Article additionnel après l'article 2
M. le président. L'amendement n° 8 rectifié, présenté par M. Larcher, au nom de la commission, est ainsi libellé :
« Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - A la fin de la première phrase du premier alinéa de l'article 16 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, les mots : "et que la société prévue à l'article 51 de la présente loi est tenue de diffuser" sont supprimés.
« II. - La première phrase du premier alinéa de l'article 48 de la même loi est complétée par les mots : ", ainsi qu'aux impératifs de la défense nationale, de la sécurité publique et de la communication gouvernementale en temps de crise."
« III. - L'article 51 de la même loi est abrogé.
« IV. - L'article 54 de la même loi est ainsi modifié :
« 1° Au premier alinéa, les mots : "et diffuser par la société prévue à l'article 51" sont supprimés ;
« 2° Cet article est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Un décret en Conseil d'Etat précise les obligations s'appliquant aux sociétés assurant la diffusion par voie hertzienne terrestre des sociétés nationales de programme, pour des motifs tenant à la défense nationale, à la sécurité publique et aux communications du Gouvernement en temps de crise. »
« V. - 1° Au premier alinéa du II de l'article 57 de la même loi, les mots : "ou à la société prévue à l'article 51" sont supprimés.
« 2° Au quatrième alinéa du même paragraphe, les mots : "et de la société prévue à l'article 51" sont supprimés.
« VI. - L'article 100 de la même loi est abrogé au 1er juillet 2004. »
Le sous-amendement n° 118, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
« I. - Avant le I du texte proposé par l'amendement n° 8, insérer un paragraphe ainsi rédigé :
« I. A. - Au deuxième alinéa de l'article 7 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, les mots : "aux articles 44, 45, 49 et 51" sont remplacés par les mots "aux articles 44, 45 et 49". »
« II. - Après le I du même texte, insérer un paragraphe ainsi rédigé :
« I. bis. - Le premier alinéa du I de l'article 26 de la même loi est ainsi rédigé :
« Nonobstant toute disposition contraire des autorisations de droits d'usage délivrées avant la date d'entrée en vigueur de la loi n° 2000-719 du 1er août 2000, les sociétés nationales de programme et le groupement européen d'intérêt économique dénommé Arte sont titulaires du droit d'usage des ressources radioélectriques assignées pour la diffusion de leurs programmes par voie hertzienne terrestre. »
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 8 rectifié.
M. Gérard Larcher, rapporteur. L'amendement n° 8 rectifié vise à supprimer le monopole de TDF. En fait, il transpose en droit national des dispositions de la directive du 16 septembre 2002, laquelle, je le rappelle, appartient au même « paquet » que celle que nous avons examinée à l'article 1er.
Ainsi serait supprimé le monopole dont bénéficie Télédiffusion de France pour la diffusion par voie hertzienne terrestre en mode analogique, en France et vers l'étranger, des programmes des sociétés nationales France 2, France 3, France 5, RFO, Radio France, RFI, ainsi que ceux de la société ARTE France.
Cet amendement supprime la référence faite à TDF, à sa mission et à son statut dans la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. Il rétablit ainsi les conditions d'une concurrence saine dans le secteur de la diffusion hertzienne terrestre.
Par ailleurs, il transfère les obligations, jusqu'alors imposées à TDF, tenant à la défense nationale, à la sécurité publique et à la communication gouvernementale en temps de crise, non seulement aux différentes sociétés nationales de programmes - c'est l'objet du paragraphe II -, mais également à toute société assurant leur diffusion hertzienne terrestre - c'est l'objet du 2° du paragraphe IV.
En outre, le paragraphe IV supprime l'obligation faite à TDF de diffuser toutes les déclarations ou communications que le Gouvernement jugerait nécessaire.
Enfin, dans les paragraphes V et VI, est supprimé l'encadrement du droit de grève, auparavant justifié par la continuité du service à laquelle sont soumis les personnels de TDF.
Est également supprimé le placement sous l'autorité du CSA des services de TDF nécessaires à l'exercice de certaines missions confiées par la loi du 30 septembre 1986 à la Haute Autorité.
Nous nous sommes déjà largement expliqués sur ce sujet. M. Jacques Valade a d'ailleurs apporté tout à l'heure, en tant que président de la commission des affaires culturelles, son soutien à cet amendement, aussi bien sur le fond que sur la forme.
M. le président. La parole est à M. le ministre, pour défendre le sous-amendement n° 118 et pour donner l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 8 rectifié.
M. Francis Mer, ministre. Tout en étant parfaitement favorable à l'amendement n° 8 rectifié, le Gouvernement a estimé nécessaire de déposer un sous-amendement visant à supprimer deux références à la société Télédiffusion de France : la première est relative aux incompatibilités professionnelles des services du Conseil supérieur de l'audiovisuel, la seconde au régime d'attribution prioritaire de la ressource radioélectrique dont bénéficient les sociétés nationales de programmes.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur ce sous-amendement ?
M. Gérard Larcher, rapporteur. Il s'agit d'une coordination juridique ; nous y sommes favorables.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yvon Trémel, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 118.
M. Pierre-Yvon Trémel. Nous ne pourrons bien évidemment que voter contre l'amendement n° 8 rectifié, pour deux raisons.
D'abord, pour une raison de forme : nous l'avons déjà dit, nous aurions souhaité que le sujet de TDF soit abordé dans un autre texte que celui-ci.
Ensuite, pour une raison de fond : nous sommes opposés à ce texte qui vise à supprimer toute base légale à l'existence de TDF.
Evidemment, nous émettrons le même vote à l'égard du sous-amendement n° 118, qui est en coordination avec l'amendement.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau, pour explication de vote.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je ne reviendrai pas sur les explications que j'ai données au sujet de TDF lors de la défense de notre amendement n° 41. Je dirai simplement que nous voterons contre l'amendement n° 8 rectifié de la commission et contre le sous-amendement n° 118 du Gouvernement.
Je regrette néanmoins que nous n'ayons pas eu une discussion sur le fond de cette affaire et sur le sort que l'on fait à TDF.
Je rappelle que TDF assure la diffusion et la transmission par tous les procédés analogiques, en France et vers l'étranger, des programmes de Radio France, Radio France outre-mer, Radio France internationale et France Télévision et que son capital est majoritairement détenu par l'Etat.
En fait, il s'agit bien de permettre la privatisation totale de TDF alors que ses principaux usagers sont des entités publiques. Nous ne comprenons pas bien quelle est la logique qui préside à tout cela, ou, plutôt, nous ne comprenons que trop bien !
Enfin, je trouve tout de même curieux qu'en un quart d'heure, ce soir, on décide de la suppression du fondement juridique de TDF sans véritable débat. C'est extrêmement grave.
M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 118.
(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président. Je mets aux voix, modifié, l'amendement n° 8 rectifié.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain et citoyen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin
n° 19
:
Nombre de votants | 315 |
Nombre de suffrages exprimés | 307 |
Majorité absolue des suffrages | 154 |
Pour | 201 |
Contre | 106 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 2.
Demande de renvoi à la commission du titre II
M. le président. Je suis saisi par Mmes Beaudeau, Beaufils et Terrade, M. Coquelle, Mme Didier, M. Le Cam et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 123, tendant au renvoi à la commission.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des affaires économiques et du Plan le titre II du projet de loi relatif aux obligations de service public des télécommunications et à France Télécom (n° 421, 2002-2003). »
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour cinq minutes, un orateur d'opinion contraire, pour cinq minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n'est admise.
La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau, auteur de la motion.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Par cette motion de renvoi en commission des articles du titre II, nous voulons exprimer fortement, après la discussion générale, nos doutes sur la validité constitutionnelle des dispositions proposées et notre inquiétude quant à l'avenir des fonctionnaires en activité à France Télécom.
Une question fondamentale reste à notre avis sans réponse concluante et doit être examinée de façon plus approfondie : des fonctionnaires de l'Etat peuvent-ils travailler pour une société privée ?
Non seulement nous considérons que l'examen par la commission des affaires économiques, saisie au fond, n'a pas apporté de justification satisfaisante à sa réponse affirmative - malgré les formules rassurantes que vous avez, monsieur le rapporteur, comme vous d'ailleurs, monsieur le ministre, multipliées à l'envi -, mais nous jugeons aussi très dommageable à l'approfondissement nécessaire de l'examen du texte que la commission des lois, s'agissant d'un sujet qui touche au statut de la fonction publique, et la commission des finances, alors que cette évolution du statut des personnels fonctionnaires rendrait possible une privatisation de très grande ampleur, n'aient pas été saisies pour avis. Et la discussion du paragraphe IX de l'article nous conduit à ajouter que l'avis de la commission des affaires culturelles n'aurait pas non plus été superflu.
Le 18 novembre 1993, le Conseil d'Etat rendait un avis établissant, pour garantir le respect du principe constitutionnel, que des fonctionnaires de l'Etat ne pouvaient être mis à la disposition d'une société anonyme qu'à condition, d'une part, que des missions de service public lui soient confiées par la loi et, d'autre part, que son capital soit détenu majoritairement, de manière directe ou indirecte, par l'Etat. On peut difficilement nier que cet avis du Conseil d'Etat relève du bon sens.
Si ce projet de loi était adopté, France Télécom ne satisferait plus à aucune de ces conditions. Le titre Ier, en effet, supprime ses obligations de service public inscrites dans la loi au titre du service universel, sans même que ce soit une exigence incluse dans la directive européenne. Le titre III rend possible le passage de la part de l'Etat dans le capital en dessous de 50 % et ouvre la voie à la privatisation totale de l'opérateur, ce qui est l'objet à peine dissimulé de l'ensemble de votre texte.
Ces données nous laissent envisager trois interprétations. La première, c'est que l'avis du Conseil d'Etat ne serait plus valable. La deuxième, c'est que votre projet de privatisation est anticonstitutionnel. La troisième, c'est que, derrière la prétendue « sanctuarisation » du statut des fonctionnaires de l'Etat en activité à France Télécom, se cache une remise en cause profonde de leurs garanties fondamentales et même de leur statut de fonctionnaire de l'Etat.
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, évidemment, vous essayez de nous persuader de la validité de la première solution, mais votre argumentation est bien frêle : le corps des fonctionnaires de France Télécom est, depuis le 1er janvier 2002, un corps en voie d'extinction, et les dispositions dérogeant si fortement au statut général de la fonction publique seraient de ce fait provisoires et transitoires, donc constitutionnelles. Et le tour est joué !
Reconnaissez tout de même qu'un provisoire qui dure trente-deux ans, c'est long ! Vous admettez d'ailleurs vous-mêmes, messieurs, que les fonctionnaires seront encore majoritaires dans les effectifs de France Télécom en 2015.
Je rappelle que les fonctionnaires en activité à France Télécom, au nombre de 106 000, représentent aujourd'hui 75 % des personnels en France et 86 % des personnels de la maison mère.
J'ajouterai, monsieur le rapporteur, que, dans votre rapport si souvent cité de 2002, intitulé « Télécom, un avenir ouvert », vous considériez avec grand respect l'avis du Conseil d'Etat et vous vous évertuiez à trouver des combinaisons compatibles avec la privatisation : transfert des fonctionnaires vers un établissement public qui les détacherait à France Télécom, participation minoritaire mais stratégique, golden share de l'Etat dans le capital ; toutes solutions que vous rejetez maintenant d'un revers de main, sans doute au nom des exigences de la Commission de Bruxelles.
En fait de provisoire, on peut légitimement penser que c'est le statut bâtard que vous créez dans ce titre II qui le sera. Qui peut imaginer que, dans l'univers concurrentiel dont vous vantez les mérites, il ne se trouvera pas un concurrent, ou le MEDEF ou la Commission européenne pour remettre en cause la distorsion de concurrence que représenterait l'utilisation de dizaines de milliers de fonctionnaires dans une firme privée ?
Aussi, nous avons tout lieu de craindre que c'est un marché de dupes que vous proposez aux fonctionnaires et à l'ensemble des salariés de France Télécom.
La question de la constitutionnalité du titre II de votre projet de loi se pose - et les travaux de la commission ne l'ont pas même abordée - au regard de l'article 34 de la Constitution, qui assigne à la loi la prérogative de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires de l'Etat.
A force de dérogations, que va-t-il rester de ces garanties fondamentales ? Je note déjà qu'il n'est question, dès l'intitulé du titre, que de fonctionnaires de France Télécom, comme s'ils constituaient une catégorie déjà particulière, et non des fonctionnaires d'Etat en activité à France Télécom. C'est plus qu'une nuance !
Pour le reste, il n'y a qu'à énumérer : les institutions représentatives sont alignées sur le code du travail ; la référence indiciaire des rémunérations est diluée avec la possibilité laissée à France Télécom de moduler les indemnités spécifiques globales ; les pouvoirs de nomination et de gestion des fonctionnaires, à l'exception des sanctions les plus graves, sont confiés au président de France Télécom, lequel est désormais désigné par le conseil d'administration et non plus par le Gouvernement.
Tout est fait par ailleurs pour encourager la direction de France Télécom à inciter les fonctionnaires, voire à faire pression sur eux, pour qu'ils quittent l'entreprise, notamment en direction des autres fonctions publiques, ou bien qu'ils renoncent à leur statut.
Les mises à disposition et détachements sont banalisés au sein de la maison mère. Le droit d'option dans les six mois, même s'il est supprimé au cours de la discussion par la majorité sénatoriale, trahit une démarche prévisible de la direction de France Télécom.
Comment, dans ces conditions, prétendre maintenir les garanties fondamentales des fonctionnaires ?
Même la garantie de l'emploi est attaquée : à l'article 4, une disposition fait de France Télécom son propre assureur chômage pour les fonctionnaires placés hors activité. Cela signifie bien que ces fonctionnaires pourraient se retrouver au chômage.
Oui, il y a beaucoup de raisons de penser que la privatisation conduira au démantèlement du statut des fonctionnaires en activité à France Télécom et que c'est cela que vous organisez, en violation probable de la Constitution. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Gérard Larcher rapporteur. Je me permettrai de renvoyer Mme Beaudeau au rapport qui a été adopté par la commission, notamment à ses pages 26 et 27.
Depuis le milieu de cet après-midi, nous ne faisons rien d'autre que de garantir dans la loi le droit des personnels fonctionnaires. Nous répondons donc bien aux conditions posées par l'article 34 de la Constitution.
D'autre part, lors de la discussion générale, j'ai clairement abordé la question de la constitutionnalité. J'ai d'ailleurs rappelé ce que j'écrivais en 2002, alors que nous n'étions pas soumis à la directive sur le service universel. Cette directive nous oblige aujourd'hui, puisqu'il n'y a plus de monopole de fait - je vous renvoie au préambule de la Constitution de 1946, repris par la Constitution de 1958 -, à légiférer en la matière.
Le renvoi en commission ne paraît pas justifié dans la forme dans la mesure où l'examen du projet de loi obéit à notre procédure habituelle : nous avons auditionné en commission M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ; nous avons auditionné le président de France Télécom ; j'ai personnellement auditionné, en tant que rapporteur, les représentants des syndicats des personnels de l'entreprise ainsi qu'un certain nombre d'autres opérateurs.
Surtout, le renvoi en commission ne paraît pas justifié sur le fond. Le titre II est important aux yeux de la commission. Il garantit en effet le statut des personnels fonctionnaires, auquel la commission est très attachée, ainsi qu'elle a eu l'occasion de l'indiquer.
Renvoyer cette partie du texte devant la commission reviendrait en fait à porter un coup juridique à plus de 100 000 personnes, sans parler de l'impact économique sur l'entreprise.
La commission est donc défavorable à cette motion.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Francis Mer, ministre. Il va de soi que je partage la position de M. le rapporteur, mais je voudrais évoquer les éléments qui justifient cette attitude.
La situation et l'environnement juridique actuels de France Télécom ne sont plus les mêmes qu'il y a dix ans.
La situation des corps de fonctionnaires de France Télécom est maintenant transitoire, le recrutement ayant définitivement cessé depuis janvier 2002, ce qui entraînera l'extinction définitive de ces corps aux environs de 2032. Or les conditions posées par l'avis de 1993 pour constituer et maintenir des corps de fonctionnaires faisaient référence à l'installation de ces corps dans une situation pérenne.
Par ailleurs, le Conseil d'Etat avait déjà dérogé à ces conditions, notamment dans son avis de 1997 relatif à la Caisse nationale de prévoyance, quand il avait considéré des situations transitoires résultant de la transformation d'entreprises publiques en sociétés anonymes.
Lorsque avaient été appliquées des conditions à l'emploi des fonctionnaires de France Télécom en 1993, le Conseil d'Etat n'avait pas envisagé l'hypothèse selon laquelle les missions de service public pourraient ne plus être attribuées par la loi à l'entreprise, en application d'une directive communautaire.
L'ampleur de cette dérogation doit être appréciée au regard du nombre de fonctionnaires concernés - environ 106 000 -, sachant qu'au bout de quinze ans il en restera encore trente fois plus à France Télécom qu'il n'y en avait à la CNP en 1997.
Elle doit être aussi appréciée au regard de l'obligation devant laquelle se trouve placé le Gouvernement, du fait de cette directive européenne, de tirer les conséquences de la fin de l'attribution par la loi des missions de service universel sans mettre en danger l'exploitation d'une entreprise stratégique pour l'intérêt national, comme l'a rappelé M. Gérard Larcher.
Cette ampleur doit enfin être appréciée au regard du fait qu'il n'existe pas d'alternative praticable à la solution de continuité proposée par le projet de loi. L'attribution explicite par la loi au président de l'entreprise des pouvoirs nécessaires à la nomination et à la gestion des corps de fonctionnaires de France Télécom, le pouvoir de prononcer des sanctions disciplinaires les plus graves étant réservé au Gouvernement, permet de satisfaire aux exigences constitutionnelles.
En conséquence, le Gouvernement et l'assemblée générale du Conseil d'Etat ont considéré que, au regard de la situation exceptionnelle de l'entreprise, il était possible d'accepter, au cas d'espèce, une période transitoire d'un peu plus de trente ans, jusqu'à l'extinction des corps de fonctionnaires de France Télécom, sous réserve que la loi prévoie une clause de réévaluation de la situation au bout de quinze ans.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 223, tendant au renvoi à la commission.
(La motion n'est pas adoptée.)
M. le président. En conséquence, nous entamons l'examen du titre II.
TITRE II
CONDITIONS D'EMPLOI
DES FONCTIONNAIRES DE FRANCE TÉLÉCOM
M. le président. L'amendement n° 81, présenté par Mmes Beaufils et Terrade, M. Coquelle, Mme Didier, M. Le Cam et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« I. - Dans l'intitulé de cette division, remplacer les mots : "fonctionnaires de France Télécom" par les mots : "fonctionnaires de l'Etat en activité à France Télécom".
« II. - En conséquence, dans l'ensemble des autres dispositions du projet de loi, remplacer les mots : "fonctionnaires de France Télécom" par les mots : "fonctionnaires de l'Etat en activité à France Télécom". »
La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Mon amie et collègue Marie-Claude Beaudeau vient de le souligner, nous avons de bonnes raisons de penser que certaines dispositions du titre II remettent en cause des garanties fondamentales, notamment la garantie de l'emploi attachée au statut des fonctionnaires.
Nous avons eu l'occasion de rappeler que les dispositions comme celles qui concernent le droit d'option ou l'assurance chômage étaient contraires au statut général des fonctionnaires de l'Etat.
La grande majorité des 106 000 salariés de France Télécom sont des fonctionnaires de l'Etat qui devront bientôt exercer leur activité dans une société promise par le titre III de ce projet de loi à la privatisation totale. Comment cela est-il possible ?
L'avis du Conseil d'Etat du 18 novembre 1993 soumettait la possibilité pour des fonctionnaires de l'Etat d'être en activité dans une société anonyme ; à plusieurs conditions : que la loi définisse les missions de service public confiées à la société anonyme ; que le capital de cette société soit majoritairement, directement ou indirectement, détenu par l'Etat ; que la loi fixe les règles essentielles d'un cahier des charges imposant à la société anonyme le respect d'obligations garantissant la bonne exécution du service public ; que la loi édicte les dispositions propres à garantir que la nature de l'organisme de droit privé ne pourra avoir pour conséquence qu'il puisse être porté atteinte au principe de continuité du service public.
Or, comme chacun a pu l'observer, les dispositions qui nous sont proposées contreviennent à la plupart de ces règles, pour ne pas dire à toutes.
Nous ne sommes pas dupes, monsieur le ministre. Les dispositions de ce texte ont pour but de vider France Télécom de ses fonctionnaires le plus rapidement possible, des fonctionnaires qui ont la qualité particulière d'être des fonctionnaires de l'Etat, au service de l'Etat, et qui ne peuvent a priori être transférés vers les autres fonctions publiques, à moins qu'ils n'en aient exprimé la volonté.
Votre projet de loi est donc une attaque en bonne et due forme contre le statut général de la fonction publique d'Etat et il constitue une remise en cause du fondement même du service public d'intérêt général.
Sans revenir sur ce qui a été dit précédemment, j'insisterai sur le fait que le Gouvernement est en train de détruire ce que, après la Seconde Guerre mondiale, nous avons réussi à construire de meilleur pour améliorer les conditions de vie des plus faibles, pour corriger les inégalités sociales, pour satisfaire les besoins sociaux fondamentaux, pour aménager de manière cohérente notre territoire.
C'est aujourd'hui cela que vous sacrifiez pour satisfaire, non pas l'intérêt général, mais des intérêts financiers !
Nous tenons, par cet amendement, à réaffirmer que les fonctionnaires qui travailleront encore demain à France Télécom seront toujours des fonctionnaires d'Etat tant qu'ils n'auront pas fait d'autre choix.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Gérard Larcher, rapporteur. Nous avons déjà beaucoup débattu sur ce sujet. Le législateur doit faire en sorte de garantir le statut des fonctionnaires de France Télécom. Mais notre commission ne croit pas que la voie la plus efficace pour cela soit de revenir treize ans en arrière et d'assimiler les fonctionnaires travaillant à France Télécom aux fonctionnaires de l'Etat.
Le projet de loi, dans son titre II, assure et pérennise la situation des personnels fonctionnaires. Voilà pourquoi nous ne pouvons pas suivre les auteurs de cet amendement. La commission a bien compris leur logique, mais elle ne la partage pas.
Les amendements de suppression que les mêmes auteurs ont déposés sur le contenu du titre II découlent en quelque sorte de ce premier amendement. Je précise donc dès maintenant que notre position consistera, dans la suite du débat, à demander également le rejet de ces amendements.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Francis Mer, ministre. Le Gouvernement est, lui aussi, défavorable à cet amendement.
A travers cette modification de la dénomination des fonctionnaires de France Télécom, certains essayent d'accréditer l'idée selon laquelle nous voudrions modifier le statut de ces fonctionnaires. C'est exactement le contraire de ce que nous voulons faire et tout le titre II a pour objet de montrer à ces fonctionnaires qu'ils continuent à avoir le même statut.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau, pour explication de vote.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Après avoir entendu M. le rapporteur et M. le ministre, je tiens à dire que le statut annoncé par le titre II est tout sauf pérenne. Il ouvre la porte à la remise en cause des dernières composantes essentielles du statut de la fonction publique, et je pense notamment aux retraites.
S'il semble apporter quelques maigres garanties et quelques droits nouveaux, notamment aux salariés de droit privé, c'est par rapport à une décennie de non-application ou d'application réticente du droit public et privé existant. Le tout récent jugement du tribunal d'instance de Paris enjoignant France Télécom d'organiser des élections de délégués du personnel pour les salariés du privé l'illustre.
L'attaque que vous orchestrez avec le titre II contre le statut des fonctionnaires en activité à France Télécom nous conforte aussi dans l'idée que la privatisation que vous préparez n'est pas constitutionnelle.
Le statut des salariés des entreprises publiques, France Télécom ou La Poste, c'est-à-dire le statut de fonctionnaire, est, vous le savez, intimement lié à la notion française de service public national, héritée notamment du programme du Conseil national de la Résistance et inscrite dans le préambule de la Constitution de 1946. (M. le ministre s'esclaffe.)
Vous n'avez eu de cesse, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, de répéter que c'était à ces fonctionnaires que nous devions la réussite de cet atout essentiel pour notre pays qu'est France Télécom. C'était en fait pour mieux casser les services publics !
Là encore, votre projet de loi est empreint d'anticonstitutionnalité. « Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité », peut-on lire dans le préambule de la Constitution de 1946.
Vous estimez que, en retirant à France Télécom les missions du service universel, vous pouvez en finir avec cette conception du service public que nous considérons comme fructueuse. Mais la présence de 106 000 fonctionnaires dans une entreprise « stratégique pour l'intérêt national » - ce sont vos propres termes, monsieur le rapporteur - ne maintient-elle pas à France Télécom ce caractère de service public national qui justifie sa nationalisation ?
Bien entendu, monsieur le ministre, nous ne nous faisons pas d'illusions sur vos intentions. Certes, nous n'avons pas tous les tenants et aboutissants de cette affaire, mais nous sentons bien que vous allez livrer France Télécom et l'ensemble des activités de télécommunications à l'emprise du capitalisme et des marchés contre l'intérêt général, comme nous n'avons de cesse de vous le répéter depuis le début de l'examen de ce projet de loi.
La portée du titre II, qui crée un précédent en matière de remise en cause à grande échelle du statut de la fonction publique, avant l'examen ici même du projet de loi de décentralisation, ne nous échappe pas non plus. Monsieur le ministre, les personnels administratifs, techniciens, ouvriers et de service, les ATOS, ou les fonctionnaires de la Caisse des dépôts et consignations et de CDC IXIS, que vous connaissez bien et pour lesquels vous avez annoncé dans la presse une disposition législative spéciale, font partie de vos prochaines cibles.
Aujourd'hui, vous touchez aux fondements de notre société, de notre Etat. C'est pourquoi votre projet de loi va se heurter à la Constitution.
Mais ce titre II et l'emballage du texte montrent combien vous craignez l'opposition, les luttes des 106 000 fonctionnaires de France Télécom, des 34 000 agents de statut privé pour la défense de leur statut, de leurs droits et du service public. Je vous le dis, monsieur le ministre, ces luttes pourraient bien converger avec celles des électriciens et des gaziers, alors que vous annoncez la privatisation d'EDF-GDF, avec celles d'autres salariés du secteur privé et du secteur public, avec celles des usagers, notamment les plus modestes, que votre politique de privatisation frappe de plein fouet.
C'est à développer cette convergence que nous allons nous appliquer. (Très bien ! sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 81.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain et citoyen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin
n° 20
:
Nombre de votants | 313 |
Nombre de suffrages exprimés | 223 |
Majorité absolue des suffrages | 112 |
Pour | 23 |
Contre | 200 |
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI
M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Louis Masson une proposition de loi tendant à exonérer les parents d'enfants handicapés de la taxe sur les cartes grises.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 30, distribuée et renvoyée à la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
TEXTES SOUMIS AU SÉNAT EN APPLICATION
DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION
M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
Projet d'accord entre la République de Colombie et l'Office européen de police.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-2402 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 1683/95 établissant un modèle type de visa ;
- Proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 1030/2002 établissant un modèle uniforme de titre de séjour pour les ressortissants de pays tiers.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-2403 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Conseil concernant des mesures de gestion pour l'exploitation durable des ressources halieutiques en Méditerranée et modifiant les règlements (CE) n° 2847/93 et (CE) n° 973/2001.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-2404 et distribué.