Article 2
I. - Le code de l'action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° La section 3 du chapitre V du titre II du livre II devient la section 4 du même chapitre ;
2° Les articles L. 225-15, L. 225-16, L. 225-17 et L. 225-18 deviennent respectivement les articles L. 225-17, L. 225-18, L. 225-19 et L. 225-20 ;
3° L'article L. 225-18, tel qu'il résulte du 2°, est ainsi rédigé :
« Art. L. 225-18. - Le mineur placé en vue d'adoption ou adopté bénéficie d'un accompagnement par le service de l'aide sociale à l'enfance ou l'organisme mentionné à l'article L. 225-11 à compter de son arrivée au foyer de l'adoptant et jusqu'au prononcé de l'adoption plénière en France ou jusqu'à la transcription du jugement étranger. Cet accompagnement est prolongé si l'adoptant le demande, notamment s'il s'y est engagé envers l'Etat d'origine de l'enfant. Dans ce dernier cas, il s'effectue selon les modalités de calendrier déterminées au moment de l'engagement. »
II. - Aux articles L. 122-28-10 du code du travail et L. 512-4 du code de la sécurité sociale, la référence : « L. 225-15 » est remplacée par la référence : « L. 225-17 » et, à l'article 1067 du code général des impôts, la référence : « L. 225-18 » est remplacée par la référence : « L. 225-20 ».
Mme la présidente. La parole est à Mme Claire-Lise Campion, sur l'article.
Mme Claire-Lise Campion. L'article 2 met en place le suivi obligatoire par les services de l'aide sociale à l'enfance du mineur dès son arrivée au foyer de l'adoptant et jusqu'au prononcé de l'adoption plénière en France ou jusqu'à la transcription du jugement étranger, le suivi pouvant être prolongé au-delà au regard des exigences des pays d'origine des enfants ou à la demande des adoptants eux-mêmes.
Les pays d'origine seront sensibles à l'instauration de ce dispositif : ils sont nombreux, en effet, à attacher une importance particulière à la mise en place de ce type d'accompagnement.
La question de la formation des personnels d'accompagnement des conseils généraux et celle du financement d'une telle mesure se posent cependant.
En effet, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, un tel dispositif nécessite des moyens et donc un personnel formé. Les estimations que certains départements ont pu réaliser ne sont pas négligeables et ont un impact réel sur le plan financier, alors que le dispositif de compensation des dépenses pour les conseils généraux a été supprimé par l'Assemblée nationale.
Mme la présidente. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 17, présenté par Mmes Campion et Le Texier, MM. Madec et Michel, Mme Cerisier-ben Guiga et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit la première phrase du texte proposé par le 3° du I de cet article pour l'article L. 225-18 du code de l'action sociale et des familles :
Si le service de l'aide sociale à l'enfance ou l'organisme mentionné à l'article L. 225-11 le jugent utile, le mineur placé en vue d'adoption ou adopté bénéficie d'un accompagnement à compter de son arrivée au foyer de l'adoptant et jusqu'au prononcé de l'adoption plénière.
La parole est à Mme Claire-Lise Campion.
Mme Claire-Lise Campion. Cet amendement a pour objet de laisser le service départemental de l'aide sociale à l'enfance juge de l'accompagnement du mineur - il ne s'agit pas de le rendre systématique - en fonction, par exemple, de l'âge de l'enfant.
Mme la présidente. L'amendement n° 18, présenté par Mmes Campion et Le Texier, MM. Madec et Michel, Mme Cerisier-ben Guiga et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Dans la première phrase du texte proposé par le 3° du I de cet article pour l'article L. 225-18 du code de l'action sociale et des familles, après les mots :
de l'adoption
insérer les mots :
simple ou
La parole est à Mme Claire-Lise Campion.
Mme Claire-Lise Campion. Il nous semble important que les deux modes d'adoption, notamment l'adoption simple, soient concernés par la mise en place de l'accompagnement.
C'est un amendement que nous déposons un peu sous forme de question, monsieur le ministre. En effet, nous nous demandons pourquoi l'adoption simple est oubliée dans le dispositif de l'accompagnement. Nous nous interrogeons d'autant plus que, ainsi que j'ai eu l'occasion de le dire dans la discussion générale, c'est une forme d'adoption à part entière, qui ne rompt pas le lien avec les parents et qui peut répondre à un certain nombre de questions, notamment à celles qui nous sont posées à travers l'article 3 que nous examinerons ultérieurement.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. L'amendement n° 17 tend à subordonner le suivi de l'enfant à une décision de l'ASE et est contraire à l'objectif de la proposition loi qui est de renforcer ce suivi.
En outre, cet amendement méconnaît les exigences des pays d'origine en la matière. La commission y est donc défavorable.
Pour ce qui est de l'amendement n° 18, la commission se rangera à l'avis du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Philippe Bas, ministre délégué. S'agissant de l'amendement n° 17, le Gouvernement n'est pas favorable à son adoption : il préfère que le suivi soit systématique et non pas facultatif.
Pour ce qui est de l'amendement n° 18, le Gouvernement considère qu'il est en réalité sans objet dans la mesure où les enfants arrivant en France, et qui bénéficient d'une adoption simple, sont d'ores et déjà suivis au titre de l'article L.225-18 du code de l'action sociale et des familles jusqu'à la transcription du jugement d'adoption. Par conséquent, le Gouvernement émet, là aussi, un avis défavorable.
Mme la présidente. L'amendement n° 32 rectifié, présenté par Mme Dini et les membres du groupe Union centriste - UDF, est ainsi libellé :
Compléter le texte proposé parle 3° du I de cet article pour l'article L. 225-18 du code de l'action sociale et des familles par deux phrases ainsi rédigées :
Dans tous les cas, un accompagnement par le service de l'aide sociale à l'enfance ou l'organisme mentionné à l'article L. 225-11 doit être mis en place. Il consiste, au minimum, en un contact annuel avec un référent jusqu'à la majorité de l'enfant. »
La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Cet amendement vise à rendre obligatoire un contact régulier entre les services de l'aide à l'enfance et les familles ayant adopté un enfant.
C'est rarement dans les premiers mois de l'arrivée de l'enfant, français ou étranger, dans sa famille adoptive que se détectent les difficultés relationnelles. Lorsqu'elles surviennent, l'adoption plénière est prononcée depuis longtemps et il n'y a plus personne à qui en parler.
Il semble qu'un contact annuel pourrait déclencher un appel au secours de certaines familles avant que la situation ne se soit dramatiquement dégradée. Les cas de maltraitance, de rejet de l'enfant, de nouvel abandon existent. Aucune statistique n'a été produite à ce sujet.
J'ai souhaité qu'un observatoire de l'adoption soit mis en place dans le département du Rhône. Pour l'instant, faute de disposer d'un droit de regard sur ce qui se passe après l'adoption plénière, c'est totalement impossible !
Cet amendement, dont l'objet principal est l'accompagnement de l'enfant jusqu'à sa majorité, tout en présentant l'avantage d'alimenter un tel outil d'observation, permettrait de se faire une idée sur l'adoption dans notre pays.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Madame la sénatrice, l'obligation de suivi de l'enfant adopté jusqu'à sa majorité ne me paraît respectueuse ni de la vie privée de l'enfant ni de la vie privée de la famille.
Il convient, à mon sens, de s'en tenir aux engagements pris par les parents envers les autorités des pays d'origine de leur enfant. Je demande donc le retrait de cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Philippe Bas, ministre délégué. Le Gouvernement partage le sentiment de la commission.
Je comprends, madame la sénatrice, après vous avoir écoutée pendant la discussion générale, ce qui motive votre amendement, à savoir un certain nombre de situations très dégradées, longtemps après l'adoption.
Pour autant, ces situations doivent être traitées dans le cadre du droit commun, car, si on appliquait votre amendement, on aboutirait à une différenciation des droits des parents selon qu'ils seraient parents adoptifs ou parents naturels, ce qui me paraît impossible.
Mme la présidente. Madame Dini, l'amendement est-il maintenu ?
Mme Muguette Dini. Non, je le retire, mais je souhaitais, même si ma proposition n'était sans doute pas la bonne, attirer l'attention sur les difficultés qu'éprouvent les parents adoptifs à parler de leurs problèmes. Ils ont encore plus de mal à les exposer que les autres. J'ignore comment venir à bout de cette situation, mais ce serait une bonne chose si l'on pouvait trouver une solution.
Mme la présidente. L'amendement n° 32 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article additionnel après l'article 2
Mme la présidente. L'amendement n° 33, présenté par Mme Dini et les membres du groupe Union centriste - UDF, est ainsi libellé :
Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 344 du code civil est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L'écart d'âge maximum entre l'enfant qu'ils se proposent d'adopter et le plus jeune des adoptants est de 45 ans. »
La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Mon expérience de présidente de commission m'a permis de constater qu'il pouvait y avoir des demandes d'agrément assez extraordinaires, émanant en particulier de personnes que je qualifierai de « très âgées », puisque ayant presque mon âge ! (Sourires.)
Un écart d'âge minimum entre les parents adoptants et l'enfant adopté est fixé par l'article 344 du code civil. Cet amendement a pour objet la fixation, au même article, d'un écart d'âge maximum entre l'enfant et le parent adoptant s'il est seul, et entre l'enfant et le plus jeune des parents adoptants si l'adoption est réalisée par un couple. La France ne serait pas une exception, puisque de nombreux pays européens ont retenu cette disposition.
Elle permettrait, par exemple, d'interdire l'adoption d'un nouveau-né par un couple dont le plus jeune des parents aurait 50 ans, mais permettrait également à ces derniers d'adopter un enfant âgé d'au moins 5 ans.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Lors de l'examen de cette proposition de loi, il n'avait pas semblé opportun à la commission de fixer un écart d'âge maximal entre l'adopté et l'adoptant dans la mesure où ce critère relève déjà des législations des pays d'origine qui effectuent l'apparentement.
Je demande donc le retrait de l'amendement.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Philippe Bas, ministre délégué. Le Gouvernement partage cet avis. Il souhaite, en effet, que l'on ne rigidifie pas trop les procédures d'adoption. Il existe aussi des cas où, malgré un écart d'âge assez faible, un enfant qui n'a pas pu être adopté en bas âge le sera par un couple jeune, avec d'excellents résultats, compte tenu des qualités éducatives du couple adoptant.
C'est la raison pour laquelle, madame la sénatrice, je demande à mon tour le retrait de cet amendement.
Mme la présidente. Madame Dini, l'amendement est-il maintenu ?
Mme Muguette Dini. Monsieur le ministre, vous êtes très persuasif, aussi vais-je retirer mon amendement.
Je remarque néanmoins que, à chaque question que je pose, vous me parlez des pays d'origine. Mais il y a aussi des enfants, des pupilles français !
Peut-être ne ferons-nous rien aujourd'hui, mais, je pense qu'à terme, avec les évolutions qui conduisent des femmes de soixante ans, voire de soixante-cinq ans, à recourir à la procréation médicalement assistée - je ne suis d'ailleurs pas certaine qu'à cet âge une femme soit tout à fait apte à élever un petit enfant : il y a un âge pour tout - nous serons appelés à revenir sur cette question.
M. Alain Milon, rapporteur. Je connais une dame de cinquante-cinq ans qui élève à merveille un enfant adopté à l'âge de cinq ans !
Mme Muguette Dini. Cela correspond à l'écart d'âge de cinquante ans que je préconise !
Mme la présidente. L'amendement n° 33 est retiré.
Article 3
Dans la première phrase du premier alinéa de l'article 350 du code civil, les mots : « sauf le cas de grande détresse des parents et » sont supprimés.
Mme la présidente. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 7 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon, Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.
L'amendement n° 19 est présenté par Mmes Campion et Le Texier, MM. Madec et Michel, Mme Cerisier-ben Guiga et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Eliane Assassi, pour présenter l'amendement n° 7.
Mme Eliane Assassi. Monsieur le ministre, mes chers collègues, l'article 3 supprime, dans l'article 350 du code civil relatif à l'abandon des enfants victimes d'un désintérêt parental prolongé, le critère de « grande détresse » des parents qui interdit de prononcer l'abandon des enfants dont les parents se trouveraient dans ce cas.
Cette disposition n'existait pas dans le texte initial de la proposition de loi et a été introduite par un amendement de la commission des lois à l'Assemblée nationale.
Nous regrettons bien évidemment qu'une telle disposition ait été adoptée précipitamment sans qu'aucune consultation avec l'ensemble des acteurs concernés n'ait eu lieu. En effet, il aurait été utile, afin d'éclairer nos débats sur la notion de « grande détresse », d'entendre, par exemple, les associations qui viennent en aide à ces familles en grande difficulté. En l'état, il nous semble que cette mesure stigmatise davantage encore les familles pauvres en sous-entendant qu'elles ne peuvent pas élever leurs enfants et se trouvent contraintes de les abandonner, plus qu'elle ne les aide à les élever.
Il faut s'interroger, non pas sur les moyens de faciliter l'abandon et donc l'adoption ultérieure d'enfants issus de familles pauvres, mais plutôt sur les raisons qui acculent ces familles à une grande détresse. Supprimer brutalement et sans concession le critère de « grande détresse » dans le but de rendre plus rapide l'adoption, c'est ignorer le respect des liens entre l'enfant et ses parents biologiques.
Nous nous opposons à l'article 3 et nous en demandons, par conséquent, la suppression.
Mme la présidente. La parole est à Mme Claire-Lise Campion, pour présenter l'amendement n° 19.
Mme Claire-Lise Campion. Il s'agit d'un amendement de sagesse. En effet, les conditions dans lesquelles nous avons examiné ce texte ne nous ont pas permis de mesurer l'impact réel de cet article 3.
Tout en étant consciente que la clause de l'état de « grande détresse » des parents telle qu'elle est prévue à l'article 350 du code civil ne permet pas à un certain nombre d'enfants d'être adoptés et peut engendrer pour eux des situations d'instabilité affective, je considère que faciliter les déclarations d'abandon judiciaire ne supprimerait pas pour autant la distorsion qualitative existante, les enfants se trouvant souvent, dans ce cas, âgés et peu préparés à l'adoption. De plus, aucune étude chiffrée n'apporte d'éléments précis sur ce point.
Enfin, le lien du sang est une réalité dont on ne peut s'affranchir aussi simplement. Sommes-nous absolument certains qu'une décision de rupture définitive de toute relation avec la famille d'origine soit la meilleure solution pour l'enfant et lui donne les meilleures chances de se construire un avenir ?
Il existe, par ailleurs d'autres voies juridiques telles que l'adoption simple, - j'y reviens- qui présente pour l'enfant l'avantage de ne pas rompre brutalement et irrévocablement avec son histoire. Or, je répète que nous ne l'avons pas suffisamment prise en compte et c'est pourquoi nous vous proposons cet amendement de raison, qui tend à supprimer l'article 3 afin de nous donner la possibilité de débattre de cette question dans un contexte dépassionné.
Mme la présidente. L'amendement n° 4 rectifié ter, présenté par MM. Seillier, Gournac, Laffitte, Mouly, Othily, Pelletier et Revet, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit cet article :
I - Le premier alinéa de l'article 350 du code civil est ainsi rédigé :
« L'enfant recueilli par un particulier, un établissement ou un service de l'aide sociale à l'enfance, dont les parents se sont manifestement désintéressés pendant l'année qui précède l'introduction de la demande en déclaration d'abandon, malgré l'accompagnement prévu notamment par les dispositions des articles L. 221-1 et suivants du code de l'action sociale et des familles et l'article 375 du présent code et celui fourni par les institutions compétentes, peut être déclaré abandonné par le tribunal de grande instance et sans préjudice des dispositions du quatrième alinéa. La demande en déclaration d'abandon est obligatoirement transmise par le particulier, l'établissement ou le service de l'aide sociale à l'enfance qui a recueilli l'enfant à l'expiration du délai d'un an dès lors que les parents se sont manifestement désintéressés de l'enfant. »
II - Le deuxième alinéa de l'article 350 du code civil est ainsi rédigé :
« Sont considérés comme s'étant manifestement désintéressés de leur enfant les parents qui, malgré l'accompagnement prévu notamment par les dispositions des articles L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles et l'article 375 du présent code et celui fourni par les institutions compétentes, n'ont pas entretenu avec lui les relations nécessaires au maintien de liens affectifs, et qu'aucun témoignage contraire n'a pu être recueilli ».
La parole est à M. Bernard Seillier.
M. Bernard Seillier. Cet amendement se présente comme un amendement de repli par rapport aux deux qui viennent d'être exposés.
Je voudrais, ici, me faire l'avocat de l'éminente dignité des pauvres et des gens en situation d'exclusion, et plaider également pour tous les efforts consentis depuis des années par de nombreux gouvernements en faveur de la cohésion sociale et de la lutte contre l'exclusion et la pauvreté. En effet, en matière de cohésion sociale, on ne peut attendre des résultats favorables et positifs si l'on ne défend pas la cohésion familiale.
C'est bien le coeur du sujet car si, jusqu'à présent, l'examen de ce texte a été abordé, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, sans qu'aient été auditionnées ni les personnes concernées ni les associations qui agissent auprès d'elles, il faudra bien prendre en considération cette situation, très rapidement introduite dans le code civil sous cette formule, il est vrai un peu lapidaire, de « personnes en situation de grande détresse ».
Quelle est la réalité de ces familles ? Elles se trouvent confrontées dans leur vie quotidienne à un combat avec des travailleurs sociaux. Elles vivent l'intervention administrative et judiciaire avec un fort sentiment d'injustice et la peur du placement. En effet, le placement, parce qu'il rappelle des mauvais souvenirs, parce qu'il met fin au projet familial, seule richesse des plus pauvres, parce qu'il crée un décalage entre les parents et leurs enfants, notamment dans leurs conditions de vie, difficile ensuite à combler, demeure pour les familles ce que l'on doit à tout prix éviter.
Comme le disait une mère, après un long temps de placement, on ne se connaît plus, on doit apprendre à connaître ses propres enfants. Quand on a les enfants en fin de semaine, on est attentif à les gâter, ce qui ne favorise pas la mise en place de limites. On peut d'ailleurs observer que le terme « violence » est régulièrement employé par les familles - violence de l'intervention sociale, de l'intervention éducative et de l'intervention du juge - comme en écho d'ailleurs à l'usage du même terme par les professionnels.
Dans ce contexte, quelle place réserve-t-on aux parents d'enfants placés ? Comment peut se traduire en actes la volonté des professionnels de prendre en compte les compétences parentales et de favoriser la « bientraitance » ?
Le placement, devenu le barycentre du travail social et éducatif, signant l'échec d'une intervention sociale ou éducative, influe sur la liberté de parole des familles auxquelles l'accès aux écrits des professionnels est souvent interdit, pour des raisons autant pratiques que juridiques. Comment, dans ces conditions, peut-on parler de contractualisation de l'action sociale et éducative ?
La peur du placement des enfants diminue la liberté de parole des familles et favorise le déni. L'aide sociale à l'enfance, malgré la réalité, est toujours perçue comme une institution « rapteuse » d'enfants.
De fait, on constate que se mettent en place des logiques qu'il est très difficile de briser.
Les familles les plus en difficulté ont parfois une histoire douloureuse par rapport à la direction départementale des affaires sanitaires et sociales, la DDASS, et ont construit une représentation de l'aide sociale à l'enfance. Elles ont peu de réseaux de solidarité, ce qui explique qu'elles fuient les services sociaux, se réfugiant dans la solitude et le refus de l'intervention de tout travailleur social. Elles s'installent dans une sorte de « spirale de l'enfermement »
Les travailleurs sociaux considèrent alors qu'il n'existe plus de collaboration possible avec une famille qui leur échappe physiquement ou qui dénie souvent l'existence de ce qui lui est reproché dans son attitude vis-à-vis de son enfant. L'anxiété des professionnels, qui se sentent souvent très seuls, se développe. Un signalement est rédigé pour le parquet et le juge, saisi du dossier, en l'absence de toute possibilité d'intervention en milieu ouvert, est amené à placer les enfants.
A cela, il faut ajouter des pratiques qui ne favorisent pas le dialogue : je pense, par exemple, au fait que, très fréquemment, le juge des enfants reçoive les travailleurs sociaux ou les éducateurs pendant un long moment, immédiatement avant l'audience avec la famille, comme s'il existait une connivence entre eux qui s'opposerait à une écoute attentive et sans a priori des familles les plus en difficulté.
Dès lors, pour les parents, tout est joué d'avance. Ils affirment : « Le juge ne nous a pas écoutés et nous a fait taire ; on ne peut pas discuter avec ce juge-là. Dès que l'on dit quelque chose, il monte d'un ton ». Un avocat a même parlé de « guet-apens » du placement.
L'incompréhension, qui se double d'un sentiment d'impuissance et d'humiliation, peut se traduire par des réactions violentes : un bureau renversé, des portes qui claquent. Une mère déclare : « Je n'ai pas écouté le reste et je suis partie en claquant la porte. Cela m'a soulagée ! ». Une autre attitude consiste, au contraire, « à faire la biche », selon l'expression utilisée par une mère de famille qui a expliqué qu'elle avait « trop peur de se mettre à dos les éducateurs » et que son mari lui avait dit de se taire. Elle a ajouté : « On a peur que les paroles se retournent contre nous ! ».
Les juges des enfants, pour leur part, déclarent que peu de parents s'opposent aux mesures proposées.
La question des droits de visite et d'hébergement est emblématique des difficultés que rencontrent les familles. Ces droits sont rarement fixés avec précision dans le contrat d'accueil provisoire ou dans les décisions d'assistance éducative.
Au-delà de l'aspect juridique et du souci de souplesse, que l'on peut comprendre, il n'empêche qu'une telle omission laisse aux équipes éducatives des établissement et services un pouvoir considérable sur la famille.
Deux exemples, pris dans deux départements différents, sont éclairants :
Pour rendre une visite d'une heure à leurs enfants placés dans un établissement, les parents sont parfois absents de leur domicile durant cinq heures en raison des horaires d'autobus et des changements à effectuer. Il leur arrive d'être en retard, ce qui leur est reproché.
Une maman, démunie de tout moyen matériel et en situation irrégulière, ne pouvait plus rendre visite à ses enfants placés dans un lieu accessible uniquement par le train, car elle craignait d'être interpellée, n'ayant pas de titre de transport.
De ces deux situations - le retard de la famille et l'absence de la mère auprès de ses enfants - les équipes éducatives tirent des conclusions quant à la qualité de l'attachement des parents à leurs enfants. Une mère de famille se lamentait : « On croit que je ne m'intéresse pas à mes enfants ! ». Une autorité dans le domaine de la lutte contre l'exclusion déclarait que, dans certains cas, elle avait le sentiment d'être en face de familles non pas « démissionnaires », mais « démissionnées ».
A l'inverse, un établissement organise les visites de la façon la plus souple possible, en fonction de la décision du magistrat. Si la vie des enfants, et de leurs camarades, ne s'en trouve pas perturbée inconsidérément, les parents sont autorisés à leur rendre visite sans rendez-vous. Une mère peut s'y rendre tous les soirs et baigner son fils ; une famille peut y déjeuner avec son enfant quand elle le souhaite et sans prévenir ; des pères et des mères participent à des groupes de vie du foyer et prennent part à la préparation des repas.
J'ajoute un dernier exemple positif : M. et Mme B. ont quatre enfants, dont les trois garçons aînés sont placés à l'aide sociale à l'enfance, la plus jeune, Sabrina, âgée de quatre ans, vivant avec eux. Ils ont beaucoup de mal à maintenir des liens réguliers avec leurs enfants placés. En effet, voir ses enfants dans une salle, une heure par mois, est décourageant.
L'occasion leur a été donnée de passer plusieurs week-ends à l'espace de vie créé par une association.
C'est là qu'intervient sur le terrain, à côté des travailleurs sociaux, un autre acteur sur lequel se fondent les plus grands espoirs dans la lutte contre l'exclusion et la pauvreté : je veux parler de la vie associative et des initiatives prises par les associations en coopération avec les institutions administratives et professionnelles.
Cette association a permis à M. et Mme B. de reconquérir auprès de leurs fils une place de parents plus concrète en termes de prise en charge et à la jeune soeur de se retrouver au sein de la fratrie. Aujourd'hui, les droits de visite aux garçons ont été étendus et les travailleurs sociaux envisagent des visites avec sortie au domicile familial. Dans le même temps, la famille a été relogée et un projet de vacances pour cet été, dans une maison de vacances familiale, se met en place.
Après avoir vécu au jour le jour, les parents parviennent aujourd'hui à construire des projets d'avenir, à se fixer des objectifs et à se mobiliser pour atteindre leur but. Ils ont senti qu'ils étaient soutenus, dans leur projet, par un certain nombre de partenaires.
Sur cette question de la difficulté du maintien des liens entre les parents et les enfants placés, je veux citer l'exemple suivant : des parents doivent dépenser cinquante euros pour se rendre à la pouponnière où leur enfant est placé. Lorsque ce dernier fait encore la sieste lorsqu'ils arrivent à l'établissement, les heures de visite étant strictes, ils ne le voient que très peu de temps. Alors, ils se découragent et n'y vont plus aussi régulièrement. Ensuite, ils se voient accusés de se désintéresser de leur enfant.
Il est difficile pour la plupart des parents d'aller voir leurs enfants qui sont placés. Ces parents souffrent du regard négatif qui est porté sur eux. Le moment où ils doivent quitter leurs enfants est toujours dur : les enfants pleurent, et les parents sont, là encore, découragés.
Face à ces difficultés, je tiens à insister sur l'importance de la présence du tissu associatif et de son action dans la lutte contre l'exclusion et pour la cohésion sociale
Les exemples que je viens de donner sont récents et illustrent des situations concrètes et actuelles.
Je vous ai par ailleurs cité des extraits du rapport publié, en juin 2000, par M. Naves, inspecteur général des affaires sociales, et M. Cathala, inspecteur des services judiciaires. Permettez-moi de souligner que je n'ai trouvé aucune mention de cette publication importante sur le placement des enfants et des adolescents dans les rapports et études de l'Assemblée nationale ou du Sénat sur cette question.
Je ne formule aucun reproche à cet égard, dans la mesure où notre débat devait se cantonner strictement aux modalités d'adoption. Cependant, la suppression d'un membre de phrase qui couvre le champ énorme des familles en situation de détresse ne peut être traitée aussi facilement.
C'est pourquoi je propose, par cet amendement, d'en faire mention et de rappeler l'accompagnement des professionnels et des institutions compétentes, prévu aux articles L. 221-1 et 375 du code civil. Il s'agit de permettre à ces associations et aux pouvoirs publics de prendre leurs responsabilités pour que les situations soient tranchées en connaissance de cause
A la réalité douloureuse des familles qui demandent des adoptions, s'ajoute celle, très douloureuse, des familles qui vivent dans la grande misère et qui se comptent par millions en France aujourd'hui, hélas !
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. La commission est défavorable aux amendements identiques nos 7 et 19. En effet, elle est opposée à la suppression de l'ouverture, très maîtrisée, que constitue l'article 3 en matière de déclaration judiciaire d'abandon.
Ce dispositif, qui permet d'offrir, grâce au statut plus protecteur de pupille de l'Etat, un avenir à des enfants manifestement délaissés, mérite en effet d'être développé.
En outre, le critère de grande détresse est délicat à prendre en compte par les magistrats puisque, par définition, l'ensemble des familles dont les enfants sont placés à l'aide sociale à l'enfance sont manifestement en grande détresse.
S'agissant de l'amendement n° 4 rectifié ter, la précision qu'il tend à introduire me paraît compliquer inutilement la rédaction de l'article 350 du code civil, sans pour autant pour améliorer le dispositif.
A l'heure actuelle, les services sociaux, mais également les magistrats chargés de l'instruction de la demande de déclaration judiciaire d'abandon, ont à coeur de maintenir les liens biologiques entre les parents et les enfants et de s'assurer, en dernière extrémité, qu'il n'existe effectivement pas d'autre solution pour offrir un avenir à l'enfant placé que d'ouvrir la voie de son adoption.
J'ajoute que la déclaration judiciaire d'abandon, qui ne concerne que deux cents enfants sur les 135 000 enfants placés à l'aide sociale à l'enfance, ne rompt pas le lien juridique avec la famille d'origine tant qu'une adoption n'est pas prononcée, que le lien de filiation reste intact et que l'enfant se voit, en fait, doté d'un tuteur et d'un conseil de famille. Le statut de pupille évite les placements successifs, provisoires, les aller-retour entre les différentes familles d'accueil, qui, vous le savez, sont extrêmement destructeurs pour un enfant.
Dans ces conditions, la commission se ralliera à l'avis du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Philippe Bas, ministre délégué. S'agissant des amendements identiques nos 7 et 19, le Gouvernement partage l'avis défavorable de la commission.
En ce qui concerne l'amendement n° 4 rectifié ter, je veux dire à M. Seillier que j'ai été très touché par la présentation qu'il a faite des motifs de son amendement.
Il s'agit d'une question importante, qui ne va pas de soi et qui justifie pleinement notre débat. J'y ai beaucoup réfléchi et j'ai écouté très attentivement les propos que vous avez tenus à cet égard, monsieur le sénateur.
Le passage au statut de pupille de l'Etat ne peut en aucun cas être brutal. Pour que cette procédure soit enclenchée, il faut que les services sociaux en prennent l'initiative, que les services de l'aide sociale à l'enfance saisissent le juge des enfants, que ce dernier procède à une expertise pour prendre une décision « éclairée », selon le terme du code civil. La décision de passage au statut de pupille de l'Etat est prise à l'issue d'une procédure dont la durée, qui n'est jamais inférieure à un an, peut aller jusqu'à dix-huit mois, voire deux ans et même davantage.
La disposition que vous souhaitez amender, monsieur le sénateur, et qui a été adoptée par l'Assemblée nationale, continue à exiger, comme le veut notre code civil actuellement, la démonstration du fait que les parents se sont manifestement désintéressés de l'enfant, pour que celui-ci puisse être déclaré adoptable.
En aucun cas, et c'est une exigence impérieuse, la situation sociale des parents ne peut ni ne doit entrer en ligne de compte dans l'appréciation de leur désintérêt pour l'enfant. Il doit s'agir, je le répète, d'un désintérêt manifeste, c'est-à-dire d'une situation d'une gravité tout à fait exceptionnelle, qui ne peut concerner que quelques centaines d'enfants.
J'ai bien écouté les exemples émouvants que vous avez cités, monsieur le sénateur. Mais, précisément, ces cas ne montrent pas de désintérêt manifeste des parents pour leur enfant. Bien au contraire, ils témoignent de l'existence d'un intérêt très manifeste de leur part. Il ne s'agit donc pas de situations où ces enfants pourraient être retirés définitivement à leur famille pour pouvoir être adoptés.
La priorité du Gouvernement est que les familles en difficulté et vulnérables soient davantage soutenues. Tel est d'ailleurs l'un des objets de la conférence de la famille qui se tiendra en septembre prochain.
Cependant, nous devons penser également aux enfants qui se trouvent parfois, eux aussi, dans des situations de grande détresse. On ne doit pas, sous prétexte de la détresse de leurs propres parents, empêcher leur adoption. Quand un enfant est totalement délaissé, abandonné, maltraité même, le priver de la possibilité d'être éduqué, de grandir et de s'épanouir dans une famille aimante, revient à le sacrifier à ses parents.
On a rappelé tout à l'heure que, chaque année, en France, 1 700 enfants sont reconnus comme pupilles de l'Etat. En Grande-Bretagne, on en compte 5 000. Plusieurs milliers d'enfants en situation très grave pourraient donc probablement faire l'objet, chez nous, d'une procédure d'adoption s'ils étaient reconnus adoptables à la suite d'une procédure qui est non pas brutale, mais lente, je le répète, puisqu'elle comprend plusieurs filtres. Ce sont peut-être 3 000 enfants dont la grande détresse doit, elle aussi, être prise en considération.
En conscience, et après y avoir beaucoup réfléchi, je vous demande, monsieur le sénateur, de bien vouloir retirer votre amendement.
Mme la présidente. Monsieur Seillier, l'amendement n° 4 rectifié ter est-il maintenu ?
M. Bernard Seillier. En conscience également, je ne puis retirer cet amendement.
J'ai dû mal me faire comprendre, monsieur le ministre. Vous dites avoir été ému par les cas que j'ai cités, mais j'ai essayé de vous expliquer que ces familles ont tendance, avec le temps, à se décourager. Après avoir manifesté au départ de l'intérêt pour garder leurs enfants, elles finissent par baisser les bras. Les parents ressentent une espèce de « collusion », si je puis dire, entre les magistrats et les travailleurs sociaux. Ils redoutent donc la procédure devant les juges et restent finalement sur la touche.
Mon amendement présente également un autre aspect auquel vous serez peut-être sensible, monsieur le ministre : la suppression de cette mention dans le code civil sera symboliquement ressentie comme un coup de poignard par toutes les associations qui luttent pour faire en sorte que les familles en difficulté ne se dissolvent pas davantage et, au contraire, se reconstruisent.
Le père des quatre enfants dont j'ai parlé tout à l'heure a très récemment indiqué qu'il a désormais compris qu'il pouvait être le père de ses enfants ; il a reconnu sa capacité éducative.
Dans ces cas particuliers, le symbolisme de cet amendement proposé par l'Assemblée nationale est catastrophique. En effet, on est en train de porter un préjudice terrible à tous les militants désintéressés, aux bénévoles des associations qui font des efforts pour oeuvrer auprès de ces familles.
Tout en respectant vos arguments, monsieur le ministre, - je connais votre sensibilité et votre exigence - je ne puis retirer cet amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 7 et 19.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n'adopte pas les amendements.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 4 rectifié ter.
(L'amendement n'est pas adopté.)