PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers
 

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Dossier législatif : projet de loi d'orientation agricole
Discussion générale (suite)

Loi d'orientation agricole

Adoption définitive des conclusions du rapport d'une commission mixe paritaire

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi d'orientation agricole
article 1er

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi d'orientation agricole (n° 122).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

M. Gérard César, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous parvenons aujourd'hui au terme du processus qui devrait déboucher, dans quelques minutes, sur l'adoption définitive de ce très important projet de loi d'orientation agricole.

Ainsi que vous le savez, les attentes sont très fortes à ce sujet, la dernière loi d'orientation agricole ayant été adoptée en 1999.

Le présent texte s'inscrit dans la continuité de la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux, dont M. le président de la commission des affaires économiques fut le rapporteur. Il fixe des orientations claires pour notre agriculture, à l'heure où l'actualité internationale et communautaire est particulièrement dense sur le sujet, qu'il s'agisse de la fin de la sixième conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, à Hong Kong, ou de l'accord européen sur les perspectives budgétaires pour la période 2007-2013.

Dans un contexte mondial marqué par l'incertitude, le présent projet de loi fixe des perspectives de moyen et de long terme ambitieuses pour nos agriculteurs, qui ont aujourd'hui besoin de repères stables et d'un engagement politique fort pour continuer à exercer leur métier.

À cet égard, je me réjouis tout d'abord que le présent texte soit finalement adopté et promulgué avant la fin de l'année, soit environ un an après le début du grand débat national qui l'aura précédé !

Il s'agissait d'une demande insistante du président de notre commission des affaires économiques, M. Jean-Paul Émorine. Je me réjouis, monsieur le ministre, que vous ayez donné suite rapidement à ce projet.

Le 1er janvier 2006 sera marqué par l'entrée en vigueur dans notre droit de l'intégralité de la PAC réformée. Il importait, pour des raisons tant techniques que politiques, que la loi d'orientation agricole puisse entrer en application au même moment.

Je souhaiterais par ailleurs me féliciter du travail très important fourni par le Parlement sur le présent projet de loi. Notre assemblée, en ce qui la concerne plus spécifiquement, l'a examiné durant six jours - et permettez-moi d'ajouter, monsieur le ministre, pendant six nuits - et 763 amendements ont été déposés. Le débat démocratique a bien eu lieu et a été d'un très bon niveau, ainsi que cela a été reconnu sur toutes les travées de cet hémicycle. La chaleur qui a pu animer les échanges sur certains thèmes particulièrement sensibles témoigne d'ailleurs de l'important investissement personnel qui l'a accompagné.

Je souligne également la qualité du dialogue avec l'Assemblée nationale. C'est dans un esprit de concertation et de respect mutuel - ce qui n'empêche en rien les débats, bien au contraire - que nos deux assemblées se sont efforcées d'enrichir le texte qui leur était initialement soumis, afin de parvenir à un accord.

De ce point de vue, je salue tout particulièrement mon homologue de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, M. Antoine Herth, qui a fourni un excellent travail.

Je rappelle que le projet de loi comptait 35 articles lors de son dépôt par le Gouvernement, puis 85 à l'issue de la discussion à l'Assemblée nationale et, enfin, 115 après son examen par le Sénat.

Je salue également le remarquable travail effectué par le rapporteur pour avis de la commission des finances, M. Joël Bourdin, sur les volets du texte dont il était saisi.

Je souhaite aussi rendre hommage à notre président de commission, M. Jean-Paul Emorine, qui a éclairé nos travaux tout au long des dernières semaines et qui aura été à l'origine de l'important article étendant progressivement le mécanisme de l'assurance récolte. Sa contribution sur le sujet a été décisive.

Enfin, je tenais à vous remercier personnellement, monsieur le ministre, de l'écoute et de la connaissance du monde agricole dont vous avez fait preuve tout au long de la discussion du projet de loi d'orientation, ainsi que des échanges utiles et constructifs que j'ai eus avec l'ensemble de vos collaborateurs et de vos services.

La commission mixte paritaire s'est réunie le 8 décembre pour examiner les 105 articles qui restaient en discussion. Elle a adopté plus d'une centaine d'amendements. Si certains étaient rédactionnels ou portaient sur des mesures de coordination et de précision, trente-cinq d'entre eux concernaient le fond du texte.

A l'article 2, la commission mixte paritaire est revenue à la rédaction de l'Assemblée nationale concernant la définition de l'indemnité d'éviction due par le bailleur au preneur.

A l'article 5 bis, elle a rétabli un dispositif précisant les conditions de recours contre certaines installations d'élevage classées.

A l'article 6, elle a ramené à 2010 la date limite d'application du dispositif de « crédit transmission » pour l'installation.

A l'article 6 quater, la commission mixte paritaire a rétabli la possibilité de déroger à la règle de la réciprocité en matière de distance d'éloignement entre les installations agricoles et les bâtiments d'habitation. C'est un sujet que nous connaissons bien : le Sénat avait rejeté cette proposition faite par les députés. Nous avions en effet estimé que cette disposition était de nature à créer et à alimenter de nombreux contentieux et risquait, en définitive, de se retourner contre l'agriculture et les agriculteurs. J'ajoute qu'elle aurait également pu être source de problèmes avec nos futurs voisins ! Vous l'aurez compris, je n'ai pas changé de point de vue sur cette question.

A l'article 9 ter, la commission mixte paritaire a décidé d'étendre aux entrepreneurs de travaux agricoles, ruraux et forestiers, les ETARF, les réductions de charges sociales pour l'emploi de travailleurs occasionnels, revenant ainsi sur l'amendement que le Sénat avait adopté sur proposition du Gouvernement.

Elle a supprimé les articles 10 nonies et 10 decies, qui modifiaient la mission des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural, les SAFER, en matière d'aide à l'installation.

S'agissant de l'article 11 bis et du problème très polémique des sacs en plastique, la commission mixte paritaire a confirmé sur le fond la position du Sénat et interdit les seuls sacs de caisse à usage unique à compter du 1er janvier 2010. En outre, elle a souhaité ouvrir des possibilités pour l'avenir en adoptant, sur l'initiative du président de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, Patrick Ollier, un amendement renvoyant à un décret le soin de déterminer les usages du plastique pour lesquels l'incorporation progressive dans celui-ci de matières d'origine végétale est rendue obligatoire.

La commission mixte paritaire a élargi le champ de l'article 12 sur l'autoconsommation des huiles végétales pures et étendu son bénéfice à l'avitaillement des navires de pêche, ce dont on ne peut que se féliciter.

En ce qui concerne les organisations de producteurs visées à l'article 14, elle a également souhaité maintenir la possibilité pour les comités économiques agricoles de créer des fonds de mutualisation.

Avec notre accord, elle a supprimé l'article 20 bis, introduit par le Sénat, qui ouvrait la possibilité pour les exploitants agricoles de provisionner les cotisations sociales.

Pour ce qui est de l'évaluation et de la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques prévues par l'article 21, elle a encadré le dispositif de façon à ce qu'il respecte les réglementations nationale et communautaire.

Sur le point très débattu de l'apposition de la dénomination « montagne » sur un produit AOC, autorisée par l'article 22 bis, la commission mixte paritaire a retenu une version de compromis maintenant l'interdiction de la superposition, excepté dans le cas où la zone d'AOC serait entièrement située en zone de montagne. Cette solution devrait permettre d'éviter la segmentation des produits, contre laquelle nous nous étions prononcés de façon presque unanime.

Toujours en ce qui concerne les signes de qualité, la commission mixte paritaire a retiré les certifications de conformité produit, les CCP, de la catégorie des signes d'identification de la qualité et de l'origine et en a fait une catégorie à part entière.

Enfin, sur l'initiative des deux rapporteurs, elle a inséré un nouvel article 25 septies A visant à mettre en place un régime de sanctions pénales à l'appui des règles encadrant la pêche maritime.

En conclusion, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai la conviction que ce projet de loi est un texte équilibré, qui devrait satisfaire les attentes du monde agricole en lui fixant des perspectives claires et prometteuses pour l'avenir.

Je vous propose donc d'adopter les conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, de retour d'une nuit bruxelloise consacrée au poisson, je suis heureux d'être devant le Sénat ce matin pour l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi d'orientation agricole.

Je vous remercie de votre investissement tout au long de l'élaboration de ce texte. Je salue tout particulièrement l'implication personnelle très forte de M. le rapporteur, Gérard César, dont l'engagement et la compétence ont contribué à la tenue du débat.

M. Gérard César, rapporteur. Merci, monsieur le ministre.

M. Dominique Bussereau, ministre. Ce compliment s'adresse également à son complice, M. le président de la commission des affaires économiques et du Plan, Jean-Paul Emorine, dont l'autorité et la sagesse ont été plusieurs fois sollicitées et dont la contribution en matière d'assurance récolte a été importante.

Enfin, ces compliments s'adressent naturellement aux porte-parole de tous les groupes, ainsi qu'à l'ensemble des sénateurs, nombreux, qui se sont impliqués dans l'examen de ce projet de loi.

Si vous l'acceptez, nous nous retrouverons d'ailleurs de manière informelle et amicale au mois de janvier, lors de la rentrée parlementaire, pour évoquer ce texte dans des conditions agréables, autour de quelques produits charentais.

M. Gérard César, rapporteur. Et bordelais !

M. Jean-Paul Émorine, président de la commission des affaires économiques et du Plan. Et bourguignons ! (Sourires.)

M. Dominique Bussereau, ministre. Naturellement ! Mais les produits charentais couvrent assez bien le terroir...

Ce texte vous est soumis, vous l'aurez noté, à un moment important : les négociations à Hong Kong de l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, où la Haute Assemblée était représentée par plusieurs sénateurs connaissant bien ces sujets, viennent de s'achever. Celles-ci n'ont pas été faciles, car l'Europe était assez isolée entre les Brésiliens, le groupe de Cairns, les Américains, les pays du G20 et les pays du G90, mais elle s'en est finalement bien tiré.

À cet égard, l'accord de Bruxelles, sur l'initiative du Président de la République, a permis aux Européens de se ressouder in fine, à un moment où il était important pour eux de savoir ce qu'ils étaient prêts à accepter ou non. Et, comme je l'ai dit hier, les engagements que nous avons pris sont réciproques. Le cadre de la PAC a été respecté et les concessions partagées. Nous y demeurerons très attentifs.

Comme je l'ai dit tout à l'heure à vos collègues de l'Assemblée nationale, le commissaire Mandelson, que j'avais parfois un peu malmené, a bien défendu les intérêts européens, avec beaucoup de fermeté, alors que la situation n'était pas facile.

M. Charles Revet. L'exigence paie !

M. Dominique Bussereau, ministre. Parallèlement à la réunion de l'OMC, la réforme de la politique agricole commune, à laquelle 293 milliards d'euros seront consacrés, a été confortée par le Conseil européen.

Les objectifs du premier pilier et du deuxième pilier seront respectés. Les chiffres étant connus, nous savons désormais comment programmer notre développement rural. Ces chiffres sont naturellement un peu moins bons que ceux du compromis luxembourgeois, mais ils nous permettront de financer nos politiques.

Sur le terrain, la réforme de la PAC se met en place. Ainsi, les droits à paiement unique entreront en vigueur à partir du 1er janvier prochain.

Par ailleurs, comment ne pas évoquer, puisque nous parlons de l'actualité agricole, le débat sur la grippe aviaire, qui a préoccupé nos concitoyens ?

Je note avec plaisir que, en cette période de Noël, les chiffres de la consommation, en ce qui concerne tant les prix que les commandes, sont bons. Même si nous constatons un petit tassement, nous ne connaissons pas les pertes que nous avions redoutées à certains moments.

Dans ce cadre, le projet de loi d'orientation agricole offre des perspectives. Je ne reviendrai pas sur le contenu de ce texte, dont nous avons déjà longuement débattu. Je ne rappellerai que ses orientations majeures.

Ce texte permet d'adapter le statut de l'exploitation agricole pour encourager la démarche entrepreneuriale et d'améliorer la qualité de la vie et le revenu des agriculteurs. Ce dernier - on l'a vu cette semaine - est malheureusement en baisse, du fait de la crise viticole, que beaucoup d'entre vous connaissent bien.

Ce texte permet par ailleurs de développer de nouveaux débouchés - la Haute Assemblée y a été très attentive - dans les domaines de la chimie verte et des biocarburants. Enfin, il permet de renforcer l'organisation économique et de mieux maîtriser les risques. Il répond aux attentes de la société en matière de sécurité sanitaire, de qualité des produits et de respect de l'environnement.

Je voudrais maintenant revenir sur le débat lui-même. Grâce à vous, mesdames, messieurs les sénateurs, celui-ci a été riche et constructif. En effet, entre le Sénat et l'Assemblée nationale, 2 000 amendements ont été déposés. C'est beaucoup ! Ce débat s'est d'ailleurs nourri des travaux de parlementaires en mission, entre autres de ceux de M. Jean-Marie Le Guen.

L'Assemblée nationale a enrichi le texte sur les biocarburants. Elle est ainsi à l'origine de l'interdiction, à compter de 2010, de l'utilisation des sacs plastiques non biodégradables, ainsi que de l'utilisation des huiles végétales pures comme carburant agricole.

Le Sénat, quant à lui, est à l'initiative de mesures très fortes améliorant la protection sociale, notamment les retraites des polypensionnés. Cette initiative est très saluée sur le terrain, nous le savons tous. Par ailleurs, il a pris des mesures concernant le 1 % logement. Enfin, il a engagé la généralisation de l'assurance récolte, mécanisme que j'ai déjà évoqué tout à l'heure en rendant hommage à M. Emorine.

Conjointement, les deux assemblées ont participé à la définition de trois chapitres sur la protection de l'espace agricole, la forêt et la montagne, donnant ainsi une dimension « territoires » à ce projet de loi et illustrant sa complémentarité avec la loi relative au développement des territoires ruraux du 23 février 2005.

Enfin, grâce à votre implication et à l'intérêt dont vous avez fait preuve - je pense en particulier à M. le président et à M. le rapporteur de la commission des affaires économiques -, le nombre d'ordonnances a été significativement restreint. Celles-ci seront limitées à des aspects techniques, l'orientation générale du texte étant affirmée dans le coeur de la loi.

Après le vote, voilà moins d'une demi-heure, de l'Assemblée nationale et, nous l'espérons, celui du Sénat dans quelques instants, il conviendra d'assurer le service après-vote. Je tiens à vous dire, à cet égard, comment les choses vont se passer et de quelle manière je souhaite, si vous l'acceptez, vous y associer.

Le projet de loi qui vous est soumis comporte aujourd'hui cent quatre articles, dont cinquante-huit, soit plus de la moitié, sont d'application directe. Nous devons donc maintenant travailler sur les ordonnances, sur cinquante-six décrets - dont dix-neuf en Conseil d'État, un en conseil des ministres et trente-six décrets simples -, ainsi que sur quatre arrêtés.

Mon objectif est que les ordonnances et les décrets importants concernant les points essentiels de ce texte - la déclaration du fonds agricole, l'organisation économique, les signes de qualité ou l'élevage - soient transmis au Conseil d'État le plus rapidement possible, en tout état de cause avant la fin du premier semestre de 2006. Ils feront naturellement l'objet d'une concertation, à laquelle seront associés les professionnels, mais également les parlementaires, comme je vous l'avais indiqué au cours du débat.

Monsieur le président de la commission des affaires économiques, je me propose de venir devant votre commission au mois de juin prochain pour vous informer de l'état d'avancement des textes réglementaires et de leur contenu. Nous pourrons ainsi, tout au long de l'élaboration de ces textes, travailler en concertation - M. César, je le sais, y est prêt, comme son collègue M. Herth, à l'Assemblée nationale - de manière que le Parlement exerce son droit de suivi sur les textes d'application qui seront pris dans l'esprit du projet de loi que vous allez, je le souhaite, adopter.

Pour tous les autres textes d'application, je veillerai également à associer les parties concernées.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte est important, la richesse des débats et le temps qui y a été consacré l'ont montré.

Nous avons, ensemble, mis à la disposition des agriculteurs, des entrepreneurs, des consommateurs, des outils nouveaux et nous avons été très attentifs au respect des équilibres territoriaux, environnementaux et sanitaires, dimension à laquelle le Sénat est toujours très sensible.

Ce texte encourage, selon le précepte du Président de la République que j'ai déjà cité, « une agriculture économiquement efficace et écologiquement responsable ». Il permet, dans le cadre d'une PAC financée jusqu'en 2013 et dans celui de l'OMC, qui est aujourd'hui mieux défini, de donner à nos exploitants les moyens de travailler en confiance, avec une vision de l'avenir, et à tous les Français des raisons supplémentaires d'être fiers de leur agriculture.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie d'avoir contribué à cette oeuvre commune avec autant de pugnacité et de talent. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Marc Massion.

M. Marc Massion. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons une dernière fois le projet de loi d'orientation agricole, sur lequel l'urgence a été déclarée ; la commission mixte paritaire réunie le jeudi 8 décembre 2005 a trouvé un accord sur un texte qui nous laisse une forte impression d'insatisfaction et de frustration.

Nous réitérons le constat fait lors des débats : ce projet de loi apparaît comme un rendez-vous raté entre l'État et les agriculteurs, qui plaçaient pourtant beaucoup d'espoir dans ce texte, dans un contexte européen et international très préoccupant pour leur avenir.

À la fin des débats, une seule question mérite encore d'être posée : cette loi d'orientation agricole permettra-t-elle aux agriculteurs de faire face aux nouveaux défis lancés tant au niveau européen qu'au niveau international ?

En effet, les hasards du calendrier ont fait que, la semaine dernière, à la fois le Conseil européen et les États membres de l'OMC se sont trouvés réunis. Ils ont pris des décisions importantes touchant directement les agriculteurs pour les décennies à venir.

Je ne vais pas revenir sur l'ensemble des dispositions restées en discussion et qui ont trouvé, vaille que vaille, au cours de la CMP, une nouvelle rédaction de compromis.

Je reviendrai brièvement sur certains points aussi importants et porteurs de sens pour l'avenir que la multifonctionnalité ou la diversité des activités agricoles, à peine évoqués dans ce texte.

Ainsi, je déplore le refus de réintroduire l'article 1er bis qui prévoyait que, si le GAEC, groupement agricole d'exploitation en commun, présentait une taille économique suffisante, un jeune agriculteur pouvait en devenir membre par simple apport en numéraire.

Autre exemple significatif : un amendement portant article additionnel avait été adopté au Sénat visant « à promouvoir et aider à l'installation des nouveaux agriculteurs, dès lors que la surface de l'exploitation disponible correspond sensiblement ou plus à la surface de référence définie par la commission départementale des structures agricoles et ceci en priorité sur tout projet d'agrandissement éventuel ». Pourquoi cet article 10 decies a-t-il été supprimé en CMP, alors que le Gouvernement et la majorité sénatoriale ne cessent de dire qu'ils veulent aider les jeunes agriculteurs à s'installer et éviter l'hémorragie des exploitations agricoles sur notre territoire ?

Pourquoi refuser la prise en compte pour la retraite d'exploitant des périodes d'activité accomplies en tant qu'aide familial agricole à partir de l'âge de quatorze ans ? Quand on sait combien il est difficile de se constituer une véritable et « si faible » retraite, cette prise de position nous paraît très choquante.

M. Charles Revet. Il est quand même possible de le faire !

M. Marc Massion. Ces exemples, concernant à la fois les jeunes agriculteurs et les futurs retraités, illustrent bien le peu de prise en compte par le Gouvernement des réalités vécues par les agriculteurs aujourd'hui.

Les jeunes agriculteurs n'ont pas trouvé dans ce texte les propositions concrètes qui les auraient rendus moins amers et plus optimistes pour l'avenir, un avenir qui s'annonce très difficile face à la concurrence des nouveaux pays partenaires de l'Union européenne et, surtout, face aux nouvelles règles commerciales entérinées par l'OMC à Hong Kong.

Avec plus de conviction encore que lors de notre vote négatif du 9 novembres 2005 sur ce projet de loi d'orientation agricole, nous affirmons aujourd'hui que, au lieu de renforcer la situation de l'ensemble des agriculteurs sur le territoire français par des mesures financières et environnementales concrètes, porteuses d'avenir, ce texte semble malheureusement s'inscrire dans les logiques du « tout libéral » exprimées dans les conclusions de l'Union européenne et de l'OMC.

Ne pouvant cautionner ces choix, le groupe socialiste réitère son vote négatif, tout en reconnaissant quelques avancées positives,...

M. Gérard César, rapporteur. Tout de même !

M. Charles Revet. Quand même !

M. Marc Massion. ... qui devraient aider le monde agricole à surmonter, vaille que vaille, les crises annoncées !

M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ces conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi d'orientation agricole ne présentent, on le sait, qu'un caractère formel.

Nous regrettons que l'urgence ait été déclarée sur ce texte. Le Gouvernement a ainsi écourté le débat parlementaire, alors même que les enjeux en présence sont fondamentaux pour les agriculteurs et, plus généralement, pour l'avenir du monde rural, pour le développement harmonieux du territoire ou encore pour notre souveraineté alimentaire.

Cette précipitation n'a pas permis de retranscrire dans le texte ce qui s'entend dans le pays venant de nombreux syndicats, y compris parfois du syndicat majoritaire.

Nous avons appris la semaine dernière que le revenu des paysans avait baissé de 10 % en 2005, après une baisse de plus de 7 % en 2004. Effectivement, il y a urgence !

Urgence à fixer des prix rémunérateurs pour les produits agricoles, urgence à assurer un niveau de vie décent pour nos agriculteurs, en activité ou à la retraite, urgence à stopper la financiarisation écrasante du secteur agricole, urgence à adapter les prix agricoles au niveau de vie de chaque pays sans pénaliser les consommateurs.

Ainsi, en créant le fonds agricole et le bail cessible, vous encouragez la valorisation artificielle des exploitations agricoles, sans mesurer, semble-t-il, les effets néfastes de telles dispositions pour la transmission de ces exploitations, le renouvellement des générations en agriculture.

Dans le même sens, le projet de loi tend à précariser le statut des fermiers : les pas-de-porte seront légalisés, le renchérissement des prix des loyers des fermes pourrait bientôt se généraliser ; si le bail cessible attire les foules, les charges nouvelles qui en découleront pour les fermiers ne pourront que les fragiliser davantage.

En ce qui concerne le métayage, la commission mixte paritaire a confirmé, heureusement, la suppression de l'article 2 quinquies. Nous tenons, à ce sujet, à souligner que la viticulture a été largement oubliée dans ce projet de loi d'orientation agricole alors même que ce secteur connaît une crise importante.

Rappelons, à titre d'exemple, que les vignerons du Gard sont aux prises avec une crise de leur marché sans précédent, dans un contexte de baisse constante des cours payés aux producteurs, et cela alors même qu'ils avaient entrepris des efforts pour diminuer leur production et en améliorer la qualité.

Par ailleurs, le démantèlement progressif du contrôle des structures prévu par la loi entraînera très certainement une pression accrue sur le prix des terres; l'accès au foncier sera bientôt réservé aux plus riches. Les jeunes n'auront plus les moyens de s'installer. Nous regrettons d'ailleurs que les quelques mesures qui allaient dans le bon sens pour les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural, les SAFER -  aux articles 10 nonies et 10 decies - aient été supprimées.

Avec les modifications apportées au statut des organisations professionnelles, le texte intensifie l'intégration des agriculteurs aux filières de transformation de l'industrie agroalimentaire. Au moment où la filière avicole traverse une grave crise, conséquence directe de sa forte intégration, vous cherchez à généraliser à toute l'agriculture un modèle qui démontre chaque jour sa totale inefficacité, et sa fragilité, aussi.

Ainsi, toutes les conditions seront désormais réunies pour faciliter la concentration foncière et transformer les derniers paysans de France en « agromanagers ». Tout rachat d'exploitation, toute installation de jeune agriculteur deviendront progressivement impossibles sans apport massif de capitaux externes, ce qui, par conséquent, augmentera la dépendance financière des uns et des autres.

L'orientation que vous souhaitez donner à notre agriculture est, en outre, au regard du contexte européen et international, absolument suicidaire pour la France.

Il ressort des négociations menées au sein de l'OMC que les riches pays du Nord subventionneraient leur agriculture pour accroître leurs marchés et donc pousser à la faillite les petits paysans du Sud. La suppression des aides à l'export en 2013 pénalisera les agriculteurs des pays du Nord sans mettre fin à l'exploitation honteuse des agriculteurs des pays du Sud.

En réalité, au niveau national comme au niveau international, les seuls vainqueurs du système seront les grands propriétaires, les grands groupes agroalimentaires et la grande distribution.

En décidant, comme vous le faites, d'encourager la constitution de grandes exploitations et de soumettre notre agriculture à des logiques de fonctionnement simplement capitalistes, vous confortez ce mouvement. D'ailleurs, la politique retenue par la France dans la répartition des aides communautaires en offre, s'il le fallait, un nouvel exemple.

Au lieu de renforcer la situation de l'ensemble des agriculteurs français, ce texte est une fuite en avant, voire un encouragement à s'inscrire dans les logiques de l'OMC.

Parce qu'ils refusent que les agriculteurs soient instrumentalisés au profit de la rentabilité des capitaux investis, comme le confirment les orientations libérales retenues dans ce texte, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voteront contre ce texte.

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Je rappelle que, en application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, lorsqu'il examine après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, le Sénat se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte.

TITRE Ier

PROMOUVOIR UNE DÉMARCHE D'ENTREPRISE AU SERVICE DE L'EMPLOI ET DES CONDITIONS DE VIE DES AGRICULTEURS

CHAPITRE Ier

Faire évoluer l'exploitation agricole vers l'entreprise agricole