compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE Mme Michèle André
vice-présidente
1
PROCÈS-VERBAL
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
Candidature à un organisme extraparlementaire
Mme la présidente. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du Conseil d'administration de l'Institut des hautes études pour la science et la technologie.
La commission des affaires culturelles a fait connaître qu'elle propose la candidature de M. Jean-Léonce Dupont pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.
M. Paul Blanc. Très bien !
Mme la présidente. Cette candidature a été affichée et sera ratifiée, conformément à l'article 9 du règlement, s'il n'y a pas d'opposition à l'expiration du délai d'une heure.
3
Code du travail
Discussion d'un projet de loi
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail (partie législative) (nos 293, 459).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Madame la présidente, madame le rapporteur, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, s'il est un code qui touche la vie de millions de Français, que chacun peut consulter à tout moment, c'est celui qui régit les rapports quotidiens entre employeurs et salariés.
M. Jean-Pierre Michel. On ne vous le fait pas dire !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Eh oui !
M. Xavier Bertrand, ministre. ... et, surtout, ne pas être réservé aux seuls experts du droit.
Cette accessibilité et cette intelligibilité de la loi sont des exigences constitutionnelles que nous devons toujours garder présentes à l'esprit.
Cet objectif d'accessibilité était-il atteint par le code actuel ?
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Non !
M. Xavier Bertrand, ministre. Il convient de rappeler, monsieur le président de la commission des affaires sociales, que la dernière opération de codification du droit du travail remontait à 1973. Depuis cette date, le code a été complété ou modifié à de très nombreuses reprises, si nombreuses qu'il est difficile d'en connaître le nombre exact.
Par ailleurs, certaines lois, pourtant très importantes, n'avaient jamais été codifiées. Faute de place, les articles du code étaient empilés, faisant de sa lecture un exercice de plus en plus difficile.
C'est dans ce contexte qu'ont été engagés, en février 2005, les travaux de recodification. Cette opération s'inscrit dans la continuité du mouvement de codification à droit constant qui, relancé en 1989, a permis la refonte d'une quinzaine de codes, notamment le code rural, le code de la santé publique, le code de l'action sociale et des familles, le code de l'éducation ou encore, tout récemment, le code du sport, sans parler de l'élaboration actuelle des futurs codes de la fonction publique ou des transports.
Mais, et chacun s'accorde à le dire, le code du travail n'est pas un code comme les autres. C'est pourquoi sa recodification a été conduite selon des modalités bien particulières.
Comme tout processus de codification, celui-ci s'est d'abord déroulé sous le contrôle permanent de la Commission supérieure de codification, ...
M. Guy Fischer. C'est vite dit !
M. Xavier Bertrand, ministre. ... puis a débouché sur l'ordonnance du 12 mars 2007, qui vous est soumise aujourd'hui pour que vous lui donniez force de loi, monsieur Fischer.
Mais ce dispositif a été renforcé dans le cas présent par l'intervention d'une commission ad hoc des partenaires sociaux, dont la composition est directement inspirée de celle de la Commission nationale de la négociation collective, et qui a été étroitement associée aux travaux. Je tiens d'ailleurs à saluer ici la très forte implication et la qualité des contributions de cette commission.
Destinataires de la totalité des travaux de la mission de recodification, les partenaires sociaux ont en effet été réunis à quatorze reprises. Ils ont pu faire part de leurs observations, démontrant leur souci de voir respectée la règle du droit constant, mais aussi suggérer des améliorations ou des corrections qui ont très souvent été retenues.
Vous savez combien ce souci de concertation est capital à mes yeux, et nous suivrons la même démarche pour l'achèvement de la partie réglementaire. J'aurai d'ailleurs l'occasion de montrer comment nous avons voulu prendre en compte les observations pertinentes que nous ont faites les partenaires sociaux.
Enfin, un comité d'experts a été spécialement mis en place pour ce texte. Ce comité était composé de membres de la Cour de cassation, d'un avocat, d'un universitaire et d'un directeur départemental du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle. Ils ont eux aussi eu accès à l'intégralité des travaux et ont pu faire valoir leur point de vue.
Toutes les garanties ont donc été apportées afin de conduire les travaux dans les meilleures conditions et la Commission supérieure de codification a salué, dans son dernier rapport annuel, le caractère exemplaire de cette opération.
Enfin, comme prolongement de ce processus, je tiens à saluer le travail accompli ici, au Sénat, par la commission des affaires sociales, en particulier par son rapporteur, Mme Catherine Procaccia. (Marques d'approbation sur les travées de l'UMP.)
Ce travail a permis de présenter des amendements qui seront pour la plupart soutenus par le Gouvernement.
M. Guy Fischer. Évidemment, ce sont des amendements du Gouvernement !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Non !
M. Guy Fischer. Si, pour le plus grand nombre !
M. Xavier Bertrand, ministre. Ils apporteront au texte des améliorations importantes, mais aussi des corrections et des mises au point utiles.
Le processus était clairement encadré par l'article 57 de la loi du 30 décembre 2006 habilitant à recodifier la partie législative du code du travail par voie d'ordonnance, qui contenait le cahier des charges classique de toute opération de recodification à droit constant : codifier les dispositions législatives non encore codifiées, améliorer le plan du code, assurer le respect de la hiérarchie des normes, garantir la cohérence rédactionnelle des textes, remédier aux éventuelles erreurs et abroger les dispositions devenues obsolètes.
Le but de l'opération, c'est de restituer aux praticiens du code du travail un outil modernisé, compréhensible et opérationnel, dans le respect du droit constant. Et je tiens à insister sur cette exigence impérative de droit constant, qui a guidé tous les travaux.
Les efforts ont porté tout particulièrement sur la rédaction des articles. La méthode retenue a consisté à se placer délibérément du point de vue du lecteur, de l'usager du code. Il s'agissait de se demander quelles questions concrètes se posent dans des situations de travail réelles et quels sont les problèmes que le code doit permettre de résoudre.
Le nouveau code comporte une numérotation à quatre chiffres - c'est désormais le propre de tout code de plus de 2 000 articles et celui-ci en comptera plus de 3 600 -, ce qui permettra d'aérer la présentation et d'introduire sans difficulté de nouvelles dispositions, si le législateur se révélait particulièrement prolifique. En effet, la construction du code du travail conduisait à des numérotations erratiques et à un décrochage fréquent entre le plan des parties législative et réglementaire.
Au nom de la lisibilité, la rédaction s'est faite selon le principe d'une seule idée par article. En effet, les articles fleuves, comportant parfois une quinzaine d'alinéas - celui qui traite du compte épargne-temps, par exemple -, étaient d'une lecture très compliquée - c'est un euphémisme - et entraînaient d'inévitables erreurs de références. C'est de cette complexité que nous ne voulions plus, et c'en est fini grâce à ce nouveau code qui contiendra, certes, plus d'articles, mais des articles plus courts et donc plus compréhensibles.
Les huit parties du code constituent des blocs aux contenus explicites. La partie VII, par exemple, vise les professions particulières et concerne notamment les journalistes, qui exercent leur métier dans le cadre de règles spécifiques et anciennes dont nous reconnaissons la pleine spécificité. J'ai entendu, comme vous, les remarques formulées par les représentants de cette profession et je proposerai au nom du Gouvernement un amendement pour les prendre en compte. (Rires sur les travées du groupe socialiste.) Je constate que ce souci est partagé sur l'ensemble de ces travées.
M. Jean-Pierre Michel. Cette sollicitude du Gouvernement envers les journalistes est bien récente !
M. Xavier Bertrand, ministre. Au sein de chaque partie, des thèmes essentiels ont fait l'objet de réaménagements significatifs, qui les ont rendus incontestablement plus accessibles. Il en est ainsi des nouvelles subdivisions concernant la négociation collective obligatoire, qui ont été conçues de manière à permettre rapidement à l'employeur et au délégué syndical d'une PME d'identifier les domaines sur lesquels doit porter cette négociation, ainsi que la périodicité et le contenu de celle-ci.
Des textes importants ont par ailleurs été codifiés, parmi lesquels la loi de mensualisation du 19 janvier 1978, qui concerne au quotidien des millions de nos concitoyens et qui régit des droits aussi importants que le complément de rémunération en cas d'absence pour maladie ou l'indemnisation des jours fériés.
Un effort particulier de rédaction a été réalisé afin d'utiliser les mots d'aujourd'hui. Par exemple, plus personne n'évoque de nos jours le « délai-congé » mais tout le monde comprend ce qu'est un « préavis ». De même, on parle non plus d'une « résiliation », mais d'une « rupture » du contrat.
D'une manière plus générale, un seul mot est désormais utilisé pour viser une même réalité, là où des termes différents étaient parfois employés.
Les conventions d'écriture préconisées par le Conseil d'État ont par ailleurs été adoptées. Ainsi trouve-t-on désormais le seul présent de l'indicatif comme marque du caractère impératif d'une disposition, ...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est très bien !
M. Xavier Bertrand, ministre. ... ce qui met fin à toute fausse idée de hiérarchie entre les obligations selon que le texte prévoyait que l'employeur « doit », « doit absolument » ou « doit dans tous les cas » faire ou ne pas faire quelque chose.
De très nombreuses erreurs de renvoi à des articles modifiés, abrogés ou déplacés ont enfin été corrigées.
Je ne veux pas clore ce chapitre sans m'arrêter un instant sur l'un des sujets de controverse de cette opération, à savoir le reclassement de certaines dispositions de la partie législative dans la partie réglementaire.
Il appartenait en effet au codificateur d'assurer le respect de la hiérarchie des normes, en particulier entre les domaines respectifs des articles 34 et 37 de la Constitution, question qui, je le sais, retient toute votre attention, mesdames, messieurs les sénateurs.
Nul n'ignore que cette répartition n'est pas toujours heureuse dans nos lois, ces dernières étant quelquefois trop détaillées et traitant de manière très précise de matières qui relèvent en fait du domaine réglementaire, avec parfois pour effet de diluer les principes fondamentaux qui y sont contenus. C'est un reproche que l'on fait à tous les gouvernements, et il est vrai qu'ils ne se sont pas toujours montrés très scrupuleux en ce domaine, je peux en témoigner pour avoir déjà été ministre.
Les partenaires sociaux se sont montrés très vigilants sur ce point, craignant que des dispositions importantes ne soient abusivement reclassées en décrets. Ils ont été entendus. Le nombre des reclassements opérés est en effet infiniment inférieur à ce qu'une application stricte de la règle aurait conduit à faire. Nous avons d'ailleurs le plus souvent reclassé un mot plutôt qu'un article, chaque fois par exemple qu'il s'agissait de désigner une autorité compétente de l'État, afin de gagner en souplesse en cas de changement de nom de telle ou telle structure.
Le projet de loi de ratification qui vous est soumis comporte un certain nombre de modifications de la partie législative du nouveau code du travail. Certaines d'entre elles résultent de l'impossibilité matérielle d'intégrer dans l'ordonnance des textes qui sont parus concomitamment, tels que la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance.
D'autres modifications résultent d'erreurs matérielles qu'il convient de rectifier afin de respecter le droit constant. Cette pratique est courante lors de toute opération de codification, de telles erreurs, certes marginales, ne pouvant manquer de survenir lors de chantiers d'une telle ampleur, où il s'agit de manipuler des milliers de dispositions et de paramètres. Je sais que vous aurez l'occasion, à l'occasion de la défense de vos amendements, d'en rectifier quelques-unes, et je salue par avance votre contribution.
Le nouveau code entrera en vigueur en même temps que la partie réglementaire. Je sais que nombre d'entre vous estiment qu'il faut lui donner toutes les chances de faire l'objet de la meilleure appropriation possible par les praticiens du droit ; je sais aussi que certaines organisations se sont émues d'une entrée en vigueur qui, trop rapide, ne permettrait pas à l'ensemble des acteurs de se l'approprier pleinement. Tout cela, je l'ai entendu, et je présenterai au cours des débats un amendement tendant à prendre en compte ces remarques, que je considère comme légitimes. Je suis également ouvert, mesdames, messieurs les sénateurs, aux propositions que vous pourrez faire dans ce sens.
Je veillerai par ailleurs à ce que les services de mon ministère prennent toutes les dispositions pour s'assurer de la meilleure diffusion de ce nouveau code, et donc de son appropriation par tous les acteurs quotidiens de la relation de travail.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le nouveau code du travail sera utilisé par les employeurs et les salariés durant les décennies à venir. Son usage doit donc être facilité. C'est l'objet du travail qui a été mené, et c'est l'enjeu du débat parlementaire qui s'ouvre. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Catherine Procaccia, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, le projet de loi de ratification que nous examinons cet après-midi vient parachever un processus engagé depuis maintenant près de trois ans.
En effet, c'est à la fin de l'année 2004 que le Gouvernement a été habilité une première fois à procéder à la réécriture à droit constant du code du travail. Le délai initialement prévu s'étant révélé insuffisant, l'habilitation a été renouvelée à la fin de 2006. C'est dire que les délais ont été longs et ont permis une réflexion importante.
Ce projet de recodification a été motivé par le sentiment, largement partagé, qu'au fil des ans le code du travail était devenu de plus en plus difficilement lisible. Le ministre a rappelé tout à l'heure que, dans sa version actuelle, il datait de plus de trente-cinq ans.
La commission a été sensible au caractère très ouvert du travail de recodification : la mission chargée de la codification proprement dite, rattachée à la direction générale du travail, a associé à ses travaux un comité d'experts ainsi qu'une commission des partenaires sociaux, rassemblant les représentants des organisations syndicales et patronales, qui s'est réunie une quinzaine de fois. Elle a oeuvré sous le contrôle de la Commission supérieure de codification, qui est chargée depuis 1989 de coordonner et de superviser tous les projets de codification dans notre pays, et qui n'est pas contestée.
Je ne présenterai pas l'intégralité des changements introduits : le ministre les a déjà évoqués, et nous y reviendrons au fur et à mesure de l'examen des articles. Je souhaite cependant insister sur les principales améliorations qu'a permises la recodification et qui justifient l'appréciation positive portée par la commission des affaires sociales sur ce projet de loi.
Le nouveau code nous paraît plus lisible que l'ancien et d'un maniement plus facile. Car tous les utilisateurs du code du travail ne sont pas des juristes : ce sont aussi, au quotidien, des salariés, des chefs de petites entreprises, des élus du personnel ou des syndicalistes.
Si le nouveau code est plus lisible, c'est d'abord parce que l'on a procédé à de nombreuses scissions d'articles afin que les articles soient plus courts et qu'à chacun corresponde une idée.
C'est ensuite parce que la terminologie a été harmonisée. Jusqu'à présent, le ministre l'a rappelé, il était fréquent que des termes différents soient utilisés dans le code du travail pour désigner une même réalité juridique. Ainsi, on parlait indifféremment de « l'employeur » ou du « chef d'entreprise », du « préavis » ou du « délai-congé », du « congédiement » ou du « licenciement »... La rédaction du nouveau code a donc été uniformisée et retient chaque fois l'expression qui a été estimée la plus compréhensible pour tous.
C'est aussi parce que, toujours dans un souci de pédagogie, de nouveaux articles ont été introduits pour définir certaines notions juridiques, telle celle de « travail temporaire », ou pour cadrer le champ d'application de telle ou telle partie du code.
C'est encore parce que le plan du code a été remanié : le nombre des subdivisions a été fortement augmenté, ce qui donne un plan plus fin, et les articles ont été réordonnés afin de former des ensembles plus cohérents. Ainsi, l'apprentissage - dossier que le Sénat, plus particulièrement la commission des affaires sociales, suit de près - a été regroupé avec les autres dispositions relatives à la formation professionnelle, et les dispositions pénales ont été rapprochées des règles qu'elles sanctionnent.
C'est enfin parce que le nouveau code est plus complet, puisqu'il intègre des textes - comme la loi de 1978 sur la mensualisation, que le ministre a mentionnée - qui jusqu'ici n'avaient pas été codifiés, et parce qu'il est allégé grâce à la suppression de dispositions devenues inapplicables, que ce soit parce qu'elles étaient tombées en désuétude - ainsi de la précision selon laquelle le contrat de travail est exempt de timbre et d'enregistrement -, parce qu'elles étaient contraires à des règles de droit communautaire ou de droit international - c'est le cas de la règle d'interdiction du travail de nuit des femmes, et je me suis exprimée sur ce sujet devant la commission -, ou encore parce qu'elles ont été transférées vers d'autres codes.
Il a en effet été décidé, et la commission estime que c'est une bonne chose, de ne maintenir dans le code du travail que les dispositions de portée générale et, chaque fois que cela était possible, de transférer les dispositions propres à une profession ou à un secteur d'activité dans les codes spécialisés : les règles relatives aux assistants maternels et familiaux dans le code de l'action sociale et des familles, celles qui concernent les salariés agricoles dans le code rural, et ainsi de suite.
Je voudrais maintenant aborder un choix rédactionnel qui, vous le savez, a été critiqué par les syndicats, et ce, je crois, à tort, bien que je comprenne parfaitement le souci qu'ils expriment.
Alors que le code actuel utilise diverses formulations pour signifier le caractère impératif des normes qu'il édicte - « l'employeur doit », « l'employeur doit obligatoirement », « l'employeur est tenu de » -, le nouveau code généralise l'emploi de l'indicatif présent. Or les organisations syndicales estiment que, pour un lecteur non averti, l'indicatif serait plus ambigu que les anciennes formules impératives, car il paraîtrait moins contraignant.
Ce n'est pas exact : en droit, l'indicatif présent exprime une obligation, ainsi qu'en témoignent d'autres codes. Plus encore, le code du travail présente dans sa forme actuelle l'inconvénient, plus grave à mes yeux, de contenir plusieurs formulations laissant à penser qu'il existerait différents « niveaux » d'obligation, ce qui ne correspond absolument pas à la réalité ; et nous, parlementaires, utilisions effectivement ces différents niveaux...
En tout état de cause, je souhaite que le travail d'explication et d'information qui accompagnera l'entrée en vigueur du nouveau code permette de lever les incertitudes que pourrait susciter celui-ci. Sans doute le Gouvernement nous précisera-t-il au cours du débat ses projets en la matière.
Dans ses travaux préparatoires, la commission s'est attachée à contrôler le respect de l'habilitation votée par le Parlement. L'obligation de procéder à une recodification à droit constant a, selon nous, été suivie : il s'agit bien d'une remise en forme du texte sans modification au fond des règles de droit.
Certes, une partie de la doctrine et certains syndicats craignent que la recodification ne provoque des évolutions jurisprudentielles inattendues, dans la mesure où l'ordonnancement des articles, leur rédaction, les intitulés des parties dans lesquelles ils s'insèrent, ont été modifiés. Ce risque me paraît en réalité fort limité, car je suis à peu près certaine que le principe de recodification à droit constant guidera l'interprétation du nouveau code par les tribunaux et les dissuadera de réviser leur jurisprudence à l'occasion de son entrée en vigueur.
Les critiques se sont également focalisées sur les quelque cinq cents opérations de déclassement qui ont été effectuées pour transférer des dispositions législatives vers la partie réglementaire du nouveau code. Les dispositions déclassées pourront désormais être modifiées par simple décret, ce qui a pu susciter des inquiétudes. Je rappelle cependant que les déclassements sont fréquents à l'occasion des travaux de recodification et qu'ils ont pour finalité de faire mieux respecter le partage entre les domaines respectifs de la loi et du règlement définis aux articles 34 et 37 de la Constitution.
La loi, en théorie, détermine les seuls « principes fondamentaux » du droit du travail, les dispositions plus détaillées relevant du pouvoir réglementaire. En pratique, cependant, il n'est pas rare que nous-mêmes, parlementaires, adoptions des mesures de portée réglementaire.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Eh oui ! Nous ne pouvons pas nous retenir !
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. Cela explique le grand nombre de déclassements auxquels il a été procédé, et je fais mon mea culpa ; car, en tant que parlementaires, nous sommes tous un jour amenés à proposer ce type de dispositions.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Nous sommes tous coupables !
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. Ces déclassements ne posent pas de problème de principe et me semblent au contraire alléger utilement la partie législative du code.
Sous réserve des amendements qu'elle soutiendra pour améliorer ce texte, la commission est donc favorable au projet de nouveau code du travail.
Toutefois, je souhaite que ne soit pas sous-estimé le temps d'adaptation qui sera nécessaire aux utilisateurs habituels du code du travail pour s'approprier ce nouvel outil : son entrée en vigueur va leur faire perdre une partie de leurs repères et de leurs habitudes, et la lecture des ouvrages, articles et recueils de jurisprudence existants exigera des tables de concordance permettant d'identifier les articles du nouveau code auxquels ils font référence. J'espère que des instruments modernes seront disponibles pour rendre possibles les comparaisons entre l'ancien et le nouveau code.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est indispensable !
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. J'apprécie que la commission ait adopté l'amendement portant sur l'allongement des délais d'application du nouveau code du travail, et j'apprécie aussi l'amendement qu'a déposé ce matin le Gouvernement, ...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Symbolique !
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. ...qui va encore un peu plus loin.
Je ne doute pas que les bénéfices de la recodification deviendront perceptibles à moyen terme, surtout - car c'est à eux que je songe en priorité - pour les utilisateurs non professionnels du code du travail : à la différence d'autres codes, celui-ci n'est pas l'apanage d'un cercle restreint de juristes, et chaque salarié peut être un jour amené à s'y plonger.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est un bréviaire !
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. Je pense que le nouveau code lui permettra alors de s'y retrouver plus facilement.
J'attire également votre attention, mes chers collègues, sur la responsabilité qui incombera au législateur de maintenir dans la durée la cohérence et la simplicité du nouveau code, ce qui appelle une vigilance renouvelée de tous en matière de qualité du travail législatif. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Mme la présidente. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 34 minutes ;
Groupe socialiste, 22 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 9 minutes ;
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Annie David.
M. Guy Fischer. Pour son baptême du feu en tant que membre de la commission des affaires sociales ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme Annie David. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le code du travail est pour des millions de femmes et d'hommes un texte de référence. Il est pour les 20 millions de salariés l'outil essentiel du respect de leurs droits, en ce sens qu'il organise les rapports entre employeurs et salariés - de ce point de vue, monsieur le ministre, vous ne pourrez pas être en désaccord avec mon introduction !
Lorsque, en 2005, M. Gérard Larcher a lancé le processus de recodification du code du travail, il s'agissait, selon ses dires, d'une simple mesure visant à rendre le droit social plus lisible pour toutes et tous : salariés, employeurs, magistrats.
La recodification devait reposer sur la « participation active » des partenaires sociaux et aboutir à une réécriture à droit constant, donc sans modification des normes. Cette simplification, à condition qu'elle résulte d'une réelle concertation et qu'elle soit effectivement à droit constant, apparaissait comme utile, particulièrement dans un domaine où la jurisprudence joue un grand rôle et où l'empilement législatif, on vient de le rappeler, n'a cessé de rendre le code toujours plus compliqué, ainsi que tous les partenaires sociaux le reconnaissent aisément.
Pour autant, il est démagogique de soutenir qu'un texte organisant la relation salariale dans une économie de droit pourrait échapper à une certaine complexité. En outre, le processus engagé pour cette recodification est, à tout le moins, très peu démocratique : en effet, le Parlement est totalement dessaisi du débat, pourtant fondamental, sur la finalité même de cette recodification ! Le recours aux ordonnances en la matière nuit gravement à l'exercice de la démocratie par la représentation nationale !
Je tiens à l'affirmer ici, ce n'est pas en une heure trente de débat que nous discuterons du fond.
Mme Annie David. Par exemple, nous n'aborderons pas suffisamment le contenu même de l'annexe 1, pourtant très importante puisque c'est précisément sur elle qu'auraient pu se concentrer les critiques, notamment sur la question du droit constant.
À ce stade du débat, je ne peux taire une autre réalité : cette complexification du code du travail, tangible et que vous dites vouloir diminuer, est en fait, monsieur le ministre, la conséquence même de votre politique en matière d'emploi.
Elle résulte de votre volonté de toujours plus segmenter le code du travail, pour toujours plus affaiblir les salariés dans leurs droits. C'est une résultante de la déréglementation, de la multiplication des dérogations à la règle générale et des contrats précaires que vous n'avez de cesse de créer pour satisfaire le patronat. En ce sens, monsieur le ministre, votre gouvernement est responsable.
Sous prétexte de simplification, votre projet de loi n'est ni plus ni moins qu'une tentative larvée, non pas de recodification à droit constant, mais bien de démantèlement du code du travail !
Votre gouvernement tend à faire droit aux promesses faites au MEDEF, à savoir enterrer le code du travail pour rendre les salariés toujours plus corvéables et asseoir un peu plus encore la domination de l'employeur sur le salarié.
M. Guy Fischer. Voilà la vérité !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ce n'est pas parce qu'on l'affirme que c'est vrai !
Mme Annie David. C'est bien parce qu'il s'agit d'une casse du droit du travail que vous procédez de la sorte, à savoir un passage en force pour une réforme unilatérale.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ce n'est pas une réforme, c'est une recodification !
Mme Annie David. Cela augure mal des prochaines « réformes » que le Président de la République a dit vouloir mener à bien il y a quelques jours ici même, au Sénat.
Monsieur le ministre, vous avez, dans un premier temps, privé les partenaires sociaux d'une réelle négociation sur le sujet, organisant des réunions techniques de quelques heures là où il aurait fallu prévoir très en amont des débats de grande ampleur sur le sens à donner à cette recodification et à ses conséquences.
Vous êtes resté sourd aux inquiétudes des organisations syndicales qui vous demandaient de ne pas confondre rapidité et précipitation,...
Mme Annie David. ...à l'image de la CFDT qui, dès mars 2005, annonçait débuter ce travail avec une extrême prudence, refusant de donner son avis si le ministère lui transmettait les documents de travail sur table le jour même, crainte relayée par la CGT, qui regretta publiquement que des rapports de plusieurs centaines de pages lui soient communiqués quarante-huit heures avant les réunions.
Vous avez, dans un second temps, tenté d'imposer la promulgation de cette ordonnance début mars, alors même que les partenaires sociaux vous exhortaient à attendre, afin de promulguer de manière concomitante la partie législative et la partie réglementaire. Une volonté que vous tentez d'imposer aujourd'hui sous la forme d'un amendement de la commission. J'y reviendrai en temps voulu, monsieur le ministre, puisque vous nous avez annoncé le dépôt d'un amendement qui prendrait en compte ces revendications. Reste que cette précipitation, si elle devait s'avérer, n'aurait pour nous qu'un objectif : faire taire la contestation grandissante sur le fond. Là encore, j'y reviendrai.
D'ailleurs, la CGT, Force ouvrière et la CFDT, dès la publication de l'ordonnance du 12 mars 2007 au Journal officiel ont réagi, faisant part de leurs inquiétudes et de leur crainte que le processus engagé ne se fasse pas à droit constant. Cela a d'ailleurs conduit la CGT à déposer en mai 2007 un recours devant le Conseil d'État, qui doit, me semble-t-il, rendre sa décision au début du mois d'octobre...
M. Guy Fischer. Voilà !
Mme Annie David. ...ce qui est sans doute une autre raison de votre précipitation.
M. Guy Fischer. Eh oui, c'est la véritable raison !
Mme Annie David. Mais la forme n'est pas, loin s'en faut, la seule critique à formuler sur votre texte, même si la forme en dit beaucoup sur le fond.
Ainsi, l'une des principales caractéristiques de ce projet de loi est de procéder - vous l'avez dit vous-même - à la « reclassification » d'un certain nombre de dispositions : en effet, près de cinq cents d'entre elles vont passer du domaine législatif au domaine réglementaire. La conséquence est double. D'une part, la modification de ces dispositions devenues réglementaires sera plus aisée et pourra se faire dans le plus grand silence. D'autre part, vous niez de nouveau l'existence de la nature inégalitaire de la relation employeur-employé.
Si le législateur a pris soin par le passé de faire figurer dans la partie législative un certain nombre de dispositions relatives aux autorités compétentes en matière de conflit, c'est bien parce que, connaissant ce rapport inégalitaire, il a souhaité protéger autant que possible le salarié.
En outre, vous dessaisissez parfois le juge prud'homal au bénéfice du tribunal de grande instance, ce qui n'est pas sans conséquence pour les salariés puisque, là où avant ces derniers pouvaient se défendre seuls devant une juridiction paritaire, il leur faudra demain avoir recours au ministère d'un avocat.
Ce phénomène de « reclassification » s'accompagne d'une nouvelle réorganisation du code du travail. Vous avez choisi volontairement de scinder différents articles, afin, dites vous, « qu'à chaque article corresponde une idée ». Agir ainsi, c'est méconnaître la spécificité du droit du travail qui, par son caractère jurisprudentiel, appelle à l'affirmation de la règle générale, suivie de l'exception. Recodifier en affirmant dans un article la règle et dans un autre l'exception, c'est nier le lien juridique entre les deux, l'exception devenant aussi importante que la règle. Cela me fait craindre le pire.
En dissociant artificiellement les articles, ne préparez-vous pas une réforme de plus grande ampleur encore, que vous appelez « modernisation du marché du travail » et qui résonne dans les têtes des partenaires sociaux comme « libéralisation du marché du travail » ?
S'écroule aussi votre argument tendant à faire croire que cette entreprise vise à simplifier le code du travail.