ARTICLE 706-82 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE

M. le président. L'amendement n° 409, présenté par Mme Borvo, M. Bret, Mmes Mathon, Beaudeau, Beaufils et Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud et Le Cam, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar, Mme Terrade et M. Vergès, est ainsi libellé :

« A la fin du premier alinéa du texte proposé par le I de cet article pour l'article 706-82 du code de procédure pénale, remplacer les mots : "de ces actes" par les mots : "des actes effectués pour les stricts besoins de l'enquête ou de l'instruction". »

La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. Le projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité ouvre très largement, on le sait, les possibilités d'infiltration.

Dans le cadre de ces opérations, l'officier de police judiciaire peut être amené à commettre un ou plusieurs actes illégaux sans être préalablement inquiété.

On doit tout d'abord noter que cette liste d'actes est particulièrement étendue, nous l'avons souligné hier dans la discussion générale, par rapport à l'état actuel du droit en matière de stupéfiants : en effet, si l'achat de stupéfiants fait partie des actes « autorisés » lors des infiltrations, il n'en est pas de même des « coups de vente » - formule utilisée par la police - de ces substances, selon la jurisprudence actuelle.

Par ailleurs, à la différence de la législation actuelle sur les stupéfiants, ces actes peuvent être commis sur l'ensemble du territoire national.

Cette appréhension très extensive de l'exonération des actes commis par l'agent infiltré justifie un strict encadrement.

Tel est le sens de notre amendement : nous préconisons que ces actes ne puissent donner lieu à irresponsabilité pénale que pour les « stricts besoins de l'enquête ou de l'instruction ».

Je rappelle que ces actes ne constituent nullement des procédés « nouveaux » d'enquête.

Mes chers collègues, nous vous demandons d'adopter cet amendement, qui répond d'ailleurs au souci de rigueur juridique évoqué par la commission des lois pour expliquer l'encadrement souhaité de l'irresponsabilité des personnes requises par un officier de police judiciaire.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. François Zocchetto, rapporteur. Nous considérons que cet amendement sera satisfait par l'amendement n° 12, que j'exposerai tout à l'heure.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Pierre Bédier, secrétaire d'Etat. Défavorable.

Les actes, limitativement énumérés, pouvant être accomplis par un agent lors d'une opération d'infiltration sont déjà strictement encadrés par les dispositions de l'article 706-81 du code de procédure pénale.

Par ailleurs, j'ose dire - j'espère que vous ne le prendrez pas mal, monsieur le sénateur ! - qu'ajouter ces mots me paraît un peu superfétatoire et risque d'alourdir le texte, même si j'approuve les intentions que vous avez exprimées.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 409.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 410, présenté par Mme Borvo, M. Bret, Mmes Mathon, Beaudeau, Beaufils et Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud et Le Cam, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar, Mme Terrade etM. Vergès, est ainsi libellé :

« Supprimer le quatrième alinéa du texte proposé par le I de cet article pour l'article 706-82 du code de procédure pénale. »

L'amendement n° 12, présenté par M. Zocchetto, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

« Rédiger comme suit le dernier alinéa du texte proposé par le paragraphe I de cet article pour l'article 706-82 du code de procédure pénale :

« L'exonération de responsabilité prévue au premier alinéa est également applicable, pour les actes commis à seule fin de procéder à l'opération d'infiltration, aux personnes requises par les officiers ou agents de police judiciaire pour permettre la réalisation de cette opération. »

La parole est à M. Robert Bret, pour présenter l'amendement n° 410.

M. Robert Bret. Dans le prolongement de l'amendement précédent, nous soutenons que le nouveau régime de l'infiltration ne constitue pas une clause d'irresponsabilité.

Le champ particulièrement vaste de l'exonération de responsabilité, du point de vue tant géographique que des actes « permis » à l'officier de police judiciaire, doit s'accompagner d'un strict encadrement. Au regard de la justice et du code pénal, cette mesure n'a rien de superfétatoire, monsieur le secrétaire d'Etat !

Il nous paraît particulièrement dommageable que des personnes requises par les officiers de police judiciaire puissent bénéficier du même régime : il ne peut être en effet question d'ériger la commission d'actes illégaux en norme, quand bien même elle servirait les besoins de l'enquête.

L'encadrement prévu par la commission des lois, qui réserve l'exonération de responsabilité de ces personnes aux actes « commis à seule fin de procéder à l'opération d'infiltration », constitue sans doute une amélioration, mais il nous paraît insuffisant.

C'est pourquoi nous vous proposons la suppression pure et simple de cet alinéa.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 12.

M. François Zocchetto, rapporteur. Le projet prévoit une exonération de responsabilité pénale pour les personnes qui facilitent la réalisation d'une opération d'infiltration. La rédaction proposée est cependant ambiguë, car cette disposition peut viser aussi bien les personnes requises par la police pour apporter une contribution technique que des membres du groupe criminel qui faciliteraient l'infiltration de l'officier de police judiciaire.

Selon nous, il convient donc de préciser clairement que l'exonération de responsabilité ne peut, en tout état de cause, valoir que pour les actes commis à seule fin de procéder à l'infiltration.

En conséquence, la commission est défavorable à l'amendement n° 410.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Pierre Bédier, secrétaire d'Etat. L'amendement n° 12, présenté par la commission, améliore grandement le texte.

Un débat sur ce sujet a déjà eu lieu à l'Assemblée nationale. La formule retenue par la commission des lois du Sénat est, me semble-t-il, la bonne, parce qu'elle permet de sécuriser la procédure tout en évitant les dérives.

L'amendement n° 410 ne peut, selon moi, tendre au même résultat. J'y suis donc défavorable. Permettez-moi de prendre un exemple concret : si, dans le cadre d'une opération d'infiltration, un agent demande à un banquier d'ouvrir un compte pour y déposer de l'argent « sale », peut-on considérer que le banquier doit être exonéré de responsabilité ? La réponse est manifestement positive ! Toutefois, dans le cadre de la procédure mise en place, il faut naturellement que le « délit » s'arrête là et, si le banquier adopte une autre attitude, il faudra qu'il puisse être poursuivi.

Le Gouvernement est donc favorable à l'amendement n° 12 et défavorable à l'amendement n° 410.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 410.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 12.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix, modifié, le texte proposé pour l'article 706-82 du code de procédure pénale.

(Ce texte est adopté.)

 
 
 

ARTICLE 706-83 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE

M. le président. Je mets aux voix le texte proposé pour l'article 706-83 du code de procédure pénale.

(Ce texte est adopté.)

 
 
 

ARTICLE 706-84 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE

M. le président. L'amendement n° 292, présenté par MM. Badinter, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Sueur et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, est ainsi libellé :

« Dans les avant-dernier et dernier alinéas du texte proposé par le I de cet article pour l'article 706-84 du code de procédure pénale, supprimer les mots : ", même indirectement,". »

La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Il s'agit là simplement d'une question de clarté. L'insertion des mots « même indirectement » n'apporte rien. Le lien de causalité entre l'acte et sa conséquence dans le cadre d'une infraction est toujours laissé à l'appréciation du juge du fait ! La précision proposée est inutile et ne fera que nourrir la controverse.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. François Zocchetto, rapporteur. La commission est favorable à l'amendement que vient d'exposer M. Badinter. La précision selon laquelle la révélation de l'identité d'un infiltré est pénalement sanctionnée lorsqu'elle a causé indirectement des violences ou la mort de cet agent ou de ses proches risque de rendre la mise en oeuvre du dispositif de l'infiltration particulièrement délicate. Il paraît donc préférable de supprimer cette précision.

M. Pierre Fauchon. Dans les deux derniers alinéas de l'article ?

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Pierre Bédier, secrétaire d'Etat. En entrant dans cet hémicycle, j'étais plutôt défavorable à la suppression de cette précision, mais je ne suis pas insensible aux arguments de M. Badinter et de M. le rapporteur. Je demeure toutefois un peu sceptique. En effet, surprotéger ceux qui vont prendre des risques importants me semble après tout normal. De ce point de vue, l'expression « même indirectement » ne me choque donc pas.

Toutefois, pour tenir compte des arguments qui ont été développés, je m'en remets à la sagesse du Sénat, même si je continue à penser que nous devons surprotéger les agents qui prennent ce genre de risques.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ou cela a causé, ou cela n'a pas causé !

M. le président. La parole est à Pierre Fauchon, pour explication de vote.

M. Pierre Fauchon. Il me paraît important de supprimer les mots « même indirectement » : sinon, on pourrait tirer argument du maintien de cette expression dans le présent texte pour dire que, dans d'autres textes, la causalité doit être directe. Comme le disait M. Badinter, les juristes savent que la causalité peut être directe ou indirecte ! Ne modifions pas ce schéma, parce que nous ne le ferions pas sans risque et sans dommages collatéraux.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 292.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix, modifié, le texte proposé pour l'article 706-84 du code de procédure pénale.

(Ce texte est adopté.)

 
 
 

ARTICLE 706-85 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE

M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 13, présenté par M. Zocchetto, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

« Rédiger comme suit le texte proposé par le paragraphe I de cet article pour l'article 706-85 du code de procédure pénale :

« Art. 706-85. - En cas de décision d'interruption de l'opération ou à l'issue du délai fixé par la décision autorisant l'opération et en l'absence de prolongation, le magistrat ayant délivré l'autorisation prévue à l'article 706-81 fixe un délai pendant lequel l'agent infiltré peut poursuivre les activités mentionnées à l'article 706-82 sans en être pénalement responsable, afin de lui permettre de cesser sa surveillance dans des conditions assurant sa sécurité. »

L'amendement n° 251, présenté par M. Mercier et les membres du groupe de l'Union centriste, est ainsi libellé :

« Rédiger comme suit le texte proposé par le I de cet article pour l'article 706-85 du code de procédure pénale :

« Art. 706-85. - En cas de décision d'interruption ou à l'issue du délai fixé par la décision autorisant l'opération et en l'absence de prolongation, l'agent infiltré peut poursuivre, sur autorisation du magistrat qui a délivré l'autorisation prévue à l'article 706-81, les activités mentionnées à l'article 706-82, sans en être pénalement responsable, le temps strictement nécessaire pour lui permettre de cesser sa surveillance dans des conditions assurant sa sécurité. Le magistrat est informé de l'achèvement de l'opération d'infiltration. »

La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 13.

M. François Zocchetto, rapporteur. Toujours dans le souci de protéger juridiquement l'agent infiltré, il paraît souhaitable que le magistrat ayant autorisé l'opération d'infiltration lui fixe un délai butoir, en tenant compte des particularités de l'affaire, pour cesser son opération.

En l'absence d'un tel délai, l'appréciation du « temps strictement nécessaire » mentionné dans le projet de loi pourrait donner lieu à des contentieux.

Par ailleurs, monsieur le président, je rectifie cet amendement, en ajoutant, après les mots : « le magistrat ayant délivré l'autorisation prévue à l'article 706-81 fixe », les mots : « , par une décision renouvelable, ».

M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 13 rectifié, présenté par M. Zocchetto, au nom de la commission des lois, et ainsi libellé :

« Rédiger comme suit le texte proposé par le paragraphe I de cet article pour l'article 706-85 du code de procédure pénale :

« Art. 706-85. - En cas de décision d'interruption de l'opération ou à l'issue du délai fixé par la décision autorisant l'opération et en l'absence de prolongation, le magistrat ayant délivré l'autorisation prévue à l'article 706-81 fixe, par une décision renouvelable, un délai pendant lequel l'agent infiltré peut poursuivre les activités mentionnées à l'article 706-82 sans en être pénalement responsable, afin de lui permettre de cesser sa surveillance dans des conditions assurant sa sécurité. »

La parole est à M. Pierre Fauchon, pour défendre l'amendement n° 251.

M. Pierre Fauchon. D'une manière générale, dans ces affaires d'infiltration extraordinairement nécessaires mais aussi extraordinairement délicates, on multiplie les prescriptions de telle sorte que l'infiltré devrait se déplacer un code de procédure à la main pour être sûr qu'il n'est pas en train de commettre une erreur. Je doute alors du résultat heureux de ses opérations ! Ne prendrait-il pas encore plus de risques ?

Quoi qu'il en soit, face à ce travers tout à fait français qui consiste à introduire toujours plus de réglementations, le groupe de l'Union centriste avait envisagé d'aménager les conditions dans lesquelles l'infiltré pouvait se retirer : il ne suffit pas de s'infiltrer, encore faut-il pouvoir s'exfiltrer en toute sécurité !

Toutefois, la commission, dans sa grande sagesse, a prévu un dispositif similaire. Il est même certainement meilleur, puisqu'il émane de la commission des lois... et donc notamment d'un membre du groupe de l'Union centriste.

Dans ces conditions, je retire mon amendement.

M. le président. L'amendement n° 251 est retiré.

Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 13 rectifié ?

M. Pierre Bédier, secrétaire d'Etat. Je remercie M. Fauchon d'avoir retiré un amendement qui était assez similaire à celui que la commission a déposé.

Je n'étais pas favorable à l'amendement initial de la commission, mais la modification introduite par M. le rapporteur me convient tout à fait, dans la mesure où elle évite toute rigidité excessive. A partir du moment où cet amendement rectifié redonne de la souplesse au dispositif de l'infiltration - qui, comme le disait M. Fauchon, est extraordinairement délicat et complexe - nous ne pouvons qu'être satisfaits.

Je suis donc favorable à cet amendement rectifié.

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.

M. Robert Badinter. La précision apportée par la commission des lois est tout à fait souhaitable. Il faut en effet que le délai soit fixé par une décision renouvelable. Il s'agit là d'un domaine très difficile et les circonstances peuvent commander un renouvellement.

Par conséquent, nous voterons cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 13 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, le texte proposé pour l'article 706-85 du code de procédure pénale est ainsi rédigé.

(Ce texte est adopté.)

 
 
 

ARTICLE 706-86 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE

M. le président. Je mets aux voix le texte proposé pour l'article 706-86 du code de procédure pénale.

(Ce texte est adopté.)

 
 
 

ARTICLE 706-87 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE

M. le président. Le texte proposé pour l'article 706-87 du code de procédure pénale a été supprimé par l'Assemblée nationale. Mais je suis saisi de deux amendements tendant à le rétablir et qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 14, présenté par M. Zocchetto, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

« Rétablir dans la rédaction suivante le texte proposé par le paragraphe I de cet article pour l'article 706-87 du code de procédure pénale :

« Art. 706-87. - Aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement des déclarations faites par les officiers ou agents de police judiciaire ayant procédé à une opération d'infiltration.

« Les dispositions du présent article ne sont cependant pas applicables lorsque les officiers ou agents de police judiciaire déposent sous leur véritable identité. »

L'amendement n° 293, présenté par MM. Badinter, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Sueur et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, est ainsi libellé :

« Rétablir le texte proposé par le I de cet article pour l'article 706-87 du code de procédure pénale dans la rédaction suivante :

« Art. 706-87. - Aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement des déclarations faites par les officiers ou agents de police judiciaire ayant procédé à une opération d'infiltration. »

La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 14.

M. François Zocchetto, rapporteur. L'Assemblée nationale a supprimé la disposition interdisant de condamner une personne sur le seul fondement des déclarations d'officiers de police judiciaire ayant procédé à une infiltration. Elle a estimé que cette règle n'avait pas à s'appliquer à des officiers de police judiciaire, dès lors qu'ils étaient assermentés.

Toutefois, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme interdit de fonder une condamnation essentiellement sur des déclarations anonymes, même lorsqu'il s'agit de déclarations de policiers. Cela résulte clairement de l'arrêt Van Mechelen.

La commission des lois propose donc de rétablir le texte initial du projet de loi tout en précisant que l'interdiction ne vaut que pour les déclarations faites anonymement. Si l'officier de police infiltré choisit de dévoiler son identité, ses déclarations pourront naturellement constituer, éventuellement, le seul fondement de la condamnation.

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. C'est logique !

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour présenter l'amendement n° 293.

M. Robert Badinter. Notre amendement est identique au premier alinéa du texte proposé par l'amendement n° 14 de la commission pour l'article 706-87 du code de procédure pénale. En conséquence, nous retirons notre amendement.

S'agissant du second alinéa de l'amendement n° 14, selon lequel les dispositions du présent article ne sont pas applicables lorsque les officiers ou agents de police judiciaire déposent sous leur véritable identité, je pourrais presque dire que cela va de soi au regard de la jurisprudence. Il appartient au magistrat d'apprécier si la déposition et le rapport présenté suffisent. Cette disposition me gêne un peu dans la mesure où elle rappelle un principe général.

J'observerai, pour conclure, que nous avons ici une illustration supplémentaire des transformations constantes de notre procédure pénale à la faveur de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, sans laquelle cet amendement de la commission des lois n'aurait pas vu le jour.

M. le président. L'amendement n° 293 est retiré.

Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 14 ?

M. Pierre Bédier, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement émet un avis totalement favorable sur l'amendement n° 14. J'en profite pour souligner encore une fois la qualité du travail accompli par la commission qui nous permet de parvenir à un parfait équilibre entre les intentions du législateur et la nécessité de défendre les libertés individuelles.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 14.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, le texte proposé pour l'article 706-87 du code de procédure pénale est rétabli dans cette rédaction.

(Ce texte est adopté.)

 
 
 

ARTICLE 706-88 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE

M. le président. Je suis saisi de sept amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.

Les deux premiers sont identiques.

L'amendement n° 294 est présenté par MM. Badinter, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Sueur et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée.

L'amendement n° 411 est présenté par Mme Borvo, M. Bret, Mmes Mathon, Beaudeau, Beaufils et Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud et Le Cam, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar, Mme Terrade etM. Vergès.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

« Supprimer le texte proposé par le I de cet article pour l'article 706-88 du code de procédure pénale. »

L'amendement n° 15, présenté par M. Zocchetto, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

« Rédiger comme suit le texte proposé par le paragraphe I de cet article pour l'article 706-88 du code de procédure pénale :

« Art. 706-88. _ Pour l'application des articles 63, 77 et 154, si les nécessités de l'enquête ou de l'instruction relatives à l'une des infractions entrant dans le champ d'application de l'article 706-73 l'exigent, la garde à vue d'une personne peut, à titre exceptionnel, faire l'objet de deux prolongations supplémentaires de vingt-quatre heures chacune.

« Ces prolongations sont autorisées, par décision écrite et motivée, soit, à la requête du procureur de la République, par le juge des libertés et de la détention, soit par le juge d'instruction.

« La personne gardée à vue doit être présentée au magistrat qui statue sur la prolongation préalablement à cette décision. La seconde prolongation peut toutefois, à titre exceptionnel, être autorisée sans présentation préalable de la personne en raison des nécessités des investigations en cours ou à effectuer.

« Lorsque la première prolongation est décidée, la personne gardée à vue est examinée par un médecin désigné par le procureur de la République, le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire. Le médecin délivre un certificat médical par lequel il doit notamment se prononcer sur l'aptitude au maintien en garde à vue, qui est versé au dossier. La personne est avisée par l'officier de police judiciaire du droit de demander un nouvel examen médical. Ces examens médicaux sont de droit. Mention de cet avis est portée au procès-verbal et émargée par la personne intéressée ; en cas de refus d'émargement, il en est fait mention.

« Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, si la durée prévisible des investigations restant à réaliser à l'issue des premières quarante-huit heures de garde à vue le justifie, le juge des libertés et de la détention ou le juge d'instruction peuvent décider, selon les modalités prévues au deuxième alinéa, que la garde à vue fera l'objet d'une seule prolongation supplémentaire de quarante-huit heures.

« La personne dont la garde à vue est prolongée en application des dispositions du présent article peut demander à s'entretenir avec un avocat, selon les modalités prévues par l'article 63-4, à l'issue de la quarante-huitième heure puis de la soixante-douzième heure de la mesure ; elle est avisée de ce droit lorsque la ou les prolongations lui sont notifiées et mention en est portée au procès-verbal et émargée par la personne intéressée ; en cas de refus d'émargement, il en est fait mention. Toutefois, lorsque l'enquête porte sur une infraction entrant dans le champ d'application des 3° et 9° de l'article 706-73, l'entretien avec un avocat ne peut intervenir qu'à l'issue de la soixante-douzième heure. »

Le sous-amendement n° 469, présenté par MM. Badinter, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Sueur et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, est ainsi libellé :

« Dans le cinquième alinéa du texte proposé par l'amendement n° 15 pour l'article 706-88 du code de procédure pénale, après les mots : "le juge des libertés et de la détention ou le juge d'instruction peuvent décider," insérer les mots : "à la suite d'un débat contradictoire, en présence de l'avocat,". »

L'amendement n° 295, présenté par MM. Badinter, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Sueur et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, est ainsi libellé :

« Supprimer la seconde phrase du troisième alinéa du texte proposé par le I de cet article pour l'article 706-88 du code de procédure pénale. »

L'amendement n° 296, présenté par MM. Badinter, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Sueur et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, est ainsi libellé :

« Compléter in fine le troisième alinéa du texte proposé par le I de cet article pour l'article 706-88 du code de procédure pénale par une phrase ainsi rédigée : "Elle fait l'objet d'une décision écrite et spécialement motivée". »

L'amendement n° 283, présenté par MM. Badinter, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Sueur et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, est ainsi libellé :

« I. - Au début de l'avant-dernier alinéa du texte proposé par le I de cet article pour l'article 706-88 du code de procédure pénale, insérer une phrase ainsi rédigée :

« Dès le début de la garde à vue ainsi qu'à l'issue de la vingtième heure, la personne peut demander à s'entretenir avec un avocat selon les modalités prévues à l'article 63-4 du code de procédure pénale. »

« II. - Dans l'avant-dernier alinéa du même texte, après les mots : "par l'article 63-4", remplacer les mots : "à l'issue de la quarante-huitième heure puis de la soixante-douzième heure de la mesure" par les mots : "à l'issue de la douzième heure de la mesure et de la trente-sixième heure". »

L'amendement n° 297, présenté par MM. Badinter, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Sueur et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, est ainsi libellé :

« Dans l'avant-dernier alinéa du texte proposé par le I de cet article pour l'article 706-88 du code de procédure pénale, après les mots : "par l'article 63-4, à l'issue", insérer les mots : "de la trente-sixième heure,". »

La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour présenter l'amendement n° 294.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il s'agit de nouveau de la garde à vue, sujet que nous évoquons depuis longtemps dans cet hémicycle.

Le projet de loi vise à étendre de manière très importante la garde à vue, puisqu'elle peut se prolonger jusqu'à quatre-vingt-seize heures.

La garde à vue correspondait, à l'origine, au temps nécessaire pour que la personne arrêtée se rende au bureau du juge devant lequel il était normal de la déférer le plus rapidement possible. Mais, à l'époque, les routes n'étaient pas ce qu'elles sont devenues, il n'y avait pas de TGV, pas d'avion. Le délai maximal de vingt-quatre heures était celui de l'habeas corpus.

L'introduction de l'avocat dans le cabinet du juge d'instruction a contrarié ceux qui ont la religion de l'aveu et qui pensent que la garde à vue est devenue un moyen d'obtenir des aveux indépendamment de la présence de cet importun qu'est l'avocat, et dans des conditions telles que, comme de nombreuses jurisprudences, hélas !, le démontrent, il y a, bien souvent, rétractation des aveux et la preuve est faite ensuite qu'ils ne reflétaient pas la vérité.

J'évoquais hier, lors de la discussion générale, l'affaire Roman dont chacun se souvient. A l'époque, fort heureusement, les gendarmes et les policiers n'agissaient pas de concert, comme aujourd'hui avec M. Sarkozy, et la concurrence permettait aux uns de révéler la vérité sur ce qui s'était passé chez les autres.

Il faut dire que les conditions matérielles dans lesquelles la garde à vue est effectuée sont indignes d'une démocratie moderne. Vous avez le droit, mes chers collègues, d'aller visiter les locaux de garde à vue.

Il s'agit de locaux sans lumière, avec une simple planche en guise de lit, dans lesquels sont maintenues, pour leur temps éventuel de repos, les personnes qui sont placées en garde à vue.

Qui qu'elles soient et quel que soit le motif de la garde à vue, quitte à être finalement le plus souvent blanchies - et de nombreux élus sont passés par là, comme M. Alain Vasselle nous l'a rappelé -, on leur enlève leurs lacets, leur ceinture. On leur donne s'ils ont de l'argent un sandwich, et encore, pas dans tous les cas.

Vingt-quatre heures de ce régime, c'est déjà long ! Mais le prolonger pendant quarante-huit heures, soixante-douze heures, quatre-vingt-seize heures, est inacceptable. Peut-être un jour sera-t-il admis que les personnes placées en garde à vue soient nourries et traitées avec égards.

Certes, dans les cas qui peuvent se produire où la personne risque de se suicider avec sa ceinture, il vaut peut-être mieux la lui ôter. Mais il n'y a pas de raison de brimer une personne respectable qui n'a rien à se reprocher.

Or, tant que les conditions de la garde à vue seront ce qu'elles sont, il n'est pas tolérable qu'elle dure plus de vingt-quatre heures. Tel est le sens de notre amendement. Nous refusons une garde à vue de quatre-vingt-seize heures.

Je vous rappelle que les personnes placées en garde à vue peuvent parfaitement être innocentes, ce qui arrive évidemment.

M. Pierre Fauchon. Il arrive aussi qu'elles soient coupables !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Certes, il arrive aussi qu'elles soient coupables, mais qu'elles soient innocentes ou coupables, nous estimons que plus une affaire est grave, plus le procès doit être équitable et plus l'intéressé doit bénéficier de garanties.

La garde à vue prolongée existait déjà, hélas !, en matière de trafic de stupéfiants. Elle a été ensuite étendue aux affaires de terrorisme. Et aujourd'hui on veut l'instaurer pour de très nombreux autres cas. Il suffira qu'il y ait bande organisée, c'est-à-dire au moins deux personnes. Cette disposition nous paraît absolument contraire à un droit moderne et indigne de la France.

Je sais que c'est le ministre de l'intérieur qui a la responsabilité des locaux de garde à vue et non le garde des sceaux. Mais il me semble que lorsque l'on est chargé de construire les prisons, on pourrait tout de même s'intéresser aussi aux annexes de prison que sont les locaux de garde à vue. Après tout, il y a suffisamment de relations et même souvent d'entente entre le ministère de l'intérieur et celui de la justice pour que cela soit possible. Ce que je dis est vrai pour tous les gouvernements précédents, sans exception.

Il serait souhaitable que l'on n'étende pas la durée de la garde à vue tant que l'on ne disposera pas de conditions et de locaux de garde à vue décents.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo, pour présenter l'amendement n° 411.

Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, je ne répéterai pas les excellents propos tenus par mon collègue Michel Dreyfus-Schmidt. J'ajoute simplement que de nombreux problèmes sont posés par l'extension à quatre-vingt-seize heures de la garde à vue pour un grand nombre d'infractions dont, je l'ai dit, la qualification est sujette à interprétation.

En réalité, la mesure excessive qui est proposée s'apparente à une « prédétention provisoire », autant le dire ! De plus, ce nouveau régime dérogatoire vient s'ajouter à ceux qui existent déjà et tend à faire des régimes d'exception la règle. J'avais espéré que la durée de la garde à vue ne serait plus remise en question puisque nous semblions tous d'accord il n'y a pas si longtemps pour la limiter le plus possible d'une façon générale. Les conditions de la garde à vue sont de surcroît humiliantes, ce qui ne devrait pas être le cas dans notre système judiciaire, selon moi.

La commission a par ailleurs refusé nos propositions d'humanisation des conditions de garde à vue en répondant qu'elles relevaient non pas de la loi mais du décret.

Je pense qu'il revient à la loi de dire que les conditions de garde à vue doivent être dignes de la personne humaine.

Nous sommes donc franchement opposés à une garde à vue de quatre-vingt-seize heures.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 15.

M. François Zocchetto, rapporteur. Sur le thème de la garde à vue, la commission des lois du Sénat se montre particulièrement vigilante. Lors de l'examen de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, elle avait déjà tenu à rappeler les grands principes, notamment le fait que, dans l'écrasante majorité des cas, la présence de l'avocat doit être prévue dès la première heure de la garde à vue.

Ce principe n'est pas remis en cause par le texte. D'ailleurs, il n'y a quasiment aucune remise en cause.

Nous aurons l'occasion de parler des conditions de garde à vue ultérieurement, lorsque nous débattrons de l'article 5. La commission fera des propositions allant dans le sens de la préservation des moyens de la défense.

S'agissant de l'article qui nous intéresse maintenant, nous avons le souci de faire en sorte que la procédure soit sécurisée au maximum et qu'il y ait le moins de risques de nullité possible. Il est vrai que le projet de loi, à l'origine, avait pour effet de complexifier gravement les régimes de garde à vue, avec une difficulté pour les différents intervenants, c'est-à-dire les officiers de police judiciaire, les magistrats, les avocats, voire le gardé à vue, de se retrouver dans ce maquis.

L'Assemblée nationale a simplifié ces règles, mais elle l'a fait notamment en reculant la visite de l'avocat à la soixante-douzième heure pour un grand nombre d'infractions. Nous reviendrons sur ce point lorsque nous aborderons l'article 5.

L'amendement n° 15 a pour objet de simplifier le dispositif qui nous vient de l'Assemblée nationale dans un souci d'équilibre. Il prévoit d'abord la possibilité de prolonger la garde à vue jusqu'à quatre-vingt-seize heures par deux prolongations supplémentaires de vingt-quatre heures chacune, la personne étant obligatoirement présentée au juge des libertés et de la détention ou au juge d'instruction lors de la première prolongation. Nous tenons à cette précision.

L'amendement prévoit ensuite un examen du gardé à vue par un médecin lors de la première prolongation de la garde à vue ainsi que le droit pour la personne de demander d'autres examens médicaux du même type. Il s'agit de faire en sorte que le médecin puisse confirmer la compatibilité de l'état de santé de la personne avec sa situation de garde à vue.

L'amendement vise également à prolonger directement la garde à vue de quarante-huit heures supplémentaires lorsque la durée prévisible des investigations restant à réaliser à l'issue des premières quarante-huit heures le justifie.

Enfin, l'amendement confirme le droit de s'entretenir avec un avocat à l'issue de la quarante-huitième heure, puis de la soixante-douzième heure de garde à vue. Je rappelle qu'en matière de terrorisme et de trafic de stupéfiants l'avocat ne pourrait venir qu'à la soixante-douzième heure, mais cette disposition ne change rien par rapport à la situation actuelle.

Les propos tenus par les deux précédents intervenants m'ont amené à distinguer deux problèmes. Il s'agit d'abord d'un problème de fond qui est de savoir si l'on veut le système de la garde à vue en France ou si l'on n'en veut pas. Le Gouvernement souhaite pour sa part le maintien en France du système de garde à vue qui a été mis en place par la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.

L'autre question consiste à savoir dans quelles circonstances et quelles conditions sont gardées à vue les personnes qui sont suspectées d'avoir commis des faits.

Le ministre de l'intérieur a rappelé récemment que les conditions dans lesquelles les personnes étaient gardées à vue étaient très variables. Cet hémicycle compte de nombreux praticiens du droit qui, étant eux-mêmes entrés dans des locaux de garde de vue, ont pu constater que, selon les commissariats et les gendarmeries, selon l'heure du jour ou de la nuit, les circonstances peuvent varier.

Je pense que nous pouvons saluer l'initiative toute récente du ministre de l'intérieur qui a rappelé les droits fondamentaux du gardé à vue et qui envisage, s'il ne l'a pas déjà fait, de donner des moyens matériels aux services de police et de gendarmerie pour permettre de garder à vue les personnes dans des conditions décentes, en préservant les droits de la défense et les libertés individuelles.

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour présenter le sous-amendement n° 469.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je vous indique, monsieur le président, que nous souhaitons transformer les amendements n°s 295, 296, 283 et 297 en sous-amendements à l'amendement n° 15 de la commission des lois.

M. le président. Le sous-amendement n° 295 rectifié, présenté par MM. Badinter, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Sueur et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, est ainsi libellé :

« Supprimer la seconde phrase du troisième alinéa du texte proposé par l'amendement n° 15 pour l'article 706-88 du code de procédure pénale. »

Le sous-amendement n° 296 rectifié, présenté par MM. Badinter, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Sueur et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, est ainsi libellé :

« Compléter in fine le troisième alinéa du texte proposé par l'amendement n° 15 pour l'article 706-88 du code de procédure pénale par une phrase ainsi rédigée : "Elle fait l'objet d'une décision écrite et spécialement motivée". »

Le sous-amendement n° 283 rectifié, présenté par MM. Badinter, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Sueur et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, est ainsi libellé :

« I. - Au début du dernier alinéa du texte proposé par l'amendement n° 15 pour l'article 706-88 du code de procédure pénale, insérer une phrase ainsi rédigée : "Dès le début de la garde à vue ainsi qu'à l'issue de la vingtième heure, la personne peut demander à s'entretenir avec un avocat selon les modalités prévues à l'article 63-4 du code de procédure pénale."

« II. - Dans le dernier alinéa du même texte, après les mots : " par l'article 63-4", remplacer les mots : "à l'issue de la quarante-huitième heure puis de la soixante-douzième heure de la mesure" par les mots : "à l'issue de la douzième heure de la mesure et de la trente-sixième heure". »

Le sous-amendement n° 297 rectifié, présenté par MM. Badinter, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Sueur et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, est ainsi libellé :

« Dans le dernier alinéa du texte proposé par l'amendement n° 15 pour l'article 706-88 du code de procédure pénale, après les mots : "par l'article 63-4, à l'issue", insérer les mots : "de la trente-sixième heure,". »

Veuillez poursuivre, monsieur Dreyfus-Schmidt.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le cinquième alinéa de l'amendement n° 15 précise : « Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, si la durée prévisible des investigations restant à réaliser à l'issue des premières quarante-huit heures de garde à vue le justifie, le juge des libertés et de la détention ou le juge d'instruction peuvent décider, selon les modalités prévues au deuxième alinéa, que la garde à vue fera l'objet d'une seule prolongation supplémentaire de quarante-huit heures. »

Autrement dit, il s'agit non pas d'ajouter d'abord vingt-quatre heures puis encore vingt-quatre heures, mais de passer tout de suite à quarante-huit heures.

Le sous-amendement n° 469 vise à instaurer un débat contradictoire devant le juge des libertés et de la détention ou devant le juge d'instruction en présence de l'avocat de l'intéressé de manière que l'avocat puisse faire valoir les raisons pour lesquelles il n'y a pas lieu de prolonger d'un seul coup de quarante-huit heures une garde à vue qui a déjà duré quarante-huit heures !

J'en viens au sous-amendement n° 295 rectifié. Nul ne conteste la disposition de l'amendement n° 15 selon laquelle la personne gardée à vue doit être présentée au magistrat qui statue sur la prolongation préalablement à cette décision. Il s'agit là d'une bonne idée, car il est tout de même intéressant de savoir dans quel état se trouve l'intéressé après avoir subi des interrogatoires parfois très prolongés, dans les conditions matérielles que j'ai décrites et en l'absence totale ou partielle de l'avocat.

Cependant, la seconde phrase du troisième alinéa du texte proposé par l'amendement n° 15 dispose que la seconde prolongation peut toutefois, à titre exceptionnel, être autorisée sans présentation préalable de la personne en raison des nécessités des investigations en cours ou à effectuer.

Or nous estimons que, dans tous les cas, avant qu'une prolongation ne soit ordonnée, l'intéressé doit être présenté au procureur de la République ou au juge d'instruction - à moins que le procureur, ou le juge d'instruction, ne se déplace pour des raisons pratiques.

Ce débat a déjà eu lieu devant le Sénat. Nous avions alors été nombreux à être d'accord, y compris sur les bancs de la majorité sénatoriale. Le garde des sceaux de l'époque, Mme Guigou, nous avait donné la preuve que, dans l'esprit du gouvernement, ce qui était qualifié de « à titre exceptionnel » serait en vérité la règle générale. Elle nous a même expliqué que cela coûterait beaucoup trop cher de déplacer à chaque fois le magistrat vers l'intéressé ou d'amener ce dernier au magistrat, et nous a opposé, à nous !, l'article 40 de la Constitution.

M. Jean-Jacques Hyest. Quelle horreur ! (Sourires.)

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous avions trouvé cela scandaleux à l'époque et nous l'avons dit. Nous avions du mérite, car c'était le gouvernement que nous soutenions qui avait opposé l'article 40. Mais vous, pour la plupart, étiez d'accord avec nous. Aujourd'hui, nous vous demandons d'être fidèles à vos positions d'hier : lorsqu'une garde à vue qui a déjà duré quarante-huit heures est prolongée, soit pour vingt-quatre heures, soit pour quarante-huit heures, la moindre des choses est qu'il n'y ait pas une exception dont on pense en vérité qu'elle doit être la règle. Il faut supprimer une telle exception. Tel est l'objet de notre sous-amendement.

Le sous-amendement n° 296 rectifié est un sous-amendement de repli. S'il y a - hélas ! - une prolongation sans présentation, faute d'avoir retenu notre sous-amendement précédent, nous demandons que le magistrat se donne la peine de décrire et de motiver de manière spécifique, compte tenu de l'affaire, la prolongation.

Il est trop facile de donner son accord par téléphone ou que le procureur le donne par avance sans même que les officiers de police judiciaire prennent la peine de le demander, ce qui pourrait - on peut l'imaginer - se produire dans des cas très rares, évidemment.

Encore une fois, c'est donc à titre subsidiaire que nous présentons ce sous-amendement.

Avec le sous-amendement n° 283 rectifié - il s'agit d'une gradation - nous demandons le rétablissement de ce qui est aujourd'hui la règle.

Aujourd'hui, l'avocat est présent à la première heure de la garde à vue, d'une part, à la vingtième heure, d'autre part, c'est-à-dire avant qu'il soit question de prolongation. Cela peut être intéressant, car l'avocat a alors la possibilité de faire valoir au magistrat qu'il n'y a pas de prolongation possible. Il peut même arriver que, pour éviter l'entretien avec l'avocat à la vingtième heure, la garde à vue prenne fin avant la vingtième heure.

Dans l'état actuel des choses, s'il y a prolongation à la trente-sixième heure, c'est-à-dire au bout de douze heures, il y a de nouveau un entretien possible avec l'avocat.

Or, très curieusement, même en droit commun - mais ce n'est pas le cas ici -, seraient supprimées la vingtième heure, la trente-sixième heure. En revanche, serait mise en place la vingt-quatrième heure, ce qui paraît tout de même assez extraordinaire ! On ne comprend pas pourquoi la vingt-quatrième heure.

Le sous-amendement n° 283 rectifié tend donc à en revenir à la situation actuelle, et à ce que la présence de l'avocat soit possible à l'issue de la douzième heure et de la trente-sixième heure.

Enfin, par notre sous-amendement n° 297 rectifié, qui est aussi de repli, nous demandons que l'avocat soit présent au moins à la trente-sixième heure.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. François Zocchetto, rapporteur. Pour éclairer complètement nos collègues, je tiens à rappeler dans quel cadre se situent lesdites prolongations.

Il s'agit bien de la criminalité organisée. Je citerai quelques-unes des incriminations : le crime de meurtre commis en bande organisée, le crime de tortures et d'actes de barbarie commis en bande organisée, les crimes et délits de trafic de stupéfiants, les crimes et délits d'enlèvement et de séquestration, les crimes et délits aggravés de traite des êtres humains, les crimes et délits aggravés de proxénétisme. La liste figure à l'article 706-73 du code de procédure pénale. Il ne s'agit donc pas d'infractions supposées classiques...

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et délits connexes !

M. François Zocchetto, rapporteur. ... ou ordinaires.

Dans le cadre que je viens de rappeler, des prolongations seront possibles, dont nous avons souhaité qu'elles soient strictement encadrées ; je l'ai dit tout à l'heure, mais je le répète.

Le première prolongation se fera sur autorisation par décision écrite et motivée par le juge des libertés et de la détention ou le juge d'instruction. Vous avez suffisamment invoqué le juge du siège hier soir et même ce matin pour que je fasse confiance à ce dernier : il est capable de se prononcer, par une décision écrite et motivée, sur une prolongation ou des conditions de la garde à vue.

Pour la deuxième prolongation, ce n'est qu'à titre exceptionnel qu'il n'y aurait pas de présentation préalable de la personne.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Allons !

M. François Zocchetto, rapporteur. Il s'agit de circonstances rares.

Nous sommes parvenus à une rédaction équilibrée que j'ai exposée à la commission des lois sur la question de la prolongation de la garde à vue en matière de criminalité organisée. C'est la raison pour laquelle nous sommes défavorables aux différents amendements et sous-amendements, à l'exception de l'amendement n° 15, que la commission vous demande d'adopter.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Pierre Bédier, secrétaire d'Etat. A l'exception de l'amendement n° 15 présenté par la commission, le Gouvernement est défavorable à tous les autres amendements et sous-amendements.

Je veux insister sur deux points.

Premièrement, l'allongement de la garde à vue est l'un des piliers du projet de loi que nous examinons. Le remettre en cause revient par conséquent à remettre en cause l'ensemble du texte.

Deuxièmement, comme l'a excellemment rappelé M. le rapporteur, le système est extrêmement encadré. De surcroît, cette mesure vise des actes particulièrement graves. Enfin, les longues gardes à vue étant déjà prévues par le droit, il n'y a donc là rien d'extraordinaire.

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote sur les amendements identiques n°s 294 et 411.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'ai l'impression qu'on ne s'entend pas. On n'a pas répondu aux arguments que nous avons développés. Jusqu'à présent, personne n'avait éprouvé le besoin de demander une garde à vue de quatre-vingt-seize heures dans tous les cas qui ont été énumérés.

Vous parlez des faits, vous ne parlez pas forcément des coupables. Surtout, vous parlez d'hommes qui risquent des peines très importantes parce que les faits sont graves et qui méritent d'autant plus de bénéficier d'un procès équitable et de garanties. A l'évidence, pouvoir bénéficier de garanties en matière de justice est plus important lorsqu'on est accusé de faits graves que lorsqu'on est accusé de faits moins graves.

Pour le reste, j'ai parlé des conditions matérielles dans lesquelles se déroule actuellement la garde à vue : pas un mot de réponse ! Or vous savez que ce que j'ai dit est vrai. Il faudrait tout de même en tenir compte avant d'étendre à de très nombreuses affaires une garde à vue de quatre-vingt seize heures.

Enfin, ne me dites pas, monsieur le rapporteur, que c'est à titre exceptionnel que les intéressés ne seraient pas présentés à un magistrat. J'ai démontré tout à l'heure que, dans l'esprit de l'exécutif, quel qu'il soit - en tout cas dans un passé récent -, on veut que l'exception soit la règle pour éviter des transferts, et pour ne pas perdre du temps sur la garde à vue.

On ne peut pas l'accepter et la solution la plus radicale, celle à laquelle nous nous rallions, c'est de supprimer purement et simplement cette extension considérable d'un moyen de pression qui n'a qu'un objet, celui d'obtenir un aveu par tous les moyens, ce qui n'est évidemment pas digne d'une justice moderne.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo. Nous avions eu ce débat au moment de l'examen de la loi renforçant la présomption d'innocence en 2000 mais, évidemment, en sens inverse. Je trouve regrettable qu'aujourd'hui ce débat soit rouvert dans de telles conditions.

Il nous est répondu que la prolongation de la garde à vue est consubstantielle de ce texte. En définitive, ce texte n'a pour objet qu'une prolongation très extensive des gardes à vue à la demande de la police, qui n'a jamais admis la loi renforçant la présomption d'innocence. Les choses sont claires. Tel est bien l'un des objets de ce texte, et c'est précisément cela qui est inadmissible !

Sous l'angle de la protection des libertés, cette logique de prolongation de la garde à vue n'est pas bonne. En outre, depuis 2000, les conditions de la garde à vue ne se sont en rien améliorées. Il s'agit donc d'une véritable régression. On n'a jamais démontré que la prolongation de garde à vue permettait une meilleure justice. Aujourd'hui, il est de bon ton de dire, avec la police, qu'il faut pouvoir placer les gens en garde à vue plus longtemps. C'est tout à fait regrettable !

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.

M. Robert Badinter. J'évoquais hier l'extraordinaire inflation législative, ou harcèlement législatif, ces mesures qui se succèdent de façon précipitée sur des sujets qui sont bien connus sans que l'on ait l'impression que l'on prenne véritablement en compte ce qui devrait dominer cette matière.

Permettez-moi de rappeler que l'article 5 de la Convention européenne des Droits de l'homme énonce simplement mais clairement : « Toute personne arrêtée (...) doit être aussitôt traduite devant un juge. » J'insiste : « aussitôt traduite devant un juge ». C'est le fondement de la sûreté individuelle depuis l'habeas corpus, qui marqua un moment décisif dans le progrès des libertés. Inévitablement - notre ami Michel Dreyfus-Schmidt a eu raison de le rappeler -, il y a un délai entre le moment ou l'on arrête une personne et le moment où on la présente au juge, mais le fondement est là.

La garde à vue n'a donc pas été inventée pour la commodité de l'interrogatoire policier. Nous assistons à une dérive constante au regard des principes ! Lorsque j'évoquais la nécessité de reconstruire, enfin, la procédure pénale au niveau de l'enquête et de l'instruction, je pensais en premier lieu à cela. On peut parfaitement élaborer une procédure pénale qui, croyez-moi, donnera à la police et au parquet tous les moyens d'action, sans pour autant construire un système dans lequel on fait tout ce que l'on veut dans un tête-à-tête prolongé avec une personne seule pendant des jours et des jours, placée dans des conditions détestables, il faut, hélas !, le reconnaître, en pensant qu'ainsi on aura réussi l'enquête. Ce n'est pas la voie que nous devons prendre.

Je déplore que, pour la cinquième fois en dix ans, on revienne sur le sujet pour durcir encore les conditions. Après le terrible attentat de 2001 et face à la menace du terrorisme, on pouvait admettre que dans ce domaine, et dans ce domaine-là seulement, soient prises des dispositions exceptionnelles. Mais toutes les autres infractions qui figurent dans le texte actuel sont des infractions de droit commun archiconnues depuis des décennies : l'association de malfaiteurs, la bande organisée - c'est moi-même qui ai introduit ce concept dans le code pénal -, etc.

Pourquoi, soudainement, a-t-on besoin aujourd'hui de prolonger la garde à vue jusqu'à quatre-vingt-seize heures ? Parce que la police n'a pas pu travailler jusque-là ? Ce n'est pas exact. Parce que c'est plus commode ?

Sur ce point, je citerai l'un de mes amis, l'un des plus grands juristes au monde, qui est juge à la Cour suprême des Etats-Unis. Quand le ministère chargé des poursuites ou de la police demande toujours plus de droits, il répond : « Vous nous demandez quelque chose qui déroge au principe fondamental de la liberté individuelle, alors expliquez-nous non pas pourquoi ce sera plus commode, mais pourquoi c'est indispensable ; sinon c'est contraire à la Constitution. »

Je répondrai de la même façon. Ce que j'attends, c'est non pas qu'on m'explique que ce sont des crimes graves, mais pourquoi l'état actuel de notre droit ne permet pas aujourd'hui à la justice de fonctionnner. Tant que vous direz que c'est plus commode et que vous n'apporterez pas la preuve que c'est indispensable, nous dirons toujours non.

Je remercierai tout à l'heure M. Zocchetto pour les progrès concernant les modalités, mais je tenais à expliquer pourquoi nous voterons l'amendement n° 294.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. François Zocchetto, rapporteur. J'avais l'intention d'aborder un peu plus tard les conditions matérielles de la garde à vue, mais, puisque M. Dreyfus-Schmidt et Mme Borvo m'ont interpellé sur ce sujet, je vais le faire dès maintenant.

Tout à l'heure, j'ai rappelé que les conditions de garde à vue étaient inégales et qu'elles variaient selon les locaux de gendarmerie ou de police. Mais je vais vous citer la circulaire du ministre de l'intérieur du 11 mars 2003, qui est extrêmement précise en la matière. Certaines phrases de cette circulaire répondront aux questions qui m'ont été posées et, par anticipation, aux amendements que présentera Mme Borvo à ce sujet.

Parmi les six pages d'instructions très précises que donne le ministre de l'intérieur aux policiers et aux gendarmes figurent les mesures suivantes :

« Les personnes gardées à vue doivent être alimentées avec des repas chauds, aux heures normales, et composés selon les principes religieux dont elles font état.

« Il conviendra de vérifier que les examens médicaux ordonnés par les magistrats ou demandés par les gardés à vue se déroulent effectivement dans les plus brefs délais et sans attente inutile.

« En attentant une redéfinition des locaux de garde à vue, les cellules doivent être maintenues dans un bon état de propreté par des nettoyages quotidiens (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame), disposer des éléments d'hygiène nécessaires et permettre le repos auquel les personnes gardées à vue peuvent prétendre.

« La possibilité pour le gardé à vue de faire prévenir sans délai par téléphone "une personne avec laquelle il vit habituellement" [...] devra être effectivement assurée.

« La confidentialité de l'entretien entre le gardé à vue et son avocat devra être rendue effective. »

Par ailleurs, le ministre de l'intérieur demande aux chefs de service de police ou d'unité de gendarmerie de désigner un officier qui aura la charge du suivi administratif de l'ensemble des personnes qui sont placées en garde à vue dans son service.

Il demande aussi aux chefs de service de contrôler au quotidien les conditions de déroulement des gardes à vue.

Je vous renvoie instamment à cette circulaire qui me paraît être de très bonne inspiration et qui semble répondre à une légitime préoccupation, que nous partageons tous ici. Chacun sait ce que peut être une garde à vue.

Pour revenir très brièvement sur les conditions dans lesquelles des prolongations peuvent avoir lieu, je m'étonne que l'on puisse admettre une exception, par exemple pour le terrorisme et le trafic de stupéfiants, et que l'on refuse de l'envisager pour les réseaux organisés ou la grande criminalité. Soit l'on n'admet aucune exception, soit l'on examine de près les exceptions qui peuvent être admises. Je conviens que celles-ci doivent être limitées. Tel est le cas dans le texte, me semble-t-il. En outre, nous avons essayé d'encadrer le dispositif sur plusieurs points.

Premièrement, dans l'écrasante majorité des cas, l'avocat continue d'être présent dès la première heure de garde à vue ; nous reviendrons sur ce point tout à l'heure. Je proposerai que, dans les autres cas, il soit présent plus rapidement que ne le souhaite l'Assemblée nationale.

Deuxièmement, nous souhaitons que la procédure soit « dès le début », et non « dans les meilleurs délais », placée sous la responsabilité du procureur de la République ; nous y reviendrons lors de l'examen des amendements.

Troisièmement, nous pensons que la personne doit pouvoir bénéficier d'un examen médical, à sa demande, ce qui représente une garantie supplémentaire en cas de prolongation de la garde à vue.

Enfin, quatrièmement - et ce n'est pas la moindre des choses -, nous nous sommes attachés à ce que les prolongations ne puissent avoir lieu, dans la plupart des cas, que par décision écrite et motivée et sous le contrôle d'un magistrat du siège, c'est-à-dire du juge des libertés et de la détention, dont je demanderai tout à l'heure qu'il soit un magistrat expérimenté ayant au moins le rang de vice-président, ou du juge d'instruction, dont personne ici ne songe à mettre en cause les compétences.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques n°s 294 et 411.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 295 rectifié.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt M. le rapporteur nous lire la circulaire de M. le ministre de l'intérieur. Il y est indiqué que l'on doit servir des repas chauds. J'aimerais savoir si cela se passe ainsi et si c'est gratuit, c'est-à-dire si le repas est servi même lorsque l'intéressé n'a pas d'argent.

M. Robert Bret. A ma connaissance, il n'y a pas eu de progrès !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il y est par ailleurs précisé que les cellules doivent permettre le repos des personnes gardées à vue et que l'on doit veiller à la présence d'un médecin, le cas échéant, et à la propreté des locaux. Or les locaux continuent d'être obscurs et dotés d'une planche en tout et pour tout ! Vous ne nous dites pas le contraire, monsieur le rapporteur ! Et la manière dont est traité le gardé à vue demeure : il doit retirer les lacets de ses chaussures, sa ceinture, etc. Autrement dit, les conditions de la garde à vue sont toujours indignes.

Si vous vous contentez de cette circulaire pour prétendre que, maintenant, la situation est satisfaisante et que la garde à vue peut durer jusqu'à quatre-vingt-seize heures, je vous en laisse la responsabilité.

Ou bien l'on est contre tout, ou bien il n'y a pas de raison de s'arrêter. C'est à peu près ce que vous nous dites, monsieur le rapporteur. Je suis assez de votre avis. Je suis, je l'avoue, jusqu'au-boutiste, estimant que les conditions d'une bonne justice ne sont pas assurées, quels que soient les cas, par exemple à Guantanamo, et je ne suis sans doute pas le seul à le penser. Mais, fort heureusement, nous n'en sommes pas encore là !

Cela étant dit, par le sous-amendement n° 295 rectifié nous défendons le principe de présentation de la personne gardée à vue à un magistrat.

A l'évidence, la commission des lois travaille dans des conditions épouvantables : dans chacun de nos groupes, certains ont préparé ce projet de loi, d'autres travaillent sur les textes relatifs à l'immigration, au droit d'asile, à la décentralisation.

Mme Nicole Borvo. C'est vrai !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. A l'époque, nombre de nos collègues qui étaient intervenus dans le débat - tout à l'heure, j'ai cité notamment Alain Vasselle - avaient soutenu un point de vue identique. Notre collègue Jean-Jacques Hyest avait même déposé des amendements afin que la personne gardée à vue soit présentée à un magistrat.

Ceux qui sont présent, aujourd'hui ou bien n'ont pas suivi ces débats, ou bien sont là pour permettre que les travées de la majorité soient plus remplies que celles de l'opposition. (Protestations sur les travées de l'UMP.) Ils sont là pour voter ce qui leur est proposé.

Je le regrette, car j'ai connu une époque, pas si lointaine, où un certain nombre de nos collègues - il y en a encore au moins un, que je ne nommerai pas - ne se comportaient pas ainsi.

Cela étant, le problème qui est soulevé est extrêmement grave.

Monsieur le rapporteur, je le répète, vous n'avez pas le droit de dire que la non-présentation au magistrat de la personne placée en garde à vue est une exception. Ce n'est pas vrai : c'est la règle ! Il est hypocrite d'écrire dans un code qu'une mesure est exceptionnelle tout en sachant parfaitement qu'en vérité c'est la règle.

Il est écrit à différents endroits, dans le code pénal, que la liberté est la règle et que l'incarcération ou la détention provisoire est l'exception. On sait bien ce qu'il en est ! Ici, c'est pire : ce ne serait pas une exception, ce serait une règle. Si vous ne voulez pas qu'il y ait une exception, mes chers collègues, vous voterez notre sous-amendement prévoyant que, dans tous les cas, la personne placée en garde à vue est présentée à un magistrat.

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 295 rectifié.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 296 rectifié.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le sous-amendement n° 295 rectifié ayant été rejeté, je rappelle que le sous-amendement n° 296 rectifié prévoit que la prolongation de la garde à vue doit au moins faire l'objet d'une décision écrite et spécialement motivée. Ce n'est tout de même pas trop demander si l'on veut éviter que cela ne devienne une routine et que non seulement l'exception ne devienne la règle, mais, en outre, que la décision ne soit tacite.

La prolongation de vingt-quatre heures, voire de quarante-huit heures, d'une garde à vue qui a déjà duré quarante-huit heures est tout de même quelque chose de grave. Qu'une telle décision soit écrite et spécialement motivée est quand même un minimum ! Tel est l'objet du présent sous-amendement.

M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote.

M. Christian Cointat. Je comprends très bien la réaction de M. Dreyfus-Schmidt. Ce qui est exceptionnel n'est pas anodin et doit être motivé. Mais cela est prévu dans le troisième alinéa de l'amendement n° 15 présenté par la commission : « Ces prolongations sont autorisées, par décision écrite et motivée. » Il serait redondant de le préciser de nouveau à l'alinéa suivant.

Dans ces conditions, ce sous-amendement est satisfait et n'a pas raison d'être. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Monsieur Dreyfus-Schmidt, le sous-amendement n° 296 rectifié est-il maintenu ?

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous avez raison, mon cher collègue. Je retire donc ce sous-amendement, monsieur le président.

M. le président. Le sous-amendement n° 296 rectifié est retiré.

La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 469.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous demandons qu'un débat ait lieu et que l'avocat puisse faire valoir les raisons de ne pas prolonger la garde à vue. Je ne crois pas que cela figure dans l'amendement n° 15.

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 469.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 283 rectifié.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous demandons, par ce sous-amendement, le rétablissement de la règle. Sur ce point, M. le rapporteur est allé un peu trop vite.

Actuellement, je le répète, la présence de l'avocat est de règle à la première heure, à la vingtième heure et à la trente-sixième heure de garde à vue. Vous oubliez de nous dire, monsieur le rapporteur, que vous acceptez que l'on remplace l'entretien de la personne gardée à vue avec un avocat à la vingtième et à la trente-sixième heure par un entretien à la vingt-quatrième heure, dont nous ne voyons pas très bien l'intérêt, je dois le dire. C'est pourquoi nous maintenons ce sous-amendement.

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 283 rectifié.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 297 rectifié.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Par ce sous-amendement, nous demandons que l'avocat soit présent au moins à la trente-sixième heure. Ce n'est quand même pas extraordinaire !

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 297 rectifié.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, contre l'amendement n° 15.

M. Robert Badinter. Je tiens à dire à notre excellent rapporteur que cet amendement représente indiscutablement un progrès sensible par rapport au texte qui a été présenté par le Gouvernement. Ce qui me préoccupe, c'est la cadence des interventions de l'avocat et des présentations au magistrat de la personne gardée à vue. En effet, plus la durée de la garde à vue s'étend, plus il convient de l'entourer de garanties, ne serait-ce qu'en raison de la résistance humaine. N'oublions jamais que la personne qui est placée en garde à vue bénéficie de la présomption d'innocence ; nous l'avons longuement rappelé au cours des débats qui ont eu lieu en 2000.

Il faut veiller au maintien des droits du justiciable, voire à leur renforcement à mesure que la durée de la garde à vue s'allonge. Dès lors, pourquoi ne pas prévoir une intervention régulière de l'avocat à partir de la vingt-quatrième heure, toutes les douze heures, et ce jusqu'à la fin de la garde à vue ? J'avoue ne pas comprendre cette disparition en ce qui concerne la dernière période.

Je souhaiterais donc que M. le rapporteur nous fournisse une explication convaincante.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. François Zocchetto, rapporteur. Je ne sais pas si je vais répondre précisément à votre dernière question, monsieur Badinter, mais je m'exprimerai sur le fait que l'on passe, s'agissant de la présence de l'avocat, de la première et la vingtième heure à la première et vingt-quatrième heure. Cela me paraît en effet important. M. Dreyfus-Schmidt et Mme Borvo ont évoqué ce point tout à l'heure, me semble-t-il.

Pour ce qui est de l'intervention de l'avocat à la première heure, il est inutile de donner une explication. Mais quel est l'intérêt de sa présence à la vingtième heure ? Les praticiens savent que cet intérêt est quasiment nul. En effet, soit la garde à vue n'est pas prolongée et c'est alors à une espèce de service après-vente que va se livrer l'avocat - il ne sert à rien -, soit la garde à vue est prolongée et l'intervention de l'avocat à la vingt-quatrième heure, c'est-à-dire au tout début de la deuxième période de garde à vue, prend alors tout son sens.

Nous sommes convaincus que la présence de l'avocat à la première heure, à la vingt-quatrième heure et à la quarante-huitième heure, permettra à la défense de mieux exercer ses droits. L'intervention de l'avocat est en effet beaucoup plus utile au début de la deuxième ou de la troisième prolongation qu'à la fin de la garde à vue, où il ne se passe pas grand-chose.

Je pense avoir répondu en grande partie à votre question, monsieur Badinter.

M. Robert Badinter. Pas sur la fin !

M. François Zocchetto, rapporteur. Nous reviendrons sur les problèmes posés par la trente-sixième heure et la soixante-douzième heure ultérieurement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 15.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, le texte proposé pour l'article 706-88 du code de procédure pénale est ainsi rédigé.