NOMINATION D'UN MEMBRE D'UNE
COMMISSION
M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe Union pour un mouvement populaire a présenté une candidature pour la commission des affaires économiques et du Plan.
Le délai prévu par l'article 8 du règlement est expiré.
La présidence n'a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame M. Yannick Texier, membre de la commission des affaires économiques et du Plan, en remplacement de M. Patrick Lassourd, décédé.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Guy Fischer.)
PRÉSIDENCE DE M. GUY FISCHER
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
ÉVOLUTIONS DE LA CRIMINALITÉ
Suite de la discussion d'un projet de loi
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, M. le rapporteur Zocchetto a fait un énorme travail. Il a entendu beaucoup de monde, même si je ne suis pas sûr qu'il nous ait rapporté tout ce qu'il a entendu.
Quant à vous, monsieur le ministre, vous avez prononcé un discours apaisant, répondant par avance aux critiques qui ont été faites à votre projet de loi. Il n'empêche que ce texte mérite d'être critiqué.
Les évolutions ou hésitations sur la dénomination de ce projet de loi sont à elles seules tout un programme : de « loi sur la grande criminalité » au départ, il est devenu aujourd'hui « loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité », avec un premier chapitre visant la délinquance et la criminalité organisées.
De quoi s'agit-il en vérité ? La qualification de « nouvelles formes de criminalité », pas plus que celle de « bandes organisées » ne sont en aucun cas définies. En fait, ce texte - encore un - a vocation d'affichage puisqu'il fait fi des dispositions déjà existantes en droit pénal concernant la criminalité organisée, dispositions déjà floues, d'ailleurs, qui peuvent donc s'appliquer aux nouvelles formes de criminalité. En revanche, il a pour objectif d'allonger les peines et d'amoindrir les droits de la défense et la garantie des libertés individuelles.
Vous avez vous-même, monsieur le garde des sceaux, énoncé quatre critères nécessaires à une bonne justice pénale : elle doit être de son temps ; elle doit avoir des moyens adaptés à ses fins ; elle doit être rapide, sans pour autant être expéditive ; enfin, elle doit avoir, en même temps qu'un objectif de régulation sociale, le souci de la victime. Ces principes sont certainement à creuser et à évaluer au regard des moyens de la justice.
Le premier principe édicté mérite que l'on s'y arrête.
La justice doit être de son temps. Tout le monde peut être d'accord sur ce point. Mais doit-on en déduire qu'elle doit épouser les affichage politiques et, en l'occurrence, aujourd'hui, l'affichage sécuritaire ?
Je vois dans cette volonté constante d'alourdir les sanctions pénales une consécration des discours des « spécialistes ès sécurité », tels que M. Rauffer, qui dépeignent à loisir une France à feu et à sang, en état de quasi-guerre civile, faisant face à une criminalité de plus en plus jeune et de plus en plus violente. Je cite M. Rauffer : « Le problème crucial en France aujourd'hui n'est pas un problème de délinquance mais de criminalité (...). La France vit aujourd'hui une grave crise criminelle (alors qu'on) s'acharne à parler de délinquance (...). Il s'agit là d'une crise criminelle et non d'une crise de délinquance », etc. Je vous renvoie à la lecture du compte rendu de son audition devant la commission d'enquête du Sénat sur la délinquance des mineurs.
On retrouve cette vision dans le caractère flou de la notion de criminalité organisée, qui se révèle particulièrement extensive : outre le fait qu'aucune définition précise n'est donnée de la bande organisée, la liste des crimes concernés est particulièrement longue et les rajouts opérés par les députés ne peuvent que renforcer l'effet captateur et dévoreur de cette notion de crime organisé.
C'est ainsi, par exemple, que l'arrachage d'OGM, organismes génétiquement modifiés, par la Confédération paysanne sera désormais assimilé à un crime organisé car constitutif de « crime de destruction, dégradation et détérioration d'un bien commis en bande organisée ». Cela vaudra bien sûr pour tout autre acte syndical.
J'ai d'ailleurs constaté à ce propos le discours musclé d'un membre éminent de la majorité, à savoir M. de Rohan, qui, lors des journées parlementaires de l'UMP, a cru devoir rappeler que la loi est la même pour tous : « en Corse, au Larzac et ailleurs », ajoutant : « ceux qui cassent doivent payer ! ».
Le rapprochement de la Corse et du Larzac mériterait d'être précisé. De quoi s'agit-il en effet ? Si la loi est la même pour tous, les casseurs d'outil de travail que sont les patrons qui déménagent la nuit leur entreprise ne sont-ils pas concernés ?
Quoi qu'il en soit, les associations de droit des étrangers pourront, de par le présent texte, être poursuivies pour délit d'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d'un étranger en France au titre de « criminels organisés ». Il s'agit en fait d'un crime de solidarité, ça oui !
Lorsque l'on constate que les délits en col blanc - la délinquance financière, fiscale et singulièrement la corruption - ont, en dépit de ce que vous dites, monsieur le garde des sceaux, échappé à la liste, l'on peut s'interroger sur l'arbitraire de cette notion alors même que la bande organisée est déjà prise en compte dans le code pénal au titre de circonstance aggravante et constitue le délit d'association de malfaiteurs.
La déhiérarchisation des délits entraîne, selon nous, un double effet négatif : d'une part, elle minore l'importance des atteintes aux libertés individuelles parce que « tout est gravissime », d'autre part, elle contribue à déprécier les crimes les plus odieux parce que, « tout étant gravissime, rien n'est grave ».
Cette inflation pénale n'est certes pas nouvelle et s'inscrit, à mon sens, dans la tendance très marquée, ces dernières années, de faire du droit pénal le mode de régulation central sinon univoque de la société, tendance que de nombreux spécialistes et acteurs de terrain ont dénoncée.
Je pense en particulier au groupe de travail mené par M. Massot sur la responsabilité pénale des décideurs publics, qui a réclamé un moratoire sur la création de nouvelles infractions pénales dans les termes suivants : « On constate une propension, tant du législateur que du pouvoir réglementaire, à assortir d'une sanction pénale toute méconnaissance d'une obligation. Comment s'étonner ensuite de la pénalisation croissante de la société et de la tendance à rechercher de plus en plus systématiquement l'intervention du juge pénal ? »
Par un mouvement de dominos, l'augmentation des infractions pénales entraîne une aggravation généralisée des sanctions : les incivilités deviennent des contraventions, lesquelles deviennent des délits, lesquels deviennent des crimes, sans que l'efficacité d'un tel mouvement soit réellement démontrée ni qu'une quelconque évaluation soit menée.
Cette évaluation serait d'autant plus nécessaire que le mouvement d'aggravation pénale sert de justification, dans le texte, au développement de procédures exceptionnelles, dérogatoires au droit commun, dans lesquelles les droits et libertés fondamentales apparaissent largement écornés : développement de juridictions spécialisées, dont il est à craindre qu'elles ne deviennent des juridictions de droit commun, alors même qu'existent déjà des pôles spécialisés ; légitimation des procédures policières occultes, telles l'infiltration ou la pose de micros en tous lieux ; délais de garde à vue démesurés ; extension de la procédure du repenti... tous ingrédients d'un bon Etat policier.
Pourtant, l'histoire nous enseigne que les systèmes d'exception ne sont pas un signe de respect et de développement de la démocratie.
On remarquera en outre que le texte ne se limite pas à instituer des règles particulières aux délits et crimes relevant de la définition - ou plutôt de la non-définition, comme je l'ai dit - du crime organisé : il tend encore à aligner la procédure pénale de droit commun sur les procédures d'exception : enquête de flagrance étendue à quinze jours, délais différés pour l'information du procureur, garde à vue allongée...
C'est ainsi que, du point de vue du respect des libertés individuelles - mon collègue Robert Bret y reviendra dans la défense de la question préalable que nous avons déposée -, le projet de loi prend le contre-pied de la loi du 15 juin 2000 renforçant la présomption d'innocence et les droits des victimes, laquelle opérait - faut-il le rappeler ? - une remise à niveau de notre procédure pénale avec les exigences de la Convention européenne des droits de l'homme.
Encore une fois, ceux qui pourtant avaient voté la loi du 15 juin 2000 mais qui se sont laissés entraîner par la déferlante sécuritaire ne renoncent pas à la mettre en cause. Certes, M. le rapporteur de la commission des lois a dû opérer un lissage indispensable afin de passer le « barrage » du Conseil constitutionnel. Peut-être faudrait-il d'ailleurs parler de « barrière de papier » au vu des dernières décisions de la haute instance !
C'est l'objet des amendements qui rétablissent l'information du parquet dès le début des mesures portant atteinte à la liberté individuelle telle la garde à vue alors qu'il était prévu au départ : « dans les meilleurs délais ». Il en est ainsi également des dispositions qui rétablissent en partie des droits de la défense sérieusement écornés par le présent projet de loi.
Néanmoins, ces améliorations proposées par la commission des lois ne peuvent occulter le développement des procédures expéditives qui ne garantissent nullement les droits de la défense et donnent le ton de la conception qu'a le Gouvernement de la justice de notre pays : généralisation de la médiation et de la composition pénale, laquelle serait applicable désormais à toutes les contraventions si la position de la commission des lois est suivie et aux délits punissables jusqu'à cinq ans de prison, comme l'institution du « plaider-coupable » qui fait de la tractation judiciaire un mode normal de règlement des litiges et dont l'objectif de désengorgement des tribunaux est à peine voilé.
Tout concourt à la mise en place d'une justice d'abattage. Si l'on rapproche ces dispositions de celles qui ont institué les juges de proximité - dont les difficultés de recrutement entraînent une pagaille sans nom chez les juges d'instance - mais également de l'institution programmée d'une prime au rendement pour les magistrats, on a ainsi un portrait inquiétant de la justice de demain, une justice productiviste, bien éloignée des exigences de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. On comprend maintenant pourquoi le critère de la qualité ne figure pas au nombre des principes d'une bonne justice pénale!
Mais, me répondrez-vous certainement, avec d'autres ici, il en va de l'efficacité de la justice... ou de celle de la police, on ne sait pas très bien ! Mais même cet argument n'est guère convaincant.
A l'inverse de notre rapporteur, je suis loin d'être certaine que cette énième modification du code de procédure pénale réponde à un besoin, sauf peut-être pour ce qui est de l'entraide judiciaire, compte tenu des réserves que nous avions déjà pu exprimer en d'autre lieux. En effet, les acteurs de terrain déplorent plus, on le sait, les problèmes d'application nés de l'insécurité juridique résultant de réformes qui se succèdent à un rythme de plus en plus effréné que l'absence de moyens pour y faire face. Mais, là encore, ce n'est pas par l'économie de moyens qu'on aura une justice de qualité : la supression de l'exigence d'un greffier dans le cadre des commissions rogatoires en est l'illustration !
L'efficacité de ce texte peut encore être mise en cause alors que la surpopulation carcérale née des différents textes votés depuis le début de la législature devient réellement dramatique.
Certes, monsieur le garde des sceaux, vous affichez tout à coup un grand souci de prendre en compte la situation des détenus en France, avec un soudain rapport sur les peines alternatives à la détention. Cette décision apparaît de toute façon largement conjoncturelle, voire opportuniste face à la situation particulièrement dégradée qui existe dans les prisons. J'en veux pour preuve la relative faible prise en compte, dans le texte adopté par l'Assemblée nationale, des propositions de ce rapport qui, au demeurant, restait modeste au regard de la richesse des conclusions des commissions d'enquête parlementaires sur les prisons, qui datent déjà de quelque temps.
En effet, il ne suffit pas d'afficher une volonté de recourir aux peines alternatives, encore faut-il savoir dans quel objectif on y recourt. Comme le soulignait récemment le sociologue Loïc Wacquant, il convient de savoir si les peines alternatives ont pour principal objectif un traitement rénové de la peine ou la possibilité de nouvelles incarcérations. Au regard de votre politique de régulation pénale de la société, on peut douter sérieusement du fait que les alternatives visent autre chose que la gestion purement comptable des flux de prisonniers.
Telle n'est pas notre conception des travaux d'intérêt général ou des jours-amendes, qui doivent constituer des modes d'exécution à part entière de la peine et non pas de simples « alternatives » à la prison autour desquelles continue de s'organiser le système pénal. Et cela nous renvoie de facto au sens de la peine que le Gouvernement ne semble pas disposé à aborder.
S'agissant de la prison, nous proposons, par voie d'amendement, de rependre les dispositions de la proposition de loi déposée par MM. Hyest et Cabanel sous la précédente législature, notamment la disposition relative à l'institution d'un contrôleur général des prisons, disposition qui devrait recueillir le plus large soutien dans cette enceinte pusiqu'elle avait été votée à l'unanimité. Evidemment, cette proposition ne saurait à elle seule épuiser le débat, mais c'est une base de travail minimum.
Pour finir, vous me permettrez, mes chers collègues, de faire le lien avec le fichier des délinquants sexuels que la commission des lois nous propose de créer sans attendre. Il paraît aujourd'hui difficile de faire part de ses réserves sans voir apparaître une levée de boucliers, au motif que l'on soutiendrait les pédophiles.
A ce sujet, M. le ministre de l'intérieur, lors d'une récente émission de télévision, a expliqué aux Français que les délinquants sexuels devraient aller pointer au commissariat tous les trois jours, afin de prévenir la récidive. Toutefois, nous ne trouvons rien de tel dans le présent projet de loi.
Pour ne pas être taxée de laxiste en matière de délinquance sexuelle, je rappellerai que mon groupe a bataillé ferme dans cette enceinte, particulièrement contre la prostitution enfantine : je vous renvoie aux textes sur le tourisme sexuel ou sur la pénalisation des clients de prostitués mineurs, textes qui, les associations s'en souviennent, n'avaient pas recueilli l'assentiment de tous.
Dans le même sens, les sénateurs de mon groupe ont, tant dans la loi sur la modernisation sociale que dans le texte sur les droits des malades, demandé une protection renforcée des médecins qui signalent des faits de pédophilie ou d'inceste.
C'est aussi, dans le même sens, le souci de protection des enfants qui avait justifié notre interpellation du gouvernement précédent quant à la situation des mineurs en zone d'attente et à leur demande d'être traités comme des mineurs en danger, ce qui n'a pas été retenu.
C'est en ayant à l'esprit cet impératif de protection de l'enfance contre des actes particulièrement odieux que nous avons étudié les propositions de M. le rapporteur.
Je dois dire que, au-delà de la question du respect des droits, nous regrettons que la question de la lutte contre la délinquance sexuelle s'épuise dans celle de la création d'un fichier. Ainsi, pour répondre à l'échec constaté en la matière et à l'émotion de la population, on va créer un fichier. Mais rien n'est dit sur les carences en moyens et en structures de la psychiatrie, aucune évaluation n'est faite sur le traitement - ou plutôt le non-traitement - en prison de ces détenus alors qu'ils peuplent entre un tiers et un quart - un quart selon vous, monsieur le garde des sceaux - des prisons françaises pour des peines très lourdes et que la commission d'enquête sénatoriale sur les prisons s'interrogeait sur leur sort.
Plus que pour n'importe quel crime, c'est bien la prévention de la récidive qui est au centre des débats et, sauf à lui imputer un effet dissuasif très incertain - chacun le sait -, la création d'un fichier de délinquants sexuels ne peut en aucun cas répondre à cet objectif.
Compte tenu des remarques que je viens de faire, les sénateurs de mon groupe ne pourront pas approuver un texte qui est profondément régressif et, bien entendu, ils ne le voteront pas. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. José Balarello.
M. José Balarello. Monsieur le garde des sceaux, le 12 juin 2003, vous nous avez fait tenir un calendrier de travail contenant votre bilan et vos perspectives pour les années 2002 à 2004. Ce faisant, vous vous êtes attelé à un énorme travail, en partie réalisé, allant de la création des juges de proximité au traitement de la délinquance des mineurs, de la réduction des délais de jugement des affaires civiles et pénales à la lutte contre la violence routière, en passant par la modification du droit du divorce et des successions, par l'adoption pour la justice d'un schéma directeur informatique et par la réalisation de 13 200 places nouvelles dans les établissements pénitentiaires.
Fallait-il encore adapter le droit français aux engagements internationaux et à la construction européenne, en modifiant notamment la procédure de l'extradition, ainsi qu'adapter la justice aux évolutions de la criminalité, ce que vous faites aujourd'hui devant le Sénat avec l'important texte qui est soumis à notre examen.
Ce texte, monsieur le ministre, est le fruit d'un travail important d'adaptation du code pénal et du code de procédure pénale que vous avez réalisé avec les services de la chancellerie.
Notre rapporteur, François Zocchetto, ne s'y est point trompé et il a fait sur ce texte un rapport on ne peut plus exhaustif, faisant appel au droit comparé et aux comptes rendus de ses nombreux déplacements, que ce soit dans les pôles économiques et financiers de Créteil et de Marseille, ou à Washington et à Rome, au pôle anti-mafia, où je l'accompagnais avec notre collègue Robert Bret.
Son travail s'est appuyé également sur l'apport de nos collègues députés et de notre commission des lois, qui a examiné, monsieur le garde de sceaux, 468 amendements, après les 703 qui avaient été déposés à l'Assemblée nationale, ce qui fait beaucoup mais qui illustre l'importance du texte, d'autant qu'il ne s'agit point ici d'amendements à caractère dilatoire.
Ce texte mérite en effet une grande attention de la part du Parlement, car il marque une étape capitale dans l'évolution de notre politique criminelle, politique que vous avez voulue et qu'il était urgent de mettre en place.
La justice est sans conteste le miroir de la société et elle ne peut échapper à ses évolutions, se trouvant confrontée à des comportements qu'en amont la famille, l'école et les institutions n'ont pas pu ou su éviter.
Par la loi d'orientation sur la justice, que nous avons votée l'été dernier, le Parlement a amorcé une série de réformes visant à accroître l'efficacité d'une institution asphyxiée par le manque de moyens face à une délinquance de masse.
Le projet qui nous est soumis, qui comporte 87 articles - dont, compte tenu du temps qui m'est imparti, je n'examinerai que quelques grands chapitres -, va nous permettre, dans sa première partie, d'adapter la justice pénale aux formes nouvelles de la criminalité en introduisant dans notre droit pénal la notion de délinquance et de criminalité organisée.
Cette criminalité, qui n'est pas nouvelle mais qui est en expansion, notamment grâce aux nouvelles technologies, à la disparition des frontières entre Etats, à sa transnationalité et au blanchiment de sommes colossales, nécessite des réponses et des moyens appropriés.
La mise en place de juridictions spécialisées interrégionales, au titre XXV nouveau du code de procédure pénale, me semble, de ce point de vue, une grande avancée et ayant exercé la profession d'avocat durant près de quarante ans, j'avoue ne point comprendre les réticences de certains magistrats à l'encontre de ce texte. C'est la raison pour laquelle l'amendement n° 465 du Gouvernement tendant à la mise en place de magistrats très compétents et formés a reçu un avis favorable de notre commission des lois.
En donnant compétence aux intéressés sur le territoire du ressort de plusieurs cours d'appel et en les faisant bénéficier de moyens renforcés, comme les assistants spécialisés dont le statut est affermi et à qui, monsieur le garde des sceaux, il faudra ménager des passerelles - je l'ai déjà dit lors d'une réunion à l'ENM - vers l'Ecole nationale de la magistrature au terme d'un certain délai, ne serait-ce qu'après sept ou dix ans, ces réformes permettront une plus grande efficacité.
Cependant, souhaitant un dépaysement quasi automatique rationae materiae, je suis opposé à la procédure mise en place à travers ce texte, trop compliquée à mon avis, des articles 706-75 à 706-79 du code de procédure pénale, source de contentieux, et j'espère que, lors de la navette parlementaire, nous simplifierons le système.
Second point important, l'entraide pénale entre Etats : le nouveau texte va nous permettre de simplifier, par exemple, la transmission et l'exécution des commissions rogatoires internationales, système actuellement fortement et justement critiqué par tous les magistrats en Europe, en transposant dans notre droit les dispositions communautaires relatives à Eurojust - adopté le 28 février 2002 par le Conseil de l'Europe et installé depuis à La Haye - en adoptant le mandat d'arrêt européen et en développant les équipes communes d'enquête, qui devront être suivies le plus rapidement possible de la création d'un parquet européen.
Je souhaite, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, qu'après le travail remarquable accompli par le président Giscard d'Estaing sur la Constitution européenne la France prenne promptement des initiatives en ce sens pour mettre en place ce parquet et définir les compétences qui lui seront dévolues. Le projet de Constitution européenne prévoit d'ailleurs l'institution d'un tel parquet en son article III-175, à partir d'Eurojust.
En effet, comme vous le savez, monsieur le garde des sceaux, Eurojust ne s'est pas vu attribuer de compétences pour effectuer par lui-même des actes d'enquête. Il s'agit plus d'un outil de coopération entre autorités nationales chargées des enquêtes ou des poursuites que d'un parquet européen.
Pour ce qui est du mandat d'arrêt européen, la commission des lois, soucieuse d'observer la décision-cadre du Conseil de l'Union européenne du 13 juin 2002, qui prévoit une date butoir à la fin de l'année 2003, a adopté deux remarquables amendements, présentés par note collègue Pierre Fauchon, créant ce mandat d'arrêt. C'est une bonne initiative, que la France devra poursuivre s'agissant du parquet européen.
Le troisième point fort du présent projet de loi est sans conteste l'application à la criminalité la plus grave et la plus organisée - comme le trafic d'êtres humains, le proxénétisme, l'assassinat ou encore l'extorsion en bande organisée - de certaines méthodes d'investigation jusque-là réservées au trafic de stupéfiants, de fausse monnaie, au terrorisme ou à l'association de malfaiteurs. Je veux parler de l'infiltration et de la prise en compte du témoignage des repentis, méthodes qui vont permettre à notre justice d'être plus efficace, ce qui m'apparaît urgent à la simple lecture des quotidiens : c'est ainsi que, le 25 septembre dernier, le journal Nice-Matin relatait le démantèlement d'un vaste réseau international de proxénétisme entre la Russie, Paris et la Côte d'Azur, où des jeunes femmes, au nombre d'une centaine, rapportaient jusqu'à 1 000 euros chacune par jour à des souteneurs russes, le tout assorti de vols de voitures, de tampons officiels et de faux passeports. Le chef de bande a d'ailleurs été arrêté dans une voiture volée.
Cette pratique des repentis, ou « collaborateurs de justice », comme les appellent les Italiens, est utilisée dans au moins sept pays européens, sans parler des Etats-Unis.
Lors de notre mission à Rome, du 3 au 5 juin 2003, nous avons été reçus, avec M. le rapporteur, par le procureur national anti-mafia M. Vigna et par le sénateur Centaro, président de la commission bicamérale anti-mafia. Nous avons ainsi appris de quelle façon étaient mises en place les mesures de protection pour ceux que les Italiens appellent les pentiti, ou encore les « collaborateurs de justice ». Après qu'un magistrat a recueilli leurs confidences, qui doivent nécessairement être des faits qualifiés de terrorisme ou de mafia - le terme « mafia » recouvre toute la criminalité organisée -, ces repentis sont transférés de leur localité d'origine vers une localité protégée, par exemple de Sicile vers la Vénétie, où un logement leur est offert, avec des mesures d'assistance, un chèque mensuel de subsistance prévu par la loi, une assistance scolaire pour leurs enfants, une assistance judiciaire et psychologique, ainsi qu'une réinsertion sociale avec un travail ou un investissement souvent facilité par l'achat d'un commerce et un changement d'identité.
A la différence du système italien, l'article 3 de votre projet de loi, monsieur le garde des sceaux, prévoit que, si la personne concernée encourt la réclusion criminelle à perpétuité, elle devra quand même subir vingt ans de détention, ce qui évitera - vous avez raison - certaines libérations scandaleuses comme celle du mafieux Enzo Brusca, dont l'élargissement défraya la chronique et dont tout le monde nous parlait comme d'un dysfonctionnement du système des repentis lorsque nous étions à Rome.
Cependant, je dois dire que je partage la crainte de plusieurs de nos collègues, qui s'inquiétèrent, lors de l'examen du projet de loi à l'Assemblée nationale, du coût de cette méthode qui, si elle a prouvé son efficacité, nécessite des moyens tant techniques que financiers très importants, qu'il nous faudra maîtriser.
Il nous a été indiqué, lors de notre mission, que, en Italie, 600 agents de l'Etat collaborent directement aux programmes de protection, que les indemnités allouées aux repentis vont de 1 000 à 1 800 euros par mois, outre le logement, et ce pour un coût global qui serait de l'ordre de plus de 56 millions d'euros par an, sans compter le coût des transferts, pour un nombre d'à peu près 1 100 repentis en moyenne annuelle, ce qui nécessite, avec les proches - parce qu'il y a des proches à protéger -, la protection de près de 5 000 personnes.
Cela étant, vous avez raison, monsieur le garde des sceaux, de nous proposer un texte précisant que le seul témoignage d'un repenti ne peut entraîner ipso facto une condamnation.
Quatrième point important, le chapitre II, section 3, du projet de loi traite de la garde à vue. Il nous faut rendre hommage à la commission des lois de l'Assemblée nationale, qui s'est efforcée de restreindre le nombre des régimes de garde à vue, qui avaient été portés au nombre de cinq par l'introduction de délais spécifiques à la grande criminalité : ils ne sont plus que trois.
Les professionnels qui doivent appliquer le droit, avocats, magistrats, enquêteurs, reprochent fréquemment au législateur de voter des textes multiples, de plus en plus techniques, qui s'empilent, rendant la loi confuse et peu lisible non seulement pour les justiciables, mais aussi pour les praticiens. Nous sommes bien loin de l'esprit voulu et formulé par Cambacérès, lorsqu'il dirigea la rédaction du code civil en 1804, et par Target, qui dirigea celle du code pénal, publié en 1810 mais dont l'élaboration commença en 1801. Ils avaient le temps, à l'époque !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ils le prenaient !
M. José Balarello. Il est évident que cet effort de clarification, qui a été commencé à l'Assemblée nationale, doit se poursuivre au Sénat afin de réduire autant que possible « les incidents de procédure » dont certains cabinets d'avocats sont devenus des spécialistes, multipliant recours abusifs et dilatoires - c'est en qualité d'avocat honoraire que je parle, et tous mes confrères seront d'accord avec moi - et paralysant les procédures pénales face à des magistrats instructeurs peu nombreux et généralement moins habiles, excepté quelques-uns pour qui l'instruction est devenue un combat médiatisé qu'il faut gagner, même si quelques années plus tard cela se termine par une relaxe.
Sur ce problème particulier, pourquoi ne pas nous inspirer, en matière pénales monsieur le ministre, du système des nullités en vigueur en matière civile prévu par les articles 112 à 121 du nouveau code de procédure civile ?
Rappelons-nous, nous qui avons étudié le droit romain, que la complexité, à Rome, alla de pair avec le déclin de l'Empire !
Cinquième point important, la commission des lois de l'Assemblée nationale a introduit un dispositif qui sera particulièrement utile aux enquêteurs dans les cas les plus graves de criminalité organisée, c'est-à-dire d'atteinte aux personnes. Il s'agit de la sonorisation de certains lieux ou véhicules, comportant la mise sur écoute des téléphones et des micro-baladeurs. Cela ne me choque pas en matière de grande criminalité, je vous l'avoue franchement.
Ce type de moyen très efficace est utilisé dans de nombreux pays démocratiques, notamment en Grande-Bretagne, en Allemagne et aux Etats-Unis ; il va permettre à nos voisins, qui se trouvaient dans l'impossibilité de poursuivre une enquête dès lors qu'un véhicule sous leur surveillance passait nos frontières, de rendre cette enquête probante, sous réserve de réciprocité, bien entendu ; il va permettre également la création d'équipes communes d'enquête entre deux ou plusieurs pays européens.
La sixième réforme importante - mon énumération est loin d'être exhaustive - est l'introduction dans notre code pénal d'une nouvelle infraction réprimant le simple fait de proposer à une personne une rémunération afin qu'elle commette un assassinat, autrement dit un « contrat ».
Jusqu'à présent, notre code pénal ne nous permettait d'appréhender le coupable qu'en cas de tentative suspendue « en raison de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur ».
L'instigateur, celui qui donne des ordres - en général un « gros bonnet » habitant fréquemment l'étranger - ne pouvait donc pas, en cas contraire, être poursuivi sous la qualification de tentative d'assasinat. Cette modification est un progrès important contre le crime organisé et le racket. Or le racket est fréquent dans certains secteurs du commerce, en particulier dans les bars et les restaurants. Nous connaissons tous des exemples d'incendies nocturnes, d'explosions ou d'incidents dans des bars et chacun sait qu'ils sont le fait de racketteurs.
Je souscris entièrement à la disposition importante, introduite par l'Assemblée nationale à la demande de François d'Aubert, renversant la charge de la preuve en matière de crime aggravé d'extorsion, c'est-à-dire de « racket », lorsqu'il y a violences entraînant une mutilation, une infirmité permanente ou la mort, ou encore des actes de tortures ou de barbarie, et contre ceux qui ne pourront justifier de ressources correspondant à leur train de vie, lorsqu'ils sont en relation habituelle avec les personnes instigatrices des rackets.
Vous avez eu raison également, monsieur le ministre, de renforcer le dispositif antiblanchiment, que notre collègue Hubert Haenel, rapporteur pour avis de la commission des finances, a particulièrement bien analysé.
Je terminerai mon propos en évoquant brièvement trois apports importants figurant dans le deuxième volet de votre projet de loi, qui visent à rendre notre justice plus rapide, mais aussi à faire en sorte que ses décisions soient mieux appliquées.
Ainsi, la composition pénale a été étendue à tous les délits punis d'une peine d'emprisonnement inférieure ou égale à cinq ans, la volonté du Gouvernement étant de crédibiliser les peines alternatives.
Je pense cependant qu'il serait bon d'exclure du système les violences ayant provoqué une incapacité importante pour les victimes, même si l'auteur de l'infraction s'engage, à la demande du procureur de la République, à « ne pas rencontrer ou recevoir, pour une durée qui ne saurait excéder six mois, la ou les victimes de l'infraction... ».
Dans ce cas précis, ce type de mesure risque de contribuer largement au sentiment d'insécurité régnant dans certains quartiers, les victimes d'agressions physiques risquant tout de même de se trouver en présence de leurs agresseurs, si ceux-ci habitent le même lieu.
Le deuxième apport est la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Cette procédure, inspirée du « plaider-coupable » anglo-saxon, permettra au ministère public de proposer à l'auteur majeur d'un délit punissable de cinq ans d'emprisonnement au plus, une peine inférieure à la peine encourue, le plafond de cette peine proposée ne pouvant être supérieur à six mois de prison et la peine pouvant être assortie d'un sursis.
La commission des lois a déposé un amendement portant à un an le maximum de la condamnation possible, dans le cas de la transaction pénale. Il s'agit à mon avis d'un bon amendement, les affaires en instance d'être jugées étant trop nombreuses. Il faut en moyenne 17,1 mois pour juger une affaire au tribunal de grande instance de Grasse et 12,6 mois au TGI de Nice. Or, mon expérience m'a appris que la non-contestation du délit, qui est très fréquente dans la clientèle des avocats, peut donner lieu à une transaction pénale même si les modalités de la commission du délit sont discutées, ce qui évite un encombrement considérable d'affaires que les tribunaux n'arrivent pas à écluser.
Plusieurs pays d'Europe ont récemment introduit des dispositifs comparables dans leur législation. Ainsi, en Italie, une fois la réduction de peine opérée, la peine ne doit pas dépasser deux ans de prison. En France, il paraît normal de fixer la durée à un an et c'est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, je vous demande d'émettre un avis favorable sur cet amendement de la commission des lois.
Autre point important de votre texte : les mesures visant les délits et crimes sexuels et la détresse des victimes qui, pour beaucoup encore, n'osent pas sortir du silence, ont été prises en compte par l'Assemblée nationale, qui a allongé la prescription à trente ans en matière de crimes et à vingt ans en matière de délits. Ce problème de la prescription a donné lieu ce matin à une longue discussion en commission des lois. Elle se poursuivra lors de l'examen de l'amendement déposé par notre collègue M. Pierre Fauchon.
Le placement sous contrôle judiciaire avec interdiction de recevoir, de rencontrer ou d'entrer en relation avec la victime de quelque manière que ce soit, doit être inclus dans la loi complétant la mise en oeuvre du fichier des empreintes génétiques ainsi que le port systématique d'un bracelet électronique pour les délinquants sexuels récidivistes. La loi sur le bracelet électronique est d'ailleurs issue d'une initiative sénatoriale. M. le rapporteur de la commission des lois a déposé un amendement visant la constitution d'un fichier destiné à recenser les récidivistes. Je pense que le Sénat doit adopter cet amendement.
Dans son rapport d'activité du mois de juillet dernier, l'administration pénitentiaire souligne que le viol et les agressions sexuelles sont désormais la première cause d'incarcération des condamnés avec un taux de 24 %, comparé à 12 % pour les stupéfiants et 12 % pour les vols qualifiés, comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre.
Le texte voté par l'Assemblée nationale renforce la protection de la victime puisque le texte proposé pour l'article 144-2 du code de procédure pénale prévoit la disposition suivante : « Avant toute décision de mise en liberté, la juridiction saisie doit prendre en considération les conséquences qui pourraient en résulter pour la victime. »
Enfin, plusieurs de mes collègues et moi-même avons déposé trois amendements au présent texte qui visent à aggraver les peines applicables aux incendiaires, volontaires ou non, ayant provoqué les feux de forêt dont les départements du sud de la France et de la Corse ont été particulièrement victimes cet été. Ces amendements seront soutenus par notre collègue M. Carle.
Monsieur le garde des sceaux, je voterai le texte que vous nous soumettez, non par discipline politique, mais parce que, en tant que juriste, j'estime qu'il est le fruit d'un long travail de qualité, qu'il est indispensable à la défense de nos concitoyens et de nos valeurs contre le crime organisé et qu'il constitue un acte de foi européen, car il vise à unifier la législation de l'Union européenne et à régler plusieurs problèmes qui étaient pendants devant notre Parlement.
La navette entre les deux assemblées permettra, j'en suis certain, de le perfectionner. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, j'ai mal à ma justice.
Pourquoi, une nouvelle fois, bouleverser ainsi, et de fond en comble, ce malheureux code de procédure pénale ?
J'ai vainement interrogé la prétendue « étude d'impact » : elle ne contient que l'analyse des divers articles du projet de loi, mais en rien leurs justificatifs, ni même l'évaluation des dépenses qu'ils entraîneraient, par exemple pour la protection des repentis et des témoins, qui coûte 30 millions de dollars aux Etats-Unis et 50 à 60 millions d'euros en Italie.
Se peut-il que des juridictions de droit commun aient failli à leur mission, ce qui conduirait à créer des juridictions « spécialisées », non seulement régionales mais interrégionales, en laissant au ministère public, ce qui me paraît anticonstitutionnel, le choix de celles-ci plutôt que de celles-là ?
Monsieur le garde des sceaux, vous avez cité tout à l'heure l'exemple d'une affaire complexe qui était intervenue en 1994 dans un petit département. Il est toujours facile de renforcer les pouvoirs d'un département plutôt que de supprimer les tribunaux de droit commun.
Et vous - lorsque je dis « vous », c'est au Gouvernement et non à votre personne que je m'adresse -, vous nous parlez sans rire d'un souci de justice de proximité !
La police judiciaire, plus que jamais sous la coupe du ministre de l'intérieur, verrait ses pouvoirs étendus à l'infini sous le contrôle souvent tacite des procureurs de la République, contrôle d'autant moins réel que les malheureux ne peuvent que crouler sous les tâches si multiples et nouvelles que vous prétendez leur assigner.
Chacun ici le sait, le procureur n'a jamais eu le temps - sauf rares exceptions - de contrôler, comme la charge lui en revenait déjà, les gardes à vue dont, chacun le sait aussi, les conditions matérielles sont indignes et dont aussi sont nées tant d'erreurs judiciaires : souvenez-vous de l'affaire Roman, qui n'est pas si lointaine.
La garde à vue n'a pas de raison d'être. Dès son arrestation, un présumé innocent - fût-il suspect ou assurément coupable - doit être sans délai conduit devant un juge.
Il en est ainsi dans toutes les démocraties, notamment dans les pays anglo-saxons avec leur procédure accusatoire dont vous feignez, tout à coup, de vous inspirer avec une caricature de « plaider-coupable ».
Tout au contraire, vous prétendez supprimer la présence de l'avocat en garde à vue de droit commun à la vingtième heure et, en cas de prolongation - qui peut être ordonnée par le procureur sans que l'intéressé lui soit présenté - à la trente-sixième heure.
Tout au contraire, vous prétendez astreindre à quatre-vingt-seize heures de garde à vue - quatre jours et quatre nuits -, dans les conditions matérielles que l'on sait, les suspects qui, au surplus, peuvent être innocents, d'une kyrielle de crimes et délits nouveaux et sans présence possible de l'avocat avant la soixante-douzième heure, c'est-à-dire au bout de trois jours comme c'est le cas déjà, hélas ! en matière de stupéfiants et de terrorisme.
Je dis « hélas » parce que, à l'évidence, plus les faits sont graves, plus se doivent d'être réunies les conditions d'un procès équitable aboutissant à une décision indiscutable. Nous ne cesserons de vous le rappeler.
Mais voilà que, en droit commun, on pourrait de plus en plus se passer du juge pour fixer une peine, sauf à lui laisser le faire sans audience contradictoire.
Déjà, depuis 2002 - l'an dernier ! - le procureur peut faire comparaître les délinquants en comparution immédiate chaque fois que la peine encourue est comprise entre six mois et dix ans d'emprisonnement. Large fourchette !
Mais il reste un inconvénient : le suspect comparaît alors devant une juridiction qui reste collégiale.
Or la collégialité - pourtant si nécessaire à une saine justice parce qu'il y a plus de matière grise dans trois têtes que dans une seule et parce que nul ne sait qui a voté quoi - la collégialité, dis-je, en dépit de l'adage « Juge unique, juge inique » est, par le texte qui nous est soumis, plus que jamais mise à mal.
D'où les propositions faites de mettre à la disposition du procureur trois autres procédures, toutes trois ouvertes à lui dès lors que la peine encourue serait inférieure ou égale à cinq ans d'emprisonnement : la composition pénale, l'ordonnance pénale, le « plaider-coupable », autrement dit la comparution après reconnaissance préalable de culpabilité.
La composition pénale, créée en 1999, appliquée pour la première fois en 2001, déjà modifiée en 2002, était alors relative à quinze, puis à seize infractions dont le rapporteur, notre excellent collègue Pierre Fauchon, disait au Sénat, le 17 juin 1988 : « Il faut bien comprendre que ce qui est en cause, c'est le tout petit contentieux, un contentieux qui n'appelle même pas une médiation, procédure beaucoup trop compliquée et trop longue (...) au regard des faits considérés. »
La peine - retrait du permis de conduire ou du permis de chasse pour un maximum de quatre mois, réparation du dommage, amende de composition - ne peut qu'être validée, et non pas modifiée, par le président du tribunal. Ce n'est donc pas lui qui fixe la peine.
On nous demande aujourd'hui que cette procédure, avec quasiment les mêmes peines - auxquelles il faut ajouter l'interdiction d'émettre des chèques, d'utiliser des cartes de paiement, l'obligation de remise du passeport, le tout pour six mois au plus - soit appliquée à quarante-neuf infractions dont, parmi les nouvelles, les infractions suivantes : les violences aggravées sur mineurs, personnes vulnérables, ascendants ; les agressions sexuelles autres que le viol, qui entraîneraient l'inscription à un fichier pendant quarante ans et pourraient faire l'objet d'une procédure discrète de « plaider-coupable » sur laquelle je reviendrai dans un instant ; la cession ou l'offre illicite de stupéfiants à une personne en vue de sa consommation personnelle ; le fait de ne pouvoir justifier de ses ressources en étant en relation avec un trafiquant de stupéfiant ; la provocation au suicide d'un mineur ; l'abus frauduleux aggravé de l'état de faiblesse ou d'ignorance ; le fait de compromettre sciemment la sécurité d'un aéronef ; le recours aggravé à la prostitution d'un mineur ; la provocation d'un mineur à l'usage illicite de stupéfiants ; la provocation d'un mineur à commettre un crime ou un délit ; le vol aggravé ; le chantage ; l'escroquerie ; le maintien ou la reconstitution d'un groupe de combat après dissolution ; l'organisation d'un groupe de combat ; la concussion ; la prise illégale d'intérêt ; le trafic d'influence actif ; le fait de fournir à la personne auteur ou complice d'un crime ou d'un acte terroriste un logement ou des subsides ; le témoignage mensonger fait sous serment ; l'aide à l'évasion d'un détenu par violence, effraction ou corruption ; le faux en documents publics et l'usage de faux ; la participation à une association de malfaiteurs ; l'abus de biens sociaux.
Il faut tout de même savoir de quoi on parle : ces tout petits délits, ce tout petit contentieux, qu'évoquait il n'y a pas si longtemps notre collègue Pierre Fauchon, deviendraient aujourd'hui un contentieux très important pour des faits très graves qui ne pourraient quasiment plus être punis.
Pour ces mêmes délits, le procureur pourrait avoir recours, et seulement depuis la loi du 9 septembre 2002 - c'était hier ! - à l'ordonnance pénale, ce qu'il ne peut faire aujourd'hui que pour les contraventions connexes au code de la route et aux délits en matière de réglementation relative aux transports terrestres.
Avec cette procédure, c'est bien le président du tribunal qui fixe la peine. Mais il le fait sans débat contradictoire ! Et le malheureux qui voudrait faire opposition se verrait évidemment débouté, pour ne pas risquer de voir tout le monde faire opposition. C'est le cas, on le sait, en matière de contraventions de police.
Notre rapporteur nous propose la suppression de cette disposition. Mon intervention vise le texte en général, dans la rédaction issue de l'Assemblée nationale, mais je tiens également, pour ma part, à rendre hommage à notre rapporteur pour le travail approfondi qu'il a accompli avec ses collaborateurs. Même si, à notre avis, il aurait fallu aller beaucoup plus loin, c'est déjà bien et tellement inhabituel dans notre maison que je ne peux pas ne pas le reconnaître !
Enfin, last but not least - puisqu'on parle de plea bargaining - toujours pour les mêmes délits, serait créée une procédure dite de « plaider-coupable ». Le procureur peut déjà classer sans suite ou proposer une médiation. Mais il peut aussi avoir le choix entre plusieurs solutions : le recours à la comparution immédiate et, pour les mêmes délits, à la composition pénale, le recours à l'ordonnance pénale que prévoit le projet de loi, ou bien à la procédure dite de « plaider-coupable » dans laquelle le président du tribunal se verrait contraint de valider, en audience non publique...,
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Ah !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je dis bien en audience non publique !
La commission des lois du Sénat ne l'accepte pas et elle a raison. Nous en débattrons. Mais il est tout de même intéressant de savoir ce que nous propose le Gouvernement avec l'aval de l'Assemblée nationale. Le président du tribunal devra en audience non publique soit valider, soit refuser un accord passé directement entre le procureur et le présumé délinquant - il peut arriver que des personnes non coupables soient poursuivies - accord portant sur une peine maximale de six mois, avec ou sans sursis, voire une amende. La commission des lois propose de porter la peine à un an. Or, un an pour les faits et les infractions que j'ai rappelés précédemment, c'est évidemment très peu.
Voilà une procédure qui a le mérite d'être, à défaut d'un classement sans suite, d'une discrétion absolue ! Et il est évident que telle ou telle personnalité qui se serait livrée à un trafic d'intérêt, à une concussion, pourrait se voir proposer un arrangement et cet arrangement serait discrètement validé par un juge, puisqu'il y aurait accord entre le procureur et l'avocat, étant entendu que le magistrat ne peut pas fixer la peine.
Une délégation de la commission s'est rendue aux Etats-Unis pour y enquêter sur la procédure du « plaider-coupable » telle qu'elle y est appliquée. Nous avons pu constater qu'elle n'a aucun rapport avec celle qui nous est proposée.
Aux Etats-Unis, pour tout crime, comme pour tout délit, il n'y a pas de juridictions régionales ou interrégionales. La règle veut que ce soit le jury qui statue sur la culpabilité et le juge qui fixe la peine dans une fourchette très vaste qui résulte des chefs d'accusation retenus et dont le maximum peut atteindre des centaines d'années de prison, puisque les peines s'ajoutent.
Par la procédure du plea bargaining, procureur et avocat s'entendent pour abandonner certains chefs d'accusation, ce qui réduit la fourchette de la peine possible, fourchette qui reste très large, après quoi le juge fixe la peine.
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Pas partout !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le résultat est, au total, qu'il y a aux Etats-Unis, en prison de très longue durée, 2 millions de personnes, soit 1,8 % de la population, malgré les nombreuses condamnations à mort, alors que nos prisons sont surchargées avec 60 000 détenus, soit 1 .
En tout état de cause, les deux procédures n'ont rien à voir : aux Etats-Unis, les procureurs sont élus et les juges sont nommés à vie par le Sénat, sur proposition de l'hôte de la Maison Blanche.
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Mais non !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. La règle, c'est le jury, mais il est vrai que, dans la pratique, c'est l'exception qui l'emporte et c'est le plea bargaining qui est pratiqué à 95 %. Toutefois, c'est toujours le juge qui fixe la peine, ce qui n'est pas le cas dans les trois procédures identiques qui nous sont proposées pour pouvoir échapper à un véritable procès devant une juridiction collégiale.
Le temps nous est tellement limité qu'il n'est pas question pour nous de nous prononcer dans le cadre de cette discussion générale sur chacun des quatre-vingt-quatre articles que compte actuellement le projet de loi qui nous est soumis et qui visent de très nombreux articles du code de procédure pénale.
Je n'ai pris que quelques-uns des nombreux exemples qui font que, oui, vraiment, quant je considère ce texte, j'ai mal à ma justice ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des lois.
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je souhaite simplement apporter une rectification à ce qu'a dit notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt : la plupart des juges des Etats sont non pas nommés à vie, mais élus. Quant aux procureurs, ils sont généralement nommés. (M. Robert Badinter fait un signe de dénégation.) Je parle des procureurs des Etats, pas des procureurs fédéraux !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ils sont élus !
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Pas tous ! Cela dépend des Etats !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Je répondrai aussi brièvement que possible aux différents orateurs et j'apporterai quelques informations complémentaires.
Je souhaite d'abord remercier M. Othily, qui a bien voulu confirmer l'essentiel du diagnostic que nous avons établi.
S'agissant de la définition géographique des juridictions interrégionales, je réfléchis en particulier au problème des départements et territoires d'outre-mer, afin que nous puissions y traiter dans de bonnes conditions et comme dans les autres parties du territoire français de la criminalité organisée qui peut y sévir.
Pour ce qui est la judiciarisation de la société, monsieur Othily, vous avez raison d'évoquer cette question. Il me paraît effectivement utile de diversifier la réponse judiciaire.
Si nous voulons qu'une réponse judiciaire soit apportée dans tous les cas, il faut évidemment mettre en place différents moyens permettant d'y parvenir. Sinon, le dispositif sera vite engorgé et l'institution judiciaire fonctionnera très mal.
M. Badinter a dit, comme M. Dreyfus-Schmidt, que la justice pénale souffrait de trop de réformes. Dans le même temps, il nous a indiqué qu'il fallait tout reprendre. On ne peut pas à la fois me reprocher de modifier trop d'articles du code de procédure pénale et me demander de le reprendre entièrement !
S'il s'agissait de modifier les procédures en vigueur de façon trop fréquente, je partagerais votre analyse, monsieur le sénateur. Le propos d'aujourd'hui n'est pas celui-là : le présent texte tend à donner aux juges des moyens supplémentaires et adaptés pour répondre à des réalités diverses. Il ne s'agit donc pas de complexifier le dispositif.
Par ailleurs, je me permets de rappeler que c'est la première fois que notre code comportera une définition de la criminalité organisée. La procédure spécifique correspondant à cette criminalité organisée est donc ainsi clairement précisée.
Je souhaite également revenir sur un reproche formulé par M. Badinter en ce qui concerne la justice économique et financière. Je n'accepte pas ce reproche !
Un certain nombre de pôles économiques et financiers ont été créés au cours de ces dernières années ; certains fonctionnent, d'autres pas. Ce n'est pas de mon fait ! Je propose que l'ensemble des juridictions interrégionales aient compétence en matière économique et financière. A l'évidence, c'est une amélioration par rapport à la situation que m'a léguée l'ancienne majorité. A cet égard, les choses sont claires et l'on ne peut pas me faire un reproche de cette nature.
De même, en ce qui concerne les moyens de procédure, certains permettront justement de lutter plus efficacement contre la criminalité organisée et sa composante financière.
Quant à l'amélioration de la coopération judiciaire internationale, c'est un élément extrêmement positif, en particulier pour lutter contre la délinquance financière.
Pour ce qui est de l'effectivité du contrôle des parquets, à l'évidence, ce contrôle doit pouvoir s'exercer. C'est la raison pour laquelle je crois très profondément à l'importance de ce que j'ai appelé les « plateaux techniques ». Dans sept à neuf juridictions interrégionales, ceux-ci permettront à des magistrats spécialisés ayant un profil particulier et une expérience suffisante de réaliser un travail de grande qualité.
Tout à l'heure, certains ont évoqué la nécessité pour le parquet de diriger la police judiciaire. Eh bien ! justement, à l'heure où la police judiciaire est en train de se réorganiser dans des structures interrégionales, il est indispensable que l'institution judiciaire se réorganise aussi. Sinon, nous aurons cent quatre-vingt-trois procureurs de la République d'un côté et une dizaine de structures interrégionales de police judiciaire de l'autre. Croyez-vous vraiment que les cent quatre-vingt-trois procureurs de la République pourront faire le travail de direction de la police judiciaire ainsi réorganisée ?
C'est précisément parce que je souhaite que le parquet puisse effectuer ce travail en bonne intelligence avec les services de police judiciaire, qu'il s'agisse de la police ou de la gendarmerie, que je procède à cette réorganisation sur les dossiers qui nécessitent un suivi très attentif.
En ce qui concerne les procédures dites « rapides », dans de nombreux cas, en particulier pour les petits délits, il est impératif d'accélérer le processus si nous voulons que les Françaises et les Français se réconcilient avec la justice de notre pays.
M. Fauchon a suggéré, à juste titre, de parachever la démarche qui va nous conduire au mandat d'arrêt européen et je le remercie d'avoir porté cette réforme.
S'agissant du « plaider-coupable », en introduisant ce mécanisme dans le projet de loi, j'ai fait, c'est vrai, une sorte de pari, au meilleur sens du mot, et vos avis, vos consultations, votre travail me confortent dans cette voie. Après en avoir longuement discuté avec nombre de professionnels du droit, qui, au départ, avaient exprimé, pour certains d'entre eux, un certain étonnement par rapport à cette innovation, je peux affirmer qu'aujourd'hui beaucoup considèrent que cela permettra d'améliorer véritablement le traitement de nombreux dossiers.
M. Hyest a évoqué les pôles financiers. Je confirme ce que j'ai dit tout à l'heure : jusqu'à aujourd'hui, les pôles financiers ne traitaient que des affaires concernant la cour d'appel dans laquelle ils étaient installés, donc un très petit nombre d'affaires. Dorénavant, l'ensemble des dossiers susceptibles d'intéresser les juridictions interrégionales pourront être traités par ces juridictions.
Madame Borvo, pardonnez-moi de vous le dire, votre présentation du projet de loi m'a paru quelque peu caricaturale. Je soulignerai simplement que ce texte apporte des moyens supplémentaires à la justice. Avec la loi d'orientation et sa mise en oeuvre budget après budget, des moyens en termes de personnels, de crédits de fonctionnement, de crédits d'investissement sont apportés à la justice. Mais, comme l'a rappelé M. Balarello, ma démarche vise aussi à simplifier le dispositif en vigueur et à donner à la justice des moyens complémentaires en termes de procédures.
Les juridictions spécialisées dont j'ai parlé tout à l'heure sont aussi des moyens supplémentaires donnés à l'institution judiciaire et qui lui permettront de mieux remplir sa tâche. Il en est de même des nouvelles procédures qui sont mises à la disposition des magistrats et que ceux-ci utiliseront, en fonction, bien sûr, de leur sentiment, de leur appréhension des affaires, de la manière dont ils concevront leur devoir.
Vous avez évoqué les prisons. Vraiment, si tout allait bien au printemps 2002 dans les prisons françaises, cela se serait su ! Aujourd'hui, en tant que ministre, trois améliorations me paraissent indispensables sur le plan humain.
Tout d'abord, je veux que, dans cinq ans, soit mis un terme à la situation que connaissent certains établissements.
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Ensuite, je ne veux plus que, dans cinq ans, un seul mineur purgeant une peine de prison soit en contact avec des adultes.
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Cela, personne ne l'a fait avant moi ! Je vais donc créer des établissements spécialisés pour mineurs et poursuivre la réhabilitation qui est déjà engagée - elle est en train de s'accélérer - des quartiers pour mineurs des prisons pour adultes : aucune communication ne sera possible entre le secteur des mineurs et celui des adultes.
En outre, je me bats, avec M. Warsmann et un certain nombre d'autres parlementaires, députés et sénateurs, pour que soit enfin conduite une politique d'alternative à la prison qui soit digne de ce nom. On peut toujours faire des discours ! En vérité, depuis cinq ans, le nombre de condamnations à des travaux d'intérêt général a diminué dans ce pays et le système du bracelet électronique n'a jamais fonctionné, jusqu'à cette année. C'est moi qui ai fait en sorte que, grâce au texte qui a été voté par la majorité parlementaire sur le bracelet électronique, ce dispositif puisse se développer : actuellement, le nombre de personnes concernées s'élève à 350 ; mon objectif est d'arriver à 2 000.
Voilà ce que je veux faire ! Certes, avant, des discours ont été prononcés, un avant-projet de loi a été élaboré, mais, concrètement, que s'est-il passé ? Absolument rien pendant les cinq années du gouvernement Jospin ! Voilà la vérité ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
S'agissant des délinquants sexuels, nous sommes dans une situation extrêmement préoccupante, qui résulte sans doute de deux phénomènes. Le premier tient aux statistiques. Jusqu'à présent, de nombreux délits n'apparaissaient pas, car la société ne voulait pas en entendre parler. Ce phénomène est très difficile à évaluer. Le second phénomène réside dans l'aggravation réelle des choses, dans de nombreux domaines différents ; il serait trop long de les énumérer. Cette situation est très inquiétante pour les enfants, pour les jeunes filles et pour les jeunes femmes.
Il est indispensable de conduire une politique globale dans ce domaine. Certes, et vous l'avez souligné à juste titre, le suivi psychologique et médical n'est pas satisfaisant. Il est tout à fait anormal qu'aujourd'hui un grand nombre de malades qui relèvent des établissements psychiatriques soient pris en charge par les médecins de l'administration pénitentiaire. Les derniers font un travail extraordinaire, malgré de grandes difficultés.
C'est ce que nous avons inscrit dans la loi de septembre 2002. Avec mon collègue Jean-François Mattei, j'ai l'intention de faire en sorte que les unités psychiatriques à caractère pénitentiaire se développent le plus rapidement possible.
En matière de délinquance sexuelle, nous devons effectivement améliorer le suivi médical et psychiatrique. Pour autant, vous le savez bien - un certain nombre de médecins s'expriment sur ce sujet -, les choses ne sont pas simples. Les risques seront toujours importants. C'est la raison pour laquelle il est indispensable de mettre en place un fichier des délinquants sexuels. Il sera placé, bien sûr, sous le contrôle du juge. J'approuve donc les propositions qui ont été formulées par M. Zocchetto.
Enfin, M. Dreyfus-Schmidt a évoqué un certain nombre de sujets sur lesquels j'ai déjà répondu en partie. Je lui dirai simplement qu'en matière de moyens accordés à l'institution judiciaire le projet de loi qui vous est proposé est un texte d'efficacité.
Comment regretter, par exemple, la mise en place des juridictions interrégionales ? La France ne peut pas vivre dans un monde virtuel. Tous les pays démocratiques européens ont instauré ce type de procédure. Les Pays-Bas, par exemple, comptent une seule juridiction pour la criminalité organisée.
Par conséquent, l'ensemble de ces pays ont bien compris la nécessité d'avoir une organisation spécialisée, professionnalisée, avec des assistants de justice et un certain nombre d'experts, pour pouvoir mener ce type d'action.
Quant aux procédures exceptionnelles qui sont prévues pour ce type de délinquance, l'ensemble des pays démocratiques occidentaux suivent cette évolution.
Lors de la réunion du G 8, à Paris, des ministres de la justice et de l'intérieur, j'ai fait part de mes interrogations sur la sonorisation, car moi aussi je me pose des questions à cet égard ; j'en ai parlé avec M. Blunkett, ministre britannique de l'intérieur, mais aussi, pour partie, ministre de la justice, puisque leur organisation est différente de la nôtre. Du reste, ces dispositions ne figuraient pas dans le projet de loi initial : elles ont été introduites par l'Assemblée nationale, avec mon accord et après un débat auquel j'ai participé. Le ministre britannique s'est déclaré surpris et m'a dit qu'en Grande-Bretagne ce système existait depuis des années pour un certain nombre d'actes criminels.
Bien entendu, ce n'est qu'un exemple, qui n'a pas valeur de doctrine. Mais ne faites pas semblant de croire que le Gouvernement actuel est en train d'inventer des formules exceptionnelles et totalement contraires aux traditions démocratiques de notre continent européen. Il n'en est rien ! Il s'agit d'une démarche qui est adoptée dans beaucoup d'autres pays. D'ailleurs, de nombreuses organisations internationales demandent aux Etats de développer leur capacité de lutte contre la criminalité organisée, notamment, la criminalité financière, contre le terrorisme et contre toutes les organisations professionnelles que j'évoquais tout à l'heure.
C'est la raison pour laquelle, après avoir beaucoup travaillé - M. Balarello a eu l'amabilité de le souligner lors de son intervention extrêmement technique et très documentée - j'ai estimé qu'il était de mon devoir, en tant que ministre de la justice, de donner à notre institution judiciaire des moyens nouveaux, en termes aussi bien d'organisation que de procédure. Nous devons en effet faire face à une criminalité dont le développement est extrêmement rapide et contre laquelle notre institution judiciaire n'a pas les moyens, aujourd'hui, de lutter à armes égales.
Tels sont les quelques éléments complémentaires que je souhaitais apporter au Sénat. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste).