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Droit de préemption et protection des locataires en cas de vente d'un immeuble
Adoption d'une proposition de loi en deuxième lecture
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relative au droit de préemption et à la protection des locataires en cas de vente d'un immeuble (nos 137, 266).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes saisis, en deuxième lecture, de la proposition de loi présentée par Mme Martine Aurillac et plusieurs de ses collègues, adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale en juin 2005 et par le Sénat le 13 octobre.
L'Assemblée nationale l'a examinée en deuxième lecture le 15 décembre dernier. Elle a approuvé la plupart des enrichissements, nombreux, apportés à ce texte de loi en première lecture.
Je voudrais rendre hommage aux travaux menés par le Sénat. Permettez-moi aussi de souligner la qualité du rapport en deuxième lecture de votre rapporteur, qui nous conduira à donner sa pleine effectivité aux mesures de protection des locataires prévues par cette proposition de loi.
Je sais que chacun, sur ces travées, partage le constat des difficultés entraînées par les ventes à la découpe. Pour autant, les solutions proposées pour y remédier sont encore divergentes.
Le phénomène des ventes par lots est l'enfant de la crise du logement. La vague actuelle que nous connaissons a incontestablement une nature spéculative et nous savons tous que la spéculation est l'enfant de la rareté. Ainsi, les ventes à la découpe ne sont au fond qu'une expression supplémentaire des problèmes nombreux soulevés par la crise du logement. Cette crise traduit avant tout la faiblesse de la construction de logements sur la période 1997-2002.
La détente de la spéculation viendra de l'augmentation de l'offre nouvelle de logements, et je dois à cet égard souligner les résultats obtenus par le Gouvernement. Les faits sont précis, les derniers chiffres, communiqués ce matin, sont riches d'enseignement : 414 000 mises en chantier dans les douze derniers mois ; c'est la performance la plus élevée des vingt-cinq dernières années !
Les perspectives pour 2006 se situent au-dessus de 420 000 mises en chantier. De 42 000 logements locatifs sociaux seulement financés en 2000, l'offre nouvelle vient de dépasser, sur les douze derniers mois, 80 000 logements sociaux, toujours hors plan national pour la rénovation urbaine.
L'année 2006 verra la réalisation de 100 000 logements locatifs sociaux, conformément à l'objectif du plan de cohésion sociale.
Si nous apportons des réponses nombreuses pour bloquer structurellement la spéculation, nous devons aussi agir de manière immédiate pour enrayer le phénomène des ventes par lots qui déstabilise les locataires, lesquels en sont les premières victimes.
Il faut d'abord utiliser la voie de l'accord contractuel pour endiguer la vague spéculative des ventes à la découpe et protéger efficacement les locataires en place. Le Gouvernement continue à privilégier cette voie, mais, face à la gravité des conséquences sociales et économiques de ce phénomène, il est urgent d'agir.
Il faut recourir à la loi, au-delà des protections des accords collectifs, pour enrayer le nouveau phénomène et protéger efficacement les locataires en place, sans pour autant remettre en cause ni le droit de propriété ni le délicat équilibre des rapports entre les bailleurs et les locataires.
C'est bien ce souci d'une juste régulation, la volonté de respecter le droit de propriété, de protéger les locataires victimes des ventes par lots, qui ont conduit Mme Aurillac à déposer devant l'Assemblée nationale cette proposition de loi.
Le texte qui nous revient aujourd'hui est conforme à la proposition votée par le Sénat, et je m'en félicite. Il permet l'extension des accords protecteurs et offre aux locataires comme aux propriétaires un réel droit d'opposition à l'extension par décret de ces accords nationaux.
Appliqué au sujet particulier des ventes par lots, qui concerne les secteurs de location II et III, où cinq organisations représentatives de bailleurs côtoient les cinq grandes associations nationales de locataires, il faudra réunir au moins cinq opposants, sur les dix intéressés, pour interdire la généralisation d'un accord collectif.
Ce sont donc en quelque sorte les « mauvais accords » qui se heurteront à une telle majorité frontale, et c'est bien le but que nous recherchons. Le Sénat, suivi par l'Assemblée nationale, a mis au point une solution tout à fait équilibrée qui, sans être paralysante, respecte nos principes de démocratie sociale.
Le Parlement s'est également soucié de la force légale des obligations résultant des accords collectifs de location, quand ils sont généralisés par décret. Il a notamment posé le principe de l'annulation des congés-vente abusifs.
À l'initiative du Gouvernement, qui a entendu renforcer la protection des locataires en place, le Sénat, suivi par l'Assemblée nationale, a adopté un amendement qui prévoit la nullité de droit, et non plus laissée à l'appréciation du juge, des congés pour vente qui ne respectent pas l'une des obligations inscrites dans un accord collectif par hypothèse étendu.
Il s'agit d'une garantie extrêmement solide donnée aux locataires victimes de ventes par lots : les protections de l'accord du 18 mars 2005 joueront dans toute leur plénitude en cas de congé-vente.
La mesure phare de cette proposition de loi, que le Sénat et l'Assemblée nationale ont votée, est la création d'un dispositif de préemption pour les locataires dès le stade de la première vente en bloc.
Son objectif est de mettre fin aux reventes successives d'immeubles entiers qui alimentent la spéculation, en offrant aux locataires en place la possibilité d'acheter leur logement au « prix de gros » lors de la « vente au détail ».
Le Sénat a apporté, en première lecture, plusieurs améliorations pertinentes à ce dispositif, qui ont été confirmées lors de la deuxième lecture à l'Assemblée nationale.
Concernant l'engagement minimal de six ans de maintien sous statut locatif, il a prévu la transmission obligatoire aux occupants du règlement de copropriété et d'un diagnostic de l'état général de l'immeuble avant sa vente en bloc déclenchant le nouveau droit de préemption.
Il a enfin élargi le nouveau droit de préemption aux cessions de parts de société civile immobilière - SCI - pour éviter que ce droit ne soit contourné par les propriétaires bailleurs les moins scrupuleux.
Il reste la question importante de la taille des immeubles soumis à ce nouveau droit de préemption. L'Assemblée nationale, en deuxième lecture, a baissé le seuil de dix à cinq logements.
M. Jean-Pierre Sueur. À juste titre !
Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Cette mesure est plus protectrice pour le locataire, mais elle fait entrer dans le champ de la préemption certains patrimoines familiaux, ce qui n'est pas le but recherché.
Le Sénat a considéré en première lecture que le texte issu de l'Assemblée nationale fournissait des garanties insuffisantes aux locataires qui n'étaient pas capables d'acquérir leur logement. C'est pourquoi il a adopté des protections supplémentaires en faveur des locataires, qui ont été validées par l'Assemblée nationale au cours de sa deuxième lecture.
Ainsi, le maire de la commune est le destinataire des informations sur les conditions de la vente en bloc des immeubles soumis au nouveau droit de préemption.
Il est inscrit dans notre droit positif la faculté pour la commune d'exercer son droit de préemption, s'agissant d'immeubles d'habitation, dès lors que l'objectif est de maintenir les locataires dans les lieux.
Ce qui a guidé l'Assemblée nationale et le Sénat, depuis le début de la discussion de cette proposition de loi, c'est bien la volonté d'obtenir un équilibre entre, d'une part, le respect du droit de propriété inscrit dans la Constitution, la nécessité de permettre à des institutionnels d'investir dans le secteur de la location et, d'autre part, l'obligation de faire le plus grand cas des locataires, qu'ils soient potentiellement acquéreurs de leur logement ou contraints de déménager.
Tous doivent en effet être protégés dans leurs droits, accompagnés dans leur démarche.
Cette loi, très attendue, fait partie d'un plan d'ensemble du Gouvernement : le Pacte national pour le logement.
Je veux souligner que ce texte comporte des mesures de régulation de l'activité des marchands de biens.
À l'Assemblée nationale, aux cours des deux lectures, je m'étais engagée à ouvrir une concertation avec les professionnels de l'achat et de la revente de logements - cela a été fait - et à traduire les mesures de régulation nécessaires du secteur dans la loi portant engagement national pour le logement, dont vous débattrez dès demain, mesdames, messieurs les sénateurs.
C'est ainsi qu'est créé le contrat de vente en l'état futur de rénovation, le VEFR, l'équivalent, pour la réhabilitation-revente des immeubles anciens, du contrat de vente en l'état futur d'achèvement, le VEFA, bien connu en construction neuve.
Notre but est bien de faire émerger une profession assainie de promoteurs rénovateurs, comme il existe aujourd'hui la profession tout à fait respectable des promoteurs constructeurs. L'Assemblée nationale et le Sénat ont d'ores et déjà validé en première lecture l'instauration du contrat de VEFR.
Pour aller plus loin dans la moralisation de la profession des marchands de biens, la commission du Sénat saisie au fond soutiendra d'autres mesures que le Gouvernement sera particulièrement soucieux de regarder avec un vif intérêt.
Je voudrais, mesdames, messieurs les parlementaires, vous remercier de votre implication dans la recherche de l'équilibre entre les intérêts des propriétaires et des locataires. Le texte que vous examinez aujourd'hui sera ainsi un outil supplémentaire de la cohésion sociale que nous allons mettre en place dans nos villes. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Laurent Béteille, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui, en deuxième lecture, la proposition de loi de Mme Aurillac relative au droit de préemption et à la protection des locataires en cas de vente d'un immeuble, telle qu'elle a été adoptée par l'Assemblée nationale, en deuxième lecture, le 15 décembre dernier.
Au cours de la navette, le texte de la présente proposition de loi a été enrichi et consolidé tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, avec un même objectif : protéger les occupants les plus fragiles tout en évitant d'accroître la pénurie de logements actuellement proposés à la location, et avec une même règle : limiter ce texte à la seule vente à la découpe et ne pas rompre l'équilibre difficilement atteint par les lois du 23 décembre 1986 et du 6 juillet 1989 qui assurent une stabilité et une sécurité juridiques dans les droits et les obligations respectifs des locataires et des bailleurs.
Sur les cinq articles que comprenait ce texte à l'issue de son adoption par le Sénat, trois seulement restent encore en discussion.
Les principales modifications adoptées par le Sénat le 13 octobre 2005, pour l'essentiel à l'initiative de la commission des lois, ont été maintenues.
Il en est ainsi de la création d'un dispositif de préemption autonomisé au profit du locataire d'un logement inclus dans la vente en bloc d'un immeuble à usage d'habitation ou à usage mixte, sauf dans le cas où l'acquéreur de l'immeuble prend l'engagement de proroger les baux à usage d'habitation en cours pour une durée de six ans à compter de la délivrance de l'immeuble.
Ce droit de préemption a en outre été étendu au cas où l'immeuble est détenu par une société civile immobilière.
Nous avons également prévu la communication préalable, à peine de nullité de la vente, des résultats d'un diagnostic technique établi par un contrôleur technique ou un architecte, de même que la communication préalable au maire de la commune du prix et des conditions de la vente de l'immeuble, dans sa totalité et en une seule fois, cette communication ne faisant pas double emploi avec la déclaration d'intention d'aliéner en vue de l'exercice éventuel du droit de préemption urbain.
La possibilité pour la commune d'utiliser le droit de préemption urbain afin d'assurer le maintien dans les lieux des locataires doit faire l'objet d'une confirmation expresse, grâce à l'adoption d'un amendement de Dominique Braye.
La commune et le département ont la faculté de réduire le taux de la taxe additionnelle aux droits d'enregistrement ou à la taxe de publicité foncière lorsque, dans le cadre d'une vente à la découpe, l'acquéreur d'un logement occupé s'engage à le maintenir en location pendant au moins six ans.
Mme la ministre a évoqué la modification de la majorité d'opposition à l'extension par décret d'un accord collectif intervenu au sein de la commission nationale de concertation, qui permettra d'étendre par décret les dispositions de l'accord du 16 mars 2005, fortement protectrices des locataires, dont on pouvait regretter qu'elles ne soient pas déjà appliquées depuis longtemps.
Il est de plus prévu la nullité du congé pour vente intervenu en méconnaissance des dispositions d'un accord collectif rendu obligatoire par décret, ainsi que la nullité de plein droit du congé pour vente délivré en violation de l'engagement de prorogation des contrats de bail en cours souscrit lors de la vente en bloc.
En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a apporté deux modifications principales.
La première concerne le droit de préemption nouvellement créé au profit du locataire au stade de la vente de l'immeuble en bloc.
Lors de la première lecture au Sénat, la commission avait souhaité porter le seuil à plus de dix logements. Tout seuil est arbitraire, mais celui-ci nous paraissait plus cohérent avec les autres dispositions législatives et conventionnelles actuelles, tout en permettant d'exclure de facto la quasi-totalité des bailleurs personnes physiques du dispositif ; le Sénat nous avait suivis sur ce point.
L'objet de ce texte est de s'opposer à la pratique de certains bailleurs institutionnels qui ont créé un véritable désordre dans le marché de l'immobilier, notamment dans les grandes villes ; il n'est pas de porter atteinte au droit de propriété des bailleurs personnes physiques, dont l'utilité est grande dans l'offre de logements de location. Il faut donc éviter de décourager ce type d'investisseurs.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. Laurent Béteille, rapporteur. En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a abaissé ce seuil aux immeubles de plus de cinq logements pour la vente de l'immeuble lui-même.
En revanche, elle a paradoxalement conservé le seuil de plus de dix logements pour le déclenchement du droit de préemption sur les parts sociales de la société civile immobilière propriétaire de l'immeuble.
La seconde modification essentielle apportée par l'Assemblée nationale concerne le dispositif d'incitation fiscale issu d'un amendement présenté devant le Sénat par le Gouvernement. La commission des lois y avait donné un avis favorable.
Il s'agissait de permettre aux communes et aux départements de réduire, sur une base volontaire, les taux communal et départemental de la taxe additionnelle aux droits d'enregistrement ou à la publicité foncière, à la condition que les acquéreurs de logements occupés acceptent de ne pas délivrer de congé pour reprendre ou vendre le logement pendant une période d'au moins six ans à compter de la date de renouvellement du bail.
Dans la rédaction adoptée par le Sénat, cette incitation était large. Elle concernait tant les ventes par lots visées par l'article 10 de la loi du 31 décembre 1975 ou donnant lieu à l'exercice du droit de préemption visé à l'article 15 de la loi du 6 juillet 1989 que celles intervenant après la mise en copropriété de l'immeuble lorsque l'un des locataires, au moins, a exercé le droit de préemption nouvellement ouvert par la présente proposition de loi.
Ce dispositif a été entièrement réécrit par l'Assemblée nationale.
D'une part, l'engagement de ne pas délivrer de congé pour reprendre ou vendre le logement a été remplacé par un engagement de maintien du local sous statut locatif pendant une période d'au moins six ans à compter de la date d'acquisition du bien.
D'autre part, le champ d'application de cette mesure d'incitation fiscale a été réduit puisque les ventes par lots intervenant après la mise en copropriété de l'immeuble en seraient désormais exclues.
C'est pour l'essentiel sur ces deux points que la commission vous propose de revenir par l'intermédiaire des quelques amendements qu'elle vous présentera aujourd'hui.
En premier lieu, il est évidemment nécessaire d'harmoniser le seuil de déclenchement du droit de préemption. Aucune raison, ni technique ni juridique, ne plaide en faveur d'une distinction selon que l'immeuble est en société civile immobilière ou qu'il appartient à un propriétaire directement. Aussi, nous maintiendrons la position que nous avions adoptée en première lecture en proposant de rétablir le seuil à plus de dix logements.
En second lieu, la commission vous propose d'élargir de nouveau le dispositif d'incitation fiscale aux ventes par lots intervenant à la suite de l'exercice du droit de préemption prévu par l'article 10-1 nouveau de la loi du 31 décembre 1975.
La possibilité, tant pour la commune que pour le département, de réduire le taux de la taxe additionnelle aux droits d'enregistrement ou à la publicité foncière doit être offerte, d'une part, dans le cadre d'une vente par lots effectuée par le propriétaire initial de l'immeuble et, d'autre part, dans le cadre de la vente d'un ou de plusieurs lots intervenant à la suite d'une mise en copropriété d'un immeuble résultant de l'exercice du droit de préemption par l'un des locataires prévu par le texte dont nous discutons.
Pour conclure, il faut rappeler que la protection accrue des locataires dans le cadre de la vente à la découpe ne proviendra pas uniquement du texte discuté aujourd'hui. Elle proviendra également de la bonne et pleine application des accords collectifs négociés entre les bailleurs et les locataires.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
M. Laurent Béteille, rapporteur. Le dernier accord date, vous l'avez rappelé, madame la ministre, du 16 mars 2005 et il est bien dommage qu'il ne soit pas appliqué depuis maintenant plus d'un an !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est à cause de certains !
M. Laurent Béteille, rapporteur. Je souhaite donc vivement que cette proposition de loi soit adoptée rapidement.
D'une part, elle assurera la mise en place d'un nouveau droit de préemption qui permettra à de nombreux locataires de devenir propriétaires dans des conditions extrêmement intéressantes (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'esclaffe.) et, d'autre part, elle facilitera l'extension des accords collectifs dont j'ai parlé à l'instant. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;
Groupe socialiste, 32 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, la proposition de loi de Mme Aurillac nous revient en deuxième lecture.
Le groupe CRC, notamment, s'est largement exprimé sur ce sujet devant le Sénat lors de l'examen du texte en première lecture. Nous avons suffisamment dit que cette proposition de loi ne prenait pas du tout la mesure du problème posé par ce que l'on appelle communément les « ventes à la découpe ».
Les parlementaires de la majorité, tant les sénateurs que les députés, ont refusé de voter en faveur de dispositions qui figuraient dans une proposition de loi que j'avais déposée avec mon groupe et dont l'une d'entre elles visait à soumettre toute opération à une autorisation préalable. Faute d'avoir adopté ce type de mesure, la loi n'apporte pas grand-chose. Pis, elle pourrait être en retrait par rapport aux dispositifs qui existent aujourd'hui.
Pour bien me faire comprendre, je tiens à rappeler le contexte dans lequel ce texte est examiné.
Nous traversons une crise profonde du logement, qui se caractérise par une pénurie de logements sociaux ou privés accessibles, par une offre insuffisante et par une spéculation galopante.
Or le laisser-faire en matière de congé-vente pour les ventes par lots contribue à la réduction du parc locatif, consacre le logement comme objet spéculatif et favorise la fin de la mixité sociale, à Paris comme dans les grandes agglomérations.
M. Roland Courteau. Exact !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et nous sommes loin de compte avec les prétendus « petits aménagements nécessaires » !
Le fonds de pension américain Westbrook, qui est très bien placé pour les opérations de vente à la découpe à Paris, vient d'acquérir dans la capitale cent immeubles, soit plusieurs milliers d'appartements, son objectif étant de réaliser 30 % de plus-value sur cinq ans.
En fait, il ne s'agit pas de droit au logement, de parc locatif, de droit de propriété, il s'agit de consacrer les immeubles et les parcelles d'immeubles en tant qu'objets spéculatifs. Des groupes de spéculateurs de toute sorte, et pas simplement des fonds de pension américains, investissent de plus en plus dans de petits logements, qui ne correspondent d'ailleurs pas aux besoins de la population, dans l'espoir de réaliser une plus-value immédiate.
On sait toutefois que, dans l'affaire des Arquebusiers - l'un des immeubles emblématiques des conflits de vente à la découpe, situé dans le IIIe arrondissement - le promoteur Westbrook a été débouté. Ce n'est pas un mince résultat à l'actif des locataires et de leur lutte ! Ainsi, à l'heure actuelle, la justice serait plutôt en train de rendre caduques les opérations qui ont déjà été engagées.
Pour parachever l'état des lieux, je veux insister sur le fait que notre pays compte aujourd'hui 8 753 500 personnes qui ne sont pas logées convenablement. Cette situation appelle une prise de conscience nationale et la mise au point d'outils d'action publique appropriés.
Dès demain, nous examinerons le projet de loi portant engagement national pour le logement et nous aurons l'occasion de dire combien nous sommes loin de cet objectif ! En l'occurrence, nous déplorons que la question de la vente à la découpe ait été disjointe dudit projet de loi, alors que les deux questions sont pourtant liées.
La vente à la découpe est, en effet, un facteur de spéculation immobilière très puissant à Paris et dans quelques grandes villes.
La vente par lots d'un immeuble appartenant à un propriétaire unique n'est pas un procédé nouveau, cela a été dit moult fois en première lecture. Cependant, la forme que prend actuellement ce type de vente est caractérisée. Elle consiste, pour un bailleur institutionnel - banque, assurance - à céder à un marchand de biens ou à un fonds de pension un immeuble, lequel est ensuite revendu par appartements. On voit tout de suite le lien direct avec la spéculation immobilière !
Je rappelle que ce phénomène de vente à la découpe a pris une ampleur nouvelle depuis 2002 puisqu'il a crû de 35 %. Cette croissance est toute naturelle dans la mesure où elle est en liaison avec la flambée spéculative, à laquelle elle participe.
À Paris et dans sa couronne, 264 opérations sont en cours et 160 000 logements sont concernés. Il ne s'agit donc pas d'une petite affaire marginale. C'est au contraire un problème très important !
Ces opérations ont concerné, à Paris, 15 % des ventes d'appartements anciens, soit 6 378 logements. Il ne faut pas croire que seules sont touchées quelques célébrités médiatiques comme Mme Jeanne Moreau ! Ces 6 378 logements sont, pour une majorité d'entre eux, des logements sociaux de fait. Le nombre de ces ventes est d'autant plus impressionnant que l'on sait qu'elles annulent l'effort actuel de la municipalité pour construire des logements sociaux neufs.
M. Philippe Goujon. Qui est déjà très faible !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous êtes mal placé pour en parler !
M. Roland Courteau. Tout à fait ! Ce qu'on peut entendre !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ne nous y trompons pas, c'est un des facteurs de la diminution du parc locatif !
Et le pire est à venir, notamment dans la couronne parisienne et en province, car la possibilité de vente par lots touchera une grande partie du patrimoine public, notamment celui de la Caisse des dépôts et consignations ; chacun sait qu'un nombre important de ses logements sont concernés.
C'est dire qu'en matière de répartition des logements publics ou sociaux nous sommes devant des bouleversements à venir considérables. Évidemment, ils se feront au profit de la spéculation et non au profit de ceux qui ont besoin de logements !
Voilà pourquoi cette proposition de loi est loin d'être à la hauteur des exigences.
Je rappelle qu'à Paris le phénomène est extrêmement large et touche de nombreux immeubles dans les XIe, XIIIe, XIXe et XXe arrondissements, des immeubles où logent des personnes relativement âgées, quoique pas suffisamment pour être protégées, et des personnes modestes vivant depuis longtemps dans leur appartement.
Depuis 2004, nombre de ces victimes se sont mobilisées pour alerter les pouvoirs publics et l'opinion publique sur l'iniquité de leur situation. Heureusement, sinon nous aurions eu droit au silence radio ! C'est grâce à la mobilisation de ces personnes qu'aucun parlementaire parisien n'a pu rester indifférent à leur situation - avec, bien sûr, plus ou moins de conviction !
En première lecture, après avoir entendu MM. Goujon, Pozzo di Borgo et Dominati, tous trois sénateurs de Paris, nous aurions pu croire qu'il existait un consensus. La vente à la découpe semblait être une pratique épouvantable contre laquelle il fallait absolument agir.
Or, en réalité, au-delà des discours tonitruants, quand il s'est agi de prendre des mesures, les ambitions se sont faites beaucoup plus modestes !
En refusant d'utiliser les outils publics permettant de porter un coup d'arrêt à cette pratique, nous sommes arrivés à une impasse.
Utiliser ces outils, cela signifie donner le droit aux collectivités de s'opposer à la vente à la découpe, ce qui ne constitue pas une atteinte au droit de propriété. En raison de la pénurie de logements, les collectivités devraient pouvoir se prémunir contre la sortie de logement de leur parc locatif.
Les collectivités locales doivent pouvoir conserver, pendant une certaine période, leur parc locatif. Cela a déjà été fait à d'autres époques, et ce n'est pas de l'étatisme ! En tout état de cause, le parc locatif est suffisamment rémunérateur pour les propriétaires pour justifier qu'il reste en l'état.
Certes, la proposition de loi, dans sa rédaction actuelle, donne quelques possibilités aux locataires qui peuvent acheter leur logement. Mais il me semble que vous n'avez pas bien compris ce que j'avais déjà souligné en première lecture : à peu près une victime d'une vente à la découpe sur cinq peut acheter son logement. Vous ne vous occupez donc que d'une personne sur cinq !
Par ailleurs, vous avez alourdi les contraintes qui pèsent sur les collectivités locales. Certes, celles-ci auront le droit de préempter, mais elles ne peuvent tout de même pas acheter tous les immeubles vendus à la découpe, surtout quand on connaît leur nombre à Paris ou en première couronne.
Et quand il s'agit de dissuader les spéculateurs, contre lesquels tout le monde s'insurge, subitement, vous refusez d'agir : le texte ne contient rien contre eux. Ils profitent des possibilités que leur offre, par exemple, M. Marini, qui, on le sait, est toujours en pointe pour leur donner un petit coup de pouce. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Mme Michelle Demessine. Pas qu'un petit coup de pouce !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est injuste de dire ça !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La deuxième lecture à l'Assemblée nationale n'aura rien changé. Sont demeurés la logique induite par l'émergence du dispositif de Robien, qui a fait dire à la presse « la carotte de Robien fait le plein d'appartements vides », ainsi que l'allègement des contraintes fiscales sur les transactions immobilières, lequel a été facilité par l'amendement Marini sur les sociétés d'investissement immobilier cotées et qui a donné l'impulsion la plus forte au cours de ces deux dernières années aux désordres que nous constatons aujourd'hui.
M. Roland Courteau. Voilà !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Au Sénat, le Gouvernement et la majorité avaient refusé d'arrêter les opérations de vente à la découpe en cours, soit en décidant un moratoire - comme nous le proposions -, soit en mettant fin aux opérations immobilières qui n'avaient pas encore abouti. C'était pourtant une revendication essentielle pour des milliers de personnes qui se sont mobilisées avec les associations. La deuxième lecture à l'Assemblée nationale aura confirmé ce refus.
Nous avons déjà eu ce débat, et nous l'aurons à nouveau : il est inexact de dire que cette disposition violerait la non-rétroactivité des lois, car des opérations globales ont été lancées et chaque cas est particulier.
La présente proposition de loi se trouve donc vidée d'une bonne partie de son efficacité dans la mesure où les grandes opérations spéculatives de vente à la découpe sont engagées depuis un certain temps à Paris. Elle servira pour les prochains acquéreurs, dans d'autres villes ou face à de futures opérations. Pourtant, compte tenu du volume d'opérations à Paris, toutes n'ont pas encore abouti, d'autant que des gens s'y opposent et que des jugements ont été rendus. Mais les intéressés ne pourront pas se prévaloir de cette loi.
J'ajoute que la proposition de loi ne confirme pas les arrêts des cours d'appel et de la Cour de cassation, qui, depuis 2004, ont été favorables aux locataires en frappant de nullité les congés pour vente et offres de vente qui n'ont pas respecté les dispositions de l'accord collectif du 9 juin 1998. En revanche, la proposition de loi confirme l'accord minoritaire de 2005, ...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. En effet, c'est beaucoup mieux !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ... ce qui empêchera les tribunaux de pouvoir rendre nulles les opérations.
En conséquence, nous défendrons de nouveau des amendements correspondant à la proposition de loi que notre groupe avait déposée et aux aspirations légitimes que portent les associations de défense des locataires « découpés », comme ils se nomment eux-mêmes. Nous estimons que le scandale a assez duré et qu'il est temps de mettre en place les conditions du dégonflement de la bulle spéculative.
Comme je l'avais dit en première lecture à nos collègues parisiens de la majorité, il faut que les choses soient claires et que l'on prenne réellement en compte les problèmes posés par les ventes à la découpe. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux commencer mon intervention par une citation.
M. Alain Vasselle. Ça commence bien !
M. Jean-Pierre Sueur. « Les associations de locataires victimes des ventes "à la découpe" jouent de malchance. Elles pensaient obtenir du Gouvernement des garanties les protégeant contre ce type de pratiques, à force de manifestations et de battage médiatique. Elles n'ont en définitive réussi à lui arracher qu'un projet de loi imprécis et très insuffisant. » Ce passage est tiré d'un article publié dans le journal Le Figaro d'aujourd'hui, à la rubrique « immobilier ».
Madame la ministre, il est quand même rarissime que ce journal critique un projet portant sur l'immobilier présenté par votre gouvernement !
M. Jean-Pierre Sueur. Vous avez raison. Le Figaro a certainement dû être troublé, ce qui l'a rendu « imprécis ». (Sourires.)
M. Alain Vasselle. Dassault doit apprendre !
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur Vasselle, vous pourrez répéter à M. Dassault en d'autres lieux ce que vous avez à lui dire. (Sourires.)
Toujours est-il que les ventes à la découpe soulèvent un grave problème : la financiarisation croissante de la question du logement. Or le logement est un droit pour toutes les familles, y compris pour les familles en difficulté. Or, malheureusement, vous le savez, nombre de nos compatriotes ne bénéficient pas aujourd'hui d'un logement décent.
Les ventes à la découpe sont la traduction d'une totale financiarisation de ce secteur. Les groupes financiers, les fonds de pension font main basse sur des immeubles entiers, sur des rues, voire sur des quartiers, qu'ils achètent « à la découpe », aveuglément en quelque sorte, sans prendre en considération ceux qui y habitent.
Cette situation n'est pas acceptable. Elle n'est pas conforme à l'idée que nous nous faisons du droit au logement pour chaque famille de ce pays.
De plus, souvent basés au Luxembourg - je n'ai rien contre le Grand-Duché -, ces groupes ne paient même pas d'impôt sur les plus-values ainsi réalisées. Il y a là quelque chose de profondément immoral et de contraire à la justice ; ...
M. Roland Courteau. Oh oui !
M. Jean-Pierre Sueur. ... peu importe les habitants, les familles et leur histoire ! La maison, l'appartement, le logis ne sont pourtant pas une réalité neutre : c'est le lieu de la vie ! C'est là où se déroulent tous les évènements de la vie familiale. C'est là où l'on se retrouve.
Pour nous, l'habitat n'est pas seulement une réalité spéculative, immobilière, financière. Loin s'en faut ! C'est pourtant en train de devenir le cas. C'est pourquoi nous disons fortement qu'il ne faut pas accepter cette situation, qu'il faut refuser cette loi de l'argent, qui finit par tout régir et par être l'acteur dominant de la politique du logement dans des villes comme Paris, en dépit des efforts très importants réalisés par la municipalité et les organismes de logement social.
C'est donc un devoir de prendre des mesures de protection des locataires placés dans la situation, soit d'acheter un logement à un prix très élevé - ce qu'ils sont très souvent dans l'impossibilité de faire -, soit de partir dès la fin de leur bail, quitte à ne pas trouver de nouveau logement en rapport avec leurs moyens financiers. C'est un véritable drame, et le laisser-faire serait la pire des politiques.
En la matière, un texte de loi s'avère donc très utile. Nous avions d'ailleurs dit dès l'origine qu'il fallait légiférer. Au demeurant, il est absolument nécessaire que la proposition de loi offre des garanties beaucoup plus fortes aux locataires.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vais faire douze propositions concrètes, qui se traduiront par des amendements. Le Sénat aura ainsi la possibilité de les adopter. En tout cas, j'espère que certaines de ces propositions seront entendues.
Premièrement, s'agissant des droits des municipalités, un permis de diviser devrait être institué. Il permettrait de maintenir le parc locatif existant dans les zones à marché tendu, c'est-à-dire dans les secteurs où la pression spéculative est la plus forte. Les maires seraient chargés de délivrer ce permis.
Deuxièmement, nous avons déposé plusieurs amendements, dont un de repli, visant à permettre soit à un tiers des locataires concernés par une opération de vente à la découpe, soit à la moitié d'entre eux, de demander au maire une enquête d'utilité publique.
J'ai entendu, y compris en commission des lois ce matin, certains de nos collègues s'inquiéter de cette possibilité.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oui, car cela n'a rien à voir !
M. Jean-Pierre Sueur. Pour notre part, nous ne sommes pas inquiets. L'utilité publique d'un acte doit être regardée dans toutes ses dimensions, y compris sociale. L'enquête d'utilité publique sociale est au moins aussi importante que l'enquête d'utilité publique en matière urbaine.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur. Dès lors qu'une proportion significative de locataires le souhaite, une enquête d'utilité publique devrait être conduite afin de déterminer ce qui se passe concrètement. Ainsi, avant une opération, on pourrait évaluer le nombre de logements locatifs dans un secteur donné, savoir combien il en resterait après ladite opération et quelles seraient les possibilités pour les familles qui ne sont pas propriétaires de se loger à un prix raisonnable.
Si cette enquête faisait apparaître un fort risque qu'un certain nombre de familles ne puissent plus se loger convenablement en louant à un tarif raisonnable, elle fournirait un argument très puissant pour que la procédure soit revue.
Troisièmement, nous pensons que les incitations fiscales visant à décourager la vente à la découpe sont une bonne chose. Ces incitations fiscales figurent déjà dans la proposition de loi. Nous ne demandons donc pas de les ajouter. En revanche, nous pourrions aller plus loin.
On nous dit toujours avec fierté que le Sénat est le représentant des collectivités territoriales de la République. Dès lors, nous pourrions adopter une disposition incitant les communes à faire un effort fiscal pour contrer les ventes à la découpe tout en prévoyant de compenser leur manque à gagner en accroissant à due concurrence la dotation globale de fonctionnement, quitte à gager cette mesure. Il est en effet un peu rude d'être plein de bons sentiments lorsqu'il s'agit de demander aux collectivités locales d'accorder des cadeaux fiscaux et de ne pas prévoir la compensation.
Quatrièmement, la proposition de loi proroge de six ans les baux en cours en cas de vente à la découpe. Nous proposons d'accroître cette période. En effet, nous connaissons trop bien les difficultés que rencontrent aujourd'hui nombre de locataires à Paris ; Mme Borvo Cohen-Seat l'évoquait et M. Madec y reviendra également dans un instant. Face à de telles difficultés, il est indispensable de prévoir une durée plus longue.
En cinquième lieu, nous demandons que les diagnostics soient contradictoires.
Ces temps-ci, on évoque souvent la nécessité de débats contradictoires en matière judiciaire. Cela constitue, me semble-t-il, une garantie. À cet égard, certains procès récents, dont les conclusions ont été rappelées ici même tout à l'heure, ont démontré l'utilité d'un diagnostic contradictoire, qui doit, selon nous, être à la charge des bailleurs. M. le rapporteur a bien voulu se montrer sensible à cette proposition ; j'espère que le Sénat aura la sagesse de la prendre en considération.
Cela concerne également les travaux de mise aux normes et de sécurité, dont nous proposons la prise en compte à la charge des propriétaires.
Notre sixième proposition porte sur le délai de réflexion lorsqu'il s'agit de contracter un prêt pour acheter, à un prix souvent très élevé, l'appartement dans lequel on vit, parfois depuis très longtemps. En première lecture, nous avons pu obtenir que ce délai soit porté de deux mois à quatre mois. Nous proposons de l'étendre à six mois.
Mes chers collègues, c'est un constat d'expérience. Dans vos permanences, vous recevez comme moi-même des familles. Combien d'entre elles sont en difficulté pour obtenir un prêt ! Aujourd'hui, pour obtenir un prêt, il faut remplir toutes sortes de papiers, fournir une multitude de renseignements, avec maints détails.
Ainsi que je l'évoquais ce matin lors de la réunion de la commission des lois, j'ai reçu des personnes âgées qui avaient besoin d'un prêt et auxquelles on a demandé un nombre considérable de renseignements intimes, relatifs notamment à leur santé. Elles étaient presque révoltées d'être considérées de cette manière.
Il est, nous dit-on, facile d'obtenir un prêt. Je voudrais ajouter : « pas pour tout le monde ».
En septième lieu, nous proposons d'instituer une indemnité d'éviction. Lorsque quelqu'un qui a vécu longtemps dans un appartement est mis à la porte, car même si les choses sont dites en termes plus polis, c'est bien à cela qu'une telle opération revient le plus souvent, il est juste que cette personne puisse bénéficier d'une indemnité d'éviction égale à un mois de loyer par année d'occupation.
Notre huitième proposition consiste à inscrire dans le présent texte une protection particulière pour les personnes en grande difficulté. Je pense aux personnes âgées qui ont de faibles revenus et aux personnes handicapées. Vous le savez, mes chers collègues, cette demande émane de plusieurs associations représentant les personnes handicapées !
Notre proposition suivante consiste en la mise en place d'une décote. Sur ce sujet, inutile de faire de longs discours : je sais que M. Goujon me voit venir. (M. Philippe Goujon sourit.) Il a d'ailleurs bien raison.
En effet, mes chers collègues, dans l'hypothèse où vous n'adopteriez pas, ce que nous regretterions, l'amendement que le groupe socialiste va vous présenter, nous vous proposerions, à titre de repli, de voter l'amendement tout à fait pertinent qui a été défendu ici même par MM. Cambon, Karoutchi, Goujon et Mme Procaccia.
Nos collègues proposent une décote de 10 % minimum avec 1 % par année de présence du locataire, sans que celle-ci puisse dépasser 20 % du prix du logement. Leur proposition est, à mon sens, raisonnable. Puisque notre groupe soutiendra un amendement déposé par des membres du groupe de l'UMP, il y a de grandes chances que cette disposition tout à fait pertinente soit adoptée...
Je voudrais encore faire trois propositions.
La première concerne les marchands de biens : nous pensons qu'il faut véritablement légiférer pour définir plus précisément les conditions d'exercice de cette profession.
Enfin, nos deux dernières propositions concernent l'application de la loi aux opérations déjà engagées et le moratoire que Mme Borvo Cohen-Seat évoquait à l'instant. En effet, les opérations de vente à la découpe et les opérations spéculatives s'effectuent à un tel rythme qu'il nous semble nécessaire de les bloquer au moins le temps de l'adoption et de la mise en oeuvre de cette proposition de loi.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur. Pour finir, je voulais vous poser une question très précise, madame la ministre.
Vous savez qu'il y a eu un certain nombre d'actions menées - certes, chacun peut mener des actions et faire part de ses positions - par certains groupes financiers inquiets de la présente proposition de loi.
Je le répète, en ce qui nous concerne, nous considérons cette proposition de loi comme insuffisante ; c'est la raison pour laquelle je viens de proposer, au nom du groupe socialiste, un certain nombre d'améliorations. Mais il semblerait - nous l'avons lu dans la presse - qu'en son état actuel elle suscite la crainte d'un certain nombre de groupes financiers. En effet, ceux-ci seraient fâchés de ne plus pouvoir continuer à pratiquer la vente à la découpe, comme ils le font actuellement chaque jour, chaque semaine.
C'est pourquoi, si nous espérons que cette proposition de loi sera améliorée - nous nous battrons pour cela en défendant nos amendements -, nous souhaitons également qu'elle puisse être adoptée par le Parlement le plus rapidement possible.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la ministre, je souhaiterais connaître vos intentions sur ce sujet.
Comme il y aura eu deux lectures dans chaque assemblée, le Gouvernement pourra demander très rapidement la réunion d'une commission mixte paritaire ou une nouvelle et dernière lecture à l'Assemblée nationale. (Mme la ministre déléguée acquiesce.)
Sur un problème aussi grave, qui touche tant de familles et de locataires à Paris et dans les grandes villes de notre pays, des réponses dilatoires seraient véritablement incomprises.
Pour lutter contre cette mainmise des pouvoirs financiers sur la question du logement, si essentielle pour nos concitoyens, il faut une loi vivante, effective, et qui donne plus de garanties que ce n'est le cas aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon.
M. Philippe Goujon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici à la dernière lecture de cette proposition de loi très attendue et dont l'adoption et l'application deviennent urgentes !
En effet, partout en France, mais plus particulièrement dans les grandes villes et notamment à Paris, la hausse des prix de l'immobilier ne ralentit pas, contrairement aux prédictions, et les opérations de vente à la découpe se poursuivent, amplifiant le phénomène.
Comme je l'avais déjà souligné en octobre dernier devant notre assemblée, la ville de Paris - d'autres l'ont déjà dit, c'est une simple constatation - concentre plus de la moitié des ventes à la découpe. Dans le cadre de telles opérations, le coût d'acquisition d'un logement est de 17 % plus élevé que lors d'une vente classique.
Jamais le nombre de mal logés n'a été aussi important dans notre capitale.
M. Philippe Goujon. Cela est, bien évidemment, lié à la flambée immobilière qui y sévit. Mais cela est dû également à une offre dérisoire de logements sociaux de la part de la municipalité actuelle,...
M. Philippe Goujon. ...qui, par des mesures dont seuls les socialistes ont le secret, a en outre cassé l'offre privée. Celle-ci est aujourd'hui quasi inexistante à Paris. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est n'importe quoi !
M. David Assouline. C'est d'une finesse toute sarkozienne !
M. Philippe Goujon. Il s'agit non pas de finesse, mais bien de réalité : regardez les chiffres !
Afin de tenter de pallier la flambée des prix et la pénurie, causes principales de la crise du logement, les gouvernements en place depuis 2002 ont beaucoup agi.
M. David Assouline. Parlons-en !
M. Philippe Goujon. Je pense notamment au prêt à taux zéro, au prêt locatif Robien ou aux mesures du plan Borloo, à la création de 500 000 logements sociaux sur cinq ans,...
M. David Assouline. Et le CPE ?
M. Philippe Goujon. ...autant de dispositifs que les gouvernements socialistes n'avaient jamais mis en oeuvre. Leur bilan en la matière est catastrophique !
Les prêts locatifs intermédiaires, les PLI, sont également indispensables, notamment à Paris, mais la municipalité ne les met pas en place. C'est pourtant le moyen de conserver une mixité sociale, de garder les classes moyennes et les jeunes familles, qui sont souvent obligées de partir.
Désormais, seuls les plus fortunés peuvent s'offrir un logement à Paris.
M. Roger Madec. Cela devrait vous réjouir ; ce sont vos électeurs !
M. Philippe Goujon. Les locataires, victimes du phénomène des ventes à la découpe, sont chassés de logements qu'ils ne peuvent pas acheter. La population parisienne risque fort de ne plus être composée - on l'a souvent dit - que des plus aisés et des plus aidés.
Il fallait donc en venir à la loi. Les principes en sont clairs : supprimer autant que faire se peut les plus-values purement spéculatives, étendre l'accord de protection sociale du 16 mars, renforcer les sanctions et favoriser ainsi l'accession à la propriété, tout en protégeant ceux qui ne peuvent pas acheter.
Un article récent paru dans un quotidien national relève que l'imminence de l'application de cette proposition de loi précipite les opérations de vente en bloc. Un tel effet illustre d'ailleurs l'opportunité des mesures que nous adoptons.
Ce même journal mentionne un jugement du 6 février 2006 du tribunal d'instance du IIIe arrondissement de Paris qui a décidé le maintien d'un couple de locataires dans un appartement situé dans une résidence, pour un nouveau bail de six ans, au motif que le diagnostic technique préalable à la vente à la découpe n'avait pas été effectué !
Or que tend à mettre en place cette proposition de loi, sinon l'obligation de la communication au locataire des résultats d'un diagnostic technique ?
Je me félicite donc de constater que les avancées novatrices proposées en première lecture par le Sénat ont été conservées par les députés lors de leur deuxième et dernière lecture, au point que certains ont regretté de n'avoir pas été les premiers à adopter de tels dispositifs !
Il s'agit notamment de l'allongement du délai accordé au locataire pour exercer son droit de préemption dans le cas d'une vente en bloc. Un amendement que j'ai déposé avec mes collègues MM. Cambon et Karoutchi, Mmes Hermange et Procaccia a porté ce délai de deux mois à quatre mois.
Je me réjouis également de l'adoption en première lecture par le Sénat de l'article additionnel visant à introduire une disposition que j'avais, en compagnie de certains de mes collègues, envisagée avec le Gouvernement. Cet article a pour objet de créer une incitation fiscale tendant à favoriser le maintien dans les lieux du locataire en place lors d'une vente par lots. La conception plus large du Sénat est évidemment préférable à celle qui a été retenue par l'Assemblée nationale.
Lorsque l'acquéreur s'engage à affecter le logement à la location pendant une période minimale de six ans à compter de la date d'acquisition, il sera en mesure de bénéficier d'un taux réduit pour la taxe additionnelle à la taxe de publicité foncière perçue par la commune ou le département. Le conseil municipal, ou, selon le cas, le conseil général, pourra librement fixer ce taux entre 1,2 % et 0,5 %.
Je suis surpris que les socialistes aient voté contre ce dispositif, malgré l'argumentation de notre collègue M. Sueur, car c'est un moyen très concret pour les maires d'aider les acquéreurs. Encore faut-il véritablement en avoir la volonté politique ! Mais cela, c'est une question posée à certain maire d'une très grande ville de France ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. On ne voit pas du tout à qui vous faites allusion ! (Nouveaux sourires.)
M. Philippe Goujon. L'introduction par le Sénat de l'obligation pour le bailleur d'informer le maire de la commune ou de l'arrondissement, dans le cas de Paris, Lyon et Marseille, où est situé l'immeuble sur les modalités et le prix de la vente en bloc, préalablement à sa réalisation, est également de nature à freiner les opérateurs peu scrupuleux. Cette mesure a été confirmée par les députés.
En revanche, un point important de désaccord subsiste entre le Sénat et l'Assemblée nationale. Il s'agit du seuil de déclenchement du droit de préemption. L'Assemblée nationale l'avait fixé à cinq logements et le Sénat a relevé ce seuil à dix. L'Assemblée a rétabli le seuil de cinq. Notre commission des lois propose d'en revenir à dix.
Lors de la première lecture, j'avais soutenu avec plusieurs de nos collègues - M. Sueur a eu l'amabilité de le rappeler - le maintien d'un seuil de cinq logements. Monsieur le rapporteur, je continue de considérer ce seuil comme judicieux.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Philippe Goujon. Au-delà d'un tel seuil, on rejoint la problématique des ventes à la découpe posée par les investisseurs institutionnels et les professionnels de l'immobilier.
L'élévation de ce seuil à dix logements fait également courir le risque de perdre une partie de la substance de cette proposition de loi.
M. Jean-Pierre Sueur. Nous sommes d'accord !
M. Philippe Goujon. Permettez-moi, monsieur Sueur, de revenir sur la reprise par le groupe socialiste d'un sous-amendement que j'avais déposé avec plusieurs de mes collègues en première lecture, reprise dans laquelle je vois, bien sûr, un hommage à notre capacité de proposition en faveur de la justice sociale ! Je voudrais que les choses soient bien claires : j'aurais en effet préféré que vous repreniez l'intégralité du dispositif que nous avions proposé.
Ce sous-amendement, qui tendait à instaurer un dispositif de décote entre 10 % et 20 % au profit des locataires, était complété par un autre sous-amendement. Celui-ci visait à ce que le locataire qui ne se maintiendrait pas pendant six ans dans sa résidence principale soit tenu de rembourser l'équivalent de la valeur de la décote au fonds de solidarité pour le logement de son département. Une sanction est en effet nécessaire - ce n'est que justice -, sinon le moyen ne sera pas opératoire.
En outre, ce dispositif permet de favoriser le logement social en soutenant davantage encore les ménages en difficulté.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le travail parlementaire a fait son oeuvre. En réponse au désarroi de locataires brutalement mis devant le fait accompli, dans un contexte spéculatif dominé par un marché souvent sans état d'âme, ce texte a pour objectif de renforcer leurs droits et de combattre la spéculation. Il répond ainsi tout à la fois aux exigences du droit et de la justice. Souhaitons-lui d'atteindre son but ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Roger Madec.
M. Roger Madec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que le rythme des opérations de ventes par lots, dites « ventes à la découpe », s'était ralenti lors de l'examen en première lecture de la présente proposition de loi, ce phénomène reprend aujourd'hui de plus belle.
Cette nouvelle reprise des ventes à la découpe démontre qu'il est urgent d'adopter des mesures efficaces afin de protéger les locataires contre ce fléau spéculatif.
Avant de revenir sur le contenu du texte, je souhaite redire combien l'ampleur et la nature actuelles des ventes à la découpe sont devenues inacceptables et très préoccupantes.
Certes, me direz-vous, cette méthode de mise en vente existe depuis longtemps. C'est vrai. Elle a été développée par les propriétaires, bailleurs institutionnels publics ou privés, et intervenait traditionnellement à la suite de travaux de réhabilitation ou pour gérer un patrimoine locatif.
Aujourd'hui, la situation est tout à fait différente. Ces opérations ne sont plus effectuées par des bailleurs, mais par des investisseurs financiers. Elles ne correspondent plus à aucune réalité économique, mais à des impératifs financiers.
Je ne citerai qu'un exemple : en 2004, le fonds de pension américain Westbrook a découpé 3 600 logements. Ce sont non pas dix ou cent locataires qui ont été mis à la porte, mais des milliers !
Nous savons comment fonctionnent les acteurs financiers. Ils obéissent à des critères de rendement à très court terme, comme l'a rappelé Mme Borvo tout à l'heure, avec un objectif de rentabilité de 30 % en cinq ans. C'est au nom des mêmes objectifs financiers qu'une société immobilière liquide son parc de logements.
Les ventes à la découpe témoignent incontestablement de la financiarisation du marché du logement. Or la question du logement est trop grave pour permettre une telle dérive. Un appartement n'est pas un simple actif financier ou un titre de créance. C'est la vie !
Pourtant, cette évolution dangereuse ne semble pas préoccuper la majorité. Elle crée en effet elle-même les conditions de cette financiarisation avec, par exemple, l' « amortissement Robien ». Ce dispositif, qui est conçu comme un outil d'optimisation fiscale, fait des futurs propriétaires de simples investisseurs financiers.
C'est bien cette logique que nous refusons, et ce d'autant plus vivement que le contexte est extrêmement défavorable aux locataires.
L'augmentation des loyers est en effet très forte, que ce soit à Paris ou dans les grandes métropoles. Les prix de l'immobilier explosent. Même dans les arrondissements populaires de Paris, tel celui que j'administre, le prix du mètre carré a atteint un record vertigineux. L'immense majorité des locataires frappés par le fléau de la vente à la découpe rencontrent donc les pires difficultés pour se reloger.
Les ventes à la découpe ont une autre conséquence immédiate : elles entraînent le transfert des habitants modestes et des classes moyennes du centre vers la périphérie des grandes villes. Elles ne favorisent donc pas la mixité sociale qui fait la richesse de nos villes et de nos quartiers. Au contraire, ces ventes sont à l'origine d'une déstabilisation sociale.
Aujourd'hui, l'ampleur du phénomène des ventes à la découpe atteint des proportions inégalées. À Paris, les ventes par lots concernent près d'une transaction immobilière sur cinq. Plus de deux cents immeubles font actuellement l'objet d'une mise en lots, dont près de la moitié par des administrateurs de biens. D'autres métropoles sont également, hélas ! frappées de plein fouet par ce fléau.
Il est donc urgent, madame la ministre, de prendre des mesures résolues afin de freiner le rythme des ventes à la découpe. La financiarisation de l'immobilier, le niveau élevé des loyers, le départ des locataires modestes et l'ampleur du phénomène le justifient pleinement.
Il s'agit non pas d'interdire cette pratique - c'est le libéralisme et la loi du marché ! - mais de l'encadrer, afin d'empêcher son instrumentalisation à des fins purement financières. La vente par lots doit être une méthode de gestion du patrimoine locatif et non une technique d'optimisation financière.
Les groupes socialistes du Sénat et de l'Assemblée nationale ont fait des propositions en ce sens. Lors de l'examen en première lecture de la proposition de loi, vous en aviez repris quelques-unes - et nous nous en félicitons -, mais vous aviez préféré écarter les plus significatives d'entre elles.
Le texte dont nous discutons aujourd'hui est nettement insuffisant, même s'il a le mérite d'exister. Les locataires, qui sont les principaux concernés, ont exprimé leur insatisfaction par la voix de leurs associations. La presse s'en est d'ailleurs grandement fait l'écho ce matin. Quant aux opérateurs immobiliers, ils ont fait la preuve de l'inconsistance de cette proposition de loi en accélérant les ventes à la découpe depuis son examen en première lecture par le Parlement.
Plusieurs dispositions de ce texte seront en effet totalement inefficaces dans la pratique, et vous le savez bien !
Il en est ainsi, tout d'abord, de la possibilité offerte aux maires d'exercer leur droit de préemption au nom du maintien des locataires dans leur logement. Cette mesure est présentée comme une grande avancée pour la cause des locataires. Mais encore faudrait-il que les maires aient les moyens financiers d'effectuer de telles transactions immobilières ! Aucune collectivité territoriale n'a en effet les moyens de faire face à l'appétit financier des investisseurs privés ou des fonds de pension. Ni les villes de grande taille, ni celles de taille moyenne, encore moins celles de dimension modeste n'auront les moyens de préempter un nombre suffisant d'immeubles. Ainsi la transaction du fonds de pension Westbrook portait-elle sur un montant de 1,15 milliard d'euros !
Il en est ainsi également du dispositif d'incitation fiscale. Certes, nous avons proposé de réduire les droits d'enregistrement lorsque l'acquéreur d'un logement vendu à la découpe s'engage à ne pas donner congé au locataire, mais nous proposions que ce dispositif soit obligatoire et que la perte de recettes en résultant pour les collectivités locales soit compensée par une augmentation de la dotation globale de fonctionnement, la DGF. En privant les collectivités de toute compensation, vous rendez ce dispositif peu efficace et peu opérationnel. Rares seront en effet les propriétaires et, par suite, les locataires qui, un jour, profiteront de cette incitation fiscale.
Il en est ainsi, enfin, du droit de préemption que vous créez et que pourra exercer un locataire lors de la vente d'un immeuble en bloc lorsque le propriétaire ne se sera pas engagé à maintenir l'immeuble sous statut locatif pendant six ans.
Cette disposition est, paraît-il, la mesure phare du texte. Pourtant, nous le savons tous, elle ne profitera qu'à une minorité de personnes. Il est en effet généralement estimé qu'un tiers seulement des locataires ont les moyens de racheter leur logement.
Ainsi, dans l'est parisien, que je connais bien, la majorité des locataires victimes des ventes à la découpe n'ont généralement pas les moyens de racheter leur logement. Comment des smicards ou des gens modestes, qui vivent là depuis trente ans, peuvent-ils faire face à des prix atteignant 4 000 ou 5 000 euros le mètre carré ? C'est impossible !
Aussi, les acquéreurs d'immeubles en bloc ne risquent pas, dans les quartiers populaires, de voir un locataire exercer ce nouveau droit de préemption. Rien n'incitera réellement ces acquéreurs à s'engager à maintenir les logements en statut locatif, comme les y encourage l'article 1er du texte.
En outre, le propriétaire de l'immeuble pourra très facilement contourner l'engagement de maintenir les logements en statut locatif pendant six ans en vendant directement à la découpe, sans vente en bloc au préalable.
Au final, seule la minorité de locataires les plus aisés verra sa situation s'améliorer. Les autres devront se contenter de quelques avancées essentiellement procédurales.
Ces progrès sont largement insuffisants. Ils traduisent votre manque de volonté - excusez-moi, madame la ministre, mon propos n'est pas polémique, je ne fais qu'un constat - d'apporter une solution aux excès des ventes à la découpe. Or les solutions existent, Jean-Pierre Sueur les a rappelées.
La première solution serait de donner au maire la capacité de suspendre la vente par lots d'un immeuble. Il n'y aurait pas là atteinte excessive au droit de propriété puisque le propriétaire devrait seulement s'engager à maintenir un nombre suffisant d'appartements en statut locatif. Au demeurant, une telle mesure aurait un effet dissuasif sur les spéculateurs.
La seconde solution consisterait à réglementer la profession de marchand de biens. Dans la mesure où ces marchands n'assurent pas les mêmes fonctions qu'un bailleur, il convient de leur retirer le droit de recourir au congé pour vente. De plus, ils sont les principaux opérateurs de ventes par lots.
Pour la suite de nos propositions, je vous renvoie à nos amendements. Tous traduisent notre volonté de bien et mieux protéger les locataires - y compris ceux qui sont moyennement aisés et installés dans la société, aussi frappés de plein fouet par ce phénomène -, sans porter atteinte au droit de vente.
Vous l'avez compris, madame la ministre, le texte qui nous est présenté aujourd'hui ne saurait nous satisfaire en l'état. J'espère que chacun d'entre nous en prendra conscience au cours du débat et que l'adoption de nos amendements nous permettra de le voter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Marcel-Pierre Cléach.
M. Marcel-Pierre Cléach. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, vous me pardonnerez, je l'espère, de faire entendre une musique un peu discordante par rapport à celles qui ont précédé.
M. Philippe Marini. Le débat, c'est cela !
M. Marcel-Pierre Cléach. Dès le 13 octobre dernier, lors de l'examen en première lecture par notre assemblée de la proposition de loi relative au droit de préemption et à la protection des locataires en cas de vente d'un immeuble, je vous avais déjà fait part des difficultés juridiques et techniques que me paraissait soulever ce texte.
En effet, loin de répondre à l'objectif affiché d'assurer une meilleure protection des locataires, cette proposition de loi va, me semble t-il, créer de nouvelles contraintes sur le marché immobilier, susciter de nombreux contentieux et, au final, un renchérissement du prix des logements concernés.
Le rappel des événements qui ont conduit au dépôt de cette proposition de loi démontre d'ailleurs son caractère circonstanciel.
Comme vous le savez, la loi du 6 juillet 1989 autorise à mettre fin à un bail pour trois motifs, dont le congé pour vente. À la fin des années quatre-vingt-dix, la question a pris un tour politique et social lorsqu'une société immobilière a décidé de vendre par lots des immeubles qui avaient bénéficié de prêts aidés. Des négociations ont alors eu lieu entre les associations de locataires et les bailleurs personnes morales. Elles ont abouti à un accord collectif relatif aux congés pour vente par lots aux locataires dans les ensembles immobiliers d'habitation.
Cet accord, qui donne satisfaction aux deux parties, a été étendu, par un décret en date du 22 juillet 1999, à tous les acteurs de la vente par lots, à l'exception du parc social et des sociétés civiles immobilières familiales. Il prévoit une batterie de dispositions de protection des locataires, notamment une information détaillée du locataire très en amont de la procédure, l'exercice du droit de préemption par le conjoint, un ascendant ou un descendant - déjà ! -, le renouvellement du bail des personnes en situation difficile et des personnes âgées de plus de soixante-dix ans, une procédure de conciliation en cas de litige, l'obligation pour le bailleur de faire une proposition de relogement aux locataires qui ne se portent pas acquéreurs de leur logement lorsque leurs ressources sont inférieures à 80 % du plafond du prêt locatif intermédiaire.
Lors des auditions que j'avais menées en 2004 en vue de la rédaction, au nom de la commission des affaires économiques, d'un rapport sur le logement locatif privé, j'ai pu constater que l'ensemble des acteurs concernés, dont les associations de locataires, se satisfaisait de la situation juridique en vigueur jusqu'alors. Le législateur était parvenu à un bon équilibre entre, d'une part, la nécessaire protection des plus faibles et, d'autre part, le respect du droit de propriété et d'une certaine fluidité du marché.
J'avais également entendu les représentants des propriétaires institutionnels, notamment des compagnies d'assurances, me confirmer leur désengagement progressif et déterminé du secteur de l'investissement locatif « habitation », en raison de sa faible rentabilité nette, mais surtout de l'accroissement des difficultés de gestion engendrées par les usines à gaz successives que le législateur, mais surtout l'exécutif, s'ingéniait à mettre en place au gré du vent, créant pour les propriétaires une incertitude juridique incompatible avec la sécurité attendue d'un investissement à long terme, ce qui est le cas des grands investissements immobiliers.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. La voilà l'explication !
M. Marcel-Pierre Cléach. Ce désengagement s'est depuis vérifié.
Vous savez que les investisseurs institutionnels étaient déjà passés de 17 % du parc locatif privé en 1995 à 10 % en 2002, soit presque la moitié.
Le mouvement s'est même accéléré jusqu'à provoquer les remous auxquels nous devons d'être ici ce soir.
En effet, en 2003, la vente par lots touche, pour la première fois avec ampleur, des immeubles situés dans les beaux quartiers parisiens.
M. David Assouline. Pas seulement !
M. Marcel-Pierre Cléach. Pas seulement, mais surtout.
Ainsi, la part des ventes par lots dans les VIe, VIIe, VIIIe et XVIe arrondissements par rapport aux ventes sur Paris est passée de 39 % en 1999 à 64 % en 2003 et même à 74 % en 2004.
Sont alors touchés des locataires qui bénéficiaient d'appartements de standing - toute la plaine Monceau est touchée ! - dont les loyers étaient inférieurs de 20% à 40 % au prix du marché.
Dans le respect de la législation en vigueur, il leur fut alors proposé d'acheter leur lot à un prix inférieur à celui du marché, du fait des décotes résultant de l'usage et de la négociation et liées à l'ancienneté dans les lieux et à la durée restant à courir des baux. Mais, même avec décote, ces ventes furent ressenties par ces personnes jusqu'alors privilégiées...
M. Philippe Marini. Très privilégiées !
M. Marcel-Pierre Cléach. ... comme une atteinte directe à ce qu'elles estimaient être leur droit perpétuel.
Pour tenir compte de situations spécifiques, un nouvel accord fut conclu en mars 2005 entre des associations de locataires et des bailleurs personnes morales. Il prévoyait notamment de renforcer les obligations d'informations écrites, d'étendre l'obligation de relogement aux locataires invalides et à ceux dont les ressources sont inférieures, non plus à 80 % mais à 100 % des plafonds des prêts locatifs intermédiaires. L'affaire aurait pu s'arrêter là.
Mais cet accord n'a pu être étendu à l'ensemble des acteurs, plusieurs associations de locataires - c'est ce que vous disiez, monsieur Hyest, ce matin en commission des lois - refusant de le signer...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. Marcel-Pierre Cléach. ... et choisissant de jouer la carte du changement de législation en leur faveur. On aurait pu faire l'économie d'une loi.
M. Marcel-Pierre Cléach. Leur émoi fut alors relayé par la presse et les médias. Le grand battage médiatique fait autour de la vente par lots d'immeuble, notamment dans les beaux quartiers parisiens, a laissé entendre aux personnes peu averties qu'il s'agissait d'un mouvement majeur et déstabilisant totalement le marché parisien.
À tort, la presse a présenté la vente par lots d'un immeuble sous le régime de la copropriété comme une évolution juridique récente alors que cette pratique existait déjà avant guerre. Elle a amplifié son importance, qui concerne principalement et de façon marginale le marché parisien.
Elle a surtout donné une information incomplète et véhiculé des a priori qui ne résistent pas à un examen sérieux, laissant entendre qu'il s'agissait pratiquement d'une opération consistant à dépouiller des locataires au profit de bailleurs personnes morales souvent détenues par des fonds étrangers, ce qui est impardonnable !
La rumeur médiatique est tout à fait contraire à la réalité, comme en témoignent les données concernant le marché français de l'immobilier.
Dans la France métropolitaine de 2002, les résidences principales étaient occupées à 56 % par leurs propriétaires, à près de 38 % par des locataires d'un local loué vide et à 6 % par des personnes ayant un autre statut d'occupation, locataires de meublés, sous-locataires, fermiers et métayers ou personnes logées gratuitement.
S'agissant des locataires, le secteur privé devance le secteur HLM, le premier logeant près de 20 % des locataires, le second moins de 16 % d'entre eux.
À Paris, en 2002, on dénombrait, parmi les résidences principales, 32,5 % de propriétaires contre 56 % sur le plan national, 56,3 % de locataires d'un local loué vide, 4,1 % en meublé ou sous-location et 7,1 % de personnes logées gratuitement.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'était en 2002 !
M. Marcel-Pierre Cléach. Attendez, je me rapproche de 2005 !
La vente par lots, pour sa part, a fait l'objet d'une étude de la chambre des notaires d'Île-de-France sur la période allant de 1992 à 2004. Il ressort de cette étude publiée en 2005 que la proportion de vente par lots dans les ventes totales d'appartements à Paris a été de 12,7 % en moyenne sur la période 1992-2004.
En outre, un tiers des appartements vendus par lots reste occupé par leurs locataires. L'essentiel des appartements vendus par ce biais et non loués est acheté par des particuliers pour leur usage propre. Les lots vendus dans ce cadre sont acquis à plus de 85 % par des personnes physiques dont l'âge moyen est inférieur à quarante-cinq ans et dont les catégories socioprofessionnelles ne se différencient pas de celles des acheteurs de l'ensemble des transactions parisiennes. Le prix au mètre carré des appartements vendus à la découpe est inférieur d'environ 8 % aux prix classiques. L'étude réalisée par la chambre des notaires d'où sont issus ces éléments chiffrés porte jusqu'à la fin de 2004.
Les effets réels de la vente à la découpe ne sont aucunement ceux qui sont mis en avant pour justifier cette proposition de loi.
Phénomène économique limité, la vente par lots permet de renforcer une offre faible, trop faible de logements, à un prix en deçà de la moyenne et qui, par conséquent, fait baisser le prix d'équilibre du marché, ne serait-ce que marginalement.
En réalité, son effet social est bénéfique puisqu'elle permet d'augmenter le taux de résidents propriétaires à Paris, qui est nettement inférieur à celui de la moyenne nationale.
Évidemment, ce que retient le grand public, c'est la différence entre le prix de vente en bloc d'un immeuble et le prix d'une vente par lots des appartements de cet immeuble. Cet écart de prix se justifie économiquement par le risque pris par l'opérateur, car le marché peut se retourner, par les capitaux investis et immobilisés, les frais engendrés par la mise en copropriété de l'immeuble, qui représente environ 10 % des surfaces achetées du fait de la création de parties communes, de loges de concierges, des frais de mises aux normes de l'immeuble, des frais de plans, de géométrie, de notaire, etc.
Malheureusement, ces considérations, très largement relayées par les médias, se sont imposées et aboutissent aujourd'hui au vote de cette proposition de loi, faussement d'assistance, si ce n'est pour quelques personnes de qualité, certaines d'entre elles étant membres du monde culturel, du cénacle des médias, voire de nos assemblées, en tout cas de la haute administration, ces personnes bénéficiant de logements de standing dans les beaux quartiers parisiens à des prix très souvent inférieurs à ceux du marché.
Comme je l'ai souligné lors de la première lecture de ce texte, j'aurais compris, et admis, que l'on adopte des solutions encore plus protectrices que celles qui sont déjà en vigueur, pour des locataires se trouvant dans des situations de fragilité, la nécessité sociale d'un texte pouvant justifier certains sacrifices à l'égard des grands principes et droits fondamentaux. C'est d'ailleurs l'objet de l'accord de mars 2005.
En revanche, je ne peux comprendre ni admettre que le législateur adopte des lois de circonstance, faussement compassionnelles, immanquablement source de contentieux importants et surtout, mes chers collègues, dont les effets iront à l'encontre de l'objectif affiché, car ce texte qui ne vise et ne protège qu'une infime minorité des locataires va se retourner contre la plupart d'entre eux.
Cette proposition de loi concerne aussi, certes, des locataires de situation moins privilégiée - je pense que ces locataires sont ceux qu'évoquait Mme Borvo Cohen-Seat -, qui d'ailleurs souhaitent souvent - et le mot « souvent » est faible - devenir propriétaires mais n'ont pas les moyens de réaliser leur souhait. Ceux-là ne retrouveront plus l'occasion qui leur est donnée aujourd'hui, à savoir des prix décotés du fait même qu'ils occupent les logements et des taux d'intérêt d'emprunts exceptionnellement faibles. Je suis certain que beaucoup le regretteront.
Quant à ceux qui souhaitent rester locataires, une élémentaire bonne foi oblige à reconnaître que les dispositions de la loi du 6 juillet 1989 et le décret du 22 juillet 1999 leur accordent déjà une protection importante - qui est d'ailleurs exorbitante par rapport aux législations de nos grands voisins, et c'est tant mieux -, en tout cas, suffisante.
Cette proposition de loi, qui, je n'en doute pas, sera adoptée, va ainsi rigidifier un marché qui, jusqu'alors, au contraire, favorisait l'accès des locataires à la propriété à des conditions assez avantageuses.
Nous allons donc légiférer pour une poignée - certes bruyante et talentueuse, mais minoritaire - de locataires qui ont jusqu'à présent bénéficié de conditions de logement beaucoup plus favorables que celles auxquelles se trouvent confrontés la plupart de nos concitoyens et qui réclament aujourd'hui une loi d'assistance catégorielle à leur seul profit.
M. Jean-Pierre Sueur. Dites cela aux locataires !
M. Marcel-Pierre Cléach. Bien sûr, ce sera écrit, rapporté, je l'ai dit et je le redirai.
M. David Assouline. On ne manquera pas de le leur dire !
M. Marcel-Pierre Cléach. Outre ce côté catégoriel et corporatiste, ...
M. Jean-Pierre Sueur. Ce sont des corporatistes, ceux que l'on met dehors ?
M. Marcel-Pierre Cléach. On ne les met pas dehors, puisqu'on leur propose déjà une prolongation de bail de six ans !
Outre ce côté catégoriel et corporatiste, je considère que le texte qui nous réunit ce soir présente bien d'autres défauts.
Son application va enchérir le prix de vente des appartements qui y seront soumis. En effet, la multiplication des études, des diagnostics, des interventions d'hommes de l'art, les kilomètres de papier à communiquer aux locataires concernés - règlement de copropriété : 120 pages ; plans annexés : 40 pages -, les délais nécessaires à tout cela vont augmenter la durée, donc le coût du financement pour l'opérateur, qui le répercutera dans ses prix.
Le risque pour celui-ci de ne réaliser qu'une partie des ventes de l'immeuble qu'il aura acquis en totalité et donc de conserver pendant six ans un encours financier lourd le conduira à provisionner ce risque et à le répercuter dans ses prix de détail, au détriment du locataire que cette proposition de loi entend protéger.
Elle aura d'autres répercussions malheureuses, car, vous le savez bien, la chaîne du logement est complexe : il faut des logements très sociaux, des logements aidés, des logements intermédiaires, mais aussi des logements dits bourgeois,...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ceux-là ne manquent pas !
M. Marcel-Pierre Cléach. ... dont la fourniture était majoritairement assurée par les grandes sociétés d'assurances ou immobilières.
Je peux vous assurer, mes chers collègues, que cette nouvelle atteinte à ce que ces investisseurs considèrent comme un droit fondamental, partie essentielle du droit de propriété, c'est-à-dire le droit de disposer librement de leurs biens, ne va pas les inciter à ralentir leur course vers le désinvestissement.
Ils continueront à se détourner de l'investissement immobilier à fins locatives, diminuant encore une offre déjà très insuffisante, et nous y aurons contribué, mes chers collègues.
M. David Assouline. Ce n'est pas civique ! (Sourires.)
M. Marcel-Pierre Cléach. Nous pouvons également craindre un autre type de réaction, également nocif à la fluidité du marché, mais qui ravirait sans doute les défenseurs du texte que nous examinons.
Si, en effet, conscients des difficultés nouvelles créées par ce texte, un grand nombre de propriétaires, personnes physiques notamment, attachés à leur patrimoine et souhaitant le conserver sans arbitrages périodiques, décidaient de s'en accommoder, nous assisterions ou nous risquerions en tout cas d'assister à un gel des ventes en copropriété, avec tout ce que cet immobilisme coûterait à la vie économique : pertes de recettes fiscales au titre des droits de mutation et de l'impôt sur les sociétés, diminution de l'activité bancaire en matière de prêts immobiliers, diminution de l'activité des métiers du bâtiment, etc.
Sur le même plan, nous allons, une fois de plus, donner une image négative à l'étranger : insécurité des investissements, atteinte au droit de propriété, accumulation de textes catégoriels concourant à donner de notre pays une image de frilosité, de déresponsabilisation, celle d'un pays où chaque catégorie de citoyens cherche à s'abriter, à obtenir la protection du groupe auquel il se trouve appartenir, où même les lycéens ne veulent pas accepter l'idée d'un risque en début de carrière !
M. David Assouline. C'est une honte d'entendre cela !
M. Marcel-Pierre Cléach. Je vous proposerai, mes chers collègues, quelques amendements, dont certains de pure cohérence, afin de tenter de corriger quelques-uns des défauts que je trouve à ce texte. Mais, à supposer même qu'ils soient adoptés, je ne pourrais me prononcer en faveur de cette proposition de loi, pour l'ensemble des raisons que j'ai invoquées. En effet, elle m'apparaît contraire, à long terme, aux intérêts réels de ceux qu'elle entend protéger, elle est d'inspiration consumériste et touche au droit de propriété en restreignant très sérieusement cette faculté qui en est l'essence, le droit pour tout citoyen de disposer librement de ses biens.
Ce faisant, je vous prie de croire que je ne défends ni les opérateurs concernés, ni les spéculateurs, ...
M. David Assouline. Mais non...
M. Marcel-Pierre Cléach. ... ni l'une quelconque des catégories intéressées par l'objet de ce texte. Ma position, qui est très minoritaire, je le sais, n'est dictée que par les considérations de principe que j'ai évoquées. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, la crise profonde qui secoue la société française depuis plusieurs semaines a eu pour révélateur une loi d'origine gouvernementale, qui n'a toujours pas été promulguée par le Président de la République et dont l'objet était de favoriser « l'égalité des chances ».
Or, dans ce texte pourtant « fourre-tout », où l'on pouvait trouver une modification du régime d'implantation des cinémas multiplexes dans certaines zones urbaines, un contrat de travail jetable tous les jours pendant deux ans pour les moins de vingt-six ans - vous voyez ce que je veux dire ! -, il n'y avait rien, absolument rien, sur le logement. Pour celles et ceux de nos concitoyens qui connaissent de profondes difficultés pour trouver un logement décent, l'égalité reste un mot assez vain.
Il faut rappeler au Gouvernement et à sa majorité - cette majorité qui essaie, dès que l'occasion se présente, de rendre sans effet le dispositif contenu dans la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains obligeant nos communes à un minimum de mixité sociale - que, selon l'INSEE, trois millions de ménages sont en situation de « mal-logement » - inconfort, surpeuplement, précarité de l'occupation.
Parlons justement de la « précarité de l'occupation », caractéristique du « mal-logement » qui touche aujourd'hui de plus en plus de ménages aux revenus modestes, voire d'autres aux revenus moins modestes, mais qui ont tous pour point commun de louer leur résidence principale dans le centre d'une grande agglomération.
Il a fallu que notre collègue députée de Paris Martine Aurillac dépose, en juin 2005, la proposition de loi qui revient aujourd'hui devant notre assemblée en deuxième lecture pour que le Gouvernement daigne enfin s'intéresser au problème des ventes à la découpe.
M. Philippe Goujon. Que ne l'avez-vous fait ?
M. David Assouline. Faut-il rappeler que la proposition du groupe socialiste de l'Assemblée nationale portant sur le même sujet avait été rejetée sans ménagement quelques semaines plus tôt ?
Faut-il également rappeler que les parlementaires socialistes interpellent le Gouvernement sur la gravité du phénomène des ventes à la découpe, notamment à Paris, depuis l'automne 2004 ?
Certes, chers collègues, ce texte représente une avancée par rapport au droit existant quant à la protection des locataires contre le comportement proprement scandaleux de certains agents de biens qui se livrent à la spéculation. Je ne vise ici ni l'ensemble d'une profession ni, d'ailleurs, quelques obscurs personnages, mais bien des opérateurs installés sur la place de Paris, dont certains sont directement liés à une institution publique comme le groupe Caisse des dépôts, ou à une vénérable banque mutualiste à laquelle les Français confient leur épargne : je veux parler des caisses d'épargne et de leur filiale, le Crédit foncier. C'est cela qui est grave.
Lors de la première lecture, notre assemblée a effectivement apporté quelques améliorations au texte initial.
Nous avons par exemple complètement réécrit l'article 1er : désormais, le bailleur est obligé de joindre à la notification de vente en bloc adressée aux locataires les conclusions d'un diagnostic technique sur l'état de l'immeuble.
La fiabilité de ce diagnostic n'est malheureusement pas assurée par la proposition de loi dans son état actuel. C'est pourquoi nous soumettrons de nouveau au Sénat plusieurs amendements qui tendront à ce que l'effectivité et le sérieux des contrôles soient garantis.
En dépit de quelques avancées, ce texte reste très en retrait par rapport aux attentes des nombreux, des trop nombreux locataires qui sont victimes des ventes à la découpe ou sont menacés d'en devenir victimes.
Ce sont en effet 30 000 familles qui sont concernées, alors que, pour la seule ville de Paris, plus de 10 000 congés-vente ont été délivrés entre mi-2004 et fin 2005.
Confrontés à la plus grave crise du logement depuis la reconstruction de l'après-guerre, les pouvoirs publics ne peuvent se contenter de mesures techniques de circonstance, qui ne feraient qu'apporter quelques garanties supplémentaires, quant aux délais notamment, à des familles qui risquent l'expulsion de leur logement, faute de pouvoir l'acheter à un prix prohibitif.
A ce sujet, les dernières évolutions du marché de l'immobilier ne sont guère rassurantes.
Ainsi, selon les grands réseaux d'agents immobiliers, après des années de pénurie, il y a aujourd'hui davantage de logements à vendre à Paris et en banlieue. Toutefois, cette évolution a attiré une clientèle plus aisée, qui vend ce qu'elle possède pour acheter un logement plus grand et plus confortable. Autrement dit, la hausse des stocks ne fait que freiner marginalement une hausse des prix qui resterait comprise, selon les professionnels, entre 5 % et 10 % en 2006. Si l'on considère le comportement des acteurs du marché de l'immobilier, la spéculation a encore de beaux jours devant elle.
Dans ce contexte, les pouvoirs publics ont le devoir de réguler le marché d'un bien auquel l'accès universel est un droit constitutionnellement garanti : le logement.
Le Gouvernement se retranche malheureusement derrière le respect du droit de propriété pour justifier sa prudence, pour ne pas dire ses préventions, à l'égard de mesures qui contraindraient réellement et viseraient à strictement encadrer le processus qui aboutit à vendre un immeuble à la découpe avec une visée spéculative.
Ce texte n'apporte ainsi aucun outil qui permettrait d'assurer la mixité sociale dans certains quartiers ou certaines communes, dans les centres des grandes villes notamment, alors que l'enjeu est fondamental, en termes de cohésion sociale.
Comme plusieurs de nos collègues élus parisiens, je rappellerai au Gouvernement que le maire de Paris a demandé un moratoire sur les opérations de vente à la découpe, demande à laquelle le Gouvernement n'a donné aucune suite. Peut-être M. Goujon pourrait-il nous aider ?
Les ventes à la découpe se poursuivent pourtant en ce moment même, ruinant de considérables efforts pour préserver la dynamique du tissu urbain de certains quartiers qui perdent des habitants, donc des commerces, des services publics, des lieux de vie, au gré des opérations spéculatives.
Plusieurs de nos amendements viseront donc à ce que les locataires concernés par une opération de vente à la découpe puissent solliciter du maire une enquête d'utilité publique, qui pourrait aboutir à un arrêté de suspension de la mise en copropriété.
Nous avons malheureusement peu d'espoir que le Gouvernement et la majorité changent de point de vue et comprennent l'opportunité d'adopter ces amendements, après deux lectures à l'Assemblée nationale et une lecture au Sénat. Il nous reste tout de même un espoir.
Il est vrai que certains lobbies, à l'évidence plus proches de la majorité que soucieux de l'intérêt général, ont fait publiquement connaître leur mauvaise humeur.
Pour M. de la Martinière, président de la Fédération française des sociétés d'assurance, qui compte de nombreux investisseurs institutionnels vendant régulièrement des immeubles en bloc, la proposition de loi telle qu'elle nous est parvenue de l'Assemblée nationale constitue « clairement une atteinte au droit de propriété » - ses idées sont relayées ici-, et l'adoption, en l'état, de cette proposition dissuaderait les assureurs d'investir dans l'immobilier locatif d'habitation.
M. David Assouline. Dans l'intérêt de nombreuses familles victimes de ventes à la découpe sauvages, le groupe socialiste espère que le Gouvernement et la majorité seront sourds à ces menaces et oseront soutenir les modifications que nous leur soumettrons.
Dans le cas contraire, nous voterons contre l'adoption de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Marini.
M. Philippe Marini. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, sans doute rejoindrai-je, par solidarité, les conclusions de la commission des lois mais, je vous le dis par avance, ce sera sans enthousiasme et avec un certain scepticisme.
Avant de valider ces conclusions, j'aimerais présenter quelques chiffres et tâcher de lutter contre des interprétations tendancieuses, tâcher de relativiser, de combattre des contrevérités, qui ont été diffusées avec une bien trop grande insistance, y compris dans le cadre du débat parlementaire, mes chers collègues.
Je voudrais tout d'abord rappeler, puisque le principal problème dont nous traitons concerne Paris, que le stock de logements est dans cette ville de 1,3 million de logements, dont 1,16 million de résidences principales.
Le taux de propriété à Paris est faible. Il est inférieur au taux national, puisqu'il est de 32,5 % contre 56 % sur le plan national. Ce taux de propriété est toutefois en progression constante, car il était encore inférieur à 20 % en 1970.
J'ajouterai que, sur ce marché parisien, le nombre de mutations concernant les appartements anciens a varié entre 27 000 et 47 000 sur la période 1992-2004.
Or, mes chers collègues, sur la même période, le nombre des ventes par lots a atteint entre 2 600 et 7 000 unités par an, soit une proportion de 12,7 % du total des mutations portant sur des appartements anciens.
Me fondant sur une étude de la chambre syndicale des notaires d'Île-de-France publiée en 2005, je puis vous dire que le prix au mètre carré des appartements vendus à la découpe est inférieur d'environ 8 % au prix observé dans l'ensemble des ventes.
Selon la même étude, la vente par lots s'effectue à plus de 85 % au bénéfice d'acheteurs particuliers, et un tiers des appartements vendus par lots restent en outre occupés par leurs locataires.
L'essentiel des appartements vendus par lots et non loués est acheté par des particuliers, pour leur propre usage.
Ces données, me semble-t-il, permettent de relativiser un problème qui, comme l'a très justement dit notre collègue M. Cléach, a pris un tour très médiatique, en raison des spécificités de certains des quartiers touchés et des catégories socio-économiques auxquelles appartenaient les locataires concernés.
Mes chers collègues, les ventes à la découpe ne constituent pas un élément moteur de l'emballement des prix de l'immobilier : ce sont les particuliers qui font les prix du marché du logement, aussi bien pour la location que pour la vente. Il ne s'agit, purement et simplement, que d'un constat économique.
Je voudrais maintenant m'opposer à une contrevérité : d'aucuns ont prétendu que ce phénomène aurait été suscité ou amplifié par une réforme dont la commission des finances du Sénat a pris l'initiative et qui concerne le nouveau régime fiscal des sociétés foncières cotées, ou sociétés d'investissement immobilier cotées, les SIIC.
J'ai eu personnellement l'honneur d'être voué aux gémonies sur un plateau de télévision par Mlle Jeanne Moreau - vous le voyez, mes chers collègues, c'est la célébrité !-, par une personne qui, visiblement, n'a pas manqué de revenus dans sa vie, mais a fait le choix, très respectable au demeurant, de ne pas être propriétaire de son appartement parisien.
M. Roger Madec. C'est caricaturer !
M. Philippe Marini. J'insisterai sur un premier élément, le désengagement général des institutionnels vis-à-vis du secteur locatif. C'est une vérité.
Ce désengagement concerne aussi bien les compagnies d'assurances que les banques, les mutuelles, la Banque de France, les collectivités locales, les villes de Paris ou Lyon par exemple.
Ainsi, en dix ans, les compagnies d'assurances ont vendu, en volume, 47 % de leurs « actifs logements », je crois utile de le rappeler. Il s'agit bien d'une période de dix ans, et ce fait est de nature à relativiser ce que l'on a pu dire touchant des modifications fiscales qui sont très récentes.
La focalisation sur les sociétés foncières cotées est totalement injustifiée.
Le compartiment des SIIC à la Bourse de Paris est composé de 27 sociétés. Or, sur ces 27 sociétés, deux seulement détiennent des logements. Sur ces deux SIIC détenant des logements, une seule, Gecina, a pratiqué des congés pour vente dans l'habitation.
Sur l'ensemble des ventes à la découpe pratiquées en France ces dernières années, Gecina a représenté, 10 % du total, il est vrai. Il serait infondé, selon moi, de déduire de cette exception l'idée que la vente par lots serait généralisée dans cette catégorie de sociétés. Les 25 autres sociétés foncières cotées ont une activité immobilière qui est essentiellement concentrée dans les domaines de l'immobilier tertiaire, commercial et de services.
Je rappellerai que la réforme à laquelle nous avons procédé, à l'initiative de la commission des finances du Sénat, a eu de considérables répercussions économiques. Elle a largement contribué à dynamiser le marché, mais également l'activité du bâtiment et des travaux publics. Cette réforme n'a pas seulement mis à disposition des épargnants des outils adaptés au long terme quant à leur rendement pour des placements de type préparation à la retraite. Elle a aussi contribué à consolider l'ensemble des activités de construction et du bâtiment.
L'amalgame entre vente par lots et statut des SIIC s'est appuyé sur une concomitance entre la réforme et une opération de vente qui aurait certainement été menée sans cette réforme et qui est le fait d'une société identifiée. Le lien de causalité dont il a été fait état est bien entendu totalement irréel. Ce lien de causalité n'existe pas.
En réalité, la diminution de la part des logements dans le patrimoine des sociétés foncières cotées est bien antérieure à l'entrée en vigueur du statut des SIIC, le 1er janvier 2003, puisque cette diminution avait débuté dès la deuxième moitié des années 1990.
Cela dit, mes chers collègues, rappelons enfin que cette proposition de loi ne vient pas s'imprimer sur un terrain vierge. Certains de nos collègues y ont fait avant moi allusion, des négociations entre propriétaires et locataires ont abouti à plusieurs accords.
Un accord collectif de location est d'abord intervenu le 9 juin 1998, qui était relatif aux congés aux locataires pour vente par lots dans les ensembles immobiliers d'habitation. Je rappelle à nos collègues du groupe socialiste que le ministre de l'équipement du gouvernement de M. Jospin avait étendu cet accord par le décret n° 99-628 du 22 juillet 1999.
M. Philippe Marini. L'accord prévoyait notamment une information détaillée du locataire, très en amont de la procédure, et l'obligation pour le bailleur de faire une proposition de relogement aux locataires dont les ressources étaient inférieures à 80 % du plafond pris en compte pour le prêt locatif intermédiaire, ou plafond PLI.
Il y a un an est intervenu l'accord du 16 mars 2005. Il a considérablement amélioré l'accord précédent, en prévoyant notamment le droit à l'offre de relogement pour les ménages qui ont des ressources correspondant à 100 % du plafond PLI, non plus à 80 %, ainsi que le droit au maintien dans les lieux pour les personnes âgées d'au moins 70 ans, non plus 80 ans, à la seule condition qu'elles ne soient pas assujetties à l'ISF, ce qui parait une condition tout à fait raisonnable.
Le dispositif conventionnel dont il s'agit protège à mon avis correctement les locataires, du moins ceux d'entre eux qui n'ont pas la capacité d'acheter, de telle sorte que la marge de délivrance des congés pour vente s'est considérablement réduite pour les propriétaires bailleurs institutionnels.
La présente proposition de loi va plus loin. Elle constitue une réaction à des cas particuliers qui ont été montés en épingle. Je crois qu'elle créera des rigidités importantes et que, en définitive, elle se retournera contre les acquéreurs de logements dans les grandes villes, en particulier à Paris, car tout facteur de rigidité est un facteur de renchérissement, une cause de raréfaction de l'offre, un élément qui risque de peser défavorablement sur le marché.
Sur le plan économique, je ne suis donc pas du tout certain, mes chers collègues, que nous prêtions la main à une action favorable aux locataires ou aux candidats à l'acquisition en adoptant cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que nous aborderons demain l'examen du projet de loi portant engagement national pour le logement, le texte que nous discutons aujourd'hui ne répond en aucune façon aux besoins des locataires concernés par les ventes à la découpe.
Le « collectif des locataires découpés », qui regroupe ceux qui sont les mieux placés pour apprécier, sans jugement partisan, les implications de cette proposition de loi, le dit très clairement : ce texte est extraordinairement insuffisant. Mon collègue Jean-Pierre Sueur l'a d'ailleurs lui aussi souligné tout à l'heure.
En effet, les seules réponses apportées s'adressent aux acheteurs potentiels de leur logement. C'est n'agir que pour le tiers ou le quart des locataires « découpés », pour les plus riches d'entre eux, ceux qui ont les moyens d'acheter leur appartement au prix de 5 000 ou 6 000 euros le mètre carré.
Mais on le sait bien, ce n'est pas une découverte : vous privilégiez, chers collègues de la majorité, les propriétaires de logements. C'est là une politique de la droite classique, qui réduit l'aide personnalisée au logement et accorde des prêts à taux nul à des ménages gagnant plus de 7 000 euros par mois. D'ailleurs, à l'origine, l'intitulé du projet de loi portant engagement national pour le logement faisait référence à la « propriété pour tous ».
Ce faisant, pensez-vous un peu aux gens qui n'ont pas les moyens de devenir propriétaires ? Pensez-vous aux personnes qui alternent contrats précaires et périodes de chômage, qui ne se voient proposer que des stages, des postes en intérim, des CDD, des contrats nouvelles embauches et bientôt, peut-être, des contrats première embauche ? La France connaît une crise du logement, certes, mais c'est plus précisément une crise du logement locatif et, encore plus précisément, une crise du logement social. Il suffit, pour s'en convaincre, de voir le nombre de dossiers de demande de logement laissés en attente depuis des années.
Les ventes à la découpe, 3 000 logements par an étant concernés à Paris, ne sont que l'une des formes que prend cette crise. Depuis 1999, on a dénombré 36 000 logements vendus dans ces conditions. En douze ans, les sociétés d'assurances ont cédé la moitié de leur parc locatif. Aujourd'hui, cette tendance s'amplifie. Par exemple, la société d'investissements immobiliers Gecina et la Caisse des dépôts et consignations s'apprêtent à accélérer la mise sur le marché d'une partie de leur parc immobilier. Le phénomène, parti du centre-ville de Paris et qui touche plus de 120 immeubles dans la capitale, s'étend aux quartiers alentour puis aux grandes villes de province.
C'est la logique du « tout-marché », me direz-vous, mais c'est aussi la logique de la droite. On se rappelle d'ailleurs que M. Chirac, quand il était maire de Paris, avait organisé méthodiquement l'éviction des pauvres de sa ville, car la gentrification est la meilleure manière de garder une ville à droite. Aujourd'hui, les fonds de pension finissent le travail en faisant fuir les classes moyennes.
En refusant de mettre en place une législation vraiment dissuasive, vous autorisez, dans les quartiers de centre-ville, ce que l'on pourrait appeler une « purification sociale ». Toutefois, ce n'est pas étonnant puisque, après tout, c'est ce que le gouvernement que vous soutenez planifie dans les quartiers populaires, à travers les opérations de démolition-reconstruction financées par l'Agence nationale pour la rénovation urbaine.
La conséquence de cette politique, c'est le rejet toujours plus loin des classes populaires. Frappées de plein fouet par la dégradation de l'environnement, abandonnées par les services publics, reléguées vers la périphérie par des coûts de transports publics prohibitifs, les personnes à qui l'on refuse un logement accessible dans une ville rassemblée paient le prix fort du développement d'une ville à deux vitesses.
Il y a une grande violence dans les congés pour vente, dans les procédures d'expulsion de locataires, dans les assignations devant le tribunal d'instance, dans les astreintes de 500 euros par jour à compter du jugement d'expulsion, dans le passage des huissiers, dans les envois de lettres recommandées... C'est la violence du marché libre dans un secteur, le logement, qui touche à la dimension intime de la vie des gens, de leur ancrage dans un quartier, dans une ville.
On ne doit pas balayer cela d'un simple revers de main ; c'est notre rôle de parlementaires d'apporter une réponse qui soit à la hauteur de l'enjeu. Qu'avons-nous à opposer à ce phénomène à l'ampleur nouvelle ? Qu'avons-nous à dire au locataire confronté à la spéculation immobilière ? Sommes-nous impuissants à garantir un droit au logement effectif face aux fonds de pension, face à Westbrook ? Non, et c'est pourquoi je propose de donner un droit de veto aux élus locaux, qui sont les mieux placés pour faire face à ce type de situation. Je propose d'instituer un « permis de diviser », accordé par les maires.
Hélas ! cette solution vous semble beaucoup trop radicale. Ainsi, à l'Assemblée nationale, Mme Aurillac, au nom de la « fluidité du marché », avait jugé « pervers » de prendre des mesures « de nature à bloquer le marché de l'immobilier et à soumettre les bailleurs à des contraintes générales et permanentes nuisant gravement à leurs missions ».
En tout état de cause, rassurez-vous, ce n'est pas le droit de propriété que nous remettons en question, c'est le droit de spéculer avec le logement des autres. C'est seulement devant cette prétention des propriétaires que l'on peut enfreindre le droit de propriété. Il s'agit non pas d'exproprier, mais seulement de demander aux nouveaux propriétaires de continuer à louer leurs biens : pas plus, pas moins.
En fait, ma préoccupation est de réaffirmer le droit au logement pour tous. C'est une question essentielle pour la vie quotidienne des personnes. Pour inscrire les enfants dans une école, pour se faire soigner, mais aussi pour aller voter, il faut disposer d'une adresse. Le logement est indispensable à l'exercice de la citoyenneté. C'est là une réalité incontournable, et c'est pour cette raison que nous devons nous mobiliser pour défendre le droit au logement pour tous. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Je voudrais rappeler brièvement que, s'il y a un problème du logement, chacun en connaît les raisons, qui sont multiples.
La première raison, c'est manifestement que nous connaissons une très forte crise du logement social. À cet égard, les chiffres sont précis, les faits sont têtus : on sait bien que la période 1997-2002 a été catastrophique dans le domaine du logement social. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Mesdames, messieurs les sénateurs, vous connaissez les chiffres aussi bien que moi !
Par ailleurs, on constate, cela est vrai, un recul de l'activité des investisseurs et des acteurs traditionnels du secteur du logement. C'est la raison pour laquelle ce texte doit permettre de trouver un équilibre entre le respect du droit de propriété, inscrit dans la Constitution, et la nécessaire protection des locataires. Tel est l'objectif visé au travers des dispositions faisant l'objet de cette deuxième lecture au Sénat de la proposition de loi.
Je voudrais en outre rappeler que certains outils sont maintenant disponibles.
Le premier d'entre eux, c'est l'accord collectif, qui date tout de même de mars 2005.
En outre, il y a ce texte, dont l'examen a commencé au mois de juin 2005. À cet égard, je voudrais répondre très nettement et très concrètement aux interrogations de M. Sueur sur la volonté du Gouvernement. Cette dernière est tout à fait claire : c'est que la discussion de la présente proposition de loi débouche sur la réunion d'une commission mixte paritaire et permette de progresser dans le traitement du sujet qui nous occupe. En effet, nous pouvons certes établir des constats, mais la volonté du Gouvernement est aussi d'agir pour apporter des réponses, ce que permettra le texte.
C'est la raison pour laquelle je ne peux que vous inviter, mesdames, messieurs les sénateurs, à débattre des quelques dispositions restant en discussion, s'agissant notamment de la question des seuils, avant que la commission mixte paritaire ne se réunisse et que la loi ne soit promulguée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Guy Fischer.)