COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. SERGE VINÇON
vice-président
M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
COMMUNICATION RELATIVE
À UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE
M. le président. J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine est parvenue à l'adoption d'un texte commun.
RÉFORME DES RETRAITES
Adoption des conclusions modifiées
d'une commission mixte paritaire
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 417, 2002-2003) de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant réforme des retraites.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Dominique Leclerc, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, réunie hier à l'Assemblée nationale, la commission mixte paritaire sur le présent projet de loi portant réforme des retraites est parvenue à un accord sur les soixante-sept articles qui restaient en discussion.
Je vous rappelle que le texte que nous avait transmis l'Assemblée nationale comportait 108 articles. La convergence entre nos deux assemblées était donc grande dès la première lecture, puisque 53 articles ont été adoptés conformes par le Sénat, notre assemblée ayant toutefois ajouté 12 articles additionnels.
Dans ce contexte de dialogue constructif avec l'Assemblée nationale, il n'est guère étonnant que la commission mixte paritaire soit parvenue à un texte commun et que ce dernier comporte trente articles dans la rédaction issue de nos travaux.
Il est en outre notable qu'un grand nombre des quarante articles adoptés dans une rédaction propre à la commission mixte paritaire l'aient été en raison de modifications d'ordre rédactionnel ou de coordination.
Je ne reviendrai pas sur les apports du Sénat que traduisent l'ensemble de ces articles. Je ne mentionnerai à ce stade que quatre observations.
Tout d'abord, les dispositions du titre Ier ont fait l'objet d'un large consensus au sein de la commission mixte paritaire.
Seuls les articles 2 et 9 ont été adoptés dans la rédaction de l'Assemblée nationale.
A l'article 6, la commission mixte paritaire a précisé que la commission de compensation est éventuellement consultée sur le versement des acomptes. Il faut bien entendre cette précision comme le fait que cette commission sera saisie pour avis dès lors qu'il y a versement d'acomptes. Ces derniers n'étant pas systématiques, la saisine est donc éventuelle.
De manière harmonisée, la commission mixte paritaire a décidé d'affecter au fonds de solidarité vieillesse, le FSV, plutôt qu'au fonds de réserve pour les retraites les sommes qui pouvaient être çà et là débloquées.
Cette décision traduit la volonté de la commission mixte paritaire de participer au sauvetage d'un fonds qui garantit, on le sait bien, la prise en charge du non-contributif, c'est-à-dire de la solidarité dans l'assurance vieillesse, et dont la situation financière est aujourd'hui fortement dégradée.
J'aurais voulu, mes chers collègues, vous annoncer que le dispositif de surcote au bénéfice des carrières longues, que nous avons voté ici en première lecture avec l'accord du Gouvernement, figurerait dans le texte final.
La commission mixte paritaire a, en toute logique, retenu l'argumentation du Sénat. Mais J'ai noté que le Gouvernement a déposé et fait adopté ce matin un amendement à l'Assemblée nationale qui revient sur notre proposition.
Nous serons invités, dans un moment, à nous prononcer par un seul vote sur l'ensemble du texte incluant ces amendements. Sans remettre en cause la qualité du texte qui nous est soumis, je défendrai, en quelque sorte à titre posthume, le dispositif que nous avions voté et qui s'inscrivait parfaitement dans la logique d'un projet de loi qui vise avant tout à valoriser le choix des assurés de demeurer en activité.
Les arguments développés par l'exposé des motifs de cet amendement m'étonnent, et je ne le cacherai pas.
Notre dispositif aurait soulevé des difficultés de gestion. Pour y répondre, et pour prix d'un avis favorable, vous aviez demandé, monsieur le ministre, que son application soit différée à 2006, ce que la commission avait accepté sans difficulté.
Ce dispositif aurait en outre entraîné une inégalité de traitement entre « carrière longue » dans le secteur privé et « carrière longue » dans le secteur public. En réalité, l'introduction de la surcote ne provoquait pas en elle-même d'inégalité. Elle ne résolvait pas, il est vrai, celle qu'ouvre de facto l'article 16 lui-même, le dispositif relatif aux carrières longues prévu par cet article n'ayant pas d'équivalent dans la fonction publique.
Notre collègue Mme Desmarescaux avait déposé un amendement, tombé sous le coup de l'article 40 de la Constitution, qui étendait le dispositif « carrière longue » à la fonction publique. Je continue pour ma part à penser que nous sommes, dans ce cas, face à une logique très différente et que notre disposif se justifiait non pas au nom de l'égalité, mais au nom de l'équité.
Sur le dispositif de rachat des années d'études, la commission mixte paritaire a adopté le principe d'une condition de diplôme et a étendu cette faculté de rachat des années d'études effectuées dans d'autres Etats de l'Union européenne.
Les dispositions relatives au titre III ont, elles aussi, fait l'objet d'un examen consensuel. Toutefois, deux dispositions, à l'article 32 et à l'article 47 bis, ont fait l'objet d'une suppression par la commission mixte paritaire, suppression sur laquelle le Gouvernement nous invite, par amendement, à revenir.
Demeurait enfin la question de l'étage facultatif prévu, à l'issue de l'examen du texte par l'Assemblée nationale, dans le régime additionnel des fonctionnaires. Des arguments plaidaient dans le sens du maintien, d'autres dans le sens de la suppression. Le président de la commission et moi-même avions formulé des réserves sur ce dispositif lors de son examen en première lecture par notre assemblée.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est vrai !
M. Dominique Leclerc, rapporteur. La commission mixte paritaire a entouré le dispositif de précisions nouvelles. Le Gouvernement a, semble-t-il, fait siennes les réserves formulées ici et propose à présent la suppression de cet étage additionnel.
Je note à regret encore que l'article 42 ter a été supprimé par l'Assemblée nationale. Nous avions souhaité affirmer le caractère interministériel de la gestion des pensions de l'Etat. Le rapport de la Cour des comptes que nous avons évoqué à plusieurs reprises a révélé dans toute son ampleur la limite d'une telle gestion par un seul ministère.
Le Gouvernement a proposé de retirer ce que nous estimions être une avancée décisive vers un système beaucoup plus transparent, au motif qu'il s'agit d'une mesure d'ordre réglementaire.
Pour ma part, je retiens que, si nous avons - c'est peut-être un « péché véniel » - placé une disposition d'ordre réglementaire dans la partie législative du code des pensions,...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Eh oui !
M. Dominique Leclerc, rapporteur. ... qui en contient au demeurant beaucoup, nous avons également supprimé des dispositions illégales, inconventionnelles, inapplicables ou censurées par la justice que nul n'avait songé à remettre en cause.
A ce titre, nous avons commencé à faire des fonctionnaires en retraite des retraités comme les autres.
Je dirai enfin un mot sur l'épargne retraite. En première lecture, notre assemblée avait très clairement exprimé le souhait que le développement de l'épargne retraite ne se fasse pas au détriment de la participation et de l'épargne salariale. Nous nous étions alors engagés à approfondir cette question en commission mixte paritaire. Les conclusions que nous examinons aujourd'hui ont pris en compte cette préoccupation. Ainsi, la possibilité pour un salarié de faire des versements facultatifs dans les régimes de retraite supplémentaire doit être assortie d'une possibilité parallèle de faire des versements sur un plan d'épargne d'entreprise.
Nous avions également, en première lecture, souhaité ne pas entraver le développement des plans partenariaux d'épargne salariale volontaire pour la retraite, les PPRESVR, par une augmentation de la taxe pesant sur l'abondement des employeurs. Cela aurait eu, pensons-nous, un effet dissuasif. Là encore, la commission mixte paritaire a permis de prendre en compte cette préoccupation : la taxe sera maintenue à son niveau actuel.
En conclusion, mes chers collègues, le texte que nous sommes invités à adopter constitue - nous en sommes tous convaincus - une très grande avancée, même si, çà et là, nous aurions pu aller plus loin.
Vous avez su, monsieur le ministre, oser une réforme qui n'était pas acquise et doser équitablement les efforts devant être demandés à chacun.
Mais, et cela fut dit à de nombreuses reprises, ce texte ne constitue qu'une étape, car il ne règle pas tout.
Des perspectives sont tracées, des échéances annoncées, des espaces de négociations sont à présent ouverts : je pense à la pénibilité et à l'emploi des salariés expérimentés. Sans avancée sur ces points, la réforme que nous allons voter ne serait qu'un demi-succès. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Président de la République avait promis à nos concitoyens qu'il sécuriserait l'avenir de nos retraites. Cette promesse devrait être tenue dans quelques heures grâce à votre vote.
Nous sommes donc au tout dernier acte de cette réforme. Le débat parlementaire a permis d'enrichir et de compléter utilement notre texte. Le projet de loi portant réforme des retraites comprenait initialement 81 articles. Au terme de la discussion parlementaire, 35 articles auront été adoptés sur l'initiative des assemblées. Cette loi devrait ainsi comprendre un total de 116 articles.
Les principes fondamentaux qui inspirent notre réforme des retraites, celui de l'effort équitable et partagé, celui de la justice, celui, enfin, de la liberté et de la responsabilité ont été protégés et précisés par le Parlement. L'équilibre du projet de loi a été respecté. Son contenu, grâce aux apports des deux assemblées, a été renforcé.
Lors de son examen du texte, du 10 juin au 3 juillet 2003, l'Assemblée nationale avait solennellement réaffirmé la sauvegarde des régimes de retraite par répartition, en adoptant ce qui était le résultat d'une négociation entre le Gouvernement et les partenaires sociaux.
Dans son souci d'enrichissement et d'amélioration du texte, elle avait particulièrement mis l'accent sur la question du maintien dans l'emploi des salariés expérimentés, renvoyant à la commission nationale de négociation collective et à une conférence tripartite le soin de l'étude de cette question avant les rendez-vous prévus en 2008, en 2012 et en 2016.
Elle avait souhaité l'adoption d'une disposition invitant les partenaires sociaux à négocier sur les conditions de travail des salariés expérimentés, sur la prise en compte de la gestion prévisionnelle des emplois et le développement des compétences, enfin sur les conditions particulières de cessation d'activité des salariés ayant accompli des travaux pénibles.
Une attention particulière avait été portée aux avantages familiaux et conjugaux de retraite.
Ainsi, une majoration de durée d'assurance avait été créée pour les parents d'enfants gravement handicapés.
S'agissant des régimes de la fonction publique, l'Assemblée nationale avait adopté un amendement tendant à instaurer une majoration de durée d'assurance d'une durée de six mois pour les femmes ayant un enfant après le 1er janvier 2004, même si celles-ci n'interrompent pas ou ne réduisent pas leur carrière professionnelle.
Elle avait souhaité l'assouplissement des conditions d'entrée dans le dispositif de la cessation progressive d'activité : 57 ans, au lieu de 58 ans dans le texte initial.
Enfin, sur proposition du Gouvernement, l'Assemblée nationale avait adopté, à l'article 79, un amendement précisant les modalités de fonctionnement du plan d'épargne individuelle pour la retraite, le PEIR.
En première lecture, le Sénat a confirmé l'essentiel des modifications apportées par l'Assemblée nationale.
En effet, 53 articles ont été adoptés conformément au vote de l'Assemblée nationale, 51 articles ont été adoptés après modifications, et 4 articles ont été supprimés.
Ses principales modifications ont complété les ajouts apportés par l'Assemblée nationale.
Votre assemblée a ainsi adopté un amendement particulièrement remarqué permettant aux personnes gravement handicapées de pouvoir partir à la retraite avant 60 ans.
Elle a inclus les avocats dans le champ de la réforme, en leur donnant la possibilité de partir avant 65 ans sans minoration de leur pension, s'ils justifient de la durée d'assurance tous régimes nécessaires.
S'agissant des dispositions relatives à l'épargne retraite, le Sénat a notamment adopté des dispositions permettant une meilleure transition entre le PPRESV ou plan partenarial d'épargne salariale volontaire, et le PPRESVR, le plan partenarial d'épargne salariale volontaire pour la retraite. Sur l'initiative du Gouvernement, il a adopté deux amendements assurant, pour le premier, la cohérence du prélèvement social sur les régimes de retraite « chapeau », c'est-à-dire les régimes dits de l'article 3 et, pour le second, la sécurisation des institutions de retraite supplémentaire.
Au-delà de ces apports, je voudrais également remercier le Sénat pour son travail de bonne écriture de la loi, travail traditionnel dans cette assemblée.
Mes félicitations iront ainsi tout particulièrement au rapporteur, M. Dominique Leclerc, au président de la commission des affaires sociales, M. Nicolas About, ainsi qu'au rapporteur pour avis de la commission des finances, M. Adrien Gouteyron.
Ce matin, devant l'Assemblée nationale, le Gouvernement a présenté un nombre très limité d'amendements au texte adopté par la commission mixte paritaire, visant essentiellement à revenir sur deux propositions.
La première proposition est le dispositif de « surcote spécifique » mis en place, sur votre initiative, pour les personnes âgées de moins de 60 ans satisfaisant aux conditions de départ anticipé et décidant de rester néanmoins en activité.
Je sais que cette disposition vous tenait à coeur, monsieur le rapporteur. Je n'y étais pas moi-même insensible. Elle répondait bien évidemment à un objectif louable : favoriser le maintien en activité.
Mais au-delà de la difficulté de gestion pour les régimes, son articulation apparaît trop complexe par rapport au dispositif de surcote mis en place au-delà de 60 ans pour les personnes disposant de la durée d'assurance nécessaire. J'y reviendrai dans le cadre de la présentation des amendements.
Un amendement de fond est présenté par le Gouvernement sur le régime additionnel des fonctionnaires. L'Assemblée nationale, puis le Sénat, puis la commission mixte paritaire ont imaginé une formule permettant des versements à la discrétion des fonctionnaires, mais à chaque fois avec des règles différentes.
A la réflexion, par souci de clarté, le Gouvernement préfère s'en tenir à l'idée que les régimes obligatoires reçoivent seulement des cotisations obligatoires et les régimes facultatifs, des contributions facultatives. C'est plus simple et moins controversé au regard du droit de la concurrence.
Mesdames et messieurs les sénateurs, la communauté de vues qui s'est formée entre l'Assemblée nationale et le Sénat, à la fois sur le projet de loi et sur les éléments d'amélioration à y apporter, a grandement facilité le travail de la commission mixte paritaire.
Je me réjouis naturellement qu'un texte commun, sur un sujet aussi important, ait pu être trouvé entre les deux assemblées.
C'est la démonstration d'une volonté forte, du Gouvernement et du Parlement, de conforter le modèle social de notre pays. A un moment où il était de bon ton de dire que la France était hermétique aux réformes, la preuve est apportée que le changement est possible dès lors qu'il est le fruit du dialogue, du courage, mais aussi de la détermination.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. François Fillon, ministre. C'est ensuite un message d'unité de la majorité et de sa volonté d'engager la modernisation de notre pays.
C'est enfin le signe d'une double fidélité : la fidélité à notre héritage social légué par le gouvernement du général de Gaulle au lendemain de la Libération et la fidélité à l'égard des engagements pris par le Président de la République devant les Français. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe socialiste, 21 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 9 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous arrivons au terme de la phase parlementaire de la réforme des retraites sans que l'on puisse vraiment se satisfaire des débats que nous avons eu, au sein de cette assemblée, où le Gouvernement et sa majorité ont usé et abusé des procédures - dont le recours à l'irrecevabilité financière et au vote bloqué - pour mettre hors jeu les amendements déposés par les groupes parlementaires, le nôtre principalement, sur des articles clés du projet de loi.
Résultat, nous n'avons pas pu présenter et défendre les propositions que nous faisions : pour garantir un haut niveau de retraite aux salariés payés au SMIC, pour préserver le droit à la retraite à 60 ans, pour revenir sur l'allongement de la durée de cotisation, pour permettre le départ en retraite avant 60 ans dès l'obtention de 40 annuités, pour revaloriser l'ensemble des pensions et pour la validation de certaines périodes.
Aujourd'hui, les principaux membres de la majorité gouvernementale ont beau jeu de répondre - je vous renvoie à la lecture d'un article qu'ils ont cosigné dans le Figaro de ce matin - que l'opposition « sans arguments - sans contre-projet réel et crédible, a préféré l'obstruction ».
M. Alain Gournac. C'est vrai !
M. Guy Fischer. S'il avait fallu fonder le débat parlementaire sur ce que les sénateurs de la majorité ont apporté tout au long de ces quinze jours, croyez-moi, il aurait été bien léger.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ont cherché à susciter le débat en présentant et en défendant des propositions cohérentes, progressistes, certes diamétralement opposées aux choix ultra-libéraux du Gouvernement, mais qui avaient le mérite de prouver que des alternatives à l'allongement de la durée de cotisation et à l'appauvrissement des retraités existaient.
Dans la mesure où, avant même que nous engagions la discussion, le Gouvernement, sûr de lui, affirmait qu'il était allé au bout du possible et qu'il n'y avait pas de solution alternative à sa réforme, notre marge de manoeuvre, comme celle des syndicats d'ailleurs, était plus que réduite, voire inexistante.
Sur un tel sujet, véritable enjeu de société, « interrogeant notre modèle social », la recherche de l'adhésion de chacun au projet, aux évolutions envisagées pour répondre au défi de l'allongement de l'espérance de vie, aurait dû être privilégiée.
Au contraire, la méthode suivie par ce gouvernement, peu respectueuse du dialogue social - il y aura des effets collatéraux, ne croyez pas que vous serez quittes -, privilégiant le passage en force et la négociation avec des syndicats minoritaires, « a montré ses limites en suscitant colère et frustration dans le camp syndical majoritaire », comme le note Delphine Girard dans un article de La Tribune d'aujourd'hui.
Demain, vous pourrez toujours vous féliciter d'avoir réussi à réformer « en respectant le cap, le calendrier, la méthode ». Mais, en conscience, vous ne pourrez vous prévaloir d'avoir réussi à convaincre l'ensemble des Français du bien-fondé de votre réforme, de l'opportunité des solutions retenues et de leur efficacité pour sauvegarder nos régimes de retraite par répartition.
Le fait que le chef de l'Etat lui-même, dans sa traditionnelle allocution du 14 juillet, ait pris le soin d'appeler le Gouvernement à un intense travail de communication, d'explication sur la réforme des retraites - ce qui, par parenthèse, intervient un peu tard - prouve, s'il en était besoin, que les Français n'adhèrent pas aux décisions politiques prises.
Vous êtes conscients « que la réforme n'est pas terminée », comme l'a affirmé le chef de l'Etat. En effet, d'autres étapes devront être franchies, notamment celle des partenaires sociaux amenés, demain, à négocier sur des sujets fondamentaux, tels que la définition de la pénibilité, le maintien en activité des plus de 50 ans. Vous vous gardez bien d'expliciter aux Français qu'un grand nombre de dispositions, pourtant présentées comme facteur de progrès social, n'ont aucune valeur normative et qu'en conséquence leur mise en oeuvre effective est conditionnée au bon vouloir des partenaires sociaux, dont le MEDEF, pour conduire l'adaptation des régimes complémentaires.
C'est vrai de l'objectif de garantir un taux de remplacement de 58 % du SMIC ; c'est également vrai pour le départ anticipé des salariés ayant commencé à travailler tôt.
Par ailleurs, vous vous gardez bien, mes chers collègues, de communiquer sur un autre obstacle de taille, devant être lui aussi franchi, celui du financement.
Nous venons d'apprendre quel fut le sort réservé à l'Assemblée nationale par le Gouvernement à quelques minimes avancées que notre rapporteur avait osé formuler. Finalement, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, vous êtes trahis par les vôtres.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. On y reviendra, monsieur Fischer, et peut-être grâce à vous !
M. Guy Fischer On voit bien que le Gouvernement, pour des raisons financières, entend mettre le holà.
Comme nous l'avons déjà dénoncé, le présent texte n'évacue pas tous les besoins de financement à l'horizon 2020. La baisse du chômage, avec le transfert de cotisations UNEDIC vers le risque vieillesse sur lequel vous tablez, jugée très optimiste par de nombreux économistes, nous semble irréalisable compte tenu de l'option prise pour 2004 en matière de politique de l'emploi axée sur la baisse des charges.
Je ne développerai pas plus les reproches que nous avons faits à l'encontre du projet de loi durant les deux dernières semaines. Ils s'appliquent aujourd'hui avec la même force au texte tel qu'il ressort de la commission mixte paritaire dans la mesure où, sans surprise, vous vous êtes arrangés « entre amis » pour trouver un accord sur les 67 articles restant en navette, sans vous écarter bien sûr de la philosophie initiale du texte du Gouvernement.
Je note toutefois que deux dispositions, sur lesquelles le Sénat ne s'était pas contenté d'apporter une précision mais avait fait oeuvre de complément substantiel, ont fait l'objet de discussion en commission mixte paritaire et continuent apparemment de susciter des réactions.
Le Gouvernement a décidé d'amender ce matin à l'Assemblée nationale l'une de ces dispositions - il s'agit en l'espèce de l'article 16, qui prévoit une surcote pour les salariés ayant cotisé au-delà de 40 annuités avant d'atteindre l'âge de 60 ans -, préférant, pour des raisons budgétaires, s'en tenir à la simple possibilité, assez étroite, de départ à la retraite avant l'âge de 60 ans.
Bien entendu, cela nous donne une idée de la façon purement comptable dont seront traités les autres sujets. Les Français vont découvrir au fur et à mesure quelle va être la réalité de leur retraite.
S'agissant de l'autre disposition introduite en première lecture par le Sénat et qui reprend une demande du MEDEF, hostile au report à 65 ans de la mise à la retraite d'office, je regrette là encore que le Gouvernement, dont l'entourage estime pourtant que cette dernière « va à l'encontre du projet de loi », n'ait pas jugé bon d'intervenir et de la remettre en cause.
Pour conclure, mes chers collègues, je ne surprendrai personne ici en vous disant que nous persistons à penser que cette réforme des retraites n'est ni juste ni équitable, qu'elle ne garantit en rien un haut niveau de pension, pas plus qu'elle ne sécurise la certitude du droit à la retraite à 60 ans, mais qu'elle assure en revanche, pour demain. le développement, « la sauvegarde de la capitalisation », pour reprendre le lapsus révélateur du Premier ministre, remettant en cause la solidarité nationale et intergénérationnelle. Alors, pour le plaisir disons-le encore une fois, messieurs les ministres : il faudra travailler plus pour gagner moins !
M. François Fillon, ministre. C'est faux !
M. Guy Fischer. Les Français le vérifieront de plus en plus, au fur et à mesure qu'ils partiront à la retraite.
En conséquence, nous voterons résolument contre ce projet de loi. Nous appelons le Président de la République à surseoir à la promulgation de cette loi - quoique nous ne nous fassions aucune illusion -...
M. François Fillon, ministre. Vous avez raison !
M. Guy Fischer. ... afin de permettre aux Français de donner leur sentiment. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Chabroux.
M. Gilbert Chabroux. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la commission mixte paritaire qui s'est réunie hier est parvenue sans peine à un accord sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant réforme des retraites. Elle a réussi, c'est le terme consacré. Mais, en l'occurrence, il faudrait plutôt dire qu'elle a pleinement réussi : les sénateurs et les députés de la majorité se sont plu à souligner les « nombreuses et fortes convergences », la « philosophie identique », « l'esprit qui les anime en commun ». Ils sont dans le « même état d'esprit » et « font preuve de la plus grande complémentarité ».
Je n'en rajouterai pas, sauf pour m'étonner que, dans de telles conditions, le Gouvernement revienne sur les conclusions de la commission mixte paritaire en présentant six amendements qui désavouent le travail du Parlement et, plus particulièrement, celui du Sénat. C'est plus un problème entre le Gouvernement et la majorité, mais il y a de quoi être perplexe !
Quoi qu'il en soit, le Gouvernement et la majorité ont considéré qu'il était temps de conclure sur ce dossier et de prendre des vacances, que vous trouverez, sans doute, bien méritées...
Vous aviez dit, monsieur le ministre des affaires sociales : « Nous avons tout l'été devant nous », mais ce n'était qu'une boutade pour cacher votre impatience. Il faut bien reconnaître que la longueur des débats à l'Assemblée nationale, puis au Sénat, n'ont rien changé, puisque ce ne fut qu'un simulacre de débats. Votre texte, vous l'aviez clairement annoncé, ne pouvait être modifié qu'à la marge. La majorité l'a bien compris, qui a refusé le débat avec l'opposition et, pour cela, a eu recours à la procédure. Tout ce qui pouvait entraver le débat a été délibérément recherché et exploité.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Au contraire !
M. Gilbert Chabroux. Le Gouvernement et la majorité n'ont eu qu'une stratégie, celle de l'essoufflement de l'opposition.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Pour arriver à vous essouffler...
M. Gilbert Chabroux. Vous avez parié sur la lassitude, l'épuisement, l'usure. Mais nous n'avons pas abandonné le combat,...
M. François Fillon, ministre. Bravo !
M. Gilbert Chabroux. ... nous ne l'abandonnerons jamais, et il se poursuivra sans répit.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. En cas d'alternance, il faudra compter sur les communistes !
M. Gilbert Chabroux. Vous aviez traité avec la même distance et le même mépris le mouvement social, les manifestations et les grèves, la « rue », avec la connotation très péjorative que vous donnez à ce terme, M. Gournac particulièrement.
M. Alain Gournac. Exactement, et nous le confirmons !
M. Gilbert Chabroux. En tout cas, cette réforme manquée des retraites n'est pas près de disparaître de la scène sociale.
M. Alain Gournac. Tout à fait !
M. Gilbert Chabroux. Elle laissera des traces profondes. Les tentatives d'opposer les salariés du secteur public et du secteur privé, ou les salariés à l'opinion publique, ne peuvent qu'être lourdes de conséquences par rapport à la cohésion sociale.
Il est déjà loin le temps où le Premier ministre, dans son discours de politique générale, s'engageait à créer les conditions d'une négociation préalable entre les partenaires sociaux. Et pourtant, c'était il y a un an, guère plus, le 3 juillet 2002...
Mais depuis, son discours est devenu inaudible. Il voulait, je vous le rappelle, mes chers collègues, « mettre fin au système qui met trop souvent l'Etat et le citoyen face à face ». Il fallait « s'ouvrir à la démocratie sociale », « au dialogue social, qui est le préalable nécessaire au règlement de nos dossiers majeurs ».
M. Adrien Gouteyron. Et qui n'est pas l'immobilisme !
M. Gilbert Chabroux. Curieusement, le Président de la République, dans sa déclaration du 14 juillet dernier, s'est fait l'écho de ce discours. Il faut en finir avec la « vieille culture de l'affrontement », qui serait due à notre « esprit un peu gaulois ». Il prône lui aussi le « dialogue social » sur les grands dossiers. Mais à quoi se réfère-t-il ? A l'école ? Aux retraites ? Au système de santé ? Je n'ose parler des intermittents du spectacle...
Le Président de la République a parlé d'information et d'explication sur la réforme des retraites, mais il semble ignorer la campagne de propagande de grande ampleur lancée par le Gouvernement : 26 millions de lettres adressées à nos concitoyens et des pages entières de publicité dans les journaux.
Nous sommes cependant bien d'accord avec lui : il va falloir informer et surtout expliquer quels seront les effets néfastes de cette réforme. Nul doute que les Français comprendront mieux encore ce qui les attend avec ce Gouvernement.
Il va suffire de leur donner la formule qui leur permettra de calculer leur retraite, comme celle que j'ai citée dans le débat et qui concerne un enseignant qui a commencé à travailler à 25 ans et qui prend sa retraite à 60 ans, après 35 ans d'activité. Actuellement, son taux de remplacement est de 70 %. En 2020, il sera de 47 % !
M. le ministre de la fonction publique nous a répondu qu'il y a un problème de comportement et qu'il faudra à cet enseignant travailler jusqu'à 65 ans pour avoir la même retraite, en fait une retraite qui s'érodera car elle sera indexée sur les prix.
On pourrait multiplier les exemples ; ils montrent tous qu'il faudra travailler plus longtemps en continuant à cotiser, pour toucher en fin de compte une retraite diminuée.
M. Alain Gournac. Ce n'est pas vrai !
M. Gilbert Chabroux. Vous allez dans le sens de la régression sociale alors que les richesses s'accroissent et que le PIB ne cesse d'augmenter.
Nous ne pouvons pas vous suivre. Il s'agit de déterminer la société que nous voulons laisser à nos enfants : un modèle libéral qui réduit la protection sociale à un minimum, laissant chacun contribuer à hauteur de ses moyens... ou bien une société dans laquelle la solidarité nationale doit garantir à tous une retraite digne et un égal accès à la santé ? Mes chers collègues, nous faisons le choix de la solidarité.
M. Jean-Pierre Schosteck. Vous auriez dû faire vous-même la réforme !
M. Alain Gournac. Pourquoi ne l'avez-vous pas réalisée ?
M. Gilbert Chabroux. La réforme des retraites engage l'avenir, elle méritait mieux qu'un affrontement entre le Gouvernement et la plus grande partie des syndicats, entre le secteur public et le secteur privé, entre la majorité et l'opposition. Une réforme de cette importance ne peut être élaborée que dans le dialogue et la concertation.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est le cas !
M. Gilbert Chabroux. Le groupe socialiste s'est inscrit dans une démarche constructive pour préparer le débat qu'il faudra bien refaire : nous avons affirmé solennellement que rien, demain, ne sera possible sans une politique de l'emploi ambitieuse - ce que nous appelons un pacte national pour l'emploi -, sans la prise en compte de la pénibilité des métiers et de l'inégalité devant l'espérance de vie, sans un effort pour la formation professionnelle, la formation tout au long de la vie, sans la recherche de nouveaux financements qui ne peuvent se limiter aux seuls efforts des salariés à travers l'allongement de la durée de cotisation.
Il n'y a pas de pérennisation possible des régimes de répartition s'il n'y a pas un taux d'activité élevé et un niveau d'emploi satisfaisant pour tous les salariés, et notamment pour les plus de 50 ans.
S'agissant du financement, nous avons fait des propositions qui sont exactement à l'opposé des vôtres. Alors que vous introduisez une part de capitalisation en favorisant l'épargne retraite, qui bénéficiera d'une incitation fiscale d'autant plus intéressante que les revenus imposables seront élevés, nous voulons sauver le système par répartition en élargissant l'assiette des cotisations sociales. Des financements peuvent être trouvés - nous en avons cité - à condition de sortir du dogme libéral selon lequel tout impôt est, par définition, une charge insupportable, surtout pour les entreprises.
Pour terminer, je reprendrai les propos du président du groupe socialiste, Claude Estier, à la fin de son explication de vote, vendredi dernier : « Cette réforme des retraites s'inscrit pleinement dans votre politique particulièrement injuste et dont les Français commencent à prendre conscience. J'ajoute que contrairement à ce que vous affirmez, vous n'avez pas réglé le problème, et il est clair pour nous que, le moment venu, il faudra tout remettre sur le métier. »...
M. François Fillon, ministre. Soyez prudents !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Comme pour la réforme Balladur !
M. Gilbert Chabroux. ... « En votant aujourd'hui contre ce texte, nous prenons date devant les Français. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, en application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, lorsqu'il examine après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, le Sénat se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte en ne retenant que les amendements ayant reçu l'accord du Gouvernement.
Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire :