compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart
vice-président
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ? ...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
dépôt d'un rapport du Gouvernement
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale pour 2005-2006, en application de l'article L. 144-1 du code de l'action sociale et des familles.
Ce document a été transmis à la commission des affaires sociales.
3
égalité des chances
Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi pour l'égalité des chances, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale aux termes de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, après déclaration d'urgence (n°s 203, 210, 211, 212, 213, 214).
Dans la discussion des articles, nous en revenons à l'article 2, précédemment réservé.
Article 2
Le code du travail est ainsi modifié :
1° Après la deuxième phrase du deuxième alinéa de l'article L. 115-2, il est inséré une phrase ainsi rédigée :
« Cette autorisation est réputée acquise lorsque le contrat d'apprentissage est conclu dans le cadre de la formation mentionnée à l'article L. 337-3 du code de l'éducation. » ;
2° Le premier alinéa de l'article L. 117-3 est complété par les mots : « ou s'ils remplissent les conditions prévues à l'avant-dernier alinéa de l'article L. 337-3 du code de l'éducation » ;
3° L'article L. 117-17 est ainsi modifié :
a) Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le contrat d'apprentissage est conclu dans le cadre de la formation mentionnée à l'article L. 337-3 du code de l'éducation, il peut être résilié à l'issue de chaque période de formation prévue dans le projet pédagogique concernant la phase d'apprentissage junior et avant que le jeune ait atteint l'âge limite de la scolarité obligatoire mentionné à l'article L. 131-1 du code de l'éducation, avec l'accord de son représentant légal, par l'apprenti qui demande à reprendre sa scolarité en application des dispositions du même article. » ;
b) Dans le troisième alinéa, après les mots : « deux premiers mois d'apprentissage », sont insérés les mots : « ou en application de l'alinéa précédent » ;
4° Le sixième alinéa de l'article L. 118-1 est complété par les mots : «, notamment la formation d'apprenti junior mentionnée à l'article L. 337-3 du code de l'éducation ».
M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, sur l'article.
M. Roland Muzeau. L'article 2, qui a été adopté à l'Assemblée nationale par le biais de l'article 49-3, pourrait être considéré de façon mineure comme la conséquence logique de l'article 1er créant les conditions de mise en oeuvre de l'apprentissage junior. Il vise en effet à transposer dans le droit du travail les dispositions modifiées du code de l'éducation.
Si l'on procède à une explication de texte, ce qui est en question, c'est, notamment, la procédure de validation de la mise en oeuvre de l'apprentissage junior.
Contrairement aux contrats d'apprentissage de caractère « normal », tels que fixés par le droit, le contrat d'apprentissage junior n'est pas soumis dans les faits à l'avis du service de l'inspection de l'apprentissage. Il présente donc une sorte de caractère d'exception consistant à limiter sa portée à la libre contractualisation entre les parties, c'est-à-dire, d'un côté, les parents ou les responsables majeurs du jeune apprenti et, de l'autre, le maître d'apprentissage, soit le plus souvent le chef d'entreprise d'accueil.
De la même manière, les conditions de durée et de rupture du contrat d'apprentissage sont laissées à la libre appréciation des parties. Ainsi, l'apprenti junior peut, dans des délais finalement rapprochés au regard de la date de début du contrat, mettre lui-même un terme à la mise en oeuvre du contrat et réintégrer le circuit normal de la scolarité.
Cherche-t-on à créer une formule souple permettant de faire de l'apprentissage junior une espèce de sas provisoire de formation pour les jeunes en attendant mieux, une formule d'accès effectif à la formation professionnelle par le biais d'une sorte de première « sensibilisation », ou plutôt, comme on peut s'y attendre, une formule tendant à organiser l'éviction progressive des jeunes les plus en difficulté avec les parcours scolaires banalisés au travers d'une orientation précoce conduisant à leur intégration rapide dans le monde du travail ?
À la vérité, on se demande quel est le véritable ordre de priorité dans le dispositif qui nous est présenté.
S'agit-il d'éviter que des jeunes qui ont des difficultés en version latine, dans l'apprentissage d'une seconde langue étrangère, avec la théorie des ensembles ou l'imparfait du subjonctif ne perdent plus leur temps et découvrent plus rapidement leur voie au travers d'un apprentissage technologique précoce ou s'agit-il de masquer derrière la « sensibilisation » à l'apprentissage en milieu professionnel le risque de la progression du chômage des jeunes sortis sans qualification du système scolaire ?
Chacun sait ici que les jeunes sortant précocement du système scolaire représentent la population la plus vulnérable au regard du chômage. Et quand ils ont la malchance d'être issus des quartiers dits sensibles ou d'avoir un nom à consonance étrangère, cette vulnérabilité est encore plus grande.
Mais que cherche-t-on réellement à faire avec l'apprentissage junior ?
Nous craignons que ce ne soit que pour de pures raisons de sélection précoce que les dispositions de l'article 2 aient été rédigées.
Il s'agit d'offrir aux entreprises - encore faut-il qu'elles soient demandeuses en la matière - une main-d'oeuvre éminemment flexible et peu coûteuse - la « rémunération » des apprentis juniors n'étant pas considérée comme un salaire -, qui, on s'en doute, proviendra pour l'essentiel des populations les plus vulnérables et des quartiers les plus en difficulté.
L'apprentissage junior n'est pas une nouvelle chance : il s'apparente clairement à une discrimination supplémentaire à l'encontre des jeunes et des familles modestes.
Sous le bénéfice de ces observations, nous annonçons d'ores et déjà que nous ne voterons pas cet article en l'état. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Henri de Raincourt. Quel dommage !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Nous revenons au thème de l'apprentissage junior. Si l'article 3 bis n'avait pas été appelé en priorité, nous y aurions gagné en cohérence.
Comme toute la politique du Gouvernement en matière de législation du travail, de politique sociale et d'emploi depuis 2004, l'idée de l'apprentissage à quatorze ans est directement issue du rapport Camdessus, dont les recettes relèvent toutes de la plus stricte orthodoxie libérale ; il parlait alors de préapprentissage.
Notre collègue M. Dassault s'est empressé de reprendre cette idée lors de l'examen, en octobre 2004, de la loi de programmation pour la cohésion sociale. Je me souviens de ses arguments : ce serait un facteur déterminant de lutte contre le chômage et la délinquance ; les jeunes étant au travail, ils finiraient par ne plus poser de problème ! Avec son franc-parler, M. Dassault disait au moins tout haut ce que le Gouvernement semble penser tout bas.
Pour nous, l'apprentissage junior est inacceptable, car il remet en cause de facto l'âge de la scolarité obligatoire. C'est d'ailleurs l'analyse que font tous les acteurs concernés. À cet égard, je rappelle les avis négatifs qu'ont émis le Conseil supérieur de l'éducation, les organisations syndicales ou l'éducation nationale. Il n'y a que vous pour ne pas le constater, monsieur le ministre.
Il est également inacceptable, car il vise à bâtir une filière qui serait, de fait, réservée aux jeunes des quartiers sensibles en difficulté scolaire. C'est donc non pas d'une filière d'excellence que nous parlons, mais plutôt d'une filière de recalés de la dernière chance, « stigmatisante » et discriminatoire.
L'objectif est de sortir le plus tôt possible du circuit scolaire des jeunes que l'on suppose « inaptes ». Pourtant, tous les pédagogues le disent, la sortie prématurée de l'école et l'entrée précoce dans le monde du travail ce n'est plus un modèle pertinent. Ce qu'il faut à ces jeunes, c'est un accompagnement renforcé dans le cadre de l'école. Il faut donc offrir à chaque jeune en difficulté une formation scolaire adaptée lui permettant de surmonter ses difficultés.
Vous vous trompez sur le plan pédagogique comme sur le plan économique. L'apprentissage, ce n'est plus la simple reproduction d'un geste professionnel. Du fait de l'évolution des techniques, les machines sont de plus en plus complexes. Par conséquent, les savoirs préalables à leur usage le sont également. L'apprentissage nécessite lui aussi des niveaux de qualification de plus en plus élevés.
À quatorze ans, il est rare que l'on soit assez mûr pour comprendre et accepter les contraintes de la vie en entreprise, surtout si l'on a déjà des difficultés avec celles du monde de l'école. Les chefs d'entreprise vous l'ont dit : ils ne veulent pas faire le travail à la place de l'école et ils n'ont pas vocation à se substituer à elle !
Vous avez une vision passéiste et purement économique de l'apprentissage, comme celle qui, il y a cent soixante ans, opposait les partisans de l'industrie et les tenants du progrès social lorsque furent adoptées les premières législations destinées à limiter le travail des enfants en France.
Si l'on fait l'historique de l'apprentissage, il faut remonter à 1919 et à la loi Astier du 25 juillet de cette même année, qui, pour la première fois, confiait aux communes le soin d'organiser des cours professionnels obligatoires ouverts aux travailleurs de quatorze à dix-sept ans employés dans les entreprises industrielles.
Cette réglementation de l'apprentissage faisait alors une large place au paternalisme. En 1971, elle fut considérée comme dépassée, le but de la réforme mise en oeuvre par la loi du 16 juillet étant de renforcer le volet pédagogique avant et pendant la période de l'apprentissage.
En revenant à l'apprentissage à quatorze ans, vous faites donc un sacré bond dans le temps, mais pas dans le bon sens.
Lorsque l'on est apprenti, on est non plus sous statut scolaire, mais sous le régime du code du travail. S'appliquent donc les dispositions de ce code. Or, par deux fois en 2005, vous avez largement modifié celles qui s'appliquent au travail des apprentis « de moins de dix-huit ans » le dimanche, les jours fériés et la nuit.
Le texte est opportunément silencieux sur ce point, mais les débats à l'Assemblée nationale, en commission et dans cet hémicycle l'ont confirmé : les dérogations introduites par les deux décrets du 14 janvier 2006 s'appliqueront aux apprentis juniors. Ainsi, un apprenti boulanger de quinze ans pourra travailler tous les jours à partir de quatre heures du matin, dimanches et jours fériés compris, sans compter le temps de transport éventuel. Il lui faudra assurer sa semaine de travail, tout en préparant sa semaine suivante de cours.
Comment les règles relatives au repos pourront-elles s'appliquer, notamment dans les entreprises artisanales, qui n'ont pas les mêmes possibilités que les grandes entreprises d'accorder des avantages en termes d'horaires ?
Êtes-vous surs que ce sont de bonnes conditions pour assurer la formation de ces jeunes, préserver leur santé et leur motivation ? Je ne le crois absolument pas !
Monsieur le ministre, vous tentez aujourd'hui de faire machine arrière à ce sujet tant vous vous rendez compte de l'effet désastreux de telles mesures. Contrairement à ce que vous affirmez, nous ne faisons pas du « pathos à la Zola » ; nous ne faisons que tirer les conséquences de deux décrets du 13 janvier 2006 dont la rédaction est très claire. Tous deux mentionnent bien les « apprentis de moins de dix-huit ans » et non les « apprentis de seize ans à dix-huit ans ». Par conséquent, un jeune de quinze ans titulaire d'un contrat d'apprentissage dans l'un des secteurs visés - ils sont tout de même nombreux et nous aurons l'occasion d'y revenir dans le débat - pourra travailler le dimanche, les jours fériés et la nuit si l'entreprise demande une dérogation à l'inspecteur du travail.
La contre-vérité, c'est vous qui la dites, monsieur le ministre. En effet, à l'Assemblée nationale, vous avez répondu un oui massif à la question qui vous était posée. Il est encore temps d'y revenir. Nous vous ferons des propositions en ce sens.
Enfin, puisque nous débattons d'un projet de loi censé porter sur l'égalité des chances et la lutte contre les discriminations, vous ne pouvez pas ignorer le rapport de Mme Nora Barsali rédigé pour l'Assemblée des chambres française de commerce et d'industrie, l'ACFCI. Selon ce rapport, « incontestablement, l'apprentissage ne fait pas exception dans les difficultés d'insertion professionnelle que rencontrent les jeunes issus de l'immigration ». Les discriminations raciales à l'embauche existent également dans l'apprentissage. Il souligne également que « pour certains apprentis issus de l'immigration, suivre une formation en apprentissage peut se révéler un véritable parcours du combattant ». Nous y reviendrons !
Ne craignez-vous pas d'aggraver cette situation en augmentant le flux des jeunes en apprentissage dès quinze ans ? Ne voyez-vous pas qu'à une discrimination scolaire vous risquez d'ajouter une discrimination professionnelle ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en complément de ce qui vient d'être excellemment dit, je voudrais poser quelques questions et exprimer, à propos de cet article 2, les raisons essentielles de ma désapprobation.
Je commence par une question, monsieur le ministre. Je voudrais savoir, afin que vous éclairiez nos débats, quelles sont les branches patronales qui ont demandé cette réforme. Car vous ne pouvez pas avoir pris une telle décision sans avoir en vue le développement de certains métiers. Lesquels ? Et quelles sont les branches patronales qui l'ont demandé ? Pour ma part, je pense qu'aucune ne l'a fait. Et si, par hasard, l'une l'a fait, elle se trompe lourdement, autant que vous.
Je voudrais rappeler à tous nos collègues de quoi il s'agit. Nous parlons de jeunes gens qui ont quatorze ans et, pour certains, treize ans et neuf mois. Ce sont des enfants. Je renvoie chacun d'entre vous, compte tenu de l'âge moyen de la Haute Assemblée et de sa composition, au souvenir que nous avons soit de nos pères, soit de ceux d'entre nous qui ont connu un tel statut. Qui voudrait cela pour ses enfants ? Et si vous n'en voulez pas pour vos enfants, pourquoi en voulez-vous pour les enfants des autres ?
Ce sont des enfants. Ils sont trop jeunes, car beaucoup ici ignorent peut-être ce qu'est l'apprentissage. C'est d'abord un apprentissage intellectuel, dont le contenu est de plus en plus étendu. Il dure de plus en plus et prend de plus en plus de temps, pour des raisons liées à l'évolution des pré-requis techniques et culturels de tous les métiers, sans exception. Je le dis pour ceux qui pensent qu'il suffit de mettre un jeune dans une entreprise pour que le savoir suinte des murs ! Dans tous les métiers, ces savoirs abstraits augmentent. Ensuite, c'est un travail concret très prenant. Alors, regardez-y bien à deux fois !
Si l'idée est que certains jeunes étant mal à l'aise à l'école ou au collège, on les enverra en apprentissage pour que cela marche, c'est une vue de l'esprit ! En effet, dans les métiers et dans les entreprises de notre temps, on n'a pas les personnes qui sont capables de s'occuper de jeunes agités. Car, naturellement, ce ne sont pas les plus calmes que vous prendrez !
On ne fera donc qu'une chose : augmenter le nombre de ceux que, dans l'éducation nationale, on appelle les PDV, les « perdus de vue », c'est-à-dire ceux que l'on a mis dans un parcours et qui le quittent. En l'occurrence, plus de 25 % de ceux qui concluent un contrat d'apprentissage s'en vont dans les trois premiers mois. Et ils ne vont nulle part : ils disparaissent et sont déscolarisés.
Cette fraction-là de la jeunesse, nous la retrouverons. Elle s'ajoutera à ceux qui sortent du système scolaire sans qualification - ce n'est pas tant que cela par rapport au total des élèves de l'enseignement secondaire - pour former cette espèce de masse grise que nous découvrirons dans dix ans ou dans quinze ans et qui sera composée de jeunes qui ne sauront rien faire, qui en seront mortifiés, humiliés et qui seront devenus des violents !
M. Philippe Dallier, rapporteur pour avis de la commission des finances. C'est déjà le cas aujourd'hui !
M. Jean-Luc Mélenchon. Ils sont trop jeunes pour aller en apprentissage à cet âge !
Vous pensez que l'apprentissage sera ce qui permettra, par l'imitation du geste professionnel, d'acquérir les savoirs indispensables ? Vous parlez donc des métiers d'art, de certains métiers de bouche ou de services. Ce sont, parmi les métiers, ceux qui sont les plus durs à vivre, les plus exigeants ! Et, dans ces métiers-là, il n'y a pas de place pour les instables dont l'éducation nationale elle-même n'a su que faire ! Votre dispositif sera donc un processus d'expulsion des jeunes !
Maintenant, je veux terminer sur un point, dans la même ligne d'argumentation qu'hier. Ce que nous voulons, c'est le bien de tous, le bien du pays, donc la croissance et l'emploi.
Or vous souhaitez engager une masse considérable de jeunes dans cette voie. Je me souviens ainsi que M. Borloo est venu nous expliquer qu'il comptait mettre 150 000 jeunes de plus en apprentissage, sur une classe d'âge dont le nombre est décroissant. Cela signifie que l'on va prélever ces 150 000 jeunes sur ceux qui sont actuellement soit dans l'enseignement professionnel sous statut scolaire, soit dans les collèges et dans les lycées, pour porter à 500 000 le nombre de jeunes en apprentissage.
Indépendamment de tout ce que je viens de dire sur l'âge de ces jeunes gens, la difficulté pour eux d'assumer ce nouveau statut et la cruauté du procédé, j'ajoute que vous commettez une erreur économique. Car, à quatorze ans, vous ne pouvez préparer, si jamais vous préparez quelqu'un à quelque chose, qu'au certificat d'aptitude professionnelle, le CAP. Le CAP est une qualification nécessaire, nous en sommes d'accord ! Mais elle n'a de sens que si le travailleur a ensuite la possibilité de s'élever jusqu'au bac professionnel.
À cet égard, je ne cesse de dire - et je prends à témoin tous ceux d'entre vous, y compris ceux qui siègent sur les travées de droite de cette assemblée, qui connaissent bien ce dossier, parfois même mieux que moi, et qui pourront le confirmer - que, dans l'industrie moderne, l'industrie avancée, le niveau de qualification aujourd'hui requis par tous, c'est le bac professionnel !
Si vous mettez un jeune en apprentissage à treize ans et neuf mois ou quatorze ans, il n'ira pas plus loin, parce qu'il n'est pas dans une filière de formation professionnelle lui permettant ensuite de rattraper le niveau du bac professionnel. C'est donc également une erreur économique !
Par conséquent, je demande à M. le ministre de nous dire quelles sont les branches patronales qui ont demandé cette réforme et qui s'en réjouissent. Je veux l'entendre et je veux pouvoir l'apprécier, compte tenu des métiers dont il sera question. Je vous régalerai du reste tout à l'heure. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous demande de respecter votre temps de parole !
La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Je poursuivrai dans le même sens que mes collègues, notamment en apportant des éléments concrets pour étayer le propos de Jean-Luc Mélenchon.
La raison invoquée pour introduire l'apprentissage junior dans cette loi est, selon les propos récurrents du ministre de l'éducation nationale, la situation des 15 000 jeunes qui « décrochent » chaque année au cours de leur scolarité.
Mais une telle mesure est en totale contradiction avec l'évolution de l'apprentissage ces dix dernières années, notamment s'agissant de ce qui motive la demande d'apprentis de la part des employeurs.
Les statistiques parlent d'elles-mêmes ! En 1995, huit apprentis sur dix étaient inscrits dans une formation de niveau V, c'est-à-dire CAP ou BEP. En 2003, ils étaient à peine plus de six sur dix dans ce cas. Entre-temps, la part des jeunes apprentis ayant suivi une formation de ce niveau et ayant tenté le baccalauréat est passée de 14 % à 21 %. Et celle des jeunes entrés en apprentissage avec au moins le baccalauréat est passée de 6 % à 14 %.
C'est donc toujours à un niveau supérieur que l'on entre en apprentissage, parce que la demande de plus de qualification est la tendance actuelle.
En outre, la grande majorité des jeunes - 73 % en 2003 - entrant en CAP ou en BEP sous contrat d'apprentissage ont au minimum suivi la voie scolaire jusqu'à la sortie de la troisième.
Autre évolution marquante de ces dernières années, la diffusion du contrat d'apprentissage pour l'acquisition d'un diplôme de niveau III a plus que doublé en huit ans. Entre 1995 et 2003, l'usage du contrat d'apprentissage a gagné treize nouveaux métiers dans les secteurs du commerce, de la comptabilité, de la gestion, de la banque, de l'assurance, du secrétariat et de l'informatique. C'est à ce niveau que la palette des formations ouvertes en apprentissage est la plus large. Cela témoigne des exigences en termes de qualification du personnel recherché de la part des entreprises et des branches entrant sur le marché de l'apprentissage.
Au niveau II, l'apprentissage concernait dix-sept spécialités en 1997 ; il en touchait trente-sept en 2003. Dans le même temps, le nombre de spécialités où l'on trouve des apprentis bac + 5 a plus que doublé, passant de 18 % à 38 %. Tout cela est édifiant !
Tout responsable public ne peut que se réjouir d'une telle tendance de fond, liée au développement d'un apprentissage formant des professionnels à haut niveau de qualification, dans un contexte où la spécialisation des métiers est un atout majeur des entreprises dans la compétition internationale.
Alors pourquoi votre projet va-t-il exactement dans le sens inverse de la demande actuelle des employeurs ? Comment ceux qui nous donnaient des leçons, en prétendant que la gauche ne connaît pas les entreprises, peuvent-ils persister à affirmer qu'un dispositif excluant de toute formation initiale des jeunes orientés vers des filières d'apprentissage dès l'âge de quinze ans pourrait leur être profitable ? Nous savons pourtant que les entreprises recherchant des apprentis souhaitent avant tout une main-d'oeuvre qualifiée, ayant certes suivi un cursus professionnalisant, mais munie d'une formation générale suffisamment riche pour développer en permanence ses compétences.
Le projet d'apprenti junior est, à l'évidence, une mesure injuste pour les dizaines de milliers de jeunes qui la subiront. Mais ce dispositif se révélera également rapidement inefficace à un double titre : il sera incapable de mettre fin aux difficultés de recrutement des secteurs en demande d'apprentis qualifiés et il ne pourra résoudre les problèmes d'insertion professionnelle rencontrés par de nombreux adolescents en situation d'échec scolaire.
M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons déjà consacré plusieurs heures au débat sur l'article 1er. Cela a été pour nous l'occasion de poser un certain nombre de questions appelant des réponses concrètes, réponses que nous n'avons toujours pas obtenues à l'heure actuelle.
C'est pourquoi je voudrais en reformuler rapidement deux, en espérant que le débat sur l'article 2 nous permettra d'être plus proches des réalités, plus proches aussi des réponses qu'attendent tant les jeunes que leurs parents et les enseignants.
Toutes les études montrent que, depuis vingt à trente ans, le nombre des jeunes en apprentissage est assez stable, quels que soient les dispositifs mis en place pour les encourager à choisir cette voie.
L'une des difficultés est liée, me semble-t-il, au problème rencontré par les jeunes, plus particulièrement par ceux qui sont issus des quartiers en difficulté, pour trouver un maître d'apprentissage.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est vrai !
Mme Dominique Voynet. Cette difficulté est soulignée depuis très longtemps et, apparemment, rien ne permet aujourd'hui de penser qu'elle pourrait être facilement surmontée.
Cela tient tout simplement au fait qu'un maître d'apprentissage n'aura pas recours à un jeune apprenti s'il n'en ressent pas le besoin, s'il ne se sent pas capable d'encadrer ce jeune ou si, pour des raisons avouables ou moins avouables, il ne se sent pas à l'aise avec le profil du jeune qui lui est présenté, à cause du quartier d'origine, de la couleur de peau ou de la sonorité du patronyme de ce dernier. Il est souvent difficile de mettre en évidence ce qui relève véritablement d'une discrimination à caractère racial ou ethnique, mais il y a un climat général qui rend les choses bien plus difficiles pour un certain nombre de jeunes. Tout le monde le sait !
Alors, ces problèmes rencontrés par les jeunes de seize ans, dont beaucoup doivent renoncer à débuter leur apprentissage faute d'entreprise pour les accueillir, comment pourrions-nous espérer les résoudre pour des jeunes de quatorze ans posant des difficultés d'encadrement bien plus importantes, ainsi que des problèmes de maturité intellectuelle, physique et affective plus sérieux encore ?
Les jeunes qui pourraient être tentés, dès l'âge de quatorze ans ou avant même d'avoir quatorze ans révolus, de s'inscrire dans la démarche que vous leur proposez pourraient le faire pour deux types de raisons.
Tout d'abord, pour des raisons économiques, ils pourraient souhaiter acquérir le plus rapidement possible les rudiments et les bases d'un métier. Je connais la réalité des quartiers et les pressions qui peuvent s'exercer pour que chacun prenne sa part du fardeau des familles.
Ensuite, il pourrait s'agir de raison d'échec scolaire. Il est vrai que nombre de jeunes s'ennuient, perturbent la classe et ne se sentent pas à l'aise avec le cursus scolaire. Comment peut-on donc espérer qu'avec seulement treize semaines de classe par an l'on puisse à la fois rattraper son retard dans les apprentissages fondamentaux et aller au-delà de ce qui pourrait n'être finalement qu'une attirance pour le caractère concret d'un métier, en acquérant également les bases intellectuelles permettant de l'exercer sérieusement, ainsi que les règles de sécurité ou d'hygiène et un minimum d'éléments juridiques ? Là encore, sur ce point, nous n'avons pas obtenu de réponse.
Et puis, il y a toutes ces petites choses du quotidien dont nous hésitons à parler ici, parce que cela fait parfois sourire. Ce sont pourtant de tels problèmes - le déplacement ou le logement - qui rendent la vie infernale pour les gens modestes. Ils sont extraordinairement difficiles à résoudre à seize ans et insolubles à quatorze ans. C'est encore plus vrai si l'on réside dans un quartier qui n'est pas desservi le soir, ni le week-end,...
M. Jean-Luc Mélenchon. Et pour les filles, c'est encore pire !
Mme Dominique Voynet. ...et que l'on vit avec une mère seule, débordée, qui se demande comment elle va pouvoir assurer sans qu'on lui reproche, dans quelques semaines, quelques mois ou quelques années, d'avoir laissé ses enfants traîner dans la rue. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 132 est présenté par M. Godefroy, Mmes Le Texier, Printz, Demontès, Alquier, San Vicente et Schillinger, MM. Cazeau, Madec, Bel, Assouline et Bodin, Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Cerisier-ben Guiga, MM. Desessard et C. Gautier, Mme Khiari, MM. Lagauche, Mélenchon, Peyronnet, Repentin, Ries, Sueur et Frimat, Mmes Tasca, Voynet et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 597 est présenté par MM. Muzeau et Fischer, Mme David, M. Voguet et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Gisèle Printz, pour défendre l'amendement n° 132.
Mme Gisèle Printz. Nous demandons la suppression de l'article 2, car tous les arguments que vous présentez sur ce sujet, comme sur les autres, monsieur le ministre, ne sont que des leurres.
Comment pouvez-vous en effet faire croire à l'apprenti junior - ou à ses parents - qu'il pourra retourner au collège, compte tenu des conditions de travail que vous allez lui imposer, notamment la nuit ? M. le rapporteur nous a indiqué que cette disposition existait déjà. Certes, mais à titre dérogatoire ! Avec ce texte, vous allez faire de l'exception la règle. Là se situe tout le problème !
Un élève qui aura quitté le collège à l'âge de quatorze ans et que l'on aura engagé dans la voie de l'apprentissage ne retournera jamais au collège. Nous sommes loin du socle commun de connaissances et de compétences instauré par M. Fillon. Quoi que vous disiez, votre texte remet bien en cause le principe de la scolarité obligatoire jusqu'à seize ans.
Par ailleurs, comment ceux qui connaissent le monde de l'éducation nationale pourraient-ils croire un seul instant qu'un élève ne poursuivant plus sa scolarité au collège fera l'objet d'un suivi ? Par quel membre de l'équipe pédagogique ? Avec quels moyens ? Dans quel cadre ? Compte tenu des circonstances, cet élève sera immanquablement perdu de vue.
Ces dispositions ne constituent qu'un leurre et un artifice destinés à faire croire que la scolarité obligatoire jusqu'à seize ans n'est pas remise en cause, ce qui n'est pas le cas.
Alors que tout le monde affirme que, pour pouvoir s'adapter aux évolutions futures du marché du travail, les jeunes devront être qualifiés et avoir suivi une bonne formation générale, vous décidez d'extraire du système scolaire ceux d'entre eux qui connaissent le plus de difficultés.
Cet article est donc mauvais. Il accroît les inégalités, alors que vous prétendez vouloir favoriser l'égalité des chances. Tous les arguments que vous avancez ne sont, je le répète, que des leurres. Contrairement à ce qu'a déclaré le Premier ministre, ce dispositif ne constitue en aucune manière un progrès. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour présenter l'amendement n° 597.
M. Guy Fischer. Cet amendement vise à supprimer l'article 2, ce qui ne vous étonnera pas après les arguments qui ont été développés par Roland Muzeau.
Si nous élargissons le champ de nos observations, nous constatons que le souhait de réduire les bases de notre système scolaire s'inscrit dans un mouvement européen. L'idée s'est en effet installée dans tous les pays de l'Union européenne qu'il y aurait trop d'écoles, pour trop de monde, pendant trop longtemps, et que ce serait l'une des causes de la crise. Comme si le souci de donner une plus grande qualification pour répondre aux besoins de notre économie, contrairement à ce que l'on peut penser, passerait par un niveau d'éducation qui serait bien plus bas.
La solution prônée - et c'est l'une de celles que nous combattons depuis jeudi - c'est une école plus ségrégative en créant une cassure dès quatorze ans.
Si l'on observe ce qui se passe dans les grands quartiers populaires nés à la fin des années soixante, qui sont aujourd'hui au coeur de nos préoccupations - ce projet de loi se veut en effet être une réponse aux événements du mois de novembre dernier -, comme les Minguettes, on constate qu'une véritable ségrégation s'y développe, particulièrement en ce qui concerne le niveau d'éducation.
Parmi les pays pilotes de ce mouvement, on trouve l'Espagne, l'Italie et la Grande-Bretagne, qui vient d'ailleurs de supprimer l'équivalent de notre collège unique.
Revenir sur la scolarité obligatoire, comme vous nous le proposez avec l'apprentissage junior, va à l'encontre d'un mouvement pluriséculaire de progression constante de la scolarisation, de la certification scolaire et de l'âge de la scolarisation obligatoire. Je considère être l'un de ceux qui ont bénéficié de cette progression.
M. Robert Bret. C'est un bon résultat ! (Sourires.)
M. Guy Fischer. Effectivement, monsieur Bret !
Après la loi Fillon, il s'agit aujourd'hui de remettre en cause directement la scolarité obligatoire jusqu'à seize ans. C'est un acte politique particulièrement grave, qui détruit encore un peu plus le modèle social français.
Dans le droit-fil des articles que nous avons précédemment examinés, l'article 2 procède à des modifications du code du travail, rendues nécessaires par la création de la formation d'apprenti junior, c'est-à-dire du contrat d'apprentissage dès l'âge de quatorze ans.
Cet article entérine une nouvelle rédaction de l'article L. 337-3 du code de l'éducation : désormais, l'apprenti junior pourra conclure un contrat d'apprentissage de droit commun à partir de quinze ans, au lieu de seize ans actuellement.
L'abaissement de l'âge légal est confirmé dans le code du travail grâce à l' « aménagement nécessaire » de l'article L. 117.3, lequel prévoyait jusqu'alors : « Nul ne peut être engagé en qualité d'apprenti s'il n'est âgé de seize ans au moins ». Il s'agit là d'un recul important pour notre société. En effet, la dérogation est généralisée en en faisant une voie d'orientation massive.
Par ailleurs, l'une des conséquences, et non des moindres, de cette nouvelle disposition est la légalisation du travail de nuit pour les apprentis de 15 ans, alors même que, selon l'article L. 221-3 du code du travail et les conventions de l'Organisation internationale du travail, l'OIT, celui-ci est interdit pour les mineurs.
La légalisation du travail de nuit des apprentis de quinze ans, que vous souhaitez instaurer, est particulièrement emblématique de votre conception de la lutte contre le chômage des jeunes.
Ces mesures se traduiront par une précarisation généralisée pour la jeunesse.
D'autres reculs sont à prévoir et constituent une raison supplémentaire de s'élever contre votre projet de loi et la banalisation de la précarité que vous entendez imposer à toute une génération et, au-delà, à toute la société.
J'ai déjà dit hier, lors de mon explication de vote sur l'article 3 bis, que nous retrouverions demain dans les manifestations ceux à qui vous prétendez aujourd'hui mettre le pied à l'étrier. Ils ne manqueront pas d'exprimer leur colère, car ce sont eux qui subiront le plus vivement ces discriminations. Cela, nous ne pouvons l'admettre.
Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de cet article. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Roland Muzeau. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Gournac, rapporteur de la commission des affaires sociales. L'article 1er a été adopté hier ; chacun a pu s'exprimer et il n'est pas correct d'y revenir ! (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Mme Hélène Luc. Vous n'allez pas recommencer ! On dit ce qu'on a à dire !
M. Alain Gournac, rapporteur. Je vous ai écoutés avec attention, laissez-moi m'exprimer !
Par ailleurs, évoquer la situation des jeunes de quatorze ans alors que nous abordons celle des jeunes de quinze ans est regrettable vis-à-vis de ceux qui nous écoutent. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.) Il s'agit de l'apprentissage à quinze ans, et non pas à quatorze ans. (M. Assouline proteste.) Si, monsieur Assouline ! Cessez de revenir sur le sujet, il a été tranché ! Vous êtes contre ! Nous sommes pour !
Nous avons adapté le code de l'éducation. Il nous faut maintenant modifier le code du travail. Comme chacun le sait, le jeune sera en parcours d'initiation aux métiers de quatorze à quinze ans. Ensuite - il s'agit d'une nouvelle offre -, il sera apprenti junior. Supprimer l'article 2 reviendrait à supprimer ce dispositif.
J'ai le sentiment que nous ne vivons pas dans le même monde ! J'ai entendu dire que ce serait affreux, surtout pour les filles.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est moi qui l'ai dit !
M. Alain Gournac, rapporteur. Je vous ai entendu, cher collègue ! Vous l'avez dit après Mme Voynet !
Mme Dominique Voynet. Exactement ! On voit que vous ne prenez pas le RER !
M. Alain Gournac, rapporteur. Nous aimons les jeunes autant que vous !
M. Jean-Luc Mélenchon. Encore heureux !
M. Robert Bret. Ce n'est pas un argument !
M. Alain Gournac, rapporteur. Nous voulons leur bien autant que vous ! À vous entendre, vous seriez les seuls à les protéger. Cela n'a pas toujours été le cas !
Madame Voynet, je suis heureux de savoir que je vais pouvoir compter sur votre soutien en ce qui concerne les discriminations, lesquelles existent également en matière d'apprentissage. Je vous en remercie par avance !
La commission émet donc un avis défavorable sur les amendements identiques nos 132 et 597. Nous souhaitons développer l'apprentissage.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes. Je profiterai de mon intervention sur ces deux amendements pour répondre à un certain nombre d'observations qui ont été faites sur l'article.
Je rappelle tout d'abord que l'article 2 vise à adapter le code du travail afin de permettre la formation d'apprenti junior à partir de l'âge de quinze ans.
Nous avons achevé le débat sur le parcours d'initiation aux métiers, auquel nous avons consacré huit heures et demie. L'article 1er a d'ailleurs été enrichi par un certain nombre d'amendements. Je pense, en particulier, à l'apport de la commission des affaires culturelles s'agissant du tutorat, de la prise en charge des transports, du suivi des jeunes et de la diversité des entreprises.
Je rappellerai quelques chiffres : 25 000 des 350 000 jeunes qui sont aujourd'hui en apprentissage sont âgés de quinze à seize ans, soit 7 % d'entre eux. On ne peut donc pas parler de situation marginale.
L'acquisition du socle commun de connaissances et de compétences sera jugée par l'équipe pédagogique. Je rappelle également l'importance du tutorat, qui se poursuit dans l'entreprise ; c'est l'une des mesures insérées par le Sénat. Il est en effet essentiel de limiter les « taux de ruptures ». M. Valade le sait, les taux de ruptures peuvent être assez élevés, notamment lorsque les jeunes sont sortis du système scolaire sans qualification ou sans formation. Ces taux de rupture atteignent parfois 40 % ou 50 % au cours des premiers mois.
Quel est l'objet de ce dispositif ? Il s'agit de rendre possible l'accès à un contrat d'apprentissage aux jeunes qui sont jugés aptes à poursuivre l'acquisition du socle commun de connaissances.
Le parcours d'initiation aux métiers pourra durer deux ans. Car il ne sera pas question de renvoyer un jeune, au terme d'une année de parcours d'initiation, au motif qu'il n'aurait pas acquis ou qu'il ne paraîtrait pas en situation d'acquérir ce socle de connaissances. Le contrat pourra donc être adapté à partir de l'âge de quinze ans ; il sera modulable. Il n'y aura pas de durée couperet !
Un certain nombre d'entre vous ont dit que le retour au collège sera impossible. Effectivement, ce sera difficile, mais nous allons réfléchir à cette question ; un groupe de travail a été mis en place à cet effet.
Par ailleurs, les contrats d'objectifs et de moyens devront préciser les objectifs régionaux dans ce domaine. D'ores et déjà, 25 000 jeunes sont pris en charge dans ce cadre. Des conventions ont été signées avec vingt et une des vingt-deux régions métropolitaines et bientôt, je l'espère, avec la vingt-deuxième. Notre objectif est en effet d'assurer une cohérence de la politique en matière d'apprentissage.
Monsieur Godefroy, vous nous avez fait, comme l'on dit dans le jargon des biologistes, des médecins ou des vétérinaires, une petite rechute en ce qui concerne le travail de nuit. (Sourires.) Je vais donc me permettre de vous faire une injection de rappel. Il ne peut y avoir de travail de nuit dans le cadre de l'apprentissage, à l'exception des entreprises de spectacle, qu'à partir de seize ans.
M. Alain Gournac, rapporteur. Et cela existait déjà !
M. Gérard Larcher, ministre délégué. Au-delà de quatre heures du matin, la dérogation est accordée par l'inspecteur du travail, dans des conditions très claires.
M. Jean-Luc Mélenchon. Jusqu'à quatre heures, cela ne vous dérange pas ?
M. Gérard Larcher, ministre délégué. Monsieur Mélenchon, je vous ferai une lecture particulière ; vous connaissez trop bien ces sujets.
Vous avez demandé quelles étaient les branches professionnelles concernées.
M. Jean-Luc Mélenchon. Oui, quels sont les traîtres !
M. Gérard Larcher, ministre délégué. Il n'y a pas de traîtres dans cette affaire, monsieur Mélenchon ! L'ensemble des chambres de métier, sauf une, ainsi que toutes les chambres de commerce et d'industrie se sont déclarées prêtes, les unes le 8 novembre, les autres le 9 novembre, à s'engager sur l'apprentissage junior. Or vous savez qu'elles jouent un rôle essentiel dans les centres de formation d'apprentis, les CFA.
M. Jean-Louis Carrère. Vous les avez sollicitées !
M. Jean-Luc Mélenchon. Elles ne l'ont pas demandé !
M. Gérard Larcher, ministre délégué. Si, j'ai le communiqué !
L'apprentissage, du CAP à bac + 5, est pour nous une filière d'excellence. Vous vous êtes beaucoup battu pour le faire reconnaître, monsieur Mélenchon !
L'objectif est de parvenir, en 2010, à 20 % de formation en alternance pour les bac + 3 et les bac + 5, au sein des universités et des grandes écoles. Je rappelle que l'on part du néant au début des années quatre-vingt-cinq !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. À quinze ans, on n'en est pas au baccalauréat ! Vous êtes hors sujet, monsieur le ministre !
M. Gérard Larcher, ministre délégué. Nous souhaitons également mettre en place des CFA dans chacune des universités. Nous prendrons un certain nombre de mesures à cet effet dès cette année.
C'est tout le contraire d'une marginalisation de l'apprentissage !
Madame Voynet, je souhaite tout d'abord vous rappeler quelques chiffres s'agissant des entrées annuelles en contrat d'apprentissage : nous en étions à 123 000 en 1982, nous sommes passés à 160 000 en 1995 et, en 2005, nous avons atteint le chiffre de 255 000. Vous avez parlé tout à l'heure d'une relative stabilité. C'est inexact, puisque les entrées annuelles en contrat d'apprentissage ont doublé en vingt-quatre ans. Michel Giraud, entre autres, a réalisé un travail important pour développer l'apprentissage.
En revanche, madame Voynet, vous posez une question très importante : comment trouver des maîtres d'apprentissage ? Nous y reviendrons !
En effet, demander aux entreprises de plus de deux cent cinquante salariés d'avoir, dans leurs effectifs, 1 %, 2 %, puis 3 % d'apprentis en trois ans, cela revient, en fait, à augmenter leur capacité de 170 000 à 180 000 postes eu égard aux 6 millions de salariés.
Par ailleurs, dans le contrat de progrès entre le service public de l'emploi et l'État, nous fixerons deux priorités : les séniors et les jeunes. Car un certain nombre de jeunes sont assez démunis pour trouver j'allais dire le fameux contrat.
M. Guy Fischer. La plupart !
M. Gérard Larcher, ministre délégué. Il faut donc les aider !
La discrimination est un sujet majeur ; nous aurons l'occasion d'y revenir.
Le travail engagé par les partenaires sociaux, au-delà de la charte et du rapport de M. Bébéar relatif à la diversité, nous conduit à faire disparaître toute discrimination. La tâche que nous avons confiée à Henri Lachmann tend également à faire en sorte que l'apprentissage, comme d'autres filières de formation et d'emploi, représente la diversité de notre pays et que les discriminations diminuent.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la commission vous proposera, lors de la présentation de l'amendement n° 15, un certain nombre de mesures tendant à lutter contre les discriminations. C'est une préoccupation pour le ministre que je suis.
Quant aux contrats de professionnalisation, je n'y reviendrai pas, si ce n'est, madame Voynet, pour vous dire que la diversité et l'ouverture font partie des finalités des contrats d'objectifs et de moyens.
Dans la phase d'initiation au métier, les deux tiers du temps sont consacrés à l'acquisition du socle commun des connaissances fondamentales et le tiers restant à l'initiation au métier.
Monsieur Fischer, vous avez parlé de la ségrégation ; nous y avons fait allusion au cours de nos débats.
Le taux de chômage dans certains quartiers correspond au double de la moyenne du taux de chômage concernant des populations du même age, ayant le même niveau, et il est cinq fois supérieur pour un jeune diplômé. Je le vois avec les opérations d'out-placement qui sont actuellement menées pour les jeunes diplômés. Il est très difficile, pour les jeunes de ces quartiers, de trouver un emploi, alors même qu'ils ont des qualifications répondant aux besoins des entreprises. Une démarche doit être conduite en la matière.
Concernant les moyens supplémentaires, madame Voynet, il sera fait appel au fonds national de développement et de modernisation de l'apprentissage, qui contribuera tant à l'apprentissage junior qu'au développement des CFA à l'université.
Enfin, monsieur Assouline, on ne subit pas l'apprentissage ! Si nous en faisons une filière d'excellence, c'est bien pour que l'apprentissage devienne un choix et non une alternative à l'échec. Telle est bien notre démarche !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. À quatorze ans, on ne choisit pas !
M. Gérard Larcher, ministre délégué. À l'évidence, cela suppose une révolution culturelle et une évolution des esprits.
Je me souviens des propos de Jacques Legendre qui, lors de la discussion générale, nous a rappelé quelques fondamentaux à ce sujet. Il a également fait référence au combat qu'il a mené voilà quelques années.
Grâce à la reconnaissance de la filière professionnelle par rapport à la filière académique, grâce à l'alternance et à l'apprentissage, le Gouvernement souhaite ouvrir l'une des grandes voies de formation et de qualification tendant à l'égalité des chances. Car n'oublions pas que tel est notre objectif ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
En conséquence, j'émets un avis défavorable sur les deux amendements.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le rapporteur, le ton martial que vous employez pour nous dire que nous avons déjà parlé ne nous empêchera pas de demander des précisions ! D'ailleurs, M. le ministre a cru bon de nous donner des explications et des réponses qui se veulent convaincantes. Par conséquent, vous ne nous terroriserez pas avec votre ton martial !
Cela étant, monsieur le ministre, vous ne répondez pas aux questions qui vous sont posées, notamment à celle-ci, qui est très importante : si vous voulez permettre à tous les jeunes d'acquérir, à un moment ou à un autre, le socle commun, comment ceux qui ne sont plus scolarisés à quatorze ans, qui sont en grande difficulté, pourront-ils parvenir au même niveau de connaissance que les autres alors qu'ils passeront une bonne partie de leur temps en entreprise ? Aucune réponse ne nous a été fournie à cet égard !
Ensuite, vous nous avez fait un cours sur l'apprentissage en général. Or il s'agit ici non pas de l'apprentissage en général - je n'y suis pas foncièrement hostile -, mais de jeunes de quinze ans qui ont été mis dans le circuit de l'apprentissage à quatorze ans. Or, monsieur le ministre, à quatorze ans, on ne choisit pas : on est mis d'autorité dans telle ou telle filière, faute d'une autre possibilité à l'éducation nationale.
Les régions vont être amenées à financer l'apprentissage. Or, à l'heure actuelle, qu'ils suivent une formation en alternance ou qu'ils soient en apprentissage, les jeunes éprouvent de grandes difficultés à trouver des stages dans les entreprises pour y apprendre quelque chose. Bien sûr, ils trouvent facilement des stages dans les petites entreprises artisanales, où ils travaillent gratuitement.
Vous avez indiqué que les chambres de métier avaient donné leur accord. Je suis convaincue, monsieur le ministre, que vous avez discuté avec les représentants du patronat en leur disant ceci : nous allons vous demander de prendre en apprentissage un nombre considérable d'enfants de quatorze ans qui sont en grande difficulté, qui ne sont plus scolarisés, mais auxquels vous allez apprendre quelque chose.
Cela implique de trouver des maîtres d'apprentissage, autrement dit des salariés pour s'occuper d'un jeune de A à Z, et ce pendant une longue période. Or vous savez très bien que les entreprises, en général, ne veulent pas dégager des salariés pour s'occuper des apprentis. Vous vous bercez d'illusions !
Quoi qu'il en soit, à cet âge, il est trop tôt pour signer un contrat en apprentissage, qui, de surcroît, ne sera pas honoré par les entreprises.
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour explication de vote.
M. Guy Fischer. Depuis que la droite est au pouvoir,...
M. Henri de Raincourt. Cela va beaucoup mieux ! (Rires.)
M. Guy Fischer. ... une véritable révolution libérale est en cours dans le domaine de l'éducation. Bien sûr, elle s'opère par touches successives, répondant à une profonde cohérence idéologique et politique, nous vous en donnons acte !
Il s'agit, au fond, d'en finir avec le projet de démocratisation du système éducatif, qui a été le moteur de l'expansion scolaire, d'une part, économique, d'autre part, puisqu'il a permis au plus grand nombre d'accéder à un certain niveau d'éducation, donc d'exercer un métier.
Certains, parmi les plus libéraux, dénoncent le coût trop élevé de ce système pour la société ; ils vont même jusqu'à le considérer comme inefficace.
Il est vrai que nous sommes aujourd'hui confrontés à une catégorie de population, celle des quartiers populaires, plus particulièrement les enfants de la population des ZUP des années soixante et soixante-dix, c'est-à-dire la deuxième et la troisième génération, qui est victime de toutes les discriminations, ...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le chômage !
M. Guy Fischer. ... le chômage, bien sûr, amplifiant tout cela. Or vous êtes dans l'incapacité de répondre aux besoins.
Vous nous proposez donc d'instaurer un système éducatif prétendument plus cohérent, qui permet la promotion des édiles par l'éviction rationnellement organisée de tous ceux qui encombrent le système scolaire. La problématique est d'en évincer le plus grand nombre, ceux qui sont le plus en difficulté et qui, socialement, sont victimes de toutes les discriminations.
Nous ne pouvons absolument pas adhérer à de tels principes, dont la création de la formation d'apprenti junior est une parfaite illustration. C'est pourquoi nous vous avons proposé cet amendement de suppression.
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère, pour explication de vote.
M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le ministre, je suis un peu étonné de la tournure que prend ce débat.
S'agissant d'un texte relatif à l'égalité des chances, ou bien il y a une erreur de casting ou bien vous méconnaissez les problèmes inhérents à l'apprentissage dans notre pays.
Ma région, l'Aquitaine, a en charge, comme toutes les autres, les politiques de formation professionnelle et d'éducation dans les lycées. Nous nous sommes battus pendant de longues années pour permettre aux familles d'orienter, non pas par défaut mais par excès, si je puis dire, leurs enfants dans des formations professionnelles, dans des lycées d'enseignement technique, dans des lycées d'enseignement professionnel.
Cela nous a donné beaucoup de mal, parce que, comme partout en France, les familles souhaitaient que leurs enfants soient orientés, à tort ou à raison, vers l'enseignement long, vers des filières de polyvalence. Nous avons réussi, petit à petit, sans chercher à leur imposer quoi que ce soit, à convaincre ces familles que l'enseignement professionnel pouvait conduire leurs enfants à des métiers gratifiants.
Les modalités d'orientation prévues dans ce texte pour l'égalité des chances ont un caractère obligatoire. Or quels sont les élèves qui, finalement, intégreront ces filières ? Ce sont les enfants des familles modestes ou défavorisées qui n'auront pas pu suivre une scolarité conforme aux idéaux et au rêve des parents, lesquels seront un peu dépossédés de leur autorité et de leur capacité d'orientation.
Je ne comprends donc plus quelles sont les motivations de ce texte. Je crois que vous vous enferrez dans votre erreur. Si l'intention est louable, le texte lui-même est inadapté, ou alors - mais je n'ose le penser-, cet affichage procéderait d'une intention malicieuse et perverse. (Protestations sur les travées de l'UMP.) Mais tel ne peut pas être le cas !
Le vote sur le CPE a été acquis d'une façon un peu contestable à l'Assemblée nationale.
Plusieurs sénateurs de l'UMP. Non !
M. Jean-Louis Carrère. Il l'a été d'une façon apparemment moins contestable au Sénat, grâce, en tout état de cause, à l'opposition que nous avons exprimée pour des raisons à la fois philosophiques et éthiques.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Et politiques !
M. Jean-Louis Carrère. Nous voudrions vous éviter une grossière erreur.
M. Alain Gournac, rapporteur. Vous êtes trop bon !
M. Jean-Louis Carrère. En effet, en proposant ce type d'orientation à quinze ans, pour des enfants issus de catégories sociales défavorisées, vous mettez en oeuvre une politique en totale inadéquation avec celle que vous entendez afficher au travers de ce texte de loi. Ou alors, baptisez celui-ci autrement : « projet de loi pour l'inégalité des chances » ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, pour explication de vote.
M. Roland Muzeau. Pour que l'apprentissage ait des chances de succès, n'oublions jamais que cela passe nécessairement par l'ouverture, par les entreprises et les artisans, de places d'apprentis et la présence de maîtres d'apprentissage. Cet acte volontaire ne se décrète pas.
Si cela semble une évidence, c'est toutefois un point qui mérite d'être approfondi.
Ainsi que j'ai eu l'occasion de le dire à propos de l'article 1er, nous constatons tous dans nos communes l'extrême difficulté pour les populations les plus modestes d'accéder à des stages, ne serait-ce que des stages d'une semaine, ou ceux qui doivent être effectués en vue d'un BTS, par exemple, donc dans le cadre de formations qui peuvent déjà être qualifiées de « supérieures ». Quand on est issu des quartiers populaires, quand on porte un nom à consonance étrangère, tout en étant par ailleurs français, il s'agit là d'un problème majeur.
Il est donc important de prendre en compte ce que disent aussi ceux qui sont censés accueillir les futurs apprentis. La commission des affaires sociales a auditionné l'Union professionnelle artisanale, l'UPA ; M. le rapporteur s'en souvient.
M. Alain Gournac, rapporteur. En effet !
M. Guy Fischer. Audition très intéressante !
M. Roland Muzeau. Les observations de l'UPA sur le présent projet de loi, qui figurent dans un document transmis à la commission, méritent d'être prises en compte. Ce n'est ni tout noir ni tout blanc !
Il y est dit tout d'abord que ce texte, notamment les dispositions concernant l'apprentissage, est lié aux très graves événements survenus dans les banlieues, qui ont fait ressortir les injustices sociales que l'on connaît et dont, d'ailleurs, nous n'avons pas tous la même appréciation. C'est bien d'ailleurs le grand danger qui se profile. La situation n'est pas davantage réglée aujourd'hui qu'elle ne l'était au mois de novembre dernier et ce n'est pas ce texte qui règlera les difficultés qui ne manqueront malheureusement pas de survenir dans les semaines, les mois ou les années qui viennent.
L'UPA pointe donc bien les raisons pour lesquelles ce projet de loi nous est soumis.
Par ailleurs, l'UPA souligne combien elle se sent interpellée par les pouvoirs publics, compte tenu du nombre important d'entreprises qu'elle représente, de la forte capacité d'accueil des apprentis que celles-ci peuvent offrir, et l'on ne peut pas tenir pour quantité négligeable ce qu'elle dit.
Permettez-moi de citer un passage de ce document qui vous montrera que je n'interprète pas les propos de l'UPA : « L'apprentissage, qu'on semble parer aujourd'hui de toutes les vertus pour « gérer » des jeunes en voie d'exclusion, ne saurait se substituer à l'éducation nationale pour ce qui constitue l'enseignement de savoirs fondamentaux que sont le calcul, l'écriture et la lecture. »
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous entendez !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ce n'est pas la Bible !
M. Roland Muzeau. L'UPA poursuit : « Le temps où l'artisan apprenait les gestes du métier à son commis tandis que sa femme lui inculquait les savoirs de base est révolu. Les artisans, comme le reste des entreprises, évoluent dans un environnement qui exige de la performance économique, une adaptabilité au progrès technique et une évolution des métiers comme des pratiques professionnelles. En cela, ils sont plus que jamais en attente de salariés qualifiés ».
M. Jean-Luc Mélenchon. Ce ne sont pas des gauchistes qui tiennent ces propos !
M. Roland Muzeau. Voilà ce qui devrait fonder toutes nos réflexions.
Il s'agit non pas de combattre l'apprentissage - ce n'est pas la position que nous défendons -, mais de porter l'apprentissage là où il le faut, et non pas d'abaisser l'âge d'entrée en apprentissage à quinze ans.
J'ai bien compris, monsieur le rapporteur, qu'il n'était pas question, à l'article 2, d'abaisser cet âge à quatorze ans ou à treize ans et neuf mois, comme nous l'avons dénoncé à l'article 1er. Mais cet article 2, en ce qui concerne la signature du contrat, fait référence aux jeunes à partir de quinze ans et ces dispositions sont bien la déclinaison des dispositions précédentes qui concernaient les jeunes à partir de quatorze ans ou treize ans et neuf mois. On est donc bien dans le même processus.
Vous ne pouvez pas nous reprocher de lier dans une problématique générale les articles 1er et 2, qui portent sur une seule et même question, à savoir l'abaissement de l'âge d'entrée en apprentissage, qu'il soit de treize ans et neuf mois, de quatorze ans ou de quinze ans après un parcours d'initiation aux métiers. Il convient de faire une analyse globale de cette situation et nous ne pouvons pas faire l'économie de ce que disent ceux qui sont censés accueillir ces jeunes enfants. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, pour explication de vote.
M. Jean-Luc Mélenchon. Je veux d'abord donner acte à M. Gérard Larcher du fait qu'il connaît bien son dossier. C'est la raison pour laquelle on peut se permettre d'être plus exigeant avec lui qu'avec d'autres, qui connaissent beaucoup moins bien le dossier et qui nous assènent des vérités sans les démontrer.
Je renouvelle donc ma question : qui a voulu cette réforme de l'apprentissage ?
On nous a lu tout à l'heure un document dans lequel il était indiqué que les chambres de commerce et d'industrie, qui sont des partenaires naturels de l'État et qui exercent d'ailleurs des fonctions publiques pour le compte de ce dernier, se disent prêtes à s'inscrire dans la démarche voulue par le Gouvernement. C'est quand même bien le moins qu'elles puissent faire ! Mais qui a réellement demandé l'ouverture de ce nouveau volet de l'apprentissage ? Je n'ai pas eu de réponse à cette question pour l'instant.
Le ministre a eu raison tout à l'heure de rappeler que j'ai été, en tant que membre d'un gouvernement précédent, de ceux qui ont essayé d'améliorer l'apprentissage, notamment en révisant la totalité - voyez comme ce pays est étrangement fait ! - des programmes d'enseignement généraux des CAP, ce qui n'avait pas été fait depuis vingt ans. Cela n'a suscité aucune ligne dans la presse. Changez trois virgules au programme du baccalauréat académique et vous aurez une émeute !
J'ajoute à l'intention de mes collègues qu'il est inutile de demander à ce gouvernement de prendre des mesures contre la discrimination raciale, étant donné que c'est le gouvernement Jospin qui les a fait voter en son temps.
Cependant, je rends grâce au ministre Jean-Louis Borloo, qui, dans cette assemblée, m'a fait la bonne manière d'accepter que soit adoptée la carte d'apprenti, qui donne les mêmes avantages que la carte d'étudiant.
Cela veut dire qu'il n'y a pas ici des gens qui seraient a priori contre l'apprentissage et d'autres qui en seraient les partisans. Il faut avoir une attitude raisonnée, ne pas mythifier l'apprentissage, en discerner les limites, tout en le rénovant et en le réformant.
Mais le Gouvernement prend le problème par le mauvais bout. Une série de questions doit d'abord être réglée, que vous me permettrez d'évoquer très rapidement puisque je ne dispose que de cinq minutes.
Premièrement, quelle est l'efficacité des corps d'inspection de l'éducation nationale qui surveillent l'apprentissage dans les conditions actuelles ? Aujourd'hui - pour répondre par un euphémisme -, elle est extrêmement limitée.
Deuxièmement, quelle est la réalité des passerelles ?
Jusqu'à présent, on pouvait entrer en classe de préapprentissage à quinze ans et, à seize ans, c'est-à-dire à la fin de la scolarité obligatoire, on pouvait devenir apprenti. Là, il s'agit de jeunes âgés de quinze ans. Où sont les passerelles pour ceux qui vont accéder au niveau CAP et qui voudraient ensuite s'orienter vers un bac pro ? Ce sont des questions très concrètes. Réglez ces questions et vous légitimerez sans doute mieux tout le reste. Je reconnais que je n'ai pas eu le temps de le faire en tant que ministre, mais c'était les questions qui m'étaient posées.
Troisièmement, où est la possibilité de l'insertion dans un cursus plus long ? Et dans un établissement public ?
Nous parlons de l'apprentissage. Va-t-on développer les sections d'apprentissage dans les établissements publics, c'est-à-dire dans les lycées professionnels, dont le maillage est aujourd'hui complet sur le terrain, ou bien va-t-on faire en sorte que cela se passe dans les CFA privés, qui sont tous à la charge des collectivités locales, c'est-à-dire des régions ? Que voulons-nous ? Quelle est l'orientation ?
Quatrièmement, le patronat fait-il son travail au sein des commissions professionnelles consultatives qui arrêtent le niveau du contenu technique des CAP ? Certains détracteurs, qui n'y connaissent rien, ne profitent-ils pas de la faible présence des branches patronales dans ces commissions pour, ensuite, surgir par la fenêtre et reprocher aux diplômes de l'éducation nationale d'être totalement surfaits, inadaptés à la production ? Je rappelle en effet qu'il n'y a pas un diplôme professionnel dans ce pays dont le contenu ne soit pas arrêté avec les branches professionnelles elles-mêmes.
Telles sont les questions simples et concrètes auxquelles il faut au préalable répondre. Si M. Gérard Larcher s'y attelle, il pourra compter sur mon soutien et j'espère pouvoir compter sur le sien, le moment venu, si c'est nous qui avons à résoudre ces questions. S'il s'agit de faire vivre une filière qui a sa cohérence à côté de la filière académique, je pense que nous serons nombreux à considérer que c'est une bonne idée, mais il faudra le faire à partir d'éléments précis.
Je ferai une dernière observation.
Mes chers collègues, pour quelle raison y a-t-il appétit d'apprentissage ? Vous le savez comme moi, c'est parce qu'il y a rémunération. Le grand problème qui est posé à toutes les familles populaires, depuis plusieurs générations, c'est de faire bouillir la marmite. (M. le rapporteur fait un signe de dénégation.) C'est la réalité !
Comment allons-nous garantir des conditions dignes d'existence à ces jeunes de quinze, seize, dix-sept ou dix-huit ans qui sont dans l'enseignement professionnel public ? Ces jeunes, qui, souvent, sont déjà pères et mères de famille, puisque, à cet égard, de toutes les filières de l'éducation nationale, c'est celle qui bat tous les records, qui connaissent des problèmes au quotidien, sont parfois obligés de travailler tous les soirs, tous les week-ends afin de pouvoir continuer leurs études.
Tels sont les problèmes qui sous-tendent la vie des élèves suivant la voie des métiers.
M. Alain Gournac, rapporteur. L'heure tourne !
M. Jean-Luc Mélenchon. Écoutez, monsieur le rapporteur, tout à l'heure, vous m'avez pris à partie à propos de la féminisation des métiers. Je suis sûr que vous étiez de bonne foi, mais ne croyez pas qu'il s'agissait, pour nous, de faire de l'humour : c'est là un grand problème, très concret ! Il faut réunir les conditions nécessaires à la féminisation de certains métiers, car les filles sont absentes de nombreux métiers où elles ont tout à fait leur place. Pourquoi en est-il ainsi ? Posons-nous la question ! Il existe des préjugés culturels, certes, mais aussi des obstacles matériels, tout simplement : il leur est extrêmement difficile, par exemple, de se loger. Si vous ne le savez pas, vous ne savez rien sur la vie elle-même ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 132 et 597.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 97 :
Nombre de votants | 295 |
Nombre de suffrages exprimés | 294 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 148 |
Pour l'adoption | 127 |
Contre | 167 |
Le Sénat n'a pas adopté. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
L'amendement n° 598, présenté par MM. Muzeau, Fischer et Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Après le 2° de cet article, insérer un alinéa ainsi rédigé :
... ° Au premier alinéa de l'article L. 211-2, le mot : « seize » est remplacé par le mot : « quinze ».
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Cet amendement de repli tend à atténuer les effets néfastes du nouveau dispositif de l'apprentissage junior, par exemple la remise en cause de la scolarité obligatoire jusqu'à seize ans ou la possibilité de faire travailler les apprentis la nuit, les dimanches et les jours fériés, dès l'âge de quinze ans.
Devant de telles régressions sociales et éducatives, et puisque vous refusez, monsieur le ministre, chers collègues de la majorité, de revenir sur ces dispositions, il nous apparaît nécessaire d'instaurer des garde-fous, afin de protéger au maximum les enfants de tout abus.
En effet, nul ne peut nier l'incidence, pour un jeune de quinze ans, du travail de nuit, par exemple.
Le code du travail prévoit que les inspecteurs du travail peuvent requérir un examen médical de tous les enfants âgés de plus de seize ans admis à travailler en entreprise, afin de vérifier que les tâches dont ils sont chargés n'excèdent pas leurs forces.
Étant donné que le Gouvernement fait voler en éclats, avec l'apprentissage junior, l'âge minimal du travail pour les enfants, il est indispensable d'adapter les garanties qui étaient jusqu'à présent offertes par le code du travail à ces enfants. Leurs droits les plus élémentaires doivent être assurés et protégés. Tel est l'objet de nos amendements.
Puisque le Gouvernement bafoue le droit fondamental à l'éducation jusqu'à l'âge de seize ans en autorisant le travail des jeunes dès l'âge de quinze ans - la législation européenne vous empêche, fort heureusement, d'abaisser davantage encore cette limite -, assurer un contrôle de l'inspection du travail sur les conditions de travail de ces enfants semble une évidence.
Le travail les dimanches et les jours fériés, mais surtout le travail de nuit, entraîneront évidemment des conséquences physiques pour ces jeunes travailleurs, mais également des incidences sur leur capacité à suivre l'enseignement général. Il est évident qu'ils seront moins aptes à suivre les cours après avoir travaillé des nuits et des jours fériés.
Les conséquences physiques de telles cadences ne sont pas négligeables et doivent être prises en compte. À quinze ans, les enfants - car il s'agit bien d'enfants - sont encore en pleine croissance. Leur imposer des rythmes soutenus de travail fait peser un risque sur leur bon développement.
Même le syndicat représentant les entreprises artisanales s'interroge sur l'instauration d'une telle possibilité de travail dès l'âge de quinze ans. Il s'inquiète de voir arriver dans les entreprises des enfants aussi jeunes. Les entreprises craignent, pour leur part, de ne pas pouvoir assumer la responsabilité de l'encadrement de ces enfants.
Par ailleurs, les secteurs d'activité ayant traditionnellement recours aux contrats d'apprentissage recouvrent des corps de métiers assez physiques. Dans ces professions, les apprentis juniors pourraient connaître, à plus ou moins long terme, des problèmes de croissance et des maladies professionnelles, par exemple des maladies du dos.
Les jeunes qui seront en entreprise dès l'âge de quinze ans seront d'autant plus à surveiller qu'ils sont encore fragiles physiquement. Un contrôle médical sera donc lui aussi nécessaire, dès cet âge, afin de vérifier que les conditions de travail ne feront pas peser de risques sur leur santé.
C'est pourquoi nous proposons de modifier l'article L. 211-2 du code du travail, afin que les inspecteurs du travail puissent requérir tout examen médical pour tous les enfants au travail, et ce dès l'âge de quinze ans.
Tel est le sens du présent amendement, que nous vous demandons, mes chers collègues, de bien vouloir adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Gournac, rapporteur. Il s'agit là, je le reconnais, d'une proposition pertinente.
M. Alain Gournac, rapporteur. Eh oui, mon cher collègue !
Les jeunes âgés de quatorze à quinze ans continueront de relever du système scolaire et leur cas ne pose donc pas de problème. En revanche, il est vrai que, pour les apprentis âgés de quinze à seize ans, la situation est plus floue. Par conséquent, nous émettons un avis favorable sur cet amendement. (MM. David Assouline et Jean-Luc Mélenchon applaudissent.)
M. Jean-Luc Mélenchon. Le même amendement avait été déposé à l'article 1er, mais vous ne l'aviez pas accepté. Votre coeur de pierre finit par se fendre !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Borloo, ministre. Il nous semblait que l'article L. 211-1 du code du travail, qui dispose qu' « aucune convention ne peut être conclue avec une entreprise aux fins d'admettre ou d'employer un élève dans un établissement où il a été établi par les services de contrôle que les conditions de travail sont de nature à porter atteinte à la sécurité, à la santé ou à l'intégrité physique ou morale des personnes qui y sont présentes », était suffisant.
Toutefois, qui peut le plus peut le moins et, en cette matière, nous ne pouvons qu'aller dans votre sens, madame Assassi.
Par conséquent, le Gouvernement est favorable à cet amendement.
M. Guy Fischer. Ah !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous êtes bien bons, messieurs !
M. Henri de Raincourt. Nous ne sommes pas sectaires !
M. le président. L'amendement n° 65, présenté par M. Richert, au nom de la commission des affaires culturelles, est ainsi libellé :
Après les mots :
il peut être résilié
rédiger comme suit la fin du texte proposé par le a) du 3° de cet article pour insérer un alinéa à l'article L. 117-17 du code du travail :
, dans les conditions prévues par le troisième alinéa du même article, par l'apprenti qui demande à reprendre sa scolarité.
La parole est à M. Philippe Richert, rapporteur pour avis.
M. Philippe Richert, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles. Cet amendement tend à alléger et à clarifier la fin de la rédaction du a du 3° de l'article 2.
Mais il vise surtout à assurer une coordination avec l'amendement n° 107, présenté par M. Godefroy, qui avait été adopté à l'article 1er et qui précisait les conditions dans lesquelles les jeunes apprentis pourront, le cas échéant, reprendre leur scolarité. En même temps, il satisfait, a priori, l'amendement de conséquence n° 133, déposé à l'article 2.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Gournac, rapporteur. Il s'agit d'un amendement de coordination avec la rédaction adoptée par le Sénat pour le troisième alinéa de l'article L. 337-3 du code de l'éducation. La commission y est favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, les amendements nos 599, 133, 494 et 487 n'ont plus d'objet.
J'en donne néanmoins lecture :
L'amendement n° 599, présenté par MM. Muzeau, Fischer et Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Dans le texte proposé par le a) du 3° de cet article pour insérer un alinéa après le premier alinéa de l'article L. 117-17 du code du travail, supprimer les mots :
à l'issue de chaque période de formation prévue dans le projet pédagogique concernant la phase d'apprentissage junior et avant que le jeune ait atteint l'âge limite de la scolarité obligatoire mentionné à l'article L. 131-1 du code de l'éducation,
L'amendement n° 133, présenté par M. Godefroy, Mmes Le Texier, Printz, Demontès, Alquier, San Vicente et Schillinger, MM. Cazeau, Madec, Bel, Assouline et Bodin, Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Cerisier-ben Guiga, MM. Desessard et C. Gautier, Mme Khiari, MM. Lagauche, Mélenchon, Peyronnet, Repentin, Ries, Sueur et Frimat, Mmes Tasca, Voynet et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Dans le texte proposé par le a) du 3° de cet article pour insérer un alinéa après le premier alinéa de l'article L. 117-17 du code du travail, remplacer les mots :
à l'issue de chaque période de formation prévue dans le projet pédagogique concernant la phase d'apprentissage junior et
par les mots :
à tout moment après avis de l'équipe pédagogique
L'amendement n° 494, présenté par M. Mercier et les membres du groupe Union centriste - UDF, est ainsi libellé :
I. - Dans le texte proposé par le a du 3° de cet article pour insérer un alinéa après le premier alinéa de l'article L. 117-17 du code du travail, remplacer les mots :
la phase d'apprentissage junior
par les mots :
la phase de formation en alternance professionnalisante
II. - Au 4° de cet article, remplacer les mots :
la formation d'apprenti junior
par les mots :
la formation en alternance professionnalisante
L'amendement n° 487, présenté par Mmes Blandin et Boumediene-Thiery, M. Desessard et Mme Voynet, est ainsi libellé :
Dans le texte proposé par le a) du 3° de cet article pour insérer un alinéa après le premier alinéa de l'article L. 117-17 du code du travail, supprimer les mots :
avec l'accord de son représentant légal,
L'amendement n° 134, présenté par M. Godefroy, Mmes Le Texier, Printz, Demontès, Alquier, San Vicente et Schillinger, MM. Cazeau, Madec, Bel, Assouline et Bodin, Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Cerisier-ben Guiga, MM. Desessard et C. Gautier, Mme Khiari, MM. Lagauche, Mélenchon, Peyronnet, Repentin, Ries, Sueur et Frimat, Mmes Tasca, Voynet et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Supprimer le dernier alinéa (4°) de cet article.
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Je voudrais que l'on me précise si l'amendement n° 133 est bien satisfait. Il s'agissait de prévoir que l'apprenti pourra à tout moment reprendre sa scolarité, après avis de l'équipe pédagogique.
M. Jean-Pierre Godefroy. Dont acte !
En ce qui concerne l'amendement n° 134, il tend à préserver la liberté des conseils régionaux de choisir de financer ou non le travail des jeunes préapprentis ou apprentis à partir de l'âge de quatorze ans. Les régions consacrent actuellement des dotations à l'apprentissage et au contenu des conventions d'objectifs et de moyens qu'elles sont invitées à signer avec l'État en application de l'article 32 de la loi de programmation pour la cohésion sociale. Quelle sera la place de l'apprentissage junior dans cet édifice ? Une concertation a-t-elle eu lieu avec les présidents de région ? L'Association des régions de France a-t-elle été invitée à faire connaître son sentiment sur cette question ?
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Gournac, rapporteur. Les conseils régionaux financent la formation des apprentis au travers des contrats d'objectifs signés avec l'État. Supprimer l'alinéa visé reviendrait à empêcher la mise en oeuvre de la formation d'apprentis juniors. Étant favorables à l'apprentissage junior, nous émettons un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Borloo, ministre. Je préciserai d'abord, concernant les contrats d'objectifs et de moyens, que l'État, bien que cela ne relève pas de sa compétence directe, a souhaité dans la loi de programmation pour la cohésion sociale financer le développement de l'apprentissage de manière importante : un peu plus de 200 millions d'euros par an. A l'heure où je vous parle, vingt-deux régions ont signé ces conventions d'engagement ; nous ne pouvons que nous en féliciter et espérer que la vingt-troisième région signera bientôt.
Pour le reste, il s'agit d'un accord de droit commun et l'avis du Gouvernement sur cet amendement, qui serait restrictif, est évidemment défavorable.
J'ajoute, pour être précis, que Gérard Larcher avait bien consulté l'Association des régions de France.
M. le président. L'amendement n° 606, présenté par MM. Muzeau, Fischer et Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
... °Dans la première phrase du dernier alinéa de l'article L. 117-10, les mots : «, sauf dispositions conventionnelles contraires » sont supprimés.
La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. L'article L.117-10 du code du travail prévoit, et cela semble être une mesure de bon sens, que si le contrat d'apprentissage est suivi de la signature d'un contrat de travail à durée indéterminée dans la même entreprise, aucune période d'essai visée à l'article L. 122-4 ne peut être imposée, sauf dispositions conventionnelles contraires. En fait, pour résumer cette disposition, l'apprenti a le droit de ne pas effectuer de période d'essai, sauf si l'entreprise lui refuse ce droit.
Une fois encore, le Gouvernement a introduit des dérogations à ce principe ; c'est décidément une habitude ! Cela contribue d'ailleurs à l'opacité des textes.
En réalité, et en raison du renversement de la hiérarchie des normes opéré par la loi de programmation pour la cohésion sociale, alors que toutes les dispositions de niveau inférieur au code du travail devaient être au moins plus favorables pour le salarié, toutes les dérogations sont devenues possibles. C'est là tout le problème !
Il n'est donc plus surprenant de constater que des droits, acquis de longue date, inscrits dans le code du travail, peuvent néanmoins être remis en cause sans plus de difficulté par un accord d'établissement ou d'entreprise.
C'est ainsi que le principe qui permet à l'apprenti, finalement embauché dans l'entreprise où il a exécuté son contrat d'apprentissage, de ne pas y effectuer de période d'essai, peut donc être remis en cause par la voie conventionnelle.
Cette dérogation n'est pas admissible. En effet, si un apprenti a passé plusieurs mois, voire plusieurs années, dans une entreprise, l'employeur qui désire l'embaucher connaît ses compétences et a eu largement le temps d'évaluer ses qualités aussi bien professionnelles qu'humaines.
Or la période d'essai sert précisément à évaluer les compétences d'un salarié qui n'est pas connu de l'employeur.
Pourquoi permettre alors que s'applique une telle période d'essai à l'encontre d'un apprenti embauché dans l'entreprise où il a effectué son contrat d'apprentissage, si ce n'est pour offrir une possibilité supplémentaire à l'employeur de le licencier sans aucun motif ? Je souhaite que ce point soit tiré au clair.
Le salarié issu de l'apprentissage a, a priori, largement eu le temps de faire ses preuves durant la période où il était apprenti.
Si nous jugeons une telle disposition incohérente - nous nous plaçons, bien sûr, du point de vue du salarié - nous avons bien compris, en revanche, tout l'intérêt qu'elle peut représenter aux yeux de l'employeur et c'est pourquoi nous avons déposé cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Gournac, rapporteur. La disposition modifiée par cet amendement résulte de l'article 27 de la loi de programmation pour la cohésion sociale que la commission n'entend pas remettre en chantier à l'occasion de ce projet de loi.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Borloo, ministre. Le Gouvernement est également défavorable à cet amendement.
Nous avons longuement débattu de ce sujet. Nous avons adopté une règle qui consiste à émettre les réserves que vous savez, sauf lorsque la négociation salariale, dans le cadre des conventions collectives, permet une dérogation.
Je ne vois pas en quoi il faudrait revenir sur le principe du dialogue social.
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour explication de vote.
M. Guy Fischer. Nous n'entendons nullement remettre en cause les négociations salariales ! Nous essayons de simplifier les choses, à partir de notre expérience. Dans des villes comme les nôtres, nous savons ce qu'est l'apprentissage, car nous participons largement à la recherche de maîtres d'apprentissage : le dialogue avec les artisans et autres interlocuteurs fait partie de nos préoccupations premières, comme c'est le cas, je n'en doute pas, pour un certain nombre de nos collègues.
Le fait de pouvoir déroger au principe selon lequel un apprenti, dont le contrat d'apprentissage est suivi de la signature d'un CDI dans la même entreprise, est dispensé de période d'essai, est contestable.
M. Nicolas About, président de la de la commission des affaires sociales. C'est cela le dialogue social.
M. Alain Gournac, rapporteur. Oui, cela sert à quelque chose !
M. Guy Fischer. Pour un apprenti travaillant au sein d'une entreprise depuis plusieurs mois, voire depuis deux ans comme cela peut être parfois le cas, il faudrait, selon les branches, prévoir encore une période d'essai ? Pourquoi voulez-vous compliquer les choses ?
Ce dispositif est incompréhensible, car il met en doute les compétences acquises par l'apprenti, qui a fait un effort, qui a été constamment évalué. L'apprentissage crée une relation de confiance entre l'apprenti et le maître d'apprentissage ou le petit artisan.
Nous avons une telle expérience en la matière que nous pourrions développer plus longuement notre argumentaire. Mais, pour notre part, nous ne comprenons pas les avis défavorables de la commission et du Gouvernement.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Nous sommes très attachés au dialogue social !
M. le président. L'amendement n° 605, présenté par MM. Muzeau, Fischer et Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
... °Le troisième alinéa de l'article L. 213-7 est supprimé.
La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Nous insistons : notre amendement a pour objet de poser clairement et fermement le principe d'interdiction du travail de nuit des mineurs, quelle que soit leur situation, qu'ils soient apprentis ou jeunes travailleurs.
Si nous souhaitons réaffirmer ce principe avec force, c'est en raison de l'habile, mais non moins dangereux, tour de passe-passe réussi par le Gouvernement qui, de fait, en abaissant l'âge de l'apprentissage à quinze ans, autorise le travail de nuit des jeunes apprentis dès cet âge.
Le travail de nuit des enfants ne faisait pourtant pas partie des dispositions de ce projet de loi. Mais en autorisant désormais un apprenti junior à conclure un contrat d'apprentissage de droit commun à partir de l'âge de quinze ans, au lieu de seize actuellement, toutes les dispositions applicables aux apprentis s'adaptent automatiquement à ces jeunes et nouveaux apprentis.
Par conséquent, le code du travail est lui aussi réaménagé, puisqu'il prévoyait jusqu'à présent que nul ne peut être engagé en qualité d'apprenti s'il n'est âgé de seize ans au moins. Des dérogations prévoyaient néanmoins qu'un jeune pouvait être engagé comme apprenti dès l'âge de quinze ans.
Mais, aujourd'hui, la dérogation devient la règle, ce qui constitue une régression supplémentaire dans notre législation sociale. Les conséquences en sont éminemment graves puisqu'elles concernent le travail des enfants.
Outre le fait qu'il remet en cause la scolarité obligatoire jusqu'à l'âge de seize ans, cet abaissement de l'âge de l'apprentissage entraîne bien des bouleversements. Nous touchons là d'ailleurs à l'un des aspects les plus régressifs de ce projet de loi, déjà néfaste pour le monde du travail et les salariés.
En effet, la réglementation du travail de nuit s'appliquera, de fait, aux apprentis dès l'âge de quinze ans, bien que, je le répète, et c'est ce qui est d'autant plus scandaleux, le Gouvernement ne l'ait pas expressément prévu dans le projet de loi. Mais un tel silence est-il vraiment innocent ? Nous ne le pensons pas !
La manoeuvre était assez simple : la preuve, il vous a suffi d'aménager les articles du code de l'éducation et du code du travail sur l'âge minimum pour être apprenti et le tour était joué !
Pourtant, le principe de base est l'interdiction du travail de nuit pour les enfants. Toutefois, nous assistons, surtout depuis la loi de programmation pour la cohésion sociale de 2004, à une véritable déferlante de dérogations dans le domaine du travail de nuit des mineurs.
À l'origine cantonnées à la boulangerie, celles-ci n'ont cessé, tant sous l'action du précédent gouvernement que de l'actuel, de s'élargir à de nouveaux secteurs d'activité.
Ainsi, et après que la loi du 26 juillet 2005 relative au développement des services à la personne a autorisé le travail de nuit des mineurs dans les secteurs de la pâtisserie et des courses hippiques, le décret du 13 janvier dernier l'a étendu aux secteurs de la restauration, de l'hôtellerie et des spectacles.
Le champ d'application des dérogations s'avère au final être très vaste. Jusqu'où ira le Gouvernement ?
Cette nouvelle législation relative au travail de nuit des mineurs nous inquiète également en termes de santé publique, ainsi que l'a évoqué ma collègue Éliane Assassi en défendant l'amendement n ° 598, qui a été adopté.
Les dangers d'une telle modification de la législation sur le travail de nuit des enfants sont donc bien réels et nous regrettons que la majorité n'en prenne pas conscience.
Les Français ne seront pourtant pas dupes, et lorsqu'il s'agira d'envoyer leurs enfants de quinze ans travailler tard ou très tôt dans la nuit, ils n'auront certainement pas de difficultés à se rappeler que c'est ce Gouvernement qui l'aura permis.
C'est pourquoi il est encore temps, je crois, de modifier cette situation, en adoptant notre amendement de suppression de la disposition autorisant de manière dérogatoire le travail de nuit des jeunes travailleurs. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Gournac, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement.
Nous avons déjà tranché cette question lors de la discussion de l'article 1er et la commission s'est largement expliquée sur ce point : le projet de loi ne modifie pas les dispositions relatives au travail de nuit des moins de seize ans !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Borloo, ministre. Le travail de nuit est régi par une ordonnance de 2001, présentée par Mme Guigou, au nom du gouvernement de Lionel Jospin.
La loi relative au développement des services à la personne a encadré ce travail de nuit de trois manières : en exigeant la présence effective du maître d'apprentissage, en réduisant la liste des secteurs concernés et en diminuant le nombre des tranches horaires.
L'introduction de ce nouveau dispositif ne modifie en rien ces règles puisqu'en dessous de seize ans il ne peut y avoir qu'une seule dérogation, que vous connaissez et que vous avez approuvée : le spectacle. C'est un principe général !
Par conséquent, continuer à affirmer que la situation s'aggrave me paraît non conforme à la réalité, et je demande donc le retrait de cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. Tout à l'heure, M. Larcher a dit que je faisais une rechute. C'est donc avec plaisir que je ferai une nouvelle rechute. (Rires sur les travées de l'UMP.)
M. Henri de Raincourt. Cela devient grave !
M. Alain Gournac, rapporteur. Là, il est irrécupérable !
M. Jean-Pierre Godefroy. La dernière fois que j'ai tenté de m'expliquer sur ce problème, j'ai été bruyamment et fort peu agréablement interrompu par l'un de nos collègues et j'aimerais que cela ne se reproduise pas ! C'est un sujet suffisamment important pour que nous puissions nous écouter sans nous interpeller.
M. le président. Poursuivez, monsieur Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Nous avons demandé, lors de la discussion de l'article 1er, au nom du groupe socialiste et des Verts, que l'on ne déroge pas au principe de l'interdiction du travail la nuit, les jours fériés et le dimanche, surtout pour l'apprenti junior. D'ailleurs, nous étions opposés à l'abaissement de l'âge à seize ans.
Cette possibilité de dérogation est ouverte pour les jeunes de 15 ans.
Je vais de nouveau citer les professions susceptibles d'ouvrir ce droit dérogatoire au travail la nuit, le dimanche et les jours fériés : hôtellerie, restauration, traiteurs et organisateurs de réceptions, cafés, tabacs et débits de boissons, boulangerie, pâtisserie, boucherie, charcuterie, fromagerie-crèmerie, poissonnerie, magasins de vente de fleurs naturelles, jardineries et graineteries, établissements des autres secteurs assurant à titre principal la fabrication de produits alimentaires... Ce n'est pas négligeable !
Véritablement, monsieur le ministre, vous pourriez au moins faire l'effort de ne pas étendre ces dérogations à l'apprentissage junior.
Car un jeune qui entre en apprentissage doit avoir un rythme de vie identique à celui de ses copains qui suivent une formation scolaire « normale ». Il n'y a aucune raison qu'il ne puisse pas jouer au football ou aller au cinéma les jours fériés et les dimanches, qu'il soit celui dont on dise : « on ne peut pas compter sur lui, il n'est pas libre parce qu'il est en apprentissage ». Ce serait une première discrimination !
Monsieur le ministre, vous avez eu satisfaction s'agissant de l'âge de seize ans ! Vous devez absolument faire en sorte que ces dérogations ne soient pas possibles pour l'apprenti junior !
Lors de l'examen de la loi de programmation pour la cohésion sociale, j'avais dit que nous pouvions admettre quelques dérogations exceptionnelles dans un nombre limité de branches, afin notamment que le jeune apprenti connaisse les conditions difficiles du travail - je pense à la boulangerie, par exemple -, mais ces dérogations, en accord avec la branche professionnelle, doivent être limitées à un ou deux dimanches, afin de rester pédagogiques. Tous les dimanches, ce n'est plus pédagogique : c'est économique !
M. Roland Muzeau. C'est le business !
M. Jean-Pierre Godefroy. Aussi, monsieur le ministre, et c'est quasiment une supplique que je vous adresse, faites en sorte de revenir sur cette question, afin de protéger ces jeunes. Au moins, que le décret du 13 janvier 2006 ne soit pas appliqué dans son intégralité ! De grâce, excluez les jeunes de moins de seize ans des cafés, des tabacs et des débits de boissons. Ils n'ont rien à y faire pour apprendre leur métier ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Charles Gautier. Le ministre n'a pas répondu ! C'est une honte !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le ministre, nous aimerions avoir votre avis !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Les explications de vote ne sont pas des questions au ministre !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les mineurs ne peuvent pas entrer dans les débits de boissons !
M. Jean-Pierre Sueur. Des gamins dans les débits de boissons, monsieur le ministre ! C'est un vrai problème !
M. Charles Gautier. Ils entrent par quelle porte ? L'accès est interdit aux mineurs !
Mme Hélène Luc. Non seulement la majorité sénatoriale ne participe au débat, mais, maintenant, c'est aussi le cas du ministre !
M. Charles Gautier. C'est un figurant !
M. Alain Gournac, rapporteur. Nous en avons parlé à l'article 1er !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Nous avons déjà répondu !
Mme Hélène Luc. Non, vous n'avez pas répondu sur les débits de boissons !
M. le président. Aux termes de notre règlement, la parole est accordée aux ministres quand ils la demandent ! M. le ministre n'a pas demandé la parole ! (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. L'amendement n° 600, présenté par MM. Muzeau, Fischer et Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
... ° L'article L. 221-3 est ainsi modifié :
a) Dans le premier alinéa, après les mots : « ne peuvent être tenus » sont insérés les mots : « en aucun cas » ;
b) Le dernier alinéa est supprimé.
La parole est à Mme Hélène Luc.
Mme Hélène Luc. En abaissant l'âge de l'apprentissage à quinze ans, au lieu de seize ans actuellement, le Gouvernement a habilement trouvé le moyen de permettre aux jeunes apprentis de travailler non seulement la nuit, mais également le dimanche, et ce dès l'âge de quinze ans !
Nous avons, dans nos précédentes interventions, dénoncer cette situation, notamment en soulignant les risques qu'elle fait porter sur la santé des jeunes, qui sont, je vous le rappelle, en pleine croissance, et qui ne bénéficieront plus de la possibilité de se reposer le dimanche et de faire du sport, par exemple.
En effet, le principe de l'interdiction de travailler le dimanche peut être remis en cause par voie réglementaire, et de nombreuses dérogations existent actuellement, notamment depuis la loi relative au développement des services à la personne du 26 juillet 2005.
Les diverses dispositions proposées et adoptées par votre majorité au fur et à mesure des textes sont particulièrement régressives. Nous pressentions déjà, lors de l'examen de la loi précitée, que le domaine de l'apprentissage allait subir de graves remises en cause. Nous ne nous étions pas trompés !
Ces mesures visaient à instaurer nombre de mesures dérogatoires au droit du travail. Aujourd'hui, vous êtes en train de faire tomber les dernières barrières sociales protectrices du statut des apprentis en permettant qu'ils travaillent le dimanche dès l'âge de quinze ans.
La majorité le réclamait depuis longtemps. Pour mémoire, je me contenterai de rappeler que M. Dassault proposait, en octobre 2004, d'abaisser à quatorze ans l'âge d'entrée en apprentissage. C'est aujourd'hui chose faite !
M. Dassault est d'ailleurs venu faire un tour en séance publique jeudi dernier pour présenter son plaidoyer en faveur de l'apprentissage junior à quatorze ans, puis nous ne l'avons plus revu ! Lorsque je l'ai interpellé pour lui dire qu'un jeune de quatorze ans, même pour être ouvrier, avait besoin d'une instruction générale pour travailler sur les machines numériques, pour intégrer son travail dans celui de l'usine, qu'il avait besoin de lire, d'avoir le temps de se distraire et de se reposer, il m'a répondu très discourtoisement, comme d'ailleurs à d'autres membres de mon groupe : « Vous, ça va ! »
M. Guy Fischer. À notre présidente aussi, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat !
Mme Hélène Luc. Je pensais qu'il s'excuserait, mais il ne l'a pas fait ! (Oh ! sur les travées de l'UMP.)
Ce texte mettant en oeuvre l'apprentissage junior ne fait que dévaloriser un peu plus l'apprentissage et les enfants qui suivront cette voie. Le Gouvernement cherche à écarter le plus tôt possible de l'enseignement général des enfants qu'il considère comme des cas désespérés n'ayant pas le droit à l'acquisition des savoirs dans les mêmes conditions que les autres enfants.
De surcroît, le Gouvernement fait tomber au fur et à mesure les dernières garanties dont disposaient les jeunes en apprentissage. Après le travail de nuit, c'est le travail le dimanche qui est désormais autorisé pour ces derniers. Il est inadmissible qu'un enfant de quinze ans soit autorisé à travailler dans ces conditions !
C'est également faire peser un risque sur leurs chances de réussite dans l'enseignement scolaire, étant donné que les entreprises accueillant des apprentis appartiennent à des corps de métiers dont la pénibilité est unanimement reconnue.
Dans ces conditions, comment ces jeunes seraient-ils dans les meilleures dispositions pour suivre leurs cours, pour s'insérer dans la cellule familiale et dans la société ?
M. Dassault l'a dit très précisément, avec mépris : c'est un moyen de leur éviter de devenir des délinquants. Relisez le compte rendu des débats, vous apprécierez sa hauteur de vue et l'ambition qu'il a pour les jeunes ! Il n'a jamais lu, ou en tout cas pas compris, la belle phrase de Camus : « Une nation qui éduque est une nation qui se civilise. »
C'est le point de vue que nous nous honorons d'avoir choisi tout au long de ce débat sur le CPE. Au lieu de partir de l'échec scolaire à quatorze ans pour sortir ces enfants de l'école - car ce ne sont encore que des enfants ! -, il faut mettre en oeuvre les moyens indispensables pour les mener à la réussite scolaire, et cela dès le cours préparatoire !
M. le président. Vous devez conclure, vous avez dépassé votre temps de parole, madame Luc !
Mme Hélène Luc. Je conclus, monsieur le président !
Car nous avons des ambitions pour eux ! Nous les encourageons à devenir de bons ouvriers, car c'est un beau métier. Mais quand ils préparent un CAP ou un BEP, ils ont des difficultés à trouver un stage en entreprise. Vous le savez, monsieur le ministre, et peut-être nous répondrez-vous sur cette question précise...
M. le président. Madame Luc, vous avez parlé pendant six minutes, vous n'avez plus la parole !
Mme Hélène Luc. C'est pourquoi, mes chers collègues, je vous demande de voter cet amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Alain Gournac, rapporteur. Respectez les règles, madame Luc !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Je souhaite répondre à la question qui a été posée précédemment sur le travail de nuit des mineurs, en particulier dans les débits de boissons et les tabacs.
Celui-ci peut apparaître en contradiction avec l'article L. 211-5 du code du travail, qui indique très clairement que nul mineur de moins de seize ans ne peut travailler dans un débit de boissons. C'est une protection absolue !
En revanche, dans les débits de boissons ayant fait l'objet d'un agrément, cette interdiction ne s'applique pas aux mineurs de plus de seize ans.
Il n'est fait aucune référence aux tabacs, mais le décret semble prévoir la possibilité de les accepter dans les débits de boissons et les tabacs.
C'est donc le décret qu'il convient de modifier, et non pas la loi. Bien entendu, je partage votre sentiment, et le Gouvernement devra s'engager très clairement à modifier le décret s'agissant des débits de boissons et des tabacs.
M. Jean-Pierre Godefroy. C'est ce que j'ai demandé !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ainsi, le problème sera résolu !
C'est la raison pour laquelle nous ne pouvons pas adopter l'amendement que vous nous proposez. Pour autant, nous sommes d'accord sur le fond : puisque le code du travail le prévoit, il s'agit d'étendre l'interdiction aux tabacs.
M. Charles Gautier. Eh bien, que le Gouvernement réponde !
M. Guy Fischer. Il lui a soufflé la réponse !
M. le président. M. Évin sera rassuré !
La parole est à M. le ministre. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Louis Borloo, ministre. Permettez que le Gouvernement fasse des réponses articulées ! Je rappelle que, pendant trente ans, le travail du dimanche des mineurs était autorisé par une simple circulaire. Il a fallu l'intervention de la chambre criminelle de la Cour de cassation, voilà trois ans, pour qu'il soit mis un terme à ces pratiques. C'est ce qu'a permis la loi programmation pour la cohésion sociale. Notre position me paraît donc tout à fait claire !
Quant à l'amendement précédent, je maintiens que nous ne pouvions pas y être favorables. En revanche, nous sommes dans un cas où il n'y a pas de confusion entre la restauration et les cafés-tabacs et débits de boissons. Sur un certain nombre de sujets, vous le savez, la convention collective est commune ; là, les secteurs sont autonomes. Il est donc tout à fait clair que nous modifierons le décret en conséquence.
M. Jean-Pierre Godefroy. Pourquoi ne l'avez-vous pas dit tout à l'heure, monsieur le ministre ? Merci tout de même !
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement ?
M. Alain Gournac, rapporteur. Tout d'abord, monsieur le ministre, nous vous remercions de votre réponse.
M. Charles Gautier. Heureusement qu'on est là !
M. Alain Gournac, rapporteur. Personne n'a dit le contraire !
Nous souhaitons que les choses soient claires et que le décret soit mis en conformité avec la loi. Nous avions d'ailleurs évoqué ce point en commission.
En ce qui concerne le principe de l'interdiction du travail le dimanche, nous en avons longuement débattu à plusieurs reprises et nous nous sommes exprimés sur l'ensemble des amendements. Donc, avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, pour explication de vote.
M. Roland Muzeau. Nous pouvons au moins convenir ensemble que les débats ne sont pas inutiles !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr, mais cela relève du décret !
M. Roland Muzeau. J'avais cru déceler un reproche sur le fait que nous « remettions le couvert » sur des questions abordées à l'occasion de l'examen de l'article 1er. Comme vous pouvez le constater, nous ne sommes pas dans une attitude d'obstruction systématique. Nous pouvons ne pas partager les mêmes avis, mais quand nos préoccupations portent sur des questions de cette nature, le fait d'y revenir permet aux uns et aux autres de rechercher une meilleure précision des textes, de quelque nature qu'ils soient.
Il vient de nous être répondu qu'une telle disposition relevait du décret ; nous en prenons acte ! Mais cet aboutissement a le mérite de montrer que le Parlement peut être utile et que le fait de se priver de parole, par un vote bloqué, par exemple, est toujours préjudiciable à la qualité des débats.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Nous ne le ferions pas !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. Je partage l'avis de Roland Muzeau. J'étais intervenu en commission sur ce sujet, mais je n'avais pas demandé une prise de position formelle, car le problème devait être étudié.
J'ai interpellé le Gouvernement lors de l'examen de l'article 1er et je me suis permis de le faire de nouveau au sujet des débits de boisson.
Monsieur le président de la commission, je vous remercie d'avoir étudié la question de plus près, et je suis satisfait, monsieur le ministre, de constater que vous acceptez de modifier le décret. C'est uniquement ce que je ne vous demandais tout à l'heure ! Nous avons en effet le devoir de protéger les mineurs. Je prends acte de cette décision.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Gournac, rapporteur. Quand j'ai déclaré que l'interdiction figurait dans la loi, je ne me trompais pas !
M. Jean-Pierre Bel. Mais la précision est utile !
Mme Hélène Luc. Ça vaut la peine de discuter !
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 381 est présenté par Mmes Voynet, Blandin et Boumediene-Thiery et M. Desessard.
L'amendement n° 604 est présenté par MM. Muzeau, Fischer et Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :
... °L'article L. 221-3 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Aucune dérogation ne peut être accordée aux dispositions du premier alinéa pour les apprentis âgés de moins de seize ans. »
La parole est à Mme Dominique Voynet, pour présenter l'amendement n° 381.
Mme Dominique Voynet. Cet amendement a pour objet d'exclure des possibilités de dérogation ouvertes par l'article L. 221-3 les apprentis de moins de seize ans. Ces derniers ne pourront donc en aucun cas être amenés à travailler le dimanche.
Le principe d'un repos hebdomadaire le dimanche est un principe majeur du code du travail.
Le texte que vous nous proposez, combiné aux dérogations instituées au sujet des apprentis dans certains secteurs d'activité, rétablit la possibilité pour des enfants de travailler le dimanche. De la même manière, il rétablit pour eux le travail de nuit.
Une telle éventualité constituerait une atteinte au droit de ces jeunes à mener une vie familiale et sociale harmonieuse.
Certes, le dimanche est plus rarement qu'avant l'occasion d'un repas de famille. Mais ce serait un moment où le bien-être pourrait être partagé. La privation de ces heures passées en commun, loin de contribuer à l'égalité des chances, serait très préjudiciable à des jeunes dont le cheminement vers l'âge adulte nécessite justement de multiplier ces occasions d'échanges et d'enrichissement mutuel.
Jean-Pierre Godefroy a insisté, à juste titre, sur un point important : ces jeunes se sentent parfois un peu en marge, car ils travaillent, quand d'autres enfants du même âge vont encore au collège. À cet âge, ils ont besoin de partager du temps, des émotions, des expériences avec des jeunes du même âge. Le fait de pouvoir jouer au « foot » ou au rugby, de pouvoir participer à des manifestations d'athlétisme, de faire du théâtre, de la musique, ne doit pas être considéré à la légère.
M. du Luart m'en voudra certainement de ne pas évoquer un autre loisir irremplaçable pour certains, à savoir la chasse, le dimanche, en famille ! Mais pour ne pas mécontenter mes amis Verts et beaucoup d'autres personnes dans cette assemblée, je n'en dirai pas un mot.
Cela étant, promouvoir l'égalité des chances, ce n'est sans doute pas favoriser des horaires de travail atypiques pour des jeunes âgés de moins de seize ans en les excluant, de fait, à leur détriment, d'une partie importante de la vie sociale.
L'objet de cet amendement est donc clair : interdire fermement le travail le dimanche pour les apprentis de moins de seize ans.
M. le président. Madame Voynet, aucun chasseur ne pratique avant l'âge de seize ans ! Le jeune porte peut-être le fusil de son père, mais guère plus ! (Sourires.)
La parole est à M. Guy Fischer, pour présenter l'amendement n° 604.
M. Guy Fischer. En ce qui nous concerne, nous n'avons jamais eu l'idée de faire porter les fusils par nos enfants... (Sourires.)
Le présent amendement exclut toute dérogation au principe de l'interdiction du travail le dimanche pour les apprentis de moins de seize ans.
Il y a cent trente-deux ans, aux termes de l'article 5 de la loi du 19 mai 1874 « Les enfants âgés de moins de seize ans [...] ne pourront être employés à aucun travail, par leurs patrons, les dimanches et fêtes reconnues par la loi, même pour rangement de l'atelier ».
En 1906, une loi instituait le repos dominical pour tous.
En 2005, un siècle plus tard, le 18 janvier exactement, une loi instaurait une dérogation à ce principe pour les apprentis de moins de dix-huit ans. Le but, tout à fait avoué d'ailleurs, était de contrer plusieurs arrêts de la Cour de cassation du 18 janvier 2005 condamnant avec fermeté la tendance du Gouvernement à multiplier les circulaires dérogeant au principe d'interdiction du travail des apprentis le dimanche.
Avec la création de la formation de l'apprenti junior, des enfants de quatorze ans travailleront, eux aussi, le dimanche.
Le projet de loi ne prévoit, en effet, aucune disposition spécifique pour eux, et ils seront donc soumis au même régime que leurs aînés. C'est un recul en termes de progrès social !
S'agit-il encore de satisfaire les employeurs ?
La bonne marche du secteur de l'artisanat où l'activité est importante le dimanche ne devrait tout de même pas être menacée par une telle interdiction, le nombre d'apprentis de cette catégorie d'âge ne devant pas être important !
Si l'apprentissage devient une voie d'orientation massive, ce sera véritablement une remise en cause de tout notre système éducatif. Ce sera peut-être le cas, car le Gouvernement a fixé à 500 000 le nombre d'apprentis en 2009, contre 360 000 en 2003. Il compte sans doute combler cet écart en sortant les enfants du système scolaire habituel dès quinze ans, voire dès quatorze ans.
Ces enfants risquent d'être livrés au marché du travail à des conditions bien plus dégradées que le reste des salariés. Quels contrôles seront réellement effectués le dimanche ? Peut-on être sûr qu'un encadrement sérieux sera mis en place ?
Il y aura des excès, des dérives, des accidents de travail. Les abus sont déjà réels, et un jeune de quatorze ans osera difficilement se plaindre face à un patron peu scrupuleux.
Le rythme biologique des enfants n'est pas le même que celui d'un jeune adulte. Un jeune aura-t-il la force de poursuivre sa formation théorique après son travail en entreprise ou en atelier ?
C'est pour respecter ce rythme biologique spécifique des adolescents en pleine croissance que, jusqu'à présent, les apprentis mineurs qui travaillent le dimanche ne doivent travailler ou aller en cours ni le lundi ni le mardi. Un repos de quarante-huit heures doit être respecté. Mais cela changera peut-être aussi. D'ailleurs, des dérogations existent déjà, puisque certains apprentis ne bénéficient que d'un repos de trente-six heures.
Ces apprentis de quatorze ans auront une vie complètement différente de celle de leurs camarades du même âge, des autres élèves de collège, une vie décalée. Ils vivront dans un monde à part. Ils ne verront pas non plus leurs parents qui, eux, seront à la maison le dimanche et au travail la semaine.
Je force le trait, mais mon argumentation contient véritablement des éléments de réalité, et je suis persuadé que cette mesure donnera lieu à de tels constats.
C'est la raison pour laquelle nous devons absolument empêcher que ne se produisent ces dérives en réaffirmant le principe d'interdiction du travail le dimanche pour les enfants de quatorze ans.
Certes, le débat a déjà eu lieu la semaine passée, mais nos interventions ont permis aujourd'hui de clarifier certaines interprétations, notamment sur la santé ; je pense à la remise en cause de certains points de la circulaire qui a été publiée.
Tel est le sens de cet amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Gournac, rapporteur. Nous nous sommes déjà exprimés sur la question du travail le dimanche et il ne me paraît pas nécessaire d'y revenir.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. Fischer a parlé d'enfants de quatorze ans. Or c'est à partir de quinze ans que la mesure s'applique !
M. Guy Fischer. Je sais !
M. Bernard Frimat. Ce n'est pas mieux !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Je ne suis pas choqué, contrairement à d'autres, que l'apprenti puisse être obligé, par suite de conventions, de se plier à l'usage de ranger l'atelier le dimanche, ce travail ne pouvant se prolonger au-delà de dix heures. Cela fait malheureusement partie du métier, et l'apprenti doit découvrir celui-ci dans sa globalité.
Cela étant, je souhaite étendre mon propos en revenant à l'article L. 220-1 du code du travail, puisqu'il renvoie à l'accord que nous évoquions tout à l'heure et au décret.
M. Alain Gournac, rapporteur. Tout à fait !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Pour les mêmes raisons que celles qui ont été avancées au sujet du travail de nuit, il me semble que les enfants ne doivent pas travailler le dimanche dans les débits de boissons et de tabacs.
Je souhaite que M. le ministre puisse nous apporter une réponse sur ce point et qu'il accepte de retirer du décret ces affectations pour le travail du dimanche.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Borloo, ministre. Je souhaite faire quelques observations.
Premièrement, à quatorze ans, on reste sous statut scolaire. La question ne se pose donc pas !
Deuxièmement, à quinze ans, la question se posait déjà auparavant, mais je n'ai pas entendu, jusqu'à présent, exprimer la moindre remarque !
Troisièmement, je l'ai dit, la loi de programmation pour la cohésion sociale a permis d'encadrer ce dispositif beaucoup plus sévèrement que la situation antérieure ne le permettait ; celle-ci a été largement critiquée par la chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt de 2005.
En tout état de cause, je rejoins l'avis du président de la commission des affaires sociales et du rapporteur en matière de cafés-tabacs et de débits de boisson ; l'article R. 226-1 sera donc modifié en conséquence.
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour explication de vote.
M. Guy Fischer. Cet engagement montre toute l'utilité de nos amendements !
Certes, nous insistons, mais le moment est trop important pour pouvoir s'esquiver. Nous avons voté l'article 3 bis, mais l'article 2 s'inscrit dans la logique de l'article 1er.
Vous avouerez, mes chers collègues, que nos discussions ont au moins eu le mérite d'aboutir à une réécriture de la circulaire afin de la préciser.
Nous avons mis le doigt sur un problème et, grâce à l'intelligence et à la clairvoyance du président de la commission des affaires sociales, la circulaire est réécrite sur deux points spécifiques.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Vous êtes moins sévère avec moi aujourd'hui qu'hier !
Mme Hélène Luc. C'est que nous sommes objectifs !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. En préambule, afin d'éviter les a priori, je rappellerai que, voilà plus de dix ans, dans la région Nord-Pas-de-Calais, nous avons doublé le nombre des apprentis ; M. Frimat m'en est témoin, et M. Borloo s'en souvient peut-être !
Le dur apprentissage d'un métier n'est pas une punition ; c'est une mise progressive en situation, qui n'implique pas que le pire soit immédiatement opérationnel.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr !
Mme Marie-Christine Blandin. Combien de savoirs y a-t-il à acquérir dans les métiers de la restauration, du spectacle, le lundi, le mardi, et tous les autres jours de la semaine, sans qu'il soit indispensable qu'on le fasse avant seize ans, le dimanche ?
Mais qui servira le boudin le dimanche ? Eh bien ! le restaurateur, sa femme et le commis ! L'apprenti, lui, n'y perdra rien, car le boudin du lundi est le même que celui du dimanche !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ah bon ?
M. Robert Bret. On en apprend des choses !
Mme Marie-Christine Blandin. Qui jouera Cosette, dans Les Misérables, le dimanche, me direz-vous ? D'une part, les oeuvres de Victor Hugo se jouent fort bien la semaine, et, d'autre part, il serait paradoxal que vous vous arc-boutiez à légiférer pour favoriser un statut de travail dominical des adolescents, alors que vous bloquez l'inscription à l'ordre du jour de la proposition de loi sur l'intermittence, qui apporterait une clarification et un traitement équitable à tous ceux qui travaillent dans le spectacle, de seize à soixante-dix-sept ans !
Pour en revenir à l'apprentissage, je soutiens donc ces amendements identiques. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. Je serai très bref. J'avais cru comprendre que M. le ministre nous donnait tout à l'heure satisfaction quant aux trois périodes de repos envisagées : la nuit, le dimanche et les jours fériés.
Je remercie M. le président de la commission d'avoir fait précisé l'avis du Gouvernement. J'avais sans doute fait preuve d'un trop grand optimisme !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques n°s 381 et 604.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 601, présenté par MM. Muzeau, Fischer et Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
... °Le dernier alinéa de l'article L. 221-4 est supprimé.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Notre amendement suit la même logique que les précédents, concernant les conditions de travail dérogatoires des apprentis.
Il tend à supprimer la dérogation au repos hebdomadaire de deux jours consécutifs destinée aux secteurs dont l'activité a des caractéristiques particulières qui le justifient, ou aux secteurs dans lesquels une convention, un accord collectif étendu, une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement prévoient une telle dérogation.
Or il s'avère, bien évidemment, que les secteurs concernés, notamment l'hôtellerie et la restauration, sont des secteurs formant nombre d'apprentis. Ce sont donc autant de jeunes qui sont concernés par ces dérogations.
Le principe posé à l'article L. 221-4 du code du travail est pourtant clair : « Les jeunes travailleurs de moins de dix-huit ans ainsi que les jeunes de moins de dix-huit ans qui accomplissent des stages d'initiation ou d'application en milieu professionnel dans le cadre d'un enseignement alterné ou d'un cursus scolaire bénéficient de deux jours de repos consécutifs ».
Au fil du temps et des réformes législatives remettant en cause le code du travail, de nombreuses dérogations ont toutefois été apportées à ce principe. C'est ainsi que les apprentis peuvent être amenés à travailler quasiment six jours par semaine.
Il convient donc de s'interroger aujourd'hui sur la manière dont sont considérés les enfants : constituent-ils désormais une catégorie particulière d'adultes, capables d'effectuer les mêmes tâches au même rythme ?
Si, par le passé, le législateur a prévu des restrictions pour les mineurs, c'est justement parce qu'ils n'ont pas le même rythme biologique qu'un adulte, ni évidemment la même force physique.
Ils n'ont pas non plus la même capacité à prendre des décisions ni à endosser des responsabilités que leurs aînés.
La disparition des dérogations au travail de nuit et au travail le dimanche et les jours fériés va inévitablement conduire à des abus et à des dérives, voire à des accidents du travail.
Vous en conviendrez, je l'espère : une telle évolution est inacceptable. C'est pourquoi nous souhaitons supprimer la possibilité dont disposent certains secteurs d'activité de déroger à la règle du repos de deux jours consécutifs applicable aux jeunes travailleurs de moins de dix-huit ans. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Gournac, rapporteur. Il ne peut être dérogé au repos hebdomadaire de deux jours consécutifs, dont le droit est reconnu aux jeunes de moins de dix-huit ans, que par un accord collectif étendu, par un accord d'entreprise ou par une dérogation accordée par l'inspecteur du travail, dans des conditions prévues par décret en Conseil d'État.
Dans la première hypothèse, la durée du repos ne peut être inférieure à 36 heures consécutives.
La commission, en l'état, a estimé que ce dispositif protégeait les intérêts des mineurs. Elle émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Borloo, ministre. Compte tenu de l'article L. 211-1 du code du travail et des conditions nouvellement adoptées, si des imperfections se révélaient, je ne doute pas que le Parlement serait saisi.
La protection générale actuelle et l'amendement adopté tout à l'heure adopté conduisent le Gouvernement à émettre un avis défavorable.
M. le président. L'amendement n° 602, présenté par MM. Muzeau, Fischer et Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
... °L'article L. 222-4 est ainsi modifié :
a) Dans le premier alinéa, après les mots : « ne peuvent » sont insérés les mots : « être tenus en aucun cas de » ;
b) Le second alinéa est supprimé.
La parole est à M. Jean-François Voguet.
M. Jean-François Voguet. L'article 2 du projet de loi vise à réduire à néant le principe d'interdiction du travail les jours fériés pour les apprentis.
Par cet amendement, nous entendons au contraire réaffirmer ce principe. Les apprentis âgés de moins de dix-huit ans ne doivent en effet, en aucun cas, être tenus de travailler les jours de fête.
L'interdiction du travail des mineurs les jours fériés a été obtenue au prix de luttes sociales douloureuses et acharnées. En permettant l'apprentissage dès l'âge de quatorze ans, vous poursuivez la remise en cause de ces acquis sociaux et portez une atteinte inadmissible, selon nous, aux droits et à la protection des mineurs.
Compte tenu de l'article L. 222-4 du code du travail, tel qu'il est rédigé depuis la loi nº 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale, dès lors que vous autorisez l'apprentissage à quatorze ans, vous autorisez également des employeurs à utiliser des enfants à moindre coût les jours de fêtes, jours où l'activité est en principe intense, dans des secteurs où le travail est réputé pénible et qui, en tout état de cause, ne se signalent pas par la qualité des conditions de travail.
Qu'en sera-t-il de la santé et de la sécurité de ces adolescents en période de croissance ? Quelle régression sociale ! Non seulement on met les enfants au travail, mais ils travailleront même lorsque la plupart des adultes se reposent. Quelle porte grande ouverte aux abus ! Où sont les garde-fous ? Est-ce ainsi que des élèves que l'on retire très jeunes du collège deviendront des citoyens à part entière, des adultes aptes à prendre pleinement leur place dans la société ?
Croyez-vous, par ailleurs, que l'apprentissage sera ainsi valorisé ? Non ! Croyez-vous qu'un tel apprentissage donnera le goût du travail aux jeunes, s'ils sont confrontés d'emblée à ses aspects les plus rudes et les plus rebutants ?
Il s'agit non pas de pourvoir en main-d'oeuvre des secteurs délaissés, mais d'apprendre un métier, de manière progressive.
Il s'agit non pas d'exercer un emploi très vite parce qu'on ne trouve pas sa place dans le système scolaire tel qu'il est, mais de se former. Or on peut apprendre un métier les jours de semaine : les boulangeries, les cafés sont aussi ouverts en semaine.
Ces jeunes ne sont pas une variable d'ajustement. Les apprentis doivent être préservés. Ils ne doivent pas être surchargés de travail, tout en étant dépourvus de recours et d'appui.
Souhaitez-vous véritablement faire reposer le poids de la pénibilité de certains métiers sur les épaules des plus jeunes et des plus faibles, sous le fallacieux prétexte d'une mise en situation et d'une approche des réalités de l'entreprise ?
Vous dites vouloir permettre à certains collégiens qui ne trouvent pas leur place dans le système scolaire classique d'emprunter un parcours plus adapté à leurs attentes. Croyez-vous que ce projet de loi y réponde ?
Vous rendez un bien mauvais service à l'apprentissage, vous en véhiculez une image bien négative.
Un bouleversement sans précédent est en cours, qui va s'accélérer en France sur le plan social. Il s'agit, qu'on le veuille ou non, d'un véritable retour en arrière, d'un véritable recul de société qu'il faut stopper net.
Il faut permettre à ces enfants de se développer sereinement, en apprenant correctement, à un rythme qui leur convient, un métier qui leur permettra de s'insérer réellement et ne les brisera pas.
Les jours de fêtes sont un temps de repos et de partage, pour les mineurs aussi. Il ne faut pas aboutir à une légalisation du travail les jours fériés pour les apprentis de quinze ans. Il faut en revanche affirmer le principe de l'illégalité du travail les jours fériés pour tous les apprentis. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Gournac, rapporteur. Cet amendement tend à réaffirmer le principe de l'interdiction du travail les jours fériés pour les apprentis.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Borloo, ministre. Ces arguments ont déjà été invoqués.
Le Gouvernement émet, lui aussi, un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Voguet, pour explication de vote.
M. Jean-François Voguet. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, il faut nous écouter et nous entendre.
Il s'agit non pas seulement d'une question de formation, mais d'une question tout simplement humaine.
Il est vraiment nécessaire de protéger les apprentis, les enfants, contre les multiples dérives qui sont apparues ces derniers mois et qui en font une catégorie particulièrement exposée aux atteintes au droit du travail et au droit des mineurs.
Ils sont de plus en plus nombreux à travailler les jours fériés, vous le savez, et la nouvelle formation d'apprenti junior les exposera de plus en plus jeunes à ces dérives.
Nombre d'employeurs, parfois peu scrupuleux, pourront ainsi utiliser à moindre coût une main-d'oeuvre docile, peu avertie de ses droits, pendant des jours d'intense activité et dans des secteurs où les conditions de travail sont réputées pénibles.
On fera reposer le poids de la pénibilité de certains métiers sur les épaules des plus jeunes et des plus faibles, sous prétexte d'une mise en situation et d'une approche des réalités de l'entreprise. Ce n'est pas une bonne manière de susciter le goût de l'apprentissage ni d'attirer les jeunes dans cette voie.
Les apprentis, nous l'avons dit, peuvent être formés durant la semaine. Leurs employeurs auront, d'ailleurs, davantage de temps à leur consacrer. Leur rythme biologique sera respecté et ils ne seront pas coupés de leurs parents et de leurs camarades.
Les jours fériés doivent rester des jours de fête pour les enfants.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 382 est présenté par Mmes Voynet, Blandin et Boumediene-Thiery et M. Desessard.
L'amendement n° 603 est présenté par MM. Muzeau, Fischer et Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :
... °L'article L. 222-4 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Aucune dérogation ne peut être accordée aux dispositions du premier alinéa pour les apprentis âgés de moins de seize ans. »
La parole est à Mme Dominique Voynet, pour présenter l'amendement n° 382.
Mme Dominique Voynet. M. About nous disait tout à l'heure qu'il n'était pas choqué à l'idée que des jeunes rangent un atelier le dimanche jusqu'à dix heures du matin.
Que veut dire exactement « ranger un atelier le dimanche jusqu'à dix heures du matin » ? Cela signifie se lever tôt également les jours de repos, et donc que l'on ne peut pas sortir le samedi soir.
Monsieur About, il ne peut vous avoir échappé que, aussi certainement que les manifestations dermatologiques ou la mue de la voix, un des signes de l'entrée dans l'adolescence est le besoin de dormir, si possible le matin, en courant éventuellement le risque délicieux d'énerver sa mère...
Promouvoir l'égalité des chances, puisque tel est l'objectif de ce projet de loi, c'est permettre à chacun de trouver sa place dans la société.
Comme le dimanche, les jours fériés sont des moments privilégiés d'échanges, notamment dans un cadre familial, amical ou associatif. Certains constituent des moments forts de mémoire collective.
Priver des jeunes de quatorze ou quinze ans de leur participation aux différentes commémorations, aux regroupements familiaux, aux compétitions sportives ou aux évènements associatifs, toutes activités qui sont nombreuses à être organisées les jours fériés, ne semble pas une bonne mesure. Cela ne permettra pas à ces jeunes de mener une vie familiale et sociale épanouie, cela ne les préparera pas à une citoyenneté pleine et entière.
Nous examinons un projet de loi qui vise à améliorer l'égalité des chances, et vous proposez à ceux qui ont eu la malchance de quitter l'école plus tôt, à ceux qui ont la malchance de découvrir la difficile réalité du monde du travail plus tôt, avec ses côtés positifs, certes , mais aussi ses aspects douloureux et pénibles, d'être coupés, de plus, des joies que connaissent les jeunes de leur âge.
Monsieur le ministre, le repos n'a pas pour seul but de restaurer sa force de travail ; la vie sociale a également ses rythmes et ses rites.
Cet amendement tend à éviter que des dérogations permettent aux apprentis de moins de seize ans de travailler les jours de fêtes légales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour présenter l'amendement n° 603.
M. Guy Fischer. Vous ne serez pas surpris, monsieur le président de la commission, que nous poursuivions dans la même voie, notre volonté étant d'exclure toute dérogation au principe de l'interdiction du travail les jours fériés des apprentis mineurs.
Monsieur le ministre, vous nous avez précisé que les apprentis, à quatorze ans, se trouvaient sous le régime scolaire. Les apprentis, de toute évidence, seront de plus en plus nombreux. C'est l'une de nos préoccupations.
Nous avons assisté, ces derniers mois, à une mise à bas de ce principe de l'interdiction du travail des mineurs les jours fériés, grâce à de nombreuses dérogations.
Si la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale affirme, je vous en donne acte, que les apprentis mineurs ne peuvent travailler les jours de fête, c'est pour ajouter immédiatement après qu'ils le pourront tout de même, dès lors que les caractéristiques particulières de l'activité le justifieront.
Lors de l'adoption de cette loi, il s'agissait de conforter les dispositions que la direction du travail avait prises par le biais de circulaires, notamment celles du 22 août 2002 et du 10 mai 1995, que la Cour de cassation avait vigoureusement sanctionnées le 18 janvier 2005.
Monsieur le ministre, nous avons lu dans la presse de ce matin que vous aviez l'intention de réformer l'inspection du travail.
Nous avons également entendu parler d'une possible multiplication des périodes de soldes, ou de l'ouverture des magasins le dimanche, qui, jusqu'à présent, était très réglementée.
Certes, Jean-Pierre Godefroy a rappelé la liste des dérogations, mais, ce qui nous inquiète, c'est qu'elle pourrait s'allonger, des établissements d'autres secteurs que le secteur alimentaire - aujourd'hui, il en est le principal bénéficiaire - pouvant rapidement solliciter des dérogations. En outre, la tendance est à autoriser les magasins à ouvrir plus souvent - pour tous les week end de décembre, c'est un fait - soi-disant pour relancer le commerce.
Nous avons déjà eu l'occasion de développer notre argumentation lors de l'examen des amendements précédents, et je n'y insisterai donc pas.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Gournac, rapporteur. La commission est défavorable aux amendements nos 603 et 382, comme elle l'a été à des amendements similaires.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Borloo, ministre. Le Gouvernement est défavorable à ces amendements.
Cependant, je suis surpris, car, jusqu'au début de 2002, vous avez rédigé des circulaires par lesquelles 25 000 jeunes de moins de seize ans étaient concernés par l'apprentissage.
Nous avons élaboré la loi de programmation pour la cohésion sociale, qui est plus stricte ; votre récente découverte du sujet nous paraît donc pour le moins surprenante !
M. Guy Fischer. C'est l'expérience qui nous rend plus exigeants !
M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, pour explication de vote.
M. Roland Muzeau. La précision apportée par M. le ministre sur la situation antérieure à 2002 est intéressante.
M. Alain Gournac, rapporteur. Battez votre coulpe !
M. Roland Muzeau. Pas du tout, monsieur le rapporteur !
Il me semble facile de reporter systématiquement sur les gouvernements précédents ce qui n'a pas été fait. Fort heureusement, les décennies qui se sont écoulées ont été dans le bon sens, c'est-à-dire vers un progrès dans les relations et les conditions de travail au sein des entreprises, y compris à travers l'apprentissage, même si certaines choses nous paraissent encore insupportables.
Si nous devions faire des comparaisons, il faudrait remonter tellement loin que l'intérêt de nos débats en pâtirait.
Nous pensons donc que l'amendement n° 603 est important, car il vise à en finir avec toutes les dérogations au principe de l'interdiction de travail pour les apprentis mineurs les jours fériés. Le Gouvernement a eu tendance, au cours des derniers mois, à revenir sur ce principe, toujours au motif qu'il conviendrait de placer les apprentis dans la situation courante du métier auquel ils se destinent. Les débats ont été l'occasion d'affirmer nos opinions divergentes sur le sujet.
Dès lors que les caractéristiques particulières de l'activité le justifient, les apprentis travaillent également les jours de fête. La liste des activités concernées est longue, les dérogations sont trop nombreuses et elles tendent malheureusement à devenir la règle.
Nous souhaitons donc lutter contre cette tendance lourde et nous vous proposons d'enrayer ce mouvement qui pèse sur les conditions de travail et sur les relations sociales.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 382 et 603.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 607, présenté par MM. Muzeau, Fischer et Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... - L'article 225-2 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« 7° A justifier un écart de salaire entre deux emplois identiques, quels que soient le niveau et la nature de la formation initiale. »
La parole est à M. Bernard Vera.
M. Bernard Vera. La formation d'apprenti, lorsqu'elle précède une embauche dans l'entreprise, n'est pas un gage de rémunération égale à celle des autres salariés.
Les jeunes issus de l'apprentissage sont en effet majoritairement moins bien rémunérés lors de leur première embauche que les autres salariés de l'entreprise, alors que leur expérience devrait pourtant justifier l'inverse.
Formés dans les entreprises, dotés d'une solide expérience professionnelle lorsqu'ils entrent sur le marché du travail, les apprentis sont a priori attractifs pour les employeurs. Ils devraient donc, en toute logique, être mieux rémunérés que leurs collègues salariés ayant opté pour la voie scolaire.
Or, contre toute attente, il n'en est rien. Lorsqu'ils ont le niveau CAP ou BEP, leur salaire au bout de trois ans de vie active est globalement équivalent à celui des autres jeunes, voire inférieur pour certaines spécialités de formation, telles que la mécanique automobile, le commerce ou encore l'hôtellerie, le tourisme et les loisirs.
Il en va de même au niveau du baccalauréat, où l'écart de rémunération est généralement faible, de trente euros environ.
Cette situation est pour le moins paradoxale et contribue à dévaloriser la filière de l'apprentissage et les diplômes que l'on y obtient.
Avec l'apprentissage junior, vous condamnez les jeunes de quatorze ans à vivre, une fois sur le marché du travail, une situation de « sous-rémunération » ne correspondant ni à leur niveau de formation ni aux compétences qu'ils ont acquises durant leur contrat d'apprentissage.
L'apprentissage tel que le Gouvernement le façonne aujourd'hui s'apparente fortement à un sous-emploi dévalorisé pouvant aboutir à toutes sortes de dérives de la part de l'employeur. Nous le voyons bien puisque la liste des dérogations aux protections fondamentales des jeunes travailleurs ne cesse de s'allonger.
C'est donc à un triste avenir que le Gouvernement prépare ces apprentis juniors. Cet avenir est d'autant plus triste que la rémunération qui les attend sera souvent bien inférieure à celle à laquelle ils pourraient prétendre.
Une telle discrimination est non seulement inexplicable, mais elle est surtout intolérable pour des jeunes qui ont connu des conditions d'apprentissage bien souvent difficiles.
C'est pour garantir, au moins sur ce dernier point, un minimum de justice sociale, que nous proposons que soit interdit tout écart de salaire entre deux emplois identiques, et ce quelque soit le niveau et la nature de la formation initiale.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Gournac, rapporteur. La commission avait repoussé un amendement identique lors de l'examen de la loi sur l'égalité salariale entre les hommes et les femmes, au motif que sa rédaction semblait conduire à l'application d'une sanction pénale à l'encontre de l'employeur qui tenterait, notamment dans le cadre d'une procédure judiciaire, de justifier un écart de rémunération.
Il ne nous est pas possible d'émettre un avis différent aujourd'hui, et c'est pourquoi nous sommes défavorables à l'amendement n° 607.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Borloo, ministre. Même si nous comprenons l'objet de cet amendement, il nous semble être en contradiction avec le projet de loi.
En effet, vous parlez de justifier un écart de rémunération « quels que soient le niveau et la nature de la formation initiale ». Or je ne peux pas être d'accord avec vous. Le fait que la formation en alternance soit une formation d'excellence doit entraîner une rémunération supérieure.
J'ai récemment visité les centres de formation de plasturgie et de froid industriel où l'on constate que les rémunérations des apprentis de dernière année, à leur sortie, sont très supérieures, à poste identique, à celles des jeunes qui ne sont pas formés, même s'ils sont plus âgés.
Votre amendement me semble aller contre l'intérêt des apprentis et de la formation en alternance ; c'est la raison pour laquelle le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 607.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote sur l'article 2.
M. Jean-Pierre Godefroy. L'apprentissage à quatorze ou quinze ans, qui a d'ailleurs failli être fixé à treize ans et neuf mois et à quatorze ans et neuf mois après l'avis favorable du Gouvernement donné par M. de Robien, est une erreur économique.
Je vous conseille de consulter les patrons, si vous n'avez pas confiance dans les syndicats ouvriers, et de leur demander ce qu'ils pensent d'une telle disposition. Comptent-ils recruter de tels apprentis ? Ont-ils à leur disposition les milliers de maîtres d'apprentissage suffisamment formés pour accueillir les milliers de jeunes que vous voulez leur adresser ? On peut en douter à la lumière des avis donnés par les directeurs des ressources humaines des grandes entreprises.
Il n'est pas vrai que les patrons veulent de tels apprentis, ni qu'ils savent les former. En effet, enseigner est un métier et nous ne pouvons pas qualifier toutes les activités de « métiers » à l'exception de celle d'enseignant ! Les propos qui viennent d'être tenus sur l'apprentissage ne tiennent pas compte de cette réalité.
Nous ne sommes pas hostiles à l'apprentissage, loin s'en faut, nous souhaitons seulement qu'il ne soit pas mythifié, et qu'on ne lui confie pas des missions qui feraient échouer notre système de formation.
Comparons avec les systèmes des autres pays. L'Allemagne était le grand pays de l'apprentissage, ce qui lui permettait, d'ailleurs, de dégonfler les statistiques de chômage des jeunes. Cela résultait du fait que les ouvriers accomplissaient tout leur parcours professionnel dans la même usine, gravissant successivement tous les échelons ; cela existait également en France.
Or ce monde-là est fini ou presque. Les statistiques internationales font apparaître au contraire, notamment en Allemagne, que, si la première insertion dans l'entreprise est réussie, la deuxième, lorsque la machine - dont la durée du cycle est passée de dix à quatre ans - change, se révèle être une catastrophe.
En revanche, notre système, à nous Français, fonctionne plutôt bien ; il permet l'élévation technique et sociale des travailleurs, même si des progrès doivent encore être faits. Pour une fois, nous pouvons revendiquer de bien faire quelque chose ! C'est ce que nous appelons la « professionnalisation durable » des ouvriers français, grâce à laquelle les tourneurs -fraiseurs, par exemple, n'ont pas connu une crise de conversion, et sont passés sur les machines à commande numérique mieux que les ouvriers de tous les autres pays d'Europe.
Il s'agit de réalités qui sont à l'honneur d'un système, dont, après tout, nous sommes tous comptables, pour l'avoir tous fait vivre. Ne dénigrons pas systématiquement nos réussites !
Monsieur le ministre, vous devriez plutôt soutenir la filière de l'enseignement professionnel sous statut scolaire. S'agissant notamment de la question des classes de quatrième et de troisième, qui suscite un débat, autrefois, souvenez-vous de cela, certaines de ces classes étaient dites « technologiques ». C'était une interface utile. Comment recréer une voie qui offre une véritable transition intellectuelle et pédagogique aux jeunes et qui ne soit pas un simple gadget ? Il faut instaurer un véritable parcours qui conduise les jeunes, de façon fluide, depuis leur entrée au lycée jusqu'aux diplômes professionnels du supérieur. Pourtant, ce n'est pas ce qui se passe.
Voilà cinq ans, le nombre d'inscrits dans les filières professionnelles baissait continuellement. Depuis lors, des initiatives heureuses ont inversé le mouvement. Ainsi, depuis 2002 plus précisément, le nombre d'inscrits augmente chaque année. Or les moyens diminuent.
Nous ne formerons ni les ouvriers d'élite, ni les contremaîtres, ni les techniciens dont notre pays a besoin, si, dans la difficile compétition internationale qu'il affronte, il veut disposer du seul avantage comparatif qui tienne, à savoir le haut niveau de formation de la main-d'oeuvre.
Le projet de loi qui nous est soumis ne répond pas à cet objectif. C'est la raison pour laquelle nous voterons contre l'article 2. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 2, modifié.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3
I. - L'article 244 quater G du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Le I est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« - lorsque l'apprenti a signé son contrat d'apprentissage dans les conditions prévues à l'article L. 337-3 du code de l'éducation. » ;
2° Dans le II, les mots : « Le crédit d'impôt » sont remplacés par les mots : « Le crédit d'impôt calculé au titre des apprentis mentionnés au I » ;
3° Le IV est ainsi rédigé :
« IV. - Lorsque l'entreprise accueille un élève en stage dans le cadre du parcours d'initiation aux métiers prévu à l'article L. 337-3 du code de l'éducation, elle bénéficie d'un crédit d'impôt dont le montant est égal à 100 € par élève accueilli et par semaine de présence dans l'entreprise, dans la limite annuelle de vingt-six semaines. »
II. - Les dispositions du présent article s'appliquent aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2006.
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, sur l'article.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cet article vise à étendre le régime du crédit d'impôt aux entreprises qui emploieraient des apprentis juniors.
Par ailleurs, il permet la création d'un nouveau type de crédit d'impôt pour les entreprises qui emploieraient aussi des apprentis juniors dans ce que vous appelez la « phase initiale », autrement dit, des apprentis relevant du régime scolaire.
Lors de l'examen des deux articles précédents, nous avons eu l'occasion de nous opposer avec force à la création de cet apprentissage junior, eu égard à ses graves conséquences d'un point de vue éducatif aussi bien que social.
L'abaissement de l'âge de l'apprentissage à quatorze ans met en péril le principe même du droit à la scolarité pour tous, ce que le Gouvernement conteste, mais sans pouvoir avancer d'arguments pleinement convaincants.
Il nous conduit, par ailleurs, à nous interroger sur les objectifs de cette majorité en ce qui concerne l'intégration des jeunes.
Les débats sur les deux articles précédents ont soulevé la question de la création d'une sorte de « sous-main-d'oeuvre » par le biais de cet apprentissage junior. En effet, des enfants de quatorze ans offrent tout de même l'avantage pour des entreprises de constituer une main-d'oeuvre particulièrement docile, en raison de leur esprit qui est encore en pleine construction et de leur inexpérience.
Une intégration aussi précoce dans une entreprise ne conduira pas à corriger certains aspects négatifs de l'apprentissage, mis en lumière en particulier par le Centre d'études et de recherches sur les qualifications, le CEREQ, bien au contraire. On constate en effet que les apprentis sont souvent les salariés les moins bien rémunérés et, surtout, les moins enclins à revendiquer l'application de leurs droits, particulièrement s'ils sont entrés jeunes dans l'entreprise.
Quelle aubaine alors qu'ils y entrent encore plus tôt !
Et cet effet d'aubaine que constitue cet apprentissage pour les entreprises, qui verront mettre à leur disposition une main-d'oeuvre très peu coûteuse et peu revendicative, se trouve bien évidemment renforcé par cet article.
Ainsi, en élargissant le bénéfice du crédit d'impôt et en créant un nouveau crédit d'impôt, le Gouvernement offre un cadeau supplémentaire aux entreprises. Ces dernières, non contentes de disposer de cette main-d'oeuvre à bas prix, se verront gratifiées d'une aide supplémentaire à l'embauche !
Ce crédit d'impôt octroyé dans le cadre de l'apprentissage a été créé par la loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005. À l'occasion de l'examen de ce texte, nous avions dénoncé un tel dispositif, qui s'ajoute aux très nombreuses aides dont disposent déjà les entreprises actuellement.
En 2004, selon les données du Conseil d'orientation pour l'emploi, ces aides à l'apprentissage accordées aux entreprises, que ce soient les exonérations de charges ou le crédit d'impôt dont il est question en l'espèce, ont représenté 1,5 milliard d'euros.
Quelle a été leur efficacité ? Nous n'en savons rien, car aucune étude ne peut affirmer que les aides aux entreprises ont un effet positif sur l'emploi. En revanche, ce qui est avéré, c'est évidemment l'effet d'aubaine pour les employeurs.
Ces différentes aides créent, par ailleurs, un effet de substitution particulièrement préjudiciable pour les travailleurs, puisqu'elles incitent une entreprise à tirer vers le bas les types d'emplois, de façon à bénéficier du maximum d'aides, ainsi que les salaires.
De tels dispositifs sont loin de l'intégration professionnelle et sociale des jeunes. Cette remarque justifie, à nos yeux, la suppression de l'article 3.
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, sur l'article.
M. Jean-Luc Mélenchon. L'article 3 du projet de loi introduit un changement de philosophie en matière de financement de l'apprentissage.
Jusqu'à présent, une taxe était prélevée. Elle servait à financer l'apprentissage par le biais de divers intermédiaires et à prendre en charge, éventuellement, la rémunération du maître d'apprentissage.
Mais le dispositif proposé change la donne. C'est en octroyant un crédit d'impôt à l'entreprise que le Gouvernement veut l'inciter à prendre des apprentis. Il crée un nouveau système qui conduit, en quelque sorte, à rémunérer par le crédit d'impôt une entreprise qui a recours à l'apprentissage. Ce n'est pas du tout la logique qui prévalait jusque maintenant.
Au cours de l'exercice précédent, le financement de l'apprentissage s'est élevé à 100 millions d'euros. Avec la nouvelle mesure, il atteindrait 450 millions d'euros. Ne croyez-vous pas que cette dernière somme serait mieux utilisée si elle était affectée à l'enseignement professionnel scolaire public ?
Par ailleurs, supposons que je défende exclusivement la filière de l'enseignement public : pour quelles raisons financerai-je, par le biais du paiement de mes impôts, un mode d'enseignement privé, car il s'agit bien de cela, sauf, monsieur le ministre, si vous visez des CFA publics ? Or la mesure que vous proposez concerne les CFA aussi bien publics que privés. De ce fait, les chefs d'entreprise seront, en quelque sorte, incités à prendre des apprentis pour des raisons financières, apprentis dont le coût sera pris en charge grâce à l'argent de tous. Un tel système n'est pas du tout performant.
Que va-t-il se passer ? Des effets d'aubaine et d'incitation vont apparaître. Le montant du crédit d'impôt s'élèvera à 100 euros par apprenti et par semaine de présence, ce qui n'est pas négligeable. Cela dit, par parenthèse, alors que tant de larmes de crocodile sont versées au sujet de la rétribution des jeunes stagiaires en entreprise, en l'espèce, force est de constater que « l'on n'y va pas avec le dos de la cuillère » !
Certains patrons jouent fort bien le jeu de l'apprentissage et mettent à la disposition des jeunes des maîtres d'apprentissage très sérieux, mais d'autres sont plus désinvoltes. En l'occurrence, on va leur demander, en termes de gestion, de faire figurer dans leurs bilans une part intitulée « rémunération pour formation d'apprentis ». Il n'est pas convenable de procéder ainsi. Ce n'est pas non plus l'esprit dans lequel, jusqu'à présent, l'enseignement professionnel était dispensé dans notre pays.
Monsieur le ministre, vous êtes en train de mordre le trait et vous n'obtiendrez pas de la mesure les résultats que vous en attendez !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Borloo, ministre. Monsieur Mélenchon, je souhaite vous faire part de l'estime du Gouvernement pour le travail qui a été accompli dans le domaine de l'apprentissage voilà quelques années.
Dans notre esprit, il est tout à fait clair que la filière professionnelle de l'éducation nationale a toute sa place et qu'elle est soutenue.
Le sujet des passerelles, que vous avez évoqué, est absolument crucial. Néanmoins, les résultats quantitatifs actuels sont plutôt bons, selon les chiffres relatifs à l'apprentissage rendus publics le mois dernier. En effet, globalement, le niveau atteint est de 11 %. Une poussée significative doit d'ailleurs être notée pour ce qui concerne l'enseignement supérieur, ce qui est positif. (M. Jean-Luc Mélenchon laisse entendre un coût élevé.)
Vous avez raison, monsieur le sénateur, c'est coûteux, « frayeux », comme on dit dans le Nord. Toutefois, cette constatation prouve bien que la formation en alternance est une filière d'excellence qui retiendra de plus en plus l'intérêt de nos concitoyens.
Monsieur le président, je vous indique que le Gouvernement souhaite reprendre l'amendement n° 372, dont l'auteur est absent de l'hémicycle, et qu'il en demande l'examen par priorité.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur cette demande de priorité formulée par le Gouvernement ?
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Favorable.
M. le président. Il n'y a pas d'opposition ? ...
La priorité est ordonnée.
J'appelle donc par priorité l'amendement n° 372 rectifié, présenté par le Gouvernement, et qui est ainsi libellé :
Compléter le texte proposé par le 1° du I de cet article pour compléter le I de l'article 244 quater G du code général des impôts par un alinéa ainsi rédigé :
« - Lorsque l'apprenti a signé son contrat d'apprentissage à l'issue d'un contrat de volontariat pour l'insertion mentionné à l'article L. 130-1 du code du service national. »
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Borloo, ministre. En réalité, cet amendement traite globalement du sujet et tend à compléter un ensemble cohérent.
De quoi s'agit-il ? Tous les professionnels s'accordaient pour reconnaître qu'il fallait une intervention plus forte de l'État alors qu'en matière d'apprentissage la compétence avait été transférée aux régions par le biais des vingt-deux conventions d'objectifs signées. Le plan de cohésion sociale prévoit qu'annuellement plus de 200 millions d'euros seront affectés au financement de l'apprentissage pendant cinq ans.
Par ailleurs, je tiens à rappeler qu'il n'y a pas d'apprentissage sans maîtres d'apprentis. Une véritable organisation doit être mise en oeuvre. Comme on peut le constater, ce sont les toutes petites entreprises, qui ont cette culture historique de l'apprentissage, qui assurent l'essentiel de l'apprentissage français. Les grandes entreprises, quant à elles, doivent mettre en place un dispositif de tutorat et d'accompagnement, car les choses ne se font pas naturellement.
Le Gouvernement a donc décidé d'accorder aux entreprises une exonération ou un crédit d'impôt, selon le cas, d'un montant de 1 600 euros au bénéfice, en fait, du maître d'apprentis, quels que soient la taille et le statut de l'entreprise.
Cette somme est portée à 2 200 euros dans un certain nombre de cas précis. Il en est ainsi lorsque l'apprenti est victime d'un handicap ou lorsqu'il est titulaire d'un contrat d'insertion dans la vie sociale, un CIVIS, contrat d'accompagnement passé avec les missions locales.
Cet amendement vise à compléter le dispositif mis en place à l'égard des jeunes qui se sont engagés dans le programme « Défense, deuxième chance », piloté par le ministère de la défense et soutenu par celui de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement. Il nous paraît juste et pertinent que le financement du maître d'apprentis soit porté au taux maximal lorsque son intervention concerne ces jeunes qui ont pris un tel engagement à la fois professionnel et citoyen.
Par ailleurs, il est exclu, pour le Gouvernement, de revenir sur une mesure qui a produit ses effets avec plus de 11 % d'augmentation, à savoir l'exonération fiscale ou le crédit d'impôt de 1 600 euros pour le maître d'apprentis.
J'ai demandé l'examen en priorité de cet amendement afin de pouvoir exposer la question dans son ensemble. J'indique d'ores et déjà que j'émettrai un avis défavorable sur tout amendement qui tendrait à remettre en question le financement du maître d'apprentissage.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Gournac, rapporteur. L'amendement n° 372 initial a bien évidemment été étudié par la commission des affaires sociales.
Nous avions vu planer l'invocation de l'article 40 de la Constitution. Les informations que vient de nous fournir M. le ministre m'amènent à faire évoluer ce point de vue et à émettre un avis favorable.
M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, pour explication de vote.
M. Roland Muzeau. Effectivement, comme vient de le rappeler M. le rapporteur à l'instant, nous avions débattu de l'amendement n° 372 au sein de la commission - « débattu » est, toutefois, un bien grand mot, car cet amendement a été survolé, comme un certain nombre d'autres - et j'avais retenu que la commission y était défavorable.
M. Alain Gournac, rapporteur. Non !
M. Roland Muzeau. Probablement était-ce parce que la menace de l'invocation de l'article 40 de la Constitution avait plané, mais le Gouvernement est devenu riche...
Nous avions proposé, quant à nous, au sein de la commission des affaires sociales comme en séance publique, la suppression de cet article 3 et je souhaiterais dire en quelques mots pourquoi.
Comme nous l'avons rappelé lors de notre intervention sur cet article, l'élargissement du bénéfice du crédit d'impôt aux entreprises employant des apprentis juniors équivaut à une double gratification pour les employeurs, ce à quoi nous nous opposons fermement.
Les entreprises embauchant des jeunes apprentis dans le cadre de l'apprentissage junior vont disposer d'une main-d'oeuvre à très faible coût - reconnaissons-le -, au détriment d'une réelle possibilité d'intégration pour le jeune travailleur. De plus, elles pourront bénéficier d'une aide financière.
Nous nous étions opposés à la création de ce dispositif lors de la discussion du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale, car rien ne prouve, à ce jour, que de tels dispositifs auront un effet bénéfique sur l'emploi des jeunes ou constitueront une incitation à l'embauche par les entreprises.
Un tel article nous ramène finalement à la politique du Gouvernement en matière d'emploi - là, il y a une vraie logique - politique qui vise à multiplier les mesures d'aides ou d'incitation fiscale en direction des entreprises, sans avoir à leur égard beaucoup d'exigences en retour et, en même temps, à fragiliser et à appauvrir les travailleurs.
Je rappellerai quelques chiffres. Ce ne sont pas les nôtres, ce sont ceux qui sont fournis par le Conseil d'orientation pour l'emploi, et ils sont éloquents : les allègements de cotisations sociales s'élèvent à 17, 1 milliards d'euros, les exonérations et le crédit d'impôt pour les contrats d'apprentissage, à 1,5 milliard d'euros, les aides aux embauches dans les zones franches urbaines, à 370 millions d'euros, le contrat jeune en entreprise, à 273 millions d'euros, l'aide dégressive à l'emploi, à 104 millions d'euros.
Les sommes versées par l'État aux entreprises sont donc colossales, et il ne s'agit ici que des aides directes de l'État.
Cependant, si l'on tenait compte de toutes les aides indirectes dont bénéficient les entreprises de la part de l'État ou des collectivités territoriales - il serait bon, d'ailleurs, de réaliser une telle évaluation ; peut-être, un jour, la commission des affaires sociales tentera-t-elle de l'effectuer, ce qui lui fera un travail supplémentaire ! - il semblerait, selon des informations parues récemment dans les revues spécialisées, que ce grand dispositif d'aide fiscale et sociale lancé au nom du développement de l'emploi se chiffrerait à 60 milliards d'euros chaque année.
Ces « cadeaux » faits aux entreprises sont injustifiables ; de plus, ils conduisent à tirer vers le bas non seulement la qualité des emplois, en incitant les entreprises à recourir aux emplois précaires et peu qualifiés, mais aussi, et surtout, le montant des salaires.
Ces exonérations sociales et toutes ces aides accordées aux entreprises opèrent un effet de substitution des emplois peu qualifiés au détriment d'emplois qualifiés.
C'est à cette conclusion que parvient le Centre d'études de l'emploi, dans sa dernière enquête de janvier 2006, relative aux « évaluations des exonérations sur les bas salaires ».
On y lit que l'impact sur les bas salaires est très difficile à évaluer et, dans tous les cas, toujours en dessous des estimations avancées. On y apprend aussi ceci : « L'impact sur l'emploi qualifié est encore plus incertain. Du point de vue des employeurs, les allégements sur les bas salaires renchérissent le coût du travail qualifié relativement au coût du travail non qualifié, ce qui implique des effets de volume et de substitution ».
L'étude se termine par cette remarque : « Il est clair que l'instabilité des dispositifs n'a pas contribué à renforcer les effets sur l'emploi et que les chiffrages peuvent paraître de ce point de vue surestimés ».
Comment, dans ce cas-là, ne pas douter de l'intérêt d'un tel article, qui vise à étendre encore ces dispositifs d'aide aux entreprises ? La raison, ou tout au moins la prudence, nous encourage plutôt à penser le contraire.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. Il n'est, bien sûr, pas possible de dissocier le contenu de l'article 3, relatif à un crédit d'impôt destiné à encourager les entrepreneurs à employer des apprentis, du fond de la question posée par les articles 1er et 2, l'article 1er tendant à abaisser l'âge de l'apprentissage à quatorze ans, et l'article 2 à modifier subséquemment le code du travail.
Cette remise en cause de la scolarité obligatoire jusqu'à seize ans concerne non pas tous les enfants, mais ceux qui appartiennent aux familles les plus modestes et qui ont, de ce fait, des difficultés à trouver leur chemin dans l'éducation. On sait très bien que le niveau de vie d'une famille conditionne très largement le niveau intellectuel et culturel, donc le niveau d'instruction des enfants qui en sont issus.
L'article 3 est le volet financier de ce projet de loi, celui qui prévoit qu'une dépense fiscale supplémentaire, par la voie du crédit d'impôt, est accordée aux employeurs.
Cette mesure montre bien que, pour le Gouvernement, la promotion de l'apprentissage passe surtout par des incitations financières en direction des employeurs, et non par une revalorisation de cette voie de formation. Nous le répétons à nouveau.
Il s'agit bien de fournir aux employeurs des salariés jeunes et dociles, bien formatés à la vie en entreprise, qui seront déjà rentables dès quinze ans, mais qui permettront à l'employeur de bénéficier d'un crédit d'impôt.
C'est, en effet, le crédit d'impôt à taux plein, c'est-à-dire de 1 600 euros, mais qui peut s'élever jusqu'à 2 200 euros - il y a là une sorte de piège, car l'amendement de M. Dassault peut se justifier, puisqu'il n'y a pas de raison de ne pas aider des jeunes en difficulté ; en revanche, la logique de base est, elle, tout à fait contestable - que vous proposez d'octroyer aux employeurs de jeunes sous contrat de travail dès quinze ans.
Vous faites la promotion, avec l'argent des contribuables, d'une mesure allant dans le sens du moins-disant scolaire.
Nous sommes totalement opposés à cette disposition, et nous demandons un scrutin public.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 342 rectifié.
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe CRC et, l'autre, du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 98 :
Nombre de votants | 295 |
Nombre de suffrages exprimés | 294 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 148 |
Pour l'adoption | 167 |
Contre | 127 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, les amendements identiques nos 135 et 616, qui tendaient à la suppression de l'article, ainsi que l'amendement n° 188, qui visait à le rédiger différemment, n'ont plus d'objet.
L'amendement n° 281, présenté par M. Dallier, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
A. - Compléter le texte proposé par le 1° du I de cet article pour compléter le I de l'article 244 quater G du code général des impôts par un alinéa ainsi rédigé :
« Le nombre moyen annuel d'apprentis s'apprécie en fonction du nombre d'apprentis dont le contrat avec l'entreprise a été conclu depuis au moins un mois. »
B. - En conséquence, rédiger ainsi le 1° du I de cet article :
1° Le I est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
La parole est à M. Philippe Dallier, rapporteur pour avis.
M. Philippe Dallier, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Cet amendement vise à revenir sur la suppression de tout délai minimal de présence d'un apprenti dans l'entreprise afin que cette dernière puisse bénéficier du crédit d'impôt prévu par le dispositif gouvernemental.
En juillet 2005, ce délai a déjà été ramené de six mois à un mois, ce qui pouvait se justifier, puisque, d'une part, il était relativement injuste que l'entreprise perde le bénéfice du crédit d'impôt si elle n'était pas à l'origine de la rupture du contrat, et que, d'autre part, l'année civile ne cadre pas forcément avec la période d'entrée en apprentissage du jeune.
Il est prévu, dans le projet de loi, de le supprimer complètement, et, même si un dispositif de proratisation est mis en place, même si nous comprenons que le fait que les entreprises jouent le jeu est essentiel pour la réussite de ce dispositif de l'apprentissage junior, nous aimerions obtenir des précisions sur la suppression de ce délai minimal.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Gournac, rapporteur. La disposition visée par cet amendement permet l'octroi d'un crédit d'impôt de 2 000 euros par apprenti engagé sous le régime de l'apprentissage junior.
Une ancienneté de trois mois pour ouvrir le bénéfice du crédit a pu être évoquée dans des discussions antérieures, mais elle n'a pas été retenue. L'idée était d'éviter un effet d'aubaine. Or, il n'y a pas d'effet d'aubaine, dans la mesure où le crédit d'impôt est proratisé en fonction de la durée de présence sur l'année.
Par ailleurs, cette ancienneté de trois mois aurait signifié que les apprentis recrutés en novembre et en décembre ne font pas bénéficier leur employeur du crédit d'impôt. Or, novembre et décembre sont, après septembre et octobre, les mois au cours desquels les entrées en apprentissage sont les plus importantes.
Cependant, nous comprenions l'intention.
En revanche, la commission n'a pas saisi quel avantage pouvait apporter l'instauration d'un délai de un mois, et souhaite entendre l'avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Borloo, ministre. Nous sommes pris entre la volonté d'éviter les effets d'aubaine - trois mois ou un mois - et la volonté de simplifier le dispositif, de donner un signal très fort, sachant que cela joue essentiellement sur l'année civile et pour les recrutements du mois de décembre.
L'idée était d'inciter le maximum de jeunes à entrer en apprentissage, sachant que, quoi qu'il arrive, le crédit d'impôt est proratisé, mensuellement et non hebdomadairement.
Nous sommes donc plutôt favorables à une libération maximale de l'entrée en apprentissage. Si, toutefois, vous souhaitez mettre en place ce goulet d'étranglement, ou, tout du moins, ce régulateur de un mois, soit ! Le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat. L'état d'esprit qui est le sien est vraiment d'apporter le maximum d'aide.
M. le président. Quel est, à présent, l'avis de la commission ?
M. Alain Gournac, rapporteur. Elle a été convaincue par M. le ministre, puisqu'il vient d'affirmer que le but du Gouvernement était bien de tout faire pour favoriser l'entrée des jeunes dans l'apprentissage.
La commission s'en remet, elle aussi, à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. L'amendement n° 136, présenté par M. Godefroy, Mmes Le Texier, Printz, Demontès, Alquier, San Vicente et Schillinger, MM. Cazeau, Madec, Bel, Assouline et Bodin, Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Cerisier-ben Guiga, MM. Desessard et C. Gautier, Mme Khiari, MM. Lagauche, Mélenchon, Peyronnet, Repentin, Ries, Sueur et Frimat, Mmes Tasca, Voynet et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Supprimer le 3° du I de cet article.
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Nous sommes également tout à fait opposés à la disposition tendant à faire bénéficier d'un crédit d'impôt un employeur qui accueillera un enfant de quatorze ans en stage d'initiation aux métiers, pour reprendre votre terminologie.
L'initiation aux métiers n'est d'ailleurs pas l'initiation à la vie en entreprise, et cela traduit bien votre volonté de faire exercer un métier à des enfants de quatorze ans. Sinon, comme nous l'avons dit la semaine dernière, pourquoi auriez-vous prévu d'accorder à ce jeune une gratification pouvant atteindre 50 euros ?
Il faudra bien que ce jeune fournisse une prestation quelconque, qu'il rapporte de l'argent pour « mériter » cette somme : 50 euros pour l'enfant, 100 euros pour le patron, chaque semaine pendant 26 semaines, c'est l'équivalent d'un travail à mi-temps sur l'année. Nous sommes vraiment très loin de l'initiation aux métiers !
Et puisqu'il ne peut pas exister d'exonération de cotisations sociales patronales sur une somme d'argent qui représente une gratification et non un salaire, vous inventez un crédit d'impôt de 100 euros, soit le double du montant versé à l'enfant. Vous doublez la mise pour le patron, en quelque sorte !
Même si vous nous assurez qu'un plafonnement est prévu dans la loi afin d'éviter que l'employeur ne puisse bénéficier d'un crédit d'impôt supérieur à ce qu'il verse aux apprentis, ce qui reste à prouver dans le cas présent, cette disposition demeure inadmissible et nous demandons un scrutin public sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Gournac, rapporteur. Nous avons bien entendu l'argumentation développée par notre collègue M. Godefroy.
Cela dit, la commission ayant déjà approuvé la création d'un crédit d'impôt de 100 euros, dans un souci de cohérence, elle émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 136.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 99 :
Nombre de votants | 295 |
Nombre de suffrages exprimés | 294 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 148 |
Pour l'adoption | 127 |
Contre | 167 |
Le Sénat n'a pas adopté.
M. le président. Je mets aux voix l'article 3, modifié.
(L'article 3 est adopté.)
Division additionnelle avant l'article 3 bis
M. le président. L'amendement n° 16, présenté par M. Gournac, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :
Avant l'article 3 bis, insérer une division additionnelle ainsi rédigée :
Section 2
Emploi et formation
La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Gournac, rapporteur. J'avais déjà fait cette proposition, pour des raisons de meilleure lisibilité, au sujet de l'intitulé de la section 1 « Apprentissage ».
Je propose une mise en cohérence de l'intitulé de la section 2 avec son contenu. Ce n'est certes pas une révolution, mais cet amendement de clarification tend à mieux faire comprendre le positionnement de cette section.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, pour explication de vote.
M. Roland Muzeau. Je confirme à M. Gournac que cet amendement ne constitue pas une révolution !
Certes, ce changement d'intitulé est « sympathique », mais si on se reporte aux articles 1er, 2 et 3 bis du projet de loi, on constate que l'on est à des années-lumière de l'emploi et de la formation ! (Sourires sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. En conséquence, une division additionnelle ainsi rédigée est insérée dans le projet de loi, avant l'article 3 bis.
Je vous rappelle que nous avons déjà examiné l'article 3 bis, par priorité.
Article 3 ter
Sans préjudice des dispositions de l'article L. 211-1 du code du travail, les stages effectués en milieu professionnel qui ne relèvent pas de la formation professionnelle continue doivent obligatoirement faire l'objet d'une convention de stage. Les modalités de conclusion de cette convention ainsi que son contenu sont déterminés par décret.
M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, sur l'article.
M. Alain Gournac, rapporteur. Il parle beaucoup, M. Muzeau !
M. Roland Muzeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis quelques mois, nous avons vu émerger sur le devant de la scène une nouvelle sorte de travailleurs précaires : les stagiaires.
Jusqu'à présent, ils étaient ignorés, et il a fallu que le caractère dramatique de leur situation se généralise et se banalise pour que l'on commence à s'intéresser à eux.
Leur situation est une triste illustration de ce que produit la politique libérale du Gouvernement en matière d'emploi.
La concurrence acharnée qui fait rage sur le marché du travail conduit souvent les jeunes à accepter n'importe quel type de contrat afin d'entrer dans les entreprises. Dans l'espoir d'y être intégrés un jour, ils acceptent de travailler de longs mois, la plupart du temps sans aucune compensation financière et, surtout, sans aucune garantie en termes de droits et de protection.
Les stagiaires ne sont jamais considérés comme des salariés. Leur protection sociale relève de l'université. Ils n'ont pas de contrat de travail. En conséquence, ils ne bénéficient ni d'un salaire, ni d'une inscription dans le registre du personnel, ni d'une visite médicale et, cela va de soi, ils ne se voient pas appliquer les conventions et les accords collectifs de l'entreprise.
Le recours au stage crée de véritables situations de « non-droit », puisque rien de contractuel ne lie le jeune stagiaire à l'entreprise.
Le Conseil économique et social estime à 800 000 chaque année le nombre de stagiaires, ce qui signifie qu'un étudiant sur deux réalise un stage au cours de sa formation.
On constate, ces dernières années, un allongement de la durée des stages. Quant aux écoles de commerce ou d'ingénieurs, elles commencent à généraliser les stages d'une année.
Il est fréquent aujourd'hui que les stagiaires occupent de véritables emplois, dépourvus de toute dimension pédagogique. Confrontés à un fort taux de chômage - près de 25 % des jeunes actifs sont touchés par ce fléau -, les stagiaires préfèrent travailler gratuitement plutôt que de renoncer à leur insertion professionnelle.
De ce fait, ils ne participent pas au financement de la protection sociale puisqu'ils ne cotisent ni pour la retraite ni pour l'assurance chômage. Ils ne bénéficient ni des congés ni de la RTT. Ils n'ont pas le droit de saisir les conseils de prud'hommes ou de se syndiquer.
Enfin, un arrêté du 20 décembre 1996 permet d'exonérer de cotisations sociales les entreprises qui versent à leurs stagiaires effectuant un stage obligatoire conventionné une gratification dont le montant est inférieur à 30 % du SMIC. Cette disposition a donc créé un effet de seuil très important, et il est rare que les entreprises rémunèrent leurs stagiaires au-delà de ce montant.
Il était effectivement devenu urgent de légiférer dans le domaine des stages, et il est vrai que ce n'était pas aisé. Mais en procédant ainsi que vous le faites, vous allez une fois encore à l'encontre des revendications des stagiaires, ces jeunes qui mettent un masque sur leur visage lors des manifestations afin de ne pas avoir de problèmes dans les entreprises où ils sont en poste.
Nous sommes particulièrement méfiants face au risque de création, par le truchement des stages, de véritables « sous-SMIC » ou « SMIC jeunes », destinés à des étudiants en mal d'intégration professionnelle. Et nous resterons vigilants sur le respect de leurs droits et le maintien d'un statut de stagiaire de qualité.
De fausses bonnes solutions pourraient également voir le jour, comme l'intégration de ce statut dans le code du travail, qui permettrait la création automatique d'un nouveau contrat et même d'un sous-contrat, du fait des éléments que j'ai indiqués précédemment.
S'agissant de cet article 3 ter, en particulier, si nous nous accordons sur la nécessité de rendre obligatoires les conventions de stage, l'absence d'un contenu législatif plus précis et contraignant pour les entreprises nous conduira à rester méfiants, voire inquiets, trop habitués que nous sommes aux pratiques habituelles du Gouvernement pour régler ce type de problèmes.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, sur l'article.
M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en France, depuis une dizaine d'années, le phénomène des stages s'est généralisé.
Désormais, presque toutes les universités, les écoles d'ingénieurs, les écoles de commerce, les BTS et autres prévoient, à partir de la seconde année d'études, des stages obligatoires dans des entreprises, des administrations, des organisations internationales ou des organisations non gouvernementales.
Les stages présentent le très grand avantage de permettre aux étudiants de se familiariser avec la vie professionnelle, ainsi qu'avec le travail en équipe et en entreprise. Ils sont également indispensables lorsque des composantes de certains cursus ne peuvent être acquises que dans les conditions du travail pratique.
Je me réjouis de constater que les stages prennent une place de plus en plus importante dans la formation universitaire des jeunes citoyens. C'est une excellente chose car, dans les années soixante-dix, les jeunes de ma génération arrivaient sur le marché du travail à 23 ou 24 ans, ...
M. Jean Desessard. Même avant !
M. Richard Yung. ... après leurs années d'études supérieures, sans la moindre connaissance pratique de la vie professionnelle, sauf pour ceux d'entre nous qui avaient travaillé en entreprise pendant l'été, par intérêt plus que par obligation universitaire, d'ailleurs.
Or toutes les connaissances ne s'acquièrent pas en lisant des manuels.
Le revers de la médaille, c'est que, dans un nombre croissant de cas, les stagiaires sont progressivement devenus une main-d'oeuvre supplétive. Nombreux sont ceux qui doivent exécuter des tâches de conception ou de production, ou qui sont même conduits à remplacer, partiellement voire totalement, un salarié !
M. Roland Courteau. C'est exact !
M. Richard Yung. Les stages sont par ailleurs souvent insuffisamment encadrés, l'établissement universitaire se satisfaisant dans de nombreux cas, et je ne l'en blâme qu'à moitié eu égard à la difficulté de trouver des places de stagiaire, d'avoir trouvé une entreprise ou une administration qui accepte un de ses étudiants.
Souvent, l'objet pédagogique du stage reste vague et général, la convention de stage est vide de sens, les directeurs de stage font défaut et le fameux rapport de fin de stage n'est lu par personne !
Cette situation devient malheureusement la règle dans beaucoup d'entreprises, mais aussi dans les administrations, et, au cours de mes visites, j'ai pu constater qu'il n'était pas rare que des ambassades et des consulats fonctionnent presque uniquement avec des stagiaires ou tout au moins en comptent cinq, six, sept ou huit ! Et je ne parle pas des organisations internationales puisqu'elles ne relèvent pas du droit français.
Force est malheureusement de reconnaître que c'est souvent dans le secteur public que le plus d'abus sont commis : l'État donne un mauvais exemple en la matière.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Richard Yung. On l'a dit, la plupart des stages ne sont pas indemnisés. Les frais de voyage ou de résidence, quand le stage se déroule dans une autre ville que celle où réside habituellement l'étudiant, ne sont pas pris en charge. Quant à l'assurance ou à la couverture sociale, elles sont entièrement à la charge des jeunes stagiaires.
Cette pratique, qui participe du « dumping social », contrevient au principe républicain d'égalité, car elle est favorable aux rares jeunes qui disposent eux-mêmes de revenus et, cas plus fréquent, à ceux qui bénéficient d'une aide familiale, situation qu'évidemment nous ne leur reprochons pas mais qui n'en est pas moins source d'inégalité par rapport aux autres.
Cette situation est également contraire au droit international puisque l'article 23 de la Déclaration universelle des droits de l'homme dispose que « quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu'à sa famille une existence conforme à la dignité humaine ».
Que tous les stages, y compris ceux qui sont effectués dans les postes diplomatiques et consulaires à l'étranger, soient indemnisés - je ne dis pas « rémunérés » - lorsque leur durée est supérieure à un mois et inférieure à six mois ou éventuellement renouvelable permettra d'améliorer l'insertion socioprofessionnelle des jeunes stagiaires, et cette indemnisation devra obligatoirement inclure le remboursement des frais supportés par les stagiaires : transport, logement, etc.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous ne sommes pas favorables à ce que le code du travail soit appliqué et nous nous efforcerons d'améliorer le texte proposé en ce qui concerne les conditions tant juridiques que financières des stages. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laffitte, sur l'article.
M. Pierre Laffitte. Lors de l'examen du présent projet de loi par la commission des affaires culturelles, saisie pour avis, M. Jean-Léonce Dupont et moi-même avons insisté sur la nécessité d'améliorer les conditions juridiques et financières des stages effectués par les étudiants.
Dans les écoles d'ingénieurs, les stages en entreprise sont régulièrement pratiqués depuis plus de cinquante ans et je me réjouis de ce que de plus en plus d'universitaires fassent désormais des stages. Il est en effet fondamental que les étudiants connaissent les conditions de travail et les problèmes des entreprises, et il n'y a pas d'autre solution que d'aller les découvrir sur place. D'ailleurs, les sénateurs vont eux aussi en entreprise. (Sourires.)
Ce passage quasi incontournable facilite l'insertion professionnelle. Il est l'aboutissement d'une formation et d'un projet professionnel, et il permet aux étudiants de confronter ce qu'ils savent avec ce qu'ils ne savaient pas et ne pouvaient savoir autrement.
Désormais, 75 % des étudiants effectuent au moins un stage pendant leur formation et 30 % d'entre eux obtiennent un emploi à la fin de leur stage.
Je veux tout de même souligner ici que la plupart des entreprises jouent le jeu - plutôt mieux, cela vient d'être dit, que les services de l'État - et que cela représente pour elles une charge non négligeable. Je le sais d'autant mieux que plusieurs centaines d'étudiants m'envoient des demandes de stage et que, chaque année, je suis amené à rechercher auprès de toutes les entreprises des stages qui correspondent à leurs capacités, ce qui n'est pas toujours commode, mais il faut insister. Il ne faudrait donc pas considérer que, pour les entreprises, les stages constituent simplement un avantage, car, quand elles veulent faire leur travail, et elles veulent le faire, les stages représentent une charge.
Il n'en reste pas moins que l'adoption de dispositions légales était une nécessité.
Nous nous réjouissons notamment que les stages d'une durée supérieure à trois mois doivent désormais être rémunérés, comme le prévoit l'actuel article 3 quater, article dont la commission demande, à juste titre, le regroupement avec l'article 3 ter.
Cette disposition devrait permettre de conforter la pratique des stages tout en évitant les abus éventuels dont elle a éventuellement pu faire l'objet de la part de telle ou telle entreprise, mais aussi et surtout de la part des acteurs publics.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Borloo, ministre. Il n'est pas contestable que les stages sont en eux-mêmes une bonne chose, puisqu'ils sont un moyen pour les étudiants de découvrir l'entreprise. D'ailleurs, le Conseil économique et social préconise leur développement. Certes, un encadrement est indispensable, mais la vraie difficulté, comme toujours, réside dans les abus.
Le texte qui vous est présenté et diverses mesures concrètes qui le complètent, puisque tout ne relève pas de la loi, ont pour vocation de soutenir ce dispositif, de l'encadrer en même temps que d'éviter les abus, qui ont d'ailleurs été relevés par la Cour de cassation dans des arrêts récents dans des cas où il s'agissait manifestement de ce que certains d'entre vous ont appelé des « emplois supplétifs ».
Le texte prévoit ainsi des indemnisations pour les stages d'une durée supérieure à trois mois, qu'il appartiendra aux conventions collectives ou aux accords d'entreprise de fixer.
Il prévoit en outre que les stages doivent absolument faire l'objet d'une convention pour acter l'engagement des parties et sécuriser le dispositif.
Le Premier ministre a rappelé en janvier le principe d'une franchise de 360 euros par mois afin d'inciter les entreprises à mieux indemniser les stagiaires, notamment au-delà du seuil de 30 % du SMIC. Les débats que nous allons avoir dans cette enceinte nous permettront certainement d'avancer sur ce sujet.
Parallèlement, à la demande du Premier ministre, sous le pilotage de « l'excellentissime » Gérard Larcher, de Gilles de Robien et de François Goulard, une charte nationale des bonnes pratiques sur l'accueil des stagiaires en entreprise va être mise en place.
Cette charte énoncera les engagements respectifs des entreprises, des établissements éducatifs et de l'État. Elle permettra notamment de définir une convention de stage type, qui sera opposable et qui pourra être déclinée par branche professionnelle.
Nous avons déjà procédé à une première série de consultations sur ce point.
Un groupe de travail associant l'ensemble des parties prenantes vient d'être mis en place. Il est chargé d'élaborer pour la fin du mois de mars un projet de charte.
Une première réunion technique s'est tenue lundi 27 février avec des représentants de l'inspection générale des affaires sociales et de l'inspection générale de l'éducation nationale.
Une deuxième réunion est prévue le 3 mars, réunion pilotée par Gérard Larcher à laquelle seront associés l'ensemble des représentants des partenaires sociaux, des établissements d'enseignement supérieur, des syndicats d'étudiants et de l'association Génération précaire.
Les stages longs seront reconnus comme un élément à part entière du cursus universitaire. Gilles de Robien a engagé une démarche en ce sens, en particulier dans le schéma national d'orientation et d'insertion professionnelle.
Enfin, les stages devront être mieux pris en compte dans l'ancienneté professionnelle : le Premier ministre a demandé aux branches d'engager rapidement des négociations à cette fin.
J'ai la conviction que c'est sur la base de tels engagements tangibles que nous pourrons favoriser le développement des stages en entreprise tout en prévenant tout usage abusif.
M. le président. L'amendement n° 678, présenté par MM. Muzeau, Fischer et Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit cet article :
I. - Sans préjudice des dispositions de l'article L. 211-1 du code du travail, les stages effectués en milieu professionnel qui ne relèvent pas de la formation professionnelle continue doivent obligatoirement faire l'objet d'une convention. La convention de stage, signée par l'employeur, le futur stagiaire et l'établissement scolaire ou universitaire, comporte un terme fixé avec précision dès sa signature. Cette durée ne peut être supérieure à trois mois sur l'année scolaire de référence sauf pour les formations de certaines professions spécifiques déterminées par décret.
II. - La convention de stage ne peut être conclue dans les cas suivants :
1° Remplacement d'un salarié en cas d'absence, de suspension de son contrat de travail ou de licenciement ;
2° Exécution d'une tâche régulière de l'entreprise correspondant à un poste de travail ;
3° Emploi à caractère saisonnier ou accroissement temporaire d'activité de l'entreprise.
III. - Toute convention de stage conclue en méconnaissance des dispositions visées au II est réputée relever du contrat de travail ;
Lorsqu'un conseil de prud'hommes est saisi d'une demande de requalification du stage en contrat de travail, l'affaire est portée directement devant le bureau de jugement qui doit statuer au fond dans le délai d'un mois suivant sa saisine. La décision du conseil de prud'hommes est exécutoire de droit à titre provisoire. Si le tribunal fait droit à la demande du stagiaire et requalifie le stage, il doit, en sus, lui accorder, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire.
IV. - La convention de stage ne peut être renouvelée qu'une fois pour le même stagiaire dans la même entreprise. Les conditions de renouvellement sont stipulées dans la convention ou font l'objet d'un avenant à la convention soumise au stagiaire et à l'établissement d'enseignement avant le terme initialement prévu.
V. - L'employeur est tenu d'adresser une déclaration préalable à l'inspection du travail qui dispose d'un délai de 8 jours pour s'y opposer dans des conditions définies par décret.
Cette déclaration, à laquelle est joint un exemplaire de la convention de stage, comporte la durée du travail et de la formation, le nom et la qualification du tuteur, les documents attestant que l'employeur est à jour du versement de ses cotisations et contributions sociales.
VI. Lorsque la constatation de la validité de la convention devant un tribunal donne lieu à une requalification en contrat de travail, et qu'il est démontré que le contrôle du suivi pédagogique n'a pas été effectif, le représentant de l'établissement d'enseignement, signataire de la convention de stage, est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30.000 euros d'amende au titre de la sanction pour marchandage.
La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. L'intervention que M. le ministre vient de faire préalablement à l'examen des amendements déposés sur l'article 3 ter démontre la réalité des pratiques abusives qui se sont installées.
Je connais ainsi le cas d'une jeune femme à bac + 8, stagiaire à 700 euros par mois, qui s'est vu conseiller par le DRH de préparer un mastère en management, préparation dont le coût s'élève, à l'école de management de Lyon, à 15 000 euros ! Bien entendu, ce n'est pas pour autant que cette jeune femme, qui a réussi brillamment, a pu être embauchée par un laboratoire très célèbre de Lyon.
Notre amendement vise à lutter contre le recours abusif aux conventions de stage comme substituts à des contrats de travail et à revaloriser le statut de stagiaire.
Nous nous réjouissons que M. le ministre apporte finalement aux manifestants une première réponse, car nous voulons prendre comme telle la réunion qui s'est tenue. Pour autant, nous resterons très attentifs, car, parmi les nombreuses formes atypiques d'emploi, apparaît aujourd'hui une nouvelle version : le stage.
Détourné de son objectif pédagogique, le stage et la convention qui en détermine le cadre sont devenus un mode d'embauche ordinaire, mais néanmoins abusif, pour des employeurs qui veulent profiter, bien souvent à peu de frais, de qualités professionnelles puisées dans le vivier d'un monde universitaire où la durée des études s'est accrue.
Dans un contexte de chômage massif frappant particulièrement les jeunes, les dirigeants d'entreprise utilisent le stage pour exercer un chantage dans l'accès à l'emploi et pour bénéficier d'une main-d'oeuvre bon marché, privée des garanties sociales attachées à un contrat de travail.
Nombreux sont aujourd'hui les jeunes recrutés par le biais d'un stage, parfois même sans convention, alors que, de par leur durée et leur qualité, les missions qui leur sont confiées relèvent du contrat de travail.
Les abus sont manifestes, tant dans le secteur privé que dans la fonction publique.
Comme le fait observer le collectif Génération précaire, cette multiplication des stages, en lien avec l'allongement des études, a fourni aux entreprises, administrations et associations un moyen d'éviter ou de retarder certaines embauches. C'est ainsi que des milliers de jeunes sont astreints à la précarité, sans assurance sur leur avenir professionnel et personnel, les charges reposant d'ailleurs parfois sur les familles.
L'objectif pédagogique relève en ce cas du prétexte et la convention avec les représentants de l'établissement d'enseignement et les responsables du monde professionnel, quand elle existe, ne sert que de caution.
Les stagiaires ne sont alors que des salariés déguisés, auxquels est dénié le droit au salaire, aux acquis conventionnels et aux protections sociales. Par ce procédé, les stages ne constituent plus un « tremplin pour l'emploi », mais deviennent « une forme d'emploi ».
Il faut lutter résolument contre cette dérive qui consiste à substituer aux contrats de travail des conventions de stage. Cela suppose de mieux définir l'objet et les conditions de validité des conventions pour réaffirmer le lien pédagogique entre les parties : l'employeur, l'établissement d'enseignement et l'étudiant. En luttant contre les abus, non seulement on préserve le statut émancipateur du salariat, mais on redéfinit le rôle complémentaire de la formation pratique vis-à-vis de la formation théorique.
Il est indispensable d'apporter des garde-fous légaux pour que ces périodes de découverte de l'entreprise et du monde du travail ne soient pas détournées de leur objectif pédagogique.
Le Conseil économique et social chiffre à 800 000 le nombre de stagiaires chaque année : 90 % des diplômés de niveau bac +4 et plus ont effectué au moins un stage au cours de leurs études supérieures, la moitié en ayant effectué trois ou plus.
La confusion entretenue entre contrat de travail et convention de stage permet la multiplication des statuts ambigus. Il apparaît dés lors nécessaire que le régime juridique soit adapté à cette évolution et remédie aux manquements les plus pénalisants pour la jeunesse.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Gournac, rapporteur. La commission a elle-même déposé un amendement qui réécrit l'article Dans ces conditions, en ma qualité de rapporteur, il m'est difficile de me prononcer favorablement sur la proposition du groupe CRC.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Borloo, ministre. Je vois bien la ligne suivie par l'amendement n° 678, mais j'aurai quelques remarques à formuler.
Premièrement, le principe de l'obligation de la convention a été adopté par l'Assemblée nationale et j'espère qu'il sera confirmé ici.
Deuxièmement, s'agissant du contenu de la convention, la méthodologie de la charte qui sera opposable par les différents établissements éducatifs est en train d'être constituée.
Troisièmement, il n'apparaît pas que ce soit par un amendement que l'on puisse prévoir les sanctions, notamment pénales, à l'égard des équipes pédagogiques dès lors que surviendrait une difficulté particulière. La convention et la jurisprudence de la Cour de cassation, parfaitement claire en matière de requalification, nous paraissent objectivement suffisantes. Je crains même que cet amendement ne soit extrêmement dissuasif pour les organisateurs de stages.
Pour toutes ces raisons, l'avis du Gouvernement est défavorable.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. Nous nous retrouvons sur nombre des points qui ont été développés par nos collègues du groupe CRC s'agissant des conditions du contrat, de la distinction entre la convention de stage et le contrat de travail.
Cependant, nous avons une difficulté : elle concerne l'indication de la durée, qui est limitée à trois mois. C'est un point sur lequel nous allons revenir au cours de la discussion et que nous n'approuvons pas. Pour ces raisons, nous nous abstiendrons sur cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Plus qu'une explication de vote, c'est une remarque que je ferai.
Monsieur le ministre, vous demandez au Parlement de voter des textes dont l'applicabilité n'est pas évidente pour l'instant. L'exemple cité tout à l'heure du retour des enfants qui sont en préapprentissage dans un cursus scolaire normal est, à cet égard, édifiant.
A ce propos, « l'excellentissime » ministre que vous avez cité nous a dit avoir créé un groupe de travail. Vous allez faire de même.
Il serait important, pour les parlementaires que nous sommes, mal informés de la mise en pratique des lois que nous devons voter, d'avoir une information sur le travail de ces groupes, afin que nous sachions si la loi que nous votons a une quelconque réalité d'application.
M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard, pour explication de vote.
M. Patrice Gélard. Se pose un problème général dont il faut être conscient. De plus en plus de formations supérieures exigent des stages. Ils sont obligatoires dans les BTS, dans les IUT, dans la plupart des mastères, dans toutes les licences professionnelles. On peut dire que, à terme, ce sont 90 % des étudiants, quelle que soit leur discipline, qui devront faire un stage.
Dès lors, des difficultés surgissent, d'abord parce qu'il est parfois très difficile de trouver des stages, ensuite parce que l'accueil des stagiaires désorganise un certain nombre de services et entraîne des difficultés de fonctionnement dans les entreprises comme, d'ailleurs, dans les administrations.
Il y a un autre élément dont nous devons être également conscients : un certain nombre de formations exigent des stages à l'étranger.
M. Robert Del Picchia. Non rémunérés !
M. Patrice Gélard. En effet, ces stages à l'étranger ne sont pas rémunérés.
Donc, la disposition selon laquelle, au-delà de trois mois, une gratification doit être versée pose problème, d'autant plus qu'un grand nombre de formations exigent des stages supérieurs à trois mois. La durée des stages, en moyenne, est effectivement de trois mois dans les IUT et les BTS, mais, plus on avance, plus elle est longue.
Dans une certaine mesure, l'enseignement en alternance, qui a tendance à se généraliser, est constitué pour moitié de stages et pour moitié d'éducation. Dès lors, le stage dure six mois.
Une certaine souplesse en la matière est donc nécessaire ; à défaut, on ne trouvera pas d'entreprise pour accueillir des stagiaires. Cela peut se concevoir - M. le rapporteur l'a suggéré tout à l'heure - dans le cadre de conventions discutées entre les entreprises et les universités ou les établissements d'enseignement. Il s'agit d'un problème capital, car les stages vont se multiplier alors que la part de l'enseignement traditionnel aura tendance à diminuer quelque peu.
Je voudrais, enfin, corriger ce qu'a dit tout à l'heure M. Muzeau : le stage n'est pas une autre forme de contrat précaire ou intérimaire. C'est, au contraire, l'un des meilleurs moyens de trouver à l'heure actuelle la clé de l'embauche.
J'en parle en connaissance de cause. J'appartenais à une université où les stages étaient obligatoires pour tous. Si nous n'avions pas de chômeurs à la sortie, nos diplômes en poche, c'était bien grâce à ces stages obligatoires. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant suspendre nos travaux. En effet, la conférence des présidents doit se réunir à dix-neuf heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante-cinq, est reprise à vingt et une heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.