Article 26
I. - Le code pénal est ainsi modifié :
1° L'article 133-13 est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Les délais prévus au présent article sont doublés lorsque la personne a été condamnée pour des faits commis en état de récidive légale.
« Lorsqu'il s'agit de condamnations assorties en tout ou partie du sursis, du sursis avec mise à l'épreuve ou du sursis avec obligation d'accomplir un travail d'intérêt général, les délais de réhabilitation courent, pour chacune de ces condamnations et y compris en cas de condamnations multiples, à compter de la date à laquelle la condamnation est non avenue. » ;
2° L'article 133-14 est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Les délais prévus au présent article sont doublés lorsque la personne a été condamnée pour des faits commis en état de récidive légale.
« Lorsqu'il s'agit d'une condamnation assortie du sursis, les délais de réhabilitation courent à compter de la date à laquelle la condamnation est non avenue. » ;
3° L'article 133-16 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La réhabilitation n'interdit pas la prise en compte de la condamnation, par les seules autorités judiciaires, en cas de nouvelles poursuites, pour l'application des règles sur la récidive légale. »
II. - Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Dans le deuxième alinéa de l'article 706-53-10, les mots : « subsistent au bulletin n° 1 du casier judiciaire de l'intéressé ou » sont supprimés, et le même alinéa est complété par les mots : « tant que la personne n'a pas été réhabilitée ou que la mesure à l'origine de l'inscription n'a pas été effacée du bulletin n° 1 » ;
1° bis Dans le premier alinéa de l'article 769, après les mots : « des décisions de suspension de peine, », sont insérés les mots : « des réhabilitations, » ;
2° Dans la première phrase du deuxième alinéa de l'article 769, les mots : «, par la réhabilitation de plein droit ou judiciaire » sont supprimés ;
3° Le septième alinéa (3°) du même article 769 est supprimé ;
3° bis Le même article 769 est complété par un 8° ainsi rédigé :
« 8° Les condamnations ayant fait l'objet d'une réhabilitation judiciaire, lorsque la juridiction a expressément ordonné la suppression de la condamnation du casier judiciaire conformément au deuxième alinéa de l'article 798. » ;
4° Le 5° de l'article 775 est ainsi rétabli :
« 5° Les condamnations ayant fait l'objet d'une réhabilitation de plein droit ou judiciaire ; »
5° Après le premier alinéa de l'article 798, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Dans ce cas, les bulletins n° 2 et n° 3 du casier judiciaire ne doivent pas mentionner la condamnation. L'arrêt qui prononce la réhabilitation peut toutefois ordonner que la condamnation soit retirée du casier judiciaire et ne soit pas non plus mentionnée au bulletin n° 1. » ;
6° L'article 798-1 devient l'article 799 ;
7° Après l'article 798, il est rétabli un article 798-1 ainsi rédigé :
« Art. 798-1. - Toute personne dont la condamnation a fait l'objet d'une réhabilitation légale en application des dispositions du code pénal peut demander, selon la procédure et les modalités prévues par le présent chapitre, que la chambre de l'instruction ordonne que cette condamnation soit retirée du casier judiciaire et ne soit plus mentionnée au bulletin n° 1. » ;
8° Dans le dernier alinéa de l'article 799 tel que résultant du 6°, la référence : « 798 » est remplacée par la référence : « 798-1 ».
III. - Les dispositions du présent article entrent en vigueur un an après la date de publication de la présente loi. Elles sont alors immédiatement applicables aux condamnations figurant toujours au casier judiciaire, quelle que soit la date de commission de l'infraction ; toutefois le doublement des délais de réhabilitation en cas de récidive n'est applicable que pour des faits commis postérieurement à la date de publication de la présente loi.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 93 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.
L'amendement n° 169 est présenté par MM. Peyronnet, Godefroy, Badinter, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mahéas et Sueur, Mme Campion, MM. Cazeau et Domeizel, Mmes Demontès, Jarraud-Vergnolle et Le Texier, M. Michel, Mme Schillinger, MM. Bockel, Guérini, Lagauche, Madec, Mélenchon, Mermaz et Ries, Mmes Tasca, Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour présenter l'amendement n° 93.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Cet article vise à durcir les conditions de la réhabilitation légale pour les récidivistes, d'une part, en doublant les délais de réhabilitation et, d'autre part, en prévoyant le maintien de la condamnation réhabilitée au bulletin n° 1 du casier judiciaire.
Une telle disposition n'est qu'une surenchère sécuritaire entretenue par le Gouvernement sans aucune garantie quant à son efficacité en termes de lutte contre la récidive, encore moins en termes de prévention de la délinquance. À cet égard, monsieur le garde des sceaux, la démonstration que vous nous avez faite précédemment ne fait que confirmer un peu plus mon propos.
Faut-il rappeler que si la réhabilitation légale est automatique, elle varie en revanche selon la gravité de la condamnation ? Ainsi, le délai est de trois ans après l'exécution de la peine pour les amendes, de cinq ans à compter de l'exécution d'une peine unique n'excédant pas un an emprisonnement et de dix ans à compter de l'exécution d'une condamnation unique à un emprisonnement n'excédant pas dix ans et, s'il y a plusieurs peines d'emprisonnement, à compter de l'exécution de celles ne dépassant pas cinq ans.
La réhabilitation légale est donc impossible pour les peines correctionnelles supérieures à dix ans et les peines criminelles qui concernent les délinquants les plus dangereux. De plus, elle n'est envisageable que si l'intéressé a effectivement purgé sa peine et s'il n'a pas été condamné durant ces délais à une autre peine criminelle ou correctionnelle. Les règles entourant la réhabilitation sont donc suffisamment strictes.
La réhabilitation, par l'effacement du bulletin n° 1 du casier judiciaire qu'elle induit après un certain délai, permet l'oubli, l'amendement de la personne, et ce dans le but d'une meilleure réinsertion.
Dans la pratique du casier judiciaire, chacun sait que l'enjeu de la mémoire ou de l'oubli n'est pas anodin. En effet, le choix opéré entre oubli et mémoire détermine la nature de la politique pénale voulue : dans le premier cas, elle sera préventive, contribuant à la réinsertion du condamné ; dans le second, elle sera répressive, stigmatisant la carrière criminelle de l'individu.
Pour toutes ces raisons, nous estimons qu'il convient d'en rester au droit actuel et demandons, en conséquence, la suppression de l'article 26.
Enfin, les présentes dispositions étant relatives aux récidivistes, elles auraient donc dû figurer dans la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales plutôt que dans un texte censé prévenir la délinquance.
Sous prétexte que l'actuel système de réhabilitation légale - qui a pour effet d'effacer la condamnation ainsi que toutes les interdictions, incapacités et déchéances qui peuvent l'accompagner - affaiblirait l'application des dispositions concernant la récidive, on nous propose d'en modifier les règles tout juste un an après le vote d'une loi sur la récidive.
Ce qui était encore valable il y a quelques mois ne le serait donc plus aujourd'hui ! Vous n'êtes toujours pas en mesure de nous prouver que vous avez raison de proposer une telle mesure dans ce projet de loi. Légiférer au coup par coup, au gré des faits divers, c'est tout ce que vous faites, monsieur le ministre !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l'amendement n° 169.
M. Jean-Pierre Sueur. Cet article a sans doute quelque chose d'inopérant. Monsieur le garde des sceaux, vous imaginez qu'en doublant, dans un certain nombre de cas, le délai au terme duquel on peut bénéficier de la réhabilitation, vous allez réduire la criminalité ou les faits de délinquance dans notre pays.
Croyez-vous que les personnes qui commettent malheureusement les actes répréhensibles en question vont tout d'un coup être dissuadées parce qu'une loi sera votée dans laquelle le délai de réhabilitation aura été multiplié par deux ? La plupart des personnes concernées, j'ai le regret de vous le dire, ignorent même que la réhabilitation existe et ne savent rien du délai ! Si vous croyez vraiment qu'une telle mesure contribue à la prévention de la délinquance, monsieur le garde des sceaux, il faudra nous expliquer pourquoi.
Il y a la peine. Nous ne sommes pas laxistes, je ne sais pas combien de fois il faudra le dire : il faut que la peine soit accomplie. Mais une fois que la peine est accomplie, elle est accomplie ! Comme nous pensons que tout être humain peut s'amender et que ce principe essentiel fonde notre droit, il est très important de maintenir cette possibilité de réhabilitation qui suppose toujours l'exécution réelle de la condamnation - la remise gracieuse équivalant à l'exécution, vous le savez.
Nous considérons que les règles actuelles sont suffisamment strictes et que, comme l'a dit Mme Josiane Mathon-Poinat, la réinsertion constitue l'un des moyens les plus efficaces de prévention de la récidive.
Il serait bon, en revanche, d'éviter les sorties de prison « sèches », comme on dit. Lors de ma dernière visite de la prison de ma ville, un membre du personnel pénitentiaire m'a dit qu'une sortie « sèche » avait eu lieu la veille : un détenu est sorti en demandant où se trouvait la gare, parce qu'il ne connaissait pas la ville où il était emprisonné. Ce détenu est donc sorti sans accompagnement ou avec un accompagnement insuffisant.
Ceux qui sortent de prison en ayant purgé leur peine doivent être réhabilités et recouvrer leurs droits, en particulier leurs droits civiques, lorsque la loi le permet. Et c'est surtout par l'accompagnement, par une politique de réinsertion, qu'on luttera concrètement contre la récidive.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur ces deux amendements ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. En première lecture, la commission des lois avait déjà estimé fort utile que le juge puisse toujours constater l'état de récidive, en particulier en matière criminelle où, vous le savez, la récidive peut être retenue sans condition de délai.
Depuis la première lecture ici même, l'Assemblée nationale a assoupli ce dispositif puisqu'elle a, par exemple, donné à la juridiction qui ordonne une réhabilitation judiciaire la faculté d'en demander l'effacement du casier judiciaire.
La commission des lois est donc encore plus hostile à la suppression de cet article qu'elle ne pouvait l'être en première lecture.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Je ne comprends pas le discours de M. Sueur. Je lui demande pardon de le dire aussi brutalement.
Je me demande parfois si nous parlons de la même chose. Il s'agit de faire en sorte que, si quelqu'un récidive, la justice le sache ! Êtes-vous contre le fait que la justice sache que quelqu'un a récidivé ? Là est le débat !
M. Jean-Pierre Sueur. Non, il s'agit de la réhabilitation !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. J'essaie de rendre simple un grand cafouillis verbal qui fait qu'on ne comprend plus rien ! (Sourires sur les travées de l'UMP.) J'emploie des mots affreusement simples pour vous faire comprendre que nous ne parlons pas de la même chose. Faites l'effort d'accepter la simplicité, ce qui vous permettra la compréhension !
Vous êtes donc défavorable au fait que, s'il y a récidive, on le sache. Voilà l'objet de votre amendement de suppression !
M. Jean-Pierre Sueur. Non !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Monsieur Sueur, c'est simple et essayez d'être simple. À vouloir être trop compliqué, on finit par donner un autre sens aux mots, et c'est bien le problème !
Je suis évidemment très profondément défavorable à ces deux amendements puisque nous ne parlons pas des mêmes choses.
M. Bruno Sido. M. Sueur s'est pris les pieds dans le tapis !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, si nous continuons avec ce type de rhétorique aggravée (Sourires sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste), nous allons en effet avoir du mal à nous comprendre.
J'essaie de dire ce que je pense le plus clairement possible. Je reconnais qu'il n'est pas toujours facile d'être clair dans ces matières,...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La justice est complexe !
M. Jean-Pierre Sueur. ...mais je défends une position par rapport à la réhabilitation et à la réinsertion. Vous m'accusez de ne pas vouloir que les juges sachent qu'il y a récidive ! Quel est le rapport ? Cela n'a rien à voir !
Monsieur le président, il est inutile que j'en dise plus à ce stade de ce qu'il est convenu d'appeler un débat.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 93 et 169.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 26.
(L'article 26 est adopté.)
Article 26 bis A
I. - Après l'article 132-71 du code pénal, il est inséré un article 132-71-1 ainsi rédigé :
« Art. 132-71-1. - Le guet-apens consiste dans le fait d'attendre un certain temps une ou plusieurs personnes dans un lieu déterminé pour commettre à leur encontre une ou plusieurs infractions. »
II. - Le 9° des articles 222-3, 222-8, 222-10, 222-12 et 222-13 du même code est complété par les mots : « ou avec guet-apens ».
III. - Après l'article 222-14 du même code, il est inséré un article 222-14-1 ainsi rédigé :
« Art. 222-14-1. - Lorsqu'elles sont commises en bande organisée ou avec guet-apens, les violences commises avec usage ou menace d'une arme sur un fonctionnaire de la police nationale, un militaire de la gendarmerie, un membre du personnel de l'administration pénitentiaire ou toute autre personne dépositaire de l'autorité publique ou sur un sapeur-pompier civil ou militaire ou un agent d'un exploitant de réseau de transport public de voyageurs dans l'exercice, à l'occasion de l'exercice ou en raison de ses fonctions ou de sa mission, sont punies :
« 1° De trente ans de réclusion criminelle lorsqu'elles ont entraîné la mort de la victime ;
« 2° De vingt ans de réclusion criminelle lorsqu'elles ont entraîné une mutilation ou une infirmité permanente ;
« 3° De quinze ans de réclusion criminelle lorsqu'elles ont entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours ;
« 4° De dix ans d'emprisonnement lorsqu'elles n'ont pas entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours.
« Les deux premiers alinéas de l'article 132-23 relatif à la période de sûreté sont applicables aux infractions prévues par le présent article.
« L'incapacité totale de travail est, à la demande de la victime ou de la personne poursuivie, constatée par un médecin expert selon les modalités prévues par les articles 157 et suivants du code de procédure pénale. »
IV. - Dans le premier alinéa de l'article 222-15 du même code, la référence : « 222-14 » est remplacée par la référence : « 222-14-1 ».
V. - Après l'article 222-15 du même code, il est inséré un article 222-15-1 ainsi rédigé :
« Art. 222-15-1. - Constitue une embuscade le fait d'attendre un certain temps et dans un lieu déterminé un fonctionnaire de la police nationale, un militaire de la gendarmerie, un membre du personnel de l'administration pénitentiaire ou toute autre personne dépositaire de l'autorité publique, ainsi qu'un sapeur-pompier civil ou militaire ou un agent d'un exploitant de réseau de transport public de voyageurs, dans le but, caractérisé par un ou plusieurs faits matériels, de commettre à son encontre, à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou de sa mission, des violences avec usage ou menace d'une arme.
« L'embuscade est punie de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 € d'amende.
« Lorsque les faits sont commis en réunion, les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et 100 000 € d'amende. »
VI. - L'article 433-7 du même code est ainsi modifié :
1° À la fin du premier alinéa, les mots : « de six mois d'emprisonnement et de 7 500 € d'amende » sont remplacés par les mots : « d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende » ;
2° À la fin du dernier alinéa, les mots : « d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende » sont remplacés par les mots : « de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende ».
VII. - L'article 433-8 du même code est ainsi modifié :
1° À la fin du premier alinéa, les mots : « de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende » sont remplacés par les mots : « de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende » ;
2° À la fin du dernier alinéa, les mots : « de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 € d'amende » sont remplacés par les mots : « de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 € d'amende ».
VIII. - Dans le premier alinéa de l'article 433-10 du même code, après les mots : « est punie », sont insérés les mots : « de deux mois d'emprisonnement et ».
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 94 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.
L'amendement n° 170 est présenté par MM. Peyronnet, Godefroy, Badinter, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mahéas et Sueur, Mme Campion, MM. Cazeau et Domeizel, Mmes Demontès, Jarraud-Vergnolle et Le Texier, M. Michel, Mme Schillinger, MM. Bockel, Guérini, Lagauche, Madec, Mélenchon, Mermaz et Ries, Mmes Tasca, Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l'amendement n° 94.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Sans continuer dans la polémique ironique, monsieur le garde des sceaux, l'article 26 bis A, introduit à l'Assemblée nationale sur l'initiative du Gouvernement, est l'exemple même de la mesure adoptée à la suite de faits divers.
Il s'agit, en l'occurrence, de réintroduire dans notre code pénal l'infraction de guet-apens, sous la forme d'une circonstance aggravante, de créer le délit d'embuscade, applicable uniquement si les faits ont été commis à l'encontre de personnes dépositaires de l'autorité publique, de créer une infraction spécifique de violences volontaires avec armes sur toute personne dépositaire de l'autorité publique et, enfin, d'aggraver les peines en matière de rébellion.
La création de ces nouvelles infractions correspond au souhait exprimé par le ministre de l'intérieur - qui s'arroge assez souvent le titre de garde des sceaux -, après plusieurs faits divers, de voir les auteurs de violences commises à l'égard de personnes dépositaires de l'autorité publique traduits devant la cour d'assises.
Ainsi, les peines prévues par l'article 26 bis A sont considérablement alourdies : en cas de violences n'ayant pas entraîné une incapacité totale de travail, ou ITT, de plus de huit jours, la peine d'emprisonnement a été portée à dix ans au lieu de cinq en cas de violences habituelles. En cas de violences ayant entraîné une ITT supérieure à huit jours, la peine est portée à quinze ans de réclusion criminelle au lieu de dix à l'heure actuelle.
Dès la mi-octobre, et à la suite de plusieurs faits divers, le ministre de l'intérieur nous a fait part de son intention de criminaliser les infractions commises à l'encontre des forces de l'ordre et, plus généralement, des personnes dépositaires de l'autorité publique.
Je crois utile de préciser que la circonstance aggravante qui consiste à commettre des actes de violences contre ces personnes existe déjà dans notre code pénal, et permet donc au juge de prononcer une peine d'emprisonnement plus lourde.
Était-il nécessaire de criminaliser certaines de ces infractions ? Les cours d'assises feront-elles preuve demain d'une plus grande sévérité que les tribunaux correctionnels aujourd'hui ? Est-il utile de les charger de ces contentieux, alors que les délais précédant le jugement sont déjà très longs, un an et demi, voire deux ans ?
En quoi la création de ces nouvelles infractions et la criminalisation de certaines d'entre elles auront-elles une influence sur la prévention de la délinquance ? Croyez-vous vraiment que le renvoi devant la cour d'assises aura un effet plus dissuasif que le renvoi devant le tribunal correctionnel ? Je ne le pense pas, hélas ! sinon nous n'aurions plus à juger de meurtres, de viols, ou d'autres infractions graves car tous ceux qui s'apprêtent à les commettre y auraient renoncé, sachant qu'ils iront en cour d'assises !
Bref, l'article 26 bis A est, une fois de plus, une mesure d'affichage qui traduit la volonté du Gouvernement de légiférer - ou de montrer qu'il légifère - sous le coup de l'émotion.
Désormais, il faut s'attendre à ce que chaque fait divers fasse l'objet d'un article d'un projet de loi. Nous en avons l'illustration avec le dépôt par la commission des lois d'un amendement visant à réprimer le happy slapping. La liste des articles introduits pour des raisons purement médiatiques ou électoralistes ne cesse de s'allonger, au détriment de notre législation pénale, déjà extrêmement complexe, qui va finir par perdre toute cohérence et surtout toute lisibilité pour les professionnels de la justice eux-mêmes.
Dans ces conditions, nous vous proposons de supprimer cet article 26 bis A.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l'amendement n° 170.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, mes chers collègues, je crains le pire.
Je tiens d'abord à dire haut et fort que nous condamnons résolument les violences commises à l'encontre des policiers, gendarmes, sapeurs-pompiers, agents d'exploitation de réseaux de transport public de voyageurs et personnels de l'administration pénitentiaire. De telles violences contre des personnes qui font leur travail et assument leur mission sont odieuses.
On a vu encore récemment des sapeurs-pompiers se faire agresser alors qu'ils accomplissaient leur mission : ces actes sont inadmissibles et doivent être réprimés !
M. Charles Revet. C'est ce qui est proposé !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous le disons clairement.
M. Charles Revet. C'est bien !
M. Jean-Pierre Sueur. Mais, comme nous pensons que le code pénal comprend déjà des dispositions qui punissent ces faits, nous craignons que, dans son élan, M. le garde des sceaux n'accuse, nonobstant les discours précédents, ceux qui ne préconiseraient pas le maintien de cet article et proposeraient donc sa suppression - dont nous sommes - d'être les complices des auteurs de violences à l'égard des policiers, gendarmes, sapeurs-pompiers et autres personnes dépositaires de l'autorité publique !
Ce type de propagande et de rhétorique - tellement simple, voire simpliste - est à la portée de tout le monde.
Comme cela a été souligné, il existe déjà beaucoup de dispositions, et nous ne sommes donc absolument pas sûrs que le fait de passer du tribunal correctionnel à la cour d'assises nous conduise à une plus grande efficacité. Pour quelle raison ? Comme vous le savez, monsieur le garde des sceaux, seule une juridiction d'instruction peut saisir une cour d'assises, après l'élaboration d'un dossier criminel, ce qui demande du temps. Dans les faits, un dossier d'assises est rarement jugé avant un an et demi, voire deux ans et demi, après les faits, d'autant que les cours d'assises sont très souvent surchargées. Êtes-vous certains de dissuader les auteurs de ces infractions en criminalisant les infractions citées et en faisant juger leurs auteurs deux ans après les faits, alors que devant un tribunal correctionnel, le délai de jugement serait plus rapide ?
Voilà quels sont nos doutes. Tout en approuvant la nécessité de lutter contre ce type de violences, de les réprimer et de les sanctionner, nous ne sommes absolument pas persuadés que la mesure préconisée aille dans le sens de l'efficacité recherchée.
M. le président. L'amendement n° 26, présenté par M. Lecerf, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Dans l'antépénultième alinéa (4°) du texte proposé par le III de cet article pour l'article 222-14-1 du code pénal, après les mots :
dix ans d'emprisonnement
insérer les mots :
et de 150 000 euros d'amende
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La nouvelle incrimination de violences volontaires commises contre les dépositaires de l'autorité publique prévoit une peine de dix ans d'emprisonnement lorsque les violences n'ont pas entraîné une incapacité totale de travail de plus de huit jours.
Une peine correctionnelle comporte également une peine d'amende. Cette dernière n'ayant pas été prévue par l'Assemblée nationale, le présent amendement tend à réparer cette omission.
M. le président. L'amendement n° 27, présenté par M. Lecerf, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après le V de cet article, insérer un paragraphe ainsi rédigé :
V bis. - Après l'article 222-43-1 du même code, sont insérées les dispositions suivantes :
« Section IV bis
« Dispositions générales
« Art. 222-43-2. - Est constitutif d'un acte de complicité des atteintes volontaires à l'intégrité de la personne prévues par les articles 222-1 à 222-14-1 et 222-23 à 222-31, et est puni des peines prévues par ces articles, le fait d'enregistrer ou de diffuser par quelque moyen que ce soit, sur tout support que ce soit, des images relatives à la commission de ces infractions.
« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables lorsque l'enregistrement ou la diffusion résulte de l'exercice normal d'une profession ayant pour objet d'informer le public, ou sont réalisés afin de servir de preuve en justice. »
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter cet amendement et pour donner l'avis de la commission sur les amendements identiques nos 94 et 170.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Par l'amendement n° 27, la commission propose de compléter l'article 26 bis A afin d'incriminer le fait d'enregistrer et de diffuser les images concernant la commission d'infractions de violence. Cette pratique récente, connue sous le nom de happy slapping, se développe en effet dans des proportions inquiétantes. Elle signifie - l'expression est pour le moins mal choisie - « la gifle joyeuse ».
Si l'idée de filmer une infraction n'est pas nouvelle, la banalisation et la disponibilité de caméras vidéo encouragent la planification des agressions et les rendent facilement diffusables. Les actes de violence perpétrés dans le cadre du happy slapping dépassent la simple gifle. Ils peuvent, dans certains cas, aboutir au décès de la victime ou concerner des viols.
On peut en outre parfois se demander si la véritable raison de l'infraction ne réside pas davantage dans la diffusion des images que dans les violences elles-mêmes.
L'amendement proposé par votre commission ne concerne pas les agresseurs physiques de la victime dans la mesure où il existe déjà des textes réprimant les infractions liées aux actes violents.
En revanche, il tend à incriminer le comportement de celui qui se borne à filmer la scène violente lorsqu'il ne peut pas être considéré comme l'instigateur de l'agression à laquelle il ne participe pas directement. Actuellement, il ne saurait être poursuivi en qualité de complice. Tout au plus pourrait-on lui reprocher de n'avoir pas empêché la commission de l'infraction, mais cela suppose qu'il était capable de le faire.
Il apparaît donc nécessaire de sanctionner le comportement de celui qui filme des agressions, en prévoyant qu'un tel comportement constituera une forme particulière de complicité des actes de violence.
Définir ces faits comme des actes de complicité permettra en outre d'en réprimer les auteurs, comme les auteurs directs des violences elles-mêmes. Ainsi, les circonstances aggravantes encourues, comme celles qui sont liées à la qualité de la victime, seront bien évidemment applicables.
Quant aux amendements de suppression nos 94 et 170, la commission a émis un avis défavorable.
Vous affirmez que nous légiférons sous le coup de l'émotion. Je citerai des chiffres, même si les chiffres sont peu l'occasion d'émotion. Selon M. Pierre Monzani, directeur de l'Institut national des hautes études de sécurité, les violences contre les dépositaires des autorités publiques ont augmenté de 104 % depuis 1996 ; les plaintes pour violences physiques ou rébellion sont passées de 13 000 en 1997 à 23 000 en 2005 ; cette même année, huit policiers ont été tués et 10 376 blessés.
Chacun convient qu'il y a beaucoup de travail à fournir pour éviter que de telles situations ne perdurent. Mais, si j'ai bien compris, selon vous, rien ne sert à rien : il n'est pas nécessaire d'aggraver les peines ni de mettre en oeuvre le bracelet électronique.
Je me permets de rappeler la discussion que nous avons eue en commission avec notre collègue député Georges Fenech, venu présenter son rapport sur le placement sous surveillance électronique mobile. Il avait cité l'exemple d'un délinquant sexuel aux Etats-Unis placé sous bracelet électronique mobile pendant de nombreux mois et qui, le lendemain du jour où le bracelet lui a retiré, a récidivé.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est vraiment concluant...
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Je ne crois pas au hasard. C'est une raison supplémentaire pour repousser les amendements de suppression.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur ces quatre amendements ?
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Je ne reviens pas sur la présentation de cette mesure qui avait donné lieu à un large débat dans l'opinion publique elle-même, au moment où effectivement, je vous le concède volontiers, l'émotion nous avait tous gagnés.
Il faut distinguer deux problèmes.
On ne légifère pas sous le coup de l'émotion, mais fatalement à partir de faits concrets ! Certains sont si intolérables qu'ils vous submergent. Ces « gifles heureuses » me choquent infiniment. Pour autant, devrais-je attendre cinq ans avant de légiférer sous prétexte que je suis profondément ému ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Parce qu'il n'y a rien dans le code pénal ?
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Nous le voyons bien : certaines émotions doivent entraîner une réaction. Je suis heureux que le Sénat ait songé à légiférer sur la question des collégiens qui se photographient tandis qu'ils en tabassent un autre.
Il faut une sacrée dose de culot pour soutenir qu'il faut attendre que l'émotion retombe et ne pas profiter de ce débat sur la récidive pour légiférer ! La commission des lois du Sénat a raison de présenter un tel amendement.
Par ailleurs, il est nécessaire de criminaliser les violences avec armes sur les agents de la force publique. Je citerai un exemple qui relève de mon ministère. Un surveillant de prison quitte son travail au centre de détention pour se rendre chez lui. Quelques kilomètres plus loin, un guet-apens l'attend, et il est tabassé quasiment à mort. Vous, vous trouvez normal de ne pas criminaliser ces faits. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous nous prenez pour qui ?
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Ça vous gêne parce que je dis la vérité. Vous, vous faites des discours interminables, qui relèvent non pas de la vérité, mais de l'intoxication idéologique. (Mme Françoise Henneron opine et applaudit.) Je cite des faits concrets, et cela vous rend malade ! Je suis content de vous faire comprendre l'inanité de vos propos, qui ne correspondent absolument pas à la vérité.
La vérité est celle que je décris et celle que la société ressent comme intolérable. Je vais dire haut et fort à nos concitoyens : voilà ce que pensent les socialistes et les communistes. Si vous votez pour eux, ce sera en pleine connaissance de cause !
M. Bruno Sido. Voilà !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Puisque nous sommes en période électorale, je leur dis : votez pour nous, nous sommes des gens équilibrés, nous avons du bon sens, nous ne faisons pas de l'idéologie !
M. Jean-Pierre Sueur. C'est bien parti...
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Nous avons tous ressenti une grande émotion face à ces violences, ces guets-apens contre les forces de l'ordre, contre ceux qui détiennent l'autorité publique ; il faut prévoir une incrimination pour ces situations. Les forces de l'ordre sont appelées et elles reçoivent des pavés sur la tête. Et vous, vous trouvez normal qu'il n'y ait pas une nouvelle infraction ! Vous soutenez qu'il s'agit simplement d'émotion : quel culot ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.) Je dis aux Français de voter, et de voter contre vous !
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Il est bien clair que nous sommes dans un meeting !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est de la propagande électorale !
M. Pierre-Yves Collombat. Nous sommes au comble de la confusion, alors que, sur un sujet compliqué, il faudrait plutôt essayer de ne pas tout mêler.
Dussé-je vous surprendre, nous pensons que cette proposition de sanctionner un délit qui n'était jusqu'à présent pas considéré comme tel est une bonne chose. Nous sommes d'accord pour empêcher cette pratique qui, effectivement, devient une incitation au délit.
Finalement, monsieur le garde des sceaux, pour résoudre des problèmes compliqués, vous proposez des solutions très simples : alourdir les peines. Si cela suffisait pour réduire la délinquance, il y a longtemps que nous le saurions !
Vous affirmez que nous tolérons les guets-apens et que nous n'agissons pas, mais, à ma connaissance, il existe une législation...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Évidemment !
M. Pierre-Yves Collombat. ...et des moyens de sanctionner lourdement aujourd'hui les auteurs de ces délits.
M. Bruno Sido. Pas assez !
M. Pierre-Yves Collombat. Nous savons tous que la lutte contre la récidive passe par l'accompagnement et par des mesures permettant d'éviter une libération « sèche » des détenus. Il est essentiellement faux d'affirmer que le problème sera résolu en augmentant les peines.
Les propositions que vous nous soumettez ont uniquement un but électoral - M. le garde des sceaux s'est livré à la manoeuvre ici même en appelant les Français à voter contre nous -, elles ne visent pas à réduire la délinquance.
M. Jean-Claude Peyronnet. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur. Bravo ! Voilà un discours clair !
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Peyronnet. Si nous avions pu avoir l'impression de faire un procès d'intention, cette fois, la situation est claire !
M. Bruno Sido. Et ça vous gêne !
M. Jean-Claude Peyronnet. Absolument pas, au contraire !
M. le ministre a vendu la mèche : ces dispositions sont purement et simplement électoralistes.
M. Charles Revet. Mais non !
M. Jean-Claude Peyronnet. Elles sont destinées à produire un effet d'affichage afin que, lors des prochaines élections nationales, les Français votent pour la majorité en place.
M. Bruno Sido. Ils n'ont rien compris !
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le garde des sceaux, merci d'avoir été parfaitement clair et de vous être laissé aller sur ce sujet !
Nous ne cessons de le dire, multiplier ou aggraver les peines existantes n'apporte rien. En revanche, le happy slapping est une nouveauté. Nous n'avons jamais affirmé que les faits nouveaux que nous jugeons condamnables ne devraient pas être incriminés par la loi. Nous sommes aussi scandalisés que vous...
Mme Françoise Henneron. Vous ne semblez pas l'être !
M. Jean-Claude Peyronnet. ...de ces mises en scène qui consistent soit à donner des gifles, soit, ce qui est encore plus grave, à violer des personnes, à filmer la scène et à la diffuser. C'est scandaleux, pervers et inadmissible.
Nous allons voter la disposition présentée par M. le rapporteur,...
M. Bruno Sido. Ah bon ?
M. Jean-Claude Peyronnet. ...car cette pratique doit être condamnée. À force de trop en faire, monsieur le garde des sceaux, vous vous mettez en contradiction avec vos positions. Tout le texte consiste à rapprocher la sanction du délit. Or, en criminalisant un certain nombre de délits et en envoyant en cour d'assises ces jeunes, vous savez très bien qu'en réalité vous donnez une ampleur plus grande à la sanction mais que, en même temps, le délai de jugement sera de trois ans au lieu de quelques mois.
Nous sommes donc en plein paradoxe : d'un côté, tout est fait pour que la peine soit prononcée le plus vite possible et, de l'autre, en partie pour des effets d'affichage, on allonge les délais de jugement. Chacun connaît l'embouteillage des cours d'assises.
Je vous remercie de nouveau, monsieur le ministre, d'avoir vendu la mèche ! Votre exposé était très intéressant !
M. Bruno Sido. Il n'a rien compris !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je ne voudrais pas insister, mais nous aurions pu espérer ne pas entendre au Parlement des propos de meetings électoraux, d'autant que nous ne sommes pas en nombre suffisant. Évitons ce sujet, monsieur le garde des sceaux, car nous aurions des arguments à vous opposer.
Ce sont les États-Unis, pays comptant 3 millions de détenus - dont de nombreux jeunes - et infligeant des peines allant jusqu'à 250 ans d'emprisonnement, qui ont inventé le happy slapping. Je le déplore, mais, en matière de peines, je pense que la logique répressive, l'inflation des peines produisent de la violence. En d'autres termes, la violence de la société génère de la violence.
Nous nous opposerons à cette logique tant qu'un débat sérieux n'aura pas lieu sur ce sujet - mais il n'est pas possible de l'avoir, dont acte. Vous vous livrez à des affichages répressifs dont vous nourrissez vos propos politiques, en particulier électoraux.
Vous agissez comme si le code pénal, les sanctions, les peines aggravées n'existaient pas. (M. Pierre-Yves Collombat acquiesce.) À vous entendre, monsieur le garde des sceaux, nous aurions jusqu'à présent vécu dans une société sans sanction ni code pénal et, soudain, le Gouvernement aurait inventé les sanctions et écrirait un code pénal. Nous n'en sommes pas là, tout le monde le sait, les parlementaires au premier chef.
La rédaction que vous nous présentez va poser de nouveaux problèmes. En effet, l'agresseur d'un agent public - qu'il s'agisse d'un agent municipal ou d'un agent d'EDF - ne sera pas soumis à ces dispositions. Or, nous le savons, les représentants de l'autorité publique sont, hélas ! visés par des formes de violence et de délinquance assez fréquentes. À ce titre, ils doivent faire l'objet d'une protection.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Les violences dont il s'agit sont récentes : nous ne connaissions pas ce genre de manifestations voilà encore cinq ans. Nous sommes confrontés à une grave évolution de la violence, encore moins respectueuse de la personne humaine qu'auparavant. Il n'est qu'à prendre l'exemple des gifles prétendument heureuses. C'est pour cela qu'il faut modifier le code pénal. Et les parlementaires ont un rôle à jouer.
Vous jugez mes propos électoralistes, pensant me mettre en difficulté. Mais cette remarque ne me gêne pas du tout ! Nous sommes tous des élus.
M. Pierre-Yves Collombat. « Votez pour moi ! »
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Absolument, pour éviter que la législation ne soit faite par vous et nous assurer que c'est nous qui la ferons !
M. Pierre-Yves Collombat. Êtes-vous à un meeting ?
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Nous élaborons de bonnes lois. En votant à gauche, ce ne sera plus le cas. Il faut donc continuer à voter pour nous. À travers ce débat, je tiens à avertir les Français.
M. Pierre-Yves Collombat. Continuez !
M. Pierre-Yves Collombat. Mais non !
M. Jean-Pierre Sueur. C'est grotesque ! Abracadabrantesque !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Cela ne me dérange pas de vous entendre répéter que je suis fier de cette législation... (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) C'est drôle comme vous êtes insupportablement impatients de parler en même temps que moi. Vous n'êtes même pas capables de m'écouter !
M. Pierre-Yves Collombat. Vous vous répétez !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Pas vous ? C'est une remarque inattendue de votre part. Il est vrai que M. Sueur est un spécialiste en la matière !
Je tiens à vous faire supporter - légèrement - ce que j'endure en écoutant les interventions de Mme Josiane Mathon-Poinat, de M. Jean-Pierre Sueur, etc.
M. Pierre-Yves Collombat. Vous êtes ministre !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Vous commencez à comprendre... Cela vous incitera peut-être à faire des efforts.
Je refuse le raisonnement de Mme Borvo Cohen-Seat pour qui c'est le texte qui génère la violence, et non pas l'homme. On marche vraiment sur la tête !
M. Jean-Pierre Sueur. Elle n'a pas dit ça !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous faites exprès de mal comprendre !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Vous avez dit que la législation créait la violence. C'est du galimatias ! Même si ce n'est pas la mode, je ne laisserai pas de telles affirmations sans réponse : intellectuellement, c'est n'importe quoi. Ce n'est pas le texte qui crée la violence, madame. Il faut tout de même garder les pieds sur terre de temps en temps et arrêter de tenir des propos inacceptables pour l'intelligence.
Je parle avec passion, même si nous ne sommes pas à un meeting. Pourtant, nous sommes assez nombreux pour un meeting communiste ! (Rires sur les travées de l'UMP.)
M. Bruno Sido. Oui !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, compte tenu de l'état affligeant du débat, je demande, au nom de mon groupe, une suspension de séance. Nous n'acceptons pas ce continuel dévoiement de nos propos.
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Je m'associe à la demande de suspension de séance de mon collègue Jean-Pierre Sueur.
Monsieur le garde des sceaux, je vous invite à lire l'éditorial consacré au sens de la peine et à l'enfermement systématique que signe M. Jean-Paul Delevoye dans le numéro du mois de décembre dernier de Médiateur actualités - Le journal du Médiateur de la République. On ne peut pas dire qu'il soit de gauche.
M. Bruno Sido. C'est un homme très bien.
M. le président. La parole est à M. Bruno Sido.
M. Bruno Sido. Je ne suis pas juriste - je n'ai pas cet honneur -, mais les propos tenus par mes collègues à gauche me paraissent absolument surréalistes. Depuis près de deux heures, je les entends pratiquer la méthode Coué. Ils ne cessent de répéter : l'aggravation de la peine ne sert à rien ; nous détenons la vérité ; la prévention, la prévention, toujours la prévention.
Je veux faire avec vous, monsieur le garde des sceaux, et avec vous, monsieur Sueur, le constat de l'évolution de notre société et de la violence qui y règne. La loi doit proposer des solutions.
Écouter les angoisses et les attentes de nos concitoyens n'est pas un délit ; ...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous ne les écoutez absolument pas, notamment sur le chômage, la précarité, le logement !
M. Bruno Sido. ...encore moins vouloir y apporter réponse.
Les problèmes qui se posent sont inédits, ils appellent donc des réponses nouvelles. Modifier la loi régulièrement ne me semble pas du tout inopportun. C'est pourquoi, pour ce qui me concerne, j'apporterai mon plein soutien aux amendements du Gouvernement.
M. le président. Sur la demande de suspension de M. Sueur, je souhaite pour ma part que le débat se poursuive.
M. Jean-Pierre Sueur. Nous avons demandé une suspension !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cinq minutes, symboliquement ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Toutes les convictions se sont exprimées. M. le ministre a développé ses arguments.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. le président. Il faudrait que le débat ait lieu dans la sérénité. J'accepte de suspendre symboliquement la séance pour une minute.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-trois heures vingt-cinq, est reprise à vingt-trois heures vingt-six.)
M. le président. La séance est reprise.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, ce rappel au règlement se fonde sur les articles 32 et suivants du règlement du Sénat.
Nous étions habitués à une certaine sérénité dans cette assemblée. Or un membre du Gouvernement ici présent s'est répandu en invectives contre nous (Oh ! sur les travées de l'UMP), nous accusant, à plusieurs reprises, soit d'être complices d'individus aux conduites répréhensibles, soit de ne rien comprendre. Par son attitude, il a fait dévier le débat d'une manière que nous jugeons vraiment inacceptable.
Il prétend être à l'écoute de l'opinion publique. Nous le sommes aussi. Vous le savez, monsieur le garde des sceaux, à chaque fois qu'un acte de violence est commis et frappe l'opinion, celle-ci réclame des mesures et une aggravation des peines. En revanche, à l'occasion d'une affaire comme celle d'Outreau, cette même opinion publique juge absolument scandaleux que des personnes puissent être emprisonnées aussi longtemps alors qu'elles n'ont rien à se reprocher, et elle réclame des dispositions en conséquence.
En fonction des événements, les attentes peuvent donc être totalement contradictoires. Il nous incombe de débattre dans la sérénité, afin de trouver les meilleurs dispositifs possibles. C'est notre rôle de parlementaire qui l'exige, monsieur le président, et nous revendiquons de pouvoir l'exercer sans supporter constamment les invectives de M. le garde des sceaux ou nous voir dénier la pertinence de nos propos.
Une telle attitude nous paraît d'autant plus inopportune que, sur l'article 26 bis A, nous avons annoncé que nous allions soutenir l'une des mesures présentées par M. le rapporteur.
M. le président. Vous l'avez dit à plusieurs reprises.
M. Jean-Pierre Sueur. C'est vrai, monsieur le président. Mais cela prouve que nous n'avons pas l'esprit systématique, car l'amendement n° 27 présente certaines imperfections.
Ainsi, il conviendrait de distinguer la personne qui organise une mise en scène crapuleuse et violente pour la filmer sur son téléphone portable de celle qui enregistre la même scène sans être l'instigateur de l'acte qui est commis et qui n'est là qu'en simple témoin. Nous pourrions émettre ces réserves et souligner que ce point mérite précision. Néanmoins, nous considérons utile et nécessaire d'adopter cette disposition. Notre position est donc tout le contraire du simplisme. Le débat ne peut avoir lieu s'il ressemble à un meeting électoral, d'ailleurs très mauvais si l'on doute à ce point de la subtilité des auditeurs pour leur asséner de telles assertions.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 94 et 170.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Je souhaite apporter quelques précisions à la suite des objections que M. Sueur a formulées sur l'amendement n° 27.
M. Jean-Pierre Sueur. Ce sont non pas des objections, mais des interrogations !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Vos interrogations, mon cher collègue, méritent en effet une réponse.
L'amendement n° 27, lui-même, devrait vous éclairer.
M. Jean-Pierre Sueur. Le second alinéa !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Cet amendement distingue l'hypothèse dans laquelle, par exemple, un professionnel de la presse filmerait des actes de violence au cours d'une manifestation : il va de soi que cela ne tombe pas sous le coup des dispositions prévues. Il en est de même du citoyen qui, de son balcon, filmerait des violences...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n'est pas bien !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. ...afin que cet enregistrement serve de preuve en justice.
Quoi qu'il en soit, le fait de viser la complicité d'un tiers signifie simplement que le juge aura la possibilité d'infliger les mêmes sanctions à ce dernier qu'aux auteurs des violences, mais le magistrat sera, bien sûr, le seul à évaluer l'importance de la participation aux violences commises.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Mon cher collègue, vos craintes devraient être dorénavant largement apaisées.
M. Jean-Pierre Sueur. Il était important que cela soit précisé !
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet, pour explication de vote sur l'amendement n° 27.
M. Jean-Claude Peyronnet. Le point que nous étudions mérite que soient apportées des précisions. Nos débats permettent de comprendre la législation et, par conséquent, l'amendement n° 27.
M. Sueur a raison : une personne qui n'est pas l'instigateur des faits filmés n'est pas autant coupable que celui qui en est l'auteur. Quoi qu'il en soit, le juge appréciera.
Cependant, la diffusion par une personne, par le biais d'Internet ou d'autres moyens, de faits dont elle était simplement spectateur est condamnable. Il faudrait que cette précision soit également apportée.