COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. BERNARD ANGELS

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

LOI DE FINANCES POUR 2004

Suite de la discussion d'un projet de loi

Etat C - Titre V (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2004
Budgets annexes de la Légion d'honneur et de l'ordre de la Libération

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2004 (n° 72, 2003-2004), adopté par l'Assemblée nationale. [Rapport n° 73 (2003-2004).]

Budgets annexes de la Légion d'honneur

et de l'ordre de la Libération

Deuxième partie
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2004
Justice

M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant les budgets annexes de la Légion d'honneur et de l'ordre de la Libération.

Je suis heureux de saluer, au nom du Sénat, la présence, au côté de M. le ministre, du général Douin, grand chancelier de l'ordre national de la Légion d'honneur, et du général de Boissieu, chancelier de l'ordre de la Libération.

La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Jean-Pierre Demerliat, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le grand chancelier, monsieur le chancelier, mes chers collègues, le projet de budget annexe de la Légion d'honneur retrace les moyens affectés à la grande chancellerie et aux maisons d'éducation recevant les descendantes des légionnaires et des membres de l'ordre national du Mérite.

En 2004, le montant des recettes et des dépenses de ce budget annexe s'établira à 17,894 millions d'euros, en diminution de 4,12 % par rapport à 2003, soit de 769 364 euros. Cette évolution des crédits pour 2004 résulte essentiellement de la baisse des crédits de paiement afférents aux opérations en capital des maisons d'éducation, notamment la fin des travaux de restauration du cloître de la maison d'éducation de Saint-Denis.

J'approuve la réduction des prévisions de dépenses concernant les traitements des légionnaires et des médaillés militaires. On ne peut en effet qu'encourager les administrations à ajuster leurs demandes aux besoins constatés.

Un décret du mois d'avril 1991 limitait l'octroi des traitements aux acteurs d'événements générateurs se fondant sur un fait de guerre - blessure ou citation - ou sur un acte de courage ou de dévouement. Ce texte ayant été mal perçu, un décret du mois de décembre 1995 a rétabli ce traitement pour tous les médaillés militaires et pour les promotions dans l'ordre de la Légion d'honneur soit en qualité de militaire d'active, soit en considération de faits de guerre tels que les blessures de guerre ou les citations.

Il reste qu'un grand nombre d'ayants droit de la Légion d'honneur ne demandent pas leur traitement et qu'une part importante de ceux qui le font décide de son reversement à la société d'entraide des membres de la Légion d'honneur. Cela entraîne un surcroît dans la gestion des traitements, qui est difficilement quantifiable pour la part assumée par l'Ordre. En effet, si un agent de catégorie C est bien affecté à cette tâche, la quasi-totalité de la gestion est assurée par les services du Trésor public.

Je relève avec satisfaction que sa dotation permettra à l'Ordre d'assurer tant son bon fonctionnement que la poursuite des travaux de restauration et d'entretien des bâtiments relevant de sa responsabilité, entrepris depuis déjà plusieurs années.

Si j'apprécie que les travaux rendus nécessaires par l'état de vétusté du musée national de la Légion d'honneur aient enfin été engagés, je regrette qu'il ait fallu deux bonnes années de démarches et d'études avant la mise en chantier.

Le recrutement des élèves des maisons d'éducation a été élargi aux arrière-petites-filles des membres de l'ordre de la Légion d'honneur, ainsi qu'aux petites-filles et arrière-petites-filles des membres de l'ordre national du Mérite. J'approuve cette initiative qui permet à ces établissements de conserver la dimension nécessaire au maintien de la qualité de leur enseignement attestée par l'excellence des résultats obtenus : 96,5 % de réussite au baccalauréat.

Je me félicite de l'importance accordée en 2002 à la célébration du bicentenaire de la création de l'Ordre, le 21 mai 1802, par Napoléon Bonaparte, avec pour point d'orgue le choix de la Légion d'honneur comme thème central du défilé militaire traditionnel du 14-Juillet, ainsi que du bon déroulement de ces manifestations.

J'apprécie également que, ces dernières années, la proportion de femmes nommées ait souvent dépassé 20 % pour l'ordre de la Légion d'honneur et 30 % pour l'ordre national du Mérite. Il conviendra cependant de maintenir l'effort engagé en ce sens, car, pour les tout derniers contingents, ces pourcentages sont en diminution.

L'ordre de la Libération, dont la chancellerie est chargée d'assurer la gestion et d'apporter éventuellement des secours aux compagnons et à leurs familles, ne compte plus à ce jour que 114 compagnons de la Libération et 5 000 médaillés de la Résistance, dont 2 000 cotisants. Qu'il me soit permis d'avoir ici une pensée émue pour le général Jean Simon, chancelier de l'Ordre pendant près d'un quart de siècle et décédé le 28 septembre, un an après avoir quitté ses fonctions.

La subvention du budget général, seule ressource du budget annexe, s'établit pour 2004 à 678 727 euros. Elle connaît une hausse de 41 091 euros, soit de 6,44 % par rapport à 2003, au titre notamment des dépenses en matériel de transport et en informatique.

J'espère que la réfection totale de la distribution électrique de la chancellerie, retardée pour prendre en compte des obligations de sécurité incendie, verra son aboutissement en 2004.

Je me dois, pour terminer, d'évoquer l'avenir de ces deux budgets annexes, menacés par l'application de l'article 18 de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, limitant le recours à des budgets annexes et qui entrera en vigueur pour la loi de finances initiale de 2006.

La transformation en établissement public administratif de l'ordre de la Libération est déjà prévue par la loi de 1999, créant le Conseil national des communes « compagnons de la Libération », lorsque l'Ordre ne comptera plus un nombre suffisant de compagnons. Même si une solution transitoire devait être appliquée en 2006 - M. le ministre pourra peut-être nous éclairer sur ce sujet -, la mémoire et les traditions de l'Ordre seront sauvegardées.

En revanche, s'agissant de l'ordre de la Légion d'honneur, monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser si la suppression du budget annexe est confirmée et quelles solutions sont envisagées ? Dans l'hypothèse où il conviendrait de s'orienter vers sa transformation en établissement public ou vers son intégration dans les structures prévues par la LOLF, le problème du rattachement des crédits se poserait également.

J'espère que, dans le respect de la volonté du législateur, sera trouvée une solution satisfaisante pour l'Ordre au problème posé par la disparition, programmée dans la loi organique de 2001, de son budget annexe.

Ces observations étant faites, la commission des finances, suivant la proposition de son rapporteur spécial et selon la tradition parlementaire, propose au Sénat d'adopter ces deux projets de budget annexe.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le grand chancelier, monsieur le chancelier, mesdames, messieurs les sénateurs, nous ressentons tous un attachement particulier à l'égard des institutions de la Légion d'honneur et de l'ordre de la Libération qui traduisent la reconnaissance de la nation envers ceux qui l'ont défendue et honorée à travers les générations. L'examen de leurs projets de budget revêt donc une forte dimension symbolique, puisqu'il est l'expression de notre respect et de notre considération.

Les recettes des budgets annexes de la Légion d'honneur et de l'ordre de la Libération sont constituées, pour l'essentiel, par la subvention versée par le ministère de la justice et, pour ce qui concerne la Légion d'honneur, par des recettes propres, issues principalement de la perception des droits de chancellerie, ainsi que des pensions et trousseaux des élèves des maisons d'éducation.

Je ne reviendrai pas sur les données chiffrées, que M. le rapporteur spécial vient d'exposer très précisément. Je me bornerai à rappeler que les missions dévolues à la grande chancellerie sont principalement de deux ordres.

Il s'agit, tout d'abord, des nominations et promotions dans la Légion d'honneur et l'ordre national du Mérite. En 2002, 13 600 citoyens français, de toutes origines, de tous statuts, de toutes conditions sociales et professionnelles ont été distingués par notre premier ordre national, ainsi que 500 ressortissants étrangers que la France a voulu honorer.

J'ajoute que le décret du Président de la République du 14 février 2003 fixant les contingents de croix de la Légion d'honneur et du Mérite pour la période 2003-2005 tend à la poursuite de l'effort consenti en faveur des activités civiles, permettant de consolider l'universalité des ordres nationaux et de refléter, d'année en année, une image fidèle de la société française.

L'autre mission de la Légion d'honneur est la mission d'éducation. M. le rapporteur spécial a souligné l'excellence des résultats obtenus par les élèves des maisons d'éducation de Saint-Denis et de Saint-Germain-en-Laye, tant au baccalauréat qu'au brevet des collèges et au brevet de technicien supérieur. Nous ne pouvons que féliciter les responsables de ces établissements.

C'est à l'entretien de ces maisons d'éducation que sera consacré l'essentiel des dépenses en capital prévues pour 2004, soit 1,46 million d'euros en autorisations de programme et 1 million d'euros en crédits de paiement.

Enfin, c'est parce que ceux qu'elle honore méritent la reconnaissance de la nation que la Légion d'honneur apporte une aide sociale aux membres des ordres nationaux se trouvant dans une situation difficile. Un budget de 52 730 euros est reconduit cette année dans cet objectif. L'ordre de la Libération fait de même et consacrera à cette fin 62 352 euros en 2004.

Le projet de budget annexe qui vous est présenté pour l'ordre de la Libération s'élève globalement à 678 727 euros, soit une progression de 6,44 %. Cette évolution résulte tant de la revalorisation des rémunérations publiques que d'investissements nécessaires à l'ordre, en l'occurrence l'acquisition d'un véhicule de service et celle d'un logiciel de comptabilité.

L'ordre de la Libération compte aujourd'hui, comme M. le rapporteur l'a rappelé, plus d'une centaine de membres, dont cinq communes, Nantes, Grenoble, Paris, Vassieux-en-Vercors et l'Ile-de-Sein, qui, par leur bravoure, contribuèrent à la libération de la patrie et permirent à la France de compter au nombre des combattants et des vainqueurs de la barbarie.

L'Ordre sera perpétué au travers du Conseil national des communes compagnons de la Libération, établissement public administratif qui verra le jour lorsque le nombre des compagnons survivants ne permettra plus de réunir le conseil de l'Ordre. Un établissement public administratif transitoire devrait être créé à compter du 1er janvier 2005, entraînant de facto la disparition du présent budget annexe.

S'agissant de la Légion d'honneur, il faudra aussi tirer les leçons de l'entrée en vigueur de la loi organique relative aux lois de finances, qui ne permettra pas de conserver le statut budgétaire actuel de budget annexe. Je crois qu'il existe désormais un consensus sur ce point. Je m'engage donc, en accord avec le ministre chargé du budget, à mettre en oeuvre une réforme permettant de garantir la compatibilité du statut de la Légion d'honneur avec la loi organique, tout en maintenant - nous sommes d'accord sur ce sujet - l'autonomie budgétaire à laquelle l'Ordre est attaché et qui me paraît aller de soi compte tenu des missions de celui-ci.

Pour conclure, permettez-moi de souligner que le prestige de nos ordres nationaux repose aussi sur la célébration de leur histoire. Vous avez évoqué les manifestations qui ont eu lieu en 2002. Ce mois de décembre 2003 voit la célébration du quarantième anniversaire de l'ordre national du Mérite, en attendant que, en 2004, soient rappelées solennellement les premières remises d'insignes par Napoléon aux Invalides, le 15 juillet 1804, et au camp de Boulogne, le 16 août 1804.

Commémorer de tels événements, ce n'est pas s'enfermer dans le passé, c'est assurer un devoir de mémoire et se projeter ainsi dans l'avenir en soulignant l'importance des vertus que ces deux ordres mettent très opportunément en valeur dans la vie de notre République.

Monsieur le président, au terme de ce propos, je demande au Sénat d'adopter ces deux budgets annexes. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits concernant les budgets annexes de la Légion d'honneur et de l'ordre de la Libération, et figurant aux articles 48 et 49.

LÉGION D'HONNEUR

Services votés

M. le président. « Crédits : 17 555 789 euros. »

Je mets aux voix les crédits inscrits à l'article 48.

(Ces crédits sont adoptés.)

Mesures nouvelles

M. le président. « I. - Autorisations de programme : 1 460 000 euros ;

« II. - Crédits : 338 500 euros. »

Je mets aux voix les crédits inscrits à l'article 49.

(Ces crédits sont adoptés.)

ORDRE DE LA LIBÉRATION

Services votés

M. le président. « Crédits : 640 627 euros. »

Je mets aux voix les crédits inscrits à l'article 48.

(Ces crédits sont adoptés.)

Mesures nouvelles

M. le président. « II. - Crédits de paiement : 38 100 euros. »

Je mets aux voix les crédits inscrits à l'article 49.

(Ces crédits sont adoptés.)

M. le président. Je remercie le grand chancelier de l'ordre national de la Légion d'honneur et le chancelier de l'ordre de la Libération de leur présence.

Nous avons achevé l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernant les budgets annexes de la Légion d'honneur et de l'ordre de la Libération.

Justice

Budgets annexes de la Légion d'honneur et de l'ordre de la Libération
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2004
Etat B - Titre III

M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant le ministère de la justice.

J'indique au Sénat que, pour cette discussion, la conférence des présidents a opté pour la formule fondée sur le principe d'une réponse immédiate du Gouvernement aux différents intervenants, rapporteurs ou orateurs des groupes.

Ainsi, M. le garde des sceaux, ministre de la justice, répondra immédiatement et successivement au rapporteur spécial, puis aux trois rapporteurs pour avis, et enfin à chaque orateur des groupes.

Ces réponses successives se substitueront à la réponse unique en fin de discussion.

Chacune des questions des orateurs des groupes ne devant pas dépasser cinq minutes, le Gouvernement répondra en trois minutes à chaque orateur, ce dernier disposant d'un droit de réplique de deux minutes maximum.

J'invite chaque intervenant à respecter l'esprit de la procédure, qui repose sur des questions précises et en nombre limité, et les temps de parole impartis.

La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Hubert Haenel, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je ne sais pas si le président m'accordera une « prime au mérite », comme pour les magistrats, si je respecte mon objectif de ce matin qui est de ne pas parler plus de quinze minutes, mais je vais m'y efforcer. (Sourires.) La solution est bien simple : il suffit de ne pas répéter, de ne pas rabâcher les informations qui figurent dans le rapport écrit. Faute de quoi, on pourrait être taxé de « litanie, liturgie, léthargie », selon le bon mot du regretté président Edgar Faure.

Première remarque : le budget de la justice est un budget atypique au sein du budget de l'Etat.

Il est atypique non pas par rapport aux années précédentes - cela fait longtemps que le budget de la justice constitue une « priorité » des gouvernements successifs - mais au sein du budget général de l'Etat pour 2004. Il augmente de près de 5 % en crédits, alors que le budget général ne progresse que de 1,5 % et de plus de 3 % en emplois, bénéficiant en cela des plus fortes créations d'emplois de tous les fascicules budgétaires. Cela mérite d'être souligné.

Doit-on se réjouir des crédits supplémentaires ainsi dégagés ?

Oui ! pour le service public de la justice qui, nous l'espérons, s'en trouvera amélioré, mais en gardant à l'esprit que ce qui a été obtenu au profit de la justice pour 2004 est financé par un petit nombre de départements ministériels sur lesquels se concentre l'effort de maîtrise des dépenses. C'est pourquoi le ministère de la justice ne doit plus se contenter d'être un ministère régalien, le ministère « du droit », qui planerait au-dessus des impératifs de la gestion publique, il doit être exemplaire en termes de gestion.

S'agissant de gestion, la Cour des comptes, que la commission des finances a interrogée sur les reports de crédits qui, certaines années, semblent se pérenniser dans votre budget, a indiqué que cette situation résultait de « l'organisation propre du ministère ».

Monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'Etat, je vous poserai donc une première question : quelles conséquences sur cette organisation avez-vous tirées des observations de la Cour des comptes ?

Ma deuxième remarque vise à souligner que les promesses de la loi de programmation sont tenues et à en féliciter les ministres.

Si le budget de la justice dégage des moyens aussi importants en 2004, c'est grâce à l'engagement pris par le Gouvernement devant nous lors du vote de la loi d'orientation et de programmation pour la justice, à l'été 2002.

Pour la deuxième année d'application, la loi de programmation devait, en principe, être couverte à hauteur de 40 %. Or, dans les faits, on observe que, pour les emplois, le taux de couverture est de 42 % de même que pour les dépenses ordinaires ; pour les autorisations de programme, il est de 53 % ; pour les crédits de paiement, il n'est que de 14 %, mais, lorsque l'on engage un investissement lourd - construction d'une prison, d'un palais de justice -, les premières années, les paiements effectifs sont toujours faibles.

Troisième remarque : le ministère de la justice s'engage résolument dans la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, qui est un vecteur majeur de la réforme de l'Etat.

La mission est définie, c'est une mission unique qui recouvre l'ensemble de l'actuel budget de la justice.

Les programmes sont presque prêts : ils ressemblent beaucoup aux actuels agrégats et n'ont pas dû être très difficiles à élaborer. Il est prévu, comme dans la plupart des ministères, un programme « supports » mais aussi des actions « support » à l'intérieur de chacun des programmes opérationnels. Il me paraît important à cet égard qu'une mutualisation des moyens « supports » soit bien opérée afin que les différentes directions opérationnelles ne fonctionnent pas trop en vase clos.

Je n'ai malheureusement pas eu connaissance des objectifs ni des indicateurs de résultats, qui, je crois, ne sont pas encore prêts.

Monsieur le garde des sceaux - c'est ma deuxième question -, quand pourrez-vous nous faire connaître vos propositions en matière d'objectifs et d'indicateurs de résultats ?

Des expériences de dotations globalisées vont, semble-t-il, être lancées en 2004.

Ma quatrième remarque est relative à un autre chantier de la réforme de l'Etat dans lequel le ministère de la justice s'est lancé : la « stratégie ministérielle de réforme ».

Comme tous les autres ministères, celui de la justice s'est engagé dans cet exercice imposé par le Premier ministre.

Parmi les trente-trois chantiers identifiés, qui font l'objet de calendriers précis mais malheureusement encore sans objectifs chiffrés, figure notamment le principe de la rémunération au mérite. Monsieur le garde des sceaux, vous vous êtes engagé, lors de votre audition devant les commissions des lois et des finances, à appliquer la rémunération au mérite à 10 000 cadres de votre ministère en 2004. J'avoue que j'ai quelque difficulté à comprendre l'opposition des organisations professionnelles de magistrats. Le système fonctionne à la grande satisfaction générale dans ma maison mère. J'indique que j'ai toujours été très heureux, tous les trimestres, de recevoir ma notification de prime de rendement par le vice-président du Conseil d'Etat. Je ne vois pas pourquoi les magistrats trouvent à redire à ce système alors que les hauts magistrats administratifs le vivent depuis des décennies.

J'en viens à ma cinquième remarque.

La stratégie ministérielle de réforme est particulièrement intéressante et elle rejoint sur de nombreux points des préconisations que j'avais pu faire par le passé. Mais j'ai encore des questions à vous poser, monsieur le garde des sceaux, et des suggestions à vous faire.

S'agissant de l'expérimentation, il est certes prévu de décentraliser la gestion des mesures d'assistance éducative aux conseils généraux dans le projet de loi relatif aux responsabilités locales. Mais pourquoi ne prévoit-on pas une expérimentation en matière de carte judiciaire pour surmonter les blocages actuels ? La question a été maintes et maintes fois posée ici à la tribune à la plupart de vos prédécesseurs, monsieur le garde des sceaux, au moins depuis une dizaine d'années. Or, à ce jour, cette question est restée sans réponse.

Concernant l'évaluation, je me bats pour que les études d'impact avant un projet de loi important soient effectuées par une instance indépendante et pour qu'une évaluation des impacts réels de la loi soit faite après son entrée en vigueur. Vous nous avez dit, lors de votre audition en commission : que le Parlement chargeait la barque ! Mais alors, comment peut-on mesurer l'impact de mesures présentées par voie d'amendements ? Je le regrette pour la commission des lois, mais une solution toute simple consisterait à demander à la commission des finances de donner son avis sur les amendements, au moins sur ceux de la commission des lois et sur ceux d'un certain nombre de nos collègues. C'est ce que je préconise depuis des années. Mais cette suggestion est restée sans réponse.

J'évoquerai un cas pratique, s'agissant de la réforme des retraites votée par le Parlement. Quelles sont les conséquences de cette réforme pour votre ministère ? Envisagez-vous de permettre le recul des limites d'âge dans certains cas : pour les magistrats, ne peut-on envisager de porter la limite d'âge de soixante-cinq ans à soixante-six ans par exemple ?

Ma sixième remarque porte sur les enseignements de mes contrôles budgétaires. Je serai ici d'une prudence de serpent ! (Sourires.)

J'ai mené, comme la plupart de mes collègues de la commission des finances, un contrôle budgétaire en 2003. Il portait sur le financement de la lutte contre le terrorisme au tribunal de grande instance de Paris. Monsieur le garde des sceaux, vous devez avoir eu connaissance de notre souhait exprimé l'an dernier, car dès février, un plan de renforcement des moyens était décidé, et nous ne pouvons que vous en féliciter. Ce plan est bon et il est correctement mis en oeuvre, en tout cas sur le plan immobilier.

En revanche, j'ai pu observer un certain nombre de dysfonctionnements.

Sur le plan des moyens, le tribunal de grande instance de Paris est toujours dans des locaux extrêmement exigus et mal organisés du palais de justice - les magistrats du parquet « antiterroriste » sont à dix minutes à pied de leurs homologues de l'instruction -, l'outil statistique est pauvre et, curieusement, le matériel informatique de scannérisation mis en place à l'instruction serait incompatible avec celui qui a été choisi par le parquet, ce qui signifie que l'on ne peut pas avoir de chaîne pénale !

Quant au parc automobile, il semble que personne n'oserait s'aventurer en dehors de l'agglomération parisienne avec les voitures du parquet ou celles de la cellule antiterroriste de l'instruction. Alors, on a trouvé la bonne solution : c'est le ministère de l'intérieur qui fournit les véhicules, l'excuse étant que l'on a besoin de policiers pour la protection. Il est tout de même assez curieux que ce soit le ministère de l'intérieur qui fournisse les véhicules au ministère de la justice.

Sur le plan du fonctionnement institutionnel, la centralisation des affaires à Paris ne fonctionne pas bien, et c'est souvent la « guéguerre » entre Paris et le parquet local pour savoir qui aura l'affaire. Ces conflits de compétences entraînent des pertes de temps préjudiciables au bon déroulement des enquêtes. Il y donc une mauvaise utilisation des moyens budgétaires. Les crispations entre le parquet et l'instruction sont nombreuses et se traduisent par l'absence de chaîne pénale, par le défaut de réunions de travail communes, par des transmissions aléatoires de procédures, etc.

Autre curiosité, c'est la Chancellerie qui établit les ordres de mission des magistrats instructeurs, ce qui semble quelque peu contradictoire avec le principe de l'indépendance de la magistrature.

Monsieur le ministre, je souhaiterais recueillir votre opinion sur ces constatations. Je me demande s'il n'y aurait pas lieu d'envoyer une inspection générale mixte à la fois au parquet et à l'instruction.

Depuis dix-huit ans que je suis le budget du ministère de la justice, la plupart des présidentes et présidents du TGI de Paris m'ont fait part de leurs interrogations, de leurs réticences concernant le fonctionnement de l'instruction à Paris, en particulier en ce qui concerne l'antiterrorisme. On peut d'ailleurs se poser la question, bien qu'elle soit taboue, de savoir si l'on peut rester aussi longtemps à la tête de cette cellule, même si cette fonction réclame une compétence toute particulière.

Permettez-moi enfin de revenir sur le contrôle précédent que j'ai effectué au nom de la commission des finances sur les moyens de fonctionnement de la justice dans les départements d'Alsace et de Moselle. Je m'étais préoccupé du bon déroulement de l'informatisation du livre foncier. Or, depuis l'an dernier, des retards importants sont pris en raison du manque de greffiers.

En Alsace et en Moselle, vous le savez, monsieur le ministre, nous sommes très attachés au livre foncier, et nous souhaitons que l'informatisation se fasse dans les meilleures conditions. Pouvez-vous nous dire quels moyens vous avez dégagés ou vous allez dégager - momentanément, c'est vrai -, pour pouvoir assurer une bonne informatisation du livre foncier ?

Je constate que j'ai parlé onze minutes cinquante-neuf secondes, monsieur le président ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Je remercie le rapporteur spécial, M. Haenel, pour la qualité de son rapport écrit, mais également pour l'intérêt des questions qu'il a bien voulu me poser.

Pour 2004, ce budget, vous l'avez bien compris les uns et les autres, est la stricte mise en oeuvre de la loi d'orientation et de programmation pour la justice que la majorité du Sénat a votée il y a maintenant un peu plus d'un an. Cela signifie qu'après le budget de 2003, qui était la première année de mise en oeuvre de cette loi, nous attaquons la deuxième année de mise en place des moyens en personnels, en investissements et en fonctionnement pour répondre aux attentes qui avaient été exprimées par nos concitoyens et qui avaient justifié l'élaboration de cette loi d'orientation et de programmation.

S'agissant de la première réflexion de M. Hubert Haenel sur l'organisation du ministère et la gestion des crédits, je voudrais rappeler que, s'agissant des dépenses ordinaires, le taux de consommation globale dépassait 80 % à la fin du mois de novembre. Il est donc très probable que nous atteindrons un taux tout à fait significatif sur l'année : plus de 90 %.

S'agissant des dépenses en capital, sur lesquelles portaient plus particulièrement les remarques de la Cour des comptes, il est exact que le taux de consommation des autorisations de programme est encore faible, pour les raisons que vous avez vous-même avancées, monsieur le rapporteur. Cela concerne essentiellement le stock d'autorisations de programme non mobilisé pour le tribunal de grande instance, le TGI de Paris, et cela provient du lissage des financements du programme pénitentiaire pour éviter les décrochages brutaux d'une année à l'autre au cours de la programmation.

Pour les crédits de paiement, en revanche, comme vous le soulignez dans votre rapport, monsieur Haenel, la situation s'améliore depuis l'année 2002, où le taux de consommation a atteint 90 %. Pour 2003, ce taux est de 80 % au 1er décembre.

Pour ce qui est de l'organisation et du suivi des dépenses, je voudrais rappeler la création, encore récente, de l'Agence de maîtrise d'ouvrage des travaux du ministère, qui est en train de considérablement améliorer les choses. D'ailleurs, la Cour des comptes a commencé à le noter.

Les tableaux de bord émis par l'agence permettent de suivre les consommations mensuelles des différentes conventions de mandat et de disposer de prévisions de consommation pour les mois à venir. L'entrée en vigueur de la LOLF ne remettra pas en cause cet outil, bien au contraire. Cette agence pourra donc continuer de fonctionner au mieux, au service des différents éléments du ministère de la justice.

Je voudrais souligner le fait que l'administration dont j'ai la responsabilité est devenue le premier constructeur de l'Etat. Elle mène un très grand nombre de chantiers dont certains sont considérables. Par conséquent, il a bien entendu fallu adapter les structures de gestion à cette réalité relativement récente.

S'agissant de la mise en oeuvre de la loi organique, comme vous avez bien voulu le souligner, monsieur le rapporteur spécial, nous avons défini la structure à venir de la mise en oeuvre de cette loi et nous travaillons actuellement sur les indicateurs, étant précisé que les expérimentations que nous allons conduire dans un certain nombre de juridictions nous permettront, je pense, de tester ces indicateurs dans des conditions satisfaisantes.

Vous avez également évoqué, monsieur Haenel, la rémunération au mérite, et vous m'avez demandé ce qui se « cache » derrière le chiffre de près de 10 000 cadres concernés. Ce chiffre concerne environ 1 600 personnels de l'administration centrale, environ 826 magistrats administratifs, un peu plus de 7 000 magistrats judiciaires, près de 700 directeurs des services pénitentiaires et de directeurs des services d'insertion et de probation et, enfin, 630 directeurs de la protection judiciaire de la jeunesse. Toutes les personnes ayant des responsabilités de « cadres », comme on le dit dans le monde de l'entreprise, c'est-à-dire de vraies responsabilités, sont concernées par cette modulation partielle des primes, qui sont un élément parmi d'autres de la rémunération.

Vous avez également évoqué, monsieur le rapporteur spécial, la carte judiciaire.

Au moment où nous recherchons l'efficacité, où, à juste titre, le Parlement me demande de mobiliser avec le plus d'efficacité possible les crédits de personnels, d'investissements et de fonctionnement, en particulier dans les juridictions, attention aux conséquences que pourrait avoir une redéfinition très ambitieuse, si elle est possible, de la carte judiciaire.

Je vais prendre un exemple que l'élu local que vous êtes, comme moi, comprendra bien.

Il ne faudrait pas que l'application de la carte judiciaire ait pour conséquence de fermer un établissement dans une commune moyenne où il n'y a aucune pression foncière pour aller chercher des mètres carrés fort coûteux dans une capitale régionale. Il faut tenir compte des conséquences collatérales de la concentration des moyens publics. Il faut agir avec prudence.

Par ailleurs, monsieur le rapporteur spécial, je me suis engagé dans deux directions pour répondre à vos interrogations sur la carte judiciaire.

La première, c'est une spécialisation d'un certain nombre de juridictions autour du pôle « criminalité organisée ». On aura sans doute l'occasion, au mois de janvier, de reparler de ce sujet. C'est une manière pragmatique de revenir sur la carte judiciaire.

La deuxième, c'est ma volonté de supprimer un certain nombre de tribunaux de commerce là où la dimension de ces tribunaux ne correspond pas aux exigences en matière de bon fonctionnement.

Enfin, nous avons développé, au cours des mouvements de magistrats les plus récents, à la demande de la direction des services judiciaires, mais aussi à la demande de bon nombre de chefs de cour, la pratique des magistrats et des greffiers « placés ». Cela nous donne de la souplesse dans l'affectation des moyens et nous permet de corriger éventuellement les inconvénients de tel ou tel élément de la carte judiciaire.

Sur les retraites et les perspectives pour les personnels du ministère de la justice, je voudrais simplement rappeler l'esprit de la réforme des retraites du printemps dernier. Cette réforme ne modifie pas les dates butoir d'arrivée à la retraite, mais le nouveau dispositif conduit à allonger la durée de cotisation. De ce fait, les magistrats, en particulier, qui commencent leur carrière tardivement, risquent d'atteindre la limite d'âge avant d'avoir acquis la totalité de leurs annuités. Cela nous interpelle les uns et les autres, et il nous faudra peut-être rendre le dispositif plus souple.

Je voudrais simplement rappeler que les magistrats ont d'ores et déjà la possibilité de repousser de soixante-cinq ans à soixante-huit ans leur maintien en activité.

Par ailleurs, il nous faut avoir une juste connaissance des conséquences du supplément que va apporter à la retraite la prise en compte d'une partie des rémunérations accessoires. Il s'agira là d'un correctif intéressant.

S'agissant du renforcement des moyens humains du pôle antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris, je rappelle la création d'un sixième poste de magistrat au parquet et, bientôt, d'un septième, celle d'un cinquième poste de juge d'instruction spécialisé, puis - je le souhaite - celle d'un sixième, ainsi que l'affectation de quatre greffiers supplémentaires et de trois agents de catégorie C.

J'ai veillé à ce qu'un effort soit fait, en liaison avec le procureur et le président du tribunal de grande instance de Paris, pour que la mise en place des moyens en bureautique et en informatique soit effective.

Sur le plan immobilier, pour l'instant, nous avons un peu « repoussé les murs », si je puis dire, en gagnant sur quelques bureaux le long de la galerie Saint-Eloi. Il est évident que nous sommes soumis à une double contrainte : d'une part, celle du tribunal de grande instance en général et, d'autre part, celle qui tient au fait qu'il est hors de question de délocaliser du tribunal de grande instance les éléments du pôle antiterroriste, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité. C'est impensable, cela soulèverait énormément de difficultés.

Vous avez ensuite évoqué le problème du fonctionnement. Je souhaite, bien entendu, que l'articulation entre le parquet spécialisé et les cabinets des juges d'instruction spécialisés fonctionne bien, que cette articulation soit satisfaisante et que l'on évite certaines difficultés dans le concret, telles que celles qui ont pu être observées à l'occasion d'affaires récentes.

Je souhaite aussi que nous parvenions à déterminer avec plus de pertinence la séparation entre ce qui doit être traité par les tribunaux de droit commun et ce qui doit l'être par le tribunal de grande instance de Paris.

Vous le savez : en cas de conflit, c'est à la direction des affaires criminelles, à la Chancellerie, de trancher. Ce n'est pas exactement comme cela que les choses se passent. En général, il y a une sorte de recherche de consensus, de communication rapide entre les uns et les autres pour arriver à un bon équilibre entre ce qui peut être traité dans les tribunaux de droit commun, dans des régions comme la Corse et le Pays basque, par exemple, et ce qui doit être traité au sens strict de la lutte antiterroriste.

En ce qui concerne les ordres de mission, la règle est que les déplacements à l'étranger soient établis par la Chancellerie pour l'ensemble des magistrats. Ce système très ancien n'a jamais posé de problème d'indépendance pour tel ou tel magistrat.

S'agissant enfin du livre foncier, j'ai découvert l'intérêt de ce dossier très particulier lors de l'un de mes déplacements en Alsace-Moselle. Quelles mesures avons-nous prises pour accélérer l'informatisation de ce livre foncier, pour en faire un outil économique et juridique valable ? Après une inspection des greffes, qui a procédé à l'évaluation de la charge de travail, nous avons affecté quatre greffiers « placés » à la cour d'appel de Colmar. Nous avons également décidé d'en affecter quatre autres dès le 10 décembre 2003. Par ailleurs, douze emplois de catégorie C vont être attribués à la cour de Colmar à partir du mois de janvier prochain. Cela fera partie du contrat d'objectifs que j'envisage de mettre au point avec cette cour.

Avec ce dispositif, en « donnant ce coup de collier », nous devrions arriver à mener à bien ce travail considérable et passionnant afin, monsieur Haenel, que votre région puisse bénéficier de la mise à jour de ce dispositif et de l'informatisation du livre foncier.

Telles sont les réponses que je voulais apporter à M. le rapporteur spécial, que je remercie pour la qualité de son rapport. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, rapporteur pour avis.

M. Christian Cointat, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale pour les services généraux. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, malgré un contexte financier difficile, le projet de budget de la justice pour 2004 connaît une progression sensible dont on peut se réjouir. La deuxième tranche du programme quinquennal est conforme aux engagements pris par le Gouvernement. Des efforts importants sont prévus au niveau des effectifs, de leur formation, de leur statut, avec une incitation à la responsabilité et une récompense du mérite. Les réformes en vue d'une justice plus proche des citoyens, plus rapide et plus accessible sont poursuivies. La modernisation des méthodes de travail comme du fonctionnement des juridictions sont bien engagées, notamment avec un développement des contrats d'objectifs.

M. Jacques Mahéas. Tout va bien dans le meilleur des mondes !

M. Christian Cointat, rapporteur pour avis. En tout cas cela va beaucoup mieux qu'avant. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Les perspectives globales sont encourageantes. Je souhaiterais donc limiter mes observations à deux secteurs qui soulèvent quelques interrogations, à savoir, d'une part, les personnels des greffes et, d'autre part, l'aide juridictionnelle.

En ce qui concerne les greffes, outre les nombreuses créations d'emplois de fonctionnaires prévues par le projet de budget pour 2004 pour les services judiciaires, votre ministère, monsieur le ministre, propose de nouvelles mesures indemnitaires et statutaires en faveur de ces personnels.

Conformément aux engagements pris, vous avez réalisé les réformes statutaires prévues pour les greffiers en chef et les greffiers, afin de leur offrir des déroulements de carrière plus favorables et d'accroître leurs responsabilités, comme en témoignent notamment les postes de « greffiers-assistants du magistrat ».

Le projet du budget pour 2004 n'oublie pas les fonctionnaires de catégorie C, dont le taux indemnitaire moyen s'avérait moins favorable que ceux des fonctionnaires des catégories A et B et sera, désormais, légèrement supérieur à celui de ces derniers : 22 % au lieu de 21 %. En outre, une série de mesures substantielles facilitera leur promotion interne. Toutefois, un décalage important existe entre les primes des magistrats et celles des fonctionnaires : 41 % pour les premiers, 21 % à 22 % pour les seconds.

Ma première question est la suivante : comptez-vous, monsieur le ministre, opérer progressivement un rattrapage en vue d'un meilleur équilibre entre ces primes ?

En effet, en dépit des progrès réalisés, je n'ai pas trouvé, au fil des auditions que j'ai menées pour l'examen de ces crédits, un climat apaisé et serein, comme auraient pu le laisser supposer les efforts budgétaires indéniables qui ont été effectués.

Au contraire, j'ai non seulement ressenti des inquiétudes, mais j'ai pu prendre la mesure de l'amertume et de la déception exprimées par les représentants syndicaux des fonctionnaires des greffes, voire de la tension - pour ne pas dire la distance - qui existe entre ces personnels et les magistrats. Ce constat m'amène à penser que le dialogue social dans les juridictions est en panne ou, à tout le moins, fonctionne mal. Je crois qu'il faut s'en inquiéter, monsieur le ministre.

Ainsi, deux autres questions me viennent à l'esprit.

Tout d'abord, quelle est votre analyse de la situation actuelle des juridictions et comment expliquez-vous qu'en dépit de quelques avancées incontestables, les personnels des greffes demeurent insatisfaits de leur situation matérielle et de leurs conditions de travail ?

Ensuite, comment comptez-vous améliorer le dialogue social afin de réinventer une synergie entre les différents acteurs du service public de la justice ?

En ce qui concerne l'aide juridictionnelle, guidé par le louable souci de favoriser l'accès du plus grand nombre à la justice, vous avez fait le choix respectable de préserver l'esprit du dispositif qui résulte de la loi du 10 juillet 1991, tout en proposant d'y apporter progressivement quelques améliorations. Chacun reconnaît que le système actuel comporte des faiblesses, au premier rang desquelles figurent l'insuffisante rétribution des avocats et la disparité de traitement des demandes d'admission.

Ainsi, prolongeant le mouvement engagé l'année dernière, le projet de budget pour 2004 propose une série de mesures destinées à pallier, ou à tout le moins réduire, les imperfections du dispositif. On peut citer l'augmentation du barème de quinze procédures judiciaires, la majoration de 2 % de l'unité de valeur ou encore l'exclusion des ressources de l'aide personnalisée au logement et de l'allocation de logement social.

Pouvez-vous nous donner l'assurance, monsieur le ministre, qu'une revalorisation des barèmes interviendra chaque année afin qu'ils soient davantage en rapport avec la prestation intellectuelle fournie par l'avocat ?

Les principaux représentants de la profession d'avocat rencontrés au cours de mes auditions ont exprimé leur souhait d'aller encore plus loin, en particulier s'agissant du développement de l'assurance de protection juridique. Cela n'est cependant pas chose aisée. Le barreau de Paris, avec deux associations de consommateurs, a tenté un rapprochement avec les assureurs en lançant, en mai dernier, le prix de « l'accès au droit ». Faute de candidats, cette opération n'a pas rencontré le succès escompté, ce qui illustre fort bien les obstacles à surmonter.

Ces professionnels se sont pourtant déclarés prêts à engager un dialogue avec les sociétés d'assurance sous l'égide du ministère de la justice.

En conséquence, seriez-vous prêt, monsieur le ministre, à mener une étroite concertation en ce sens avec les différents acteurs concernés ?

Que pensez-vous d'une éventuelle extension du champ d'application de l'assurance de protection juridique et quels moyens vous paraissent pouvoir être envisagés pour inciter les sociétés d'assurance à proposer des contrats moins complexes et mieux connus des justiciables ?

Merci, monsieur le ministre, de bien vouloir nous éclairer sur ces quelques points. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Georges Othily, rapporteur pour avis.

M. Georges Othily, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale pour l'administration pénitentiaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2004 soumis au Sénat fixe à 5,283 milliards d'euros le budget du ministère de la justice, ce qui représente une hausse de 4,9 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2003.

Au sein des crédits du ministère de la justice, 1,6 milliard d'euros, soit 30,4 %, sera consacré à l'administration pénitentiaire. Les crédits de cette administration sont donc en hausse de 7,75 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2003.

En deux années, 1 998 emplois auront été créés dans l'administration pénitentiaire, ce qui représente une exécution des objectifs de la loi d'orientation et de programmation à hauteur de 53 %. De même, 736 millions d'euros d'autorisations de programme auront été affectés en deux ans à l'administration pénitentiaire au titre de la loi d'orientation et de programmation, ce qui représente une exécution des objectifs de cette loi à hauteur de 56 %.

Après deux années, la loi d'orientation est exécutée pour plus de la moitié de ses objectifs en ce qui concerne l'administration pénitentiaire, ce qui mérite, monsieur le garde des sceaux, d'être remarqué et salué.

J'en viens à la situation de l'administration pénitentiaire.

Celle-ci est préoccupante. Elle est en effet marquée par une forte augmentation de la population carcérale. Au 1er janvier 2003, 55 407 personnes étaient détenues en France contre 48 594 au 1er janvier 2002. Le nombre de détenus a même atteint 60 963 au 1er juillet 2003. Il était de 58 661 le 1er novembre dernier.

Compte tenu de l'augmentation du nombre de détenus, le taux d'occupation des établissements pénitentiaires atteignait 115,5 % le 1er janvier 2003.

Cette situation pose de multiples difficultés. Elle rend plus difficile le maintien d'un haut niveau de sécurité dans les établissements. Elle contribue à la survenance d'autoagressions telles que les automutilations, les suicides ou d'agressions à l'encontre des personnels. Elle rend largement théorique l'exercice de la mission de réinsertion confiée à l'administration pénitentiaire.

La loi d'orientation et de programmation pour la justice a prévu la création de 13 200 places nouvelles de prison.

Ma première question est la suivante : quel est l'échéancier prévu pour la construction des nouveaux établissements et quand interviendront les premières mises en service ?

Le développement du placement sous surveillance a connu une accélération, conformément aux objectifs fixés par la loi d'orientation et de programmation pour la justice, qui en a prévu la généralisation afin de permettre, à échéance de cinq ans, le placement simultané sous surveillance électronique de 3 000 personnes. Le Sénat, qui est à l'origine de cette réforme, ne peut que se féliciter de cette évolution.

Ma deuxième question est la suivante : les évolutions législatives ne doivent-elles pas s'accompagner d'une politique volontariste en matière de dispositifs d'aménagements de peine ou d'alternatives à l'incarcération ? Quelles mesures avez-vous prises ou prendrez-vous pour développer le nombre de quartiers de semi-liberté ou de chantiers extérieurs ?

La commission d'enquête du Sénat sur la délinquance des mineurs avait proposé d'inciter financièrement les collectivités locales à développer l'offre de travaux d'intérêt général, qui reste insuffisante. Que pensez-vous de cette mesure ?

J'évoquerai brièvement maintenant les suspensions de peines pour causes médicales graves. Je rappelle que la loi sur les droits des malades a prévu, sur l'initiative du Sénat, une suspension de peine pour les détenus dont le pronostic vital est en cause ou dont l'état est incompatible avec le maintien en détention.

Depuis l'adoption de cette loi, le Gouvernement a diffusé deux circulaires destinées à faire connaître cette mesure aux personnes susceptibles d'en bénéficier et à préciser ses conditions d'application.

Lors de ma visite à l'hôpital de Fresnes, j'ai constaté que l'application de cette mesure se heurtait parfois à l'absence de tout lien familial des détenus et à la difficulté de trouver pour eux une place dans des centres de soins palliatifs ou de long séjour. Il arrive ainsi que des personnes dont la peine est suspendue terminent leur existence au service des urgences de l'hôpital le plus proche.

Ma troisième question est la suivante : ne conviendrait-il pas que les ministères de la justice, des affaires sociales et de la santé se concertent pour faire en sorte que cette réforme, qui a constitué un progrès incontestable, puisse être pleinement mise en oeuvre ? D'une manière générale, quelles mesures sont envisagées pour faire face à l'augmentation dans les prisons du nombre de détenus malades ou âgés ?

Dans le cadre de la préparation du présent rapport, j'ai visité deux établissements : la maison d'arrêt de Fresnes et celle de la Santé.

La maison d'arrêt de Fresnes est une maison d'arrêt très particulière, parce qu'elle accueille plus de condamnés que de prévenus. Cette situation s'explique par la présence, au sein de l'établissement, du Centre national d'observation, le CNO, et du Service national de transfèrement.

Tous les condamnés à une peine supérieure à dix ans d'emprisonnement doivent passer au CNO de Fresnes avant d'être affectés dans un établissement pour peines. Pendant six semaines, un bilan de la situation de chaque condamné est dressé grâce à des entretiens avec des psychiatres, des psychologues, des personnels sociaux.

En 2000, la commission d'enquête du Sénat sur les prisons avait souhaité la disparition du CNO au profit d'une gestion régionale de l'affectation des détenus. Après ma visite, je confirme que le système du CNO présente de graves inconvénients.

Ma quatrième question est la suivante : envisagez-vous, monsieur le ministre, de modifier le système du CNO, qui n'est plus efficace et qui retarde, pour de nombreux détenus, la mise en place d'un projet d'exécution de peine ? La construction de nouveaux établissements n'est-elle pas l'occasion de créer des centres régionaux d'observation ?

Et voici ma dernière question : quel est l'échéancier prévu pour la réfection de la prison de la Santé ? Quelles sont les options retenues pour la rénovation de cet établissement, notamment en ce qui concerne le maintien ou non de détenus sur place pendant les travaux ?

En conclusion, la commission des lois vous propose, mes chers collègues, de donner un avis favorable sur les crédits du ministère de la justice consacrés à l'administration pénitentiaire. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste ainsi que sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard, rapporteur pour avis.

M. Patrice Gélard, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale pour la protection judiciaire de la jeunesse. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le budget de la protection judiciaire de la jeunesse, la PJJ, est un budget satisfaisant puisqu'il est en augmentation de 3,8 % et qu'il prévoit la création de 234 postes, ce qui représente quasiment le cinquième de la programmation quinquennale.

Il convient également de noter l'amélioration de la situation des personnels, qui est directement visée par ce budget, ainsi que l'augmentation des crédits de fonctionnement. Ce budget est donc tout à fait conforme aux objectifs de la loi d'orientation et de programmation. Néanmoins, monsieur le garde des sceaux, je me permettrai de vous poser cinq questions.

La première question fait suite aux préconisations du rapport de la Cour des comptes.

En effet, l'état des lieux des contrôles effectués sur les structures associatives apparaît comme insuffisant puisqu'une trentaine de structures seulement ont été contrôlées au cours de l'année sur les 1 213 établissements gérés par 508 associations. Par quels moyens la protection judiciaire de la jeunesse entend-elle renforcer le contrôle du secteur associatif ?

Les deuxième et troisième questions concernent les candidats au concours de recrutement de la protection judiciaire de la jeunesse. Il apparaît aujourd'hui que des candidats motivés par le travail social échouent au concours au profit de candidats surdiplômés. Quelles sont les mesures envisagées pour diversifier les recrutements ? Et comment le ministère entend-il améliorer le déroulement de la carrière des agents ?

La quatrième question concerne les personnels travaillant en hébergement collectif, qui sont principalement de jeunes éducateurs sans expérience, alors qu'il s'agit de postes particulièrement difficiles.

De plus, ces équipes connaissent des mutations très importantes. Comment peut-on remédier à ce mouvement ? Comment pérenniser dans l'hébergement collectif des personnels qualifiés, compétents et ayant de l'expérience ? Les primes prévues sont-elles suffisantes ?

Enfin, ma dernière question a trait au patrimoine de la protection judiciaire de la jeunesse, qui est très souvent ancien, voire vétuste. Quelles sont les mesures prévues pour le rénover et le rendre conforme aux normes de sécurité ?

En conclusion, la commission des lois a émis un avis favorable sur le projet de budget de la protection judiciaire de la jeunesse. Je mentionnerai cependant l'inquiétude que l'on peut éprouver pour l'avenir au vu de l'augmentation de la délinquance et des situations de mise en péril de jeunes, comme en font foi les statistiques. Il faudra sans doute, à l'avenir, prévoir des mesures encore plus importantes pour faire face à cette question cruciale qu'est la réinsertion des jeunes en difficulté dans notre société. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Dominique Perben, garde des sceaux. Je vais tout d'abord répondre à M. Christian Cointat, rapporteur pour avis, qui m'a interrogé sur deux sujets : le climat social dans les juridictions, d'une part, l'aide juridictionnelle et la relation avec les avocats, d'autre part.

S'agissant du climat social dans les juridictions, il faut prendre en compte plusieurs facteurs.

Le premier concerne les vacances d'emploi.

Au cours des visites que je fais régulièrement dans les juridictions depuis dix-huit mois, j'ai pris conscience que la discussion était très difficile à partir du moment où les magistrats, les greffiers faisaient ressortir que par exemple, sur vingt postes budgétaires prévus, dix-sept postes seulement étaient pourvus. Dès lors, le ministre perdait toute sa crédibilité, notamment dans son discours sur les moyens.

C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité que soit consenti un effort immédiat sur ce point. Ainsi, d'ici à la fin de l'année 2003 et au début de l'année 2004, les vacances de postes seront en passe d'être comblées. Restent, bien sûr, les vacances de postes qui résultent des changements d'affectation, mais on ne les supprimera jamais, et heureusement, car cela signifie que des magistrats connaissent des promotions. En dehors de ces quelques semaines pendant lesquelles un poste peut rester vacant entre deux vagues de nomination, désormais grâce au recrutement nécessaire, les postes vacants seront pourvus.

Par ailleurs, des postes budgétaires supplémentaires vont être créés, grâce aux lois de finances successives : les affectations suivront grâce à la mise à niveau des structures de recrutement et de formation ; je pense, à cet égard, à l'extension des capacités de l'Ecole des greffes de Dijon, qui aujourd'hui tourne à plein.

J'en viens à vos interrogations plus spécifiques sur les greffiers, monsieur le rapporteur pour avis.

Sur ce sujet, nous avons réussi à résoudre un problème difficile. Comme vous le savez, mon prédécesseur avait engagé un projet de réforme statutaire des greffiers qui, pour des raisons de nature interministérielle avait échoué.

Cela a engendré une très grande frustration et créé un très mauvais climat dans les juridictions. J'ai eu conscience, dès mon arrivée au ministère, que ce point était à régler d'urgence.

Nous avons ainsi obtenu, après des discussions au niveau interministériel, l'instauration d'un statut B bis, c'est-à-dire un statut dérogatoire au cadre B, acceptable et par le ministère de la fonction publique et par le ministère du budget. Un certain nombre d'engagements ont été pris sur l'évolution du métier des greffiers, ce qui m'a permis d'obtenir ce statut dérogatoire au cadre B.

Peut-être certains auraient-ils espéré davantage, mais la négociation a abouti à cet équilibre que je crois satisfaisant.

Par ailleurs, nous poursuivons la réévaluation progressive du système indemnitaire, lequel sera passé de 19 % en 2000 à 22 % en 2004 ; bien sûr, il nous faudra continuer.

S'agissant des greffiers en chef, une réforme a également été réalisée au cours de l'année 2003.

J'espère que ces différents éléments permettront d'améliorer le dialogue social.

Enfin, vous avez raison de dire qu'il est nécessaire de développer le dialogue social dans les cours et dans les juridictions. Une approche plus souple, au plus près du terrain, est nécessaire. En effet, les questions posées par les personnels ne doivent pas remonter systématiquement à l'échelon ministériel. J'essaie donc de convaincre les partenaires locaux de traiter les questions à caractère social, chaque fois que cela est possible, au niveau local.

S'agissant de l'aide juridictionnelle, je rappellerai les deux axes de travail dans lesquels je me suis engagé.

Le premier est la restructuration du barème. C'est un élément très important, puisque à chaque acte effectué par un avocat correspond un certain nombre d'unités de valeur. Le barème a donc été restructuré par un décret de septembre 2003.

Ainsi, les assistances de fond devant le tribunal de grande instance ou le tribunal de commerce passent de vingt à vingt-six unités de valeur. L'assistance d'un accusé devant la cour d'assises passe de quarante à cinquante unités de valeur.

Il s'agit donc d'une évolution très importante en nombre d'unités de valeur et donc en rémunération, qui représente dans le projet de budget dont vous débattez, mesdames, messieurs les sénateurs, 11,3 millions d'euros en année pleine.

S'y ajoute une revalorisation de l'unité de valeur de 2 % correspondant à l'inflation.

Par conséquent, cette évolution de l'unité de valeur ajoutée à la modification du contenu du barème pour tenir compte du temps passé sur un certain nombre de dossiers me paraît répondre à l'attente des avocats. Au demeurant, nous poursuivrons les discussions relatives à la revalorisation annuelle, sur laquelle je me suis engagé auprès d'eux.

Enfin, vous avez évoqué le problème de l'assurance juridique. Dans ce domaine, Chancellerie et avocats sont d'accord sur la démarche. Nous avons un travail de conviction à opérer auprès des compagnies d'assurances, car les propositions qui sont faites aujourd'hui aux assurés ne nous paraissent pas, dans la plupart des cas, correspondre à ce à quoi les avocats peuvent prétendre légitimement, y compris en matière déontologique.

Par exemple, la problématique du libre choix de l'avocat par l'assuré, et non par l'assureur, me paraît un élément extrêmement important au regard de notre conception de la profession d'avocat. Nous poursuivons donc sur ce point, avec les représentants des avocats et ceux des assureurs, des discussions qui ne sont pas toujours faciles mais il me paraît essentiel d'avancer sur ce dossier, car il nous faut absolument améliorer le système de l'assurance juridique.

Je laisserai à Pierre Bédier le soin de répondre aux questions de M. Othily concernant l'immobilier judiciaire.

S'agissant des aménagements de peine, monsieur Othily, je ne me résigne pas, sachez-le, à leur baisse relative. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le Parlement est saisi, dans le cadre du texte sur la « grande criminalité », d'un certain nombre de modifications de la procédure susceptibles de provoquer une inversion de la courbe. En effet, depuis quelques années, le nombre des aménagements de peine diminue et, de manière corollaire, celui des « sorties sèches » de prison ne cesse de croître.

Vous avez évoqué, monsieur Othily, les places de semi-liberté. Je suis tout prêt à augmenter le nombre de ces places, et cette mesure figure d'ailleurs dans le programme d'aménagement des locaux de l'administration pénitentiaire. Cependant, il faut savoir que ces places sont inutilisées, ou très partiellement utilisées, ce n'est pas le ministre qui décide de mettre quelqu'un en semi-liberté : mais c'est le rôle des magistrats.

Il est donc incontestablement nécessaire d'améliorer les procédures afin que ces dispositifs, auxquels nous croyons les uns et les autres, fonctionnent mieux.

Il y a trois ou quatre mois, j'ai visité un centre de semi-liberté tout neuf dans l'Est de la France : il ne s'y trouvait personne ! J'ai trouvé cela un peu curieux ! Même en région parisienne, les centres de semi-liberté ne sont pas toujours pleins. Ceux de Lyon et de Marseille sont moitié vides.

En matière de surveillance électronique, on observe le même phénomène. Nous avons, avec Pierre Bédier, mis en place un système de privatisation du contrôle technique de la surveillance électronique, ce qui a permis le développement du dispositif. Nous sommes maintenant capables de placer 500 personnes sous bracelet électronique, contre une trentaine voilà un an et demi. Or il n'y en a que 200. Il reste donc 300 « places », si je puis dire, qui sont inutilisées. Et, dans six mois, la capacité sera sans doute supérieure à 1 000, car nous réalisons un important effort en la matière et l'administration pénitentiaire a suivi très précisément mes instructions. Il faut donc que ce dispositif soit plus largement utilisé, mais cela ne dépend pas de l'échelon administratif.

Là encore, cela passe par une simplification des procédures, et cette question sera l'un des points importants de la deuxième lecture, dans votre assemblée, du texte relatif à l'évolution de la criminalité.

Par ailleurs, je suis, comme vous, monsieur Othily, convaincu de l'intérêt de relancer tout ce qui tourne autour des travaux d'intérêt général.

Sur les suspensions de peine pour maladie grave, je dirai simplement que, constatant le très faible nombre de personnes concernées j'ai demandé à l'administration pénitentiaire de prendre l'initiative du déclenchement de la procédure : l'administration saisit directement le médecin, et cela peut ensuite déboucher sur une décision de libération par le juge.

C'est ainsi que l'on est passé de 21 à 71 bénéficiaires de cette mesure.

Cela étant, comme vous l'avez vous-même souligné, toute la difficulté est de trouver un endroit où envoyer ces personnes, qui n'ont plus d'environnement familial ou social. Il s'agit de trouver un établissement susceptible de les accueillir en tenant compte de leur état de santé et de leur état d'isolement psychologique, qui est en général extrêmement grave.

Votre dernière question portait sur le Centre national d'observation de Fresnes. Nous avons modifié, vous le savez, l'organisation de l'administration pénitentiaire dans ce domaine puisque nous avons très largement déconcentré vers les directions régionales le traitement et le système d'affectation des détenus dans les établissements. Nous ne traitons donc plus au niveau central que les détenus les plus dangereux et ceux dont les peines sont les plus longues. Le résultat ne s'est d'ailleurs pas fait attendre : le nombre de détenus placés au centre national est passé de 541 en 1999 à 279 en 2003.

Quant au délai d'attente, qui constituait à juste titre votre principale préoccupation il est passé d'une durée moyenne comprise entre dix-huit et vingt-quatre mois à moins de trois mois. La déconcentration du plus grand nombre de cas a donc produit les effets que nous en attendions.

Je voudrais maintenant répondre à M. Patrice Gélard.

M. le président. Monsieur le ministre, je me permets de vous signaler que vous risquez d'empiéter sur le temps de parole prévu pour les réponses de M. le secrétaire d'Etat.

M. Dominique Perben, garde des sceaux. Monsieur le président, je croyais que le temps de parole du Gouvernement n'était pas limité et que, par conséquent, un ministre pouvait parler autant qu'il le souhaitait. La Constitution a dû changer...

Cela étant, si mes réponses n'intéressent pas le Sénat, je peux m'arrêter tout de suite, monsieur le président.

M. le président. Monsieur le ministre, pardonnez-moi, mais la conférence des présidents a décidé que cette séance serait interactive : cela signifie que vous pourrez avoir encore la parole huit fois après cette intervention, afin de répondre à huit orateurs différents.

Je ne fais, en l'espèce, qu'appliquer la décision de la conférence des présidents.

M. Dominique Perben, garde des sceaux. Dans le cadre de la Constitution, j'imagine...

S'agissant de la protection judiciaire de la jeunesse, je dirai à M. Gélard que, d'une part, nous avons effectivement renforcé, par le décret d'octobre 2002, les possibilités de contrôle qui lui sont confiées et que, d'autre part, nous améliorons matériellement les possibilités de contrôle, notamment avec le recrutement d'un certain nombre de cadres qui est prévu dans le projet de budget pour 2004.

Nous voulons ouvrir ce recrutement à des publics ayant déjà une certaine expérience. C'est la raison pour laquelle le décret de recrutement va être modifié - il est actuellement en cours d'examen - afin de permettre des recrutements extérieurs. Le recours à des contractuels sera parallèlement développé.

En ce qui concerne la motivation des personnels, nous avons déjà amélioré le système des primes. Ce système, comme on l'a vu tout à l'heure, sera très partiellement modulé, ce qui devrait tout de même aller dans le sens d'une motivation des personnels.

Voilà les réponses, aussi rapides que possible, monsieur le président, que je pouvais apporter à M. Gélard. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat, à qui je me permets de demander d'être aussi bref que possible, de manière que nous puissions en terminer avant la suspension avec les crédits de la justice.

M. Pierre Bédier, secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice. Je serai d'une très grande brièveté, monsieur le président, mais je veux répondre à M. Othily sur les délais de construction des établissements pénitentiaires.

En ce qui concerne les établissements pour mineurs, les appels d'offres seront lancés au mois de janvier 2004 et les travaux devraient débuter au premier trimestre de 2005, pour se terminer à la fin de l'année 2006.

S'agissant des établissements pour majeurs, l'appel d'offres interviendra à la fin du premier trimestre de 2004, les travaux commenceront au début de l'année 2006 et s'achèveront au plus tard à la fin de l'année 2008.

Pour ce qui est des maisons centrales, le lancement de l'appel d'offres - deux maisons centrales sont en cause - se fera au début de l'année 2004, les travaux débuteront à la mi-2005 et s'achèveront à la fin de 2007.

J'en viens enfin aux établissements d'outre-mer, auxquels, je le sais, monsieur Othily, vous vous intéressez tout particulièrement.

A la Réunion, la prison Juliette-Dodu, dont chacun s'accorde à juger l'état scandaleux, devrait être remplacée au début de 2008, l'appel d'offres ayant été lancé.

A Tahiti, grâce à l'action du président Flosse, le processus est également amorcé, de même qu'à Basse-Terre.

Restera le problème de la Guyane. Nous en reparlerons.

Par ailleurs, nous sommes en train de travailler sur ce que l'on appelle les « nouveaux concepts ».

S'agissant de la maison d'arrêt de la Santé, la décision de la rénovation est prise, mais le problème est très compliqué. En effet, il n'y a qu'une prison à Paris intra-muros, et le tribunal a des besoins que nous sommes obligés de respecter. Cependant, force est de constater la situation de surpopulation.

L'étude qui avait été réalisée n'était pas satisfaisante parce qu'elle était trop théorique. Il est actuellement procédé à une autre étude, de manière qu'une réhabilitation puisse être engagée dans les plus brefs délais. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Nous passons aux questions des orateurs des groupes.

La parole est à M. Paul Girod.

M. Paul Girod. Monsieur le garde des sceaux, la question de l'évolution des tribunaux de commerce a été posée ces dernières années à vos prédécesseurs, notamment à l'Assemblée nationale, où avaient été lancés quelques anathèmes.

Le Sénat avait adopté une position que je crois courageuse.

Il avait tout d'abord insisté sur la nécessité de réformer le droit de la faillite. Vous nous avez présenté récemment un texte qui me semble aller très exactement dans le sens que tout le monde souhaite.

Le Sénat avait en outre suggéré une réforme de la carte judiciaire, de manière que les différents tribunaux de commerce aient suffisamment d'activité, ce qui supposait de leur part une certaine polyvalence, leur permettant, où qu'ils siègent, de traiter à fond des affaires éventuellement beaucoup plus complexes que celles qui relèvent d'une sous-préfecture de province ; des entreprises relativement importantes peuvent en effet avoir leur siège dans de petites villes.

Il fallait également envisager un certain nombre de mesures concernant, d'une part, les auxiliaires de justice, d'autre part, la qualité même des juges à travers une réforme du système électoral et, surtout, à travers un effort énorme de formation.

Et je ne parle pas de la présence au moins souhaitable des parquets dans les tribunaux de commerce : cette question est en partie liée à la réforme de la carte judiciaire puisque les procureurs ne sont pas pourvus du don d'ubiquité !

Monsieur le ministre, où en êtes-vous de la conception de la réforme de la carte des tribunaux de commerce ?

Quelles mesures envisagez-vous de prendre, à travers le budget, pour faire en sorte que la formation des juges consulaires soit à la fois plus approfondie et plus étendue, et qu'elle ne se déroule pas seulement à l'école de Tours ? De même, envisagez-vous qu'un financement permette à ces juges consulaires, qui sont de purs bénévoles, de ne plus avoir à financer personnellement leur propre formation, alors qu'une bonne partie de notre vie économique repose sur la qualité de leurs prestations ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Dominique Perben, garde des sceaux. A la suite d'une réforme dont on avait beaucoup parlé et qui n'avait pas connu le moindre début de réalisation (M. Paul Girod approuve), mais dont on avait tellement entendu parler qu'on aurait pu croire qu'elle avait eu lieu, la question s'est posée pour moi de savoir comment faire redémarrer le processus d'amélioration de notre justice commerciale, sachant que les choses ne pouvaient, à l'évidence, rester en l'état.

Afin de sortir des combats stériles, j'ai tourné la page de la réforme qui avait été envisagée, sans, du reste, porter de jugement sur son contenu. Je suis convaincu que, si l'on s'y était mieux pris, on aurait pu la faire, mais elle a été présentée de telle façon que le blocage a été général.

J'ai souhaité, dans un premier temps, faire porter tout l'effort sur la formation et la déontologie. J'ai donc demandé au doyen Guinchard de constituer un groupe de travail composé d'un certain nombre de professionnels. Nous avons ainsi pu débattre avec la conférence des présidents de tribunaux de commerce de la réforme complète du système de formation. Cette réforme se met actuellement en place.

La formation sera désormais beaucoup plus large que ce qui se faisait à Tours. Il y aura une formation organisée dans de grands pôles régionaux, avec une mise au point pédagogique effectuée par l'Ecole nationale de la magistrature. Le directeur de l'école, M. Azibert, travaille avec la conférence des présidents de tribunaux de commerce et nous sommes en train de mettre au point un système de financement pour que cette formation, avec un nombre de journées suffisant, soit proposée à l'ensemble des juges, y compris ceux qui assument des responsabilités dans ces tribunaux, car c'est une chose d'être « juge de base » autre et c'en est une d'être président ou d'avoir des responsabilités particulières sur certaines procédures.

Par ailleurs, la loi réformant le statut de certaines professions judiciaires ou juridique a prévu un renforcement des règles déontologiques ainsi que leur contrôle.

Enfin, en ce qui concerne le problème de la carte, je ne doute pas que l'ensemble des sénateurs s'attacheront à me faciliter la tâche consistant à supprimer ceux des tribunaux de commerce qui n'ont pas la taille suffisante pour faire du bon travail.

M. Paul Girod. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Paul Girod.

M. Paul Girod. Je vous remercie, monsieur le garde des sceaux, de cette réponse qui va dans le sens de ce que j'espérais.

J'insiste sur la formation et surtout sur la possibilité, pour les juges ou les apprentis juges, de ne pas avoir, en plus de leur engagement, à payer de leur poche la totalité de leur formation. Un équilibre doit être trouvé - même si la tâche n'est peut-être pas simple pour vous -, et c'est essentiel pour que des vocations continuent à se manifester dans ce domaine.

Monsieur le garde des sceaux, je vous rappellerai, en guise de conclusion, cette boutade que je vous ai lancée un jour : « Il y a vraiment besoin d'ingénieurs méthode dans le détail de l'élaboration des procédures si l'on veut que notre justice en général fonctionne au mieux. » Passer quelques jours dans un tribunal de grande instance est, à cet égard, extrêmement instructif !

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo.

Mme Nicole Borvo. Monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez déjà répondu à des questions relatives aux prisons, mais vos réponses ne m'ont pas satisfaite. Aussi, je me permets d'y revenir.

Ma première question a trait aux priorités que vous affichez pour l'administration pénitentiaire pour 2004, à savoir la sécurité et l'humanisation.

S'agissant de l'humanisation, je me référerai aux chiffres communiqués par le ministère : au cours de l'année 2002, 122 personnes se sont suicidées en prison, soit 18 de plus qu'en 2001, et 73 au cours du premier semestre de 2003 !

Monsieur le secrétaire d'Etat, lors d'un colloque organisé récemment par la conférence des barreaux, vous estimiez que la France n'avait pas la palme en matière carcérale en Europe, sans même parler des Etats-Unis. Eh bien, pour le taux de suicides, elle est en pointe !

Il y a eu parallèlement 1 907 agressions entre détenus, soit pratiquement deux fois et demie de plus que l'année passée.

Le rapporteur spécial de la commission des finances fait état d'un taux d'occupation moyen de 115,5 % - 125,2 % dans les maisons d'arrêt -, lequel cache des réalités très différentes d'un établissement à l'autre, la densité atteignant plus de 200 % dans vingt-cinq établissements.

De nombreuses mesures relatives à la sécurisation des prisons ont été adoptées, la dernière en date étant la décision, discutée - y compris par les personnels pénitentiaires -, de la fermeture des cellules dans les centrales.

Quelles mesures ont été prises, parallèlement, en vue d'une amélioration des conditions de détention ?

Deuxième question : que comptez-vous faire pour encourager la réinsertion des détenus, sujet que je ne trouve pas parmi vos priorités ?

Malgré l'augmentation notable de la population carcérale, l'essentiel des créations de postes concerne les surveillants. Les services d'insertion et de probation sont largement oubliés. Si l'on croise cette donnée avec la diminution des aménagements de peine - libérations conditionnelles, semi-liberté et placement à l'extérieur -, on a de quoi s'inquiéter.

Quant au travail des détenus, il ne concerne plus que 29 % d'entre eux, soit une diminution de six points par rapport à l'année précédente. Dans son excellent rapport, mon collègue Paul Loridant avait souligné combien le travail était essentiel dans un contexte de gonflement du nombre de détenus : « Il reste à déterminer ce que feront ces détenus durant cette période de prison et les conditions dans lesquelles ils feront de nouveau leur entrée dans la société. Il importe que la prison ne soit pas vaine et que la période de détention permette, autant que possible, de préparer une réinsertion ultérieure. »

Le budget consacré à l'administration pénitentiaire traduit une politique que je crois pouvoir résumer comme suit : plus de places, plus de sécurité, pour une population carcérale en augmentation, rejetant dans les oubliettes les conclusions unanimes des rapports parlementaires d'enquête sur les prisons.

Tous les signes de dysfonctionnement sont malheureusement confirmés et amplifiés par l'augmentation de la population carcérale, qui résulte tant des directives aux parquets que de textes créant de nouvelles infractions et optant pour une aggravation généralisée des peines.

L'un des participants au colloque que j'ai évoqué précédemment rappelait que Valéry Giscard d'Estaing avait déclaré, voilà trente ans : « La prison doit être la privation de la liberté et rien d'autre ». Or aujourd'hui, selon nous, la prison c'est la privation de liberté et tout le reste !

Ainsi, souligne le rapport de l'Observatoire international des prisons pour 2003, « dormir et se laver sont devenus difficiles, se soigner et travailler sont, dans bien des cas, impossibles. Réclamer contre de telles carences n'amène aucune amélioration mais provoque l'intervention des CRS. Dans un pareil contexte, n'importe quelle politique de protection des droits et de retour à la vie normale ne pourrait qu'échouer ».

C'est pourquoi il nous semble urgent de poser la question du projet du Gouvernement à l'égard de la population pénale. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, confirmez-vous que la situation des prisons n'est qu'un problème de suroccupation, qui sera résolu par l'augmentation des places de prison, à l'échéance des années 2006, 2007 et 2008 ? Qu'en est-il de la réflexion sur le sens de la peine qui avait été amorcée sous la précédente législature, sur l'ensemble des travées de notre assemblée ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Dominique Perben, garde des sceaux. Je voudrais indiquer brièvement les grandes lignes de la politique que j'entends mener, avec l'aide de Pierre Bédier, en matière pénitentiaire.

Tout d'abord, je veux rappeler que le nombre de personnes placées en détention ne résulte pas d'une décision de l'administration, il ne faut tout de même pas le perdre de vue.

M. Jacques Mahéas. Posez la question à M. Sarkozy !

M. Dominique Perben, garde des sceaux. La question qui se pose est donc de savoir comment l'administration pénitentiaire répond aux décisions des magistrats dans le cadre de l'application des lois votées par les représentants du peuple, car c'est ainsi que fonctionnent nos institutions.

S'agissant du nombre de détenus en France, il ne faut pas se raconter d'histoires. Par rapport à la population, la France, avec 60 000 détenus aujourd'hui, n'est pas du tout dans une situation aberrante. Lorsque l'on est décideur public, il faut prendre les choses comme elles sont, voir que la France se situe à cet égard au niveau des grandes démocraties européennes comme la Grande-Bretagne et l'Allemagne, et en tirer les conclusions.

En effet, à force de dire qu'il faudrait diminuer le nombre de détenus, on n'augmente pas le nombre de places de prison. Or on a un parc de prisons qui, pour près de la moitié, est vieux de plus de cent ans puisque sa construction remonte au XIXe siècle. Ce n'est pas ainsi que l'on améliore l'humanisation des prisons.

C'est pourquoi l'objectif de construction de ces 13 000 places de prison auquel Pierre Bédier se consacre me paraît indispensable.

Le deuxième objectif de ma politique consiste à sortir les mineurs de toute promiscuité avec les adultes. Nous serons les premiers à créer des établissements pour mineurs construits autour de la salle de classe, de façon à ce que ces jeunes filles et ces garçons, qui sont des êtres en devenir, puissent, même en prison, essayer de se construire une personnalité, apprendre, aller à l'école, pratiquer un sport et sortir de prison avec un meilleur équilibre que celui qu'ils connaissaient avant d'y rentrer. (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)

Au-delà des sept établissements pour mineurs, nous sommes en train de rénover tous les quartiers pour mineurs de l'ensemble de nos établissements.

Le troisième objectif est la mise en place d'une politique permettant de sortir du système « sortie sèche de prison ». Il s'agit, comme vous le souhaitez, madame Borvo, de faire en sorte qu'un travail de réinsertion progressif vers la liberté soit réalisé. Je pense, par exemple, au développement de la semi-liberté, du bracelet électronique et des peines alternatives, autant d'éléments qui seront proposés par le Gouvernement en termes de procédure dans le cadre du texte qui reviendra au Sénat en deuxième lecture au mois de janvier, mais qui, en termes de moyens, sont déjà préparés. Comme je le rappelais tout à l'heure, certains d'entre eux, notamment le bracelet électronique, sont déjà en place avant même la réforme de la procédure.

S'agissant des moyens figurant dans le budget, je prévois effectivement de recruter pendant cinq ans 2 000 surveillants pénitentiaires chaque année. Ce recrutement est indispensable. En outre, les conditions de travail des surveillants, élément déterminant pour la vie des établissements, doivent être améliorées.

A cet égard, je salue le dévouement incroyable dont ont fait preuve les surveillants d'Arles qui ont opéré le transfert des détenus de l'établissement, la semaine dernière, sans dormir pendant deux jours et deux nuits, alors qu'eux-mêmes avaient leur maison ou leur appartement inondé. Je veux souligner, à l'occasion de ce débat, que ces personnels accomplissent remarquablement leur mission et ont, en cas de nécessité, un sens de l'engagement tout à fait exceptionnel.

Je rappelle également, madame Borvo, que, dans le cadre de ce budget, je propose la création de 160 postes dans les services pénitentiaires d'insertion et de probation, les SPIP, lesquels verront leurs moyens augmenter afin de leur permettre de préparer la sortie des détenus dans de meilleures conditions qu'aujourd'hui.

Tels sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques éléments que je souhaitais apporter à la connaissance du Sénat. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo.

Mme Nicole Borvo. Monsieur le garde des sceaux, je vous remercie de vos réponses, mais je ne partage évidemment pas l'orientation générale de vos propos. Les magistrats prononcent les peines, mais c'est le Gouvernement qui définit la politique pénale. Si l'on ne se penche pas sur la question du sens de la peine, je le répète, nous ne parviendrons jamais à nous comprendre.

La France compte moins de prisonniers que le Royaume-Uni, mais plus que l'Allemagne et l'Europe du Nord. Mais comparaison n'est pas raison car, de toute façon, il y aura toujours des pays qui auront plus de prisonniers que nous, et d'autres qui en auront moins.

En ce qui concerne la politique pénale, le développement de la composition pénale, le plaider-coupable, l'ensemble des procédures qui privilégient une appréhension gestionnaire des délits font perdre à la peine son sens éducatif que seule l'individualisation de la peine et la gestion du temps carcéral ou pénal peuvent donner.

Vous avez opposé une fin de non-recevoir à nos amendements relatifs au contrôleur général des prisons, qui étaient la reprise des dispositions votées par la majorité sénatoriale, ou aux droits des détenus au cours de la première lecture du projet de loi « fourre-tout » sur les nouvelles formes de criminalité.

Les propos, scientifiques ou sociologiques, je ne sais, qu'a tenus M. le secrétaire d'Etat sur un nombre incompressible de prisonniers ne reposent sur rien d'autre que sur la volonté de justifier un choix de société qui fait de l'enfermement la panacée.

En vérité, vous privilégiez l'affichage et le court terme. Nous combattons votre politique pénale qui consiste, comme l'a très bien démontré M. Loïc Wacquant, en la mise en scène politique de la sécurité désormais entendue dans sa stricte acception criminelle, après avoir réduit le crime lui-même à la seule délinquance de rue, c'est-à-dire, en bout de chaîne, aux turpitudes des classes populaires.

Selon Loïc Wacquant, votre politique « a pour fonction de permettre aux dirigeants de réaffirmer la capacité d'action de l'Etat au moment où ils prêchent unanimement son impuissance en matière économique et sociale ». (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Christian Cointat. C'est incroyable !

Mme Nicole Borvo. Par conséquent, nous combattons cette politique, et cela justifie notre opposition à un budget de la justice dont l'augmentation notable, il est vrai, ne saurait nullement dissimuler son caractère profondément inefficace et encore plus injuste.

M. Dominique Perben, garde des sceaux. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Dominique Perben, garde des sceaux. Je souhaite apporter des éléments d'information qui me paraissent intéressants.

Tout d'abord, le retournement de tendance de la population carcérale en France remonte à la fin de l'année 2001. A l'époque, les lois Sarkozy et Perben n'avaient pas été votées !

Ensuite, en 2002, année pleine, le nombre de détenus dans les pays européens a connu une évolution très importante, ce qui montre que le phénomène dépasse largement les orientations de la politique pénale de telle ou telle majorité ou tel ou tel gouvernement. Ainsi, en 2002, au Royaume-Uni, la population carcérale a augmenté de 23,7 %, en Finlande de 13,7 %, au Danemark de 8,8 %, en Autriche de 8,4 %, en Espagne de 7,9 %. Or ces pays possèdent des systèmes judiciaires et des philosophies en matière de politique pénale relativement différents les uns des autres.

Nous sommes donc confrontés à un phénomène qui tient sans doute beaucoup plus au développement d'un certain type de délinquance qu'à des choix aussi caricaturaux que ceux que vous avez décrits tout à l'heure.

M. le président. La parole est à M. Georges Othily.

M. Georges Othily. Monsieur le garde des sceaux, j'ai déjà eu l'occasion, à plusieurs reprises, d'attirer votre attention, comme celle de vos prédécesseurs, sur l'urgente nécessité d'aménager le système judiciaire de la Guyane, qui connaît une situation originale particulière.

Le temps de la réflexion doit maintenant laisser place à celui de l'action, sinon ce territoire ne pourra bénéficier de la volonté du Gouvernement de moderniser la justice. A situation spécifique, mesures spécifiques.

En effet, la Guyane connaît depuis déjà plusieurs années une réelle explosion de son activité judiciaire, confirmée par les chiffres. Le tribunal de grande instance de Cayenne traite actuellement plus de 3 000 affaires civiles et plus de 20 000 procédures pénales avec une seule chambre. Je crois que c'est un record en France.

Mais le problème le plus urgent, monsieur le garde des sceaux, est celui de l'absence d'une cour d'appel de plein exercice sur le sol de la Guyane, seule région française à connaître une telle situation. Le justiciable a perdu, en réalité, le bénéfice d'un véritable second degré de juridiction.

Deux recours ont été introduits devant la Cour européenne des droits de l'homme sur ce sujet.

Vous comprendrez donc, monsieur le garde des sceaux, qu'une telle situation, de plus en plus en marge du droit, ne saurait perdurer encore davantage. C'est pourquoi je vous demande si vous comptez prendre des dispositions pour restaurer une cour d'appel de plein exercice en Guyane. Cette décision s'impose pour rendre optimale en Guyane l'application pratique des mesures prises en vertu de la loi d'orientation et de programmation pour la justice.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Dominique Perben, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, le renforcement des moyens de la justice en Guyane passe effectivement par des créations de postes et par l'octroi d'un certain nombre de moyens.

S'agissant de la cour d'appel, je ne pense pas qu'il faille faire le saut tout de suite. Un certain nombre de mesures sont, vous le savez, en cours de mise au point : la création d'une antenne du service administratif régional et d'un poste supplémentaire de conseiller à Cayenne puisque, comme vous le savez, il y a une autonomie assez large avec la chambre détachée ; le renforcement des effectifs du parquet permettant une délégation permanente du parquet de Fort-de-France sur Cayenne, ce qui est un point important ; enfin, la création d'un tribunal d'instance, ou de grande instance, à Saint-Laurent-du-Maroni.

Il faut incontestablement renforcer les moyens de la justice, mais il faut le faire progressivement. Ces différents éléments de réponse vont dans le sens de ce que vous souhaitez.

M. le président. La parole est à M. Georges Othily.

M. Georges Othily. Monsieur le garde des sceaux, je vous remercie des réponses que vous m'apportez. Cependant, à l'évidence, elle ne peuvent satisfaire la communauté judiciaire en Guyane, car rien ne s'oppose à la création de cette cour d'appel. Certes, vous mettez en place un certain nombre de mesures pour tenter d'améliorer le système judiciaire. Mais la distance de 250 kilomètres séparant Saint-Laurent-du-Maroni de Cayenne justifie la création d'urgence de ce tribunal de grande instance. Nous espérons qu'elle interviendra dans le courant de l'année 2004, ou au plus tard en 2005.

M. le président. La parole est à M. Jacques Mahéas.

M. Jacques Mahéas. Monsieur le ministre, souffrez la comparaison !

Sous la législature Jospin, le ministère de la justice a connu une augmentation de crédits de 29 % et la création de 7 273 emplois. Les intentions affichées par le gouvernement actuel sont dans la continuité, avec des crédits en hausse de 4,88 % et la création de 709 emplois. Seulement, les réalisations ne sont pas à la hauteur des prévisions, puisque les créations d'emplois marquent déjà un déficit de 371 emplois par rapport à la moyenne que suppose la mise en oeuvre de votre loi d'orientation et de programmation pour la justice, qui a promis 4 450 emplois en cinq ans.

Quant aux juges de proximité, c'est tout simplement une catastrophe ! Les 32 premiers juges - au lieu des 300 annoncés cette année sur les 3 300 promis à terme ! - viennent d'entrer en fonctions, et les problèmes déjà rencontrés sont inquiétants : conflits de compétence avec les tribunaux d'instance, difficultés de recrutement, etc.

Monsieur le ministre, vos explications ne m'ayant pas convaincu, je renouvelle mes questions : vos budgets ne sont-ils que des effets d'annonce ou avez-vous réellement l'intention de mettre en place ce que vous promettez ? Etes-vous en mesure de réaliser un bilan des crédits consommés et de faire le point sur les gels qui, certes, réduisent le déficit, mais entravent gravement l'action de la justice, pourtant affirmée prioritaire ?

En ce qui concerne l'indépendance de la justice, contrairement à la pratique de vos prédécesseurs, vous avez rétabli les instructions individuelles du ministre dans les affaires judiciaires en cours. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Vous avez décidé de ne plus suivre les avis du Conseil supérieur de la magistrature pour la nomination des magistrats.

M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. C'est dans la Constitution !

M. Jacques Mahéas. Vous avez tenté de déstabiliser un certain nombre de magistrats qui avaient fait preuve d'indépendance dans les dossiers sensibles des emplois fictifs du RPR, enterrés aujourd'hui.

M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Oh !

M. Jacques Mahéas. En contrepartie, vous avez accordé des promotions à ceux qui, dans le même dossier, avaient montré plus de complaisance !

Après ces pratiques que l'on croyait d'un autre temps, tellement elles sont contraires au souhait des Français, d'une justice impartiale et indépendante, vous annoncez l'instauration de primes au mérite qui moduleraient le salaire des magistrats en fonction d'une efficacité à déterminer. Nous comprenons, dès lors, le malaise diffus qui gagne les magistrats devant la banalisation, voire la marginalisation, de leurs fonctions, aggravées par l'inflation législative !

Comment, monsieur le ministre, comptez-vous restaurer la confiance des magistrats, confrontés aux attentes considérables de l'opinion ?

S'agissant de l'aide juridictionnelle il faut rappeler qu'elle a connu une grave crise en 2000 : les barreaux se sont mis en grève pour protester contre la faiblesse de l'indemnisation versée aux avocats. Cette crise a débouché sur un protocole d'accord, et j'ai pris bonne note de vos informations. La réflexion s'est poursuivie au travers d'une commission, puis d'un avant-projet de loi élaboré par Marylise Lebranchu. Monsieur le ministre, entendez-vous reprendre ce projet ou engager une réforme en profondeur de l'aide juridictionnelle ?

Enfin, je ne peux m'empêcher d'être choqué par les dysfonctionnements récurrents de certains tribunaux, à commencer par celui de Bobigny,...

M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. C'est le cas depuis des années !

M. Jacques Mahéas. ... qu'un quotidien a tristement qualifié de « tribunal maudit ».

Lors des débats sur l'immigration, le ministre de l'intérieur nous a promis l'installation d'un tribunal à Roissy. Le 15 octobre dernier, il déclarait dans cet hémicycle : « Puisque la surcharge de travail est telle à Bobigny que l'on est obligé de relâcher des détenus, ce qui est un comble, la création d'un nouveau tribunal à Roissy représentera un grand progrès. »

J'espère que vous nous confirmerez cette annonce, monsieur le ministre, afin que des prévenus ne soient plus relâchés faute d'escorte policière, même si, pour M. Sarkozy, la responsabilité en incombe aux magistrats. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Au-delà de cette guéguerre, il n'est que temps de résoudre la question. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Dominique Perben, garde des sceaux. Il est tout de même assez difficile, au vu du projet de budget pour 2004, de dire que la justice ne constitue pas une priorité du Gouvernement. Il est des exercices auxquels j'ai du mal à me livrer même sur le plan intellectuel. Il me paraît évident que la justice est une priorité du Gouvernement !

Par ailleurs, grâce à la loi d'orientation et de programmation pour la justice, nous avons des perspectives sur cinq ans, ce qui nous permet de mettre des moyens en place et d'en assurer un suivi. Il ne suffit pas en effet d'afficher des chiffres et, de ce point de vue, vous avez raison. Il importe ensuite, en termes de recrutement et de formation, de se donner les moyens sur cinq années d'augmenter de 950 le nombre de magistrats et de créer les 10 000 emplois supplémentaires, comme le prévoit la loi d'orientation et de programmation pour la justice.

S'agissant de mon rôle en tant que ministre, j'applique la Constitution. Le débat est ouvert. C'est vrai que mes prédécesseurs avaient fait le choix de s'abstenir d'exercer des attributions qui sont confiées au ministre de la justice.

Pour ma part, je les exerce.

J'ai pu observer que, lorsqu'ils sont confrontés à la montée de l'antisémitisme, aux incendies de forêts dans le Midi, les Français se tournent vers le responsable politique que je suis et me demandent des comptes. Ils veulent savoir ce que je fais, ce que j'ai dit au procureur de la République. Ils veulent connaître les instructions que j'ai données au parquet. Voilà la réalité ! Oui, je le dis clairement, je donne des instructions, et je ne les garde pas confidentielles. S'agissant de la lutte contre l'antisémitisme, j'ai publié la circulaire que j'ai envoyée le 18 novembre à tous les procureurs de la République. C'est cela, le système républicain.

M. Jacques Mahéas. Je vous parle des instructions individuelles !

M. Dominique Perben, garde des sceaux. Ce sont des instructions individuelles !

Dans l'affaire de Séclin, qui est un dossier complexe, j'ai moi-même donné l'instruction au parquet général du Nord de faire appel contre le maire de Séclin ; c'est une décision que j'assume totalement, car je pense qu'un élu de la République n'a pas à organiser le boycott de produits israéliens. C'est cela aussi le fonctionnement de la démocratie ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Ce que demandent nos concitoyens, c'est que les hommes politiques aient le courage d'assumer leurs fonctions. D'ailleurs, dans le mouvement auquel vous appartenez, monsieur Mahéas, je sais que beaucoup partagent mon point de vue.

S'agissant de l'aide juridictionnelle, il me paraît effectivement très important que celles et ceux qui, pour accéder au droit, ont besoin de l'aide de la solidarité nationale puissent en bénéficier. C'est la raison pour laquelle, d'une part, comme je l'ai dit tout à l'heure, j'ai restructuré le barème et, d'autre part, je me suis engagé, dans le cadre de la loi d'orientation, à améliorer, année après année, la rémunération des avocats.

S'agissant de Bobigny, je suis absolument décidé à renforcer les moyens de cette juridiction qui, de toutes les juridictions de la cour d'appel de Paris, est depuis longtemps la plus maltraitée alors qu'elle est confrontée, en particulier en matière pénale, à une situation extraordinairement difficile.

A la suite de l'inspection qui a eu lieu - une autre est d'ailleurs en cours -, nous allons affecter des moyens budgétaires supplémentaires et créer des postes de magistrats et de greffiers pour renforcer cette juridiction.

Vous avez par ailleurs, monsieur le sénateur, abordé le sujet de Roissy, c'est-à-dire la situation extrêmement pénible sur le plan humanitaire de ces personnes qui doivent passer devant la juridiction compte tenu de leur situation à l'égard des lois sur l'immigration.

Vous vous souvenez que, sur l'initiative de M. Vaillant, a été construite une salle d'audience qui n'est pas conforme aux règles de la procédure judiciaire et que nous allons devoir réaménager et compléter afin qu'elle réponde aux conditions normales d'exercice de la justice que peuvent légitimement attendre les magistrats, les avocats et surtout les justiciables, ces derniers étant aujourd'hui l'objet de transfèrements invraisemblables et inacceptables en termes de conditions humanitaires. Nous allons donc agir le plus rapidement possible. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mahéas.

M. Jacques Mahéas. En somme, monsieur le garde des sceaux, vous plaidez coupable. (M. le rapporteur spécial s'exclame.) Donc, avec la nouvelle loi, la sanction sera plus légère...

En effet, la surpopulation et les mauvaises conditions d'accueil dans vos prisons, ce n'est pas de votre faute ! La mise en place des travaux d'intérêt général, ce n'est pas de votre faute ! Les bracelets électroniques, ce n'est pas de votre faute !

Cependant, quand on entend dans cet hémicycle M. Sarkozy dire, par exemple, qu'il n'y a pas assez de monde en prison, que ce sont non pas 60 000 mais 75 000 personnes qu'il faudrait effectivement placer en détention, n'est-ce pas, de la part d'un ministre de la République, orienter la justice vers la prison ? Il nous dit être très conscient qu'à Bobigny les choses ne se passent pas très bien,...

M. Christian Demuynck. Elles se passent mal !

M. Jacques Mahéas. ...pour autant, on ne sait pas à qui en revient la faute. D'après M. Sarkozy, ce n'est pas du tout la faute de son ministère. Il faudrait peut-être, monsieur le ministre, que vous vous entendiez dans ce domaine, notamment sur le fait de créer un tribunal et non pas une salle d'audience à Roissy.

Vous ne m'avez pas répondu sur les interventions du parquet. Je ne m'attarderai pas sur les difficultés que l'on rencontre à Bobigny avec certains procureurs de la République et leurs substituts, qui sont de vos amis. Mais, très franchement, arrêtez de déplacer les uns, d'influencer les autres et de promouvoir certains. Vous donnez une image de la justice qui n'est pas celle qu'attendent nos concitoyens.

Ainsi, ils ne comprennent pas - dernière nouvelle en date de samedi - que la justice ait enterré le dossier des chargés de mission RPR à la mairie de Paris, ne conçoivent pas que la chambre d'instruction ait suivi les arguments du parquet général, qui a estimé que la plus grande partie du dossier était prescrite, alors que la juge Colette Bismuth-Sauron n'était pas de cet avis.

Monsieur le ministre, je n'ai pas dit tout à l'heure que votre budget n'était pas en évolution, puisque j'ai indiqué qu'il augmenterait de 4,88 %, avec la création d'un peu plus de 4 000 emplois, même si, par rapport aux plus de 7 700 emplois créés par Lionel Jospin, il s'agit quand même d'un effort moindre. J'ai dit que la réalisation ne suivait pas. Alors, dans ce jeu du lièvre et de la tortue, où vous assumez en ce moment le rôle de la tortue, méfiez-vous, car il se pourrait que, cette fois, le lièvre gagne la partie !

M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, pour la seconde année consécutive, le budget de la justice met en oeuvre la loi quinquennale d'orientation et de programmation. Il présente une hausse de 4,9 % par rapport à 2003 et ses orientations devraient permettre de réduire les délais de traitement des affaires civiles et pénales. Notre groupe l'approuve donc.

Malgré ces hausses, nous restons en deça de ce à quoi la justice devrait prétendre. Ainsi, dans son rapport sur l'évolution des métiers de la justice, M. Cointat regrette que ne soit plus utilisé le dispositif « magistrats exerçant à titre temporaire » instauré en 1995. C'est également la position de notre groupe. Comme l'indiquait mon collègue Pierre Fauchon, il est regrettable que la compétence de ces magistrats à titre temporaire n'ait pas été revue lors de l'examen de la loi sur les juges de proximité.

S'agissant de l'évaluation des magistrats, je suis personnellement sceptique sur la possibilité de mettre en oeuvre cette disposition d'une manière qui soit réellement objective et non contestable. L'estimation est difficile à faire compte tenu de l'objet même du travail des magistrats. Je souhaite donc, monsieur le ministre, que l'application de cette mesure soit progressive et évaluée.

Appartenant à une famille politique très attachée au développement de la coopération judiciaire européenne, j'interviendrai plus particulièrement sur la règle dite du non bis in idem qui a récemment fait l'objet d'une proposition de résolution émanant de M. Fauchon. La règle selon laquelle une personne ne peut être poursuivie ou punie une seconde fois à raison des mêmes faits est inscrite dans notre code de procédure pénale. Cette disposition doit évidemment être transcrite dans le cadre de nos relations entre membres de l'Union européenne.

Dans le cadre du programme de coopération judiciaire consacré au Conseil européen de Tampere, la présidence grecque a proposé une décision-cadre visant à doter les Etats membres de règles de droit communes concernant le principe non bis in idem afin de garantir l'uniformité de son interprétation. Si la reconnaissance du principe ne pose pas de difficultés majeures, les négociations bloquent toutefois sur la définition des exceptions.

La décision-cadre reprend les exceptions énoncées par la convention de Schengen qui prévoit que les Etats pouvaient faire une déclaration, au moment de sa ratification, pour ne pas être liés par ce principe dans trois cas : premièrement, lorsque les faits visés par le jugement étranger ont eu lieu, en tout ou en partie, sur leur territoire ; deuxièmement, lorsque les faits visés par le jugement étranger constituent une infraction contre la sûreté de l'Etat ou d'autres intérêts également essentiels ; enfin, lorsque les faits visés par le jugement étranger ont été commis par un fonctionnaire en violation des obligations de sa charge.

En l'état actuel des négociations, les avis sont partagés entre le maintien partiel ou total, ou la suppression de ces exceptions.

Succédant à la présidence hellénique, la présidence italienne a proposé un compromis reposant sur trois règles.

Premièrement, les Etats membres, qui sont d'ores et déjà liés par les dispositions de Schengen et qui n'ont pas fait de déclaration pour prévoir des exceptions au principe du non bis in idem, n'auraient plus la possibilité de faire une telle déclaration dans le cadre du nouvel instrument.

Deuxièmement, la liste des exceptions serait limitée, car elle comprendrait la clause territoriale, les exceptions concernant les fonctionnaires et celle qui est relative à la sûreté nationale, mais elle ne concernerait plus l'exception relative aux « autres intérêts également essentiels ».

Troisièmement, un mécanisme automatique de révision des exceptions serait mis en place à l'issue d'une période de cinq ans après l'entrée en vigueur de la décision-cadre.

Plusieurs Etats ont manifesté leur hostilité à ce compromis. Parmi eux, la France s'oppose à l'idée même d'interdire aux membres liés par Schengen qui n'avaient pas fait de déclaration sur les exceptions au principe du non bis in idem de faire une telle déclaration dans le cadre de ce nouvel instrument. De même, elle souhaite conserver l'ensemble des exceptions au principe, y compris celle qui est relative aux « autres intérêts également essentiels ». Enfin, elle refuse d'introduire un mécanisme automatique de révision de ces exceptions.

Nous assistons donc à une opposition totale de la France au compromis proposé par l'Italie. Certaines raisons, telles que le refus de supprimer l'exception relative aux « intérêts également essentiels », me semblent très difficiles à comprendre. Alors que la France a toujours manifesté sa volonté de soutenir et d'accompagner la construction d'un espace judiciaire européen, je voulais donc vous interroger, monsieur le ministre, sur les raisons qui motivent le Gouvernement à rester aujourd'hui très en retrait sur cette question. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Dominique Perben, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, la rémunération variable sera introduite très progressivement. Nous prenons en compte la progression des primes des magistrats qui vont être augmentées de huit points en deux ans pour être portées de 37 % à 45 %. Cela répond donc à votre souci. Même s'il s'agit, d'une certaine manière, d'une révolution culturelle, il faut souligner le caractère relativement modeste de cette mesure, qui ne porte que sur une part limitée des primes qui, elles-mêmes, ne représentent qu'une partie de la rémunération des magistrats.

Quant aux négociations européennes, nous avons obtenu, au cours des deux derniers mois, deux décisions très importantes qui favorisent la construction de l'Europe de la justice. D'une part, l'affaire des enlèvements d'enfant a été définitivement réglée et, d'autre part, les Quinze, sans exception, ont trouvé un accord sur la drogue. Ces deux décisions très importantes vont effectivement permettre une bonne coopération judiciaire entre les Quinze sur deux sujets touchant au plus près la vie des Français et des Européens.

Sur le principe du non bis in idem, la négociation est, il est vrai, aujourd'hui dans l'impasse. Elle s'est déroulée essentiellement à un niveau technique et diplomatique ; nous allons maintenant reprendre le dossier sur le plan politique.

Je vous demande de ne pas oublier que les décisions prises aujourd'hui le sont à quinze, mais qu'elles devront pouvoir s'appliquer à vingt-cinq, ce qui, en matière de justice, ne signifie pas tout à fait la même chose compte tenu de l'évolution récente des systèmes judiciaires d'un certain nombre de pays d'Europe. Nous devons, sur des dossiers qui peuvent concerner les libertés publiques, les libertés individuelles, être très prudents. Nous arriverons probablement à un accord, mais il faut maintenant que cette décision soit prise sur le plan politique et que nous puissions intégrer cette dimension de l'élargissement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Je remercie M. le garde des sceaux des précisions qu'il vient de nous apporter, et je souhaite effectivement que le politique reprenne le dessus pour que nous puissions sortir de cette impasse.

M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille.

M. Laurent Béteille. Monsieur le garde des sceaux, je serai d'autant plus rapide que, pour l'essentiel, vous avez déjà répondu à ma question à la suite de celle qui a été posée par M. le rapporteur spécial, puisqu'elle concerne le terrorisme.

Le terrorisme, qui est aujourd'hui une menace importante pour nos civilisations, pour la démocratie en général, doit faire l'objet d'une attention toute particulière.

Le système fonctionne bien, en particulier en France. Depuis les attentats du 11 septembre, tous les maillons de la chaîne judiciaire ont montré leur efficacité.

Je veux néanmoins attirer votre attention sur le fait que, à la suite des attentats de Karachi, un certain nombre de décisions prises par la justice française ont été annulées parce que ces actes n'avaient pas été commis sur le sol français.

Pouvez-vous nous dire, monsieur le garde des sceaux, si vos services étudient actuellement des dispositions de nature à régler cet inquiétant problème ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Dominique Perben, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, depuis maintenant douze mois, nous avons renforcé les moyens du pôle antiterroriste, aussi bien les moyens humains que les moyens matériels, notamment ceux qui concerne l'organisation informatique.

Je ne perds pas de vue, avec les chefs de cour et de juridiction, la nécessité de mieux structurer l'organisation immobilière de ce pôle, mais vous connaissez le poids des contraintes qui pèsent aujourd'hui sur le tribunal de grande instance de Paris.

Enfin, s'agissant, d'une part, de la collaboration entre parquets et juges d'instruction, et, d'autre part, du traitement des attributions de dossiers en fonction de leur connotation antiterroriste, je puis vous indiquer que des réunions régulières se tiennent maintenant entre les décideurs, de manière à éviter tout conflit inutile de compétence. J'ai exprimé la ferme volonté que, soit entre les parquets et les juges d'instruction, soit entre le tribunal de grande instance de Paris et les tribunaux de grande instance situés en province, ces éventuels conflits puissent maintenant être dépassés de manière que l'on puisse travailler avec la rapidité et l'efficacité indispensables pour ce type d'action. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Mon intervention porte sur la question des prisons. Vous venez de nous dire, monsieur le garde des sceaux, que les chiffres devaient être comparés à ceux des autres pays, et M. Mahéas a rappelé que l'un de vos collègues du Gouvernement avait souhaité ici même que les détenus soient plus nombreux.

Comme beaucoup de Français, je regarde à la télévision, le 14 juillet, l'émission au cours de laquelle est retransmise l'allocution du chef de l'Etat. Je me souviens avoir entendu M. Jacques Chirac évoquer cette question, le 14 juillet 2000, dans les termes suivants : « Nous avons 51 000 prisonniers, c'est un nombre excessif, il faut le diminuer. » Il a ajouté : « Le fait d'avoir en France 10 000 détenus qui ne sont pas passés devant le juge est inadmissible. »

Or la population carcérale s'élevait à 60 963 personnes au 1er juillet et à 58 661 détenus au 1er novembre, selon les chiffres de votre ministère. Ainsi, du 1er janvier 2002 au 1er janvier 2003, le nombre d'entrées en détention a augmenté de 21 %, le nombre de prévenus de 29 % et le nombre de condamnés de 6,4 %. Cette évolution est totalement contraire aux déclarations qui avaient été faites par M. le Président de la République. C'est inquiétant, surtout quand on connaît l'état de nos prisons.

A cet égard, monsieur le garde des sceaux, nous sommes un certain nombre à avoir regretté que vous ayez jugé très sévèrement le rapport de l'Observatoire international des prisons. Vous avez indiqué que ce document contenait « des attaques excessives et grotesques ». Mais j'ai pu lire dans ce document qu'en vingt ans la proportion des suicides en prison avait doublé, que le taux de suicides par rapport à l'effectif moyen de la population carcérale était passé de 10 pour 10 000 détenus en 1980, à 21,6 pour 10 000 en 2001, et à 22,4 pour 10 000 en 2002. Il est sept fois plus élevé en prison qu'en milieu libre. L'administration pénitentiaire a dénombré 122 suicides en 2002, soit 17,3 % de plus qu'en 2001.

Cette triste réalité ainsi que les taux d'occupation extrêmement élevés m'ont conduit à vous écrire à cinq reprises au cours de l'été, monsieur le garde des sceaux, au sujet de la prison d'Orléans. Je tiens d'ailleurs à souligner que vous avez veillé à faire diminuer la suroccupation, ce dont je vous remercie. Nous restons toutefois vigilants. Le plan de M. Bédier devrait être mis en oeuvre, dans le prolongement de ce qui avait été décidé par Mme Lebranchu ; c'est une bonne chose. Cependant, les prisons nouvelles seront d'ores et déjà occupées, suroccupées. Si l'on ne développe pas les alternatives à la prison, la situation risque, hélas ! de demeurer inchangée.

Monsieur le garde des sceaux, il avait été question d'une grande loi pénitentiaire qui aurait permis au Parlement de se prononcer sur les orientations en la matière et de mener une réflexion sur le sens de la peine. Y avez-vous renoncé ?

Monsieur le garde des sceaux, vous venez par ailleurs de nous livrer des éléments d'information concernant les alternatives à l'emprisonnement.

Nous avons constaté, comme M. Othily, rapporteur pour avis, l'a rappelé, que le nombre d'ordonnances de placement à l'extérieur prononcées par les juges d'application des peines avait diminué de 5 % en 2002. Dans le département du Loiret, une association a dû fermer ses portes parce qu'il n'y avait pas suffisamment de mesures de ce type pour qu'elle puisse exercer son activité c'est très dommageable.

De la même manière, le nombre de libérations conditionnelles a diminué et le bracelet électronique ainsi que les travaux d'intérêt général n'ont pas donné tous les résultats escomptés.

Je terminerai en rappelant, monsieur le garde des sceaux, les paroles que vous avez prononcées le 13 novembre dernier à l'Assemblée nationale, paroles qui m'ont beaucoup frappé car elles sont plus fortes encore que celles que vous avez tenues à l'instant : « il n'est pas normal que, bien que l'administration ait, à ma demande, consenti l'effort de mettre en place 500 dispositifs électroniques [...], moins de 200 soient utilisés aujourd'hui. Malheureusement, j'ai le sentiment que ce chiffre diminue de mois en mois. Il n'est pas davantage normal que le recours au travail d'intérêt général diminue depuis cinq ans. Il ne sert à rien d'en parler si cette possibilité n'est pas utilisée [...]. Nous maintenons en prison des gens qui pourraient utilement se préparer à la liberté, par exemple dans des centres de semi-liberté dont mes derniers déplacements en province m'ont montré que certains, bien que neufs et modernes, étaient vides. C'est un scandale qu'il n'est pas possible d'accepter et que je n'accepte pas. »

Monsieur le garde des sceaux, nous ne pouvons pas nous satisfaire de votre précédente réponse selon laquelle ces questions relèvent des décisions des juges.

Bien sûr, nous sommes comme vous très attachés au principe de l'indépendance de la magistrature. Toutefois, dans le même temps, la politique pénale doit insister, donner les orientations et les instructions en conséquence, faute de quoi ces procédures alternatives n'auront pas de succès.

Quelles sont donc vos intentions en cette matière, monsieur le garde des sceaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Dominique Perben, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, vous posez de bonnes questions, mais il faut nous garder de mélanger la politique pénale et l'application des peines, qui sont deux sujets différents.

Le nombre de personnes incarcérées résulte d'une multitude de décisions de nature très différente : des décisions de condamnation, mais aussi des décisions d'incarcération prises, pour l'essentiel, par les juges d'instruction.

Parmi les mesures susceptibles de faire baisser le nombre de prévenus en prison, l'accélération d'un certain nombre de procédures me semble primordiale, tous les responsables politiques le reconnaissent. Nous avons donc engagé une politique de moyens et de simplification de procédures.

A cet égard, je m'étonne, même si le jeu politique peut expliquer bien des choses, que certains éléments de simplification de procédure pénale figurant dans le projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité soient critiqués par ceux-là mêmes qui souhaitent voir diminuer le nombre de prévenus en prison. Il faut tout de même rechercher une certaine cohérence.

Les chiffres que vous avez cités sont exacts, monsieur le sénateur, et il convient de prendre conscience de la nature des faits qu'ils recouvrent. En effet, les personnes incarcérées le sont en général pour des faits graves.

Nous sommes donc confrontés à un phénomène français et européen d'aggravation de la délinquance, qui s'impose à tout gouvernement, quelles que soient par ailleurs ses préférences idéologiques.

S'agissant du suicide, j'ai demandé voilà plusieurs mois au professeur Terra, psychiatre, de me faire des propositions. Il doit me remettre officiellement son rapport mercredi prochain et je sais qu'il contient des mesures pratiques et concrètes, dont certains journaux se sont d'ailleurs fait l'écho. Je suis convaincu en particulier qu'il est possible de faire diminuer de 20 % le taux de suicides en prison en engageant une politique volontariste fondée sur des pratiques concrètes. Les personnels qui sont au contact des détenus devront être formés pour diagnostiquer, ce qui n'est pas si simple, l'entrée de quelqu'un en « crise suicidaire ». Je suis vraiment déterminé à aller de l'avant sur cette question du suicide en prison.

Je ne suis pas opposé à une grande loi pénitentiaire, mais il nous faut surtout avancer. Le travail entrepris par le député Jean-Luc Warsmann, dont une série d'amendements a été adoptée récemment par l'Assemblée nationale et sera soumise au Sénat en deuxième lecture, va dans le sens de la mise en oeuvre concrète d'une loi pénitentiaire, même si l'intitulé de la loi est différent.

Il s'agit bien de diversifier les alternatives à la prison, de mieux aménager les fins de peine et de préparer les détenus à une insertion au-delà de leur incarcération.

Tels sont, monsieur Sueur, les quelques éléments de réponse que je souhaitais vous apporter. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.

M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'Etat, comme Paul Girod et Laurent Béteille, j'apporterai le soutien de mon groupe à l'adoption du projet de budget que vous nous proposez. Il se situe en effet dans la droite ligne de la loi d'orientation que nous avons votée l'année dernière.

Par notre soutien, nous signifions également que nous adhérons aux propositions que vous formulez et aux réponses que vous apportez. Vous me permettrez tout d'abord d'exprimer un regret : dans le débat parlementaire sur les crédits du ministère de la justice, beaucoup de temps est consacré à la situation des délinquants et des prisonniers, mais on parle peu des victimes.

Je souhaitais que le problème du traitement psychologique et de l'indemnisation des victimes soit au moins posé. Personne ne s'est jamais préoccupé du nombre de suicides dans la catégorie des victimes. Je souhaite donc que la République s'occupe aussi bien des victimes que des délinquants.

M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Très bien !

M. Jean-Pierre Fourcade. Ma question, monsieur le garde des sceaux, porte sur les juges de proximité. Nous avions été nombreux au Sénat à soutenir le Gouvernement pour créer ces juges de proximité chargés de faciliter l'accès au droit de nos concitoyens dans les petits litiges de la vie quotidienne, qu'ils appartiennent au contentieux civil ou pénal. La loi organique du 26 février 2003 relative aux juges de proximité a fixé des règles statutaires pour le recrutement et le fonctionnement de cette justice de proximité, deux décrets d'application ont été publiés et le montant des vacations a été fixé par un arrêté.

Or de nombreux élus locaux jugent la mise en place des juges de proximité, notamment dans le département que je représente, de façon assez négative. Je voudrais donc vous poser trois questions sur ce sujet.

Premièrement, combien de juges de proximité ont-ils été nommés jusqu'à présent ? Le chiffre de trente-deux est dans toutes les mémoires, et j'espère qu'il va s'accroître d'ici à la fin de l'année. Quelles sont les causes de ce faible nombre de nominations ? Quelles sont vos perspectives pour les prochaines années, car, si l'on s'en tient à la première année, l'objectif de 3 000 juges de proximité peut paraître très éloigné.

Deuxièmement, c'est au niveau des compétences des juges de proximité que nous rencontrons des difficultés. Sur le plan civil, on observe certains blocages entre les conciliateurs qui travaillent dans les mairies ou les tribunaux d'instance, le juge de proximité et les magistrats des tribunaux d'instance. Je suis proche de ces milieux et je constate plusieurs problèmes difficiles. La compétence des juges de proximité en matière civile est limitée à 1 500 euros, ce qui est un peu ridicule dans les grandes agglomérations, notamment lorsque le niveau des loyers est aussi élevé que dans la région d'Ile-de-France. En matière pénale, entre les délégués du procureur, la territorialisation des substituts, le rôle du tribunal pour enfants et des tribunaux de simple police, le juge de proximité a beaucoup de mal à trouver sa place.

Or nous voudrions qu'une justice de proximité puisse régler rapidement les petits litiges de la vie quotidienne qui inquiètent beaucoup de nos concitoyens. C'est d'ailleurs pour cette raison que nous avions défendu activement le projet de loi.

Je souhaite donc que vous nous rassuriez sur la mise en place effective des juges de proximité, et en particulier sur leurs compétences, afin que l'on puisse dépasser les corporatismes et les mauvaises habitudes. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Dominique Perben, garde des sceaux. Monsieur Fourcade, vous avez eu raison d'évoquer la question des victimes. C'est en effet l'un des éléments importants de mon action depuis dix-huit mois. Voilà plus d'un an maintenant, j'ai engagé un plan d'aide aux victimes. Il vise en particulier à renforcer la place de la victime dans le processus pénal, ce qui me paraît extraordinairement important. Le projet de budget pour 2004 présente donc une augmentation significative des aides que le ministère de la justice accorde à l'ensemble du tissu associatif de défense des victimes et des personnes déstabilisées.

S'agissant des juges de proximité, il s'agit d'une nouvelle juridiction dont la mise en place nécessite bien évidemment un peu de temps. Je me permets également de rappeler, monsieur le sénateur, que c'est le Conseil supérieur de la magistrature qui nomme ces juges puisqu'il s'agit de juges du siège, même s'ils n'exercent pas à temps plein. Les règles statutaires doivent donc être respectées.

Le dispositif est le suivant : les candidatures sont examinées par les cours d'appel qui les renvoient à la direction des services judiciaires. Les dossiers sont ensuite transmis au Conseil supérieur de la magistrature. Nous avons récemment adressé au Conseil supérieur de la magistrature une liste de 160 propositions qu'il devrait pouvoir traiter dans les semaines qui viennent. Elles s'ajouteront à la trentaine que vous avez évoquée.

S'agissant ensuite des compétences, dans un souci de modestie - vous vous souvenez certainement du débat que nous avons eu à ce sujet au cours de l'été 2002 - nous avons sans doute visé « un peu court » en matière tant civile que pénale.

Il m'est cependant très difficile d'en tirer immédiatement une conclusion alors que seulement une trentaine de juges de proximité sont installés. Il est indispensable de procéder à un minimum d'évaluations concrètes, étant précisé que, pour modifier les seuils, il ne sera pas nécessaire de disposer d'un véhicule législatif spécifique de procédure pénale ou civile. Si la nécessité se fait sentir, un ajustement pourra intervenir en cours d'année lors de la discussion d'un texte de nature générale. Il sera vraisemblablement indispensable de procéder à cette extension de compétence.

Quant à l'organisation matérielle, j'ai eu l'occasion de constater, lors de mes déplacements dans différentes juridictions, que l'articulation entre les juges d'instance et les juges de proximité est en train de se réaliser progressivement. En outre, lorsque je réunis sur le terrain l'ensemble des magistrats - ce que je fais systématiquement - pour dialoguer avec eux et évoquer directement les problèmes, des propositions différentes d'articulation que je n'avais pas envisagées et que le débat parlementaire n'avait pas suscitées se font jour. Elles visent parfois à renforcer le rôle des juges de proximité à l'avenir.

M. le président. La parole est à M. Jean-PierreFourcade.

M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le garde des sceaux, je tiens à vous remercier de vos réponses concernant tant l'aide aux victimes que les juges de proximité.

Je formerai simplement le voeu que les chefs de cour, les procureurs généraux et les élus locaux se réunissent au sujet de la mise en place de cette nouvelle juridiction. Un contact devrait, me semble-t-il, être établi au moment de l'installation des juges de proximité. Cela permettrait de résoudre un certain nombre de problèmes d'articulation qui sont toujours très difficiles à résoudre localement.

M. le président. La parole est à M. Bernard Plasait.

M. Bernard Plasait. Monsieur le garde des sceaux, le projet de budget pour 2004 que vous nous présentez constitue la deuxième étape de la mise en oeuvre de la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002.

Je suis, je dois le dire, en total désaccord avec mon collègue M. Jacques Mahéas. « Justice pauvre, pauvre justice », c'est une formule que l'on a pu répéter sous l'ancienne législature. A l'évidence, le budget de la justice, en augmentation de 4,9 % en 2004 pour atteindre 5,283 milliards d'euros, soit 1,86 % du budget de l'Etat, montre que la justice est une véritable priorité du Gouvernement.

Cet effort est d'autant plus méritoire que les conditions budgétaires sont beaucoup plus difficiles qu'elles ne l'étaient sous la législature précédente. Respecter une loi de programmation dans de telles conditions constitue bien évidemment un exercice très difficile. Vous le réussissez, monsieur le garde des sceaux, et nous avons tout lieu d'en être pleinement satisfaits.

La première question que le souhaitais vous poser portait sur les juges de proximité. Mon collègue Jean-Pierre Fourcade m'a devancé, excellemment, et je vous remercie de vos réponses.

Je vous poserai tout de même une brève question complémentaire. La validation de vingt dossiers de juges de proximité par le Conseil supérieur de la magistrature en juillet dernier montre que ces dossiers sont extrêmement bien calibrés. Nous nous en félicitons, mais cela nous conduit malgré tout à vous demander s'il n'est pas à craindre qu'une interprétation trop restrictive de la notion de compétence juridique ne constitue, à l'avenir, un obstacle pour atteindre les objectifs fixés.

La seconde question a trait au reproche le plus fréquent que les Français adressent à la justice, c'est-à-dire son excessive lenteur. De ce point de vue, la situation s'est plutôt dégradée en 2002.

En effet, pour toutes les juridictions à l'exception des tribunaux de grande instance, l'année dernière a été marquée par une hausse sensible du flux des affaires nouvelles. Sauf pour les cours d'appel, les affaires terminées restent à un niveau inférieur à celui des affaires nouvelles.

Ainsi, la durée moyenne de traitement des affaires devant les tribunaux d'instance s'est allongée, pour atteindre 5,1 mois. Devant les tribunaux de grande instance, elle est de 9,4 mois. Quant à la durée moyenne de traitement des affaires pénales ayant atteint le stade de jugement, elle atteint 11,2 mois.

De la sorte, et reprenant la conclusion de M. le rapporteur spécial, notre éminent collègue Hubert Haenel, je dirai que « la lenteur et la faible exécution des décisions demeurent les deux fléaux de la justice ».

Pourtant, la réduction des délais de jugement est bien l'un des premiers objectifs de la loi d'orientation et de programmation pour la justice. Le Gouvernement avait alors précisé qu'il souhaitait faire passer le délai moyen de traitement des affaires de 18,4 mois à 12 mois dans les cours d'appel.

Au vu des résultats enregistrés l'an dernier, l'objectif ambitieux de réduire de près de 33 % les délais moyens de jugement à l'échéance de 2007 semble des plus difficiles à atteindre.

Monsieur le garde des sceaux, pourriez-vous me faire part de votre analyse de cette situation et me donner les explications que vous en avez ? Par ailleurs, j'aimerais savoir si la forte augmentation des effectifs budgétaires que vous prévoyez, et qui demande naturellement un délai d'application, permettra, une fois la formation des nouvelles recrues achevée, de remédier à cette difficulté majeure. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Dominique Perben, garde des sceaux. Comme vous l'avez dit, monsieur le sénateur, des moyens sont nécessaires en termes aussi bien de recrutement que de crédits.

En ce qui concerne les recrutements, nous sommes désormais dans une phase où le flux est assuré. En effet, lorqu'on décide de créer des postes, on ne dispose pas immédiatement des personnes à y placer. Aujourd'hui, nous sommes dans un système de flux qui devrait nous permettre, s'agissant en particulier des magistrats, mais aussi des greffiers, des personnels pénitentiaires et des éducateurs, de procéder aux recrutements indispensables, avec peut-être un bémol s'agissant des éducateurs, de la PJJ et des associations subventionnées. Dans ce domaine, nos capacités de recrutement sont probablement déficitaires, parce que le vivier de recrutement est faible.

J'ai indiqué précédemment que nous voulions ouvrir ces postes à des personnes bénéficiant déjà d'une expérience professionnelle. Je crains, effectivement, qu'en matière d'éducateurs et de personnels des services de réinsertion nous n'ayons une certaine difficulté à trouver la contrepartie des postes offerts. Pour les autres catégories de personnel, je pense que nous sommes maintenant dans une période propice aux recrutements.

Voilà pour l'aspect quantitatif. Mais, évidemment, je suis convaincu comme vous que cela ne suffit pas pour améliorer le système dans son ensemble. Il nous faut mettre en place des procédures d'évaluation, car, aujourd'hui - vous avez cité quelques chiffres -, les données statistiques nous sont communiquées trop tard. Bien sûr, cela représente un intérêt historique, mais le délai entre le moment où la réalité est constatée et celui où on la connaît est trop long ; les données statistiques ne sont donc pas un outil opérationnel de gestion.

Il nous faut donc absolument - et les services accomplissent actuellement un effort considérable dans ce sens - connaître l'activité des juridictions beaucoup plus rapidement. En effet, aujourd'hui, on n'a connaissance des chiffres que six mois après la fin de l'année concernée. Autant dire que le budget de l'année suivante est déjà voté, déjà en cours d'exécution, et qu'on ne se sert de ces données que pour l'année n + 2. Cela n'est donc pas opératoire. Quitte à avoir des chiffres moins précis, nous devons connaître le plus vite possible l'évolution de l'activité des juridictions. Il importe, en effet, que ces éléments soient intégrés dans les contrats d'objectifs, afin que l'on ait une capacité d'évaluation de l'activité. Ainsi, on pourra, le cas échéant, apporter les corrections nécessaires. Il s'agit non pas de dire que c'est bien ici ou que c'est mal là. En fait, dès lors que l'on rencontre une difficulté, il faut l'analyser et la corriger le plus vite possible. Tel est l'esprit des contrats d'objectifs.

Enfin, l'autre élément concerne la simplification d'un certain nombre de procédures. Le texte portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité prévoit, en particulier, s'agissant du pénal, un élargissement des possibilités de comparution immédiate et l'introduction de la reconnaissance préalable de culpabilité, qui constituent deux éléments très importants. Cela permettra, pour les affaires simples en matière pénale, de soulager l'audiencement. En effet, vous le savez, dans les juridictions des départements que vous représentez, ce qui bloque, pour l'essentiel, c'est l'audiencement au pénal.

Par conséquent, on ne peut pas à la fois me dire qu'il faut traiter les dossiers plus rapidement et, lorsque je propose des améliorations de procédure pour les cas les plus nombreux mais les moins complexes, me reprocher de contourner cette difficulté de l'audiencement en proposant que la sanction soit simplement validée par le président du tribunal. Je pense donc qu'une amélioration interviendra sur ce point.

S'agissant du civil, nous travaillons aussi - cela relève du domaine réglementaire - à une simplification de la procédure. Ces mesures devraient également faciliter l'activité des juridictions. C'est l'ensemble de la situation qu'il nous faut améliorer.

Vous me permettrez de revenir brièvement, car cela participe de la cohérence de la politique que je veux mettre en oeuvre, sur l'importance de l'exécution de la peine : il ne peut pas y avoir de crédibilité de la justice pénale sans exécution de la peine. Or, à l'heure actuelle, le taux de non-exécution s'élève à 30 %. Par conséquent, le système s'autoalimente : comme la première sanction n'a pas été exécutée, une deuxième infraction est commise et le dispositif est réalimenté. Si nous voulons accroître l'efficacité de la chaîne pénale, il nous faut donc vraiment apporter des améliorations en matière d'exécution de la peine. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Plasait.

M. Bernard Plasait. Je souhaite simplement remercier M. le ministre de sa réponse très complète.

M. le président. La parole est à M. Christian Demuynck.

M. Christian Demuynck. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous entamons, en 2004, la deuxième année de mise en oeuvre de la loi d'orientation et de programmation de la justice. Le budget que vous nous présentez, monsieur le garde des sceaux, respecte les engagements que vous aviez pris alors en matière tant de création d'emplois que de crédits de fonctionnement ou d'investissement.

Ce budget en augmentation de 4,9 % par rapport à celui de l'an passé, et ce malgré un contexte budgétaire très difficile, permettra de rattraper un certain nombre de retards accumulés, notamment sous la législature précédente ; plusieurs de nos collègues l'ont rappelé, notamment Bernard Plasait.

Les priorités de votre budget portent ainsi sur des points essentiels, qu'il s'agisse de la réduction du nombre de dossiers en attente ou, plus généralement, du raccourcissement des délais de jugement, de la modernisation des juridictions et de l'amélioration de leur fonctionnement, de la rénovation de l'administration pénitentiaire ou encore du soutien aux victimes, qui, jusqu'ici, n'étaient pratiquement pas prises en compte par notre système judiciaire, se retrouvant ainsi à nouveau victime, à la fois de l'excessive lenteur de la justice et de la réparation de leur préjudice.

Au-delà de ces priorités, je souhaiterais vous interroger, monsieur le garde des sceaux, sur la question des moyens alloués au développement des peines dites « alternatives ».

Dans le cadre du projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, ont en effet été introduites plusieurs dispositions relatives aux aménagements de peine et aux alternatives, comme le bracelet électronique, les travaux d'intérêt général ou les places en semi-liberté.

Certes, une application progressive de ces mesures est prévue, lesquelles entreront réellement en vigueur dès 2007. Néanmoins, se pose d'ores et déjà la question du recrutement de conseillers d'insertion et de probation, les CIP, mais aussi de travailleurs sociaux qu'il faudra former.

Se pose également la question du nombre de juges de l'application des peines pour rendre effectives ces mesures dans des délais raisonnables.

Dans quelle proportion et quand, monsieur le garde des sceaux, pourra-t-on assumer matériellement ces nouvelles charges ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Dominique Perben, garde des sceaux. Tout d'abord, s'agissant des services d'insertion et de probation, le projet de budget pour 2004 prévoit la création de 161 emplois de CIP. Je rappelle que, l'an dernier, 150 postes supplémentaires ont été créés. Par ailleurs, 55 personnels administratifs seront affectés dans ces services.

Ces structures doivent effectivement être renforcées, surtout si l'on veut - et tel est l'esprit des amendements de Jean-Luc Warsmann - développer la préparation à la sortie dans les établissements. Pour cela, il faut que les CIP soient suffisamment équipés et capables de suivre l'ensemble des personnes concernées.

S'agissant des juges de l'application des peines, 248 d'entre eux sont en place depuis le mois de septembre 2003. A la fin de l'année, il y en aura quinze de plus. Il restera donc douze tribunaux de grande instance et le tribunal de première instance de Mamoudzou pour lesquels nous devrons recruter cent juges de l'application des peines. Il nous faut donc poursuivre l'effort, afin de mettre en place partout ces juges de l'application des peines.

Pour ce qui est des charges nouvelles qui pèseront sur les SPIP, le projet de budget pour 2004 prévoit une augmentation des crédits pour leur permettre de fonctionner et d'accompagner le développement des mesures contenues dans le projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. En particulier, une enveloppe de 5 millions d'euros sera mise à la disposition de ces services en supplément des crédits dont ils disposaient l'année dernière. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits concernant le ministère de la justice et figurant aux états B et C.

ÉTAT B

Justice
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2004
Art. 79 (début)

M. le président. « Titre III : 189 601 472 euros. »

La parole est à Mme Michèle André, sur le titre.

Mme Michèle André. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite dire quelques mots sur le budget consacré à la protection judiciaire de la jeunesse.

Si l'on considère des besoins tels qu'ils avaient été mentionnés dans l'excellent rapport de notre assemblée en 2002 sur la délinquance des mineurs et si l'on se réfère au rapport de la Cour des comptes qui attirait l'attention sur un certain nombre de dysfonctionnements de la PJJ, force est de constater que beaucoup reste à faire dans ce domaine.

Il faudra bien aborder les points de fragilité du secteur public, encore trop concentré, et je ne suis pas sûre que la réponse se trouvera dans la possibilité d'expérimentation dont disposeront les départements. Il existe en effet une différence entre la prise en charge de l'enfance en difficulté et celle de jeunes délinquants, seraient-ils mineurs.

Votre projet de budget pour 2004 s'élève à 587,13 millions d'euros. J'espère, monsieur le ministre, que vos crédits ne subiront pas de gel ! La part prépondérante en revient au secteur public, soit 58 %. Comment envisagez-vous l'articulation entre la PJJ et le secteur habilité pour une action plus efficace et plus concertée ? Quelle place est accordée à la prévention qui est indispensable et dont on peut penser qu'elle est mise au second plan ?

A la fin du mois d'octobre, vous vous félicitiez, monsieur le ministre, du bilan très positif des centres éducatifs fermés et déclariez votre intention de respecter l'objectif de soixante centres d'ici à 2007. Cela revient à dire que douze centres doivent être créés chaque année. Or, dans votre projet de loi, trois seulement sont financés. Que signifie ce ralentissement ? Auriez-vous un doute sur ce nouveau mode de prise en charge des mineurs délinquants au regard de son coût très élevé ? Si l'on considère les difficultés diverses attachées, en particulier, au fonctionnement du centre de Lusigny, il faut reconsidérer les principes et les pratiques de ces centres éducatifs fermés.

A la lecture du fascicule de votre ministère sur les chiffres clés, on s'aperçoit que le taux de réponse pénale est supérieure pour les mineurs : 78,6 %, contre 68,2 % pour les majeurs. Est-ce le signe d'un changement de société où les mineurs risquent d'être considérés comme étant plus délinquants, ou bien est-ce la volonté d'affirmer que la sanction est la seule réponse à apporter aux difficultés ?

Certes, la répression est nécessaire - tout le monde s'accorde à le reconnaître -, mais l'éducation des jeunes doit rester un projet vaste et ambitieux. Vous l'avez affirmé vous-même, monsieur le ministre : cela demande volonté et moyens.

Les personnels de la PJJ sont inquiets, nul ne l'ignore. Il vous appartient de remotiver des équipes expérimentées, qui sont attachées à ce difficile métier visant à intégrer les jeunes qui leur sont confiés. Les crédits d'investissement, qui permettent d'augmenter les capacités d'accueil, sont utiles. Mais les postes annoncés doivent être pourvus - nous y serons attentifs ! - afin d'assurer le plus efficacement possible l'encadrement et l'insertion dans la société de jeunes qu'il faut continuer de protéger et d'éduquer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo.

Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l'occasion du vote des crédits du titre III de la justice, je tiens à m'élever, au nom des sénateurs communistes, contre le démantèlement programmé de la protection judiciaire de la jeunesse : si le budget consacré à la protection judiciaire de la jeunesse est en apparente progression - plus 3,80 % -, celle-ci ne saurait dissimuler ni le gel des crédits pour 2003 sur l'intégralité des mesures nouvelles ni le recentrage de la PJJ autour d'une mission répressive, marque d'un désengagement de l'Etat en matière de protection de l'enfance. La création des centres éducatifs fermés est en effet dévoreuse de nombreux crédits, qu'il s'agisse de personnel, de fonctionnement ou d'investissement.

Qu'il y ait un certain nombre de dysfonctionnements au sein de la protection judiciaire de la jeunesse, personne ne le nie ; mais il y aurait tout de même matière à discussion pour ce qui est tant des causes de ces dysfonctionnements que de la façon de les résoudre.

N'oublions pas que la PJJ ne s'est reconstituée que très récemment, après avoir pendant longtemps été l'objet de toutes les inattentions. Le précédent gouvernement a été le premier à réagir contre la pénurie endémique de moyens par un recrutement massif d'éducateurs.

Cette situation explique une partie des problèmes que rencontre actuellement l'institution, sur lesquels nous attirions l'attention de votre prédécesseur dès la fin de l'année 2001, monsieur le ministre. Les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse sont en très grande majorité des personnes jeunes - vingt-cinq ans -, et souvent des femmes. Cette situation n'est pas sans poser des problèmes eu égard au manque de « référent paternel » pour certains adolescents envoyés en centre de placement immédiat.

C'est pourquoi nous insistions, à l'époque, sur la nécessité de diversifier les recrutements et de les rendre plus attractifs pour des personnes plus âgées. C'est ce que vous avez d'ailleurs noté tout à l'heure. Encore faut-il ne pas décourager les éventuels candidats.

Face au concert de critiques faisant écho au rapport de la Cour des comptes, qui pratique malheureusement souvent l'amalgame des rigidités ou des manques de l'institution elle-même et des personnels, dont le dévouement, face à une tâche extrêmement difficile, mériterait au contraire d'être souligné, il serait utile de rappeler que, dans une période de critallisation de la délinquance des mineurs, la PJJ, dans sa grande majorité, a fait la preuve de sa capacité d'adaptation. En effet, en l'espace de quelques années, elle a dû faire face à une transformation en profondeur du droit pénal des mineurs. Qu'on en juge : réponse systématique, justice en temps réel avec la comparution à délais rapprochés, puis loi d'orientation et de programmation pour la justice, création de sanctions éducatives pour les plus jeunes, création des CPI puis des CEF, les centres éducatifs fermés. Autant d'innovations qui ont été, dans l'ensemble, plutôt bien amorties par l'ensemble de la structure.

Loin de moi la tentation de jouer les Zadig de Voltaire et de prétendre que « tout va bien dans le meilleur des mondes ». Je ne peux en effet que déplorer qu'un ministre de tutelle qui, en décembre 2002, affirmait haut et fort sa volonté d'agir en vue d'une « amélioration substantielle de l'organisation de la PJJ et la mobilisation de moyens », soit véritablement en passe de devenir le fossoyeur de la PJJ.

Monsieur le ministre, je pèse mes mots : après avoir souligné les dysfonctionnements, on cherche non pas à les régler, mais à prendre appui sur eux, d'abord pour « casser » les personnels en n'hésitant pas à les poursuivre disciplinairement lorsqu'ils affichent un regard critique sur la politique menée par le Gouvernement, ensuite pour justifier un démantèlement de l'institution. Le fameux « fil rouge éducatif », qui est la force de la PJJ, est en passe d'être rompu avec la décentralisation de l'assistance éducative dans le projet de loi relatif aux responsabilités locales s'agissant de la protection des mineurs en danger : on applique la procédure de la vente par appartements, en quelque sorte !

Cette conception n'est pas celle que veulent défendre les communistes pour la justice des mineurs. Unité d'action et réaffirmation du rôle de l'Etat, y compris en matière de protection de l'enfance en danger, tel devrait être le credo d'une politique offensive en direction des mineurs, qui, seule, permettra de peser à moyen et à long terme sur la délinquance des mineurs.

Ctte divergence fondamentale sur les attributions de la PJJ constitue une raison supplémentaire pour les sénateurs communistes de ne pas voter le présent projet de budget de la justice pour 2004, bien qu'il soit en augmentation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Je mets aux voix les crédits figurant au titre III.

(Ces crédits sont adoptés.)

M. le président. « Titre IV : 5 437 867 euros. »

Je mets aux voix les crédits figurant au titre IV.

(Ces crédits sont adoptés.)

ÉTAT C

M. le président. « Titre V. - Autorisations de programme : 1 029 215 000 euros ;

« Crédits de paiement : 69 634 000 euros. »

Je mets aux voix les crédits figurant au titre V.

(Ces crédits sont adoptés.)

M. le président. « Titre VI. - Autorisations de programme : 20 500 000 euros ;

« Crédits de paiement : 2 500 000 euros. »

Je mets aux voix les crédits figurant au titre VI.

(Ces crédits sont adoptés.)

M. le président. J'appelle en discussion l'article 79, qui est rattaché pour son examen aux crédits affectés au budget de la justice.