M. le président. « Art. 8. - A compter de la création de l'établissement public à caractère administratif dénommé "Ecole nationale supérieure de la photographie", les personnels employés à la date de promulgation de la présente loi pour une durée indéterminée par l'association "Ecole nationale de la photographie" pourront, à titre individuel, sur leur demande et dans la limite des emplois budgétaires inscrits sur le budget de l'établissement, bénéficier d'un contrat de droit public à durée indéterminée, en conservant leur régime de retraite complémentaire et de prévoyance. Ils continueront à recevoir une rémunération nette au moins égale à leur rémunération globale antérieure nette. »
L'amendement n° 7, présenté par M. Renar, Mme David, MM. Ralite, Autain et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Dans la première phrase de cet article, après les mots : "sur leur demande", supprimer les mots : "et dans la limite des emplois budgétaires inscrits sur le budget de l'établissement". »
La parole est à M. Ivan Renar.
M. Ivan Renar. Il s'agit ici du Centre national de la photographie d'Arles, établissement que vous connaissez très bien, monsieur le président.
Cet amendement est de même nature que celui que j'ai présenté tout à l'heure. Il vise à confirmer les personnels de l'Ecole nationale supérieure de la photographie dans leurs droits à bénéficier d'un contrat de droit public à durée indéterminée. En effet, le membre de phrase que je propose de supprimer apparaît restrictif.
Je souhaiterais que M. le ministre réponde à mon interrogation. Cette précision a son importance.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Daniel Eckenspieller, rapporteur. Cet amendement pose un problème de forme et de fond. S'agissant de la forme, il est évident que tout établissement public ne peut embaucher que dans la limite des postes budgétaires ouverts. En ce qui concerne le fond, l'amendement traduit essentiellement la préoccupation des personnels actuels de l'Ecole nationale de la photographie, qui devient Ecole nationale supérieure de la photographie, et qui souhaiteraient sans doute obtenir des apaisements quant à leur intégration dans le nouveau dispositif.
Aussi, nous sommes défavorables à l'amendement. Cependant, nous souhaiterions que M. le ministre veuille bien éventuellement apporter les apaisements que pourraient attendre les personnels concernés.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Aillagon, ministre. L'article 8 du présent projet de loi prévoit de donner un statut de droit public aux agents d'une école nationale gérée aujourd'hui sous forme associative. Cet article permet à ces agents de conserver la totalité des dispositions contractuelles dont ils bénéficient actuellement notamment les contrats à durée indéterminée et les régimes de prévoyance et de retraite.
Le changement de statut s'opérera, mais - et c'est une précaution courante que de le mentionner - à moyens constants, notamment en termes d'emplois.
Monsieur le sénateur, je vous saurais gré de bien vouloir retirer votre amendement, sinon, j'émettrai un avis défavorable, parce que la disposition que vous visez est une restriction de pure forme, tout à fait usuelle.
M. le président. Monsieur Renar, l'amendement n° 7 est-il maintenu ?
M. Ivan Renar. Selon moi, il subsiste une contradiction. Toutefois, je prends note de l'engagement deM. Aillagon par rapport aux personnels concernés.
Comme je n'ai aucune raison de mettre en doute la parole de M. le ministre, je retire cet amendement.
M. Jacques Valade, président de la commission. Très bon état d'esprit !
M. le président. L'amendement n° 7 est retiré.
Je mets aux voix l'article 8.
(L'article 8 est adopté.)
M. le président. Les autres dispositions du projet de loi ne font pas l'objet de la deuxième lecture.
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. LouisDuvernois, pour explication de vote.
M. Louis Duvernois. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous savons tous que ce texte était attendu depuis très longtemps et que, malgré quelques imperfections, il répond à des revendications justifiées.
Grâce aux dispositions prévues et qui, je n'en doute pas, seront adoptées, nous rattrapons le retard que nous avions par rapport à nos voisins européens.
Notre pays a toujours été le défenseur des droits des créateurs littéraires, musicaux, audiovisuels ou plasticiens, et, aujourd'hui, avec ce texte, nous ne dérogeons pas à cette tradition.
Nous pouvons dire que les mesures prévues constituent une véritable avancée et qu'elles sont essentielles. D'une part, le prêt de l'oeuvre de l'auteur s'effectue contre rémunération, et ce sont l'Etat et les collectivités territoriales qui prennent en charge cette rémunération, et non l'usager. D'autre part, le plafonnement des rabais sur le prix public de vente des livres rétablit un équilibre nécessaire entre les professionnels du livre, car les libraires les plus modestes étaient de plus en plus pénalisés par la libre négociation de ces mêmes rabais.
Enfin, le présent projet de loi réaffirme la mission de service public des bibliothèques. Pour reprendre les termes de notre excellent rapporteur, M. Daniel Eckenspieller, « l'accès au livre constitue un outil essentiel au service de la formation, de la culture, de l'esprit critique, de la citoyenneté ».
Pour toutes ces raisons, le groupe de l'UMP ne peut que soutenir et approuver un tel projet de loi : nous le voterons donc.
M. le président. La parole est à M. Ivan Renar, pour explication de vote.
M. Ivan Renar. Quand on se souvient de la situation d'affrontement qui prévalait voilà quelques années entre libraires, éditeurs et bibliothécaires - nous étions au bord de la Troisième Guerre mondiale ! -, on voit bien qu'il faut donner du temps au temps et négocier longuement dans le respect de l'autre pour faire avancer les choses.
L'esprit de concorde règne s'agissant de ce projet de loi. Aussi, après avoir entendu certains se référer à Blanche de Castille ou aux textes saints, j'en appellerai à saint Bernard : « Ce n'est pas dans la connaissance qu'est le fruit, il est dans l'art de le saisir ». C'est pourquoi le groupe communiste républicain et citoyen votera ce texte. (Applaudissements.)
M. Jacques Valade, président de la commission Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté définitivement, à l'unanimité).
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jacques Aillagon, ministre. Je tiens à remercier la Haute Assemblée : le 10 juin 2003 restera dans l'histoire de notre pays comme une date marquant la concorde nationale autour d'un grand projet d'utilité publique ! (Sourires et applaudissements.)
SIMPLIFICATION DU DROIT
Adoption définitive d'un projet de loi d'habilitation
en deuxième lecture
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi (n° 325, 2002-2003), modifié par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, habilitant le Gouvernement à simplifier le droit. [Rapport n° 328, (2002-2003).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Henri Plagnol, secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis, au nom du Gouvernement, d'observer que l'Assemblée nationale a, en deuxième lecture, voté en termes quasi conformes à la rédaction issue des délibérations du Sénat le projet de loi visant à simplifier la vie des Français. Ce vote témoigne de la qualité des travaux menés par votre assemblée. C'est l'occasion, pour moi, de saluer à nouveau M. le président de la commission des lois, en le remerciant beaucoup de sa coopération active, et M. le rapporteur, que je remercie de son excellent travail.
Je rappelle qu'au total soixante-dix-neuf amendements du Sénat ont été adoptés, ce qui manifeste l'intensité du débat que nous avons eu et l'enrichissement considérable du projet de loi initial.
Nous aurons l'occasion d'y revenir dans le cours du débat, mais je le dis d'emblée : il s'agit d'un texte équilibré, procédant à une approche pragmatique, et non idéologique, de la simplification. La majorité a compris, et je l'en remercie, qu'il s'agissait d'une entreprise de libération des énergies. Libération des énergies des Français, qui, dans leur vie quotidienne, n'en peuvent plus de l'amoncellement de règlements toujours plus opaques qui créent une distance préjudiciable à l'autorité de la loi et à son respect par nos concitoyens. Libération des énergies de tous ceux qui veulent entreprendre, créer de l'emploi, de la richesse et innover, avec un volet conçu spécialement pour les artisans, les petits entrepreneurs et les entreprises. Enfin, et je voudrais insister sur ce point, libération des énergies des fonctionnaires de terrain, qui sont les premiers à souffrir de la complexité des règles qu'ils sont chargés d'appliquer et dont ils sont souvent les otages.
Ce projet est mobilisateur pour les administrations, il responsabilise les gestionnaires des services publics. En ce sens, la réforme de l'Etat fait un pas considérable, et la simplification en est le meilleur levier. Le Gouvernement croit à des services publics modernes, responsables, comptables de leurs délais de réponse, et la simplification est de nature à moderniser en profondeur les relations entre nos concitoyens et les services publics. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Saugey, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le Sénat est saisi en deuxième lecture du projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit. Ce texte, d'une ampleur sans précédent sous la Ve République, autorise le Gouvernement à prendre des ordonnances, en vertu de la procédure prévue à l'article 38 de la Constitution, dans de nombreux domaines législatifs. Cela permettra de faciliter les démarches des usagers de l'administration, de rationaliser des procédures administratives, ou encore de permettre un accès des citoyens aux règles de droit en vigueur.
En première lecture, l'Assemblée nationale avait adopté sans modification quatorze des vingt-neuf articles du projet de loi. Outre des amendements rédactionnels et de précision, l'Assemblée nationale a également introduit de nouvelles dispositions, telles que l'habilitation du Gouvernement à créer par voie d'ordonnance un dispositif simplifié pour les bulletins de paie, ou encore l'habilitation à simplifier les modalités de versement des honoraires de l'activité libérale à l'hôpital des praticiens hospitaliers.
Elle a également enrichi le texte en adoptant cinq articles additionnels ayant respectivement pour objet de créer un conseil d'orientation et de la simplification administrative, d'habiliter le Gouvernement à simplifier les procédures administratives relatives aux travaux d'aménagement de l'Etat, des collectivités territoriales ou des établissements publics, d'autoriser le Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure visant à clarifier et à préciser la situation statutaire des délégués du Médiateur, d'habiliter le Gouvernement à prendre des mesures tendant à favoriser l'utilisation des nouvelles technologies de l'information et de la communication, les NTIC, dans le fonctionnement quotidien des collectivités territoriales, instituer l'obligation pour le Gouvernement de soumettre au Parlement, chaque année, un rapport sur les mesures de simplification intervenues au cours de l'année écoulée.
Au Sénat, la commission des lois, saisie au fond, avait délégué certaines parties du texte à la commission des affaires économiques, à la commission des affaires sociales et à la commission des finances, toutes trois saisies pour avis.
Adopté le 7 mai 2003, le texte a fait l'objet de plusieurs modifications parmi lesquelles : la précision selon laquelle lors de la réduction du nombre de commissions à caractère consultatif, le Gouvernement devra maintenir la consultation d'une commission administrative lorsque l'exercice d'une liberté publique ou le principe de libre administration des collectivités territoriales est en cause, l'ouverture du champ de l'habilitation de l'article 3 à l'allégement des procédures de passation des marchés publics pour les collectivités territoriales, avec le maintien systématique des annonces légales pour la procédure d'appel d'offres ; l'extension de l'habilitation de l'article 12 à l'élargissement du droit à l'inscription des Français établis hors de France sur les listes électorales métropolitaines ; la suppression de l'habilitation du Gouvernement à autoriser par ordonnance la participation des établissements publics de santé au capital des sociétés d'économie mixte locales ; la suppression du 5° de l'article 20 habilitant le Gouvernement à simplifier le mode de calcul de la subvention des activités culturelles et sociales des comités d'entreprise.
En outre, le Sénat a largement amendé l'article 4 du projet de loi habilitant le Gouvernement à modifier le régime de la commande publique et à créer de nouvelles formes de contrats conclus par des personnes publiques ou des personnes privées chargées d'une mission de service public, ayant pour objet la conception, la réalisation, la transformation, l'exploitation et le financement d'équipements publics ou encore la gestion et le fonctionnement de services, ou une combinaison de ces différentes missions.
Ainsi, le Sénat a tout d'abord adopté un amendement, présenté par MM. Jacques Oudin, Christian Cointat, Jean François-Poncet et Jean-René Lecerf, tendant à remplacer la possibilité d'« aménager le régime juridique des contrats existants » par celle de modifier la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée, dite « loi MOP ».
Ensuite, le Sénat a souhaité garantir une place pour les architectes, et plus généralement pour la maîtrise d'oeuvre, ainsi que pour les petites et moyennes entreprises et les artisans dans ces nouveaux contrats globaux devant être créés par ordonnance. Sur proposition de M. Pierre Jarlier, il a ouvert la possibilité pour plusieurs cocontractants de signer le même contrat global, ce qui permet notamment à la personne publique, ou à la personne privée chargée d'une mission de service public, de contracter non seulement avec l'entreprise réalisant la construction, mais également avec le maître d'oeuvre, concepteur de l'opération. Sur proposition de la commission des lois, le Sénat a également précisé que l'ordonnance devrait prévoir « les conditions d'un accès équitable des architectes, des concepteurs, des petites et moyennes entreprises et des artisans » à ces contrats de partenariat public-privé.
Le Sénat a également introduit trois articles additionnels dans le projet de loi afin d'habiliter le Gouvernement à organiser la gratuité de l'accès des justiciables à la justice administrative, à déroger aux dispositions actuelles relatives aux modalités d'inscription sur les listes électorales pour permettre aux ressortissants des Etats candidats à l'adhésion à l'Union européenne installés en France de s'inscrire sur les listes électorales après le 1er mai 2004 et de participer aux élections européennes du 13 juin 2004 et, enfin, à alléger et à simplifier le régime d'entrée en vigueur, de transmission et de contrôle des actes des autorités des établissements publics locaux d'enseignement.
En deuxième lecture, seuls deux amendements de portée technique, présentés par la commission des lois dans un souci de cohérence législative, ont été adoptés par l'Assemblée nationale.
Tout d'abord, à l'article 24 relatif à la ratification d'ordonnances relatives à l'adoption des parties législatives de certains codes, l'Assemblée nationale a adopté un amendement de coordination visant à abroger le 13° bis du III, le III bis et la référence à l'article 59 de la loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l'électricité et au service public de l'énergie.
Ensuite, les députés ont adopté un amendement visant à étendre par coordination le délai d'habilitation fixé à douze mois prévu au 2° de l'article 28 du projet de loi pour les articles 1er à 22 aux articles 22 bis et 22 ter adoptés au cours de la discussion en première lecture, l'un devant l'Assemblée nationale, l'autre devant le Sénat. Il s'agissait ainsi de fixer pour ces deux articles additionnels un délai d'habilitation, faute de quoi l'article 38 précité de la Constitution n'aurait pas été respecté.
Dans la mesure où, d'une part, tout en souscrivant pleinement à cette démarche, les travaux des deux assemblées au cours de la première lecture ont permis d'améliorer et de compléter le texte qui leur était soumis et où, d'autre part, les modifications apportées par l'Assemblée nationale en deuxième lecture s'avèrent de portée purement technique, la commission des lois vous propose d'adopter sans modification le projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit. (M. le président de la commission applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Hilaire Flandre.
M. Hilaire Flandre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce projet de loi, qui est aujourd'hui en passe dêtre définitivement adopté, constitue une véritable bouffée d'air frais, tant pour nos administrés, confrontés à la lenteur et à la lourdeur excessives de l'administration, que pour les fonctionnaires de ces administrations, confrontés, quant à eux, à la difficulté d'appliquer des procédures parfois très contraignantes, et pour notre système juridique, qui se voit avantageusement simplifié dans un grand nombre de domaines.
Si le discours stigmatisant la complexité de notre droit et la lourdeur de notre administration est récurrent depuis de nombreuses années, il ne s'était pourtant jamais concrétisé en acte politique.
Aujourd'hui, grâce à ce texte, le Gouvernement se donne enfin les moyens d'y remédier, ce dont, monsieur le secrétaire d'Etat, au nom du groupe UMP, je tiens à vous féliciter.
Ce projet de loi, annoncé par M. le Premier ministre dès sa déclaration de politique générale, constitue l'un des chantiers prioritaires de la réforme de l'Etat.
Cette volonté de réformer l'Etat est au coeur des préoccupations de M. le Président de la République. Le fait d'y consacrer un secrétariat d'Etat est d'ailleurs la preuve de cette volonté de changement, et je me réjouis qu'un tel vent de réformes souffle aujourd'hui sur notre pays.
Le chantier de la simplification administrative est un chantier urgent, ce qui explique que le Gouvernement ait choisi de procéder par ordonnances pour régler des problèmes particulièrement techniques. Il va ainsi être en mesure d'agir rapidement dans des domaines très divers, comme celui du droit social, de la nationalité, des marchés publics ou encore du vote par procuration.
Selon une procédure des plus efficaces, le Gouvernement pourra nettoyer certaines dispositions inusitées ou obsolètes et redonner du sens ou de la cohérence à d'autres dispositions qui n'en avaient malheureusement plus.
C'est pourquoi le groupe UMP votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Alduy.
M. Jean-Paul Alduy. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à mon tour d'applaudir à la noble ambition consistant à simplifier le droit, comme le feront d'ailleurs tous les maires, confrontés chaque jour à l'expérience désespérante de la complexité paralysante du fatras de réglementations - décrets, arrêtés, circulaires - qui se superposent et s'enchevêtrent.
Mais abattre les branches inutiles, les branches mortes est une chose, porter des coups au tronc qui soutient et structure l'arbre en est une autre.
Or l'article 4, qui a malheureusement été voté conforme et ne fait donc plus l'objet de notre discussion, ouvre la voie à des coups décisifs sur l'ossature de la filière de la construction produisant les bâtiments publics.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je tiens, par cette intervention, à faire état de mon inquiétude au moment où le Gouvernement doit rédiger les ordonnances correspondantes.
En tirant les enseignements des grands ensembles, de la politique des modèles, le législateur, après quelque quinze ans de négociations, a adopté en 1985 la loi MOP, ou loi relative à la maîtrise d'ouvrage publique, qui a consacré la nécessité d'une maîtrise d'ouvrage publique forte choisissant un maître d'oeuvre, un architecte indépendant et définissant avec lui l'ouvrage dans ses caractéristiques techniques, urbanistiques, esthétiques, économiques et culturelles. C'est ce couple maître d'ouvrage-maître d'oeuvre qui peut engager le débat avec les usagers et aboutir à ce que chaque bâtiment public soit un élément du projet urbain, c'est-à-dire d'un projet de société sur un territoire. De la force de ce couple dépend la qualité du projet et la transparence des procédures de choix du ou des constructeurs.
Or l'article 4 du projet de loi ouvre la voie à la destruction pure et simple de la loi MOP en permettant la généralisation de procédures de choix d'équipes regroupant constructeurs et concepteurs dans « de nouvelles formes de contrats conclus par des personnes publiques ou des personnes privées chargées d'une mission de service public pour la conception, la réalisation, la transformation, l'exploitation, le financement d'équipements publics, ou la gestion et le financement de services, ou une combinaison de ces différentes missions ».
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Jean-Paul Alduy. On a beau, quelques lignes plus loin, affirmer, dans le projet de loi, sur une initiative sénatoriale, vouloir définir « les conditions d'un accès équitable des architectes, des concepteurs, des petites et moyennes entreprises et des artisans aux contrats », force est de constater - on s'en est rendu compte voilà peu lors d'un colloque de la maîtrise d'oeuvre, au Palais de Chaillot - la réprobation quasi unanime de ces professions. Les PME et les artisans se retrouveront en effet en position d'infériorité lors de consultations mieux adaptées à des entreprises à forte ingénierie ; les architectes, surtout, verront leur relation privilégiée avec le maître d'ouvrage, fondée sur leur indépendance vis-à-vis des constructeurs, brisée : ils se retrouveront, en fait, sous la dépendance économique des grandes entreprises.
On appelle aujourd'hui « partenariat public-privé », ou PPP, ce qui était dénommé hier « marché d'entreprise de travaux publics », ou METP, dont le code des marchés publics lui-même rappelait les inconvénients : endettement indirect de la collectivité locale, coût élevé, opacité dans la répartition des marchés.
Avec de telles procédures, les collectivités locales devront être capables de définir le programme dans ses moindres détails, mais sans projet architectural ! Sinon, l'incertitude se retournera immanquablement contre elles en phase de réalisation. Et que dire des modifications de programmes, même mineures, qui devront se traduire par des avenants négociés en position de faiblesse ?
J'en arrive à ma principale exhortation : l'article 4 n'aurait dû porter que sur les titres Ier et III de la loi MOP, écartant toute modification du titre II, notamment de l'article 7 qui pose le principe de la séparation des missions de conception et de construction.
De même, les ordonnances futures devraient n'autoriser des contrats regroupant conception et construction que lorsque ces derniers comportent une part significative de services de maintenance ou d'exploitation. En effet, si l'entreprise prend le risque de la conception et de la gestion, il est normal qu'elle intervienne dès la conception pour maîtriser ce risque futur. En revanche, si le contrat ne prévoit que la conception et la réalisation sans part significative de maintenance ou de gestion, le risque est grand que, pour des raisons d'économie et de rentabilité, la qualité des travaux sur le chantier soit réduite et, partant, les défauts éventuels ou, en tout cas, un coût de gestion et de maintenance plus lourd soient reportés sur la collectivité locale. Dans ce cas, j'affirme solennellement que, les mêmes causes engendrant les mêmes effets, il nous faudra, dans deux ou trois ans, des lois et des règlements nouveaux pour retrouver la transparence et la fiabilité de procédures grâce auxquelles collectivités locales et architectes définissent ensemble les qualités des bâtiments publics, et font appel à la diversité des constructeurs, petits et grands, pour les bâtis.
Monsieur le secrétaire d'Etat, la qualité des constructions publiques s'est spectaculairement améliorée depuis quinze ans. Pourquoi remettre en cause l'organisation de la filière maître d'ouvrage - maître d'oeuvre - constructeur qui a permis ces progrès ? Pourquoi ne pas voir que ces derniers sont à mettre à l'actif d'une profession fragile, les architectes, qui, parce qu'ils sont indépendants, assurent une authentique mission de service public : la qualité urbaine des bâtiments publics qui, souvent, sont là pour donner du sens au chaos de nos villes ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, simplifions le droit, mais protégeons l'architecture de nos cités ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. - Mme Jacqueline Gourault applaudit également.)
M. Pierre Laffitte. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. J'interviendrai moi aussi sur l'article 4 et dans le même sens que notre collègue Jean-Paul Alduy.
Mes chers collègues, si vous en décidez ainsi, ce projet de loi, et donc son article 4, sera adopté dans quelques minutes. Très sincèrement, ceux qui le voteront prendront une lourde responsabilité ! Je vous demande donc, au nom du groupe socialiste, d'éviter ce qui risque d'être, mais sera sans doute, une très large erreur.
Mes chers collègues, comment ne pas se souvenir du mal qu'un certain nombre de procédures et d'affaires ont fait aux élus et aux responsables des entreprises ? Avez-vous la mémoire si courte ? Voulez-vous tellement que cela recommence ?
M. Bernard Saugey, rapporteur. Pas du tout !
M. Jean-Pierre Sueur. Vous nous direz bien évidemment que telle n'est pas votre intention, et je ne vous suspecte pas du contraire. Toutefois, monsieur le rapporteur, le dispositif qui serait mis en oeuvre, si, dans quelques minutes, le Sénat adopte ce texte, est délétère : il supprime de fait la mise en concurrence et favorise donc, par sa nature même, la corruption, le favoritisme, le trafic d'influence, les positions acquises, bref, tout ce qui est malsain s'agissant de travaux publics et des rapports entre les pouvoirs publics et les entreprises.
Je reprendrai succinctement quelques points.
Le premier concerne la confusion entre le secteur public et le secteur privé que les idéologues siégeant à Bercy,...
M. René Garrec, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. C'est vrai !
M. Jean-Pierre Sueur. ... sans doute fort inspirés par certains discours de l'ultralibéralisme, professent. S'agissant de la construction de l'ensemble des équipements publics, y compris ce qui relève du pouvoir régalien de l'Etat - ministère de l'intérieur, de la justice, des finances, de l'éducation nationale, bref tous les ministères -, il n'y aura plus de distinction entre le secteur public et le secteur privé, et des contrats passés avec des entreprises privées pourront s'étaler sur de très longues années, si bien que les contribuables paieront pendant très longtemps.
Un ancien ministre des finances se demandait dans un journal du soir paru hier s'il était même sain - je crois, pour ma part, que c'est très malsain - que des élus puissent engager pour vingt ou vingt-cinq ans, par de tels contrats, la mise en oeuvre d'équipements et, par conséquent, leur financement par les contribuables.
C'est, je le répète, tout à fait malsain, ne serait-ce que parce que cela supprime notre conception traditionnelle du maître d'ouvrage. En effet, comme le disait M. Alduy, le maître d'ouvrage public, qu'il s'agisse de l'Etat ou d'une collectivité locale, est une personne morale qui met en oeuvre un projet d'aménagement dans l'espace urbain ou dans l'espace rural. Sa fonction est clairement distincte de la fonction de l'entreprise. Nous n'avons rien contre les entreprises, bien évidemment ! Mais elles obéissent à leur logique, qui n'est pas celle des pouvoirs publics. C'est pourquoi il faut des règles claires et une distinction nette entre les prérogatives des uns et des autres.
J'en viens au deuxième point : la résurgence, sous un autre nom, du fameux METP correspond au retour de la confusion totale. Il m'est arrivé de siéger dans des commissions d'appel d'offres, mais rarement ; en effet, dans les collectivités où j'ai eu quelques responsabilités, j'ai ensuite refusé ce dispositif. Lorsque l'on siège dans une telle commission, on choisit, par le même vote, à la fois le concepteur, l'architecte, le constructeur, celui qui transformera ultérieurement le bâtiment, le financeur, c'est-à-dire la banque, le gestionnaire, c'est-à-dire celui qui assurera l'exploitation, la maintenance et l'entretien ! Cette situation n'a pas de sens !
Le projet de loi prévoit que le groupe, qui peut être un grand groupe, choisit l'architecte. Vous ne saurez donc pas si vous choisissez la meilleure architecture ou l'entreprise qui proposera le meilleur prix pour la construction. Il est impossible de dissocier les deux jugements.
M. Jean-Pierre Schosteck. Mais si !
M. Jean-Pierre Sueur. On ne pourra pas non plus choisir séparément le banquier puisque l'appel d'offres concernera la conception, la réalisation et le financement. (M. Jean-Pierre Schosteck proteste.) Mais, mon cher collègue, je me contente de rappeler les dispositions du projet de loi ! Ce n'est pas moi qui l'ai rédigé !
Entretien, maintenance, exploitation, transformation : autant dire que l'on utilise une procédure indistincte et que l'on ne sait jamais ce que l'on décide et pourquoi on l'a décidé.
Il n'y a plus de procédure d'allotissement, c'est-à-dire que l'on ne peut pas séparer les fonctions ; c'est inscrit dans la loi.
Mes chers collègues, j'aborde le troisième et dernier point de mon intervention : l'avant projet de décret, qui figure toujours parmi les publications du ministère des finances, est absolument scandaleux. A cet égard, je suis étonné qu'aucune autorité gouvernementale n'ait pris quelques distances avec cet avant-projet. Je rappelle que l'intention du Gouvernement, au moment où nous débattons pour la dernière fois de ce texte, est d'augmenter de 80 000 euros à 62 millions d'euros le seuil au-dessus duquel une mise en concurrence est obligatoire.
Si ce projet de loi est adopté, 94 % des marchés publics passés par l'Etat et plus de 98 % des marchés conclus par les collectivités locales ne feront pas l'objet d'une mise en concurrence.
Qui peut affirmer qu'un tel système est sain, moral ? En vérité, mes chers collègues, il est totalement inacceptable.
Selon le journal Les Echos en date du 6 juin, « Bercy » - je ne sais pas qui est « Bercy » - explique que, en dessous de 6,2 millions d'euros, on veillera au respect de la concurrence.
Pour sa part, M. Bernard Saugey a expliqué, dans l'édition d'hier d'un journal du soir,...
M. René Garrec, président de la commission. Un excellent journal, où M. Sueur s'exprime parfois !
M. Bernard Saugey, rapporteur. Un journal de référence !
M. Jean-Pierre Sueur. ... que les règles de mise en concurrence seraient fixées par ordonnance.
Ainsi, on nous dit d'un côté que, en dessous d'un certain seuil, il n'y a pas de mise en concurrence, mais, d'un autre côté, qu'il y aura des règles qui fixeront les conditions de la concurrence : voilà un discours qui ne tient pas debout,...
M. Bernard Saugey, rapporteur. Bien sûr que si !
M. Jean-Pierre Sueur. ... et chacun ici le comprend, pour peu qu'il veuille bien renoncer à toute hypocrisie !
Malheureusement, c'est la mise à mort de tout l'édifice des marchés publics, tel qu'il existe aujourd'hui dans notre pays.
Et l'on apprend de surcroît, dans les mêmes textes, que les représentants de la DGCCRF, la direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes, ainsi que les comptables publics ne siégeront plus de droit au sein des commissions d'appel d'offres, mais seulement quand on fera appel à eux. Très franchement, qui peut défendre une telle disposition ?
Les fonctionnaires qui représentent la DGCCRF comme les comptables publics, qui représentent le ministère des finances, sont là pour veiller à la régularité des marchés publics. Pourquoi décider que, demain, ils n'auront plus leur place dans ces commissions ? Tout est fait, on le voit bien, pour qu'il n'y ait plus de concurrence. (M. Jean-Pierre Schosteck proteste.)
Bien sûr, les PME sont inquiètes, mais, par le même quotidien du soir, où s'exprimait le représentant d'un des grands groupes, nous avons appris que ceux-ci l'étaient également, monsieur le rapporteur. En effet, chacun sent bien que la mise à mal des règles de la concurrence n'est pas bonne pour notre République.
M. Gilles de Robien et M. Jean-Jacques Aillagon ont dit aux architectes qu'ils comprenaient leurs préoccupations. Fort bien ! Cependant, si ce texte est voté dans quelques minutes, un grave coup sera porté à la profession d'architecte, à son indépendance, parce que les architectes seront choisis par les grands groupes.
M. Hilaire Flandre. Vous prenez les élus pour des débiles !
M. Jean-Pierre Sueur. C'est en fait la liberté de création architecturale, essentielle pour l'espace urbain, l'habitat et les nouveaux équipements dans notre pays qui se trouvera mise en cause. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Bref, le droit à la création, qui est fondamental, sera totalement subordonné à un certain nombre d'intérêts. (Vives protestations sur les mêmes travées.)
En tout cas, l'architecte ne pourra pas être choisi indépendamment du constructeur : c'est écrit noir sur blanc dans le texte que vous semblez persister à vouloir voter, mes chers collègues.
Monsieur le rapporteur, vous nous dites que, en première lecture, vous avez fait voter un amendement permettant de veiller - c'est magnifique : on veille toujours, on n'arrête pas de veiller ! - aux bonnes conditions d'un accès équitable des architectes, des concepteurs, des PME et des artisans aux contrats ici visés. Or, dans le même temps, vous mettez en place un système tel qu'ils sont éliminés au départ ou qu'ils ne sont mis en concurrence que pour la forme. Cette précaution part d'un bon sentiment, mais elle est totalement inutile, car elle se heurte à la dure réalité de la loi que la majorité sénatoriale s'apprête à voter.
Voici ce que, en somme, vous dites à ces architectes, à ces concepteurs, à ces PME : « Le système vous exclut, mais nous veillerons avec soin aux conditions de votre participation. Vous ne pouvez en aucun cas emporter ces marchés, mais nous serons très vigilants quant à votre possibilité de concourir. Vous êtes hors jeu, mais, ne vous inquiétez pas, nous veillerons scrupuleusement à ce que les règles du jeu soient équitables. »
Mes chers collègues, si vous voulez défendre les architectes, les PME, l'équité et la morale publique en matière d'attribution de marchés publics, je vous le demande avec une certaine gravité, au nom du groupe socialiste : votez contre cet article 4 et, donc, contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Denis Badré.
M. Denis Badré. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le groupe de l'Union centriste est bien évidemment favorable, dans le principe, à toutes les initiatives tendant à simplifier le droit.
Les citoyens demandent une telle simplification et leur requête en ce sens est on ne peut plus légitime. Il faut savoir les écouter et leur répondre.
Comme vous l'avez dit, monsieur le secrétaire d'Etat, ce texte est « d'une ampleur sans précédent sous la Ve République ».
Etre ambitieux pour simplifier, c'est bien. Un recours trop large aux ordonnances est toutefois de nature à nous inquiéter. L'ampleur même de votre démarche nous conduit donc à émettre quelques réserves. Il nous semble que certains sujets auraient mérité une procédure parlementaire classique.
Je conserve, pour ma part, un souvenir très précis d'un précédent projet de loi visant à habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance. Il s'agissait, à l'époque, de transcrire des directives communautaires et nous avions eu un débat sur le principe. Il nous était alors apparu que réformer le code de la mutualité ou traiter du financement des autoroutes, sujet qui est de nouveau d'actualité, étaient des questions suffisamment importantes pour mériter un vrai débat parlementaire et que, dès lors, la voie des ordonnances était trop rapide, risquant d'aboutir à des textes qui ne soient pas aussi riches, solides et durables qu'il était souhaitable.
Les interventions des orateurs précédents montrent que, s'agissant du code des marchés publics, nous sommes dans un cas de figure analogue et que, sur des sujets aussi sensibles, aussi lourds de conséquences, un vrai débat au Parlement reste tout à fait justifié, celui que nous avons ajourd'hui étant un peu superficiel, il faut que nous en soyons conscients.
Mme Danièle Pourtaud. Absolument !
M. Denis Badré. Je souhaiterais m'arrêter quelques instants sur l'article 4 du projet de loi, concernant l'élargissement du recours aux contrats globaux.
Le projet du Gouvernement n'est pas neutre et il inquiète le monde des petites entreprises du bâtiment ainsi que les architectes. On me répondra que les amendements qui ont été adoptés en première lecture garantissent la représentation de ces professions pour ce type de contrats, mais je crains que les précisions qui ont été apportées ne relèvent plus de l'effet d'annonce que d'une véritable prise en compte des dangers du recours aux contrats de partenariat public-privé.
C'est pourquoi, en première lecture, nous avions maintenu notre opposition à cet article et c'est pourquoi, aujourd'hui, je formule de nouveau devant notre assemblée, au nom du groupe de l'Union centriste, nos inquiétudes quant à l'avenir de la maîtrise d'oeuvre sur les marchés de travaux publics.
Je tiens maintenant à remercier nos rapporteurs, qui nous ont écoutés sur l'article 19 du projet de loi. Nous avions expliqué pourquoi nous souhaitions que le rapporteur de la commission des affaires sociales retire l'amendement qui supprimait la liberté offerte aux travailleurs non salariés non agricoles de choisir leur guichet unique pour l'ensemble des formalités et des paiements de cotisations et de contributions sociales dont ils sont redevables à titre personnel.
Loin de vouloir faire le jeu de tel ou tel organisme, nous avons défendu une telle position pour souligner l'importance de la négociation sociale dans le domaine agricole, comme en tous domaines. En effet, organiser le fonctionnement du nouveau dispositif nécessite, au préalable, une négociation entre les représentants des travailleurs indépendants, les organismes et le Gouvernement. Il s'agit simplement pour nous de préconiser avec insistance une méthodologie qui soit toujours favorable au dialogue social et aux partenaires sociaux.
Nous ne préconisons pas du tout un système laxiste ; nous cherchons à promouvoir, au contraire, un système qui permette la négociation, qui mette l'accent sur le dialogue social, qui soit ainsi susceptible de déboucher sur une solution simplifiant au maximum les règles de versement des contributions et des cotisations sociales.
Tels sont, brièvement traités, les points que je tenais à aborder au nom de mon groupe, à l'occasion de la deuxième lecture de ce projet de loi. Nous sommes, je le répète, favorables à la simplification du droit, mais nous considérons que l'article 38 de la Constitution ne devrait être mis en oeuvre que lorsque les deux conditions suivantes sont réunies : les mesures concernées revêtent véritablement un caractère urgent et l'on est sûr de pouvoir raisonnablement se passer d'un vrai débat au Parlement. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du groupe socialiste, ainsi que sur quelques travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les 6 et 7 mai dernier, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ont clairement exprimé leur désaccord avec ce projet de loi habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnances, que nous examinions alors en première lecture.
Notre désaccord portait et continue de porter sur la méthode elle-même. Nous avons toujours critiqué l'article 38 de la Constitution, qui confère ce pouvoir exorbitant au Gouvernement.
Le 6 mai, mes amis Josiane Mathon et Roland Muzeau ont rappelé à quel point le Parlement se trouvait dessaisi de ses prérogatives. Du reste, certaines pratiques actuelles viennent encore aggraver ce dessaisissement, qu'il s'agisse de la conception qui est mise en oeuvre en matière de construction européenne, de la procédure d'urgence, d'un ordre du jour surchargé conduisant à travailler dans la précipitation, de la multiplication des votes conformes : tout cela contribue à transformer peu à peu l'Assemblée nationale et le Sénat en chambres d'enregistrement.
En tout cas, aujourd'hui comme hier, nous refusons le recours aux ordonnances comme mode de gouvernement. Nous nous y opposons tout particulièrement sur ce texte, qui revêt un caractère exceptionnel par le champ qu'il couvre. Cela a été dit, c'est la première fois sous la Ve République qu'une loi d'habilitation couvre un champ aussi vaste.
On continue de prétendre que ce texte répond à une nécessité pour accélérer la simplification administrative.
Tout le monde est évidemment favorable à la simplification de la vie de nos concitoyens. Qui pourrait ne pas la souhaiter ? D'ailleurs, il y a beaucoup à faire en la matière, notamment pour améliorer la lisibilité des lois, règlements, circulaires et procédures.
Mais trêve d'hypocrisie ! Comment ne pas voir, au travers de cet effet d'annonce, la volonté de « dégraisser » les effectifs de la fonction publique ? Cette expression n'est pas la mienne : elle est utilisée par ceux qui considèrent sans doute qu'il y a trop d'enseignants, trop d'agents hospitaliers, de fonctionnaires dans les services d'état civil des mairies ou ailleurs, alors qu'ils sont si utiles dans la vie quotidienne de nos concitoyens.
Alors, que les choses soient dites franchement, sans qu'il soit besoin de se cacher derrière une pseudo-simplification administrative !
En tout état de cause, le fait de simplifier les procédures n'implique en rien que le Gouvernement ait le pouvoir de légiférer à la place du Parlement. Cela n'a rien à voir !
Au demeurant, la simplification administrative ne constitue qu'un des aspects du présent projet de loi. Celui-ci comprend un nombre considérable de dispositions, dont beaucoup mériteraient un débat au Parlement.
La modification du code des marchés publics que vous préconisez, monsieur le secrétaire d'Etat, représente un véritable scandale et ouvre la voie à toutes les dérives, d'autres l'ont dit avant moi. J'ajouterai simplement qu'il s'agit d'un domaine extrêmement sensible, qui requiert la plus grande vigilance. On le sait, le décret que le Gouvernement s'apprête à prendre va en réalité supprimer la concurrence pour plus de 90 % des marchés publics. La presse s'est fait l'écho d'une amnistie larvée à l'égard d'affaires concernant des marchés passés. Vraiment, le Gouvernement choisit bien mal son moment pour faire voter une telle loi d'habilitation !
M. Hilaire Flandre. Cela ne changera rien !
Mme Nicole Borvo. Les questions concernant les marchés publics et le régime des appels d'offre doivent être débattues dans la plus grande transparence au Parlement.
Les PME tout comme les architectes sont inquiets, et ils ont bien raison de l'être ; ils demandent instamment au Gouvernement de surseoir au vote de ce texte, et il serait bien avisé, pour une fois, de les écouter !
D'autres thèmes aussi sensibles que le droit du travail, les licenciements, l'application des seuils d'effectifs, la régionalisation hospitalière sont concernés par ce projet de loi, et nous avons souligné avec force la nécessité d'un débat parlementaire sur tous ces points ; ce qui se passe dans notre pays rend cette nécessité encore plus criante.
Enfin, nous l'avons dit en première lecture, nous regrettons que la majorité sénatoriale ait si rapidement oublié les arguments qu'elle employait hier - sous une autre majorité bien entendu - à l'encontre d'un projet de loi d'habilitation présenté par le gouvernement de l'époque.
M. Jean-Claude Carle. Nous pourrions vous retourner l'argument !
Mme Nicole Borvo. Pour ce qui nous concerne, aujourd'hui, nous sommes absolument, comme nous l'étions hier, opposés aux ordonnances qui nous sont proposées et nous voterons donc contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?
La discussion générale est close.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Henri Plagnol, secrétaire d'Etat. Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais d'abord, au nom du Gouvernement, me féliciter que, à 95 %, ce texte visant à simplifier la vie de nos concitoyens recueille une très large adhésion au sein de votre assemblée.
M. Flandre a eu une expression tout à fait heureuse en parlant de « bouffée d'air frais ». Le Gouvernement a en effet, en matière de simplification, un programme très ambitieux, qu'il assume pleinement et qui est probablement sans précédent sous la Ve République puisque pas moins de trente lois et de quinze codes seront concernés.
Selon le Gouvernement, il ne sert pas à grand-chose de modifier à la marge un ou deux textes ici ou là, d'autant que, très souvent, le diable se cache dans les détails : on croit avoir réglé un problème en modifiant une circulaire ou un décret, mais on oublie que les dispositions de tel autre texte annulent la démarche de simplification, quand le résultat n'est pas une plus grande complexité !
Certains orateurs sont revenus sur la méthode. J'ai noté en particulier les réserves de M. Badré et celles de Mme Borvo sur le recours aux ordonnances. S'il en était besoin, l'intensité de nos discussions et le nombre d'amendements modifiant substantiellement le texte qui ont été acceptés par le Gouvernement montreraient qu'un débat sur une loi d'habilitation - même s'il n'en a pas toujours été ainsi dans le passé - permet aux parlementaires d'y apporter de considérables améliorations. Ce sont, en l'occurrence, plus de cent vingt amendements qui ont été votés et qui ont élargi notablement la portée du projet de loi.
Je me réjouis, bien entendu, que la majorité invite le Gouvernement à aller plus loin dans la simplification.
J'ajoute que l'article 38 de la Constitution est très clair : c'est le Parlement qui établit « la feuille de route », et le Gouvernement se doit de la respecter. Croyez bien que nous y veillerons scrupuleusement dans la mise au point des ordonnances. Au demeurant, la rédaction même des termes de la loi d'habilitation est suffisamment précise, me semble-t-il, pour apporter à ce sujet toutes les garanties nécessaires.
Je voudrais également remercier M. Badré d'avoir bien voulu noter que les amendements votés sur l'article 19 relatif au guichet unique aboutissent à une rédaction équilibrée en conciliant, d'une part, l'objet de l'article - la mise en oeuvre de ce guichet unique pour simplifier le recouvrement des cotisations - et, d'autre part, le libre choix des artisans, des commerçants et des indépendants, garant du dialogue social.
En effet, en matière de réforme administrative, le débat ne s'arrête pas au vote d'un texte, si important soit-il. Tout est affaire de mise en oeuvre et il faudra, à partir de ce texte, responsabiliser les administrations sur des objectifs en matière de délai en prenant, bien entendu, le temps nécessaire pour la concertation.
J'en arrive maintenant à l'article 4, qui a finalement occupé l'essentiel de nos débats. Il concerne la réforme de la loi sur la maîtrise d'ouvrage publique et l'introduction du partenariat public-privé.
Sachez d'abord, monsieur Sueur, qu'au nom du Gouvernement je ne peux pas accepter cette forme de raccourci que vous pratiquez pour accréditer l'idée qu'à travers ce texte le Gouvernement faciliterait la corruption.
Vous avez eu des mots très forts et très polémiques. Pour rassurer ceux d'entre vous qui se préoccupent réellement de la rigueur en matière de marchés publics et du maintien des lois sur la concurrence, qui est évidemment l'objectif premier du Gouvernement, je voudrais donner lecture de la deuxième phrase de l'article 4 de la loi d'habilitation que vous allez voter : « Ces dispositions déterminent les règles de publicité et de mise en concurrence relatives au choix du ou des co-contractants, ainsi que les règles de transparence et de contrôle relatives aux modes de rémunération du ou des co-contractants, à la qualité des prestations et au respect des exigences du service public. »
C'est donc vous, monsieur Sueur, qui, en pratiquant l'amalgame, avez une approche idéologique de ces questions. La simplification ne consiste en rien à faciliter la corruption ! Je dirai même le contraire : plus vous complexifiez les textes, plus vous créez de l'opacité, plus vous facilitez la corruption !
M. Jean-Claude Carle. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Schosteck. Exactement !
M. Jean-Pierre Sueur. Ce n'est pas sûr !
M. Henri Plagnol, secrétaire d'Etat. Aucune statistique ne corrobore le fait qu'un texte prémunisse contre la corruption. La seule prévention contre la corruption, c'est le contrôle vigilant des citoyens et la moralité des personnes publiques. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Sueur. Cela veut dire que l'on n'a pas besoin de lois !
M. Henri Plagnol, secrétaire d'Etat. La tentation permanente sur les travées de l'opposition de ceux qui arguent de la corruption, c'est de justifier une société du soupçon qui s'accompagne de textes législatifs toujours plus opaques et d'une extension toujours plus grande du champ de la loi et du règlement.
M. Jean-Pierre Sueur. Vous êtes contre la loi et le règlement !
M. Henri Plagnol, secrétaire d'Etat. Il existe sur ce point une vraie divergence entre nous !
M. Jean-Pierre Sueur. C'est la loi qui garantit contre la corruption !
M. Henri Plagnol, secrétaire d'Etat. Pour nous, c'est au contraire en responsabilisant les personnes publiques et en ayant une approche claire et simple des textes que nous arriverons à endiguer ce mal !
M. Jean-Pierre Sueur. Sans la loi, il n'y aura rien !
M. Jean-Pierre Schosteck. Vous, vous avez besoin du droit !
M. Henri Plagnol, secrétaire d'Etat. En revanche, j'ai été très sensible au plaidoyer vibrant prononcé par un expert reconnu, M. Alduy, en faveur des architectes.
Le Gouvernement sera attentif à ce que, lors de la rédaction de l'ordonnance, en collaboration avec mes collègues chargés de la culture et de l'urbanisme, soit mis en place un système équilibré permettant aux architectes d'être associés le plus en amont possible.
Mme Danièle Pourtaud. Les architectes ? Toujours les mêmes !
M. Henri Plagnol, secrétaire d'Etat. Vous l'avez dit : il est légitime, pour des équipements publics destinés avant tout à ceux qui en seront les principaux utilisateurs - les enseignants et les élèves pour ce qui concerne les écoles, les aides-soignants et les malades pour ce qui concerne les hôpitaux -, d'introduire des critères de maintenance le plus en amont possible. Mais cela, bien entendu, à condition que l'objectif soit la qualité des bâtiments publics. De ce point de vue, le Gouvernement partage votre combat.
Vous avez terminé sur ce cri : « Simplifiez, mais protégez l'architecture de nos cités ! » Je vous réponds que, précisément, nous simplifierons pour protéger l'architecture de nos cités.
Nous venons de connaître la semaine nationale du développement durable. Toutes les associations ont observé qu'à l'heure actuelle les critères d'économie d'énergie et de durabilité des bâtiments sont systématiquement sacrifiés lorsque l'on conçoit des bâtiments publics car les élus locaux, trop souvent, sont soumis à la dictature du moins-disant, c'est-à-dire à la dictature du court terme.
Mme Danièle Pourtaud. C'est faux !
M. Henri Plagnol, secrétaire d'Etat. Il faut instaurer des paramètres qui permettent la prise en compte du long terme, pour permettre par exemple de choisir les systèmes économisant le mieux l'énergie sur la longue durée ou de minimiser les consommations d'eau.
Nous contribuerons à mener à bien ce combat pour la qualité des bâtiments publics...
Mme Danièle Pourtaud. Mais c'est faux !
M. Henri Plagnol, secrétaire d'Etat. ... à la condition de prendre en compte les inquiétudes exprimées par les architectes et de faire en sorte qu'ils soient pleinement associés aux décisions.
Mme Danièle Pourtaud. Oh ! Mais quelle mauvaise foi !
M. Henri Plagnol, secrétaire d'Etat. La noblesse du geste architectural est d'ailleurs garantie par la loi de programme du 28 décembre 1967 relative à la restauration des monuments historiques et à la protection des sites, à laquelle il n'est apporté aucune modification.
En ce qui concerne, enfin, le partenariat public-privé, le maître d'ouvrage restera souverain. Il ne s'agit que d'offrir la possibilité à la collectivité publique de passer contrat avec le privé, quand elle l'estime nécessaire, notamment pour des conditions tenant aux délais.
Peut-on se résigner aujourd'hui, en France, au fait qu'il faille souvent attendre près de dix ans pour réaliser une école, un hôpital, une prison ou encore un commissariat, une fois que la décision politique est prise ? Vous avez d'ailleurs déjà voté ces dérogations dans la loi pour la sécurité intérieure, s'agissant des commissariats, ou dans la loi d'orientation et de programmation pour la justice pour ce qui concerne les tribunaux. Mais cela vaut également pour tout bâtiment public !
Je voudrais insister maintenant sur le maintien du système permettant à une personne publique de passer contact avec une personne privée, y compris avec des paiements différés sur une longue durée. Cela existe déjà dans notre droit, puisque c'est le système traditionnel de la concession de service public, qui fonctionne très bien, car la collectivité publique conserve la maîtrise du cahier des charges et des critères à appliquer. Il s'agit simplement d'étendre ce système, car les architectes, les artisans, les petites entreprises doivent naturellement y être associés.
Je veux par ailleurs remercier le Sénat d'avoir enrichi d'une manière importante le projet de loi, en exigeant notamment que l'ordonnance prévoie les conditions nécessaires pour que les architectes, les concepteurs, les petites et moyennes entreprises et les artisans aient accès d'une manière équitable au contrat.
Je crois que nous sommes parvenus à une rédaction équilibrée, absente de toute idéologie, qui permet de simplifier le service public tout en garantissant son efficacité. C'est là l'exemple même de la démarche que suit le Gouvernement pour réformer l'Etat : partir des préoccupations des fonctionnaires de terrain, des acteurs, des élus locaux, tout en leur faisant confiance et en libérant leurs énergies, pour élaborer un texte, car nous croyons à un service public moderne, capable de mieux répondre aux attentes de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.