! Ce n'est pas l'hymne et le drapeau !
M. Jean-Luc Mélenchon. Exactement !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le porte-parole de l'Élysée, M. Martinon, qui gagne à être connu, s'est bruyamment félicité de la ratification. Selon lui, le Président de la République et les parlementaires qui le suivent auraient « débloqué » l'Europe, que le peuple avait « bloquée ».
Outre le fait que rien n'était bloqué - c'est M. Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne, qui le dit -M. Martinon ignore-t-il que, dans une démocratie, la parole du peuple est souveraine et que nul, et surtout pas ses représentants, ne peut la contredire ?
Au fond, le peuple a voulu remettre l'Europe sur les rails de la justice sociale et de la démocratie, et vous n'avez pas voulu l'entendre. Mais n'ayez crainte ! Le peuple français et les autres peuples européens sauront rapidement se rappeler à votre bon souvenir.
Ainsi, vous n'avez pas répondu à la question fondamentale de la similitude entre les deux traités. Vous ne le pouviez pas, car avouer cela dans cet hémicycle, c'était avouer la trahison de la parole du peuple.
Vous avez également fait la sourde oreille à d'autres arguments incontestables.
Le Conseil constitutionnel était-il compétent pour examiner la constitutionnalité des dispositions du traité de Lisbonne ?
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Oui ! Par définition !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous avons démontré qu'il ne l'était pas. En effet, en vertu d'une jurisprudence constante, exposée notamment dans une décision du 23 septembre 1992, le Conseil constitutionnel ne peut pas se prononcer sur les choix directement exprimés par le peuple.
Le Conseil constitutionnel aurait dû estimer qu'il ne pouvait être saisi de telles dispositions, le traité de Lisbonne reprenant point par point le traité constitutionnel refusé par le peuple.
Vous n'avez pas répondu sur cet aspect important, car la référence à la décision du Conseil constitutionnel du 20 décembre 2007 fonde la procédure accélérée à laquelle nous assistons aujourd'hui.
Certains nous demandent comment nous pouvons affirmer l'irrecevabilité constitutionnelle du présent projet de loi, alors qu'une révision de la Constitution est intervenue précisément pour rendre le traité de Lisbonne compatible avec notre loi fondamentale.
Pour mémoire, je rappellerai que soixante-dix sénateurs avaient saisi le Conseil constitutionnel le 14 août 1992 en vue de contester la constitutionnalité du traité de Maastricht, et ce après la révision constitutionnelle préalable à sa ratification.
Depuis sa décision du 2 septembre 1992, le Conseil constitutionnel admet la recevabilité d'une telle saisine et considère que la procédure de contrôle de constitutionnalité peut de nouveau être mise en oeuvre « s'il apparaît que la Constitution, une fois révisée, demeure contraire à une ou plusieurs stipulations du traité ».
Comme je l'ai souligné en présentant la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité au projet de loi constitutionnelle préalable à la ratification, plusieurs points du traité demeurent contraires à la Constitution. Ainsi, la soumission à l'OTAN, le pouvoir absolu de la BCE, l'ouverture à la concurrence des services publics et la remise en cause du principe de laïcité n'ont pas été abordés par la révision constitutionnelle.
Certains observateurs notent d'ailleurs que nous assistons à l'instauration de deux normes constitutionnelles de référence dans notre pays : d'un côté, la Constitution française, qui renvoie explicitement aux principes définis par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ; de l'autre, les normes européennes, qui les contredisent en plusieurs points.
Notre exception d'irrecevabilité est donc parfaitement fondée. Du reste, en 1992, on avait tout à fait admis que des sénateurs, parmi lesquels d'éminents présidents d'aujourd'hui - je veux parler de MM. de Raincourt, Poncelet, Valade -, ainsi que M. Pasqua, puissent contester la constitutionnalité d'un projet de loi autorisant une ratification, et ce même après la révision constitutionnelle s'y rapportant.
Mes chers collègues, vous vous apprêtez à autoriser la ratification d'un traité identique à celui qui a été repoussé par le peuple. C'est la première fois dans notre histoire constitutionnelle qu'un référendum est ainsi contourné par un gouvernement et une majorité parlementaire.
Cet acte grave aurait pu être empêché par le refus de la révision constitutionnelle. En effet, au Congrès, le Président de la République avait besoin des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Pour ma part, je regrette profondément que la gauche ne se soit pas rassemblée (Murmures ironiques sur les travées de l'UMP) pour faire obstacle à une manoeuvre dont la seule finalité est la poursuite de la construction d'une Europe libérale, plus tournée vers la finance que vers l'épanouissement des peuples,...
M. Jacques Blanc. Je préfère cela à l'Europe de l'Est !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ... ou encore d'une l'Europe forteresse, obligée de sanctionner et entourée de camps de rétention pour étrangers.
C'était lundi, à Versailles, que le référendum pouvait être obtenu. Le peuple saura reconnaître avec discernement ceux qui ont prôné jusqu'au bout le respect de sa parole.
En fait, outre les aspects constitutionnels que j'ai précédemment rappelés, l'irrecevabilité est une irrecevabilité politique fondamentale.
Très franchement, si le traité était enthousiasmant pour notre peuple comme pour les autres peuples européens, le référendum serait naturel puisqu'il consacrerait les pas franchis dans le sens des aspirations de nos concitoyens. A contrario, le refus du référendum montre à quel point ce n'est pas le cas.
Comme je l'ai indiqué à Versailles, le peuple a le droit de changer d'avis, mais ce n'est certainement pas au Parlement de le faire à sa place.
M. Jean-Luc Mélenchon. Très bien !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je vous appelle donc une dernière fois, mes chers collègues, à la raison démocratique : votez cette irrecevabilité, car le déni de la parole du peuple est irrecevable en démocratie ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Je vous ai écoutée avec beaucoup d'attention, ma chère collègue, mais je me bornerai à vous faire deux ou trois très brèves remarques, ne souhaitant pas ouvrir un long débat sur le sujet.
Je note, tout d'abord, que vous cherchez à démontrer l'indémontrable : vous cherchez à démontrer que le traité de Lisbonne reprend le traité constitutionnel rejeté par référendum. (Protestations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. M. Giscard d'Estaing l'a dit !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Je vous ai écoutée sans vous interrompre, madame Borvo. Vous et vos amis pourriez donc avoir la courtoisie de m'écouter !
M. Dominique Braye. Courtoisie !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. En quoi les traités sont-ils si différents ?
Ils le sont, bien entendu, dans la forme : l'un était un traité constitutionnel, un traité nouveau, refondant tous les traités précédents ; l'autre ne fait que modifier les traités existants. (M. Michel Charasse proteste.)
La différence est tout de même de taille !
Il y a également entre eux une différence d'ambition : le traité constitutionnel répondait, comme son nom l'indique, à une ambition constitutionnelle. Telle n'est pas, à l'évidence, l'ambition des rédacteurs du traité de Lisbonne.
J'ajoute que le traité constitutionnel comprenait trois parties : la première concernait les institutions, la deuxième, la charte des droits fondamentaux, et la troisième rassemblait toutes les dispositions économiques et sociales des traités précédents. Il était, en quelque sorte, l'aboutissement d'un travail de codification.
Le traité de Lisbonne ne compte ni la deuxième partie, ni la troisième partie du traité constitutionnel.
M. Jean-Luc Mélenchon. Allons, ne plaisantez pas !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Comment, ma chère collègue, pouvez-vous, dans ces conditions, prétendre que les traités sont les mêmes ? Il est vrai qu'une majorité des dispositions de la première partie du traité constitutionnel y sont en bonne partie reprises.
M. Jean-Luc Mélenchon. Alors !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Permettez, monsieur Mélenchon ! Nous vous écouterons dans un instant. J'ai une impatience folle de vous entendre.
M. Jean-Luc Mélenchon. « Folle » est de trop !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Non ! La teneur de vos propos m'incite en effet à utiliser cet adjectif.
J'affirme que les deux traités sont complètement différents. La première partie du traité constitutionnel n'a jamais fait l'objet de critiques pendant le débat ayant précédé à la consultation.
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Non, à peu près jamais !
M. Dominique Braye. Vous n'allez pas les convaincre !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Vous cherchez, madame Borvo, à démontrer que les deux traités sont similaires, mais ils sont bel et bien différents. Vous pouvez toujours continuer d'égrener vos arguments, mais ils resteront totalement dépourvus de fondement.
Je suis, par ailleurs, stupéfié par le formidable mépris du Parlement que vous avez affiché. (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pas aussi grand que le mépris du peuple que vous affichez !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. J'aimerais savoir ce que vos grands ancêtres en penseraient.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je vous en prie !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Je songe, en particulier, aux révolutionnaires.
Le référendum tourne au plébiscite, car, comme vous le savez parfaitement, à l'occasion d'un référendum, les citoyens répondent non pas à la question, mais à celui qui leur pose la question. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Le plébiscite est-il une arme de la démocratie ?
M. Dominique Braye. Eux-mêmes ont dit que les Français ne répondaient pas à la question posée !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Vous avez cité le Président de la République. Comment s'exprimer plus clairement qu'il ne l'a fait ? Candidat, M. Sarkozy avait annoncé que les traités seraient soumis au Parlement, notamment lors de son débat télévisé avec Mme Ségolène Royal, qui avait opté, elle, pour une position contraire. C'est lui qui, à une large majorité, a été élu.
M. Georges Gruillot. C'est le vrai référendum !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Il fait désormais ce qu'il avait promis de faire.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est ça, le drame !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Il est parfaitement dans le droit-fil de la démocratie. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
J'appelle donc le Sénat à rejeter cette motion d'irrecevabilité.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Madame Borvo, je ne pourrais que reprendre, mais avec moins de brio, les arguments qu'a développés M. le rapporteur et auxquels je souscris totalement.
L'autre pays du « non » y souscrit également puisque, après l'analyse qui a été faite par son Conseil d'État - l'équivalent de notre Conseil constitutionnel -, il est revenu sur les mêmes positions et les mêmes arguments que ceux qui viennent d'être excellemment exposés par M. le rapporteur.
Pour les mêmes raisons que la commission, le Gouvernement demande le rejet de cette motion.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 2, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 82 :
Nombre de votants | 237 |
Nombre de suffrages exprimés | 233 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 117 |
Pour l'adoption | 30 |
Contre | 203 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Mélenchon, d'une motion n° 3, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3 du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale autorisant la ratification du traité de Lisbonne modifiant le traité sur l'Union européenne, le traité instituant la Communauté européenne et certains actes connexes (n° 200, 2007-2008).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, auteur de la motion.
M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il est tard dans la nuit, et l'on pourrait en tirer argument pour considérer que tout est dit.
Il est tard aussi dans le processus et, dans la mesure où c'est la voie parlementaire qui a été choisie, le résultat peut être préfiguré par la composition de nos assemblées. On pourrait, là encore, considérer qu'il ne sert à rien d'argumenter.
M. Dominique Braye. C'est vrai !
M. Jean-Luc Mélenchon. Cependant, la liberté, comme bien d'autres choses, ne s'use que si l'on ne s'en sert pas.
C'est une question grave, importante, pour l'avenir de notre patrie républicaine et de notre continent qui nous est posée. Chacun est sous l'empire de sa conscience : il doit dire ce qu'il croit indispensable pour tâcher de convaincre, dire ce qui lui paraît juste et digne pour l'intérêt général.
Vous connaissez la prémisse de mon raisonnement : le peuple ayant, en 2005, par voie de référendum, refusé un texte qui se retrouve pour l'essentiel dans le présent traité, le Parlement n'a pas à démentir ce que le peuple avait alors tranché directement.
Que M. le rapporteur le comprenne bien : nul d'entre nous n'estime que le Parlement ne serait pas légitime à délibérer de quoi que ce soit.
Je crois pouvoir dire que je m'exprime également au nom de mes camarades communistes : nous n'avons jamais dit que le Parlement n'était pas légitime. Nous estimons que, la décision initiale sur ce sujet ayant été prise par référendum, si elle doit être reconsidérée, elle doit l'être par référendum. Nous jugeons en effet que la méthode participe du processus de construction européenne, qui souffre d'un grave déficit démocratique, et que la méthode par laquelle se construit l'Europe compte donc autant que le fond. D'une certaine façon, la forme, c'est déjà du fond.
Je vais à présent développer mes arguments sur le fond, c'est-à-dire sur le contenu du traité.
M. le secrétaire d'État nous a dit que nous devions approuver ce traité parce qu'il favorisera l'émergence d'une Europe plus démocratique. Nous sommes profondément sceptiques ; à dire vrai, nous ne le croyons pas.
La méthode, elle-même, est très inquiétante : le traité constitutionnel avait au moins l'avantage d'avoir été préparé par une convention et d'avoir donné lieu à des débats fort longs - ils ont duré près de deux ans -, avec des étapes intermédiaires et la création d'un site Internet qui en rendait compte.
Or, s'agissant du présent traité, n'était le plaisir d'avoir rencontré, lors des réunions des commissions ad hoc, tel ou tel responsable gouvernemental, nous n'en avons pas eu entre les mains une version consolidée avant le mois de novembre. Je rappelle que ce texte avait connu auparavant trois états de rédaction différents. Je le sais d'autant mieux que j'ai essayé de les suivre.
Ce n'est pas ce que l'on peut appeler une bonne préparation informée pour une discussion sérieuse.
De votre côté, monsieur le rapporteur, vous nous assurez que le présent traité ne reprend que la première partie du texte initial. Je comprends pourquoi vous le dites : le Président de la République avait affirmé qu'il ne procéderait à une ratification par voie parlementaire que si le texte était simplifié et concernait les seules parties institutionnelles.
Il s'était d'ailleurs arrogé au passage le privilège d'interpréter le vote négatif des Français. C'était tout de même assez étrange, mais admettons !
Quoi qu'il en soit, il ne s'agit pas d'un texte simplifié et il ne concerne pas que la partie institutionnelle, bien que vous ayez affirmé à deux reprises qu'il n'avait trait qu'à l'organisation des institutions.
Je relève là deux contradictions.
La première tient aux faits : 198 des 356 amendements modifient les textes antérieurs. Les textes antérieurs ne sont pas maintenus dans leur rédaction d'origine ; ils sont repris tels qu'ils ont été modifiés. Ils constituaient déjà l'ex-troisième partie du traité constitutionnel. Voilà pourquoi cette dernière figure toujours dans le traité de Lisbonne.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. C'est faux !
M. Jean-Luc Mélenchon. Elle l'est sous la forme des amendements qui modifient les textes constituant autrefois la troisième partie.
Par conséquent, le texte n'est pas seulement institutionnel, il ne vise pas le seul fonctionnement des institutions.
Seconde contradiction : on ne peut pas affirmer que ce texte n'est pas une Constitution et déclarer en même temps qu'il ne concerne que l'organisation institutionnelle. L'important n'est pas seulement ce qui est marqué sur l'emballage : c'est aussi le contenu !
Car qu'est-ce qu'une Constitution si un texte qui organise les pouvoirs publics, décrit les rapports entre le Parlement et l'exécutif et précise le pouvoir d'initiative des lois n'en est pas une ? Cela ne fait aucun doute, ce traité a bien une vocation constitutionnelle.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et doit donc être approuvé par référendum !
M. Jean-Luc Mélenchon. Si je rappelle ces éléments, c'est pour déplorer la faiblesse de la discussion. Certes, ici, au Sénat, le débat, comme d'habitude, est de qualité. Mais tout de même, comment comprendre que, chez un grand peuple comme le nôtre, sur un sujet aussi important, il n'y ait pas eu un seul débat contradictoire sur un quelconque média audiovisuel ? On n'a jamais pu, une seule fois, confronter nos points de vue ! Dès lors, comment savoir qui dit la vérité ?
Je l'admets, je peux me tromper et interpréter tel ou tel point de mauvaise façon.
M. Dominique Braye. C'est bien de le reconnaître !
M. Jean-Luc Mélenchon. Mais qu'on me le prouve le texte à la main !
Hélas ! le débat se résume à une simple juxtaposition de monologues, où personne ne répond à personne, où chacun récite continuellement la même litanie d'arguments, sans que l'opinion, si jamais elle s'intéresse à nos discussions, soit capable de dire qui a raison et qui a tort. Que peut-elle d'ailleurs comprendre à une matière aussi compliquée si ceux-là mêmes qui sont chargés de la lui rendre compréhensible et de l'éclairer par leurs contradictions ne le font pas ?
L'intérêt d'un débat, ce sont justement nos contradictions, ce sont elles qui redonnent toute sa signification à la souveraineté populaire, laquelle doit trancher entre les avis des uns et des autres.
De tout cela, nous avons été privés.
Voyons maintenant ce qu'il en est, toujours quant au fond, des prétendues avancées de ce texte en matière de démocratie.
On nous dit que le Parlement européen disposera de pouvoirs accrus et qu'il aura dorénavant le dernier mot.
Franchement, quel Parlement au monde ne peut repousser le budget qu'à la condition de réunir les trois cinquièmes de ses membres ? Où une telle règle existe-t-elle pour prendre des décisions, à part dans les groupuscules ?
M. Dominique Braye. Au Congrès !
M. Jean-Luc Mélenchon. Autre exemple : il est décrété que le Parlement n'aura aucune autorité sur l'organisation du marché intérieur et qu'il sera seulement consulté sur les règles de la concurrence. Voilà les « nouveaux pouvoirs » du Parlement européen. Immenses !
Quant aux parlements nationaux, de quels nouveaux pouvoirs disposeront-ils désormais ? J'ai dû, lors du débat la semaine dernière, en demander confirmation pour m'assurer que j'avais bien compris !
Les parlements nationaux pourront vérifier si le principe de subsidiarité est appliqué. Aujourd'hui, il faut être neuf pour le faire. Demain, il faudra être dix. Je parle du principe même de subsidiarité, et non du contenu ou de la possibilité d'amender quoi que ce soit. Il faudra qu'un tiers des parlements se mettent d'accord pour constater que ce principe n'a pas été respecté. Quel exploit ce sera ! Une fois ce constat effectué, ils transmettront leur décision à la Commission. À quoi cette dernière sera-t-elle obligée ? À rien ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'esclaffe.) La Commission aura la possibilité de modifier et d'amender, ou de maintenir telle quelle la décision concernée.
Ce que je dis n'est-il pas conforme au texte ? Mais, alors, qu'on vienne me démentir, en public, et le texte en main ! Que ne l'a-t-on d'ailleurs fait avant ? J'aurais peut-être changé d'avis ! Mais je n'ai jamais entendu une réponse précise et technique à cette question.
Enfin, on met en avant le nouveau droit offert aux citoyens de signer une pétition. Ce n'est pas moi qui vous dirai que signer et déposer une pétition n'est pas acte démocratique. Face à une institution, on veut croire qu'elle aura une suite. Mes camarades et moi-même avons d'ailleurs déposé récemment une pétition portant 120 000 signatures à l'attention du président du Congrès du Parlement, M. Accoyer. J'attends bien sûr de connaître la suite qui lui sera donnée avec l'intérêt que vous imaginez.
Là, il s'agit d'un droit de pétition européenne. La grande affaire ! Il existait déjà avant le traité constitutionnel lui-même. Mais aucun nombre minimum n'était précisément exigé. Désormais, c'est écrit : il faut être un million pour pétitionner. Quel grand progrès ! Nous voilà passés du droit de pétitionner à deux à l'obligation de pétitionner à un million ! Et pour obtenir quoi ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Rien !
M. Jean-Luc Mélenchon. Rien du tout !
La Commission peut prendre en compte la pétition, à la condition que son contenu soit conforme aux traités, mais elle n'y est nullement obligée.
M. Dominique Braye. Heureusement ! Il ne peut pas y avoir d'injonction ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'esclaffe.)
M. Jean-Luc Mélenchon. Je le comprends parfaitement ! Je veux simplement souligner qu'il est abusif de présenter comme une nouveauté et même un progrès quelque chose qui existait déjà, qui n'a aucune espèce de conséquence et qui élève le droit d'accès de deux signataires à un million. Selon l'usage ordinaire du français courant, on ne peut pas appeler cela un progrès ! Le devoir de vérité m'oblige à le souligner.
Voyons encore un point délicat.
Le traité constitue une Commission qui gardera seule l'initiative des lois votées par le Parlement. Elle comptera moins de membres qu'il n'y a d'États dans l'Union européenne. J'entends bien les optimistes : on peut toujours supposer que chacun de ces membres sera immédiatement en charge, par une sorte d'onction qui lui viendra non pas du suffrage universel, mais de sa propre conscience, de l'intérêt général européen.
Pour autant, je ne vois pas comment l'intérêt général européen peut être formulé autrement que par le suffrage universel. D'ailleurs, plus globalement, comment l'intérêt général peut-il être formulé autrement ?
Mais j'en reviens au fait : il y aura moins de commissaires que d'États membres.
Certains se sont même réjouis de ce que la France y apparaîtrait dorénavant une fois tous les cinq ans, contre une fois tous les quinze ans avec l'ancienne règle.
Je vous demande de considérer qu'en certaines circonstances le résultat du « tourniquet » fera que les Français n'y seront pas. Pourtant, cela a été rappelé tout à l'heure, nous sommes l'un des peuples les plus nombreux d'Europe. Seules six nations comptent plus de 40 millions d'habitants. Mais, dans certaines circonstances, il n'y aura ni Français ni Allemand à la Commission !
Dès lors que les lois ne seront pas votées sous l'empire d'un Parlement fondé sur la légitimité du suffrage populaire, où chacun abandonne sa particularité, comme c'est le cas dans notre nation française et dans les autres, quelle sera la légitimité de ces lois, sachant que, de surcroît, deux des plus grands pays européens pourront être absents de l'endroit qui aura l'initiative de ces mêmes lois ?
Je le dis en ayant à l'esprit l'idée qu'en démocratie il n'y a pas d'autre autorité légitime que celle à laquelle on consent. Et l'on n'y consent et elle n'est légitime que parce qu'elle procède du souverain, c'est-à-dire du suffrage populaire. Tout le reste, c'est l'Ancien Régime ! Et, d'une certaine façon, nous y allons tout droit avec ce dispositif institutionnel !
Voilà les principales critiques que je souhaitais faire sur le contenu démocratique du texte.
Monsieur le secrétaire d'État, vous avez aussi affirmé que l'Europe serait dorénavant plus protectrice. Ô comme nous le voudrions ! Vous avez précisé, dans votre réponse aux orateurs de la discussion générale, que cette Europe nous protégerait contre les mouvements financiers erratiques de la planète.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela se voit...
M. Jean-Luc Mélenchon. Comment le nouveau traité sur le fonctionnement de l'Union européenne pourrait-il réussir ce prodige, sachant que son article 56, reprenant ainsi très exactement les termes de l'article III-156 de l'ancien projet de Constitution, précise que toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites ?
Où et comment commence la protection contre les mouvements financiers erratiques quand un article du traité précise, explicitement, qu'il ne doit être mis aucune barrière à la circulation des capitaux, alors même que cela constitue, nous le savons, la racine de la déstabilisation du monde ?
Dès lors, la question est de savoir non pas si la crise financière ravagera notre pays, mais quand elle le fera !
En outre, comment l'Europe pourrait-elle alors être plus protectrice si ce même traité sur le fonctionnement de l'Union européenne maintient les interdictions d'harmonisation sociale ?
En matière d'emploi, ces harmonisations sont interdites par l'article 129 du traité sur le fonctionnement de l'Union. Sur les politiques sociales et la protection sociale, elles le sont par l'article 137. Pour la politique industrielle, qui est pourtant essentielle dans les compétitions dont vous avez tous souligné l'importance au niveau mondial, par l'article 176 F. En matière de santé, par l'article 176 E. S'agissant de l'éducation et la formation professionnelle, par les articles 176 B et 176 C. En ce qui concerne la recherche et les technologies, par l'article 172 bis.
Tout bien pesé, ce traité est en retard d'une guerre.
On pouvait imaginer que le précédent méconnaissait l'état de tension du monde, le rôle des fluctuations financières, l'importance qu'il y avait à organiser à l'intérieur de l'espace européen un minimum d'égalité qui permette l'harmonisation fiscale, afin d'empêcher les peuples d'être dressés les uns contre les autres pour leur pain, pour leur dignité, pour leur travail. On pouvait l'imaginer, du moins si l'on avait une vision optimiste et euphorique de l'avenir du monde. C'était la thèse de la « mondialisation heureuse ».
Mais comment le croire aujourd'hui, quand toutes ces compétitions se déchaînent et que nous sommes témoins de leur violence implacable ?
Ce sont pourtant ces règles dépassées que le nouveau traité établit. Cela ne vous empêche pas - et je veux bien croire que ce soit de bonne foi - de venir à cette tribune dire votre espoir d'une Europe protectrice, votre volonté d'une Europe sociale et d'une Europe plus politique. Pourtant, vous vous apprêtez à voter un texte qui prévoit exactement le contraire et qui, loin de s'en contenter, interdit d'emprunter une autre voie. Un texte gravé dans le marbre ! Il ne pourra être modifié à l'avenir que dans les conditions qui étaient celles du traité constitutionnel, c'est-à-dire à l'unanimité.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin et M. Michel Dreyfus-Schmidt. Eh oui !
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous pouvez toujours prétendre le contraire, mais c'est la réalité ! Auparavant, nous étions six, puis douze, mais désormais nous serons trente. À quel prix l'unanimité sera-t-elle possible ?
J'en viens à présent au recul que nous devons prendre par rapport à l'histoirel'histoire.
J'ai critiqué l'autre jour à cette tribune la méthode actuelle de la construction européenne, ce qui m'a valu d'être contesté, d'une manière extrêmement courtoise et intéressante, par l'ancien Premier ministre, M. Raffarin, lequel m'a rétorqué qu'il y avait une continuité en la matière. Mais bien sûr ! Pour autant, ceux qui ne sont pas capables de voir que cette continuité n'exclut pas l'existence de seuils nient la vie elle-même, qui est précisément faite de transitions et de seuils.
L'Europe à six dans le monde de Yalta, l'Europe à douze dans le monde de Yalta, l'Europe à quinze dans le monde de Yalta, cela n'a rien à voir avec l'Europe à vingt-sept dans le monde d'après-Yalta !
L'Europe initiale n'a pas été faite pour autre chose que pour le monde de Yalta, parce que, dans ce monde, il n'y avait pas de place pour une guerre entre les Français et les Allemands. Il fallait donc prendre toutes les précautions nécessaires pour désamorcer les causes de tensions entre ces deux peuples, qui avaient déjà provoqué trois guerres.
Voilà ce qu'était la première Europe, et tout le monde ne l'a pas acceptée. En France, Pierre Mendès France s'était opposé au traité de Rome parce que ce dernier instituait comme arbitres suprêmes le marché et la libre concurrence.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
M. Jean-Luc Mélenchon. Selon lui, c'était une tyrannie, car la société humaine, disait-il, ne peut être soumise qu'à la loi de la raison, dont la démocratie est le seul moyen. C'est dire que nos débats ont aussi leur continuité !
Lorsque le Mur est tombé, vous savez comme moi quels problèmes ont été immédiatement posés par la reconnaissance des frontières. C'est un fait historique. Nous autres les Français, nous avons posé comme condition à la réunification de l'Allemagne la reconnaissance de la ligne Oder-Neisse.
M. Michel Charasse. Exact !
M. Jean-Luc Mélenchon. Nos amis allemands ont accepté : il leur a fallu un mois et demi pour le faire. Cela fait réfléchir.
Les permanences de l'Histoire sont à l'oeuvre. Je le dis, non pour que nous nous opposions les uns aux autres, mais parce que chaque génération doit réunir de nouveau les conditions de base de la paix. Et quelles sont-elles ? Quand il n'y a plus cette opposition que l'on appelait l'« équilibre de la terreur », qui maintenait la paix, qui nous obligeait, nous, à vivre en paix, quelle est la condition nouvelle de la paix ? C'est un bien mauvais choix que l'on fait que celui qui consiste à jeter les peuples les uns contre les autres dans la compétition pour le travail, pour le droit social, pour la fiscalité. Voilà bien les ressorts de la haine !
Mes chers collègues, j'espère de toutes mes forces me tromper. Mais tel que va aujourd'hui le monde, nous ne pouvons sous-estimer pas les risques de guerre. On ne peut pas jouer avec ces questions-là. !
Dans la vie des nations, la paix n'est pas l'état de nature. C'est une construction politique, et le premier devoir pour réussir cette construction politique, c'est de désamorcer les causes de guerre. Et la première cause de guerre, c'est l'opposition entre les peuples.
Chaque fois qu'une entreprise est délocalisée, nous semons de la méfiance, de la jalousie, parfois de la haine, et ainsi de suite.
Quand un pays prend l'avantage sur les autres parce qu'il réduit les droits sociaux et la fiscalité, cela ne crée aucunement de la conscience européenne.
Voilà ce que je veux dire modestement, à la place qui est la mienne, celle d'un parlementaire qui représente, me semble-t-il, une partie de l'opinion assez vaste pour que vous en ayez eu des échos jusque dans vos propres rencontres.
Le tournant qui a changé définitivement l'Europe a été pris avec l'élargissement, lequel a été mené dans des conditions qui m'ont conduit à m'abstenir ici même sur cette question. D'un seul coup, un seul, on a fait entrer dix nations dans l'Union européenne, sans approfondir les mécanismes de décision démocratique commune.
Puisque nous voulons être un contre-exemple par rapport à celui des États-Unis d'Amérique, dites-moi donc en quoi nous le sommes ! L'Union européenne est moins démocratique que les Etats-Unis ! La Banque centrale européenne est moins soumise au pouvoir politique que ne l'est la Réserve fédérale américaine !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Absolument !
M. Jean-Luc Mélenchon. Et je pourrais donner bien d'autres exemples !
Vu la manière dont elle fonctionne aujourd'hui, l'Europe n'est pas un contre-modèle : elle pire que le modèle !
De toute façon, en matière de politique étrangère, nous avons déjà dit que nous ferions comme les Etats-Unis, quoi qu'ils fassent, puisque nous nous inscrivons dans le cadre de l'OTAN, ce qui est également précisé dans le traité.
M. Dominique Braye. Quel cinéma !
M. Jean-Luc Mélenchon. Voilà ce que sont les conditions générales dans lesquelles nous construisons l'Union européenne.
Cela est totalement étranger à notre identité républicaine. Le Français se définit, non par une vision ethnique ou essentialiste de la nation, mais par son identité républicaine, à la suite de la grande Révolution de 1789, qui est notre contribution à l'histoire universelle. Nous pouvons en être fiers aussi de temps en temps, pour ne pas en rester au chemin selon lequel, chez nous, tout est mal et, chez les autres, tout est bien.
Les transferts de souveraineté ne sont pas un problème pour moi et pour mes camarades. Mais la souveraineté ainsi transférée ne peut être placée que sous un seul et unique souverain : le peuple, le suffrage universel.
C'est à ce prix que se dégagera un intérêt général européen. Il existe, et il se manifestera notamment en faveur de l'harmonisation fiscale et sociale. Mais cela se fera alors contre ces institutions et contre ces traités qui prétendent l'interdire.
Je ne souhaite pas ici jouer les Cassandre. Je veux seulement dire que, pour des Européens convaincus, qui mettaient leurs pas dans ceux d'un homme pour lequel j'avais et j'ai toujours une admiration immense, le président François Mitterrand, pour ceux qui, comme moi, ont voté le traité de Maastricht, une page se tourne.
Cet épisode est une rupture intellectuelle et affective. Cette Europe-là, celle du traité de Lisbonne, je n'ai rien à voir avec elle. Ce modèle de construction de l'Union européenne, à mes yeux, est définitivement hostile aux peuples.
Je vous mets au défi de me citer une seule mesure émanant de cette Europe qui soit conforme à l'intérêt des Français ou à l'intérêt des peuples !
Vous nous dites alors qu'il existe une Charte des droits fondamentaux. Mais citez-nous un seul de ces droits qui ne soit pas déjà connu et adopté par les Français ou qui soit supérieur à la législation française ! Citez-moi un seul de ces droits qui ne soit pas appliqué dans l'un des États membres de l'Union européenne ou dans l'un de ceux qui y entrent ! Car on ne peut pas entrer dans l'Union européenne si on ne reconnaît pas les droits de l'homme ! Et il n'y a pas un seul de ces droits fondamentaux qui soit différent de ceux proclamés par la Déclaration des droits de l'homme.
Tout cela, à mes yeux, c'est de la fumée !
Je vous prie de bien vouloir m'excuser si je m'emporte, mais cette voix de la passion, c'est aussi celle de l'amour d'une idée, l'idée républicaine.
J'achève sur un mot : vive la République européenne, si elle doit naître ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean François-Poncet, rapporteur. J'ai écouté avec beaucoup d'attention le plaidoyer passionné de notre collègue Mélenchon, dont j'ai admiré le talent oratoire, mais dont la dialectique m'a stupéfié.
En effet, il a donné à toutes les dispositions du traité des interprétations totalement personnelles.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Non ! Pas du tout !
M. Dominique Braye. Sauf pour M. Dreyfus-Schmidt !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Je ne veux pas dire pas qu'il est le seul à penser cela, mais il s'agit tout de même d'interprétations personnelles !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce ne sont pas seulement les siennes !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Je ne répondrai pas à chacun de ses arguments, pour la simple raison qu'il me faudrait reprendre l'intégralité de mon exposé.
M. Dominique Braye. Non ! On a compris !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Au travers de cet exposé, j'ai présenté les dispositions du traité et expliqué l'interprétation que j'en faisais. À notre assemblée de décider si celle-ci lui convient ou non !
Manifestement, mon interprétation ne correspond en aucun point, sans exception, à celle de M. Mélenchon.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est bien vrai !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Je ne lui ferai donc pas de réponse exhaustive, car nous y serions encore demain matin !
Plusieurs sénateurs de l'UMP. Nous y sommes déjà !
M. Dominique Braye. C'est pour cela qu'il faut raccourcir le débat, monsieur le président !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Sur chacun de ces points, en effet, M. Mélenchon resterait sur sa position, et moi sur la mienne !
Je ne prendrai donc qu'un exemple.
M. Mélenchon nous a dit que les pouvoirs du Parlement européen n'étaient nullement accrus. Le Parlement européen aura pourtant un pouvoir législatif exactement identique à celui du Conseil européen. Je me souviens, pour ma part, de l'époque où son rôle était purement consultatif. Avec le traité de Lisbonne, qui donne au pouvoir législatif une extension aussi large que possible, nous sommes parvenus au terme de ce processus, sauf à aller plus loin en dépouillant les États de toute voix au chapitre en matière de législation européenne.
En matière budgétaire, le Parlement européen a désormais des pouvoirs égaux à ceux du Conseil des ministres, ce qui n'était pas le cas. Autrefois, le Parlement ne pouvait intervenir que sur les dépenses facultatives. Les dépenses obligatoires, parmi lesquelles figurait la politique agricole, lui échappaient. Désormais, il est sur un pied d'égalité avec le Conseil des ministres et, en cas de désaccord, s'il réunit une majorité des trois cinquièmes, c'est lui qui a le dernier mot.
Un sénateur de l'UMP. Absolument !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Le Parlement européen connaît donc une montée en puissance spectaculaire ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat rit.)
Vous pouvez toujours rire, madame Borvo, mais c'est la vérité ! Nous pouvons d'ailleurs l'observer dès à présent : le Parlement est devenu l'un des organes principaux, de l'Union européenne, et il en sera peut-être, dans l'avenir, l'organe principal.
Naturellement, on peut toujours prétendre le contraire et dire que ce sont des histoires, comme tout le reste !
Il y donc deux interprétations radicalement différentes du traité de Lisbonne sont entièrement, et je n'abuserai pas de la patience de mes collègues en défendant, sur chaque point évoqué par M. Mélenchon, une position exactement opposée,
Plusieurs sénateurs de l'UMP. Merci !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Monsieur Mélenchon, vous avez évoqué des questions importantes.
Je ne reviendrai pas sur celle du Parlement européen, sinon pour rappeler qu'en matière budgétaire, c'est seulement en cas de désaccord avec le Conseil des ministres qu'il doit réunir une majorité des trois cinquièmes, et s'il veut avoir le dernier mot. Dans tous les autres cas, les dispositions budgétaires sont votées à la majorité simple, comme le prévoit l'article 314 du projet de Constitution européenne.
M. Dominique Braye. Merci de le rappeler !
M. Jean-Luc Mélenchon. Seulement si le Parlement européen est d'accord !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Vous avez également évoqué un certain nombre de domaines précis.
On peut l'approuver ou non, mais je rappelle que nous intervenons dans l'élaboration des directives en matière de médicaments et de santé. Il faut trouver un équilibre entre la subsidiarité que vous souhaitez, monsieur le sénateur, pour les raisons que vous avez expliquées, et l'harmonisation qui doit être conduite au niveau européen.
En matière fiscale, sujet qui n'a pas été abordé, il est vrai que c'est toujours l'unanimité qui prévaut, mais cela ne date pas d'aujourd'hui. Mais le traité permet d'engager des coopérations renforcées dans ce domaine, sans que les autres États puissent s'y opposer. C'est donc à nous de les engager, si nous le voulons.
Je souhaite revenir sur un point fondamental : la continuité de la construction européenne et l'Europe à vingt-sept.
Je ne peux pas vous laisser dire que l'Union européenne était nécessaire du temps de Yalta, mais qu'elle ne l'est plus aujourd'hui, ...
M. Jean-Luc Mélenchon. Je n'ai pas dit cela !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. ... et qu'elle se justifiait surtout dans les relations entre la France et l'Allemagne.
Comme le disait le président Chirac, la paix demeure le premier objectif de l'Union européenne.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est ce que j'ai essayé de dire !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Dans son dernier discours, prononcé devant le Parlement européen, et auquel j'ai assisté, le président François Mitterrand ne disait-il pas : « Le nationalisme, ...
M. Michel Charasse. ... c'est la guerre ! »
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Exactement, Michel Charasse ! Et cela reste vrai.
Imaginez, monsieur Mélenchon, ce que serait ce continent si nous n'avions pas donné de perspective européenne aux pays qui nous ont rejoints ! Pensez-vous que les risques de conflit entre les populations seraient moindres, compte tenu des problèmes actuels liés aux minorités ? (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)
M. Dominique Braye. C'est évident !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Pourquoi croyez-vous que nous ouvrons cette perspective européenne aux pays des Balkans, si ce n'est pour éviter que les conflits ne dégénèrent ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Le maintien de la paix demeure le but ultime de l'Union à vingt-sept !
Pour toutes ces raisons, nous souhaitons le retrait ou, à défaut, le rejet de votre motion tendant à opposer la question préalable.
M. Dominique Braye. L'argument de M. Mélenchon a fait « Pschitt ! ».
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. M. Braye, la baudruche !
M. le président. Personne ne demande la parole ? ...
Je mets aux voix la motion n° 3, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 83 :
Nombre de votants | 238 |
Nombre de suffrages exprimés | 233 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 117 |
Pour l'adoption | 31 |
Contre | 202 |
Le Sénat n'a pas adopté.
En conséquence, nous passons à la discussion de l'article unique.
Article unique
Est autorisée la ratification du traité de Lisbonne modifiant le traité sur l'Union européenne, le traité instituant la Communauté européenne et certains actes connexes, signé à Lisbonne le 13 décembre 2007, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par MM. Charasse et Mélenchon, est ainsi libellé :
I. - Au début de cet article, ajouter les mots :
Vu les décisions du Conseil constitutionnel des 19 novembre 2004 et 20 décembre 2007,
II. - Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
Tout acte européen de quelque nature que ce soit contraire aux décisions susvisées du Conseil constitutionnel est nul et de nul effet à l'égard de la France.
La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à cette heure avancée, je vais essayer d'être rapide, simple et un peu pédagogique, mais sans exagérer.
Comme l'ont rappelé plusieurs collègues tout au long de cette discussion, le Conseil constitutionnel a été préalablement saisi du traité de Lisbonne, comme il avait d'ailleurs été saisi en 2004 du précédent traité, dit « constitutionnel ». Les décisions qu'il a rendues les 19 novembre 2004 et 20 décembre 2007 ont fixé le cadre constitutionnel de l'action du Parlement et du Gouvernement.
Dans ces deux décisions, le Conseil constitutionnel a indiqué, en gros, que, si les institutions européennes jouaient normalement le jeu, la République ne pouvait être ni menacée ni mise en cause, pas plus que ses principes fondamentaux, notamment ceux qui interdisent le communautarisme ou qui touchent à la laïcité.
Ces points ayant été validés par deux fois par le Conseil constitutionnel et celui-ci ayant écarté toute modification de la Constitution à leur sujet, nous n'avons pas expressément modifié la Constitution sur ces questions en allant, lundi dernier, à Versailles.
Pour prendre position, le Conseil constitutionnel s'est notamment appuyé, outre, naturellement, le texte des deux traités, sur les explications données par le présidium de la convention qui a élaboré le traité de 2004. Or il se trouve que ces explications n'ont pas été confirmées par cette instance ou une autre avant la signature du traité de Lisbonne. On peut donc d'emblée se demander, bien que les deux textes des deux traités soient souvent voisins, si elles s'appliquent bien au second traité comme elles s'appliquaient au premier.
Mais la question qui se pose, mes chers collègues, puisque nous n'avons pas modifié la Constitution sur ces points - et c'est heureux ! -, est la suivante : que va-t-il se passer si un acte européen viole, volontairement ou non, les décisions du Conseil constitutionnel ? Je ne pense pas forcément à une décision de la Commission, du Conseil ou du Parlement - qui, à mon avis, y regarderont à deux fois avant de s'attaquer aux traditions constitutionnelles des États -, mais à une décision de justice. Or la justice européenne nous a appris, comme d'ailleurs la nôtre, et sans doute toutes les autres justices dans tous les pays du monde, à faire quelquefois peu de cas des textes eux-mêmes, quand elle ne s'assoit pas carrément dessus !
Nous nous trouvons donc, mes chers collègues, et pour les mêmes raisons, dans la même situation qu'en juin 1977, lorsque le Parlement a été saisi de l'autorisation de ratifier l'acte européen du Conseil relatif aux élections du Parlement européen au suffrage direct. Le Conseil constitutionnel avait alors dit que cette ratification ne posait pas de problème et que l'acte n'appelait pas de révision de notre Constitution, notamment parce que le Parlement européen n'appartient pas à l'ordre institutionnel français.
À l'époque, méfiant, le législateur avait estimé nécessaire de rappeler dans la loi d'autorisation l'existence de la décision du Conseil constitutionnel interdisant toute extension des pouvoirs du Parlement européen. Les chambres avaient même ajouté à la loi d'autorisation - c'est la seule et unique fois que cet événement s'est produit sous la Ve République - un deuxième article, pour préciser que « tout acte contraire à la décision du Conseil constitutionnel sur l'élection au suffrage direct était nul et de nul effet à l'égard de la France ».
Par conséquent, je crois nécessaire de prendre la même précaution, car l'autorisation parlementaire ne peut naturellement être accordée que si le traité est conforme à la Constitution. Or il ne le sera que dans la mesure où les deux décisions du Conseil constitutionnel seront strictement respectées.
La loi d'autorisation doit donc rappeler cette exigence, qui doit être prise en compte dans le consentement français au moment de la ratification.
Les choses sont simples. Ou bien, comme en 1977, nous faisons figurer l'interprétation du Conseil constitutionnel, qui valide le traité pour tout ce qui touche à la République dans la loi d'autorisation ; c'est ce que propose mon amendement. Ou bien je le retire si le ministre nous dit clairement que, lors du dépôt des instruments de ratification, la France rappellera que le traité ne peut lui être appliqué que pour autant que sa Constitution soit respectée. Elle rappellera aussi cette contrainte particulière : le Parlement français n'a donné son consentement à la ratification qu'après s'être assuré qu'il n'y avait pas de problème pour la préservation de la République « à la française » et les principes fondamentaux sur lesquels elle repose.
Tel est l'objet, monsieur le président, de l'amendement n° 1.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Largement admiratif de la démonstration de notre collègue, je me suis dit qu'avec son immense talent, j'allais presque dire son génie, il démontrerait n'importe quoi !
M. Michel Charasse. C'est facile à dire !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. C'est un compliment que je cherchais à vous faire, cher collègue !
Vous ne vous étonnerez pas que je ne vous suive pas dans une argumentation que je ne suis d'ailleurs pas sûr d'avoir totalement saisie. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'esclaffe).
Madame, j'ai des limites intellectuelles, c'est vrai, mais il vaut mieux les avouer !
Je m'en tiendrai aux observations suivantes.
À ma connaissance, l'émission de réserves relève de la compétence exclusive de l'exécutif, qui négocie et signe les traités.
M. Michel Charasse. Au sens international, oui !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. J'ajoute que, concernant les traités communautaires, les réserves doivent, pour être valables, être émises au plus tard au moment de la signature du traité. Si elles ne l'ont pas été, elles sont nulles et non avenues du point de vue européen.
Je relève aussi - observation que, j'en suis sûr, M. Charasse balaiera -, que le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne stipule expressément que « l'Union respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres ». Cette disposition me suffit !
Par conséquent, d'une part, je ne crois pas que nous puissions émettre une réserve : le faire à ce stade n'aurait aucune portée sur le plan européen. J'estime, d'autre part, que le traité lui-même exprime très clairement ce qu'il y a à exprimer sur le sujet, rendant tout ajout inutile.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je m'en remettrai à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, institution républicaine respectée s'il en est.
D'une part, une réserve interprétative ne peut être d'origine parlementaire, comme l'a rappelé la décision du Conseil constitutionnel du 9 avril 2003 en son point 18. Vous la connaissez, monsieur Charasse, et je ne me risquerai pas à vous faire la leçon en matière constitutionnelle ! (Sourires.)
D'autre part, dans sa décision du 25 mai 2005, le Conseil constitutionnel a jugé que le visa de ses propres décisions était superflu dans les lois de ratification et que l'exposé était tout à fait suffisant.
Donc, compte tenu du caractère superflu des réserves, quelle que soit leur origine, d'ailleurs, et du fait que le traité prévoit également le respect des Constitutions nationales, je vous propose, monsieur Charasse, de bien vouloir retirer l'amendement que vous avez déposé avec M. Mélenchon. Sinon, je serai contraint d'en demander le rejet.
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, pour explication de vote.
M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'argumentaire de notre collègue Charasse repose sur l'existence d'un risque pour notre laïcité. C'est l'existence de ce risque qu'il faut apprécier.
Notre collègue Jean François-Poncet estime qu'il n'y a pas de risque. Il s'appuie sur l'alinéa 1 de l'article 16 du traité de fonctionnement de l'Union européenne: « L'Union respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient en vertu du droit national les églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres. »
Il aurait dû pousser sa lecture jusqu'à l'alinéa 3. En effet, celui-ci crée le cadre juridique qui, en toute hypothèse, permet la mise en cause d'une décision à caractère laïque de la République française : « Reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique, l'Union maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ses églises et organisations. »
Le cadre juridique ainsi posé, voici implicitement une nouvelle difficulté : de quelles églises parle-t-on ? Qui établit cette liste ? Je vous rappelle que la République française est montrée du doigt parce qu'elle caractérise comme sectes un certain nombre de groupes qui s'autoproclament « églises » et qui sont reconnus comme telles par d'autres pays. Je pense, en particulier, à la prétendue Église de scientologie, qui vient d'être reconnue en Espagne et qui est considérée en France comme une secte.
À cette raison s'en ajoute une autre. Elle trouve sa source dans l'article 10 de la Charte des droits fondamentaux, dont vous nous avez dit à l'instant qu'elle a une valeur contraignante, qui va dorénavant s'imposer et élargir le champ des libertés.
Que dit l'article 10 de la Charte des droits fondamentaux ? « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. » Avec cela, nous sommes parfaitement d'accord. « Ce droit implique la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. »
Avec cela, nous ne pouvons pas être d'accord parce que cela veut dire que, sur la base de cet article de la Charte des droits fondamentaux, la loi française qui interdit de se présenter dans un établissement scolaire avec un foulard sur la tête pourrait ne pas être acceptée par l'Union européenne.
On m'a rétorqué que l'article 10 de la Charte n'était que la reprise mot pour mot de l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme. C'est presque vrai, mes chers collègues. Presque ! Car la Charte n'a pas repris le deuxième paragraphe de cet article, qui permet, précisément, de limiter la liberté religieuse dans l'intérêt public. Or la Charte n'autorise ces limitations à l'article 52-1 que pour des objectifs d'intérêt général, reconnus par l'Union. Mais la laïcité ne fait pas partie des objectifs affirmés par l'Union, bien au contraire !
Enfin, deux cours seraient désormais habilitées à interpréter ces mêmes articles : la Cour de justice des Communautés européennes, celle qui siège à Luxembourg, garante des traités et de la Charte, et la Cour européenne des droits de l'homme, celle qui siège à Strasbourg, garante des droits de l'homme.
Mais il est bien précisé à l'article 52-3 que l'harmonisation des décisions de ces cours différentes ne doit pas faire obstacle à ce que le droit de l'Union accorde une protection plus étendue.
Par conséquent, un juge pourrait faire appliquer l'article 10 de la Charte des droits fondamentaux s'il estimait qu'il donne une protection plus étendue que la version plus restrictive d'un autre traité. Or la laïcité est considérée comme une restriction de la liberté de conscience par nos partenaires européens et non pas comme son socle, ainsi que le pensent les républicains français.
Il n'y a donc aucune raison que le Parlement ne vienne pas rappeler des réserves qu'il est en droit de formuler après les décisions du Conseil constitutionnel, à moins que vous n'ayez déjà opté pour une autre version de la laïcité.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est bien possible !
M. Jean-Luc Mélenchon. Mais alors, il serait bien que quelques-uns d'entre vous aient le courage de l'assumer, comme nous-mêmes assumons nos opinions.
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse. Après la brillante mise au point de mon collègue et ami Jean-Luc Mélenchon, je serai bref.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous écoute toujours avec beaucoup d'attention et d'amitié, et depuis très longtemps. Je voudrais vous préciser que je me conforme à la décision du Conseil constitutionnel du 9 avril 2003, que vous venez de rappeler : le Parlement ne peut formuler aucune réserve nouvelle ou supplémentaire, et je m'en garde bien ! Mais puisque certaines réserves existent du fait même des décisions du Conseil constitutionnel et que nous ne les avons pas levées à Versailles, je rappelle leur existence et leurs exigences. Ce n'est pas la même chose ! Si je créais de nouvelles réserves, vous ne manqueriez pas de me dire que je viole la règle de recevabilité définie en 2003 et vous auriez raison.
Les réserves visées par mon amendement sont celles du Conseil constitutionnel. Dans une situation analogue, elles ont été intégrées sans inconvénient dans la loi du 30 juin 1977 approuvant l'élection de l'assemblée européenne au suffrage direct.
Donc, je n'ajoute rien, et je ne méconnais pas la décision de 2003 du Conseil constitutionnel. En fait, je crois que le Conseil avait été saisi à la suite de tentatives de dépôt d'amendements à l'Assemblée nationale pour modifier certains articles d'un traité. C'est une horreur absolue, car le Parlement ne participe en rien à la négociation des traités, qui est une prérogative exclusive de l'exécutif.
Soucieux de ne pas éterniser la discussion à cette heure tardive, je vous pose une seule question, une question très simple : comment le Gouvernement - celui-là ou un autre -protégera-t-il la République et ses principes à l'occasion de la mise en oeuvre du traité si les limites posées par le Conseil constitutionnel ne sont pas respectées ? Pour ma part, je n'ai pas vraiment de doutes sur la manière, a priori loyale, dont le Parlement européen, la Commission européenne, le Conseil européen, le Conseil des ministres appliqueront le traité.
Pour les juges, mon collègue et ami Jean-Luc Mélenchon vient de dire ce qu'il en est. Ce ne serait pas la première fois que la Cour européenne du Luxembourg prendrait des libertés avec le traité !
J'avais appelé l'attention de Jean-Pierre Jouyet sur ce sujet quand a été négocié le traité de Lisbonne. Alors que le traité dit qu'en cas de non-transposition d'une directive la Cour peut infliger une astreinte ou une amende, elle a décidé, toute seule, de son propre chef, de cumuler l'astreinte et l'amende ! Pourtant, dans le traité, figure bien le « ou ». Et les États se couchent devant les juges : ils paient sans rien dire !
Tant qu'il s'agit d'une histoire de gros sous, on peut toujours s'arranger. Quand j'étais ministre, j'ai perdu une fois devant la Cour. Comme j'estimais qu'elle avait violé manifestement les traités, j'ai fait savoir que je ne paierais jamais, que j'allais m'en aller, que je ne viendrais plus au Conseil des ministres et que je ferais la « grève » des contributions françaises. Cela s'est très vite arrangé. Quand on sait se faire respecter, on se fait respecter !
Mais que faire face à une décision de justice qui concerne des tiers et qui leur crée des droits ?
Par conséquent, je vous pose, monsieur Jouyet, cher ami, la question : comment protégez-vous la République ? Le Conseil constitutionnel a très bien cadré les choses, et je suis en plein accord avec ses deux décisions. Je vous demande ce que vous faites si les limites de l'épure sont franchies. (M. Jean-Luc Mélenchon applaudit.)
M. le président. Monsieur le secrétaire d'État, souhaitez-vous prendre la parole ? (Non ! sur les travées de l'UMP.)
M. Michel Charasse. Le ministre peut parler, quand même ! C'est une question importante !
M. Dominique Braye. Il y a déjà eu trois heures de débat !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Par courtoisie, je vais répondre, monsieur le président, mais, à cette heure, je m'en tiendrai à l'interprétation et à la décision du Conseil constitutionnel sur cette question.
C'est la plus haute juridiction, et elle est garante de la Constitution. Or l'article 1er de celle-ci est extrêmement clair en ce qui concerne le respect du principe de laïcité et l'article 4 du traité de Lisbonne ne l'est pas moins en ce qui concerne le respect de notre Constitution et de nos principes constitutionnels.
Il n'y a donc pas de risque de débordement : le respect de l'article 4 du traité constitue la meilleure protection des principes fondamentaux de notre République.
M. Dominique Braye. Voilà !
M. Jean-Luc Mélenchon. Le jour où il y aura une plainte individuelle, vous verrez !
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Ce n'est pas sous l'angle du principe de laïcité que la question de notre collègue Michel Charasse me paraît la plus intéressante, mais sous celui de la dialectique entre la force du droit européen et la force du droit français, y compris celle de la Constitution.
Or cette dialectique a été tranchée de façon très nette dans un arrêt, connu sous le nom de Tanja Kreil/ République fédérale d'Allemagne, rendu par la Cour de justice en 2000 à la suite du recours formé par une jeune femme se prévalant de la directive relative à la mise en oeuvre du principe d'égalité de traitement entre hommes et femmes pour contrecarrer une disposition de la loi fondamentale allemande excluant, ce qui est compréhensible dans le cadre de l'Allemagne, les femmes des emplois militaires comportant l'utilisation d'armes.
Tout ce que je veux dire, c'est que les quelques précautions que nous pouvons prendre, même celles sur lesquelles insiste cet amendement, sont, hélas ! peu de chose : pour moi, il est clair, compte tenu de la jurisprudence de la Cour de justice, qu'en ratifiant le traité de Lisbonne nous acceptons de façon absolument définitive la primauté du droit européen, y compris dans ses composantes dérivées, sur notre droit interne et même sur nos normes les plus hautes, c'est-à-dire sur nos normes constitutionnelles.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Avec tout le respect que j'ai pour Bruno Retailleau, je veux lui dire qu'il vient d'énoncer une grossière contrevérité, car il est tout à fait clair que, si une décision de la Cour de justice mettait en cause, de manière directe ou indirecte, la laïcité, nous aurions la possibilité, avec la décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 2006, d'y opposer la Constitution française et nos valeurs !
Vous ne pouvez pas dire le contraire, monsieur Retailleau, parce que c'est la loi.
Pour les besoins d'une démonstration, on peut dire ce que l'on veut, mais, quand il s'agit du droit, il faut tout de même lire les jugements et les articles de loi, et éviter les affirmations gratuites !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président de la commission, la question n'a pas été résolue lors du débat sur le traité constitutionnel et l'on ne sait toujours pas si les décisions de la Cour de justice priment ni si le Conseil constitutionnel peut intervenir sur ces décisions.
M. Jean-Jacques Hyest. Cela n'a rien à voir !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Maintenant, c'est encore pire puisqu'il peut y avoir un conflit de droit entre le Conseil constitutionnel et la Cour de justice, conflit que rien ne permettra de trancher !
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Premièrement, je veux bien que l'on utilise tous les arguments, mais citer une décision de la Cour européenne des droits de l'homme en faisant accroire qu'il s'agit d'une décision de la Cour de justice des Communautés européennes est absolument inadmissible !
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Exactement !
M. Jean-Jacques Hyest. La Cour de Strasbourg a une jurisprudence en matière de droits de l'homme, mais la Cour de justice, elle, fait respecter les traités.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Eh oui ! C'est Luxembourg, pas Strasbourg !
M. Jean-Jacques Hyest. On peut ne pas être satisfait de ses décisions, mais cela n'a rien à voir !
M. Bruno Retailleau. Il s'agissait d'une directive.
M. Jean-Jacques Hyest. Il n'y a pas de directive sur le port d'armes par les femmes !
M. Bruno Retailleau. D'une directive sur l'égalité.
M. Jean-Jacques Hyest. L'égalité, c'est la Cour de Strasbourg !
M. Jean-Luc Mélenchon. Il va se fâcher !
M. Jean-Jacques Hyest. Deuxièmement, je trouve certains de nos débats extraordinaires !
Je rappelle, mes chers collègues, que la révision de la Constitution à laquelle nous venons de procéder a été précédée d'une vérification par le Conseil constitutionnel de la conformité de notre loi fondamentale avec le traité de Lisbonne, vérification qui, bien entendu, s'est étendue à tous les principes fondamentaux énoncés dans les deux préambules, notamment ceux que vous avez évoqués les uns et les autres.
Sur la conformité du traité avec ces principes, le Conseil constitutionnel n'a rien trouvé à redire. Il s'agit donc d'un faux débat...
M. Jean-Luc Mélenchon. Espérons-le !
M. Jean-Jacques Hyest. ...et de raisonnements que, depuis l'Antiquité grecque, on appelle des sophismes !
M. Michel Charasse. À Marseille, ce sont des jeux de trompe-couillon !
M. Dominique Braye. Au Sénat, c'est de l'enfumage !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 84 :
Nombre de votants | 240 |
Nombre de suffrages exprimés | 237 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 119 |
Pour l'adoption | 34 |
Contre | 203 |
Le Sénat n'a pas adopté.
M. le président. Avant de mettre aux voix l'article unique qui constitue l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Jean Desessard, pour explication de vote. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Jean Desessard. Il est deux heures du matin et je comprends que certains, pressés de rentrer chez eux, en aient « marre » de ce débat. Qu'ils me permettent néanmoins de leur rappeler, après Jean-Luc Mélenchon, que, avant le référendum, il y avait eu plusieurs mois de débats, partout en France. Une discussion de quelques heures sur un traité aussi important, nous a-t-on dit, que le traité de Lisbonne, c'est donc bien peu ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
Rassurez-vous, mes chers collègues, vous allez voter dans quelques instants, et je sens que vous serez contents,...
M. Dominique Braye. Oui !
M. Jean Desessard. ...car j'avais calculé que, si les parlementaires avaient pu voter le traité constitutionnel en Congrès, il y aurait eu 85 % de « oui ». Pourtant, le 29 mai 2005, 54 % des Français ont voté « non »...
D'où vient un tel décalage ?
Évidemment, à entendre M. le rapporteur, dont je ne sais pas s'il se revendique du gaullisme, un référendum ne sert pas à grand-chose puisque les électeurs répondent non à la question posée, mais à la personne qui la leur pose. Eh bien, je dois dire que ce n'est pas l'impression que je garde du débat sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ça non !
M. Jean Desessard. Dans tous les journaux, le contenu du traité a été analysé. J'ai participé à de nombreux meetings et réunions publiques : les gens débattaient sur le fond. Dans les bars, dans les restaurants, dans les réunions, dans les dîners, ils parlaient de projets de société et, s'ils étaient partagés, ce n'était pas spécialement sur Jacques Chirac ! Il s'agissait bien de savoir quelle Europe construire. Et ce débat a traversé les familles, les entreprises, toute la société. Il a fait apparaître un doute, et ce n'est pas à 85 % que nous avons ratifié le traité, mais c'est à 54 % qu'il a été rejeté par le peuple français.
Encore une fois, quelles peuvent être les raisons de ce décalage ?
Peut-être y a-t-il des raisons fiscales et sociales ? Peut-être l'Europe n'est-elle pas simplement pour nos concitoyens une construction politique ? Peut-être doit-elle se préoccuper du pouvoir d'achat, de l'emploi, de la lutte contre l'exclusion ? Toutes questions qui sont absentes du traité, dans lequel il n'y a les conditions ni d'une Europe sociale ni d'une Europe fiscale !
Au contraire, l'Union européenne suscite la concurrence entre les salariés comme entre les États, et les Français l'ont bien compris.
Pourquoi donc cette différence entre le vote des citoyens et celui des parlementaires ? Le Parlement est-il vraiment représentatif de la société d'aujourd'hui ? Mes chers collègues, je suis obligé de vous dire que tel n'est pas le cas, et vous allez d'ailleurs le prouver ce soir ! Le Parlement ne représente pas suffisamment les ouvriers, les employés, la diversité ; il reflète les forces politiques majoritaires, mais il ne couvre pas l'ensemble du champ politique français.
Certains affirment que l'écart entre les 85 % de « oui » et les 54 % de « non » proviendrait du fait que le traité aurait fondamentalement changé entre le 19 mai 2005 et aujourd'hui. C'est à peu près la thèse de M. le rapporteur. Pour ma part, j'en doute ! Certains orateurs ont montré que les deux textes se ressemblaient étrangement ...
D'ailleurs, si le traité a fondamentalement changé, pourquoi les autres peuples européens n'organisent-ils pas de référendum ? Comme l'a souligné Mme Borvo Cohen-Seat tout à l'heure, si ce texte est tellement différent, pourquoi les peuples ne se prononcent-ils pas ?
Mes chers collègues, vous allez voter à 85 % la ratification de ce traité, mais je reste persuadé que si l'on avait soumis celui-ci au référendum le résultat aurait été le même que le 29 mai 2005, c'est-à-dire que la majorité du peuple français aurait rejeté le texte.
Le vote du 29 mai 2005 a eu cette particularité, très importante, d'être principalement de gauche.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Comme dans le cas de M. Retailleau ! Lui aussi est un homme de gauche !
M. Jean Desessard. C'est la gauche qui s'est opposée au traité : elle se voulait européenne, mais souhaitait bâtir l'Europe sociale et fiscale. En effet, l'Europe politique est déjà construite. Il faut améliorer son fonctionnement, certes, mais l'Europe politique sans l'Europe sociale et fiscale, cela ne veut rien dire ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Je voterai contre ce texte, pour deux raisons.
La première, je l'emprunte à un fin connaisseur du traité, M. Valéry Giscard d'Estaing, qui soulignait, dans un article paru au mois d'octobre dans le journal Le Monde : « Le texte des articles du traité constitutionnel est donc à peu près inchangé, mais il se trouve dispersé en amendements aux traités antérieurs, eux-mêmes réaménagés. On est évidemment loin de la simplification. Il suffit de consulter les tables des matières des trois traités pour le mesurer ! Quel est l'intérêt de cette subtile manoeuvre ? D'abord et avant tout d'échapper à la contrainte du recours au référendum, grâce à la dispersion des articles, et au renoncement au vocabulaire constitutionnel. »
Mes chers collègues, vous me permettrez de ne pas me prêter à cette « subtile manoeuvre », même si d'autres n'hésitent pas à le faire.
La deuxième raison qui me conduit à voter contre ce texte, c'est qu'aucun des motifs qui m'avaient poussé à rejeter le précédent projet de traité n'a disparu, au contraire : avec ce nouveau texte, la BCE peut continuer à imposer le carcan de la déflation aux économies européennes, à mener sa politique de l'euro fort et à se désintéresser de tout ce qui pourrait ressembler à une politique économique et fiscale commune de plein-emploi. Quant à l'Europe sociale, l'expression n'a toujours pas de traduction en bruxellois.
Certes, je le répète, la mention de la concurrence libre et non faussée a été retirée du texte ; toutefois, elle a été réintroduite dans un protocole annexe.
Le traité de Lisbonne, nous affirme-on, représenterait un progrès de la construction européenne. J'estime pour ma part qu'il s'agit d'un progrès sur une voie sans issue, et non sur la grande route de la construction d'une nation européenne capable d'assumer démocratiquement son destin ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et sur les travées du groupe CRC.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique constituant l'ensemble du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 85 :
Nombre de votants | 320 |
Nombre de suffrages exprimés | 307 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 154 |
Pour l'adoption | 265 |
Contre | 42 |
Le Sénat a adopté définitivement le projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
La parole est à M. le président de la commission.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, au moment où s'achève ce débat, vous me permettrez tout d'abord de remercier notre rapporteur, M. Jean François-Poncet, auquel j'adresse un salut tout particulier, car il est, avec M. Maurice Faure., l'un des deux négociateurs français du traité de Rome encore en vie.
M. Michel Charasse. Exact !
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Je suis certain qu'il s'agit pour lui d'une date importante : cet Européen convaincu se désolait, je le sais, de la panne qu'a connue l'Europe, et il est heureux de la voir redémarrer aujourd'hui.
Notre débat a été digne du Sénat. Chacun a pu s'exprimer et l'a fait avec ardeur. Les orateurs ont exposé leurs convictions et nous les avons écoutés avec beaucoup d'intérêt. Bien entendu, deux camps se sont opposés : ceux qui estiment que ce traité n'est pas une constitution et ceux qui pensent le contraire.
Nous avons d'ailleurs observé, et c'est ce qui fait l'originalité du Sénat, mais aussi son charme (Sourires.), certaines convergences entre le jacobin Jean-Luc Mélenchon et le vendéen Bruno Retailleau dans leur refus de ce traité ; la démocratie autorise de tels rapprochements !
À ceux qui considèrent que le débat n'a pas eu lieu nous avons apporté un démenti, me semble-t-il, et nous sommes même allés au fond des choses. Et à ceux qui estiment que nous avons frustré le peuple français en ne le consultant pas, j'ai le regret de dire que celui-ci a été consulté en 2007.
L'actuel Président de la République a clairement présenté le problème de la ratification future du traité européen. Il s'est engagé sur un traité européen refondu et il a obtenu la majorité des suffrages, ...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous vous répétez !
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. ... qui se sont ainsi ralliés, par la force des choses, à la ligne qu'il avait définie.
On ne peut donc pas prétendre que les engagements pris par le Président de la République vis-à-vis du peuple n'ont pas été tenus. Le débat démocratique a eu lieu et, par ailleurs, notre Constitution permet la ratification des traités par la voie parlementaire ou par la voie référendaire.
M. Dominique Braye. Bien sûr !
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. C'est la voie parlementaire qui a été librement choisie. La République a été respectée.
C'est un jour important pour l'Europe, en même temps qu'un nouveau départ, et je m'en félicite. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, je voulais m'associer aux remerciements de M. le président de la commission des affaires étrangères et vous exprimer à tous ma gratitude pour ce débat.
Monsieur le président de la commission, je vous remercie de vos interventions et me félicite de la collaboration qui a été la nôtre. Monsieur le rapporteur, je salue la technicité de vos propos ainsi que le rôle éminent que vous avez joué dans la construction européenne. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous sais gré à tous de vos contributions, souvent empreintes d'émotion, notamment lorsque M. Mauroy a rappelé les différentes étapes de la construction européenne. Je vous remercie de ces débats de qualité.
Comme vous l'avez souligné, monsieur le président de la commission, la démocratie et les principes républicains ont été pleinement respectés.
Le vote d'aujourd'hui est extrêmement important et marque une étape historique, me semble-t-il. Le monde veut une Europe qui soit confiante et sûre d'elle.
L'Europe attendait de la France un signal. Vous le lui avez adressé à une très large majorité, mesdames, messieurs les sénateurs. Je ne puis que vous en féliciter et m'en réjouir pour notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
10
Transmission de projets de loi
M. le président. J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification du traité de Lisbonne modifiant le traité sur l'Union européenne, le traité instituant la Communauté européenne et certains actes connexes.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 200, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation du règlement de la Commission intergouvernementale concernant la sécurité de la liaison fixe trans-Manche.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 202, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de la convention de partenariat pour la coopération culturelle et le développement entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 203, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification de la convention relative à l'adhésion des nouveaux États membres de l'Union européenne à la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980, ainsi qu'aux premier et deuxième protocoles concernant son interprétation par la Cour de justice des Communautés européennes.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 204, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire relatif à la coopération dans le domaine de l'étude et de l'utilisation de l'espace extra-atmosphérique à des fins pacifiques.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 205, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'Australie relatif à la coopération en matière d'application de la législation relative à la pêche dans les zones maritimes adjacentes aux Terres australes et antarctiques françaises, à l'île Heard et aux îles Mac Donald.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 206, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
11
Texte soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de décision du Conseil sur la position à adopter par la Communauté en ce qui concerne la proposition visant à modifier la convention douanière relative au transport international de marchandises sous le couvert de carnets TIR (convention TIR 1975).
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3778 et distribué.
12
Dépôt d'un rapport
M. le président. J'ai reçu de M. Jean François-Poncet un rapport fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification du traité de Lisbonne modifiant le traité sur l'Union européenne, le traité instituant la Communauté européenne et certains actes connexes (n° 200, 2007-2008).
Le rapport sera imprimé sous le n° 201 et distribué.
13
Dépôt d'un rapport d'information
M. le président. J'ai reçu de M. Jean Bizet un rapport d'information fait au nom de la délégation pour l'Union européenne sur la transposition de la « directive services ».
Le rapport d'information sera imprimé sous le n° 199 et distribué.
14
ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui, vendredi 8 février 2008, à onze heures quinze et à quinze heures :
- Suite de la discussion du projet de loi (n° 149, 2007-2008) relatif aux organismes génétiquement modifiés (urgence déclarée).
Rapport (n° 181, 2007-2008) de M. Jean Bizet, fait au nom de la commission des affaires économiques.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée le vendredi 8 février 2008, à deux heures quinze.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD