PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution
Discussion générale (suite)

9

CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS

M. le président. La conférence des présidents a établi comme suit l'ordre du jour des prochaines séances du Sénat :

Jeudi 8 février 2007 :

À 9 heures 30 :

1° Dépôt par M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, du rapport annuel de la Cour des comptes ;

Ordre du jour prioritaire

2° Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale (n° 133, 2006-2007) ;

À 15 heures et le soir :

3° Questions d'actualité au Gouvernement ;

(L'inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance avant 11 heures) ;

Ordre du jour prioritaire

4° Suite de l'ordre du jour du matin.

Lundi 12 février 2007 :

Ordre du jour prioritaire

À 15 heures et le soir :

- Deuxième lecture du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, réformant la protection de l'enfance (n° 154, 2006-2007) ;

(La conférence des présidents a fixé à une heure trente la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe ;

Les délais limites pour les inscriptions de parole et le dépôt d'amendements sont expirés) ;

Mardi 13 février 2007 :

Ordre du jour réservé

À 10 heures :

1° Question orale avec débat (n° 28) de M. Jean-Paul Emorine à M. le ministre délégué à l'aménagement du territoire sur les pôles de compétitivité et pôles d'excellence rurale ;

(La conférence des présidents a fixé à deux heures la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe ;

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le lundi 12 février 2007) ;

2° Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative aux modalités de dissolution de la mutuelle dénommée Société nationale « Les Médaillés militaires » (n° 184, 2006-2007) ;

(La conférence des présidents a fixé :

- au lundi 12 février 2007, à 16 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;

- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe ;

Les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le lundi 12 février 2007) ;

À 16 heures et le soir :

3° Éventuellement, suite de l'ordre du jour du matin ;

4° Proposition de loi tendant à modifier certaines dispositions relatives au fonctionnement de la collectivité territoriale de Corse, présentée par M. Nicolas Alfonsi (n° 156, 2006 2007) ;

(La conférence des présidents a fixé :

- au lundi 12 février 2007, à 16 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;

- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe ;

Les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le lundi 12 février 2007) ;

5° Proposition de loi visant à organiser le recours aux stages, présentée par M. Jean Pierre Godefroy et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (n° 364, 2005-2006) ;

(La conférence des présidents a fixé :

- au lundi 12 février 2007, à 16 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;

- à une heure trente la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe ;

Les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le lundi 12 février 2007) ;

6° Conclusions de la commission des Affaires culturelles (n° 211, 2006-2007) sur la proposition de loi relative à la création de l'établissement public CulturesFrance, présentée par M. Louis Duvernois (n° 126, 2006-2007) ;

(La conférence des présidents a fixé :

- au lundi 12 février 2007, à 16 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;

- à deux heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe ;

Les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le lundi 12 février 2007) ;

Mercredi 14 février 2007

À 11 heures 30 :

Ordre du jour prioritaire

1° Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine du médicament (n° 197, 2006-2007) ;

(Pour les quatre projets de loi suivants, la conférence des présidents a décidé de recourir à la procédure simplifiée selon les modalités approuvées lors de la réunion du 31 mai 2006.

Selon cette procédure simplifiée, le projet de loi est directement mis aux voix par le président de séance. Toutefois, un groupe politique peut demander, au plus tard le lundi 12 février 2007 à 17 heures que le projet de loi soit débattu en séance selon la procédure habituelle) ;

2° Projet de loi autorisant la ratification de l'accord de dialogue politique et de coopération entre la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et la Communauté andine et ses pays membres (Bolivie, Colombie, Équateur, Pérou et Venezuela) (n° 72, 2006-2007) ;

3° Projet de loi autorisant la ratification de l'accord de dialogue politique et de coopération entre la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et les Républiques du Costa Rica, d'El Salvador, du Guatemala, du Honduras, du Nicaragua et du Panama (n° 73, 2006-2007) ;

4° Projet de loi autorisant l'approbation du protocole visant à modifier la convention relative à l'Organisation hydrographique internationale (n° 71, 2006-2007) ;

5° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord de sécurité sociale entre le gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Corée (n° 143, 2006-2007) ;

À 15 heures et le soir :

6° Désignation d'un membre de la Délégation du Sénat pour l'Union européenne en remplacement de M. André Dulait ;

(Les candidatures devront être remises au service de la séance au plus tard le mardi 13 février 2007, à 17 heures) ;

Ordre du jour prioritaire

7° Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, portant diverses dispositions intéressant la Banque de France (n° 169, 2006-2007) ;

(La conférence des présidents a fixé :

- au mardi 13 février 2007, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;

- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe ;

Les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le mardi 13 février 2007) ;

8° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant réforme de la protection juridique des majeurs (n° 172, 2006-2007) ;

(La conférence des présidents a fixé :

- au lundi 12 février 2007, à 16 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;

- à deux heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe ;

Les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le mardi 13 février 2007) ;

Jeudi 15 février 2007

À 9 heures 30 :

Ordre du jour prioritaire

1° Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant réforme de la protection juridique des majeurs ;

À 15 heures et le soir :

2° Communication de M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, sur son rapport annuel, en application de la loi n° 2000-23 du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l'administration ;

Ordre du jour prioritaire

3° Suite de l'ordre du jour du matin.

Mardi 20 février 2007

À 10 heures :

1° Dix-huit questions orales :

L'ordre d'appel des questions sera fixé ultérieurement.

- n° 1197 de M. Gérard Delfau à M. le ministre de la santé et des solidarités ;

(Formation universitaire au métier de sage-femme) ;

- n° 1205 de M. Yves Détraigne à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;

(Zonage recherche et développement du pôle de compétitivité industries et agro-ressources de Champagne-Ardenne et Picardie) ;

- n° 1206 de M. Robert Hue transmise à M. le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire ;

(Conséquences de la sécheresse de 2003) ;

- n° 1207 de M. Philippe Leroy à M. le ministre délégué à l'industrie ;

(Gestion de l'après-mines) ;

- n° 1225 de M. Xavier Pintat à M. le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer ;

(Conservation du phare de Cordouan) ;

- n° 1228 de M. François Marc à M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ;

(Budget de l'université de Bretagne Occidentale pour 2007) ;

- n° 1230 de M. Jean-François Le Grand à M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ;

(Conciliation d'une profession d'enseignant avec une fonction élective) ;

- n° 1232 de M. Robert Del Picchia à M. le ministre des affaires étrangères ;

(Arrêt de la diffusion du journal de France 2 aux États-Unis) ;

- n° 1233 de M. Christian Gaudin à M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille ;

(Financement des contrats enfance dans le Maine-et-Loire) ;

- n° 1236 de M. Michel Doublet à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche ;

(Relations entre l'Office national des forêts et le syndicat des eaux de la Charente-Maritime) ;

- n° 1237 de M. Michel Billout à M. le ministre délégué à l'industrie ;

(Conditions de dérogation pour les prestataires du service postal universel) ;

- n° 1238 de M. Thierry Repentin à Mme la ministre de l'écologie et du développement durable ;

(Élaboration du plan de prévention des risques d'inondation en Combe de Savoie) ;

- n° 1243 de M. Jean-Pierre Sueur à M. le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer ;

(Projet de train à grande vitesse Paris-Orléans-Limoges-Toulouse) ;

- n° 1246 de M. Jean-Marie Vanlerenberghe à M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire ;

(Conditions de retour à l'autonomie d'une commune associée) ;

- n° 1247 de M. Philippe Madrelle à M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille ;

(Financement des maisons départementales des personnes handicapées) ;

- n° 1248 de Mme Nicole Bricq à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;

(Situation de l'emploi chez Nestlé France) ;

- n° 1249 de M. Claude Domeizel à M. le ministre délégué aux collectivités territoriales ;

(Augmentation croissante pour les communes du nombre et du coût des analyses de l'eau potable) ;

- n° 1250 de M. Serge Dassault à M. le ministre délégué aux collectivités territoriales ;

(Calcul de la dotation globale de fonctionnement : prise en compte de l'accroissement de la population) ;

À 16 heures et le soir :

2°) Éloge funèbre de Marcel Lesbros ;

Ordre du jour prioritaire

3° Question orale avec débat (n° 27) de M. Gérard Cornu relative à l'application de la loi en faveur des petites et moyennes entreprises ;

(En application des premier et deuxième alinéas de l'article 82 du règlement, la conférence des présidents a fixé à deux heures la durée globale du temps dont disposeront dans le débat les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe ;

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le lundi 19 février 2007) ;

4° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant modifications du code de justice militaire et du code de la défense (n° 219, 2006-2007) ;

(La conférence des présidents a fixé au lundi 19 février 2007, à 16 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte) ;

5° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, modifiant les articles 414-8 et 414-9 du code pénal (n° 218, 2006-2007) ;

(La conférence des présidents a fixé au lundi 19 février 2007, à 16 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte) ;

Mercredi 21 février 2007

À 11 heures 45 :

Dans l'hémicycle du Sénat, cérémonie de dévoilement d'une plaque commémorative à l'effigie du Président Edgar Faure ;

À 15 heures et, éventuellement, le soir :

Ordre du jour prioritaire

1° Question orale avec débat (n° 26 rect.) de M. Jean-Paul Virapoullé à Mme la ministre déléguée au commerce extérieur, relative à la création d'un Observatoire des pratiques du commerce international et de la mondialisation ;

(La conférence des présidents a fixé à deux heures la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe ;

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le mardi 20 février 2007) ;

2° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la Commission nationale consultative des droits de l'homme (n° 221, 2006-2007) ;

(La conférence des présidents a fixé :

- au mardi 20 février 2007, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;

- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe ;

Les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le mardi 20 février 2007) ;

(Pour les deux projets de loi suivants, la conférence des présidents a décidé de recourir à la procédure simplifiée selon les modalités approuvées lors de la réunion du 31 mai 2006.

Selon cette procédure simplifiée, le projet de loi est directement mis aux voix par le président de séance. Toutefois, un groupe politique peut demander, au plus tard le lundi 19 février 2007 à 17 heures, que le projet de loi soit débattu en séance selon la procédure habituelle) ;

3° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg portant rectification de la frontière franco-luxembourgeoise suite, d'une part, à la convention-cadre instituant la coopération relative au développement transfrontalier liée au projet Esch Belval et, d'autre part à la convention relative à la réalisation d'infrastructures liées au site de Belval-Ouest (n° 198, 2006-2007) ;

4° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation du protocole à la convention de 1979 sur la pollution atmosphérique transfrontalière à longue distance relatif à la réduction de l'acidification, de l'eutrophisation et de l'ozone troposphérique (ensemble neuf annexes) (n° 199, 2006-2007) ;

5° Projet de loi autorisant la ratification du traité entre le Royaume de Belgique, la République Fédérale d'Allemagne, le Royaume d'Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas et la République d'Autriche, relatif à l'approfondissement de la coopération transfrontalière, notamment en vue de lutter contre le terrorisme, la criminalité transfrontalière et la migration illégale (n° 150, 2006 2007).

Jeudi 22 février 2007

À 9 heures 30 :

Ordre du jour prioritaire

1° Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur ;

À 15 heures et le soir :

2° Questions d'actualité au Gouvernement ;

(L'inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance avant 11 heures) ;

Ordre du jour prioritaire

3° Sous réserve de leur dépôt, conclusions des commissions mixtes paritaires sur les :

- Projet de loi relatif à la prévention de la délinquance ;

- Projet de loi organique relatif au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats ;

- Projet de loi tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale ;

- Projet de loi portant réforme de la protection juridique des majeurs ;

- Projet de loi instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale ;

Éventuellement, vendredi 23 février 2007

À 9 heures 30 et à 15 heures :

Ordre du jour prioritaire

- Navettes diverses.

Y a-t-il des observations en ce qui concerne les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue des séances ?...

Ces propositions sont adoptées.

Par ailleurs, la conférence des présidents a décidé de ne pas inscrire à l'ordre du jour du Sénat la proposition de résolution de la commission des affaires économiques sur l'achèvement du marché intérieur des services postaux de la Communauté.

En conséquence, la proposition de résolution de la commission devient la résolution du Sénat.

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NOMINATION DE MEMBRES D'UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE

M. le président. Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique relatif au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats.

La liste des candidats établie par la commission des lois a été affichée conformément à l'article 12 du règlement.

Je n'ai reçu aucune opposition.

En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :

Titulaires : MM. Jean-Jacques Hyest, François Zocchetto, Patrice Gélard, Laurent Béteille, Christian Cointat, Robert Badinter, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Suppléants : MM. Christian Cambon, Pierre Fauchon, Jean-René Lecerf, Georges Othily, Jean-Claude Peyronnet, Hugues Portelli, Richard Yung.

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution
Discussion générale (suite)

Modification du titre IX de la Constitution

Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, portant modification du titre IX de la Constitution (nos 162, 194).

Huit intervenants doivent encore intervenir dans la discussion générale, pour une durée totale d'une heure et vingt minutes.

Je veillerai scrupuleusement au respect des temps de parole des groupes, car nous devons impérativement terminer nos travaux à zéro heure vingt-cinq au plus tard.

M. Bernard Frimat. Nous n'y arriverons pas !

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, je tiens à faire remarquer que discuter d'un tel sujet en séance de nuit laisse présager un débat d'une haute tenue !

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « La justice doit passer librement en disposant des moyens nécessaires à son efficacité ». M. Jacques Chirac posait ce principe dans son livre La France pour tous, publié lors de la campagne électorale de 1995, dans lequel il évoquait ses conceptions de l'État républicain.

Pourquoi avoir attendu douze ans et l'extrême limite de son long mandat présidentiel pour proposer une évolution du régime de responsabilité de chef de l'État ? Pourquoi avoir laissé passer quatre années depuis la publication le 12 décembre 2002 du rapport de la commission présidée par M. Avril et constituée pour l'élaboration de ce nouveau statut ?

Cette précipitation tardive, alors que la campagne pour les prochaines élections présidentielles bat semble-t-il son plein, nuit au sérieux du débat parlementaire.

Elle écarte, de toute évidence, toute réforme plus large, qui pourrait encadrer, selon moi, l'évolution du statut du Président de la République.

Pis, vous demandez que, pour cause de délai, aucun amendement ne soit adopté, empêchant ainsi toute discussion. Voilà où nous en sommes !

Je dirai quelques mots sur la fonction du chef de l'État. En effet, le débat aujourd'hui a souvent été présenté comme un simple débat sur la responsabilité pénale du chef de l'État. Or il s'agit, à mon sens, d'un débat beaucoup plus vaste.

Au travers de la responsabilité ou de l'irresponsabilité pénale du chef de l'État, c'est la nature du régime dans lequel nous vivons qui est en cause. Depuis des décennies, des polémiques opposent les professeurs de droit constitutionnel au sujet de l'influence du régime de responsabilité sur la puissance réelle du Président de la République.

Le rappel par M. Hyest, président de la commission des lois et rapporteur sur ce texte, des origines du principe de la protection du chef de l'État est intéressant à ce titre.

En effet, notre éminent collègue nous rappelle que c'est la Constitution du 3 septembre 1791 qui a posé le principe de l'irresponsabilité. Comme chacun le sait, aux termes de l'article 2 de la section 1 du chapitre II du titre III du texte, « la personne du Roi est inviolable et sacrée ».

Ainsi, comme l'indiquait M. Olivier Beaud, professeur à l'université Paris II, « dans les lois constitutionnelles le Président de la République a chaussé les bottes du Roi constitutionnel ».

En vérité, il est nécessaire de démocratiser en profondeur nos institutions.

Chacun y va, durant ces semaines préélectorales, de son couplet sur la nécessité de réconcilier nos concitoyens et la représentation politique. Mais qui va réellement s'engager pour une nouvelle République, en rupture avec une Ve République qui a décidément fait son temps ? Où en sommes-nous aujourd'hui ?

Un exécutif surpuissant, un parlement dévalorisé, une politique européenne incontrôlée et le sentiment de plus en plus fort que, décidément, la politique se fait plus à la corbeille de la Bourse - même si les réseaux Internet ont supplanté cet antre financier - qu'au Parlement, au conseil des ministres ou au sein des institutions décentralisées.

Alors que le peuple aspire à participer aux décisions, on « présidentialise » progressivement notre système politique.

Aux manifestations de 1995, il a été répondu « quinquennat » et « inversion du calendrier », accentuant ainsi considérablement la soumission du scrutin législatif au scrutin présidentiel !

La toute-puissance du chef d'État est telle que ce dernier peut se permettre de ne pas tenir compte du choix de la majorité des Français qui se sont prononcés par référendum le 29 mai 2005 en refusant le traité constitutionnel, lequel inscrivait dans le marbre une conception libérale de l'Europe.

Le Président de la République n'en a cure ; il ne porte pas la parole populaire au sein des instances européennes.

Il est urgent, pour nous, de prendre à contre-pied cette évolution institutionnelle qui risque d'élargir progressivement le fossé entre les citoyens et la représentation politique.

Comment ne pas souligner la réduction du rôle des assemblées à celui de chambres d'enregistrement, chargées de valider les décisions de l'exécutif ?

La boulimie législative de ces cinq dernières années, portée à la caricature lors des ultimes semaines de ce quinquennat, montre bien que le Parlement est non plus un lieu de débat ou d'élaboration de la loi, mais une instance de validation des décisions du conseil des ministres, présidé par le chef de l'État.

La présidentialisation du régime pousse à la bipolarisation. Le choix d'un homme ou d'une femme providentiel prend le pas sur le choix politique. La « peopolisation » - le terme est devenu, hélas ! approprié - de la vie politique entérine l'idée d'une « monarchisation » progressive de nos institutions. Mais c'est une « monarchisation » au seul profit des vrais décideurs : les décideurs économiques, grands bénéficiaires de l'appauvrissement démocratique !

Ce vaste débat institutionnel, nous ne l'avons pas eu durant ces cinq années. À quelques semaines de l'élection présidentielle, la seule question qui nous est posée est celle de la responsabilité du chef de l'État. Or nos concitoyens expriment surtout leur souhait de participer davantage aux décisions, de voir rétablie la souveraineté populaire et leurs élus agir dans la transparence et la concertation.

Oui, il faut parler de la responsabilité du chef de l'État dans l'exercice de ses fonctions, et de sa responsabilité civile et pénale. Mais nous souhaiterions, pour notre part, débattre aussi de ses pouvoirs.

Les parlementaires du groupe CRC, leur parti, leur candidate, sont résolument partisans d'une réduction des pouvoirs du Président de la République, du rétablissement de la primauté du Parlement et d'un Premier ministre chef de l'exécutif et responsable devant le Parlement.

Aujourd'hui, vous nous proposez une réforme, très modeste, de l'article 67. Encore faut-il qu'il ne s'agisse pas d'un petit arrangement entre amis qui, si l'on y regarde bien, pose beaucoup de problèmes.

L'objectif annoncé est une clarification du régime de la responsabilité du chef de l'État. Or nous avons, hélas ! l'impression que la réforme proposée imbrique en définitive davantage encore responsabilité politique et responsabilité civile ou pénale. En tout état de cause, elle ne répond en rien à la nécessaire évolution d'un Président monarque vers un Président citoyen.

Pour les sénateurs du groupe CRC, il est clair que la protection de la fonction est intangible ; mais, en dehors des actes commis par le Président dans le cadre de ses fonctions, et ce à tout moment, un seul principe doit prévaloir : le Président est un citoyen. Il est donc redevable de ses actes devant les tribunaux de droit commun, y compris au cours de son mandat.

Cette attitude n'a rien d'irresponsable ou de provocatrice. Elle ne constitue pas non plus une innovation ; bien au contraire, toutes les études montrent que le point de vue doctrinal dominant jusqu'à ces dernières années prônait une responsabilité du Président pour les infractions de droit commun.

Ainsi, Léon Duguit indiquait, dès 1924, en évoquant l'article 6 de la Constitution de 1875 : « Le Président n'est responsable que dans le cas de haute trahison ». Il ajoutait : « On s'est demandé quelquefois si cette formule excluait la responsabilité du Président pour les infractions de droit commun. Évidemment non. Dans un pays de démocratie et d'égalité comme le nôtre, il n'y a pas un citoyen, quel qu'il soit, qui puisse être soustrait à l'application de la loi, échapper à la responsabilité pénale. »

Jean Foyer lui-même, l'un des rédacteurs de l'article 68 de la Constitution dont nous débattons, écrivait ceci, en mars 1999 : « En tant que personne privée, le Président de la République ne bénéficie d'aucune immunité ni d'aucun privilège de juridiction. Il est pénalement et civilement responsable, comme tout citoyen, des actes commis avant le début de ses fonctions. L'affirmation paraît être remise en question par certains de nos jours, elle est pourtant juridiquement indiscutable ».

Les « certains » qu'évoque M. Foyer sont les membres du Conseil constitutionnel qui, le 22 janvier 1999, ont sacralisé la fonction présidentielle, en établissant pour le chef de l'État un privilège de juridiction générale durant son mandat. Sa responsabilité pénale ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de justice.

Deux ans plus tard, la Cour de cassation s'opposait en apparence à cette jurisprudence, en rappelant la compétence des tribunaux de droit commun. Mais les deux vénérables institutions se mettaient d'accord sur un point non négligeable : l'inviolabilité temporaire de la fonction présidentielle. Ainsi, durant cinq ans, qui peuvent facilement se transformer en dix ans, le chef de l'État ne peut être déféré devant aucune juridiction, à moins, bien entendu, d'être destitué.

Le projet de loi constitutionnelle est donc limpide, après décryptage : le Président de la République sera irresponsable ad vitam aeternam des actes commis en qualité de chef de l'État. Pour le reste, il faudra attendre la fin du mandat. Il y a un grand progrès : les prescriptions et forclusions sont suspendues ! N'est-ce pas la moindre des choses dans un cadre aussi favorable à la fonction présidentielle ?

Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, cinq ans, n'est-ce pas bien long pour préserver des preuves ? N'est-ce pas bien long pour permettre aux témoins de conserver la mémoire des faits ?

Cette inviolabilité concerne tant le pénal que le civil et l'administratif. Ainsi, le Président ne serait pas immédiatement responsable dans le cadre d'une procédure de divorce, d'un accident de la circulation ou d'une fraude fiscale - et je n'ose pas imaginer pire...Nous abordons là, me semble-t-il, un aspect dangereux aujourd'hui mal maîtrisé et porteur d'effets pervers.

Le seul recours dans le cadre d'une situation manifestement inacceptable sur le plan juridique, mais aussi sur le plan politique puisqu'il s'agit de l'autorité de la France, serait, en effet, la mise en oeuvre de la procédure de destitution prévue dans le projet de loi constitutionnelle.

Alors que l'objectif affiché est celui d'une séparation nette entre le juridique et le politique, symbolisée par l'abandon de la référence à la haute trahison et d'une conception ancienne de la Haute Cour, composée de juges, nous assisterons fatalement à une politisation de la moindre affaire judiciaire, puisque seul le Parlement pourra engager une mise en oeuvre de la responsabilité du Président et que seul le Parlement, réuni en Haute Cour, pourra le destituer.

La référence contenue dans le nouvel article 68 au « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat » laisse la porte grande ouverte à cette évolution.

Le souhait du Sénat est-il vraiment de créer une procédure d' « empêchement » à l'américaine ? Pourtant, l'Assemblée nationale avait, me semble-t-il, montré la voie, plus conforme à notre conception de la séparation entre fonctions et vie privée, en 2001.

Pour préserver le chef de l'État d'un mélange des genres, le projet de l'époque opérait une clarification en prévoyant que les tribunaux de droit commun étaient compétents pour les actes commis par le Président de la République comme citoyen ordinaire et pendant l'exercice de son mandat. Le Président n'était pas destitué durant la procédure.

Avec le système qui nous est proposé aujourd'hui, la destitution politique est le préalable nécessaire à toute procédure judiciaire durant l'exercice du mandat. Cette démarche s'inscrit donc de manière maladroite dans le cadre d'une présidentialisation du régime, de sa médiatisation et de sa personnalisation.

Certains affirmeront qu'il s'agit d'un renforcement du pouvoir du Parlement. C'est oublier bien vite que la majorité des députés est élue dans la foulée de l'élection présidentielle et soumise à l'exécutif. Mais il est vrai que le Sénat trouve une nouvelle fois ses pouvoirs renforcés. Notre assemblée, qui, rappelons-le, est élue sur la base d'un scrutin indirect, pourra prendre l'initiative, alors que l'Assemblée nationale ne le ferait pas, de destituer un Président élu au suffrage universel. Il est évident que cela ne se fera qu'à l'égard d'un Président de gauche.

À l'issue des débats à l'Assemblée nationale, la majorité a été portée aux deux tiers. Mais peut-on imaginer le statut d'un Président maintenu, alors que plus de 60 % des parlementaires auraient voté sa destitution ?

Vous l'aurez compris, les sénateurs du groupe CRC ne sont pas favorables - et c'est le moins que l'on puisse dire ! - à ce texte, révision constitutionnelle circonstancielle qui ne répond en rien tant aux exigences d'une profonde réforme de nos institutions qu'à une clarification du statut du chef de l'État.

Nous voterons donc contre ce texte. Nous ne participerons pas à l'illusion de démocratisation de la fonction que pourrait donner le vote de ce projet de loi constitutionnelle, l'illusion que tous les citoyens sont égaux devant la justice. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Bernard Frimat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, préciser le statut pénal du chef de l'État est-il d'une telle nécessité qu'il faille, à toutes fins, l'inclure dans la prochaine révision constitutionnelle ? Bien évidemment non !

Cette question a été au coeur d'une brûlante actualité politico-médiatique, à la fin des années quatre-vingt-dix, à la suite des péripéties judiciaires suscitées par les affaires concernant la Mairie de Paris et le financement du RPR. Mais la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999, puis l'arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 2001 ont, depuis, précisé le cadre de la mise en cause, sur le plan pénal, du Président de la République, tant pour les actes commis dans l'exercice de ses fonctions que pour ceux qui auraient été effectués antérieurement.

Monsieur le garde des sceaux, si le projet de modification constitutionnelle s'en était tenu à la simple transcription de l'arrêt de la Cour de cassation, il aurait sans nul doute recueilli un très large assentiment de la Haute Assemblée. De la même manière, le remplacement du concept flou et à connotation trop militaire de « haute trahison » par celui, qui n'est guère plus précis, de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat » n'aurait pas rencontré de difficultés.

Le Congrès aurait ainsi confirmé que le Président de la République, chargé d'assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité de l'État, n'est pas un justiciable ordinaire tant que, par sa fonction, il n'est pas un citoyen ordinaire. (M. le rapporteur acquiesce.) Une fois son mandat achevé, la protection dont il bénéficie temporairement sur le plan pénal disparaît et l'ancien Président, redevenu simple citoyen, répond, comme tout citoyen, de ses actes devant la justice.

Mais le projet de loi dont nous débattons ce soir ne se limite pas, tant s'en faut, à l'octroi au Président d'une immunité telle qu'elle est définie par la Cour de cassation. La rédaction nouvelle de l'article 67 pose un principe d'inviolabilité de portée générale pour tous les actes accomplis pendant ou avant son mandat par le Président.

Le cours de la justice pénale, mais aussi civile et administrative, est suspendu à l'égard de la personne du Président pour la durée de ses fonctions.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. En raison de ses fonctions !

M. Bernard Frimat. Pendant cette période, il est au-dessus de la loi, quand bien même il serait hors la loi.

Les sénateurs du groupe socialiste ne peuvent donner leur accord à cette inviolabilité. Il leur paraît bien sûr indispensable, au nom de l'intérêt général, que la fonction présidentielle soit protégée et qu'en conséquence, selon les termes mêmes de l'arrêt de la Cour de cassation, le Président ne puisse « pendant la durée de son mandat, être entendu comme témoin assisté, ni être mis en examen, cité ou renvoyé pour une infraction quelconque devant une juridiction pénale de droit commun ; qu'il n'est pas davantage soumis à l'obligation de comparaître en tant que témoin ».

En revanche, étendre cette immunité en soustrayant le Président à toute action civile ou administrative relative aux événements de la vie ordinaire de tout citoyen et donc totalement étrangers à son mandat nous semble inacceptable.

Si le texte est adopté conforme par le Sénat, il peut demain donner naissance à des situations invraisemblables qui priveraient de manière choquante, pour une période de cinq ou dix ans, et peut-être davantage, des citoyens du droit de réclamer à la justice le respect des droits les plus élémentaires concernant leur personne ou leurs biens du simple fait que le Président serait concerné.

Nous proposerons donc un amendement pour revenir stricto sensu à la position de la Cour de cassation.

Le nouvel article 68 proposé introduit dans notre vie politique une procédure qui n'est pas dans notre culture, en créant un mécanisme de destitution du Président par le Parlement.

Destituer un homme ou une femme dont la légitimité découle de l'élection au suffrage universel direct par le peuple souverain est un acte d'une telle gravité qu'on en imagine facilement le caractère exceptionnel. Cet acte doit échapper, si toutefois c'est possible, à toute manoeuvre politicienne. En ce sens, l'obligation de réunir une majorité des deux tiers des membres tant pour la proposition de réunion de la Haute Cour que pour la destitution elle-même apporte des garanties que ni le rapport de la commission Avril ni le projet de loi initial ne comportaient. Nous en prenons acte positivement.

Lors de leur audition par la commission des lois, les membres de la commission Avril ont affirmé, sans aucune ambiguïté, que la procédure de destitution n'avait à leurs yeux aucune dimension judiciaire et qu'elle relevait uniquement du champ politique, qu'elle était une mise en jeu de la responsabilité politique du Président et qu'elle constituait à ce titre un moyen de censure de l'exécutif.

L'Assemblée nationale, élue au suffrage universel direct, dispose seule de ce pouvoir de censure vis-à-vis du Premier ministre et de son gouvernement, dont les membres sont nommés par le Président. En contrepartie de cette spécificité, l'Assemblée nationale peut seule se voir frappée par une décision de dissolution.

Le projet de loi constitutionnelle modifie cet équilibre initial de la Constitution sur deux points fondamentaux : d'une part, il crée la responsabilité politique du Président ; d'autre part, il donne au Sénat un nouveau pouvoir, celui de mettre en jeu cette responsabilité politique.

Cette seconde modification ne peut recueillir l'accord des sénateurs du groupe socialiste. En matière de censure de l'exécutif, le Sénat ne peut et ne doit disposer des mêmes pouvoirs que l'Assemblée nationale, et ce pour une double raison : tout d'abord, il n'est pas élu au suffrage universel direct ; ensuite, il ne peut être frappé par une dissolution.

Si j'entends souvent la majorité sénatoriale réclamer une égalité de pouvoirs avec l'Assemblée nationale, je ne l'ai encore jamais entendue demander ni l'élection des sénateurs au suffrage universel direct ni le droit pour le Président de dissoudre le Sénat.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Très bien !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Elle n'a jamais demandé une égalité des pouvoirs entre les deux chambres !

M. Bernard Frimat. Il faut tirer de cette légitimité démocratique différente toutes les conséquences.

À une proposition de réunion de la Haute Cour adoptée par l'Assemblée nationale, le Président peut répondre par une dissolution mettant fin à l'existence de cette même assemblée.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Tout à fait !

M. Bernard Frimat. Le peuple souverain tranchera alors le conflit.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Absolument !

M. Bernard Frimat. En revanche, si cette même initiative provient du Sénat, le Président ne peut rien faire, et surtout pas renvoyer le Sénat, seule assemblée à ne pouvoir être dissoute.

Il faut préserver l'équilibre institutionnel existant et réserver à la seule Assemblée nationale la possibilité de demander la réunion de la Haute Cour. Le groupe socialiste présentera un amendement à cette fin.

De plus, était-il vraiment dans l'esprit des auteurs de la procédure de destitution d'étendre les pouvoirs d'une Haute Assemblée dont le mode de désignation ne permet pas l'alternance démocratique ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C'est vous qui le dites !

M. Bernard Frimat. Le groupe socialiste présentera un troisième amendement visant à modifier l'article 56 de la Constitution. En effet, ni le Gouvernement ni l'Assemblée nationale n'ont remarqué qu'un président destitué au titre du nouvel article 68 siégerait à vie, en application de l'article 56, au Conseil constitutionnel comme membre de droit. Ainsi, le Président, alors qu'il aurait été destitué en raison d'un manquement grave incompatible avec sa fonction, pourrait juger de la constitutionnalité des lois votées par le Parlement qui aurait voté sa destitution !

Cet oubli manifeste doit être réparé. Il suffirait à lui seul, monsieur le garde des sceaux, à montrer qu'on légifère toujours dans de mauvaises conditions quand les impératifs de calendrier l'emportent sur toute autre considération.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce sont les députés qui ont mal fait leur travail !

M. Bernard Frimat. En conséquence, vous l'aurez compris, mes chers collègues, le groupe socialiste ne peut en l'état approuver ce projet de loi constitutionnelle, dont le Parlement aurait pu, en fin de législature, faire l'économie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon.

M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la question de la responsabilité pénale du chef de l'État présente à mes yeux un intérêt plus intellectuel que véritablement politique. C'est sans doute ce qui lui donne un certain charme.

Ce charme est encore accru par la divergence des points de vue exprimés sur ce sujet successivement par le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation. Il faut atteindre ce haut niveau de quintessence pour produire des décisions qui aboutissent à peu près au même résultat tout en divergeant sur les modalités. Seule une élite des plus « triées », selon la formule de Saint-Simon, peut entendre ces choses comme il faut les entendre. (M. Pierre-Yves Collombat rit.)

Ne prétendant pas appartenir à cette élite, nous nous contenterons de relever avec notre sagesse habituelle ce qui, dans ce projet de loi, peut être considéré comme raisonnable et politiquement significatif, mais aussi de rejeter résolument ce qui paraît tantôt absurde - je veux parler de l'accès au Conseil constitutionnel d'un président déchu -, tantôt abusif - je fais référence à l'immunité présidentielle à l'égard des actions civiles.

Pour l'essentiel, nous comprenons qu'il convenait d'actualiser l'article 68 de la Constitution en fixant de manière plus appropriée les règles de destitution du Président pour faire de celle-ci, comme l'a bien souligné notre collègue Patrice Gélard, une sanction plus politique que pénale, une sorte de censure, et en confiant au Parlement tout entier la décision à cet égard, autant qu'une majorité des deux tiers est réunie.

Nous avons la conviction que notre régime politique a pris une tournure excessivement « présidentielle », au sens politique du terme et non au sens où l'entendent les constitutionnalistes. Pour cette raison, il convient de rétablir un meilleur équilibre entre le Président et le Parlement. Aussi, ce dispositif, pour extraordinaire qu'il soit et aussi peu de chances ait-il de fonctionner réellement, n'en constitue pas moins un progrès vers un rééquilibrage de ces pouvoirs.

Pour autant, nous ne saurions accepter que l'on profite de cette occasion pour introduire furtivement...

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Furtivement...

M. Pierre Fauchon. ...dans le statut du chef de l'État une immunité s'étendant aux actions de caractère civil. Il s'agit là non plus d'une adaptation, mais d'une innovation. Cette dernière est d'autant plus surprenante que rien dans le passé n'en fait apparaître la nécessité et que l'on n'en a pas trouvé d'exemple dans les institutions des grandes démocraties, spécialement européennes.

Monsieur le garde des sceaux, a-t-on bien mesuré la portée d'une telle mesure qui aura pour conséquence de faire supporter à des tiers le prix d'une immunité totale du Président pour une durée non pas de cinq, mais au moins de dix ans, voire plus, si l'on en juge par l'exemple des deux derniers présidents ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oh !

M. Pierre Fauchon. Monsieur le garde des sceaux, a-t-on bien mesuré la gravité des préjudices qui pourraient être ainsi causés ? Certains d'entre eux, en particulier dans les affaires de caractère familial, pourraient ne jamais être réparés au terme de ce délai de cinq ou de dix ans.

A-t-on pris conscience de l'inégalité qui résulterait de cette décision entre un Président qui conserverait le droit d'agir en justice - c'est ce qui est le plus fort dans cette décision ! - et des tiers qui n'auraient pas la faculté d'introduire une instance contre celui-ci ?

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Heureusement !

M. Pierre Fauchon. Dès lors qu'une instance serait introduite à leur encontre, les tiers en question ne pourraient même pas faire une demande reconventionnelle puisque celle-ci aurait, d'un point de vue juridique, le caractère d'une action. Ainsi, le Président pourrait impunément attaquer des gens qui ne pourraient se défendre. Mes compliments !

Est-il pensable que la victime d'un préjudice résultant d'une action commise par le Président ou par une personne dont il est civilement responsable - par exemple un enfant mineur ou un employé - ou bien encore causé par un bien placé sous sa responsabilité - une piscine, un barbecue, un engin quelconque, un escalier situé dans sa propriété - doive attendre cinq à dix ans, voire plus, et sans tenir compte des délais de procédure, pour obtenir réparation de son préjudice ? Sommes-nous dans un État de droit ou dans un État de droit divin ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Un État de droit divin !

M. Pierre Fauchon. Est-il pensable que, dans l'hypothèse d'un conflit familial, le conjoint du Président soit privé de la possibilité de divorcer et voie sa vie personnelle bloquée pendant toute cette durée, sans possibilité de formuler une demande reconventionnelle, alors que, de son côté, le Président conserverait quant à lui sa faculté d'ester en justice ?

Une éventuelle recherche en paternité - cela peut arriver à tout le monde ! (Exclamations amusées.) - devra-t-elle être paralysée pour une période aussi démesurément longue ? (M. le rapporteur rit.)

Monsieur le rapporteur, nul n'est à l'abri de ce genre de situation ! (Sourires.)

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Le Sénat est un bain de jouvence ! (Nouveaux sourires.)

M. Pierre Fauchon. Je regrette de vous faire sourire, car la matière est grave !

On pourrait envisager bien d'autres situations non moins troublantes. En revanche, autant l'hypothèse de la destitution a fort peu de chances de se présenter - surtout avec la majorité envisagée -, autant est probable, sur une telle durée, celle d'une difficulté de caractère civil, d'autant que les faits qui en seront à l'origine auront pu apparaître avant le début du mandat et que cela pourra concerner des procédures en cours.

On cherchera en vain les raisons d'une telle immunité civile dans les débats de l'Assemblée nationale, que j'ai relus. Celle-ci a voulu purger le texte de toute difficulté d'interprétation, mais ne s'explique aucunement sur ce point.

On cherchera en vain ces raisons dans le rapport de la commission Avril, qui croit pouvoir surmonter la difficulté en retenant que la responsabilité du Président sera tout simplement couverte par une assurance, laquelle ne manquera pas, selon la commission, de répondre à une action directe, comme s'il était dans les habitudes des assurances de réparer sans décision de justice des préjudices contestables et comme si les contentieux à l'égard desquels l'immunité est la plus contestable, tels les affaires familiales ou les litiges liés au travail, relevaient du domaine de l'assurance.

Nous sommes donc en présence d'une disposition qui viole les principes fondamentaux de l'égal accès des citoyens à la justice et de l'égalité de leurs droits, sans que soit avancée aucune justification juridique d'une disposition aussi exorbitante et sans que soit démontrée d'ailleurs sur le plan des faits la nécessité d'une telle immunité.

En effet, ce qu'il y a de plus surprenant dans cette affaire, c'est que cette immunité en matière civile n'existe pas actuellement dans notre droit et que nul n'invoque un précédent pouvant la rendre nécessaire.

Certains disent que cette immunité protégera le Président d'un harcèlement judiciaire. Mais si cette possibilité était avérée, elle aurait fait florès au cours des quinze à trente dernières années. Or tel n'a pas été le cas. En outre, l'absence de harcèlement procédural n'empêchera pas le harcèlement par voie de presse. Et la presse parlera bien davantage d'une situation qui ne pourra être réglée par la voie judiciaire en raison de l'immunité du Président ! Les campagnes de presse qui s'ensuivront seront finalement bien plus préjudiciables pour lui que ne l'aurait été son implication dans une procédure.

Autant nous considérons que le Président de la République assume sans doute la plus haute responsabilité de la République, autant nous estimons qu'il n'en est pas moins un citoyen. Le groupe de l'Union centriste-UDF, ne pouvant souscrire à de telles dispositions, s'abstiendra ou votera contre ce texte s'il ne parvient pas à les faire supprimer.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Oh non !

M. Pierre Fauchon. Je ne saurais mieux conclure qu'en rappelant l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, lequel dispose que la loi « doit être la même pour tous [...]. » Monsieur le garde des sceaux, vous êtes le gardien de cette loi !

On peut déroger à cette règle en matière pénale parce qu'il existe des raisons convaincantes pour ce faire, parce qu'il existe une tradition établie et parce que personne n'est lésé en définitive. Mais il en va tout autrement en matière civile. C'est pourquoi nous croyons fermement qu'il ne faut pas adopter une telle disposition. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.

M. Hugues Portelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle qui est soumis à l'appréciation du Sénat et qui modifie substantiellement le statut du Président de la République est le résultat d'un débat amorcé depuis plusieurs années.

Ce débat était inévitable pour plusieurs séries de raisons.

La première est l'inadéquation du texte constitutionnel dès l'origine. En effet, l'article 68 de la Constitution, écrite en quelques semaines, a repris en grande partie les dispositions des constitutions antérieures en déclarant le chef de l'État irresponsable pour les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions, sauf cas de haute trahison.

Cette rédaction, compréhensible dans les constitutions antérieures aux termes desquelles le Président ne disposait pas de pouvoirs propres dépourvus du contreseing ministériel, pose problème dans un contexte institutionnel nouveau où les actes non soumis à contreseing portent sur des sujets aussi essentiels que le recours à l'article 16, la dissolution de l'Assemblée nationale ou le référendum.

Il est vrai que le dispositif en vigueur n'est pas sans effectivité potentielle : si, par exemple, le Président recourt inconstitutionnellement à l'article 11, l'Assemblée nationale peut censurer le Premier ministre qui le lui a proposé - cela s'est produit en 1962 - et le Président peut répliquer par la dissolution : dans ce cas, le conflit entre Parlement et Président est tranché par les électeurs, comme ce fut le cas en novembre 1962.

De même, le recours abusif à l'article 16 pourrait entraîner le déclenchement de la procédure de haute trahison, puisque, durant cette période, l'Assemblée nationale ne peut pas être dissoute et le Parlement se réunit de plein droit.

Bien entendu, la notion de haute trahison n'a pas de définition unanimement reconnue, et la procédure prévue depuis 1875 crée une sorte de justice politique utilisant une procédure hybride, mi-pénale, mi-politique, qui n'est pas satisfaisante.

S'agissant d'une pratique empruntant au code de procédure pénale, sa compatibilité avec les critères du procès équitable qu'exige l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est, comme on l'a souvent relevé, plus que douteuse.

La refonte des dispositions de l'article 68 est apparue d'autant plus nécessaire que le constituant n'a pas hésité, au lendemain de l'affaire du sang contaminé, à réécrire intégralement les dispositions applicables aux membres du Gouvernement en créant sans ambiguïté possible un mécanisme de justice politique empruntant ouvertement aux règles du droit et de la procédure pénale au lieu et place de la haute trahison. Le moins que l'on puisse dire est que cette juridiction et cette procédure d'exception n'ont pas donné à ce jour de résultats probants et que c'est dans une autre direction qu'il fallait s'orienter pour le chef de l'État.

Pourtant, si nous sommes réunis aujourd'hui, ce n'est pas directement pour effacer les ambigüités de la responsabilité du Président pour les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions ; c'est pour adopter une procédure claire à propos des actes détachables de l'exercice du mandat présidentiel, qu'ils aient été accomplis avant ou durant celui-ci.

Les diverses procédures judiciaires concernant l'actuel chef de l'État pour des faits survenus avant son élection de 1995 ont contraint les différentes juridictions suprêmes à se prononcer sur un sujet d'autant plus difficile que la Constitution est muette. Faut-il solliciter les textes - en l'occurrence l'article 68 de la Constitution - et les interpréter dans un sens qui n'est pas indiscutable, comme a tenté de le faire le Conseil constitutionnel en 1999, ou bien, à la faveur d'une jurisprudence prétorienne, faut-il chercher dans la logique d'ensemble des dispositions constitutionnelles un fil conducteur donnant au juge pénal une solution raisonnable - c'est la solution qu'a retenue la Cour de cassation en 2001 ? La réponse n'est pas unanime et le constituant est d'autant plus contraint de se prononcer que deux jurisprudences contradictoires, entre lesquelles le Parlement devrait choisir, ne peuvent cohabiter.

Le Président de la République a demandé à un comité d'experts d'éclairer son jugement, et ce sont les conclusions de ce comité, présidé par le professeur Pierre Avril, qui ont été reprises presque mot à mot par le projet de loi constitutionnelle.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. C'est exact !

M. Hugues Portelli. Le comité a d'abord tranché entre deux solutions jurisprudentielles possibles : celle du Conseil constitutionnel, qui créait un privilège de juridiction au profit du chef de l'État en confiant à la Haute Cour de Justice le soin de juger aussi bien des actes extérieurs à la fonction présidentielle que de ceux constituant une haute trahison, et celle de la Cour de cassation, créant une inviolabilité temporaire du chef de l'État pour les actes extérieurs à sa fonction au nom de la continuité de l'État dont il est le garant, mais le renvoyant devant le juge ordinaire au terme de son mandat tout en maintenant la compétence de la Haute Cour de justice pour les actes accomplis par le Président dans l'exercice de ses fonctions.

Le comité Avril a opté pour la solution proposée par la Cour de cassation mais en a profité pour l'infléchir dans deux directions : d'abord, en étendant l'inviolabilité à toutes les procédures, qu'elles soient pénales, civiles ou administratives, au motif du lien croissant entre toutes ces procédures dans les actions en responsabilité ; ensuite et surtout, en évitant de créer une inviolabilité totale, y compris en cas de flagrance.

Ce faisant, le comité a infléchi son raisonnement pour considérer que l'instance parlementaire de jugement n'avait pas à interférer dans une procédure à caractère juridictionnel, mais devait se contenter de lever l'immunité pour des cas graves rendant la poursuite du mandat présidentiel impossible. Dans ce cas, la procédure - purement politique - la plus simple et la plus appropriée était la destitution, faisant du Président révoqué un simple citoyen à nouveau passible des tribunaux.

Considérant que la procédure de destitution pourrait être également utilisée pour les fautes constitutionnelles commises dans l'exercice de la fonction présidentielle - cela permettrait de sortir des incertitudes de la haute trahison -, le comité Avril a opté pour une rédaction commune aux deux cas de figures : les infractions pénales graves rendant impossibles à la fois la poursuite de l'immunité et celle du mandat, et les fautes constitutionnelles commises dans le cadre de ses fonctions. Ce que le comité et, après lui, le projet de loi constitutionnelle ont appelé « le manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat » permet d'englober ces deux hypothèses avec la même sanction politique : la destitution.

La solution reprise par le projet de loi constitutionnelle répond donc à plusieurs objections.

Elle n'interfère pas avec la procédure pénale, puisque la sanction unique - la destitution - est purement politique.

Elle ne crée pas une inviolabilité totale du chef de l'État, puisque celle-ci peut être levée, dans les cas les plus graves, par la destitution.

Elle ne laisse pas le Président à la merci d'un détournement politique de la procédure, puisque le chef de l'État peut toujours dissoudre l'Assemblée nationale - ou démissionner - pour laisser au peuple souverain le soin de trancher.

En cas de faute constitutionnelle, elle n'enferme pas la définition de cette faute dans un cadre trop étroit ou dépassé, en l'occurrence celui de la haute trahison.

Les objections contre les limites de ce texte ont été en grande partie levées par nos collègues députés : d'abord, en supprimant l'empêchement du Président en cas de recours à cette procédure, ce qui aurait aggravé l'affaiblissement du chef de l'État et préjugé de son sort ; ensuite, en imposant une majorité qualifiée telle, aussi bien lors du vote des assemblées pour lancer la procédure que lors du vote du Parlement réuni en Haute Cour, que le détournement partisan de cette procédure devienne impossible.

Les objections qui demeurent ou en tout cas qui ont fait l'objet de débats au sein de la commission des lois se résument à trois arguments.

Premièrement, pourquoi étendre au-delà du domaine pénal l'immunité présidentielle ? À cette objection, il est facile de répondre que, en matière de responsabilité, la séparation entre les voies civiles, pénales et administratives est devenue très franchissable.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Oui !

M. Pierre Fauchon. N'essayez tout de même pas ! (Sourires.)

M. Hugues Portelli. Laissez-moi parler !

Le juge administratif renvoie systématiquement au juge pénal pour une série de fautes administratives - c'est notamment le cas pour les institutions locales -, et le juge civil connaît d'actions en responsabilité conduites parallèlement au civil et au pénal. Les inconvénients qui sont liés à cette extension sont bien inférieurs aux dommages causés par une limitation au seul champ pénal de l'inviolabilité, et le législateur organique aura tout loisir d'y trouver des solutions.

Deuxièmement, pourquoi confier au Parlement et non à l'Assemblée nationale la mise en oeuvre de la destitution ? À cette réserve envers le rôle du Sénat, il convient de répondre que le chef de l'État ne peut faire l'objet d'une procédure de défiance politique devant l'Assemblée nationale qui soit parallèle à celle du Gouvernement et que, si l'on voulait respecter le parallélisme des formes, c'est par et devant le peuple souverain qui l'a élu que cette procédure devrait être instaurée. Mais la France n'est pas un État américain et le recall de type californien n'est pas encore prêt d'entrer dans nos moeurs ! Dans ces conditions, seul le Congrès, qui est compétent pour réviser la Constitution au même titre et au lieu et place du peuple souverain, est légitime pour conduire cette procédure.

Quant à l'argument tiré du statut de membre de droit à vie du Conseil constitutionnel pour les anciens présidents de la République, la destitution éventuelle de ces derniers n'implique pas leur maintien dans leur nouvelle fonction. En effet, la lecture de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et du décret d'application du 13 novembre 1959 relatifs à l'organisation du Conseil constitutionnel, tout comme celle de la jurisprudence du Conseil constitutionnel -  je vous renvoie à la décision du 7 novembre 1984 relative à l'élection de M. Valéry Giscard d'Estaing dans la deuxième circonscription du Puy-de-Dôme - démontre, d'une part, que « tous les membres du Conseil constitutionnel sont soumis aux mêmes obligations », et, d'autre part, que les membres du Conseil peuvent constater à la majorité simple la démission d'office de celui d'entre eux qui aurait manqué aux obligations de sa fonction, et en particulier - je cite le décret - à « l'indépendance et à la dignité de celle-ci ».

M. Robert Badinter. Un décret contre la Constitution : bravo !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Cela n'a rien à voir ! Ce n'est pas un décret contre la Constitution !

M. Hugues Portelli. Monsieur Badinter, permettez-moi de conclure mon intervention !

M. le président. Mon cher collègue, veuillez laisser M. Portelli s'exprimer !

M. Hugues Portelli. Il n'y a pas de privilèges ici !

Dès lors que la révision de la Constitution était devenue inévitable et que celle-ci nécessitait de régler le problème à la fois de l'inviolabilité temporaire du Président et du respect, par ce dernier, de ses obligations constitutionnelles, la voie choisie par le projet de loi constitutionnelle me semble - je partage en cela l'avis du groupe UMP - la plus rationnelle et la plus conforme aussi bien au principe de continuité de l'État qu'à celui de respect des règles essentielles d'un État de droit.

Cette réponse équilibrée vise à résoudre un problème qui ne peut plus être réglé par des textes dépassés ou laconiques. Elle concilie des solutions jurisprudentielles qui concordent sur l'essentiel et reprend, sans les copier servilement, des procédures prévalant dans les autres États démocratiques. Elle le fait avec clarté, précision et bon sens. Il est donc normal que nous la soutenions. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Dans le temps qui m'est imparti, j'irai droit aux questions qui nous importent.

Première remarque, lors de la campagne électorale de mars 2002, le Président de la République a affirmé que cette réforme concernait « les fondements mêmes de la République ». Dans ce cas, doit-on y procéder dans les conditions où nous sommes ? Je réponds par la négative.

Deuxième remarque, si cette réforme avait trait aux fondements mêmes de la République et était essentielle, expliquez-moi pour quelles raisons le projet de loi se trouve sur le bureau du Président de la République depuis le mois de juillet 2003 très exactement ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Sur le bureau de l'Assemblée nationale !

M. Robert Badinter. Si cette réforme était aussi excellente que l'un de nos éminents juristes vient de le dire, pourquoi le chef de l'État s'est-il gardé de l'appliquer et en a-t-il laissé le soin à ses successeurs ?

J'évoquerai maintenant la réforme proprement dite.

Elle est parfaitement inutile en ce qui concerne le statut pénal du Président de la République, parce que, depuis la décision du Conseil constitutionnel et l'arrêt de la Cour de cassation - surtout d'ailleurs depuis l'arrêt de la Cour de cassation -, les choses sont aussi claires que possibles. On connaît les principes républicains : le Président de la République française ne peut pas être poursuivi pour les actes commis dans l'exercice de ses fonctions ; il bénéficie d'une immunité, à l'exception de l'hypothèse de la haute trahison - cela résulte sans doute du souvenir du coup d'État du 2 décembre 1851 -, qui n'a jamais joué.

Quoi qu'il en soit, tout le monde s'accorde à dire que l'immunité du Président de la République s'applique pour les actes commis dans l'exercice de ses fonctions. S'agissant d'éventuelles poursuites pour des actes antérieurs ou étrangers à son mandat, la Cour de cassation a été amenée à se prononcer lors des affaires liées à la Ville de Paris, qui ont à l'époque défrayé la chronique mais qui n'intéressent aujourd'hui, semble-t-il, plus personne.

Peu importent les actes, la réponse de la Cour de cassation est très claire : c'est non. Tant que le Président de la République est en fonction, il bénéficie d'une immunité - que l'on conçoit -, à la fois pénale et juridictionnelle, contre tous les actes de poursuite. L'horloge judiciaire est arrêtée et il y a suspension des prescriptions.

Le jour où le Président de la République quitte ses fonctions, il redevient un citoyen ordinaire. À ce moment-là, l'horloge se remet en marche et les poursuites reprennent à l'encontre du président sortant.

Pourquoi cette réponse de la Cour de cassation ? Parce qu'il s'agit tout simplement, et nul ne le conteste, de protéger le Président de la République non pas en tant que personne, ce qui ne peut nous intéresser au regard du principe de l'égalité devant la loi, mais au titre de sa fonction.

Ce que nous voulons, c'est protéger la présidence. En effet, spécialement sous la Ve République, le Président de la République est non seulement « l'homme de la nation », comme disait superbement le général de Gaulle, mais aussi le représentant de la France à l'étranger. De surcroît, c'est lui qui négocie avec les puissances étrangères, et même constamment avec les États de l'Union européenne. (M. Michel Mercier approuve.)

Il faut donc que le Président de la République, lorsqu'il incarne la République, soit à l'abri de toute poursuite pénale, car un président poursuivi est un président affaibli.

Il n'y a donc véritablement aucune raison que nous nous lancions dans cette direction. Les choses sont très claires à cet égard.

Le texte n'apporte rien, hormis le fait qu'il va jusqu'à l'extrême limite, ce que personne ne demandait, s'agissant des actions civiles et même de l'hypothèse de haute trahison.

Nous pourrions parfaitement, mes chers collègues, en y consacrant un peu de temps et de soin, définir dans un aggiornamento législatif, constitutionnel en l'occurrence, ce qu'est la haute trahison dans l'État moderne où nous sommes - atteinte à la sûreté intérieure et extérieure, atteinte aux intérêts financiers de l'État, etc.

Ce serait facile, mais le texte ne le prévoit pas. Non seulement il ne définit pas la haute trahison, mais il supprime toute référence à cette notion. Il n'y a plus aucune possibilité de poursuivre le Président de la République lorsque, dans l'exercice de ses fonctions, il serait allé jusqu'à trahir les intérêts de la patrie.

De ce fait, il supprime évidemment la Haute Cour de justice. L'immunité totale qui en résulte aura une conséquence s'agissant de la Cour pénale internationale, et nous y reviendrons lors de l'examen des amendements.

En effet, ne pouvant pas être poursuivi pour des actes commis dans l'exercice de ses fonctions comme chef des armées, ayant éventuellement une responsabilité pénale dans une opération d'intervention extérieure à l'étranger où des crimes de guerre seraient commis, le Président de la République française sera jugé, non pas en France, mais à La Haye, par la Cour pénale internationale. Je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure solution ! (M. Patrice Gélard fait un signe de dénégation.)

Ne hochez point la tête, monsieur Gélard ! C'est une certitude, et vous ne pourrez pas me démontrer le contraire !

M. Robert Badinter. Mais laissons de côté ce point qui n'est qu'une hypothèse, pour en revenir au sujet essentiel, excellemment développé par M. Fauchon : au nom de quoi donnez-vous au Président de la République française cette extraordinaire immunité totale ?

Le texte le place sous globe au regard des actions civiles qui peuvent être intentées légitimement contre lui, avec les conséquences qui peuvent s'ensuivre. Ainsi, l'épouse du Président de la République serait la seule Française à ne pas pouvoir divorcer, pendant cinq ans, dix ans, à moins que son mari n'y consente : c'est de la répudiation !

Si le président de la République a eu un enfant illégitime, ce dernier sera le seul enfant illégitime qui ne pourrait pas saisir le juge pour obtenir une reconnaissance de paternité !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Cela s'est déjà produit !

M. Robert Badinter. Si le Président de la République a traité avec un éditeur et obtenu, avant d'être en fonction, un très gros à-valoir pour un livre qu'il a promis, mais qu'il n'écrira pas ou qu'il remettra à une date indéterminée, l'éditeur sera le seul en France à ne pas pouvoir réclamer le paiement des arriérés !

L'immunité totale au regard de ces actes est-elle nécessaire au salut de la patrie et à la protection de la présidence de la République ? En quoi cette dernière est-elle concernée par tous ces actes ? Avec Pierre Fauchon, on peut se demander à quel titre on pourrait déroger au principe fondamental du code civil, qui s'appliquait déjà à Napoléon, en vertu duquel tous les Français sont égaux devant la loi civile.

Oui, je souhaite, comme tout le monde, protéger la présidence de la République, mais je dis « non » quand il s'agit de protéger le Président lui-même pour des actes civils ! Et qu'on ne me parle pas de harcèlement judiciaire...

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Ah si ! C'est bien le débat !

M. Robert Badinter. Si vous croyez que le harcèlement médiatique, la couverture people...

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Justement !

M. Robert Badinter.... ne créent pas une émotion plus grande et ne risquent pas de porter plus grand tort au président de la République que l'action judiciaire, permettez-moi de dire que, pour le garde des sceaux, c'est une singularité !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Puis-je vous interrompre, monsieur Badinter ?

M. Robert Badinter. Permettez-moi de terminer, monsieur le garde des sceaux.

L'immense avantage d'une procédure judiciaire, c'est qu'elle est contradictoire et publique. Les propos qui sont tenus ne s'adressent pas au grand public, mais au magistrat qui écoute. Son jugement intervient à la fin du débat, afin d'établir le vrai et le faux. Il est à même de refouler les actions abusives et de condamner à des dommages et intérêts les plaideurs mal fondés.

Cela n'est pas possible face à une campagne de ragots ou de rumeurs entretenus par la presse people. Par conséquent, il est aussi de l'intérêt du Président de la République que ces affaires-là puissent, le cas échéant, aller en justice.

Au regard des victimes, que l'on n'invoque pas le harcèlement judiciaire ! Il s'agit d'actes privés qui leur ont causé dommage et pour lesquels il est normal qu'elles obtiennent réparation. Tant mieux si l'assurance peut jouer, mais reconnaissons que ce ne sera pas le cas pour les actes que j'ai évoqués !

Il n'y a donc aucune raison de protéger le Président de la République des actes civils. Et je vais même plus loin...

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, me permettez-vous de vous interrompre ?

M. Robert Badinter. Je vous en prie, monsieur le ministre.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, avec l'autorisation de l'orateur.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Peut-être ai-je tort de vous interrompre dans votre propos, monsieur le sénateur, mais ce point précis touche effectivement le problème essentiel.

Pourquoi voulons-nous donner l'immunité au Président de la République pour les actes civils également ?

D'abord, je rappelle que c'est la commission Avril qui a eu l'idée de cette proposition, sinon j'avoue que nous ne l'aurions pas présentée. Cette commission est essentiellement composée de juristes et non pas de politiques - ces derniers ne sont pas à la mode aujourd'hui !

Ensuite, vous dites que le problème est lié aux médias. Je vous donne raison sur ce point, mais le raisonnement que je tiens est totalement différent. En effet, s'il n'y a pas de procédure civile, il n'y a pas de médias, monsieur Badinter !

Quand survient un choc médiatique qui harcèle un homme politique, c'est bien parce qu'il y a eu un début de quelque chose, qui est précisément le lancement de la procédure.

MM. Robert Badinter et Pierre-Yves Collombat. Non !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Dès qu'une mise en examen est prononcée, le harcèlement médiatique commence.

Si toute procédure est empêchée par le biais de ce texte, je ne vois pas comment interviendra un harcèlement médiatique.

En revanche, si une affaire est de notoriété publique, le Président de la République ne pourra pas invoquer cette inviolabilité et acceptera de répondre aux questions. Il rentrera même dans le processus civil, parce qu'il sera publiquement mis en cause par l'opinion publique.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Bien sûr !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Par conséquent, le problème est réglé.

M. Robert Badinter. Non, cela ne le règle que pour vous !

Si une femme dénonçait le Président de la République qui aurait eu à son égard des gestes incivils...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela relève du domaine pénal !

M. Robert Badinter. Non, pas nécessairement pénal !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. C'est complètement pénal !

M. Robert Badinter. Dans ce cas-là, quelle importance ? Pourquoi passez-vous sous silence tous les cas que j'ai évoqués ?

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Lesquels ?

M. Robert Badinter. Je pense au divorce, à la reconnaissance de l'enfant, à l'éditeur à payer, au fisc. Tout cela ne compte pas !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Le Président acceptera la procédure ! Il n'y aura pas d'inviolabilité dans ces cas-là puisque l'affaire sera publique !

M. Robert Badinter. Comment cela, pas d'inviolabilité ? On ne peut pas l'assigner au civil !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Le Président de la République l'acceptera de lui-même ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Robert Badinter. Vous dites que le Président de la République acceptera la procédure de lui-même. En clair, cela signifie qu'il pourra consentir à aller devant les tribunaux, mais qu'il pourra aussi refuser.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. S'il veut être condamné, il pourra être condamné !

M. Robert Badinter. Cela s'appelle le bon plaisir dans toutes les sociétés monarchiques, monsieur le garde des sceaux !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Monsieur Badinter, puis-je vous interrompre ?

M. Robert Badinter. Je vous en prie, monsieur le ministre.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, avec l'autorisation de l'orateur.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Je veux bien que l'on discute, mais essayons de ne pas verser dans la polémique !

M. Robert Badinter. Nous ne faisons pas de la polémique !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Nous voulons tenter de protéger le Président de la République des harcèlements infondés. Il ne s'agit nullement ici du bon plaisir du chef ou du président !

L'idée est d'empêcher tout harcèlement infondé. En revanche, lorsque la dénonciation est fondée, l'affaire connue, le Président se conformera, comme tout citoyen, aux demandes des parties.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On décidera que c'est infondé !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Vous, vous voulez faire de la polémique !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Les présidents ne sont pas des voyous !

M. Robert Badinter. Non, je ne fais pas de la polémique,...

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Si, totalement !

M. Robert Badinter.... je veux seulement vous ramener au sens des réalités !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Ce n'est ni réaliste ni fondé.

M. Robert Badinter. Je ne peux pas admettre cette idée inouïe selon laquelle le Président de la République française est le seul Français sous cloche immunisante, ne répond de rien pendant la durée de son mandat, ni de ses actions pénales, ni de ses actions civiles, ni même de la haute trahison ! Personne ne bénéficie d'une immunité comparable !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il est inviolable !

M. Robert Badinter. J'en arrive maintenant à l'essentiel. Il s'agit de l'innovation introduite par nos éminents collègues, pour lesquels j'éprouve respect, considération et amitié, mais qui - je le sais pour avoir beaucoup vécu avec eux, de colloques en colloques, d'articles en articles - travaillent souvent dans l'abstraction.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pas tellement !

M. Robert Badinter. On nous dit que le Président sera destitué et qu'à ce moment-là il subira les conséquences de tous ses actes susceptibles de poursuites.

S'agissant des causes de la destitution, il nous a été dit, d'abord, que la haute trahison était une expression trop vague. S'étant beaucoup penché sur cette question qui le passionnait, le doyen Vedel avait défini, dès 1948, la haute trahison comme « une violation grave des devoirs de la charge ». C'était une formule générale, mais qui pouvait être mise en oeuvre.

Voyez-vous une différence avec les termes du texte qui nous est proposé : « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat » ? C'est simplement plus mal écrit ! Je préférais le style du doyen Vedel.

Cette formule laisse ouverte l'interprétation souveraine du Parlement, qui décidera lui-même, au coup par coup, de la gravité du manquement. Rien de tout cela ne respecte les premiers principes de la légalité que nous évoquions tout à l'heure ! J'aurais préféré que l'on définisse la haute trahison.

En ce qui concerne le domaine des actes du Président, le principe appliqué aujourd'hui est celui des actes accomplis « dans l'exercice de ses fonctions ». On ne peut pas imputer au Président de la République, avant la fin de son mandat, des infractions qu'il aurait pu commettre dans le cadre d'autres fonctions.

Mais avec le texte qui nous est soumis, c'est fini ! À en croire les écrits des plus distingués auteurs qui sont intervenus dans cette commission, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, la révélation d'actes antérieurs peut être prise en considération.

Des exemples sont cités. Supposons que l'on s'aperçoive - on voit très bien pourquoi - que le Président de la République aurait commis des actes de torture en Algérie, dans un très lointain passé. Pour les futurs candidats, on peut se demander ce que cela peut signifier. À défaut de ces réminiscences de faits historiques - que l'on connaîtra très bien avant l'élection d'ailleurs compte tenu de la façon dont on cherche dans le passé et même dont on invente ce qui ne s'y trouve pas -, on évoquera des affaires de corruption liées à des fonctions antérieures de la Présidente ou du Président de la République, à sa compromission dans des affaires de marchés publics, ou tout simplement ses liens avec un réseau de corruption qui finissait à la mairie ou à la présidence du conseil général ou du conseil régional... Tout cela n'est pas impossible !

Comment cela va-t-il se passer ? Je pose la question, parce que je connais la réalité des choses, je sais ce qui se passe ! Imaginons une instruction en cours à propos de laquelle le nom du Président ou de la Présidente de la République est cité : à quel moment le Parlement pourrait-il dire qu'il y a révélation d'un « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat » ? Mes chers collègues, réfléchissez ! La présomption d'innocence interdirait que l'on agisse et le Président ne pourrait pas paraître dans l'instruction en cours !

Alors, on se réunirait, on destituerait, on estimerait que les journaux fournissent suffisamment d'éléments pour que l'on considère qu'il y a manquement incompatible - puisqu'il s'agit d'une appréciation souveraine... Et si le Président, une fois destitué, bénéficiait d'un non-lieu ou d'un acquittement, on le réintégrerait ?

M. Jean-Luc Mélenchon. C'est l'argument fort !

M. Robert Badinter. Le Parlement adopterait-il une motion de repentance ?

Réfléchissons ! C'est des fondements de la République qu'il est question, comme le soulignait le Président Chirac ! Tant qu'une instruction sera en cours, il est évident que jamais nous n'oserons prendre de résolution de destitution, c'est cela la réalité ! Alors, à quoi est-il fait allusion ici ? Qu'est-ce que cela signifie ?

Voilà pour les manquements concernant les actes antérieurs. Mais je poursuis.

M. le président. Mon cher collègue, il faut songer à conclure !

M. Robert Badinter. Monsieur le président, tout à l'heure, entre dix-sept et dix-huit heures, chacun, et je m'en réjouis, a largement pris son temps, à commencer par M. Gélard.

M. Patrice Gélard. Non ! J'ai parlé quinze minutes exactement !

M. Robert Badinter. Je vous ai suivi avec passion, c'était fabuleux !

M. le président. Mon cher collègue, je suis tenu de faire respecter le temps de parole imparti à chaque groupe. Je me permets de vous rappeler que, si vous épuisez le temps du groupe socialiste, il me sera difficile d'accorder la parole à Mme Boumediene-Thiery !

M. Robert Badinter. Chère amie, à vous ! Je vous cède la place. À moins que vous ne me laissiez continuer un peu...

Mme Alima Boumediene-Thiery. Vous me placez devant un choix difficile !

M. Robert Badinter. Je reprends, mais très rapidement, monsieur le président. Vous avez tout de même décompté de mon temps les interruptions dues au garde des sceaux ?

M. le président. J'ai tout déduit !

M. Robert Badinter. Quant aux manquements étrangers à sa fonction, on évoque le cas où l'on s'apercevrait, horresco referens, que le Président de la République a tué sa maîtresse ou, nouvel Othello, sa femme... Soyons sérieux ! Après la révélation d'un tel crime, il ne résisterait pas cinq minutes dans sa fonction ! Le pays accepterait-il d'être dirigé par un Président assassin ou meurtrier ? Il faut en rester à ce qui est exact !

Ce qui est exact, c'est ceci, et seulement ceci - et c'est là qu'est le péril : en vérité, les manquements graves, et on l'a dit, ne peuvent qu'être des manquements aux fonctions présidentielles ; il ne peut ici s'agir de corruption, car, dans les faits, la procédure serait tributaire de l'instruction. En clair, le projet de loi propose que le Président soit destitué parce que le Parlement aurait estimé qu'il a abusé de ses pouvoirs présidentiels.

M. Patrice Gélard. Non ! Il ne s'agit pas d'abus de pouvoirs, il s'agit de manquements !

M. Robert Badinter. On peut aimer ou ne pas aimer la Ve République, on peut très bien songer à retourner à une république parlementaire, mais on ne peut pas mélanger les genres. On ne peut pas insérer ici une sorte de frère jumeau de l'impeachment américain à la sauce française.

M. Patrice Gélard. Cela n'a rien à voir !

M. Robert Badinter. Car jamais nous ne manquerons de vieux Caton ni de jeunes Saint-Just pour, à toute occasion, sous tout prétexte, déposer une motion tendant à la destitution du Président de la République parce qu'il aurait manqué à ses devoirs.

Vous m'objecterez que cela n'a aucune importance puisque la majorité requise a été fixée aux deux tiers, et ce d'ailleurs grâce à des protestations très fortes dont celui qui parle est pour une bonne part l'auteur. Mais cela revient à dire - et c'est là où le dispositif est fondamentalement inégalitaire - qu'il sera impossible à une majorité de gauche de jamais destituer un Président de droite. La composition électorale du Sénat est telle que jamais, je dis bien jamais, la gauche ne pourra obtenir cette majorité des deux tiers, pas plus d'ailleurs que celle des trois cinquièmes, majorité initialement requise. Jusqu'à la dernière élection, la droite détenait les deux tiers des sièges ; nous verrons bien ce qu'il en sera après la prochaine élection.

Quoi qu'il en soit, nous serons face à cette conséquence prodigieuse d'inégalité, factuelle, réelle, indiscutable tant que le mode d'élection du Sénat n'aura pas été réformé : la procédure que vous inventez peut être éventuellement utilisée par la droite, mais par elle seule. Elle aurait été possible, par exemple, entre 1993 et 1995, quand les deux tiers de l'Assemblée nationale étaient à droite, comme les deux tiers du Sénat. Souvenez-vous également de la crise de la signature des ordonnances en 1986 ! Et j'ai encore dans l'oreille les cris de « Démission ! Démission ! » à l'intention du Président Mitterrand, en 1984, lors de la crise scolaire !

Dans un cas semblable, la droite parlementaire sera en mesure si elle le veut, puisque c'est une appréciation souveraine, de destituer le Président de la République ; la gauche parlementaire, jamais. Telle est la réalité du projet de loi qui nous est proposé ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Charles Revet. Ce n'est pas sérieux !

M. Josselin de Rohan. Ce sont les socialistes qui ont proposé ce seuil !

M. Robert Badinter. À partir de là, mes chers collègues, vous ne pouvez pas voter ce texte inégalitaire, précisément à cause de ce déséquilibre.

M. le président. Si vous voulez bien conclure...

M. Robert Badinter. On me répond que je n'ai pas de souci à me faire, que cela ne marchera jamais, que les deux tiers ne seront jamais réunis... C'est très bien ! Mais alors, qu'êtes-vous en train d'inventer ? Un sabre de bois ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Une arme de dissuasion !

M. Robert Badinter. Je vais vous dire ce que vous inventez : vous inventez une tribune pour toutes les attaques démagogiques possibles. C'est à cela que l'on est en train d'aboutir, et sans aucune nécessité !

La moindre des choses eût été que le Parlement travaille longuement sur cette question, qu'il s'interroge pour déterminer jusqu'où il est possible d'aller dans la mise en cause de la responsabilité du Président de la République.

M. le président. Veuillez conclure, s'il vous plaît !

M. Robert Badinter. Je voterai absolument contre le projet de loi constitutionnelle tel qu'il nous est présenté. Je souhaite, dans l'intérêt général, qu'il ne voie pas le jour - ce ne serait pas la première fois qu'un texte s'arrêterait avant le Congrès ! - et qu'au contraire nous le reprenions après l'élection présidentielle, après la constitution d'une nouvelle Assemblée nationale. Car la majorité actuelle est expirante, le mandat du Président de la République s'achève : et c'est dans ces conditions que l'on toucherait à ce que le Président lui-même dit être les fondements de la République ? Eh bien oui, je le dis franchement : je souhaite que nous nous arrêtions là, et que nous retravaillions ultérieurement sur le problème autant qu'il le mérite, sérieusement, pas en nocturne, pas en comptabilisant les secondes et les minutes.

Oui, je voterai contre. Et si je devais utiliser un seul adjectif, je dirais que, au regard de la réalité des institutions politiques françaises, la réforme qui nous est proposée est... comment disait-on ? abracadabrantesque ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Je rappelle au Sénat que le rôle du président de séance est de faire respecter les temps de parole attribués par la conférence des présidents.

La parole est à M. Jean-René Lecerf.

M. Jean-René Lecerf. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, permettez-moi d'abord de remercier l'UMP d'avoir accepté de me confier une partie de son temps de parole alors que je défends une position contraire à celle qui a été très majoritairement adoptée par le groupe dont je suis membre. Je m'exprime donc ici à titre personnel.

J'exposerai très rapidement les deux raisons principales de mon hostilité à cette révision constitutionnelle.

D'une part, et c'est là pour moi l'essentiel, j'estime que cette réforme bouleverse les fondements de la Ve République, auxquels je suis profondément attaché. D'autre part, un certain nombre de ses modalités m'apparaissent ou dangereuses pour la sérénité du fonctionnement de nos institutions, ou préjudiciables au respect qui doit leur être porté.

La doctrine a disserté à perte de vue sur la nature originale de la Ve République et sur le caractère semi-parlementaire et semi-présidentiel du régime qu'elle met en place. Je pense pour ma part - je peux me tromper, mais c'est ma conviction - qu'elle établit une double responsabilité politique : celle du gouvernement devant le Parlement et celle du Président de la République devant le peuple français.

À l'accusation selon laquelle un président irresponsable disposerait désormais de considérables pouvoirs propres, dispensés du contreseing ministériel - dissolution, référendum, article 16 -, il est aisé de répondre qu'à l'irresponsabilité du Président devant le Parlement s'est substituée sa responsabilité devant le suffrage universel, aujourd'hui à l'occasion des échéances présidentielles, mais aussi, lorsque le général de Gaulle était chef de l'État, lors de chaque référendum, voire de chaque élection législative.

La réforme actuelle vise à introduire une responsabilité politique du Président de la République devant le Parlement, étrangère selon moi tant à l'esprit de nos institutions qu'à la volonté des constituants.

Lorsque l'on cherche des exemples de ce « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat » qui devrait se substituer à la notion de haute trahison, ce n'est pas tant à certains faits divers réels ou supposés que l'on se réfère, c'est bien plutôt à certains choix dans l'exercice du pouvoir opérés par le premier Président de la Ve République : utilisation du référendum direct de l'article 11 pour réviser la Constitution, mise en oeuvre et durée d'application de l'article 16, refus de convocation du Parlement en session extraordinaire. L'idée même, mes chers collègues, que l'on aurait pu songer à traduire le général de Gaulle devant l'Assemblée nationale et le Sénat réunis donne un frisson rétrospectif,...

M. Robert Badinter. Très juste !

M. Jean-René Lecerf.... et l'on se prend à redouter que, face à pareille initiative, la tentation de l'éloignement du pouvoir n'eût été bien difficile à surmonter !

Mais si je passe outre à cette objection de fond pour m'interroger sur les modalités de cette révision, je ne suis pas davantage convaincu. Même en laissant de côté la question, déjà fort contestable, de l'immunité du Président de la République sur le plan civil, il est au moins deux difficultés sur lesquelles, mes chers collègues, je souhaite attirer votre attention.

D'une part, la majorité des deux tiers désormais exigée devant chaque chambre et devant la Haute Cour pour aboutir à la destitution du Président garantira sans doute le dépassement des clivages partisans, mais elle favorisera aussi les votes calibrés dont la IVe République était si coutumière dans la mise en cause de la responsabilité gouvernementale. Ils consisteraient ici à désavouer un Président sans atteindre la majorité qualifiée nécessaire à sa destitution. Qu'adviendrait-il alors du crédit du Président, de son autorité nationale et internationale ?

M. Robert Badinter. C'est exact !

M. Jean-René Lecerf. Ne nous berçons pas d'illusions : comme le soulignait l'illustre collègue qui s'est exprimé avant moi, il ne manquera pas de petits Saint-Just, à gauche comme à droite de l'échiquier politique, pour s'offrir une médiatisation à bon compte par une proposition de réunion de la Haute Cour !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Cela a déjà été fait !

M. Jean-René Lecerf. D'autre part, il n'est pas convenable d'imaginer qu'un Président destitué puisse devenir membre de droit à vie du Conseil constitutionnel. Comment ériger en juge de la constitutionnalité et en instrument de contrôle d'un législateur qui l'aurait par hypothèse condamné celui qui aurait commis ce que Maurice Hauriou appelait une « haute trahison vis-à-vis des institutions constitutionnelles » ?

M. Bernard Frimat. Bien sûr !

M. Jean-René Lecerf. Avouez que tout cela a de quoi surprendre !

Je conviens volontiers qu'il était utile de s'affranchir des interprétations divergentes du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation et même que la constitutionnalisation de la jurisprudence de la Cour de cassation pouvait recueillir un large consensus.

M. Robert Badinter. Absolument !

M. Jean-René Lecerf. Mais n'était-il pas possible, mes chers collègues, de s'arrêter là plutôt que d'utiliser pour écraser une mouche - car nous nous situons là largement dans le virtuel ! - un marteau-pilon qui risque de causer bien d'autres dégâts ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Mes chers collègues, le temps de parole du groupe socialiste est épuisé. Cependant, par courtoisie, j'accorde cinq minutes à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, à quelques jours de la fin de la session parlementaire, à quelques semaines à peine de l'élection présidentielle, alors que la majeure partie des citoyens se trouve captivée par ce début de campagne, le Gouvernement nous propose un projet de loi constitutionnelle qui, supposé porter réforme du statut et de la responsabilité du Président de la République, aura de lourdes conséquences sur l'équilibre des pouvoirs parlementaires. En réalité, il nous est demandé de statuer sur la responsabilité politique, ou plutôt sur l'irresponsabilité politique du chef de l'État !

Il est vrai que les deux mandats du Président de la République auront été jalonnés de faits divers qui ont relancé la question récurrente du statut pénal. Par trois fois, en effet, des juges d'instruction se sont finalement déclarés incompétents à l'égard du Président.

Pour le Conseil constitutionnel, le Président de la République bénéficie pendant son mandat d'un privilège de juridiction ; pour la Cour de cassation, il jouit d'une immunité. Dans les deux cas, sa responsabilité pénale est neutralisée.

Le sujet est trop grave, il mérite que l'on ne se disperse pas sur d'autres éléments. En fait, c'est bien du sens même de notre démocratie qu'il est ici question !

Au lieu d'apporter des clarifications sur les lacunes que présentent nos institutions héritées de la Ve République, ce projet de loi accentue davantage les déséquilibres qui lui sont inhérents.

Tout d'abord, il aboutit à modifier le statut juridique du chef de l'État de façon inacceptable. En effet, il étend la protection du statut juridique de celui-ci du domaine pénal au domaine civil et administratif. Le Président de la République devient ainsi un citoyen hors du commun, surprotégé et bénéficiant de privilèges dans tous les actes de la vie civile, y compris dans sa vie privée et familiale.

Ce projet de loi met le Président de la République à l'abri de toute responsabilité, il en est fini du privilège de juridiction. Avec cette réforme, il devient tout simplement intouchable durant toute la durée de son mandat, sachant que cette immunité ne se limite plus au domaine pénal, mais qu'elle s'étend à l'ensemble des juridictions, civiles et administratives.

Désormais, en plus de ne rendre aucun compte pour tous les actes relevant du régime pénal, le Président de la République sera également irresponsable pour tous les actes relevant du domaine civil.

Mon collègue Robert Badinter a donné suffisamment d'exemples pour montrer que ce ne sont pas des hypothèses d'école. En effet, nous sommes de simples hommes et femmes et rien n'est impossible dans les relations humaines !

Avec ce projet de loi constitutionnelle, rien, absolument rien ne pourra être judiciairement reproché au Président de la République durant son mandat.

En plus de cette institutionnalisation d'une discrimination entre le Président de la République et ses concitoyens, ce texte renforce un déséquilibre structurel en faveur du Sénat et il introduit une certaine instabilité juridique.

En effet, la possibilité de destituer le Président de la République par la Haute Cour constituée par le Parlement est introduite dans notre droit. Cette nouveauté dans nos institutions aurait pu se révéler bénéfique pour la démocratie. Or elle risque, au contraire, de devenir un danger pour elle ! En l'état actuel de la Ve République, le Président bénéficie d'un privilège exclusif : celui de pouvoir dissoudre l'Assemblée nationale.

S'inspirant des travaux de certains constitutionnalistes français plaidant pour un rééquilibrage des pouvoirs entre exécutif et législatif, la possibilité de destitution est présentée comme une sorte de panacée institutionnelle.

Or les États-Unis d'Amérique ne sont pas la France. Ce qui est copié là est souvent mal transposé ici, notamment parce que, là-bas, le Parlement dispose de largement plus de pouvoirs que le Parlement français.

En France, un rééquilibrage effectif entre exécutif et législatif doit passer par d'autres réformes plus urgentes, nécessaires à une réconciliation des citoyens avec leurs responsables politiques, indispensable à la rénovation de notre démocratie.

Nous devons oeuvrer pour de réelles capacités d'investigation du Parlement, dans les domaines des affaires étrangères, de la défense, des renseignements, de l'énergie, de l'industrie, mais aussi pour l'instauration d'une parité effective entre les hommes et les femmes, pour une limitation drastique du cumul des mandats et pour la reconnaissance d'un droit d'initiative législatif citoyen auprès du Parlement.

Ici, nous assistons à un rééquilibrage en trompe-l'oeil. Cette « fausse vraie réforme » ou cette « vraie fausse réforme » s'inscrit dans l'exception constitutionnelle et démocratique française : notre chère institution, le Sénat.

En effet, de par son mode d'élection, le Sénat se trouve être structurellement ancré à droite. Dès lors, cette réforme pensée et préparée au sein de la commission qu'animait Pierre Avril montre toutes ses limites.

En adoptant cette réforme, c'est une prodigieuse inégalité qui est instaurée : une inégalité entre un Président de la République de droite et un Président de la République de gauche, comme l'a également démontré Robert Badinter.

Un Président de gauche pourra d'autant plus être à la merci d'une destitution que les conditions qui mènent au déclenchement de cette procédure sont des plus floues. Il est fait mention du constat d'un « manquement manifestement incompatible avec les devoirs de son mandat ». Mais que recoupe cette notion d'incompatibilité avec les devoirs de la charge ?

Avec ce texte, en cas de grave crise politique, une opposition parlementaire pourra qualifier de « manquements manifestement incompatibles avec les devoirs de son mandat » un nombre presque infini de décisions du Président.

Des exemples récents de notre histoire politique peuvent alimenter cette thèse pendant les périodes de cohabitation ; je pense à la crise des lycées en 1986, à celle de la grotte d'Ouvéa en 1988 ou récemment aux émeutes dans les banlieues : si nous avions été sous un gouvernement de gauche, la destitution aurait été demandée !

Tout et n'importe quoi pourrait être reproché à un Président de gauche par un Parlement de droite. Ce flou implique une instabilité juridique dangereuse pour notre démocratie.

En outre, cette réforme est inacceptable en l'état. Elle a pour fonction de faire diversion, de détourner l'attention des citoyens des vrais problèmes.

Ce n'est pas en instituant un droit « d'exception » en faveur du Président de la République, contre le droit commun, que l'on renforce la démocratie de notre pays.

Alors que nos concitoyens en appellent à une meilleure justice, à une fin de l'impunité de ses dirigeants, à plus de sévérité pour la délinquance en col blanc, le message qui. lui est communiqué ici n'est vraiment pas le meilleur pour redonner confiance en la vie politique.

Le Président est et doit être reconnu comme un citoyen comme les autres. Le privilège de sa fonction doit être respecté, voire protégé, mais cela ne doit en aucun cas le soustraire aux exigences de la justice, notamment dans ses actes personnels de la vie quotidienne.

Ce n'est pas en important de façon caricaturale et imparfaite la procédure américaine de l' « impeachment » que l'on aboutit à rééquilibrer les pouvoirs entre exécutif et législatif.

En optant pour cette réforme, on se détourne de la voie d'une VIe République, citoyenne, féministe, écologique, pleinement démocratique et solidaire.

Pour toutes ces raisons, comme nos collègues députés Verts, les sénateurs Verts voteront contre ce projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

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Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution
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