M. le président. Mes chers collègues, permettez-moi de saluer notre nouveau collègue M. François Pillet, qui succède à Serge Vinçon et, pour la première fois, siège dans notre Haute Assemblée.
Je lui adresse nos voeux de cordiale bienvenue en souhaitant qu'il trouve pleine satisfaction dans l'exercice de ses nouvelles responsabilités. (Applaudissements.)
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, M. Badinter ayant tout dit, je vais peut-être reprendre, avec moins de talent, certains de ses propos.
De toute façon, il est toujours utile de dire ce que nous pensons, car, hélas, nous n'en avons pas fini avec les débats sur la dérive de notre système pénal.
La commission mixte paritaire a entériné le projet de loi. Notre rapporteur avait fait beaucoup d'efforts, ayant écouté, et entendu, de nombreuses personnes. Néanmoins, comme nous l'avons constaté en travaillant sur ce texte, la majorité des sénateurs de la majorité n'entend pas ou ne veut pas entendre, ou est sur une autre planète.
Ainsi, le texte - à quelques modifications près, essentiellement formelles - reste ce qu'il était ; pour la première fois, le Parlement s'apprête à voter une loi qui prévoit qu'une personne qui a été condamnée, qui a purgé sa peine, sera placée de nouveau en détention et pour une durée indéfiniment renouvelable.
Ce projet de loi est intervenu à la suite d'un fait divers, comme d'ailleurs les précédents, notamment ceux qui, justement destinés à lutter contre la récidive, ont été votés en 2005 et tout récemment en juillet 2007 sur les peines plancher.
Cette logique est sans fin. De fait divers en fait divers, évidemment, nous pouvons aller très loin. Est-ce une façon d'exorciser les démons de notre société ? Peut-être...Je ne sais pas.
Qui plus est, il est toujours des plus zélés que nous, ou que d'autres. Le champ du projet de loi a été considérablement élargi par rapport au texte initial, ce qui n'a fait l'objet d'aucune contestation de notre commission des lois. Donc les plus zélés sont écoutés.
La prochaine étape sera-t-elle de mettre en rétention de sûreté des personnes condamnées pour participation à des faits de terrorisme ou des criminels en bande organisée ? Ou bien encore consistera-t-elle, à la suite d'un fait divers n'entrant pas dans le champ d'application de la loi, comme l'a dit M. Badinter, à abaisser le seuil de la peine parce que la société, évidemment, craindra toujours que, quelle que soit la durée de la peine initiale, les personnes récidivent ? Si l'on considère que cette crainte n'est pas supportable, il faudra effectivement mettre en relégation de plus en plus de gens.
La France est, parmi les pays européens, celui qui a déjà les peines les plus longues en matière d'infractions sexuelles. Il faudrait donc s'interroger sur le rapport entre notre façon de traiter les crimes et les infractions de ce type et la récidive. Malgré cela, notre échelle des peines est constamment durcie.
Les lois s'empilent sans former de cadre cohérent. Pourtant, des outils législatifs destinés à lutter contre la récidive existent, nous l'avons dit, mais il faut y insister. Compte tenu de leur adoption récente pour certains, nous comprenons qu'il soit difficile de faire un bilan, une évaluation, mais le problème est que le Gouvernement - sans s'embarrasser de bilan ou d'évaluation - nous demande de légiférer de nouveau.
Comment, au regard des mesures qui ont été prises depuis quelques années, et même précédemment, ne pas opposer le fait que, par exemple, le suivi socio-judiciaire n'a pas les moyens d'être appliqué, que les aménagements de peines sont de plus en plus limités ? Or, dans la faible proportion où ces dispositifs sont utilisés, ils ont prouvé leur efficacité en matière de prévention de la récidive. Il y a donc une absurdité dans cette logique, qui est évidemment très regrettable, du point de vue, en tout cas, du législateur.
Avec la rétention de sûreté, il est question non plus de responsabilité pénale et de punition pour une infraction commise mais de dangerosité et de relégation, c'est très clair. Comme l'a dit, à titre personnel, le président du Comité consultatif national d'éthique, c'est un substitut à la peine de mort, que, dans notre pays, nous ne pouvons plus rétablir, malgré les demandes répétées d'un certain nombre de parlementaires depuis qu'elle a été abolie. Finalement, une minorité de parlementaires va devenir majorité pour substituer à la peine de mort la relégation à vie.
Ce texte est donc véritablement inquiétant parce qu'il rompt le lien fondamental entre le fait punissable et la peine qui sanctionne son auteur et prévoit l'exclusion définitive de la société d'une personne sur la seule base d'expertises.
La justice est confiée non plus aux tribunaux mais à des experts, desquels dépendra l'enfermement en centre de rétention de sûreté d'une personne considérée comme dangereuse.
On demande à des psychiatres de prédire si une personne commettra de nouveau un crime. L'énoncé de cette hypothèse devrait suffire à en illustrer le non-sens. On confond diagnostic et pronostic, alors que chacun sait que les psychiatres ont du mal à expertiser les troubles de la personnalité.
Même la notion de dangerosité ne fait pas l'objet d'une définition communément admise. Pourtant, toute l'architecture de ce texte repose sur les notions de dangerosité et de probabilité. La conséquence sera sans doute qu'aucun expert ne prendra la responsabilité de déclarer qu'une personne n'est pas dangereuse.
Le projet de loi est révélateur de l'incapacité dans laquelle se trouve le Gouvernement quand il est question de prise en charge des détenus.
Le Gouvernement propose le placement en rétention de sûreté après la peine. Mais attendre quinze ou vingt ans avant de prendre en charge une personne de surcroît considérée comme dangereuse est une absurdité.
D'une part, c'est reconnaître que la détention est inadaptée, et cela nous renvoie à la loi pénitentiaire qui aurait dû précéder, comme cela a été dit et répété, toute nouvelle loi pénale. Il est donc très regrettable qu'une réflexion ne soit pas envisagée sur les finalités de l'emprisonnement et sur les dispositifs d'insertion et de probation, dans le cadre d'une nouvelle loi pénitentiaire.
D'autre part, si les centres de rétention de sûreté sont, d'après vous, tout à fait appropriés pour les personnes présentant des troubles profonds de la personnalité - j'ai bien entendu M. Hugues Portelli nous vanter les mérites de ces futurs centres qui vont prendre en charge médicalement, psychiatriquement, socialement, les personnes en question - pourquoi ne pas prévoir le placement dans ces centres des personnes immédiatement après leur condamnation et pour la durée de leur peine ? Il y a là un hiatus qui n'est absolument pas compréhensible. J'ai déjà posé cette question, mais, dans la mesure où aucune réponse n'y est apportée, il faut bien la répéter ; ce sera pour des débats futurs.
Si, par la suite, dans le cas où elle aurait été immédiatement placée dans un centre de ce type, la personne condamnée s'avérait toujours potentiellement dangereuse et incapable de contrôler ses pulsions, il faudrait prononcer une mesure d'hospitalisation d'office en psychiatrie.
Le placement d'office permet de rester dans le cadre d'une mesure exceptionnelle et administrative, que la société peut toujours prendre. La rétention de sûreté, quoique vous en disiez les uns et les autres, n'est déjà plus une mesure exceptionnelle tant le nombre de personnes auxquelles elle est susceptible de s'appliquer s'est élargi depuis le moment où le Parlement a commencé à débattre de ce projet de loi.
Dans ce contexte, la proposition du rapporteur prévoyant une évaluation d'une durée de six semaines de la personne, dans l'année qui suit sa condamnation définitive, est une mesure positive, mais incohérente avec la philosophie de ce projet de loi.
Pourquoi les pays qui ont mis en place une rétention de sûreté, dans des conditions totalement différentes de la nôtre, parviennent-ils à des résultats positifs ?
D'abord, parce que celle-ci intervient le plus souvent en substitution de la peine. Parfois, c'est même une peine avec sursis qui est prononcée, comme en Belgique, par exemple.
Ensuite, parce que les évaluations interviennent très tôt dans la procédure pénale mise en oeuvre, pendant l'instruction puis après la condamnation, afin que le parcours d'exécution de la peine soit le plus individualisé possible pour obtenir les meilleurs résultats.
Enfin - et cette question est inhérente aux deux constats que je viens de faire -, parce que ces pays ont dégagé des moyens considérables en faveur de la prise en charge de ces personnes dites dangereuses. Aux Pays-Bas, l'observation prévue d'une personne dans le centre Pieter Baan coûte mille euros pas jour ! Ces pays n'ont pas hésité à mettre en oeuvre toute une série de mesures psychiatriques, psychologiques, sociales, éducatives. Ils ont donné le temps - les évaluations durent plusieurs semaines - à tous ces professionnels de travailler dans la sérénité.
Telle n'est pas l'optique adoptée par ce projet de loi ! La réflexion qui l'inspire s'inscrit dans le court terme : elle fait le choix de la facilité et de l'affichage. Malheureusement, sur le long terme, nous pouvons constater à quel point l'emprisonnement de longue durée conduit à la dégradation des conditions de détention et à l'apparition, chez certains détenus, de troubles psychiques ! Cette logique est donc totalement contreproductive.
Ce constat s'applique aussi aux personnes déclarées irresponsables pénalement. Le nombre d'accusés jugés « irresponsables au moment des faits » a considérablement diminué par rapport aux années quatre-vingt. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant de constater que, dans nos prisons, 30 % environ des détenus souffriraient de troubles mentaux.
Ce qui pose problème, ce n'est donc pas tant l'application de l'article 122-1 du code pénal que la médiatisation des faits divers dans lesquels sont impliquées des personnes irresponsables pénalement. Vous instrumentalisez la souffrance des victimes afin de revenir sur le principe de la responsabilité pénale, en ne dispensant plus les malades mentaux d'un jugement devant une juridiction pénale.
De plus, il me semble difficile d'imaginer qu'une personne, dont on a reconnu qu'elle souffrait de troubles mentaux, sera en état psychique de respecter les obligations ordonnées par le juge. Par ailleurs, comment lui appliquer des sanctions pénales en cas de non-respect de ses obligations alors qu'elle a été déclarée irresponsable pénalement ? Nous vous avons déjà dit tout cela, mais vous ne voulez pas l'entendre !
Je terminerai mon intervention en évoquant la rétroactivité de l'article 1er du projet de loi, que le Gouvernement et la majorité souhaitent imposer coûte que coûte. Quels que soient les arguments utilisés, vous n'arrivez pas à nous convaincre et j'espère que vous n'arriverez pas à convaincre le Conseil constitutionnel. Celui-ci ne s'honorerait pas en acceptant que le principe de non-rétroactivité de la loi pénale soit bafoué, par exemple sous le motif fallacieux que la rétention de sûreté ne serait pas une peine, ce qui paraît impensable ! Si l'on écarte aujourd'hui le principe de non-rétroactivité, notre démocratie s'effacera devant le fait du prince, je suis désolé de vous le dire, madame la ministre.
Dans ces conditions, vous comprendrez que nous voterons résolument contre ce projet de loi qui, malheureusement, nous a été infligé selon la procédure d'urgence, comme les précédents ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes de ceux qui admettent qu'il existe des « individus dangereux »...
M. Pierre Fauchon. ..., au sens du projet de loi, bien entendu, et que ces individus doivent être mis « hors d'état de nuire », de nuire aux autres mais aussi de se nuire à eux-mêmes, ce qui, selon moi, a été constamment oublié dans nos débats. (Protestations sur les travées du groupe CRC.) Mais si !
Ces individus ne peuvent être mis en liberté après l'exécution de la longue peine à laquelle ils ont été condamnés et il nous faut organiser pour eux une « rétention », qui est une mesure de sureté et non une peine, les conditions de vie quotidienne devant confirmer cette distinction fondamentale ; c'est un point essentiel que nous tenons à souligner. Moi qui n'aime pas dramatiser, par nature et par construction, je me permets de dire qu'il y va de l'honneur du Gouvernement ! En effet, si on devait s'apercevoir, au terme de quelques années, que la vie quotidienne de ces personnes, dans la réalité, est restée celle de détenus, alors nous aurions eu tort et nous serions un peu... embarrassés d'avoir soutenu ce projet de loi. Il ne faut pas que cela arrive !
Me tournant vers le côté gauche de l'hémicycle, je dis à mes amis qu'il faut une sérieuse dose d'aveuglement, d'angélisme et, disons-le, de passion d'avocat pour sous-estimer ces réalités et nous faire croire que l'homme dangereux n'est qu'un mythe, qu'il n'existe qu'un seul type d'homme, le fameux homme des Lumières, doué de raison et de conscience, qui peut commettre des fautes mais qui ne manquera pas de s'amender après avoir exécuté sa punition, autant dire le « bon sauvage » de Jean-Jacques ! ... Comme s'il n'y avait pas aussi quelques « mauvais sauvages », quelques irresponsables, que je ne me risquerai pas à condamner moralement, car je les tiens non pas pour responsables, mais pour premières victimes de leur propre mal !
Au demeurant, je suis de ceux qui pensent qu'il serait plus prudent de ne pas mêler la morale au droit pénal et de se fonder davantage sur des considérations objectives de sécurité que sur des concepts de culpabilité qui relèvent d'un autre ordre, supérieur sans doute, mais que les institutions humaines sont malhabiles à apprécier. Ne dit-on pas que la justice n'est pas de ce monde ? Mais c'est une restriction qui dépasse notre sujet, je le reconnais bien volontiers.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Si la justice n'est pas de ce monde, allons dans l'au-delà !
M. Pierre Fauchon. Je suis surtout de ceux qui croient que la paix et la sécurité - aussi banal que cela paraisse, il faut sans cesse le rappeler - sont les premières raisons d'être de la société et donc son premier devoir, que nous ne devons pas oublier que la criminalité fait des victimes, et pas seulement des « faits divers », et que la souffrance des victimes vaut bien la souffrance des coupables, à tout le moins !
Il est assez significatif, à cet égard, que certains articles publiés sous des signatures qui font autorité - non sans raison - n'accordent aucune attention aux victimes et que ce terme même n'y figure même pas, ce qui montre assez le caractère unilatéral de ces plaidoyers, qui contiennent par ailleurs bien des observations justifiées ; j'en ai enregistré un certain nombre tout à l'heure, en les approuvant.
Nous voterons donc ce projet de loi auquel de récents et terribles drames ont conféré les caractères d'actualité et de nécessité que nous savons ; je refuse de qualifier ces drames de « faits divers » !
À titre personnel, je confirme cependant mon regret de voir ce texte non pas complété, mais alourdi, encombré par l'alinéa 4 de l'article 1er et l'ensemble de l'article 12, qui en est la conséquence.
Dan cet alinéa litigieux, après avoir clairement posé le principe de la rétention de sureté, on croit devoir ajouter que « la rétention de sûreté ne peut toutefois être prononcée qui si la cour d'assises a expressément prévu dans sa décision de condamnation que la personne pourra » - dans le texte originel, ce verbe était au conditionnel ; on a cru plus sage de passer au futur de l'indicatif, mais que signifie ce changement ? Il ne nous avance pas plus ! - « faire l'objet à la fin de sa peine d'un réexamen de sa situation en vue d'une éventuelle rétention de sûreté. »
Sans revenir sur une démonstration détaillée - elle risquerait de fatiguer mon auditoire - rappelons que c'est cette exigence qui semble encourager certains à considérer que ce texte n'est pas à l'abri d'une critique de rétroactivité ; Mme Nicole Borvo Cohen-Seat l'a encore rappelé à l'instant.
Je continue à penser que cette critique est totalement infondée et je maintiens - cela figurera dans le compte rendu de nos débats - que la cause de la décision de rétention réside dans le fait que les personnes concernées présentent un état de particulière dangerosité, constatée hic et nunc par une commission pluridisciplinaire. Cette commission se réunit non pas pour se prononcer sur des faits antérieurs, mais pour apprécier la situation présente de ces personnes. Ce n'est pas un fait, mais un état qui justifie la mise en rétention !
Encore une fois, la cause de la rétention est la constatation de cet état dangereux même si, bien sûr, s'y ajoute l'exigence d'une condamnation initiale prévoyant un tel examen. Mais il s'agit d'une condition préalable et non pas de la cause de la mise en rétention. La décision de mise en rétention résultant de l'appréciation portée par la commission, cette décision sera nécessairement postérieure au vote de la loi.
D'ailleurs, tout ceux qui ont évoqué la rétroactivité ont agité un épouvantail, mais sans démontrer qu'elle était clairement établie. On se contente de laisser planer la menace !
Les choses iraient encore mieux si l'on supprimait cet alinéa 4 et, par voie de conséquence, l'article 12 qui s'efforce laborieusement - mais avec un talent remarquable - de surmonter la difficulté au prix d'une rédaction dont le byzantinisme - Byzance n'est pas sans charme ! - l'emporte à l'évidence sur la clarté et la sobriété latines auxquelles j'ai la faiblesse de rester attaché. Sans doute suis-je de la vieille école !
On a bien voulu m'indiquer que la présence de cet alinéa s'expliquait par le souci de tenir compte des dispositions de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme qui stipule : « nul ne peut être privé de sa liberté », sauf dans un certain nombre de cas énumérés par ce texte, le premier correspondant à l'hypothèse de « la condamnation par un tribunal compétent ».
Puis-je faire observer que la rédaction même de cet alinéa la prive de toute portée et donc de véritable signification, puisque le fait de prévoir - même expressément - qu'un événement « pourra » se produire - si vous sortez dans la rue, vous « pourrez être écrasé », mais vous ne le serez peut-être pas ! - est totalement inopérant et relève de l'ornement mais non de la norme. Autant je suis amateur du baroque dans les beaux-arts, autant j'estime qu'il vaut mieux l'éviter en matière de législation !
Dès lors, une telle disposition ne saurait jouer un rôle dans l'appréciation de la rétroactivité. En outre, une lecture plus attentive du texte de la convention permet de soulever deux objections.
Premièrement, la « condamnation » mentionnée par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme pourrait aussi bien être la décision de la « juridiction » - car, grâce à notre rapporteur, la décision de mise en rétention est bien une décision juridictionnelle et, donc, une « condamnation ».
Sans doute, cette décision ne sera-t-elle pas une condamnation au sens pénal le plus courant du terme, auquel nous sommes habitués, mais il suffit de se référer à un dictionnaire pour constater que le terme de « condamnation » peut avoir une signification beaucoup plus générale. Toute décision imposant le respect d'une obligation peut constituer une condamnation, même si elle n'intervient pas en matière pénale. Vous trouverez cette acception dans divers dictionnaires, y compris ceux qui sont spécialisés en droit !
Deuxièmement et, me semble-t-il, plus justement encore, l'une des justifications de la privation de liberté prévue expressément par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, cette fois sans aucun préalable de condamnation, est le cas d'aliénation. L'aliénation est un terme qui ne recouvre pas un état très précisément et scientifiquement défini même si, dans le langage courant, un aliéné est un fou, au sens sommaire - celui du xixe siècle - du terme. La psychiatrie a fait des progrès depuis cette époque ! La Cour européenne des droits de l'homme a déjà eu l'occasion de relever, dans sa jurisprudence, que le sens du terme « aliéné » ne cessait d'évoluer avec les progrès de la recherche psychiatrique. Or, la convention, dans l'hypothèse de l'aliénation, n'exige pas de condamnation préalable.
Ces considérations me renforcent dans la conviction que cet alinéa 4 de l'article 1er, comme l'ensemble de l'article 12, dont j'ai déjà fait l'éloge tout à l'heure, sont une surcharge fâcheuse dans ce texte. La poursuite du débat aurait pu nous permettre d'en faire l'économie, évitant ainsi de prêter le flanc à la critique de rétroactivité, si mal justifiée soit-elle.
Cela dit, j'espère me tromper, madame la ministre, mais je n'en suis pas sûr... Quoi qu'il en soit, je m'en tiendrai à l'absence de signification de cet alinéa 4, qui ne pourra donc servir de support à aucun recours sérieux.
Ces réserves que j'ai cru devoir formuler à nouveau ne m'empêcheront pas, non plus que la plupart de mes amis excellemment représentés ici, de voter un projet de loi dont nous croyons, pour l'essentiel, qu'il est suffisamment justifié par des réalités que nul ne peut ignorer et qui ne se résument pas à de simples « faits divers » ! (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je rappelle que, en application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, lorsqu'il examine après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, le Sénat se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte.
Je donne lecture du texte adopté par la commission mixte paritaire.
TITRE IER
DISPOSITIONS MODIFIANT LE CODE DE PROCÉDURE PÉNALE
CHAPITRE IER
DISPOSITIONS RELATIVES À LA RÉTENTION DE SÛRETÉ ET À LA SURVEILLANCE DE SÛRETÉ
Article 1er
I. -- Après l'article 706-53-12 du code de procédure pénale, il est inséré un chapitre III ainsi rédigé :
« CHAPITRE III
« De la rétention de sûreté et de la surveillance de sûreté
« Art. 706-53-13. -- À titre exceptionnel, les personnes dont il est établi, à l'issue d'un réexamen de leur situation intervenant à la fin de l'exécution de leur peine, qu'elles présentent une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu'elles souffrent d'un trouble grave de la personnalité, peuvent faire l'objet à l'issue de cette peine d'une rétention de sûreté selon les modalités prévues par le présent chapitre, à la condition qu'elles aient été condamnées à une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans pour les crimes, commis sur une victime mineure, d'assassinat ou de meurtre, de torture ou actes de barbarie, de viol, d'enlèvement ou de séquestration.
« Il en est de même pour les crimes, commis sur une victime majeure, d'assassinat ou de meurtre aggravé, de torture ou actes de barbarie aggravés, de viol aggravé, d'enlèvement ou de séquestration aggravé, prévus par les articles 221-2, 221-3, 221-4, 222-2, 222-3, 222-4, 222-5, 222-6, 222-24, 222-25, 222-26, 224-2, 224-3 et 224-5-2 du code pénal.
« La rétention de sûreté ne peut toutefois être prononcée que si la cour d'assises a expressément prévu dans sa décision de condamnation que la personne pourra faire l'objet à la fin de sa peine d'un réexamen de sa situation en vue d'une éventuelle rétention de sûreté.
« La rétention de sûreté consiste dans le placement de la personne intéressée en centre socio-médico-judiciaire de sûreté dans lequel lui est proposée, de façon permanente, une prise en charge médicale, sociale et psychologique destinée à permettre la fin de cette mesure.
« Art. 706-53-14. -- La situation des personnes mentionnées à l'article 706-53-13 est examinée, au moins un an avant la date prévue pour leur libération, par la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté prévue par l'article 763-10, afin d'évaluer leur dangerosité.
« À cette fin, la commission demande le placement de la personne, pour une durée d'au moins six semaines, dans un service spécialisé chargé de l'observation des personnes détenues aux fins d'une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité assortie d'une expertise médicale réalisée par deux experts.
« Si la commission conclut à la particulière dangerosité du condamné, elle peut proposer, par un avis motivé, que celui-ci fasse l'objet d'une rétention de sûreté dans le cas où :
« 1° Les obligations résultant de l'inscription dans le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes, ainsi que les obligations résultant d'une injonction de soins ou d'un placement sous surveillance électronique mobile, susceptibles d'être prononcés dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire ou d'une surveillance judiciaire, apparaissent insuffisantes pour prévenir la commission des crimes mentionnés à l'article 706-53-13 ;
« 2° Et si cette rétention constitue ainsi l'unique moyen de prévenir la commission, dont la probabilité est très élevée, de ces infractions.
« Si la commission estime que les conditions de la rétention de sûreté ne sont pas remplies mais que le condamné paraît néanmoins dangereux, elle renvoie le dossier au juge de l'application des peines pour qu'il apprécie l'éventualité d'un placement sous surveillance judiciaire.
« Art. 706-53-15. -- La décision de rétention de sûreté est prise par la juridiction régionale de la rétention de sûreté territorialement compétente. Cette juridiction est composée d'un président de chambre et de deux conseillers de la cour d'appel, désignés par le premier président de cette cour pour une durée de trois ans.
« Cette juridiction est saisie à cette fin par le procureur général, sur proposition de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté prévue par l'article 763-10, au moins trois mois avant la date prévue pour la libération du condamné. Elle statue après un débat contradictoire et, si le condamné le demande, public, au cours duquel le condamné est assisté par un avocat choisi ou commis d'office. La contre-expertise sollicitée par le condamné est de droit.
« La décision de rétention de sûreté doit être spécialement motivée au regard des dispositions de l'article 706-53-14.
« Cette décision est exécutoire immédiatement à l'issue de la peine du condamné.
« Elle peut faire l'objet d'un recours devant la Juridiction nationale de la rétention de sûreté, composée de trois conseillers à la Cour de cassation désignés pour une durée de trois ans par le premier président de cette cour.
« La juridiction nationale statue par une décision motivée, susceptible d'un pourvoi en cassation.
« Art. 706-53-16. -- La décision de rétention de sûreté est valable pour une durée d'un an.
« La rétention de sûreté peut être renouvelée, après avis favorable de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, selon les modalités prévues par l'article 706-53-15 et pour la même durée, dès lors que les conditions prévues par l'article 706-53-14 sont toujours remplies.
« Art. 706-53-17. -- Supprimé
« Art. 706-53-18. -- Après un délai de trois mois à compter de la décision définitive de rétention de sûreté, la personne placée en rétention de sûreté peut demander à la juridiction régionale de la rétention de sûreté qu'il soit mis fin à cette mesure. Il est mis fin d'office à la rétention si cette juridiction n'a pas statué dans un délai de trois mois à compter de la réception de la demande. En cas de rejet de la demande, aucune autre demande ne peut être déposée avant l'expiration d'un délai de trois mois.
« La décision de cette juridiction peut faire l'objet des recours prévus à l'article 706-53-15.
« Art. 706-53-19. -- La juridiction régionale de la rétention de sûreté ordonne d'office qu'il soit immédiatement mis fin à la rétention de sûreté dès lors que les conditions prévues par l'article 706-53-14 ne sont plus remplies.
« Art. 706-53-20. -- Si la rétention de sûreté n'est pas prolongée ou s'il y est mis fin en application des articles 706-53-18 ou 706-53-19 et si la personne présente des risques de commettre les infractions mentionnées à l'article 706-53-13, la juridiction régionale de la rétention de sûreté peut, par la même décision et après débat contradictoire au cours duquel la personne est assistée par un avocat choisi ou commis d'office, placer celle-ci sous surveillance de sûreté pendant une durée d'un an. La surveillance de sûreté comprend des obligations identiques à celles prévues dans le cadre de la surveillance judiciaire mentionnée à l'article 723-30, et en particulier une injonction de soins prévue par les articles L. 3711-1 à L. 3711-5 du code de la santé publique, et le placement sous surveillance électronique mobile dans les conditions prévues par les articles 763-12 et 763-13 du présent code. Le placement sous surveillance de sûreté peut faire l'objet des recours prévus à l'article 706-53-15 du même code.
« À l'issue de ce délai, la surveillance de sûreté peut être renouvelée dans les mêmes conditions et pour la même durée.
« Si la méconnaissance par la personne des obligations qui lui sont imposées fait apparaître que celle-ci présente à nouveau une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de commettre à nouveau l'une des infractions mentionnées à l'article 706-53-13, le président de la juridiction régionale peut ordonner en urgence son placement provisoire dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté. Ce placement doit être confirmé dans un délai maximal de trois mois par la juridiction régionale statuant conformément à l'article 706-53-15, après avis favorable de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, à défaut de quoi il est mis fin d'office à la rétention. La décision de confirmation peut faire l'objet des recours prévus par l'article 706-53-15.
« Art. 706-53-21. -- Les dispositions du présent chapitre ne sont pas applicables à la personne qui bénéficie d'une libération conditionnelle, sauf si cette mesure a fait l'objet d'une révocation.
« Lorsque la rétention de sûreté est ordonnée à l'égard d'une personne ayant été condamnée à un suivi socio-judiciaire, celui-ci s'applique, pour la durée fixée par la décision de condamnation, à compter du jour où la rétention prend fin.
« Art. 706-53-22. -- Un décret en Conseil d'État précise les conditions et les modalités d'application du présent chapitre.
« Ce décret précise les conditions dans lesquelles s'exercent les droits des personnes retenues dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté, y compris en matière d'emploi, d'éducation et de formation, de visites, de correspondances, d'exercice du culte et de permissions de sortie sous escorte ou sous surveillance électronique mobile. Il ne peut apporter à l'exercice de ces droits que les restrictions strictement nécessaires aux exigences de l'ordre public.
« La liste des cours d'appel dans lesquelles siègent les juridictions régionales prévues au premier alinéa de l'article 706-53-15 et le ressort de leur compétence territoriale sont fixés par arrêté du garde des sceaux. »
I bis. -- L'article 362 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Dans les cas prévus par l'article 706-53-13, elle délibère aussi pour déterminer s'il y a lieu de se prononcer sur le réexamen de la situation du condamné avant l'exécution de la totalité de sa peine en vue d'une éventuelle rétention de sûreté conformément à l'article 706-53-14. »
I ter. -- Avant l'article 717-1 du même code, il est inséré un article 717-1 A ainsi rédigé :
« Art. 717-1 A. -- Dans l'année qui suit sa condamnation définitive, la personne condamnée à une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans pour l'une des infractions visées à l'article 706-53-13 est placée pour une durée d'au moins six semaines dans un service spécialisé permettant de déterminer les modalités de la prise en charge sociale et sanitaire au cours de l'exécution de sa peine. Au vu de cette évaluation, le juge de l'application des peines définit un parcours d'exécution de la peine individualisé. Si la personne souffre de troubles psychiatriques, sur indication médicale, elle fait l'objet d'une prise en charge adaptée à ses besoins, le cas échéant en hospitalisation. »
I quater. -- L'article 712-22 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Ce décret précise les conditions dans lesquelles l'expertise prévue par l'article 712-21 peut ne pas être ordonnée, avec l'accord du procureur de la République, soit en raison de l'existence dans le dossier du condamné d'une précédente expertise, soit, pour les personnes condamnées pour des infractions dont il fixe la liste, en cas de permission de sortir ou en raison de la personnalité de l'intéressé. »
II. -- L'article 717-1 du même code est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Deux ans avant la date prévue pour la libération d'un condamné susceptible de relever des dispositions de l'article 706-53-13, celui-ci est convoqué par le juge de l'application des peines auprès duquel il justifie des suites données au suivi médical et psychologique adapté qui a pu lui être proposé en application des deuxième et troisième alinéas du présent article. Au vu de ce bilan, le juge de l'application des peines lui propose, le cas échéant, de suivre un traitement dans un établissement pénitentiaire spécialisé.
« Les agents et collaborateurs du service public pénitentiaire transmettent aux personnels de santé chargés de dispenser des soins aux détenus les informations utiles à la mise en oeuvre des mesures de protection des personnes. »
III. -- L'article 723-37 du même code devient l'article 723-39 et, après l'article 723-36 du même code, il est rétabli un article 723-37 et inséré un article 723-38 ainsi rédigés :
« Art. 723-37. -- Lorsque le placement sous surveillance judiciaire a été prononcé à l'encontre d'une personne condamnée à une réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans pour l'une des infractions visées à l'article 706-53-13, la juridiction régionale mentionnée à l'article 706-53-15 peut, selon les modalités prévues par cet article, décider de prolonger tout ou partie des obligations auxquelles est astreinte la personne, au-delà de la limite prévue à l'article 723-29, en la plaçant sous surveillance de sûreté pour une durée d'un an.
« La juridiction régionale de la rétention de sûreté est saisie par le juge de l'application des peines ou le procureur de la République six mois avant la fin de la mesure.
« Le placement sous surveillance de sûreté ne peut être ordonné, après expertise médicale constatant la persistance de la dangerosité, que dans le cas où :
« 1° Les obligations résultant de l'inscription dans le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes apparaissent insuffisantes pour prévenir la commission des crimes mentionnés à l'article 706-53-13 ;
« 2° Et si cette mesure constitue l'unique moyen de prévenir la commission, dont la probabilité est très élevée, de ces infractions.
« La surveillance de sûreté peut être prolongée selon les mêmes modalités et pour la même durée si les conditions prévues par le présent article demeurent remplies.
« Les dispositions du dernier alinéa de l'article 706-53-20 sont applicables.
« Art. 723-38. -- Lorsque le placement sous surveillance électronique mobile a été prononcé dans le cadre d'une surveillance judiciaire à l'encontre d'une personne condamnée à une réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans pour l'une des infractions visées à l'article 706-53-13, il peut être renouvelé tant que la personne fait l'objet d'une surveillance judiciaire ou d'une surveillance de sûreté. »
IV. -- L'article 763-8 du même code est ainsi rétabli :
« Art. 763-8. -- Lorsqu'un suivi socio-judiciaire a été prononcé à l'encontre d'une personne condamnée à une réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans pour l'une des infractions visées à l'article 706-53-13, la juridiction régionale de la rétention de sûreté peut, selon les modalités prévues par l'article 706-53-15, décider de prolonger tout ou partie des obligations auxquelles est astreinte la personne, au-delà de la durée prononcée par la juridiction de jugement et des limites prévues à l'article 131-36-1 du code pénal, en la plaçant sous surveillance de sûreté pour une durée d'un an.
« Les dispositions des deuxième à cinquième alinéas de l'article 723-37 du présent code sont applicables, ainsi que celles de l'article 723-38. »
CHAPITRE II
DISPOSITIONS RELATIVES AUX RÉDUCTIONS DE PEINES