COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. GUY FISCHER
vice-président
M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à seize heures.)
PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
RAPPEL AU RÈGLEMENT
M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade, pour un rappel au règlement.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention se fonde sur l'article 36 du règlement et a trait à l'organisation de nos travaux.
Monsieur le ministre, comme des millions de nos compatriotes, je vous ai entendu : vous avez fait la sourde oreille aux centaines de milliers de manifestants...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oh non !...
M. Roger Karoutchi. Que proposez-vous à la place ?
Mme Odette Terrade. ... qui hier, une fois de plus, ont demandé le retrait de votre projet visant à réduire les retraites et l'ouverture de négociations afin d'élaborer une autre réforme, une réforme qui soit fondée sur l'égalité et sur la participation de tous à l'effort social.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ce n'est pas un rappel au règlement, c'est un règlement de comptes !
Mme Odette Terrade. J'ai été frappée, monsieur le ministre, par votre volonté de diviser les Français, de dresser les salariés du public contre ceux du privé, alors que l'enjeu unique est d'assurer un repos bien mérité à des femmes et à des hommes qui, toute leur vie, ont participé à l'effort commun.
M. Jean Chérioux. Tant pis pour les jeunes générations !
Mme Odette Terrade. Vous n'avez sans doute pas prêté attention à la présence de nombreuses délégations du secteur privé dans la manifestation d'hier. Vous n'avez sans doute par prêté attention aux sondages qui, hier encore, témoignaient du soutien populaire, franc et massif, aux manifestants.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est comme dans les pays de l'Est, ils fonctionnent par sondages !
Mme Odette Terrade. Plus généralement, vous ignorez sans doute l'état de précarité et de désarroi de bon nombre de salariés du privé, qui, comme en 1995, craignent les sanctions patronales mais soutiennent fortement les salariés du public.
M. Roger Karoutchi. Vous avez tout fait pour !
Mme Odette Terrade. Votre mauvaise foi d'hier nous inquiète. Vous poussez à la confrontation sociale.
M. Alain Gournac. Qu'avez-vous fait ?
M. Roger Karoutchi. Rien !
Mme Odette Terrade. Plutôt que de réduire la fracture sociale, vous poussez à l'élargir.
Cette surdité et cet aveuglement trouvent leur origine dans une erreur d'analyse fondalementale.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Sur quel article du règlement s'appuie-t-on ?
M. Roland Muzeau. Ecoutez un peu ! Cela vous fera du bien d'entendre cela !
M. Alain Gournac. C'est incroyable !
Mme Odette Terrade. Oui, c'est incroyable !
Vous avez cru que le résultat du candidat Jacques Chirac, qui a recueilli 82 % des voix, et votre victoire aux élections législatives qui s'est ensuivie valaient blanc-seing pour vos choix ultralibéraux. Il n'en est rien !
M. Jean Chérioux. Ce n'est pas un rappel au règlement !
Mme Odette Terrade. Notre peuple, les salariés du public comme du privé, portent des valeurs fortes, des valeurs de solidarité, des valeurs républicaines. Votre attitude, comme celle de M. Raffarin, manifeste une volonté de rompre ce contrat social qui fonde notre nation. (M. Alain Gournac s'exclame.)
Alors que s'ouvre aujourd'hui un débat difficile sur le projet de loi portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion, dans lequel, une fois de plus, les plus démunis sont montrés du doigt, je tiens à vous demander de retirer enfin votre projet,...
M. Alain Gournac. Non !
Mme Odette Terrade. ... d'écouter et de sortir de vos certitudes dogmatiques.
M. Roger Karoutchi. Bof !
Mme Odette Terrade. Votre responsabilité est grande, monsieur le ministre. Vous devez présenter à notre peuple les différentes réformes envisageables, sans dissimuler qu'il est possible de faire participer les revenus financiers.
Le peuple est adulte, il saura opter pour les choix conformes à l'intérêt général. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. Jean Chérioux. C'est pour cela qu'il ne vous suivra pas !
M. Roger Karoutchi. On l'a bien vu, ces dernières années !
M. Roland Muzeau. D'autres avant vous ont retiré des textes, d'autres le feront après vous !
ORGANISME EXTRAPARLEMENTAIRE
M. le président. J'informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du conseil d'administration du Centre français du commerce extérieur.
Conformément à l'article 9 du règlement, j'invite la commission des affaires économiques à présenter une candidature.
La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l'article 9 du règlement.
RETRAIT DE L'ORDRE DU JOUR
D'UNE QUESTION ORALE
M. le président. J'informe le Sénat que la question n° 255 de Mme Michelle Demessine est retirée de l'ordre du jour de la séance du mardi 3 juin 2003, à la demande de son auteur.
DÉCENTRALISATION EN MATIÈRE DE REVENU
MINIMUM D'INSERTION ET CRÉATION
D'UN REVENU MINIMUM D'ACTIVITÉ
Discussion d'un projet de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 282, 2002-2003) portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité. [Rapport n° 304 (2002-2003) et avis n° 305 (2002-2003).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le revenu minimum d'insertion, le RMI, fête cette année son quinzième anniversaire. Dans son discours de politique générale du 3 juillet 2002, le Premier ministre avait indiqué que cet anniversaire serait l'occasion d'un débat parlementaire. Plus récemment, le 28 février dernier, lors de la synthèse des assises régionales des libertés locales, il a souhaité que le revenu minimum d'insertion puisse constituer l'une des principales mesures de la décentralisation dans le domaine de l'action sociale. Enfin, lors de la table ronde pour l'emploi qui s'est tenue le 18 mars dernier, j'ai annoncé la mise en oeuvre prochaine d'un revenu minimum d'activité, le RMA, conformément à l'engagement que le Président de la République avait pris lors de sa campagne.
C'est pourquoi je suis heureux de pouvoir honorer ces engagements et d'ouvrir au Sénat la discussion qui marque le début de leur mise en oeuvre. Je sais tout l'intérêt que vous portez, mesdames, messieurs les sénateurs, au processus de décentralisation et à la lutte contre l'exclusion, comme en témoignent vos initiatives successives pour créer un revenu minimum d'activité.
Le Gouvernement a décidé d'agir. Il a décidé d'agir sans attendre : le nombre d'allocataires du RMI a doublé depuis les premières années de la décennie quatre-vingt-dix, pour se stabiliser aujourd'hui autour d'un million de personnes, et même de deux millions si l'on tient compte des membres de chaque foyer.
Une société comme la nôtre ne peut accepter de laisser autant de personnes sur le bord de la route.
M. Jacques Oudin. Très bien !
M. François Fillon, ministre. L'inaction ou l'irrésolution ne seraient pas comprises par nos concitoyens. C'est la justice sociale qui dicte nos responsabilités.
Le projet de loi qui vous est présenté tire les leçons de quinze ans d'expérience, quinze ans qui ont nourri des travaux multiples réalisés par des organismes décentralisés, associatifs ou universitaires, et par les services ministériels. Il s'inspire des bonnes pratiques de terrain, en France comme à l'étranger, et il s'efforce de corriger les dysfonctionnements constatés, notamment, par la Cour des comptes. Il tient compte aussi, quoi qu'en disent certains, de la concertation menée avec les partenaires sociaux et avec les associations (M. Roland Muzeau s'exclame), soit directement, soit par le biais de plusieurs instances consultatives, notamment le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale ainsi que le Conseil national de l'insertion par l'activité économique. Enfin, le projet de loi s'inspire des travaux parlementaires et des multiples propositions de loi qui les ont prolongés. (M. Alain Gournac approuve.)
Le projet de loi part d'un double constat.
Les Français sont attachés au revenu minimum d'insertion par devoir de solidarité envers les plus défavorisés. C'est pourquoi le projet de loi en préserve l'architecture générale.
Mais nos concitoyens estiment aussi, dans une logique de réciprocité, qu'une contrepartie est légitime : cette contrepartie, c'est celle de l'effort d'insertion et de la quête d'une activité. Cette attente est plus forte encore chez les Français qui tirent de leur travail quotidien des revenus faibles sans que leurs conditions d'existence diffèrent sensiblement de celles que connaissent ceux qui ne travaillent pas.
Le projet de loi s'attache aussi à éviter plusieurs écueils.
L'attachement légitime au revenu minimum d'insertion ne doit pas avoir pour effet une crispation conservatrice ; il ne doit pas se traduire par un statu quo empreint d'attentisme. Inversement, la nécessité de corriger les dysfonctionnements actuels du dispositif ne doit pas aboutir à l'expression de préjugés blessants ou à des généralisations hâtives sur celles et ceux de nos concitoyens qui sont dans la difficulté, une difficulté parfois extrême. Dans ce domaine comme dans d'autres, la stigmatisation d'une partie de la population est contraire à nos convictions républicaines.
Je le dis avec d'autant plus de force que la majorité des allocataires du revenu minimum aspire à un accès ou à un retour à l'emploi, par souci d'améliorer leur situation personnelle, mais aussi par besoin d'utilité sociale, de dignité personnelle ou encore d'autonomie familiale.
Pour ceux qui en douteraient, je rappellerai simplement deux chiffres : d'une part, sur environ un million d'allocataires du revenu minimum d'insertion, 300 000 entrent dans le dispositif et en sortent chaque année ; d'autre part, la moitié environ des allocataires sont inscrits à l'Agence nationale pour l'emploi, l'ANPE.
C'est pourquoi le projet de loi s'attache à épauler les allocataires qui sont à la recherche d'un emploi et à lever les obstacles que rencontrent ces personnes fragilisées par les accidents de la vie et par un isolement prolongé.
La réforme que nous vous proposons s'appuie sur le constat, largement établi par de nombreux travaux, d'un relatif échec de l'insertion des allocataires du revenu minimum d'insertion.
Il existe en effet un réel décalage entre l'objectif d'insertion assigné au RMI et les résultats que nous pouvons tous observer depuis plusieurs années.
Le revenu minimum d'insertion devait, vous le savez, constituer une rupture par rapport à la logique traditionnelle de l'assistance en entravant le processus d'exclusion des personnes les plus en difficulté. A cette fin, il associe à certains droits objectifs liés à l'âge ou aux ressources de l'allocataire un contrat d'insertion, c'est-à-dire un « engagement réciproque », ainsi que l'indique la loi, entre le signataire et la collectivité. Par cet engagement personnel et par l'aide qui devait l'accompagner, l'allocataire devait retrouver le chemin de l'insertion sociale et, si possible, de l'insertion professionnelle.
Pourtant, quinze ans après, le dispositif, conçu à l'origine comme une aide momentanée, est devenu une prestation sociale d'assistance de « masse » et durable. Le filet de sécurité qu'instituait le revenu minimum d'insertion s'est en réalité transformé, dans bien des cas, en un filet qui retient.
Plusieurs signes témoignent de cette évolution.
D'abord, le taux de contractualisation stagne à environ 50 %. Ce constat ne préjuge pas, d'ailleurs, une responsabilité imputable aux seuls allocataires : l'insuffisance de la contractualisation, en effet, tient souvent à la dispersion des acteurs. Le résultat en est un isolement accru, faute de rencontre et de suivi entre l'allocataire et un accompagnateur identifié. J'y reviendrai dans un instant.
Ensuite, la hausse continue du nombre des allocataires âgés de trente-cinq à soixante ans qui perçoivent depuis plus de deux ans le revenu minimum d'insertion témoigne d'un phénomène d'installation, voire d'enfermement dans l'assistance. Cette situation, vous le savez, alimente des débats sans fin sur d'éventuelles « trappes à inactivité ». J'y reviendrai aussi.
Enfin, les efforts antérieurs dits de « redynamisation » n'ont pas abouti au résultat escompté. C'est le cas notamment des possibilités de cumuler l'allocation et un revenu d'activité, qui ne concernent aujourd'hui qu'un peu plus de 10 % des allocataires.
Face à ce constat, nous ne pouvons pas nous satisfaire de simples ajustements et encore moins de propos incantatoires : nous avons besoin d'une réforme ample et pragmatique.
Tel est l'objet du texte qui vous est soumis, et qui obéit à un double objectif : d'une part, nous souhaitons optimiser la gestion du revenu minimum d'insertion au plus près du terrain, au plus près des hommes, en clarifiant les responsabilités ; d'autre part, nous voulons développer une offre d'insertion dans un cadre plus incitatif et élargi tant au domaine public ou associatif qu'au secteur des entreprises.
Nous proposons tout d'abord de miser sur la proximité de gestion en décentralisant le revenu minimum d'insertion. Je souhaite vous exposer en quelques mots les motifs et les principales modalités de cette démarche.
L'orientation retenue s'inscrit dans la continuité de la décentralisation, en vertu de laquelle, depuis vingt ans, l'aide aux personnes les plus en difficulté est confiée aux départements. Ceux-ci disposent aujourd'hui, dans la gestion des situations individuelles, d'un savoir-faire reconnu qui mérite d'être développé et valorisé.
C'est pourquoi la responsabilité de la gestion et le financement de l'allocation relèveront à l'avenir des départements, conformément d'ailleurs à l'attente que le Sénat avait exprimée dès l'automne 1988 : les débats au sein de votre assemblée sur le projet de création d'un revenu minimum d'insertion avaient en effet déjà alerté le gouvernement de l'époque sur l'incohérence qui conduisait à confier le dispositif à l'Etat cinq ans à peine après la première loi de décentralisation, qui, elle, avait délégué l'aide sociale légale aux départements.
Cette décentralisation est particulièrement importante puisqu'elle portera sur environ 4,5 milliards d'euros et s'accompagnera, comme l'impose désormais la Constitution, d'un transfert de ressource fiscale. Les modalités exactes de ce transfert devront tenir compte des orientations qui seront retenues dans le projet de loi de décentralisation plus général qui est en cours d'élaboration.
Vous savez que, conformément aux orientations actuelles en matière de décentralisation, l'accroissement de charges résultant des transferts de compétence sera compensé par l'attribution aux collectivités départementales d'une quote-part de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, la TIPP.
Il n'est pas prévu de faire varier la ressource transférée en fonction de l'évolution de la dépense, car sa répartition sera fondée sur le constat des dépenses réalisées par l'Etat avant la décentralisation. Cependant, le montant de la quote-part de la TIPP attribuée aux départements devra évoluer au même rythme que la consommation des produits pétroliers.
Les mécanismes détaillés ne sont pas arrêtés à ce jour ; les conditions de ce transfert seront précisées lors de la préparation du projet de loi de finances pour 2004.
Cette décentralisation est importante sur le plan financier, mais elle l'est aussi sur le plan juridique puisque le présent projet de loi constitue une première application de la récente réforme constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République. En effet, le deuxième alinéa de l'article 72 de la Constitution précise désormais que « les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur échelon ».
Dans ce nouveau contexte financier et juridique, le projet de loi s'efforce d'établir un équilibre entre deux principes : l'égalité d'accès aux droits et la responsabilité accrue des acteurs locaux.
Pour répondre au principe d'égalité de traitement, le projet de loi prévoit que les conditions d'attribution du revenu minimum d'insertion et son barème restent fixés à l'échelon national. De même, il a paru souhaitable que le service de l'allocation continue d'être assuré par les caisses d'allocations familiales et par les caisses de mutualité sociale agricole, qui ont su associer, depuis 1989, l'efficacité de leur gestion et un sens social développé, notamment à l'égard des publics particulièrement fragiles.
Plus encore, le projet de loi conforte l'architecture globale du revenu minimum d'insertion, qui lie dans une même prestation un revenu minimum et un droit à l'insertion, qu'elle soit sociale ou professionnelle. J'insiste sur ce point pour corriger certains commentaires portés sur une réforme parfois mal comprise. Selon certains, en effet, la réforme ne serait qu'une adaptation à la française du concept anglo-saxon de workfare, avec toutes les contraintes qui lui sont attachées. Il n'en est rien : le revenu minimum d'insertion n'est ni un droit inconditionnel à un revenu d'assistance ni un droit à un revenu donnant lieu à une contrepartie obligatoire sous forme d'activité rémunérée.
L'expérience étrangère nous montre d'ailleurs les risques qui s'attacheraient à une mise au travail trop pressante et mécanique en creusant, sur le plan social, l'écart entre ceux qui ont les capacités d'assurer un travail et ceux qui, plus fragiles, ne peuvent y accéder, au moins momentanément.
C'est aussi la raison du maintien de la règle dite des 17 % relative aux crédits d'insertion. En effet, le Gouvernement a souhaité maintenir les dispositions actuelles relatives à l'obligation d'inscription au budget départemental d'un crédit d'insertion égal à 17 % en métropole et 16,25 % dans les départements d'outre-mer du montant des allocations de revenu minimum d'insertion versées l'année précédente dans le département.
Ce choix est destiné à apaiser les inquiétudes de ceux qui craignent une éventuelle réduction de l'effort d'insertion - notamment de l'insertion sociale - à l'occasion du transfert de compétences et de ressources. Si l'emploi est la meilleure protection sociale, nous ne devons pas mésestimer que bien d'autres aspects de la vie sociale, tels que l'accès aux soins ou au logement, sont souvent, pour beaucoup d'allocataires, la première nécessité.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est vrai !
M. François Fillon, ministre. Il est à craindre que la suppression de ces 17 % ne soit ressentie comme un désengagement. Je sais que vous n'êtes pas tous convaincus par ce choix et j'imagine que nous aurons l'occasion d'en débattre.
Au-delà du respect de l'égalité d'accès et de traitement, le deuxième principe d'action vise la mobilisation des acteurs de l'insertion. A l'effort et à l'engagement demandés à chaque allocataire doivent répondre, en effet, l'implication et l'initiative des principaux responsables sur le plan territorial pour combattre l'essoufflement actuel de l'insertion.
La mise en oeuvre de ce principe d'action repose, d'abord, sur la responsabilité accrue du conseil général et sur un effort significatif d'accompagnement personnalisé.
Pour clarifier et développer les responsabilités locales, ce projet de loi s'inspire des expériences étrangères en matière de minima sociaux. Ces pays ont opté, le plus souvent, pour une gestion locale et décentralisée ; c'est le cas de l'Allemagne, de l'Espagne, de la Belgique ou encore des Pays-Bas. En outre, nous avons voulu corriger les insuffisances soulignées par la Cour des comptes dans son rapport public de 2001.
Les conseils départementaux d'insertion, les CDI, s'engagent insuffisamment dans l'élaboration d'une stratégie départementale, souligne ce rapport. De plus, les commissions locales d'insertion, les CLI, sont trop souvent réduites à l'enregistrement des contrats d'insertion. L'engorgement et les retards expliquent en grande partie l'insuffisant taux de contractualisation que j'évoquais tout à l'heure, au détriment, finalement, de la politique d'animation et d'insertion que devraient conduire ces commissions dans leur ressort territorial.
Enfin, ces missions se réalisent dans le cadre d'un copilotage exercé à la fois par le préfet et par le président du conseil général ; les compétences s'y enchevêtrent au risque d'une défense stérile d'enjeux purement institutionnels.
M. Alain Gournac. Tout à fait !
M. François Fillon, ministre. Nous avons souhaité remédier à ces dysfonctionnements de deux manières.
D'une part, la présidence du comité départemental d'insertion sera confiée au président du conseil général, qui en désignera les membres. Puis il élaborera et mettra en oeuvre le programme départemental d'insertion. Bien entendu, cette liberté nouvelle n'a pas pour finalité, en supprimant la liste antérieure de ses membres, d'évincer les acteurs actuels. Elle a pour seul but d'apporter de la souplesse à un cadre trop contraignant en permettant au président du conseil général de s'entourer des forces vives les plus adaptées aux spécificités sociales, rurales ou industrielles du département.
D'autre part, le président du conseil général désignera seul les membres et le président des commissions locales d'insertion. Les compétences en matière d'approbation des contrats d'insertion seront alors transférées des commissions locales d'insertion aux services du conseil général, à l'exception des avis sollicités préalablement à une demande de suspension.
Le deuxième axe de la mobilisation des acteurs s'inspire tout à la fois de l'expérience étrangère, notamment celle qui prévaut en Suède, et du savoir-faire acquis par vingt ans de décentralisation. Il repose sur le renforcement de l'accompagnement personnalisé pour mieux lutter contre l'isolement des allocataires.
Tout d'abord, le projet de loi ouvre la possibilité de démultiplier les lieux de dépôt et d'instruction de la demande et crée une obligation d'information sur les droits et devoirs de chaque allocataire.
Le projet de loi met également un terme à la dispersion actuelle de l'accompagnement, qui est liée au hasard du point d'entrée dans le dispositif. Cette disposition donne aussi un caractère concret à un contrat d'insertion souvent très flou. Désormais, une même personne sera chargée d'accompagner l'allocataire dans ses démarches et ses efforts d'insertion, qu'il ait déposé sa demande au centre communal d'action sociale ou auprès d'une association agréée, qu'il soit à la recherhce d'un logement plus adapté au titre de l'insertion sociale, ou à la recherche d'un emploi au titre de l'insertion professionnelle.
Je souhaite, à cet égard, rappeler que la désignation d'une personne référente désignée par le conseil général n'est pas destinée à exercer quelque pression que ce soit sur l'allocataire, comme certains ont tenté de le dire : elle est chargée de coordonner la mise en oeuvre du contrat d'insertion, donc d'aider l'allocataire à lever tous les obstacles qui se présentent à lui. L'accompagnateur veille à la qualité du parcours d'insertion et de ses éventuelles réorientations. Cette fonction peut naturellement être déléguée par le département à une commune ou à une association.
D'ailleurs, pour préserver tout risque que cette relation n'aboutisse à une confusion des rôles entre juge et partie, le texte apporte deux garanties importantes.
D'une part, la CLI sera appelée à donner son avis préalable dans le cas où une procédure de suspension serait mise en oeuvre. C'est le seul cas où cette commission conserve un rôle en matière de décision individuelle.
D'autre part, et surtout, le projet de loi réforme la composition particulière de la commission départementale d'aide sociale appelée à statuer en matière de revenu minimum d'insertion. Pour garantir son indépendance, cette commission sera composée, comme dans ses autres domaines de compétences, d'un magistrat de l'ordre judiciaire - ce sera le président de la commission - de trois conseillers généraux et de trois fonctionnaires de l'Etat.
Au total, par une clarification des responsabilités et par un accompagnement individualisé, le projet de loi confie pleinement aux départements le pilotage local de l'insertion. Il dynamise aussi les acteurs locaux : les communes, les services départementaux, les associations, les caisses d'allocations familiales, les caisses de mutualité sociale agricole, les agences départementales d'insertion dans les départements d'outre-mer.
Un nouvel équilibre se met ainsi en place grâce à un transfert important de compétences et de ressources. Cet équilibre préserve l'égalité d'accès aux droits et apporte de réelles garanties aux allocataires sur le plan tant social que juridique.
J'en viens maintenant au second volet de la réforme : la création d'un revenu minimum d'activité.
La création d'un revenu minimum d'activité a été largement commentée dès l'annonce de ce projet de loi. Certains ont cru y voir « une précarisation accrue du salariat » et même « le retour du servage » ! D'autres, pourtant d'habitude sans complaisance, ont salué, au contraire, « une mesure qui va dans le bon sens » et ont même identifié le revenu minimum d'activité au « chaînon manquant entre solidarité nationale et revenu du travail ».
MM. Jacques Oudin et Alain Gournac. Très bien !
M. François Fillon, ministre. Je lis et j'entends avec une grande consternation les apostrophes des premiers tant elles sont ignorantes de nos objectifs, tant elles méprisent les aspirations à l'utilité sociale et à l'estime de soi de milliers d'allocataires, tant elles manifestent une interprétation partisane et une défense obstinée d'un dispositif qui enferme les allocataires dans une logique d'échec.
Replaçons le débat et les choses à leur place.
Le revenu minimum d'activité répond à une aspiration constante du Sénat qui s'était exprimée dans la période récente, en 1998, sur l'initiative de votre commission des affaires sociales, lors des débats sur la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions, et plus récemment, en 2001, au cours de l'examen de la proposition de loi de MM. Lambert et Marini. Le projet de loi qui vous est présenté s'inspire de ces initiatives.
Il s'inspire aussi des méthodes d'activation des dépenses d'indemnisation de l'assurance chômage gérée par les partenaires sociaux, qui ont abouti, d'abord, aux conventions de coopération, puis aux allocations dégressives à l'employeur.
Je souhaite vous en préciser l'objet, les modalités et les effets.
L'idée du revenu minimum d'activité est simple : il s'agit de combattre la précarité et l'isolement en créant une transition entre un revenu d'assistance et l'emploi ordinaire, par refus de l'alternative stérilisante entre l'assistanat total et le salariat traditionnel.
A cette fin, plusieurs modalités sont retenues. Il convient d'en décrire les principaux rouages, sans figer à l'excès le choix des paramètres retenus.
Il s'agit, d'abord, d'éviter un risque d'installation dans le revenu minimum d'insertion. Ainsi que je l'ai indiqué il y a quelques instants, la croissance économique des dernières années et la légère décélération du nombre des allocataires qui l'a accompagnée n'ont pas empêché l'augmentation du nombre des personnes présentes dans le dispositif depuis plus de deux ans. Près d'un allocataire sur trois est au revenu minimum d'insertion depuis plus de trois ans et près d'un sur dix depuis plus de dix ans.
Malgré la création de contrats aidés de type contrats emploi-solidarité, CES, ou contrats initiative-emploi, CIE, et malgré les efforts successifs pour recentrer les contrats sur des publics prioritaires, la proportion de personnes en contrats aidés parmi les allocataires du revenu minimum d'insertion est à la baisse : elle est passée de 21 % en 1996 à 13 % en 2001.
Le choix d'une ancienneté de deux ans pour accéder au revenu minimum d'activité est dicté par cette situation. Il est destiné, précisément, à ne pas laisser au bord de la route les allocataires les plus en difficulté. Plus de la moitié des allocataires sont au revenu minimum d'insertion depuis plus de deux ans.
Le revenu minimum d'activité ne se substitue pas aux contrats aidés en vigueur. Il préserve aussi l'existence de règles spécifiques de cumul entre une activité et une allocation au titre du mécanisme dit d'intéressement.
Inversement, le revenu minimum d'activité n'est pas un sas obligatoire. Il crée simplement un nouveau chemin vers l'activité, en élargissant la gamme des étapes vers l'emploi aidé ou vers l'emploi de droit commun.
En évoquant le risque d'installation dans le revenu minimum d'insertion, je ne veux pas ouvrir le thème très controversé des « trappes à inactivité ou des trappes à pauvreté », que j'évoquais il y a quelques instants.
Pour certains experts, les minima sociaux sont des prestations qui freineraient l'incitation à la reprise du travail : la sécurité et le niveau de l'allocation d'assistance rendraient vaine la recherche d'un emploi, voire la rendraient désavantageuse par la perte des droits sociaux ou fiscaux qui y sont attachés.
Pour d'autres, au contraire, cette affirmation ne serait qu'un préjugé idéologique démenti par l'observation des nombreuses démarches réalisées par les allocataires pour chercher un travail.
Le Gouvernement ne prétend pas lever cette contradictions d'experts ; il préfère s'appuyer sur un constat de bon sens : le retour à l'emploi ne répond pas seulement au besoin d'une amélioration matérielle de la situation personnelle ou familiale ; il répond aussi à un besoin de reconnaissance sociale liée à un statut proche de la norme, d'autant qu'un grand nombre d'allocataires sont eux-mêmes d'anciens salariés.
Il convient, ensuite, d'éviter un autre risque : celui d'une installation dans le revenu minimum d'activité.
Ce contrat est destiné à mettre le bénéficiaire en situation de travail. Il s'assimile à l'apprentissage ou au réapprentissage des efforts liés à une activité organisée et collective. C'est un réentraînement indispensable après plusieurs années d'inactivité. Mais ce palier, plus ou moins long selon les situations individuelles, n'a pas vocation à se prolonger au-delà du temps nécessaire à la consolidation des aptitudes à exercer des activités plus exigeantes en termes de qualification et de productivité. C'est pourquoi nous avons limité la durée totale du revenu minimum d'activité à dix-huit mois.
Il s'agit, enfin, de créer une étape dans un parcours progressif d'insertion professionnelle.
Pour un public en inactivité depuis au moins deux ans, il est sans doute difficile d'envisager le passage immédiat d'une inactivité prolongée à une activité à temps plein. C'est la raison pour laquelle le choix s'est porté sur une durée hebdomadaire de vingt heures. L'intérêt d'un mi-temps est aussi de préserver la disponibilité nécessaire à l'acquisition éventuelle d'une formation professionnelle, complémentaire des actions de tutorat ou d'adaptation à l'emploi organisées par l'employeur.
Au total, le revenu minimum d'activité est un contrat de travail et un salaire, dont les spécificités sont liées à l'équilibre recherché entre plusieurs finalités.
La première spécificité tient au fait qu'il améliore les gains de l'allocataire d'environ 50 %, dans le respect des limites de la dépense publique. En effet, le revenu minimum d'activité associera une allocation forfaitaire du revenu minimum d'insertion versée par la caisse d'allocations familiales ou par la caisse de mutualité sociale agricole à l'employeur, et un complément à la charge de ce dernier. Cette rémunération sera versée par l'employeur au salarié, qui bénéficiera au total d'une rémunération au moins égale au SMIC.
Le RMA répond ainsi à l'engagement du Président de la République : « Grâce à l'institution d'un véritable revenu minimum d'activité, toute reprise d'activité s'accompagnera d'une hausse des revenus. »
La deuxième spécificité est la suivante : à la différence des contrats aidés - que connaît bien votre collègue Bernard Seillier, qui effectue une mission sur le sujet -, le revenu minimum d'activité crée un dispositif dont l'architecture est identique dans le secteur public ou privé.
En effet, le champ d'application de ce contrat est celui des employeurs du secteur marchand, à l'exception des particuliers, et du secteur non-marchand, à l'exception de l'Etat et des départements. Dans le secteur non-marchand, le revenu minimum d'activité ouvrira droit, cependant, à une exonération des cotisations patronales de sécurité sociale compensée par le budget de l'Etat.
La troisième spécificité concerne l'équilibre recherché entre les avantages et les obligations de l'employeur.
Le coût du travail bénéficie de l'allégement que constitue l'aide départementale, mais cet allégement trouve sa contrepartie dans les obligations attachées à une embauche intégrant la mise en oeuvre d'un tutorat, d'un suivi individualisé ou d'une formation au sein de l'entreprise ou de l'organisme en faveur d'un public fragile.
La dernière spécificité est liée à la sécurité qu'offre le revenu minimum d'activité pour son bénéficiaire.
C'est, d'abord, la sécurité d'une rémunération constante, à la différence de l'intéressement dans le régime général, dont la compréhension et l'attractivité sont limitées par sa dégressivité continue et la complexité de ses calculs.
C'est ensuite, et surtout, la sécurité d'une rémunération qui maintient, durant le versement du revenu minimum d'activité, non seulement les droits garantis au titre du revenu minimum d'insertion, notamment l'accès à la couverture maladie universelle et à la couverture maladie universelle complémentaire tant pour l'allocataire que pour sa famille, mais également le salaire en cas de maladie, sans délai de carence et sans référence à une ancienneté minimale dans l'entreprise. Le revenu minimum d'activité donne ainsi la préférence à la protection sociale immédiate et laisse à l'étape suivante de l'emploi ordinaire la plénitude des droits contributifs à la pension de retraite de base ou complémentaire.
Telles sont les principales caractéristiques du projet de revenu minimum d'activité qui n'a d'autre objectif que de rétablir, dans l'intérêt général, une plus grande égalité des chances dans l'accès à l'emploi des allocataires les plus en difficulté, en opposant à la sélectivité du marché du travail les dispositions les plus adaptées à leur situation particulièrement désavantagée.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la réforme qui vous est présentée s'inscrit dans un projet social que le Gouvernement a commencé à mettre en oeuvre en faveur des bas salaires, des entreprises d'insertion par l'activité économique ou encore de l'emploi des jeunes dans l'entreprise.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. François Fillon, ministre. Le Gouvernement entend aller plus loin encore en donnant un nouveau souffle à l'insertion des bénéficiaires du RMI.
Il s'agit, d'une part, d'optimiser et de rénover la gestion du revenu minimum d'insertion en allant au plus près du terrain, et, d'autre part, d'épauler nos concitoyens bénéficiaires du revenu minimum d'insertion : en complétant le revenu minimum d'insertion par un revenu minimum d'activité, nous les aidons à retrouver le chemin de l'activité et de la confiance en rehaussant la valeur du travail, lequel est source de dignité.
Le projet de loi conjugue la solidarité collective et l'égalité, égalité non seulement de traitement pour l'accès à l'allocation du RMI dans un cadre décentralisé soumis à l'évaluation nationale, mais aussi égalité des chances pour l'accès à l'emploi dans un marché du travail spontanément porté à la sélection des embauches.
Ce projet de loi conjugue aussi l'accompagnement des personnes les plus en difficulté, dans le cadre d'une gestion de proximité, avec la mobilisation collective de tous les acteurs locaux de l'insertion.
En généralisant avec pragmatisme les bonnes pratiques constatées depuis quinze ans dans la gestion du revenu minimum d'insertion, la réforme tend à corriger la dérive des objectifs initiaux ainsi que les insuffisances de ce dispositif. Dans le cadre d'une organisation plus décentralisée, la réforme s'efforce de démultiplier l'offre d'insertion professionnelle, tout en poursuivant l'effort d'insertion sociale des personnes pour lesquelles la santé ou le logement restent les principaux obstacles d'un retour à l'autonomie.
En ce sens, le projet de loi contribue au renforcement de la cohésion sociale, dont Alexis de Tocqueville avait décrit la dynamique en ces termes : « Les libertés locales ramènent sans cesse les hommes les uns vers les autres en dépit des instincts qui les séparent, et les forcent à s'entraider. » Nous pourrions ajouter : en rétablissant chez les plus faibles la confiance en eux, ils fortifient la confiance des autres.
Le Gouvernement n'a d'autre ambition, en définitive, que la promotion de la dignité personnelle et de la responsabilité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Alain Gournac. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'Union centriste et sur certaines travées du RDSE.)
M. Bernard Seillier, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de sa création, en 1988, le RMI devait représenter une rupture par rapport à la logique traditionnelle de l'assistance, en luttant, dans un même effort, contre la pauvreté et contre l'exclusion sociale et professionnelle d'une frange croissante de la population.
Ce qui explique le large consensus qui a prévalu lors de son adoption, c'est bien le fragile équilibre entre ces deux principes constitutionnels que sont le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi, ainsi que cet engagement réciproque : un engagement à proposer une offre d'insertion suffisante pour la collectivité, un engagement à agir pour le bénéficiaire.
Aujourd'hui, quinze ans après sa création et cinq ans après le vote de la loi d'orientation de lutte contre les exclusions, le bilan du RMI ne peut pas être qu'un constat d'échec. Il est indubitable que le RMI répondait à un véritable besoin, et son rôle est aujourd'hui incontournable dans notre dispositif de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale.
Cependant, les craintes concernant les fragilités intrinsèques du dispositif, liées non seulement à l'articulation entre allocation et insertion, mais également aux choix de répartition des compétences, se sont révélées fondées.
En effet, l'augmentation continue du nombre de bénéficiaires dépasse de loin les prévisions initiales : alors que le ministère des affaires sociales avait estimé, en 1988, à 570 000 le nombre des allocataires potentiels, on recensait près de 1,1 million d'allocataires au 31 décembre 2002, soit plus de 2 millions de personnes vivant du RMI.
Cette augmentation est d'autant plus inquiétante que, nous l'avons constaté ces dernières années, les effets de la croissance restent peu visibles sur les effectifs des allocataires.
L'augmentation du nombre des bénéficiaires a également mis en lumière les faiblesses du dispositif de gestion de l'allocation.
La multiplicité des acteurs intervenant dans l'instruction des dossiers ne peut qu'entraîner des problèmes de gestion et un allongement des délais de traitement.
Il convient également de mentionner la nécessité, soulignée par la Cour des comptes, de renforcer les contrôles. La conception même du dispositif du RMI ne facilite pas cette tâche, dans la mesure où elle repose sur un enchevêtrement des compétences et des responsabilités.
Les effets pervers du partage des compétences effectué en 1988, notamment l'effet déresponsabilisant de la dilution des responsabilités, sont enfin apparus de façon manifeste dans le domaine de l'insertion. Car s'il est, à mon sens, un échec du RMI, c'est bien celui du dispositif d'insertion.
Les instances chargées d'animer les politiques locales d'insertion sont aujourd'hui défaillantes. Le plan départemental d'insertion - quand il est adopté ! - reste, le plus souvent, un document formel, qui ne joue pas son rôle d'articulation entre l'Etat et le département.
Dans ces conditions, même les départements les plus concernés par les phénomènes d'exclusion ont du mal à utiliser l'ensemble des crédits inscrits à leur budget. Si le taux de consommation des crédits obligatoires d'insertion atteint désormais plus de 90 %, les reports de crédits non consommés représentaient, en 2001, 66 % de l'obligation légale au titre de cette même année.
La mauvaise volonté des départements, souvent mise en avant pour expliquer ce phénomène, ne saurait expliquer à elle seule les reports constatés ; il me paraît évident qu'il est également imputable au manque de souplesse dans les possibilités d'utilisation de ces crédits, notamment en matière de suivi ou de prévention.
Dans ces conditions, alors que le contrat d'insertion devait précisément assurer le lien entre l'allocation et l'engagement de l'allocataire à entrer dans une démarche d'insertion, le taux de contractualisation oscille, depuis dix ans, autour de 50 %, avec des disparités départementales importantes. Lorsqu'un contrat existe, il brille souvent par son manque de contenu concret.
Je voudrais insister sur le fait que la faiblesse du taux de contractualisation est largement imputable à une carence de l'offre d'insertion : c'est alors la collectivité qui ne remplit pas sa part du contrat.
Il me paraissait important de rappeler cet état de fait, afin qu'on ne se méprenne pas sur les finalités du dispositif qui nous est présenté et des amendements que la commission des affaires sociales vous proposera pour en améliorer l'efficacité. A travers la décentralisation du revenu minimum d'insertion et la création du revenu minimum d'activité, il s'agit bien de nous donner les moyens de tenir l'engagement que nous avons pris de proposer une offre d'insertion adaptée aux bénéficiaires.
Comme vous nous l'avez rappelé, monsieur le ministre, le projet de loi qui nous est présenté constitue la première application de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République, qui prévoit que les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences susceptibles de mieux être mises en oeuvre à leur échelon.
L'objectif de cette décentralisation est de renforcer la cohérence du dispositif aujourd'hui partagé entre l'Etat et le département. En clarifiant les responsabilités de chacun, il s'agit également de renforcer l'efficacité des politiques d'insertion.
La gestion de l'allocation et le pilotage de l'insertion relèveront désormais du seul département, le pari qui est fait étant celui de la responsabilité : responsable des allocations versées, le département l'est aussi de l'amélioration de l'insertion et, donc, de la sortie des bénéficiaires du dispositif.
Je ne reviendrai pas sur les détails du dispositif de décentralisation que vous venez, monsieur le ministre, de nous présenter. Je souhaite, en revanche, vous faire part de certaines des interrogations qui ont guidé l'analyse de ce projet de loi par la commission des affaires sociales.
S'agissant de la décentralisation de l'allocation elle-même, ces interrogations sont au nombre de trois.
La première, à mon sens, fondamentale pour l'économie de cette réforme, concerne les conditions financières du transfert au département de l'ensemble des compétences liées au RMI.
Monsieur le ministre, devant notre commission, vous avez précisé la philosophie de ce transfert de ressources. La dépense de RMI constatée en 2003 sera compensée par l'attribution, pour solde de tout compte, d'une part de la taxe intérieure sur les produits pétroliers d'un montant équivalent.
Il est presque impossible de prévoir les évolutions respectives de la recette et de la dépense. Elles dépendront l'une et l'autre de la croissance et, pour le RMI, de l'engagement des départements en faveur de l'insertion des bénéficiaires. Tout au plus pourrait-on dresser un bilan financier de ce transfert : si ce dernier avait été réalisé en 1993, il aurait coûté aux départements plus de 8 milliards d'euros en dix ans. Cette analyse doit toutefois être tempérée par la philosophie de la réforme : celle-ci tire les conclusions d'un échec de l'Etat dans l'endiguement de l'exclusion, et lance, ce faisant, aux départements un défi tout autant financier qu'humain, la réinsertion des bénéficiaires du RMI.
Certains points de détail ne sont pas abordés par le texte. En effet, qu'en sera-t-il de la prime de Noël, désormais traditionnelle, ou de l'attribution d'éventuelle « coups de pouce » et de toutes les modifications « des termes de l'échange » susceptibles d'intervenir dans le futur ? Qu'en sera-t-il également des conditions de transfert aux départements des personnels de l'Etat chargés de la gestion de la prestation dans les directions départementales des affaires sanitaires et sociales ?
La commission des affaires sociales estime que des précisions doivent encore être apportées sur ces sujets. Je ne doute pas, monsieur le ministre, que vous pourrez, au cours de ce débat, nous apporter les éclaircissements nécessaires.
La deuxième interrogation concerne les conditions de la compensation aux caisses d'allocations familiales et aux caisses de mutualité sociale agricole, des charges de trésorerie liées au service de l'allocation.
L'instauration de relations financières entre la sécurité sociale et les collectivités locales est rendue inéluctable par le maintien des CAF et de la MSA comme organismes payeurs du RMI. Le législateur doit avant tout s'assurer que ces nouvelles relations seront préservées des frictions récurrentes opposant aujourd'hui la caisse nationale des allocations familiales et l'Etat quant à la gestion de cette prestation.
La commission des affaires sociales rappelle que ces relations devront respecter la plus grande neutralité pour les finances sociales et locales. Le texte prévoit ce principe, mais devra être ponctuellement précisé, ce que la commission vous proposera par amendement.
La troisième interrogation a trait aux modalités de la décentralisation du RMI dans les départements d'outre-mer.
Je n'entrerai pas ici dans le débat sur l'opportunité d'un transfert aux agences et non aux départements des compétences individuelles relatives à l'allocation.
Il reste que le projet de loi ne tire pas toutes les conséquences de cette particularité ultramarine, notamment en ce qui concerne le financement de l'allocation.
Sachant que la navette se poursuit sur le projet de loi de programme pour l'outre-mer, que nous avons examiné la semaine passée, je n'ai pas souhaité aller plus avant dans la définition du régime spécifique des départements d'outre-mer, estimant qu'il revenait de préférence à ce texte d'apporter les adaptations nécessaires. J'attire cependant votre attention, monsieur le ministre, sur ce chevauchement du calendrier qui ne simplifie pas la tâche du législateur.
S'agissant de l'insertion des bénéficiaires du RMI, la commission des affaires sociales ne peut que se féliciter de la volonté du Gouvernement de mettre fin à l'imprécision et à la vacuité des contrats d'insertion. Elle observe toutefois que la nouvelle définition de ces contrats comporte plusieurs risques.
Il s'agit, d'abord, d'un risque d'appauvrissement de leur contenu. En donnant à une simple attestation valeur de contrat d'insertion, le projet de loi donne au contrat de travail cette valeur. Or, il est en effet difficile de demander à l'employeur de mobiliser autour de la personne l'ensemble des mesures d'accompagnement dont il pourrait avoir besoin et qui pourraient être mises en oeuvre dans un contrat d'insertion plus large.
Il s'agit, ensuite, d'un risque d'éviction des plus démunis. Inscrire d'office une mesure orientée vers le retour à l'emploi serait, dans un certain nombre de cas, prématuré et démobilisateur pour la personne, qui risquerait de se voir sanctionnée pour n'avoir pas tenu un engagement d'emblée irréaliste, compte tenu de sa situation.
Il s'agit, enfin et surtout, d'un changement de nature du contrat d'insertion. Le contrat devient un engagement de suivre une action précise, et non une mobilisation de la personne et de la collectivité pour un objectif. L'engagement réciproque disparaîtrait.
Au total, le contrat ne s'incrirait plus dans un parcours d'insertion à moyen ou à long terme. C'est la raison pour laquelle la commission des affaires sociales vous proposera certains aménagements qui lui paraissent à même de conforter cette volonté, exprimée dans l'exposé des motifs notamment, de donner un contenu concret au contrat, tout en affermissant son caractère d'« engagement réciproque ».
Concernant enfin le pilotage de l'insertion, la commission tient à saluer la fin du copilotage, qui ne peut avoir que des effets bénéfiques sur l'efficacité du dispositif d'insertion. Elle voudrait cependant se faire l'écho de deux préoccupations qui sont apparues au cours des auditions qu'elles a menées.
La première préoccupation concerne le rôle du secteur associatif, secteur qui apparaît peu dans le texte qui nous est proposé. La commission est bien consciente de ce que la décentralisation ne saurait s'accompagner de prescriptions tatillonnes qui enjoindraient aux départements de travailler avec tel ou tel. Il lui semble pourtant que le projet de loi, sans entraver la liberté du département, pourrait insister davantage sur le rôle des associations, notamment au sein des conseils départementaux d'insertion et des commissions locales d'insertion.
La seconde préoccupation concerne l'avenir des crédits obligatoires d'insertion.
La logique de la décentralisation voudrait que cette obligation soit supprimée : le seul fait que l'allocation soit à la charge des départements devrait en effet inciter ces derniers à s'engager plus fortement en faveur de l'insertion.
Il reste cependant une crainte forte, exprimée par le monde associatif, d'un recul de l'effort d'insertion et, surtout, d'un creusement des inégalités entre les départements, ce qui serait préjudiciable aux bénéficiaires. Le bouleversement que représente déjà le transfert de la gestion de l'allocation a incité la commission à une certaine prudence. Elle n'a donc pas souhaité trancher ce point, car il lui a paru indispensable que cette discussion se poursuive ici.
La commission souscrit donc largement à la démarche engagée par le présent projet de loi, car elle croit fermement que la décentralisation du RMI peut être une chance pour la politique d'insertion.
Elle estime toutefois que certaines améliorations peuvent être apportées au dispositif qui nous est proposé, notamment au volet relatif à l'insertion.
L'amélioration de l'insertion passe d'abord par une meilleure définition des contrats d'insertion. La commission des affaires sociales vous proposera donc plusieurs amendements visant à mettre à la disposition des allocataires des outils plus diversifiés, susceptibles de s'inscrire dans un parcours d'insertion.
La commission vous proposera également de supprimer la possibilité de donner aux attestations de l'employeur valeur de contrat d'insertion. Il lui semble en effet dangereux de limiter un contrat d'insertion à une seule action, conclue avec l'employeur et non le département : le contrat y perdrait du même coup sa richesse et son caractère d'engagement réciproque voulu par le législateur en 1988.
La commission vous proposera enfin de préciser le rôle du référent à l'égard de l'allocataire : il s'agit d'ouvrir la possibilité d'adapter le contrat à l'évolution de la situation du bénéficiaire, et notamment d'en demander une révision.
La commission a également souhaité aménager les conditions de pilotage par le département du dispositif local d'insertion, en précisant la portée du programme local d'insertion et en réaffirmant le rôle des associations dans la mise en oeuvre des actions d'insertion.
Il a enfin paru nécessaire à la commission de renforcer l'évaluation de ce dispositif, afin de disposer des outils de comparaison indispensables pour diffuser les « bonnes pratiques ».
Pour conforter cet aspect du texte, qui reste imprécis, la commission vous proposera d'adopter trois amendements tendant à préciser les informations dont doit bénéficier l'Etat pour jouer pleinement son rôle de garant de la solidarité nationale.
J'en viens maintenant au second volet de ce projet de loi, à savoir la création du revenu minimum d'activité.
Ce revenu vise à favoriser le retour à l'emploi des bénéficiaires du RMI en instituant un nouveau dispositif d'insertion - sous forme de contrat de travail à durée déterminée et à temps partiel - qui puisse constituer une première étape vers un emploi durable.
La philosophie du RMA est, à cet égard, relativement simple : il s'agit d'une « activation » des dépenses d'allocation en contrepartie d'un accompagnement renforcé du bénéficiaire vers l'emploi.
Vous comprendrez volontiers que la commission des affaires sociales souscrive largement à cette orientation. Elle correspond, en effet, à la logique des propositions que la commission a pu formuler ou soutenir ces dernières années. Je pense ici notamment à la « convention de revenu minimum d'activité » qu'elle vous avait proposé d'introduire en 1998, lors des débats sur le projet de loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions - dans le prolongement des initiatives anticipatrices de notre collègue Jean-Paul Virapoullé - ou, plus récemment, à la proposition de loi portant création d'un revenu minimum d'activité, présentée par MM. Alain Lambert et Philippe Marini, que le Sénat avait adoptée le 8 février 2001.
Or il devenait urgent de concrétiser enfin ces initiatives. La dégradation de la situation de l'emploi que nous connaissons aujourd'hui risque en effet d'accentuer plus encore les difficultés rencontrées par les bénéficiaires du RMI pour accéder ou revenir à l'emploi. A cet égard, le projet de loi me paraît tout à fait opportun.
Nous connaissons tous ces difficultés.
Je considère, pour ma part, qu'elles sont loin de s'expliquer avant tout par un effet de « trappe à inactivité ». Je crois, en effet, que les gains financiers ne sont pas le seul déterminant du retour à l'emploi ; vous l'avez dit vous-même, monsieur le ministre. Le souci de retrouver un statut social reconnu, apporté par le travail, joue notamment un rôle fondamental, quand bien même le travail rapporterait peu.
Certes, il existe encore des freins financiers, mais certaines réformes introduites ces dernières années ont permis de les limiter en grande partie.
Dans ces conditions, j'ai la ferme conviction que les difficultés du retour à l'emploi tiennent plus aux carences de l'offre - celle des employeurs - qu'à la faiblesse de la demande - celle des allocataires.
Il reste que les dispositifs de la politique de l'emploi n'ont pas permis pour l'instant de corriger cet état de fait, car ils sont encore loin de s'adresser en priorité aux personnes qui en ont pourtant le plus besoin.
Ainsi, les contrats aidés, comme le contrat emploi-solidarité ou le contrat initiative-emploi, qui visent pourtant les publics considérés comme prioritaires, ne profitent finalement qu'assez marginalement aux bénéficiaires du RMI.
En cela, le présent dispositif me paraît de nature à combler une faille de nos politiques d'insertion.
Je ne reviendrai pas sur l'économie générale du dispositif ; M. le ministre vient de nous l'exposer très clairement. Je souhaite plutôt insister sur les inquiétudes qui se sont exprimées, ici ou là, à l'occasion du dépôt de ce texte. Vous le savez, celui-ci a pu soulever certaines interrogations, voire certaines craintes, en particulier dans le monde associatif.
J'ai donc tenu, malgré des délais brefs, à organiser une large consultation de l'ensemble des acteurs et des partenaires de l'insertion. A l'issue de mes auditions, il est clairement apparu que le dispositif proposé suscite de leur part, non pas une opposition totale à la philosophie du texte, mais quatre préoccupations principales. Je crois important d'y apporter, d'ores et déjà, de premiers éléments de réponse.
Leur première préoccupation porte sur l'articulation du nouveau contrat avec les autres dispositifs d'insertion, et plus largement avec la politique de l'emploi, qui reste de la responsabilité de l'Etat.
Sur ce point, je reste persuadé que le revenu minimum d'activité introduit plus de complémentarité que de concurrence. En effet, il s'adresse à un public qui ne bénéficie pas des contrats d'insertion classiques - contrat initiative-emploi, contrat emploi-solidarité, contrat emploi consolidé - et renforce en cela la cohérence de nos politiques d'insertion.
Il est vrai que la lisibilité de l'ensemble du dispositif est pour l'instant brouillée par la perspective d'une réforme prochaine des autres contrats, notamment la fusion entre le contrat emploi-solidarité et le contrat emploi consolidé dans un contrat unique d'insertion dont l'architecture n'est pas encore définitivement établie.
Il est également vrai que l'articulation du nouveau dispositif avec les actions menées par les structures d'insertion par l'activité économique, dont il faut souligner l'importance, mériterait d'être précisée. Sur ce point, je ne manquerai pas de formuler des propositions, le moment venu ; mais je ne doute pas, monsieur le ministre, que vous nous apporterez déjà des précisions lors de nos débats.
Il ne faudrait pas non plus que le revenu minimum d'activité, piloté et financé par les départements, conduise l'Etat à contingenter plus drastiquement les contrats aidés qu'il continuera à financer et à faire ainsi supporter aux départements une part de la charge de la politique de l'emploi.
La deuxième préoccupation a trait à la « rigidité » du dispositif.
Certains craignent, en effet, que le paramétrage du RMA - bénéfice du RMI depuis plus de deux ans, contrat à temps partiel d'une durée hebdomadaire de vingt heures, pour une durée maximale de dix-huit mois - ne soit trop strict pour prendre en compte la diversité des situations et l'hétérogénéité des besoins d'insertion.
Certes, ces différentes conditions peuvent sembler contraignantes, au moment même où le pilotage de l'ensemble du revenu minimum d'insertion est confié aux départements pour permettre justement son adaptation au plus près du terrain.
Je ne suis pas sûr qu'il faille alors trop encadrer le dispositif, sous peine de limiter son efficacité.
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Très bien !
M. Bernard Seillier, rapporteur. Un minimum de souplesse me paraît indispensable, tant pour les départements que pour les employeurs, mais aussi pour les bénéficiaires. En effet, le temps d'activité doit pouvoir, au moins en partie, être choisi par ces trois partenaires au regard des exigences d'insertion.
La troisième préoccupation concerne les garanties offertes aux salariés, notamment en matière de protection sociale.
Le Gouvernement a en effet fait le choix, pour garantir l'attractivité du dispositif, de retenir une assiette dérogatoire au droit commun pour le calcul des cotisations et des contributions sociales. Seul le différentiel pris en charge par l'employeur serait pris en compte. Dès lors, les droits sociaux différés seraient réduits d'autant, notamment en matière d'assurance vieillesse et d'assurance chômage.
J'observe également, et vous l'avez souligné, que le projet de loi prévoit parallèlement le maintien des droits connexes au RMI, à savoir la couverture maladie universelle, la CMU, et la CMU complémentaire. Par ailleurs, il garantit une couverture maladie et accidents du travail plus avantageuse que le régime de droit commun : le salarié aura en effet droit au maintien de la totalité de son salaire dès le premier jour de congé, l'employeur prenant à sa charge la partie qui ne sera pas directement financée par la sécurité sociale.
Mais il reste effectivement que l'accès à l'assurance vieillesse et à l'assurance chômage sera moins favorable que le droit commun, du fait d'une contribution, il est vrai, inférieure.
Sur ce point, il n'a pas paru possible à votre commission d'élargir l'assiette retenue, au risque de déséquilibrer le bouclage financier du dispositif. Toutefois, par la modification de l'un des paramètres du contrat, il est possible d'augmenter l'effort contributif et, par là même, de majorer le montant des prestations différées. Je crois raisonnable de ne pas se priver a priori d'une telle possibilité.
La dernière préoccupation porte sur la sortie du dispositif. Se pose en effet la question de l'avenir des salariés à l'issue des dix-huit mois de contrat.
Sur ce point, je rappelle que le RMA ne constitue pas une fin en soi, mais qu'il doit marquer la première étape d'un processus d'insertion professionnelle. L'accompagnement dans l'emploi devra alors nécessairement se prolonger au-delà du seul revenu minimum d'activité.
Il est donc clair que la réussite du RMA exigera une mobilisation particulière des moyens de la politique de l'emploi, non seulement pendant toute la durée du contrat, mais surtout à sa sortie.
Ces préoccupations ont le mérite de mettre en évidence certaines imprécisions du dispositif.
Aussi, tout en souscrivant très largement à l'économie générale du projet de loi, la commission vous proposera plusieurs amendements qui, sans en modifier l'architecture, visent à en préciser la portée, à en prolonger la logique et à en renforcer l'efficacité en matière d'insertion.
Ces propositions s'articulent autour de trois axes.
Le premier axe vise à mieux inscrire le RMA dans le parcours d'insertion.
L'efficacité du contrat de revenu minimum d'activité dépendra avant tout de son contenu effectif en termes d'accompagnement et des conditions de mise en oeuvre des actions d'insertion qui lui sont liées.
Or, dans sa rédaction actuelle, le projet de loi comporte encore des incertitudes, tant sur l'articulation entre le CIRMA - contrat d'insertion RMA - et le contrat d'insertion conclu par le bénéficiaire du revenu minimum d'insertion lors de son entrée dans le dispositif, que sur le contenu et les conditions de mise en oeuvre des actions d'accompagnement.
La commission a, pour sa part, estimé que le contrat RMA doit s'inscrire dans le cadre plus global du contrat d'insertion. C'est en effet ce dernier qui doit permettre de définir, au vu d'un diagnostic individualisé, le parcours général d'insertion dans lequel se positionnera le revenu minimum d'activité.
Préciser plus clairement l'articulation entre le volet social et le volet professionnel de la démarche d'insertion permettra de garantir que l'accompagnement social, très souvent indispensable, garde toute sa place dans le dispositif.
Le deuxième axe a pour objet d'adapter le contrat RMA à la situation des bénéficiaires.
J'ai déjà souligné l'extrême hétérogénéité de la situation des bénéficiaires du RMI. Dès lors, les solutions d'insertion qui peuvent leur être proposées doivent nécessairement être individualisées pour être pleinement efficaces.
Dans ce cadre, je crains que le contrat RMA ne manque singulièrement de souplesse.
La commission a estimé d'abord nécessaire de pouvoir moduler la durée du travail, dans le cadre de la convention signée entre le département et l'employeur, en fonction des capacités de la personne et de son projet professionnel. Aussi, il lui est apparu inutilement restrictif de fixer une durée hebdomadaire uniforme de vingt heures et bien préférable de lui permettre aussi bien d'atteindre vingt-huit, voire trente heures que d'être, dans certains cas très précis, inférieure à vingt heures. J'ajoute qu'en permettant une augmentation de la durée du travail, la couverture sociale sera renforcée d'autant, notamment pour l'assurance vieillesse.
De la même manière, la condition d'ancienneté de deux ans au RMI prévue par le Gouvernement n'a pas semblé être la plus pertinente pour apprécier les difficultés particulières d'accès à l'emploi.
La commission estime donc souhaitable de ramener ce critère d'ancienneté à un an, afin de pouvoir toucher tous ceux pour qui le contrat RMA sera sans doute le seul instrument adapté pour engager une démarche de retour à l'activité.
Ces deux points me paraissent fondamentaux et correspondent d'ailleurs très exactement à la logique sous-jacente du projet de loi. Il serait en effet quelque peu paradoxal, au moment où l'on confie aux départements le soin de piloter le RMI, que la rigidité de ce nouvel outil les prive des moyens de mettre en oeuvre, au plus près des besoins, leur politique d'insertion.
Le troisième et dernier axe a pour but de clarifier le financement du dispositif.
Le paysage est, en la matière, loin d'être clair, s'agissant notamment des interventions respectives de l'Etat et du département.
L'allégement du coût du travail est financé à la fois par le département, qui verse une aide équivalente au RMI, et par l'Etat, qui compense l'exonération de charges sur le « différentiel » versé par l'employeur dans le secteur non marchand. Le département finance donc l'allégement du coût du travail à hauteur de 84 % dans le secteur non marchand et à hauteur de 100 % dans le secteur marchand.
Parallèlement, les actions d'insertion sont principalement à la charge des départements, mais l'Etat - tout comme l'ensemble des partenaires - est également sensé y contribuer dans le cadre d'une convention Etat-département. Tout cela est bien complexe !
Aussi, alors que le Gouvernement vient d'annoncer son intention d'harmoniser et de réduire le nombre de mécanismes d'allégements de charges, la commission vous proposera, une fois n'est pas coutume, de supprimer l'exonération de cotisations sociales prévue par le projet de loi, qui risque d'être peu lisible, complexe à gérer et finalement peu incitative pour l'employeur puisque l'économie ne serait que de 70 euros par mois.
J'ajoute que la suppression de cette exonération devient incontournable dans la mesure où nous proposons de lever « le verrou » des vingt heures hebdomadaires. La souplesse ainsi conférée au dispositif ne saurait se traduire par un « droit de tirage » des départements sur le budget de l'Etat au titre de la compensation des exonérations.
En contrepartie, il nous a semblé prioritaire d'amplifier l'effort financier en faveur des actions d'insertion. La commission vous proposera donc d'introduire le principe d'une aide à l'employeur pour l'accompagnement financée par le département. Cette aide, dont le département fixera le montant, pourra être modulée afin de prendre en compte la situation de l'employeur et les difficultés d'accès à l'emploi des bénéficiaires. Il s'agit d'introduire une corrélation entre l'effort d'insertion de l'employeur et le montant de l'aide départementale.
Dans ce cadre, il serait logique que l'Etat abonde le financement départemental des actions d'insertion, au moins à hauteur des économies qu'il réaliserait du fait de la suppression des exonérations, soit 70 millions d'euros, tant il est vrai que la réussite de ce nouveau dispositif - comme d'ailleurs celle de toute politique d'insertion - exigera la mobilisation de l'ensemble des acteurs et non pas du seul département.
Au regard de ces observations, et sous réserve de l'adoption des amendements qu'elle vous présente, la commission des affaires sociales vous propose d'adopter le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le ministre, par le projet de loi que vous soumettez aujourd'hui au Sénat, vous essayez - et vous y parvenez, me semble-t-il - de rénover et de dynamiser le système mis en place voilà quinze ans.
Le mérite du revenu minimum d'insertion est grand. Personne ne met en cause son existence. Le RMI a permis de donner à ceux qui n'avaient rien un minimum pour vivre ; il a également permis, ce qui n'est pas rien, de « retrouver » des hommes et des femmes qui avaient échappé à tout système d'action sociale depuis des lustres.
L'insertion a connu des fortunes diverses, ponctuée de réussites et d'échecs, l'échec le plus grand étant, bien entendu, que des hommes et des femmes soient dans le système du RMI depuis sa création ; je crois qu'il ne faut pas l'oublier.
Aujourd'hui, vous nous proposez, monsieur le ministre, de donner plus de vigueur au système d'insertion en liant de façon plus claire le RMI avec la création d'un revenu minimum d'activité, qui représente, à mes yeux, comme vous l'avez justement dit et comme l'a souligné notre collègue Bernard Seillier, le chaînon qui manquait dans un parcours d'insertion.
L'outil est rénové, il est plus efficace, mais il faut le mettre en oeuvre. Pour ce faire, monsieur le ministre, vous avez choisi à la fois une méthode et un outil.
Tout d'abord, vous mettez fin au copilotage, à la cogestion, à la coadministration du RMI.
Vous choisissez la clarté et la responsabilité et, sur ce point, nous ne pouvons que vous apporter notre soutien plein et entier.
Le système de cogestion était extraordinairement complexe. Il ne s'agissait pas seulement de faire coprésider par le préfet et par le président du conseil général le comité départemental d'insertion - ce qui, en soi, n'aurait pas été très compliqué -, mais les CLI elles-mêmes étaient coprésidées avec des secrétariats qui appartenaient à l'un ou à l'autre. Tout cela était extrêmement complexe et relativement inefficace, d'autant que l'on s'adressait aux plus exclus de la société.
Comment imaginer que celles et ceux qui avaient échappé à tous les dispositifs d'action sociale créés depuis la dernière guerre dans notre pays allaient s'y retrouver dans un système aussi complexe ? Mettre fin au copilotage et à la cogestion est, je crois, une bonne chose ; c'est même l'une des conditions de l'efficacité du système dont la création nous est proposée.
J'en viens à l'outil que vous avez choisi, monsieur le ministre, à savoir la décentralisation.
Je ne reviendrai pas sur ce qui constitue probablement l'essentiel du texte, c'est-à-dire le RMI et le RMA, tant notre collègue Bernard Seillier a exposé excellemment tous les points auxquels nous sommes attachés. En revanche, je voudrais revenir sur le choix de la décentralisation pour mettre en oeuvre le nouveau dispositif RMI-RMA. C'est un choix, car le Gouvernement n'y était pas obligé. Mettre fin au copilotage était utile et, me semble-t-il, nécessaire. Toutefois, le Gouvernement avait le choix, pour ce projet de loi, entre la décentralisation et la conservation de la maîtrise pleine et entière du système par l'Etat. Le choix est fait, c'est celui de la décentralisation.
Le texte dont nous débattons est le premier d'une série de textes concernant la décentralisation dont le Premier ministre nous a dit qu'elle constituait l'un des axes majeurs de la politique qu'il entend mettre en oeuvre. Aussi, vous comprendrez aisément, mes chers collègues, que la commission des finances se saisisse de l'occasion pour poser quelques principes, pour élaborer quelques règles qui constitueront en quelque sorte la jurisprudence de la Haute Assemblée.
M. Gérard Longuet. Ce sera une référence !
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. En effet !
Certaines de mes questions vous paraîtront éloignées du texte que vous nous présentez, monsieur le ministre, et vous ne pourrez peut-être pas répondre aujourd'hui à toutes, de même, d'ailleurs, que votre collègue chargé du budget. Il faut toutefois encourager le débat pour avoir des informations.
Je commencerai par le principe le plus simple : le respect de la Constitution. L'article 72 de la Constitution pose des principes nouveaux. Vous en faites une stricte application, je vous en donne bien volontiers acte, non seulement à l'article 3, relatif au transfert des charges financières - dont nous débattrons largement - mais surtout à l'article 41, qui précise que « les dispositions de la présente loi sont applicables à compter du 1er janvier 2004, sous réserve de l'entrée en vigueur à cette date des dispositions de la loi de finances prévue à l'article 3 ».
Il s'agit en outre de savoir comment le Gouvernement entend établir les relations entre l'Etat central et les collectivités territoriales ; cela me paraît essentiel et j'y reviendrai en conclusion.
Il convient tout d'abord de s'assurer que le texte prend bien en compte la totalité des charges transférées. S'agissant du RMI, je crois que c'est le cas, ou peu s'en faut. Il faudra, bien entendu, que vous nous disiez clairement qu'il en va de même pour les charges de personnels - relativement peu nombreux - qui poursuivront leur mission au service du RMI.
Je voudrais insister sur les charges nouvelles créées par le systèmes du RMA. Tel que le projet nous est présenté, si j'ai bien compris, le département devra apporter une aide forfaitaire d'environ 362 euros. Or, de nombreux allocataires du RMI percevront moins de 362 euros. Le département devra alors verser à l'employeur une indemnité différentielle entre le montant du RMI et la somme forfaitaire versée au titre du RMA.
Il nous faudra donc - nous aurons l'occasion de le faire lors de la discussion des articles - nous assurer que le transfert financier prend en compte cette charge nouvelle qu'auront à supporter les départements du fait de la création du RMA.
Telles sont les remarques que je voulais faire s'agissant des charges.
S'agissant des recettes, le Gouvernement a clairement dit que, pour financer la décentralisation du RMI, serait transférée une partie de la taxe intérieure sur les produits pétroliers.
Le coût financier de la décentralisation est aujourd'hui évalué à quelque 15 milliards d'euros, soit près de 10 milliards d'euros pour les départements et un peu plus de 5 milliards d'euros à la charge des régions, le RMI constituant la moitié du coût de la décentralisation pour les départements.
Les chiffres méritent que l'on en parle, sinon la commission des finances du Sénat ne jouerait pas ce qu'elle considère être son rôle, à savoir être la commission des finances de toutes les collectivités territoriales de France.
Vous avez dit avec raison, monsieur le ministre, qu'une fois le transfert opéré la dépense comme l'impôt qui la finance continueraient à évoluer, et pas nécessairement de la même façon.
Comment les choses se sont-elles passées jusqu'à présent ? En 1993, selon les chiffres que vos services nous ont communiqués - ils sont donc forcément exacts -, le coût financier de l'allocation du RMI s'est élevé à environ 2,5 milliards d'euros, et, si l'on avait décentralisé le RMI à cette époque, il aurait fallu transférer 2,5 milliards d'euros prélevés sur la TIPP aux départements.
Comment ont évolué depuis le RMI d'un côté et la TIPP de l'autre ? Le RMI a, en 2003, représenté, vous l'avez dit et c'est tout à fait exact, 4,4 milliards d'euros, soit près de 4,5 milliards d'euros. Quant à la TIPP, qui évolue indépendamment, son produit atteint 2,98 milliards d'euros, soit environ 3 milliards d'euros. « Manque » donc 1,4 milliard d'euros, même si je ne tire pas de ces deux évolutions et de cette constatation la conclusion qu'il manquera systématiquement 1,4 milliard d'euros, parce que, demain, les choses peuvent évoluer différemment. Le Gouvernement devrait transférer des centimes de TIPP aux départements sans tenir compte des abattements que, par exemple dans un système de TIPP flottante, il peut décider pour limiter le coût du carburant. Quoi qu'il en soit, on voit bien que l'évolution de la TIPP est assez différente de celle du coût du RMI.
En conséquence, si on laisse les choses en l'état, c'est-à-dire si on ne prévoit pas de possibilité de modulation, ne restera qu'un seul recours, à savoir la taxe d'habitation, puisque la taxe professionnelle produit beaucoup moins.
Nous n'allons pas clore le débat sur la modulation aujourd'hui, ce serait trop long, mais il faut au moins l'ouvrir, monsieur le ministre. Je crois que, tous, nous pouvons y participer et nous devons faire assaut d'imagination, car, si transférer la TIPP, c'est bien, ne pas prévoir la possibilité de moduler le taux, c'est beaucoup moins bien ! Il faut donc envisager le transfert d'autres impôts. N'étant pas ministre du budget, et n'aspirant pas à l'être, j'ignore lesquels, mais j'espère, monsieur le ministre, que vous nous direz quelles autres pistes peuvent être ouvertes tant le différentiel entre l'évolution des dépenses et celle des recettes est grand.
Il n'y aurait rien de pire sinon que de transférer aux départements une dépense qui évolue relativement vite non seulement du fait de l'augmentation du nombre des allocataires, mais aussi parce que ni vous-même ni ceux qui, dans de nombreuses années, vous succéderont ne prendront l'engagement de ne jamais augmenter les minima sociaux. Il faudra les augmenter, et c'est normal, mais la TIPP, elle, n'augmentera pas parce que les minima sociaux augmentent !
Il faut donc donner aux collectivités la responsabilité de trouver les recettes nécessaires, ce qui m'amène au deuxième aspect que doit revêtir la décentralisation.
La décentralisation, c'est la responsabilité dans l'action et dans le résultat, et cette responsabilité doit être laissée aux collectivités territoriales.
M. Jean Arthuis. Evidemment !
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Faire le choix de la décentralisation, c'est faire le choix de la confiance. Si l'Etat n'a pas confiance dans ses collectivités territoriales, il ne doit pas décentraliser.
M. le Président de la République l'a dit dans le discours qu'il a prononcé à Rouen le 10 avril 2002 : « Nous devons faire le pari de la confiance. C'est le seul moyen de faire émerger des solutions efficaces aux problèmes des Françaises et des Français, et de leur redonner le goût de participer à la vie de la cité. La République ne saurait donner le sentiment qu'elle se méfie en quelque sorte de la démocratie. »
Nous sommes là au coeur de la problématique de la décentralisation.
Monsieur le ministre, le présent texte tend à confier au président du conseil général des pouvoirs extrêmement importants...
M. Roland Muzeau. Exorbitants !
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. ... et très nombreux : c'est donc que la confiance existe.
Nous sommes tout à fait d'accord pour dire de la façon la plus claire, la plus absolue que la décentralisation n'est pas le fédéralisme et qu'il appartient, dans le cadre d'une République décentralisée, à l'Etat de déterminer les conditions dans lesquelles les collectivités territoriales peuvent agir et exercer leurs responsabilités au service de l'efficacité.
Que l'Etat continue à fixer le montant du RMI et à préciser les modalités d'accessibilité à cette allocation est tout à fait normal et même nécessaire, mais il lui faut faire confiance aux collectivités territoriales et leur laisser une certaine liberté, quitte, ensuite, à évaluer et, éventuellement, à corriger leur action.
La question des 17 %, c'est-à-dire de l'article 263-5 du code de l'action sociale et des familles, qui n'est pas touché par le présent texte, est, à cet égard, symbolique : si vous imposez aux collectivités la marche à suivre pour tous leurs actes et les sommes à y consacrer, il vaut mieux que vous gardiez cette responsabilité...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est frappé au coin du bon sens !
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. ... parce que, après tout, ce ne sera pas une sinécure que de réussir la décentralisation du RMI et la création du RMA !
Un engagement fort des collectivités et des élus locaux est nécessaire. Les départements ne doivent pas agir seuls, c'est évident : ils devront associer les communes, les agglomérations, les associations,...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr !
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Sans cette conjugaison de bonnes volontés, le succès ne sera pas au rendez-vous.
Monsieur le ministre, nous aurons l'occasion de discuter dudit article 263-5 parce qu'il ne faut pas confondre décentralisation et sous-traitance. La sous-traitance, cela peut se faire (M. le président de la commission des affaires sociales sourit), et le système fonctionne même relativement bien : nous pourrions mettre les agents des collectivités à la disposition de l'Etat et facturer leurs prestations au ministre des affaires sociales comme les services de l'équipement nous facturent les travaux de voirie ! (Sourires.)
Ainsi, monsieur le ministre, vous pourrez savoir à chaque minute ce que font nos agents !
Mais nous sommes d'accord pour considérer que si après quinze ans on constate un échec relatif du RMI, il est dû à l'insertion. Il faut donc à tout prix mobiliser les bonnes volontés locales pour réussir enfin sur ce plan. En créant le RMA, vous nous en donnez les moyens, monsieur le ministre, mais allez au bout de votre ambition. De ce premier texte de décentralisation, faites un vrai texte de décentralisation, dans lequel la responsabilité des collectivités locales soit reconnue, encouragée, évaluée, bref, un texte qui soit celui de la confiance retrouvée entre l'Etat et ses territoires ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Avant de donner la parole aux orateurs des groupes, je voudrais soumettre au Sénat une mesure d'ordre relative à l'article 35.
Sur cet article relatif à la création du contrat d'insertion-revenu minimum d'activité ont été déposés quarante amendements.
Mme Blandin et les membres du groupe socialiste et M. Roland Muzeau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen ont déposé respectivement les amendements de suppression n°s 80 et 121.
Ces amendements ont pour effet mécanique de mettre en discussion commune l'ensemble des amendements déposés sur cet article et portant sur différents articles du code du travail, au risque de rendre nos débats peu lisibles.
C'est pourquoi, à la demande de la commission des affaires sociales, je vous propose d'appeler, lors de l'examen de l'article 35, d'abord en discussion les amendements de suppression de l'article, puis, s'il y a lieu, d'examiner les autres amendements article par article du code du travail.
Je consulte le Sénat sur cette façon de faire qui contribuera à assurer la clarté de nos débats sans altérer le droit de parole de tous les auteurs d'amendements.
Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discusion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire : 67 minutes.
Groupe socialiste : 36 minutes.
Groupe de l'Union centriste : 15 minutes.
Groupe communiste républicain et citoyen : 14 minutes.
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 11 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Valérie Létard.
Mme Valérie Létard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en montant à la tribune aujourd'hui j'éprouve, pour reprendre une expression d'Outre-Manche, des « sentiments mélangés » alors que commence l'examen de ce projet de loi.
Dans ma réflexion sur une question que j'estime essentielle à notre équilibre social, trois sentiments à la tonalité bien différente coexistent : ce sont le regret, l'inquiétude et la satisfaction.
Le regret est grand, monsieur le ministre, de devoir discuter d'un texte somme toute assez limité, alors que j'aurais souhaité que votre gouvernement fût celui qui choisirait de mettre à son actif une refonte complète de toute la gamme des dispositifs publics d'aide aux personnes en difficulté.
Les insuffisances de la loi du 1er décembre 1988 en matière d'insertion ont été soulignées. Les raisons de cet échec sont évidemment multiples et elles appelaient, sans nul doute, une révision globale de toute l'articulation entre les minima sociaux et les plus bas salaires.
A cet égard, il est intéresant de noter que, dans les auditions auxquelles a procédé la commission des affaires sociales, des opinions assez divergentes se sont exprimées. Alors que M. Bertrand Fragonard, ancien délégué interministériel au RMI, estimait que « le différentiel entre l'allocation du RMI et les bas salaires s'était accru ces dernières années avec le "reprofilage" des aides au logement, la réforme de la taxe d'habitation ou l'instauration de la prime pour l'emploi », M. Michel Dolle, rapporteur général du CERC, était quant à lui plus nuancé, signalant que certains avantages inhérents aux minima sociaux soulevaient des difficultés et n'incitaient pas financièrement au retour à l'emploi.
Mon expérience dans le Valenciennois me pousse à partager plutôt ce dernier point de vue, même s'il est vrai que les différences se sont réduites.
Les travailleurs sociaux de la ville de Valenciennes savent à quel point il peut parfois être délicat d'inciter un allocataire du RMI à accepter un contrat aidé, CES ou CEC, ou un emploi à temps partiel. La disparition de certains droits sociaux associés au RMI peut présenter à terme une perte non négligeable pour la personne, peste que le supplément de salaire obtenu ne compense pas forcément intégralement. Sur le papier, il s'agit de sommes qui peuvent paraître insignifiantes, mais, 40 ou 50 euros de plus ou de moins pour une famille qui vit au seuil de la pauvreté, cela peut correspondre au basculement d'un équilibre budgétaire fragile vers l'endettement ou des difficultés supplémentaires.
Enfin, le passage du statut de CES à celui de RMIste peut aussi occasionner des ruptures temporaires de ressources.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, j'attendais beaucoup d'une remise à plat de tout notre système d'aides. Il était, me semblait-il, nécessaire de s'interroger sur l'articulation entre tous les contrats aidés et de repenser la hiérarchisation de notre dispositif. On sait à quel point le public éligible au RMI est hétérogène. Nul n'ignore que le chemin vers l'emploi, quand il est possible, s'inscrit dans des durées parfois très longues. L'insertion définitive d'une personne est souvent jalonnée d'échecs et d'avancées successives.
J'aurais aimé qu'une réforme plus globale tienne davantage compte de cette réalité et installe la possibilité d'une progressivité et d'une adaptation du parcours d'insertion, qui s'inscrive dans la durée et qui bénéficie de tout l'accompagnement social nécessaire.
Dans une réflexion de cet ordre, la création d'un dispositif supplémentaire à travers le RMA devait trouver sa place par rapport aux mesures existantes. Entre CES, CEC et RMA, quelle aide doit être destinée à quel public ? Quelle différence peut-on faire entre un CES et un RMA dans le secteur public ? Une mesure n'est-elle pas destinée, à terme, à se substituer à l'autre et, dans ce cas, pourquoi empiler encore un dispositif sur un autre ?
Je ne vous cache pas, monsieur le ministre, que j'eusse préféré une simplification tendant à la création d'un contrat unique qui aurait concentré tous les moyens accordés aux CES, CEC et bientôt RMA, modulable et souple pour pouvoir s'adapter à tous les publics, même les plus éloignés de l'emploi. A ce contrat en secteur public, se serait ajouté un dispositif tourné vers l'accès au secteur marchand, qui, en succédant au premier type de contrat dans le parcours d'un allocataire du RMI, pourrait l'amener progressivement à un emploi de droit commun.
Au coeur de ce parcours d'insertion, j'aurais souhaité que la place du référent soit mieux reconnue. On parle beaucoup de l'échec du « I » de RMI. Mais si 50 % des bénéficiaires ne signent jamais de contrat d'insertion, n'est-ce pas aussi que les moyens d'établir et de suivre ces contrats manquent ?
Un référent de la commune de Valenciennes suit en moyenne 375 dossiers d'allocataires, dont un bon nombre sont très loin de l'emploi. Pour assurer autre chose qu'un contrat standard et un suivi concentré uniquement sur les cas les plus difficiles, il faudrait, c'est une évidence, que cette moyenne baisse sensiblement.
En ciblant ce projet de loi sur la décentralisation du RMI et la création d'un dispositif supplémentaire dont on mesure difficilement comment il s'ajustera par rapport à l'existant, je crains que notre vision ne puisse répondre précisément aux attentes de ceux à qui elle est censée servir en priorité.
Au regret s'ajoute une inquiétude. Le Gouvernement a fait le choix de la décentralisation. Loin de moi l'idée de remettre en cause ce principe auquel le groupe de l'Union centriste est très attaché. La notion de proximité est fondamentale en matière d'action sociale, et les départements avaient déjà reçu la compétence sociale lors de la répartition résultant des premières lois de décentralisation. Il y avait donc une logique évidente à poursuivre dans ce sens.
Cependant, le manque actuel de certitude sur le financement exact dont bénéficieront les départements pour assurer cette prestation ajoute un élément de confusion à la présentation de ce texte. Le différentiel qui pourrait résulter d'une évolution divergente des ressources tirées d'une fraction de la TIPP et des dépenses qui sont, elles, directement liées à celle de la conjoncture économique et à ses conséquences sur l'emploi ne peut manquer de soulever quelques questions.
En outre, en matière de RMI, j'éprouve aussi quelque appréhension à faire mien le discours sur le besoin d'une liberté totale du département pour conduire ses actions. Si l'on veut conserver une nécessaire équité entre tous les allocataires du RMI, il me semble souhaitable qu'un bloc minimum de règles communes perdure.
Ce serait, à mon avis, une injustice bien plus grande que d'autres si l'aide qu'un RMIste peut attendre de la solidarité nationale n'était pas homogène quel que soit le territoire où il réside. Et l'on pourrait également, à terme et dans l'absolu, craindre des déplacements de population d'un département vers un autre, ce qui pénaliserait les départements les plus vertueux et les plus généreux. Ce qui s'est passé en matière d'accueil d'urgence ne manquerait pas alors de se reproduire et cela serait dommageable à l'équilibre entre les territoires.
C'est dans cet esprit que je reste hostile, dans un premier temps, à la disparition de la règle des 17 %. Pour bon nombre de départements qui se sont engagés résolument dans une gestion dynamique de leurs crédits d'insertion, cette règle peut apparaître comme une contrainte bien inutile. J'ai entendu tous les arguments du rapporteur pour avis de la commission des finances, qui plaide en ce sens avec la conviction que je lui connais, mais, pour d'autres, je suis certaine que l'existence d'une obligation d'inscrire à leur budget un montant plancher de crédits destinés aux actions d'insertion permettra d'éviter un fonctionnement a minima ou l'affectation d'une partie de ces crédits à d'autres objectifs considérés comme prioritaires. On a vu à quelles disparités avait pu aboutir la gestion de la prestation spécifique dépendance, la PSD, en matière d'aide aux personnes âgées et les critiques que cela avait pu soulever. Je ne voudrais pas que la population la plus fragile de notre pays se trouve prise au piège d'un effet similaire. C'est la raison pour laquelle je ne voterai pas l'amendement n° 55.
Mon intervention pourrait apparaître comme bien critique jusqu'à présent, mais le bilan est loin d'être aussi négatif qu'il semble, si l'on prend pour point de départ de l'examen de ce projet de loi le texte présenté par la commission des affaires sociales du Sénat. Je voudrais dire toute ma satisfaction à la lecture des amendements déposés par celle-ci et exprimer à notre rapporteur, Bernard Seillier, toute mon admiration pour le remarquable travail d'amélioration qu'il a entrepris sur ce texte. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
Voilà peu de temps, j'avais réuni à Valenciennes un certain nombre d'acteurs de terrain pour recueillir leurs observations sur ce projet de loi. La majeure partie des objections de fond que mes interlocuteurs avaient alors soulevées se retrouve dans les modifications annoncées par M. le rapporteur, et cela prouve combien sa perception des choses est proche du vécu des acteurs de l'insertion.
C'est le cas s'agissant en particulier des précisions apportées au contenu du contrat d'insertion, de la modification introduite à l'article 20 pour supprimer la possibilité qu'une attestation d'employeur puisse se substituer au contrat d'insertion, de l'amendement tendant à prévoir la faculté de déléguer à une commune ou à un établissement public de coopération intercommunale, un EPCI, la mise en oeuvre du plan local d'insertion.
On sait en effet que, dans de très nombreuses villes, c'est à l'échelon communal qu'est géré le dispositif du RMI, et il était donc indispensable d'inscrire dans la loi la reconnaissance du rôle de cet échelon. Dans les territoires ruraux aussi, c'est le plus souvent la mairie qui sert de relais pour le traitement des demandes de RMI. Renforcer l'évaluation du dispositif me paraît également une mesure utile pour permettre un meilleur pilotage de l'allocation. Les précisions apportées quant au rôle des associations d'insertion sont elles aussi importantes, car ces associations peuvent être des relais essentiels dans certains territoires.
S'agissant du RMA, la commission a introduit l'indispensable souplesse nécessaire à la réussite de ce nouveau dispositif en permettant la modulation de la durée du contrat, en deçà des vingt heures initialement prévues par dérogation, et au-delà en toute liberté. Si l'on veut effectivement pouvoir élargir le champ du RMA au secteur marchand, la modulation de l'horaire et son éventuelle extension peuvent être une incitation supplémentaire pour l'employeur. La commission propose également d'assouplir la condition d'ancienneté dans le dispositif du RMI pour pouvoir accéder au RMA, en la ramenant à un an. Là encore, tous ces assouplissements prennent bien en compte le besoin de pouvoir ajuster la mesure à chaque situation.
Si le texte ainsi amendé répondrait de manière beaucoup plus satisfaisante aux demandes formulées par les acteurs de terrain, il me semble qu'il pourrait encore être amélioré, et ce dans deux directions.
D'une part, je pense qu'il faut aller vers encore plus de souplesse en supprimant complètement toute condition d'ancienneté en tant qu'allocataire du RMI pour pouvoir bénéficier d'un RMA. Nous sommes devant des personnes particulièrement fragiles, que chaque mois qui passe sans solution peut conduire à de nouvelles difficultés, à une plus grande perte de leurs repères et de leur estime de soi, les éloignant ainsi encore davantage de l'employabilité. Dans ces conditions, que ce soit pour un allocataire du RMI depuis cinq ans ou pour une jeune « recrue » - qui a peut-être déjà connu un temps prolongé de chômage - l'urgence doit-elle avoir un degré ? Si une occasion se présente, il serait regrettable que cette condition d'ancienneté puisse empêcher une entrée dans la vie active. C'est pourquoi j'ai déposé un amendement, qui a reçu le soutien de mon groupe, visant à supprimer complètement ce délai.
D'autre part, ma conviction est que nous ne réussirons l'insertion des personnes les plus fragiles que progressivement et dans la durée, ce qui suppose qu'elles puissent être régulièrement accompagnées dans ce cheminement par un référent qui soit suffisamment disponible. Le succès du contrat d'insertion repose, à mon sens, essentiellement sur l'accompagnement humain dont il peut être entouré. J'entends déjà la remarque fuser : un tel accompagnement signifie un investissement considérable en moyens humains.
Cela est vrai, mais, pour tout dispositif, qu'il soit décentralisé ou non, on ne pourra faire l'économie de moyens humains supplémentaires si l'on veut qu'il soit plus performant.
L'insertion professionnelle ne s'opère pas à l'improviste. Elle résulte le plus souvent d'une évolution graduelle, et plus on a accompagné cette évolution, meilleur en sera le résultat.
C'est la raison pour laquelle mon deuxième amendement prévoit que le contrat d'insertion, une fois signé, devra faire l'objet d'une évaluation semestrielle, sociale ou professionnelle, du bénéficiaire, donnant lieu éventuellement à un réajustement des actions précédemment définies.
Pourquoi, par exemple, devrait-on maintenir dans le dispositif du RMA une personne dont il s'avérerait, au bout de six ou de douze mois, qu'elle peut évoluer vers d'autres formes d'emploi ? L'insertion, qu'elle soit sociale ou professionnelle, est non pas un phénomène statique, mais au contraire une progression comportant de nombreux à-coups. Une évaluation régulière est le meilleur moyen d'accompagner la personne dans ce cheminement, surtout si celui-ci se révèle quelque peu chaotique. Si la discussion de ce texte permet de mieux prendre en compte cette donnée avec laquelle vivent en permanence tous les acteurs de l'insertion, je crois que nous aurons accompli un grand progrès.
En conclusion, je voudrais vous dire, monsieur le ministre, combien j'apprécie votre démarche, toujours très respectueuse des personnes. Pour bien connaître les allocataires de la région de Valenciennes, je sais combien cette population est diverse, composée d'individus isolés comme de familles, de personnes de tous âges, dont certaines trouveront demain un emploi, si la chance se présente, tandis que d'autres n'en trouveront jamais. Les discours réducteurs ne devraient plus ignorer cette réalité et la profonde souffrance de gens qui se sentent exclus de tout.
Pour moi, cette réalité est incontournable. Sur les 1 500 RMIstes de Valenciennes, plus d'un tiers relèvent d'abord et avant tout de l'accompagnement social. Faut-il pour autant baisser les bras ? Je ne crois pas. Bien au contraire ! Mais toutes les mesures d'incitation au retour à l'emploi, aussi pertinentes soient-elles, devront aussi composer avec cette réalité. Il faut que notre société admette que les plus fragiles de ses membres doivent être aidés et protégés plutôt que stigmatisés. Je ne doute pas un seul instant que ce soit bien là, monsieur le ministre, le sens que vous souhaitez donner à votre action et à ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Fourcade. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce premier texte, qui s'inscrit dans le cadre de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, apporte de la cohérence à la mise en oeuvre de la politique sociale par les collectivités territoriales compétentes.
Alors que les départements s'étaient vu confier la gestion de l'aide sociale par les premières lois de décentralisation, la loi créant le RMI avait posé le principe d'une cogestion en scindant le volet relatif à la prestation et le volet traitant de l'insertion. En confiant le pilotage intégral du dispositif aux conseils généraux, on peut espérer que la politique d'insertion liée au RMI sera plus efficace.
Il s'agit donc aujourd'hui de se prononcer sur la départementalisation du RMI. Attaché à la décentralisation, j'y suis pour ma part favorable, tout en suggérant que le texte soit amendé sur certains points.
Il est légitime que le Sénat soit saisi du premier texte portant sur les compétences des collectivités territoriales élaboré depuis l'adoption de la loi constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République. En effet, notre assemblée, qui représente les collectivités territoriales, a été favorable à cette réforme constitutionnelle qui vise notamment à mieux mettre en oeuvre le principe de subsidiarité.
Avec ce projet de loi portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité, elle a l'occasion d'achever la mise en oeuvre de cette réforme en matière d'aide sociale.
Le pilotage du dispositif du revenu minimum d'insertion par le seul département constitue sans aucun doute une réforme utile, dont la mise en oeuvre n'est toutefois pas aisée.
Il est important de souligner que, dans un souci d'égalité entre tous les citoyens, la définition des montants et des critères d'attribution du RMI sera maintenue à l'échelon national. Il n'est pas question que l'on perçoive davantage dans tel ou tel département, c'est-à-dire que les départements dont les ressources sont moins importantes ou la population plus âgée, comme mon département du Gers, ne puissent offrir les mêmes garanties à leurs habitants.
Les nouvelles charges financières résultant, pour le département, des transferts de compétences seront heureusement compensées par l'attribution d'une ressource équivalente par l'Etat. Je me réjouis qu'il s'agisse non pas d'une dotation d'un montant fixe, mais bien du transfert d'une quote-part d'une ressource fiscale nationale, la TIPP, prélevée par l'Etat et reversée ensuite aux départements.
On peut supposer que le dispositif du RMI a trouvé sa vitesse de croisière et que le nombre d'allocataires ne devrait plus croître dans de fortes proportions. Cependant, si, malgré une bonne gestion, le coût augmentait de manière plus importante que les ressources transférées, comment l'Etat compenserait-il la différence, monsieur le ministre ? La décentralisation ne sera crédible que si ces transferts de ressources équilibrent les dépenses réelles. Ce ne doit pas être au département de compenser l'augmentation éventuelle des coûts ! Il y a là un équilibre difficile à trouver entre gestion départementale et équité nationale.
Monsieur le ministre, vous avez tenu à ce que l'obligation d'inscription, au budget départemental, d'un crédit d'insertion au moins égal à 17 % du montant des allocations de RMI versées l'année précédente dans le département soit maintenue. Je m'en étonne, car cela semble en contradiction avec l'idée de décentralisation et la volonté d'accorder désormais au département une capacité de décision. Je comprends néanmoins les raisons conjoncturelles qui vous incitent à donner ce signal. Puissiez-vous vous engager à supprimer cette disposition d'ici à la fin de la législature !
Monsieur le ministre, pouvez-vous en outre nous apporter des précisions concernant le transfert en personnels ?
Ce projet de loi ne vise pas simplement à instaurer un transfert vers les départements compensé par les ressources nécessaires ; il doit aussi permettre de mieux répondre aux véritables besoins. Le dispositif actuel a, en effet, montré ses limites, notamment en ce qui concerne le volet relatif à l'insertion. Je me référerai ici à l'exemple que je connais le mieux, celui du département du Gers, dont la situation est proche de la moyenne nationale, avec une croissance constante du nombre d'allocataires et un taux de contractualisation voisin de 50 %.
La réforme est indispensable, car le copilotage de la gestion de l'allocation par l'Etat et par le département ne donne pas les résultats espérés. La réforme est nécessaire, car derrière ces chiffres, il y a tous nos concitoyens en situation précaire, souvent plongés durablement dans des difficultés et que nous devons aider à se réinsérer.
Cette réinsertion, voire cette première insertion pour certains, pourra également être facilitée grâce au second volet de ce texte, qui tend à la création du revenu minimum d'activité, lequel sera en réalité un nouveau contrat de travail. Ce nouveau dispositif s'inspire du travail sénatorial : MM. Alain Lambert, alors président de la commission des finances, et Philippe Marini, rapporteur général du budget, avaient déposé une proposition de loi portant création d'un revenu minimum d'activité qui avait été adoptée par notre assemblée, en première lecture, le 8 février 2001.
Mes chers collègues, ce volet est de nature à redonner le goût du travail et de l'effort à ceux qui ont été contraints de s'éloigner de toute activité. Le RMA concerne, je le rappelle, les personnes allocataires du RMI depuis plus de deux ans. Ce contrat à durée déterminée doit permettre à son bénéficiaire de retrouver le chemin du travail et, sans doute, une certaine confiance en lui. Il présente l'avantage d'être souple et adaptable, puisqu'il concerne tant le secteur marchand que le secteur non marchand. Il permettra notamment l'emploi des allocataires par les collectivités territoriales.
Monsieur le ministre, comment aider au mieux ces allocataires au terme de leur contrat de travail, pour éviter de retomber dans le système des emplois-jeunes, souvent peu formateurs et préparant donc mal à l'obtention d'un véritable emploi ?
Ce transfert de compétence, d'une part, cette création de compétence, d'autre part, vont clarifier les rôles respectifs de l'Etat et du département. L'Etat se concentrera sur ses compétences régaliennes : définition, suivi et évaluation du dispositif ; le département, représenté par le président du conseil général, s'ancrera dans sa compétence sociale. Le vote de ce texte renforcera son pouvoir. Je m'en réjouis, car l'échelon départemental était souvent mis à mal. Sa reconnaissance par le Gouvernement n'est que justice, en particulier pour les zones rurales, où les citoyens sont très attachés aux cantons, corollaires de l'identité des communes. Le conseil général aura donc en main les moyens de réussir l'insertion.
La philosophie de ce projet de loi vise à revaloriser l'individu. Toutefois, il est nécessaire de mieux le charpenter s'agissant de certains points financiers, tels que la compensation des créations de compétence, par essence difficile à évaluer.
Monsieur le ministre, comme la majorité des membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, je voterai ce texte, dès lors que vous nous aurez apporté les garanties nécessaires quant aux transferts financiers vers les départements. (Applaudissements sur certaines travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Chabroux.
M. Gilbert Chabroux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quinze ans après sa création par le gouvernement de Michel Rocard, le revenu minimum d'insertion mérite certainement qu'on lui consacre un large débat, et d'abord que l'on procède à une évaluation approfondie des apports qu'il a permis et des inconvénients qu'il présente.
L'ensemble du dispositif n'a pas été sérieusement évalué depuis sa reconduction en 1992, voilà déjà plus de dix ans. Or la situation de notre pays a beaucoup changé, comme d'ailleurs celle des autres pays européens, et, alors que nous étions en avance en 1988, nous paraissons maintenant plutôt en retard par rapport à nos voisins. Le niveau de l'allocation est relativement faible : 412 euros pour une personne seule, soit moins de 40 % du SMIC, 618 euros pour un couple sans enfant, et 123 euros par enfant. Ces montants méritent d'être rappelés, car vivre avec d'aussi maigres revenus ne doit pas être aussi facile que certains le croient !
Il faut également relever que, en France, le RMI n'est attribué qu'à partir de vingt-cinq ans, alors que, dans la plupart des pays de l'Union européenne, c'est l'âge de la majorité légale qui est retenu. Il est vrai aussi que, dans notre dispositif, la gestion du RMI pose problème : le partage des responsabilités, en ce qui concerne l'insertion, entre l'Etat et les départements est source de nombreuses difficultés ; les pratiques sont très variées d'un département à l'autre, et même d'une commission locale d'insertion à une autre au sein d'un même département. Des départements se sont fortement engagés, d'autres beaucoup moins. On retrouve, entre les départements, des disparités comparables à celles qui existaient lorsqu'ils géraient la prestation spécifique dépendance, avant la création de l'allocation personnalisée d'autonomie.
Bref, il faut certainement revoir le dispositif du RMI et, pour cela, je le répète, en dresser le bilan. Le bilan global ! On ne peut pas s'en tenir au seul bilan de l'insertion professionnelle et aux quelques chiffres qui nous ont été présentés, qui sont d'ailleurs discutables. Certes, un allocataire sur trois perçoit le RMI depuis plus de trois ans, mais il faudrait souligner tout autant qu'un allocataire sur trois retrouve un emploi en moins de six mois ; certes, un allocataire sur dix touche le RMI depuis plus de dix ans, mais 75 % des allocataires recherchent activement un emploi. La Caisse nationale d'allocations familiales préfère dire qu'ils ne sont « que » 10 % à avoir perdu le contact avec le monde du travail. Elle a raison : c'est peu quand on connaît les problèmes, particulièrement en matière de santé, qui affectent une partie de cette population, très hétérogène. Selon le rapportBlanpain-Eneau de 1999, les allocataires du RMI sont deux fois plus touchés par des problèmes de santé que le reste de la population.
Les études menées sur le comportement des RMIstes se déclarant chômeurs montrent qu'ils ont une démarche de recherche d'emploi aussi active que les chômeurs non RMIstes, mais ils ont plus recours à l'ANPE qu'à des réseaux personnels. Il conviendrait, à ce sujet, que l'inscription de tous les allocataires en tant que demandeurs d'emploi soit la règle de base, sauf dispense d'âge entre soixante et soixante-cinq ans, voire un peu avant, ou en raison de charge d'enfants en bas âge, ou encore pour des problèmes de santé. Cette règle est appliquée dans tous les pays européens qui ont mis en place un dispositif de revenu minimum. Si nous appliquions cette règle, les allocataires bénéficieraient du plan d'aide personnalisée qui doit être proposé à tout chômeur inscrit à l'ANPE. Mais, évidemment, cela nécessite de mettre en oeuvre des moyens spécifiques, qui n'existent pas actuellement.
Certains parlent ou vont parler de « trappe à inactivité » sans avoir bien analysé le comportement de la grande majorité des RMIstes, finalement très proche de celui de nombreux salariés à temps partiel qui travaillent sans gain monétaire immédiat. Ils souhaitent, comme eux, trouver un emploi, même si cet emploi ne leur rapporte rien immédiatement. La décision de travailler ne dépend pas uniquement du simple gain monétaire net, il y a l'espoir d'entrer dans une dynamique qui conduira vers de meilleurs emplois plus tard et permettra de se faire une place reconnue dans la société.
M. Claude Domeizel. Evidemment !
M. Gilbert Chabroux. On ne peut parler de l'insertion professionnelle des RMIstes et d'un relatif échec sur ce plan sans tenir compte de la situation économique et de son évolution. Il conviendrait même d'élargir la réflexion à l'ensemble du système d'indemnisation du chômage et d'aide au retour à l'emploi. Il y a une corrélation étroite entre la courbe du chômage et l'évolution du nombre de RMIstes, qui fluctuent de la même manière. Depuis un an, le nombre d'allocataires du RMI est reparti à la hausse pendant que le chômage a progressé de 100 000 demandeurs d'emploi, touchant plus particulièrement les jeunes et les chômeurs de longue durée. Les conditions de travail sont de plus en plus dures, de plus en plus précaires. Comment pourrait-on s'étonner, dans un tel contexte, aussi dégradé, de voir progresser encore le nombre de RMIstes et comment pourrait-on les remettre au travail alors que le marché de l'emploi est en panne ?
Les discours du patronat et de la droite sur la valeur « travail » sonnent faux : ils sont très injustes, très cruels quand ils visent à culpabiliser les plus pauvres, les plus exclus, alors que le chômage s'envole, alors que les plans sociaux se multiplient parce que les bénéfices des entreprises ne doivent pas descendre au-dessous de 10 % et que le vice-président du MEDEF, M. Guillaume Sarkozy, proclame sa « fierté d'être un patron qui délocalise » ! Que pensaient de la valeur travail les dirigeants de Metaleurop ? Qu'en ont-ils fait ?
Peut-on rendre responsables de la situation économique les personnes en difficulté, les RMIstes ou autres exclus ? Peut-on les rendre responsables de leur propre situation, par inemployabilité, par paresse, par laxisme ?
Monsieur le ministre, vous avez dit, lors de votre audition par notre commission et dans l'émission 100 minutes pour convaincre sur France 2, même si vous n'avez pas repris ces propos aujourd'hui,...
M. Claude Domeizel. Aujourd'hui, il est plus soft !
M. Gilbert Chabroux. ... que « le RMI est l'alibi de l'inaction ». D'autres ont eu des mots encore plus durs. Est-ce un problème idéologique ? Politique ? S'agit-il de répondre à cette opinion souvent formulée par les électeurs tentés par l'extrême droite et selon laquelle les allocataires du RMI se complaisent dans l'inactivité subventionnée ?
M. Roland Muzeau. Eh oui ! Bien sûr !
M. Gilbert Chabroux. Mais comment pouvez-vous oublier le préambule de la Constitution de 1946, repris dans la Constitution de 1958, qui constitue le fondement du RMI : « Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence » ? C'est là un principe constitutionnel auquel nous sommes certainement tous très attachés. C'est aussi un principe qui ne peut pas s'inverser. C'est parce qu'une personne est dans l'incapacité de travailler qu'elle perçoit une allocation ; ce n'est pas parce qu'elle perçoit une allocation qu'on doit lui demander une activité en échange. Il faut se garder d'entrer dans un système de contreparties, que l'on pourrait étendre à l'infini et dont on perçoit bien tous les dangers.
Vous avez évoqué, à un certain moment, une logique de contreparties, et il y a bien un doute sur le revenu minimun d'activité que vous voulez créer. Le niveau de rémunération est faible alors que le cadre est très rigide. Surtout, on peut se demander si ce RMA est un contrat de travail de plein titre. L'article 35 du projet de loi précise qu' « est considéré comme rémunération le montant du revenu minimum d'activité diminué du montant de l'aide du département », c'est-à-dire du montant du RMI pour une personne seule. Cela signifie-t-il que les droits à la retraite, à l'assurance chômage seront calculés sur cette seule part ? Si c'est le cas - et nous le craignons -, nous serons bien dans un système de contreparties, de workfare, puisque vous avez employé ce mot.
En comparant le revenu minimum d'activité aux contrats aidés, au contrat emploi-solidarité, on constate que le RMA est très en retrait. La rémunération d'un CES - SMIC à mi-temps auquel s'ajoute l'intéressement - est bien supérieure à celle du RMA et les droits différés sont calculés sur le salaire complet. Le RMA apparaît comme un « CES au rabais », un « sous-CES ». Le représentant du CERC, qui a été reçu par la commission des affaires sociales dans le cadre de ses auditions, a parlé d'un contrat à peu près aussi coûteux que le CES mais offrant moins de garanties et de revenus. Par exemple, pour une durée de travail d'une année, un seul trimestre serait validé pour la retraite. En généralisant ce système, on pourrait aussi résoudre le problème des retraites !
M. Claude Domeizel. Pourquoi pas ! Au point où ils en sont !
M. Gilbert Chabroux. Le calcul, en revanche, ne souffre aucune ambiguïté pour les employeurs, qui vont bénéficier d'un allégement très sensible du coût du travail. Ce sont des avantages exorbitants qui leur sont accordés. Pour les entreprises du secteur marchand, le coût salarial sera de 327 euros par mois, soit 4,3 euros de l'heure.
Mme Odette Terrade. On se croirait au xixe siècle !
M. Gilbert Chabroux. A ce prix, certains employeurs pourraient être tentés par un effet d'aubaine et pourraient mettre en place des postes tournant, une sorte de noria, compte tenu de la durée limitée du RMA.
M. Claude Domeizel. Ce sera le cas !
M. Gilbert Chabroux. Le volet décentralisation du RMI pose également des problèmes. Certes, la situation actuelle n'est pas satisfaisante, mais a-t-on bien mesuré les difficultés auxquelles on s'expose en confiant au département le pilotage intégral du revenu minimum d'insertion ? Il ne s'agit pas de nier ou de sous-estimer le rôle et la capacité du département, mais une clarification est nécessaire. Il faut sans doute décentraliser mais en fixant des garanties.
Le RMI est une prestation de solidarité nationale, traduisant un droit inscrit dans la Constitution. Le RMI est un instrument de lutte contre les exclusions, et la lutte contre les exclusions est un impératif national. Or le résultat de la décentralisation pourrait être, à terme, une inégalité de la prestation, voire sa suppression pour ceux qui n'entreraient pas dans un RMA. Le risque est réel qu'avec le RMA il n'y ait plus de RMI. N'est-ce pas à l'Etat, en dernier recours, de décider de la suspension ou de la radiation d'un bénéficiaire pour, par exemple, non-respect des termes du contrat d'insertion ?
Le RMI, si l'on reprend l'exposé des motifs du projet de loi, « est un engagement réciproque entre le bénéficiaire, qui accède à une démarche d'insertion, et la collectivité, qui l'aide à retrouver son autonomie ». La collectivité en cause ne peut être que la collectivité nationale. L'Etat devrait donc garder un rôle de contrôle dans la mise en oeuvre du pilotage du RMI par le département.
Il faut aussi clarifier le problème du financement sans attendre la prochaine loi de finances. On ne peut pas se contenter de l'article 3 dans sa rédaction actuelle. De quel impôt s'agit-il ? Vous avez parlé d'une partie de la TIPP. Comment évoluera-t-il ? Tiendra-t-il compte de l'évolution du nombre de bénéficiaires dans chaque département ? Y aura-t-il une incitation pour les départements faisant un effort particulier d'insertion ? Ou l'Etat se désintéressera-t-il totalement de ce problème ?
Bien d'autres questions se posent encore. Elles seront soulevées lors de la discussion des articles.
Pour résumer, on ne peut que déplorer les conditions dans lesquelles vous engagez la réforme du RMI : il n'y a pas eu une réelle concertation avec les associations de lutte contre les exclusions, qui jouent pourtant un rôle essentiel. Il n'y a pas eu plus de concertation avec les conseils généraux. Vous faites preuve de beaucoup de précipitation. Vous centrez cette réforme sur l'activité. Or toute approche fondée uniquement sur l'activité est erronée dans un certain nombre de cas. Il est nécessaire de conjuguer les politiques de soutien. Il faut une approche globale.
Le RMI, tel qu'il a été créé en 1988, répondait à trois objectifs : réduire la pauvreté par versement d'une prestation monétaire, permettre l'accès aux droits sociaux - la santé et le logement, notamment - et aider à l'insertion professionnelle.
C'était un grand projet humaniste. Des progrès considérables ont également été accomplis par la suite grâce, par exemple, à la création de la couverture maladie universelle, à la réforme des aides au logement et à l'adoption, il y a cinq ans, de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions. Mais il reste toujours à faire. Aujourd'hui, le Gouvernement mène-t-il une politique cohérente pour atteindre les objectifs qui avaient été fixés en 1988 ? Reste-t-il encore un souffle humaniste ? Je ne le crois pas. En tout cas, on ne perçoit rien de tel dans ce projet de loi, laborieux, que vous nous présentez sans beaucoup de force, sans beaucoup de conviction, comme si vous n'y croyiez pas vous-même !
M. Claude Domeizel. M. le ministre n'écoute pas !
M. François Fillon, ministre. Cela vaut mieux !
M. Gilbert Chabroux. Ce projet de loi est largement fondé sur la stigmatisation des exclus et sur une logique comptable de la gestion de l'Etat.
Monsieur le ministre, demain 27 mai, de très nombreuses villes de notre pays célébreront le soixantième anniversaire de la première réunion, sous la présidence de Jean Moulin, du Conseil national de la Résistance, le CNR. Nous nous souviendrons de son héritage, particulièrement dans le domaine de la protection sociale. J'ai évoqué le préambule de la Constitution de 1946 et celui de la Constitution de 1958. Tous deux s'inspirent du programme du CNR et des valeurs de solidarité auxquelles ce dernier fait référence. Ne revient-on pas, aujourd'hui, sur les droits inscrits dans ces préambules ? N'y a-t-il pas en germe la destruction du modèle social français au profit d'un système ultralibéral, comme le système anglo-saxon ? Ne sommes-nous pas, sur ce plan, en totale contradiction avec la politique extérieure qui a été menée par notre pays, particulièrement au cours des derniers mois ?
Pourquoi ne pas avoir ouvert un large débat public sur un tel sujet, le RMI, un sujet aussi sensible puisqu'il touche, avec les familles, plus de deux millions de personnes ? C'est un problème de société que l'on ne peut escamoter.
Comme le feront les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen en présentant une motion de renvoi à la commission, les sénateurs socialistes demandent le report de ce texte et, je le redis, l'ouverture d'un grand débat public sur l'ensemble du dispositif du revenu minimum d'insertion. En tout état de cause, nous ne pourrons accepter un texte qui est un texte de régression sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, s'il faut reconnaître une vertu à la majorité sénatoriale, c'est sa constance, que M. le ministre a d'ailleurs relevée lors de son audition par notre commission.
Le projet de loi qui nous est soumis, dans une précipitation regrettable, et qui vise à modifier le RMI et à créer un RMA, relève du même fondement idéologique que les propositions de loi adoptées dans cette enceinte : celle de décembre 2000, présentée par M. Gournac et concernant « les pénuries de main-d'oeuvre », et celle de février 2001, présentée par MM. Lambert et Marini, portant création d'un RMA.
Notre débat - et c'est probablement un hasard - se déroule alors que le Gouvernement vient de geler, au titre du budget de 2002, 75 millions d'euros destinés aux actions menées par les entreprises d'insertion et les associations au bénéfice des populations qui en ont besoin.
Ce projet de loi intervient après la remise en cause des 35 heures, le refus de pérenniser les emplois de dizaines de milliers de jeunes, la suppression des mesures anti-licenciements inscrites dans la loi de modernisation sociale, la suppression de 20 000 postes d'assistant d'éducation, le dynamitage du système de retraite par répartition, toutes ces mesures décidées par votre gouvernement et répondant aux exigences du MEDEF.
Monsieur le ministre, 5 millions de personnes vivent dans notre pays sous le seuil de pauvreté : au lieu de travailler à prévenir et à modifier les situations vécues par nombre de nos concitoyens, le Gouvernement s'attaque aux droits des personnes en difficulté, aux principes mêmes qui ont fondé le RMI.
Comme le rappelait M. Dollé, rapporteur général du conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale, en s'appuyant sur les travaux qu'il a menés, il faut partir du préambule de la Constitution de 1946, repris dans l'article 1er de la loi de 1988 créant le RMI : « Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence. »
M. le rapporteur de la commission des affaires sociales, dont je salue par ailleurs le travail, parle même, à propos du RMI, de « fragile équilibre entre ces deux principes constitutionnels que sont le droit à un minimum de ressources et le "devoir" de travailler » ! Cependant, transformer les « droits » de vivre, de travailler, en « devoir » des intéressés, surtout quand les premiers ne sont pas garantis, et sont même rognés par les pouvoirs publics, c'est un lapsus révélateur, une inversion caractérisée.
Après les fonctionnaires, les enseignants et les salariés, c'est au tour des allocataires du RMI d'être désignés à la vindicte populaire.
A entendre M. le ministre, les bénéficiaires du RMI ne sont pas des personnes étant dans l'incapacité de travailler, et qui auraient donc droit à la solidarité nationale et à un effort particulier d'insertion sociale, ce sont des personnes qui profiteraient de cette solidarité pour s'installer dans l'inactivité.
Or les faits démontrent que telle n'est pas la situation. Les trois quarts des RMIstes sont à la recherche d'un emploi, non sans difficultés, et souvent, même s'il ne leur en est pas fait obligation, ils sont inscrits à l'ANPE ; pour les autres, il faut prendre en compte les impossibilités liées à l'âge, à l'état de santé, physique ou psychologique, à des charges dues à des enfants en bas âge ou souffrant de handicaps.
Le rapport au travail d'un allocataire du RMI est donc comparable à celui de la population au chômage.
Peut-être faut-il rappeler aussi que, globalement, l'allocation RMI n'entre que pour moitié dans les ressources des allocataires, selon la publication de l'INSEE Etudes et résultats, de mai 2000, et que ces derniers, depuis la loi de lutte contre les exclusions de 1998, peuvent percevoir des revenus du travail sans perdre leur allocation.
On est loin des fameuses « trappes à inactivité » dénoncées par nos vertueux censeurs, défenseurs de la moralité publique.
Il faut aller encore plus loin et rappeler ici que, contrairement aux idées reçues, nombre d'allocataires préfèrent obtenir un emploi, même si sa rémunération est faible et diminue d'autant leur allocation, à l'inactivité totale leur permettant de toucher le maximum de l'allocation.
Il est vrai que le RMI n'est pas satisfaisant, mais pas de la même façon que l'entend M. le ministre : le niveau de l'allocation, même complété par des mesures diverses, reste faible : pour un célibataire, il ne représente que 45 % du SMIC et, pour un couple, 65 %.
Le mode de calcul du RMI, fondé sur les revenus du foyer et non sur la situation de la personne, exclut toutes celles et ceux dont le conjoint dispose d'un revenu supérieur aux maigres allocations du RMI pour un couple.
Les allocataires voient leurs droits sociaux réduits, puisqu'ils ne bénéficient pas des cotisations vieillesse et chômage.
La France est le seul pays de l'Union européenne où l'éligibilité est si tardive : ailleurs, elle est en général fixée à dix-huit ans. De plus, l'ensemble du dispositif souffre de n'être pas suffisamment évalué depuis 1992.
En outre, si, dans le projet gouvernemental, le montant de l'allocation reste réglementé nationalement, un risque existe cependant que le transfert du RMI n'aboutisse à faire dépendre ce dernier, à l'avenir, des politiques de chaque département, avec les inégalités que cela entraînerait entre les départements riches et les départements pauvres : ainsi, un président de conseil général pourrait décider quasiment seul - il désigne en effet les membres des conseils départementaux d'insertion et des commissions locales d'insertion - de suspendre l'allocation, avec le glissement progressif d'un dispositif universel vers une aide sociale départementale, donc facultative, et, à terme, pouvant être remise en cause.
Rappelons également que cette première application de la décentralisation implique aussi des transferts de personnels de l'Etat vers les départements, sans que ces derniers aient été informés ou consultés. Cela ressemble fort à ce que constatent des millions d'agents des centres d'information et d'orientation, ou CIO, de médecins scolaires, de personnels administratifs, techniques, ouvriers, sociaux, de santé et de service, ou ATOSS, etc.
Tout cela milite à mon sens pour qu'un tel dispositif ne soit pas transféré aux départements.
La vie d'un million d'allocataires, de deux millions de personnes mériterait une autre approche.
Il conviendrait plutôt - je cite M. Dollé - « de se situer dans une réflexion d'ensemble concernant le système d'indemnisation du chômage et d'aide au retour à l'emploi... après une évaluation approfondie des apports et des inconvénients du système actuel ».
Il faudrait donc prendre le temps nécessaire pour consulter les élus, les associations, les intéressés eux-mêmes, en vue de réformer dans un sens progressiste le dispositif, et qu'au moins le volet « allocation » reste de la responsabilité de l'Etat garant de la solidarité nationale.
S'il est vrai que, s'agissant du volet « insertion », le copilotage Etat-département ne semble pas, à l'usage, totalement satisfaisant, les pratiques comme les résultats, monsieur le ministre, sont très variables d'un département à l'autre.
Outre que, là aussi, il faudrait une évaluation, que le Gouvernement n'apporte pas, le transfert de ce volet aux départements ne réglera pas ces disparités, bien au contraire.
Nous avons en mémoire le triste exemple de la prestation spécifique dépendance, qui avait autant d'applications qu'il y a de départements, et qui, au bout du compte, avait restreint le nombre de bénéficiaires et permis aux départements de substantielles économies.
A cet égard, je trouve préoccupant le fait que l'Association des départements de France ait laissé l'instruction de ce dossier à l'un de ses membres, sans mandat clair et sans associer ceux qui ont en charge en son sein les questions sociales.
Face à l'aggravation de la situation sociale et économique, monsieur le ministre, une réforme du RMI et une réévaluation des minima sociaux sont bien nécessaires ; mais, avec ce projet de loi, vous tournez résolument le dos à cette exigence. D'ailleurs, le rapporteur, M. Seillier, a également fait part de ses doutes,...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. De ses interrogations !
M. Roland Muzeau. ... que je partage, comme je partage sa conviction qui diffère sensiblement de celle de nos collègues auteurs de la première proposition de loi sur le RMA. Ainsi, dans son rapport, M. Seillier souligne que « les difficultés du retour à l'emploi tiennent plus aux carences de l'offre - celle des employeurs - qu'à la faiblesse de la demande - celle des allocataires » du RMI.
Il note par exemple l'imprécision du projet de loi sur les conditions financières du transfert, notamment sur le devenir de la « prime de Noël » et l'attribution d'éventuels « coups de pouce », et sur le devenir des personnels de l'Etat chargés de la prestation dans les directions départementales des affaires sanitaires et sociales, les DDASS, transférés aux départements.
Bien que favorable au dispositif, il note également plusieurs risques qui pourraient apparaître. Il s'agit d'abord de l'« appauvrissement du contenu des contrats d'insertion ». M. le rapporteur met en avant, à juste titre, le fait que la seule attestation de l'employeur ne saurait avoir valeur de contrat d'insertion, sachant qu'un employeur ne mobilisera pas autour de la personne l'ensemble des mesures d'accompagnement dont il pourrait avoir besoin. Et ma collègue Valérie Létard en a longuement parlé tout à l'heure.
Il existe également des risques quant à l'éviction des plus démunis, qui seront sanctionnés par l'inscription d'office dans une mesure uniquement orientée vers l'emploi et inadaptée à leur situation.
Enfin, le contrat d'insertion risque de changer de nature avec la disparition de l'engagement réciproque - personne concernée et collectivité - pour atteindre un objectif.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen présenteront des amendements visant à équilibrer la définition des contrats d'insertion.
Leurs préoccupations portent aussi sur l'absence, dans le projet de loi, de la prise en compte du rôle éminemment positif des associations, notamment au sein des conseils départementaux d'insertion et des commissions locales d'insertion.
Au sujet des crédits d'insertion, à l'instar de l'avis unanime du monde associatif, ils exigeront le maintien des 17 % obligatoires.
Je ne partage pas, à cet égard, la prudence de M. le rapporteur, qui attend, pour se prononcer, de connaître l'avis du Gouvernement sur un amendement de suppression déposé par des sénateurs de droite.
Je partage en revanche les inquiétudes et les craintes des associations quant au fait de ne pas fixer un seuil obligatoire pour l'insertion ; la logique de la décentralisation y pousse, mais c'est préparer un recul de l'effort d'insertion et un creusement des inégalités entre départements, au détriment des bénéficiaires.
Nous nous opposerons fermement à l'amendement de suppression de cette enveloppe présenté par la commission des finances, pour qu'elle ne soit pas utilisée à d'autres fins.
Enfin, sur la question de l'évaluation, j'ai déjà dit combien nous y sommes attachés, regrettant son absence depuis plusieurs années déjà.
Vous aurez certainement compris, mes chers collègues, que, si je salue la qualité du travail de M. le rapporteur, je n'en partage pas les conclusions.
Le groupe CRC ne peut que voter contre cette modification importante, ce détournement du RMI, contre l'abandon de tout le volet social et d'accès aux soins et son transfert, qui s'inscrit dans une politique générale de désengagement de l'Etat, ce dernier abandonnant des priorités sensibles comme le social et l'enseignement pour mieux servir le capital.
De même, le groupe CRC ne peut accepter ce RMA, véritable « sous-CES », qui vise en priorité à fournir des salariés bon marché au secteur marchand, tout en détériorant la nature du contrat de travail.
Certes, monsieur le ministre, vous affirmez que le RMA, dans l'immédiat, ne menacera pas le RMI, qui perdurera. Mais pour combien de temps ?
Cette création est une nouvelle pression sur les personnes sans emploi, en vue de leur faire accepter n'importe quelle activité, de les culpabiliser en cas de refus et de laisser planer une menace sur la perception de leurs indemnités.
Monsieur le ministre, occuper quelqu'un suffit-il à lui donner un statut social ? Ces nouveaux salariés n'auront même pas les droits pleins et entiers de leurs collègues.
Ces nouveaux précaires, au niveau des droits et de la durée, verront, pour vingt heures par semaine, pour des travaux à coup sûr pénibles et une protection sociale au rabais, leurs revenus s'accroître de... 130 euros, quelle que soit leur situation de famille ! Avec moins de 600 euros brut par mois, peut-on vivre dignement ? La réponse est non, bien sûr.
Même si le projet s'adresse à un public très en difficulté, d'où une durée de travail arbitrairement fixée à vingt heures par semaine, ces allocataires sont d'ores et déjà pénalisés par rapport aux dispositions en vigueur de la loi du 29 juillet 1998 permettant le cumul, pour une période donnée, de l'allocation et d'un salaire. Cette loi, que vous n'avez pas encore abrogée, avait prévu de favoriser la reprise d'une activité professionnelle par le cumul possible entre minima sociaux et revenus d'activité pour aider les personnes les plus en difficulté à faire face aux dépenses qu'induit le retour à un emploi, notamment le transport, la garde des enfants, l'habillement, etc. Il n'existe pas d'évolution des effets de cette loi, mais, quoi qu'il en soit, le RMA supprime cette possibilité. Nous présenterons donc des amendements pour qu'il en soit autrement.
En conclusion, je vous invite, mes chers collègues, à prendre la mesure des enjeux que pose à la collectivité nationale la résorption de la pauvreté en France et à vous opposer à ce projet de loi, qui porte en lui les germes de l'aggravation de la situation faite à des millions de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Alain Gournac.
M. Alain Gournac. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes nombreux à partager le sentiment que le RMI avait besoin d'être complété.
Voilà quinze ans, à l'époque où il fut institué, ses auteurs pensaient qu'il serait provisoire. Or c'est un provisoire qui dure ! Comme l'a constaté en novembre dernier notre collègue Paul Blanc dans son rapport budgétaire sur la solidarité, la mise en oeuvre du volet « insertion » du RMI s'avère insatisfaisante.
Aussi le projet de loi que vous nous présentez aujourd'hui portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité est-il un bon texte, monsieur le ministre.
Je veux en saluer l'esprit novateur et dire d'emblée que les modifications qui y seront apportées, pour importantes qu'elles soient, ne seront somme toute que des aménagements.
En effet, la philosophie de ce projet de loi est, à mes yeux, l'essentiel. C'est ce que j'aimerais souligner à cette tribune. « Humanisme », « proximité », « pragmatisme » sont des leitmotiv du Gouvernement auxquels votre projet de loi, monsieur le ministre, donne une véritable réalité. Qui lit attentivement ce texte sans se focaliser sur ses aspects techniques, dont nous allons d'ailleurs débattre, s'en rendra aisément compte : ils en sont la trame.
Donner un poisson à quelqu'un a toujours semblé plus généreux que lui apprendre à pêcher. (Sourires.) On a beau le savoir, l'apparence du geste demeure plus forte, plus séduisante que ce qui est, en fait, proposé.
Humaniste, soucieux d'une plus grande proximité, pragmatique, ce projet de loi est fondamentalement une invitation à ne pas se bercer plus longtemps d'illusions et à prendre en compte l'homme dans sa réalité, dans sa fragilité, à le mettre au coeur du dispositif, à en faire la finalité même de la politique du Gouvernement. (M. Robert Del Picchia applaudit.)
M. Philippe de Gaulle. Très bien !
M. Alain Gournac. Certains, parmi les commentateurs de ce texte, ne s'y sont pas trompés : ils ont bien vu que l'homme était la préoccupation partagée par le Gouvernement et la majorité présidentielle. Mais ils ont prêté à ces derniers des intentions et une conception qui ne sont pas les leurs.
Comme si nous faisions de la paresse la part essentielle de la nature humaine ! Comme si, à nos yeux, nombre de titulaires du RMI se satisfaisaient de l'allocation qu'ils touchent et n'étaient pas tentés de rechercher du travail ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Gilbert Chabroux. Non !
M. Alain Gournac. C'est un procès d'intention assez misérable !
Notre conception de l'homme est à égale distance de la naïvité et du cynisme. Nous avons confiance en l'homme, mais pas en n'importe quel homme : en l'homme responsable, en l'homme ayant des droits et des devoirs.
Or, monsieur le ministre, le revenu minimum d'activité que vous nous proposez, et qui est la pièce centrale de la réforme du RMI, correspond très exactement à la mise en oeuvre du principe défini dans le préambule de la constitution du 27 octobre 1946 : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi ». (M. Robert Del Picchia applaudit.) Devoir de travailler, droit à l'emploi,...
M. Claude Domeizel. Pour dix-huit mois !
M. Alain Gournac. ... l'un ne va pas sans l'autre.
J'ai entendu certains prétendre que le Gouvernement voulait mettre les RMIstes au travail.
M. Gilbert Chabroux. Bien sûr !
M. Alain Gournac. C'est un contresens sur l'esprit du texte et une désinformation ! (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Odette Terrade. Il n'y a que vous qui croyez cela !
M. Alain Gournac. La finalité du projet est d'assurer par un dispositif spécifique d'insertion, complet et individualisé, l'effectivité du droit au travail égal pour tous.
La plupart des allocataires du revenu minimum d'insertion souhaitent travailler, mais beaucoup, notammment ceux qui n'ont pas occupé d'emploi depuis longtemps, voire n'en n'ont jamais occupé, ne sont pas d'emblée prêts à entrer directement sur le marché du travail dans des conditions ordinaires.
Ainsi, le revenu minimum d'activité constitue-t-il pour eux un dispositif d'insertion professionnelle en leur apportant un contrat de travail, un revenu plus favorable que le RMI, sans pour autant les dissuader de pousser leur effort jusqu'à leur totale réinsertion professionnelle.
Personne ne peut dire que le revenu minimum d'activité n'est pas l'expression d'une volonté d'aider l'homme ou la femme en difficulté à retrouver, avec le droit à l'emploi, la dignité d'une autonomie, le sentiment d'être responsable, d'être capable de remplir à nouveau ce devoir de travailler, dont il est question dans le préambule de la constitution de 1946.
Le RMA contribuera à recréer un lien social autour de la personne en réinsertion par une réadaptation progressive aux rythmes et aux contraintes du monde du travail. De plus, par une durée de contrat adaptée à son degré d'intégration et de productivité, il lui apportera un sentiment de sécurité et de stabilité dans l'emploi si nécessaire à son équilibre psychologique.
Par ailleurs, comment les intéressés peuvent-ils admettre que leur démarche d'insertion n'aboutisse pas à une activité ou à un emploi ? C'est à cette terrible réalité, source de désespoir et de renoncement, que la réforme que vous nous proposez veut remédier.
Il n'est pas admissible que près d'un million de personnes soient exclues, souvent durablement, du monde du travail. Quand on regarde à la loupe la situation et le profil des allocataires du RMI, on découvre qu'environ un sur quatre n'a eu aucune expérience professionnelle, qu'un sur trois bénéficie du RMI depuis plus de trois ans et qu'un sur dix en bénéficie depuis plus de dix ans.
Il est évident que le RMA ne peut concerner tous les RMIstes. Il n'est destiné ni à ceux qui sont en très grande difficulté, c'est-à-dire très loin du marché du travail, ni à ceux qui, rencontrant de moindres difficultés, sont proches du marché du travail auquel ils accèderont directement ou par l'intermédiaire de l'ANPE.
Déterminer des critères pour préciser le profil des allocataires du RMA n'est pas facile. Aussi l'excellent rapporteur de la commission des affaires sociales, Bernard Sellier, fait-il des propositions intéressantes.
Sans entrer dans le détail du dispositif, permettez-moi, monsieur le ministre, de dire combien je me réjouis de l'accent qui a été mis sur les activités de tutorat, de suivi indiviualisé et de formation, dans ce parcours d'insertion qui sera, sous le contrôle vigilant du département, à la charge de l'employeur.
C'est une très bonne formule : le salarié participe ainsi à l'activité de l'établissement et l'employeur, compte tenu du coût peu élevé du contrat, a la charge d'assurer l'encadrement et l'insertion professionnelle du salarié grâce à des actions d'accueil, d'orientation, d'accompagnement et de formation. Il s'agit cette fois d'un véritable parcours d'insertion.
J'y crois très fortement et je suis persuadé que c'est la bonne méthode pour permettre au bénéficiaire du RMA de préparer son retour à l'emploi dans les conditions ordinaires du marché.
C'est aussi une activation des dépenses de l'aide sociale qui prouve que l'exercice de la solidarité nationale n'exclut pas, loin de là, la prise en compte des coûts pour les finances publiques.
Mais ce n'est pas la motivation essentielle du projet de loi, loin de là ! Et si nous le soutenons et le défendons, c'est que le RMA constitue, je le répète, un dispositif complet de réinsertion sociale et professionnelle.
A l'instar de la transformation du RMI en une « trappe à inactivité », qui est une conséquence de l'ancienneté de certains RMIstes dans le dispositif et non pas la vocation secrète du RMI, la fermeture de cette trappe est une conséquence de la réforme et non pas ce qui la motive.
De grâce, cessons de confondre les objectifs poursuivis et les conséquences qui en résultent, heureuses soient-elles !
Je vous rappelle que le but recherché est la réinsertion sociale et professionnelle de l'allocataire du RMI, la restauration de l'homme libre, autonome, responsable, travaillant, remplissant avec fierté ce devoir parce que la société lui en aura donné les moyens.
Mais ce but ne peut être atteint qu'en décentralisant la gestion du RMI. La mise en place d'une politique soucieuse de situer l'homme au coeur de nos préoccupations exige en effet que la décision soit prise au plus près des situations dans lesquelles celui-ci se trouve.
Aussi était-il nécessaire de mettre préalablement en oeuvre les dispositions de l'article 72, alinéa 2, de la Constitution issu de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République, aux termes desquelles « les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur échelon ».
Décentraliser n'est pas démanteler, comme on l'entend dire trop souvent. C'est au contraire recentrer l'exercice des responsabilités au niveau le plus adéquat.
Actuellement, l'Etat est responsable en matière d'allocation de revenu minimum, et le volet insertion est copiloté par lui et le département. Le croisement de ces responsabilités ne permet pas une optimisation des objectifs.
Depuis vingt ans, les départements se sont vu confier l'aide aux personnes en difficulté et ont acquis en ce domaine un savoir-faire reconnu.
Monsieur le ministre, par ce projet, et conformément aux orientations du Gouvernement, vous avez souhaité que ce savoir-faire soit fortement valorisé et mis à profit pour une plus grande efficacité. Ainsi, les responsabilités de l'Etat et du département sont resituées à leur juste niveau.
Au département sont confiées la charge de la dépense et les compétences relatives aux décisions individuelles d'attribution, de renouvellement et de suspension de versement de l'allocation. Il assure également l'organisation et le pilotage du dispositif d'insertion des allocataires.
A l'Etat est confirmé l'exercice de son rôle régalien et de ses missions normatives de suivi et d'évaluation.
Le département devenant le responsable unique pour l'allocation et le volet insertion du RMI, le système est simplifié, plus facile à faire fonctionner, plus lisible pour l'usager. Il devrait donc être plus efficace ; l'usage nous le confirmera.
Il est également fondamental que le poids de la complexité administrative liée aux partenariats, aux modes d'information et de gestion ainsi qu'à l'organisation de l'ingénierie d'accompagnement et de formation des bénéficiaires soit essentiellement supporté par le département, dans le cadre bien entendu d'une coordination entre le conseil général et les services de l'Etat, coordination à laquelle seront associés les représentants des autres collectivités territoriales.
In fine - et là est tout l'intérêt de la décentralisation -, le département disposera d'un outil de gestion et de pilotage lui permettant, à la fois, d'évaluer le potentiel des personnes susceptibles d'être orientées vers le dispositif et de maîtriser la gestion budgétaire et financière des versements effectués au titre du RMA.
Un point est très important, quoique apparemment secondaire dans l'architecture globale du projet. Il découle de l'esprit même de la décentralisation : c'est l'obligation de mieux informer les allocataires sur leurs droits et leurs devoirs dès la décision d'attribution du RMI, ainsi que sur l'offre d'insertion locale, notamment en ce qui concerne le RMA.
Il s'agit là d'une des vertus de la décentralisation : au plus près du citoyen et des situations que vit celui-ci, le responsable politique est tenu de le considérer dans la réalité globale de ses droits mais aussi de ses devoirs. Ce rappel n'est pas sans intérêt aujourd'hui et engage tous les partenaires.
Je ne peux qu'adhérer à cette orientation que vient compléter une modification du contrat d'insertion lui-même. Que ce contrat contienne désormais des dispositions définissant de manière concrète le projet d'insertion ou le calendrier des démarches correspondantes est fondamental.
Tout aussi capital est le fait qu'un référent soit garant de la cohérence du parcours d'insertion et des éventuelles réorientations de l'intéressé.
En fait, le projet de loi tire les leçons de l'expérience de quinze ans de RMI : en s'inspirant des bonnes pratiques observées et évaluées dans beaucoup de départements, en proposant de les généraliser, le Gouvernement est cohérent avec lui-même. Sa conception du service de l'homme et de l'exercice politique implique, en effet, un cadre décentralisé et un véritable pragmatisme.
L'humanisme qui est le nôtre se caractérise par une confiance, non point en une nature humaine, mais en une perfectibilité de l'homme. Celui-ci n'est ni bon ni mauvais, ni travailleur ni paresseux : il sera ce que nous en ferons. Il en va de notre responsabilité individuelle et collective.
Parler de cette conception de l'homme qui court sous la lettre même de votre projet de loi, monsieur le ministre, c'était, vous l'avez bien compris, faire un long détour pour vous dire combien j'adhère à votre projet de loi, même si notre débat, éclairé par les avis et les modifications de la commission des affaires sociales, le fera évoluer. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'avalanche de projets de loi que le Gouvernement soumet au Parlement depuis quelques mois nous conduit à légiférer à la hâte sur un dispositif social, sans que le texte qui nous est présenté ait pu être nourri ni de l'expertise de nos collègues avertis sur ce sujet, ni de celle des associations qui, depuis l'existence du RMI, ont étudié la diversité des bénéficiaires, les inflexions possibles et les améliorations souhaitables.
Cette précipitation est d'autant plus dommageable que, loin de s'être apaisé, le débat sur les retraites et sur la décentralisation focalise encore toute l'attention et que les enjeux en cause - la lutte contre l'exclusion, la place et la rémunération du travail dans notre société - sont primordiaux.
Vous écrivez, dans l'exposé des motifs du projet de loi, qu'il s'agit « d'encourager le retour ou l'entrée dans l'emploi ». Or, le mot « encourager » s'adresse en général à quelqu'un qui ne peut pas ou à quelqu'un qui ne veut pas. On encourage par exemple un accidenté convalescent à se rééduquer à la marche. On encourage un enfant paresseux à ranger sa chambre.
Dans le premier cas, un ensemble d'appuis professionnels et techniques accompagnent les efforts. Or, dans le dispositif du RMA, rien n'est prévu. C'est donc que vous vous placez dans le second cas. Au fond, les RMIstes, si l'on s'en tient à l'esprit de l'exposé des motifs, « pourraient mais ne voudraient pas » vraiment trouver - ou retrouver - du travail.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Cela n'a rien à voir !
Mme Marie-Christine Blandin. Cette approche est grave, car elle révèle l'étrange façon dont ce gouvernement regarde deux millions de Français : non pas avec la sollicitude et le respect dus aux victimes de la course mondiale à la compétitivité, mais avec l'idée qu'il pourrait s'agir de gens qui s'accommodent de l'oisiveté et d'un dispositif à effet d'aubaine. Vous avez d'ailleurs parlé « d'alibi », comme le rappelait notre collègueM. Chabroux.
Tout d'abord, les RMIstes ne se reposent pas : c'est un travail à plein temps que de courir les rues pour boucler son budget, que de faire la queue à la poste, à la caisse d'allocations familiales, à la sécurité sociale, à l'école pour grappiller ses maigres droits, quand ce n'est pas auprès du propriétaire ou de EDF pour obtenir un énième délai avant que l'huissier ne vienne frapper ou que la DDASS n'évoque le placement des enfants.
Ensuite, les RMIstes n'apprécient pas leur sort. Chacun préfère l'autonomie d'un métier et la fierté de son exercice. Nombre d'entre eux préfèrent accepter des contrats aidés, même si l'accroissement de revenus qu'ils représentent reste bien souvent symbolique, voire inexistant lorsque le lieu de travail se trouve éloigné du domicile de l'intéressé. Leur seule motivation est alors le souci de retrouver leur dignité.
Enfin, les RMIstes ne fuient pas le travail : c'est le travail qui fuit nos territoires.
Depuis plusieurs décennies, la part du travail salarié tend à diminuer régulièrement dans la production grâce au rôle sans cesse grandissant des machines et à l'évolution technologique. Comme le rappelle René Passet, professeur émérite d'économie à la Sorbonne, « en 1896, 18 millions de personnes occupées fournissaient 55 milliards d'heures ouvrées, cependant qu'un siècle plus tard 22 millions de travailleurs n'en fournissaient plus que 35 milliards ».
Cette tendance s'est accompagnée d'une réduction du temps de travail, des congés payés, de la sécurité sociale et de bon nombre d'autres avancées sociales. Malgré ces évolutions positives, la part des salaires dans le produit intérieur brut a diminué de dix points ces dernières années, pour passer de 70 % à seulement 60 %, au profit de la part des revenus financiers. C'est ainsi que l'on peut voir des entreprises licencier à tour de bras tout en augmentant considérablement les rémunérations de leurs cadres.
Pour achever le tableau, n'oublions pas la mondialisation libérale ! La brutale économie de marché ne prend pas de gants pour aller fabriquer ses textiles, son acier ou son électroménager ailleurs, là où les lois sociales ou environnementales en sont encore à la préhistoire de la protection des salariés.
« Je suis fier d'être le représentant d'une industrie qui délocalise », disait le 28 novembre 2002, devant les journalistes de la presse économique, Guillaume Sarkozy, vice-président du MEDEF.
La demande de travail existe, mais c'est l'offre qui s'est tarie.
Bien que le Gouvernement soit en sympathie avec ces managers compétitifs qui s'installent ou partent au gré des opportunités de bénéfices, l'honnêteté impose de reconnaître que ce mécanisme destructeur n'est pas neuf.
Toutefois, la gauche y avait opposé quelques remparts. Elle avait inventé des gisements d'activités comme les nouveaux services ou les emplois-jeunes, qui rendaient dignité et espoir à leurs titulaires, en leur permettant d'exercer des missions utiles.
La gauche avait ouvert la voie avec la mission du secrétaire d'Etat à l'économie solidaire.
Les pistes étaient défrichées : financements croisés, identification des besoins non satisfaits, repérage des qualifications nécessaires, parcours de professionnalisation, validation des acquis, engagement de l'épargne, nouveaux métiers en perspective...
Vous avez tout cassé, d'abord en tarissant l'appui à l'emploi aidé, puis en fragilisant tout le réseau associatif impliqué !
Et maintenant, dans ces champs de ruines, vous bricolez un revenu minimum d'activité, uniquement favorable aux entreprises privées, qui implique de travailler vingt heures pour 132 euros de plus.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Un champ de ruines, c'est ce que nous avons trouvé en arrivant !
Mme Marie-Christine Blandin. Le fait que la retraite - grand mot pour la misère en perspective - ne sera calculée que sur ces 132 euros ne peut que laisser perplexe : ou bien 132 euros représentent le salaire pour vingt heures de travail, ce qui est de l'exploitation ; ou bien vingt heures de travail sont rémunérées 445 euros et, dans ce cas, c'est sur ce total qu'il faut calculer la retraite. Il faut assumer l'un ou l'autre choix. Il faut penser à des développements durables, car que deviendront ces travailleurs lorsqu'ils seront âgés ?
Aujourd'hui, il n'y a plus de travail pour tous et, tant que de nouvelles activités n'auront pas vu le jour, que ce soit grâce à la croissance ou à l'économie solidaire - beaucoup plus indépendante et porteuse de lien avec le territoire - il faudra accepter que les droits de base et la rémunération nécessaire à leur exercice soient découplés du travail au sens traditionnel.
Les Verts avaient même, pour ce faire, proposé le principe d'un revenu d'autonomie, garantie de dignité et porteur de simplification par rapport à l'empilement des secours, revenu dont chacun bénéficierait, mais que pourraient compléter par de ressources plus confortables ceux qui auraient la chance d'avoir un emploi. Cela n'a rien de choquant : les allocations familiales continuent bien d'être versées aux familles les plus riches !
Si l'on ne sépare pas le travail des droits nécessaires à la vie, la lutte contre l'exclusion demande une approche globale du citoyen concerné. Seules les associations de terrain sont à même d'assumer cette tâche dans la durée.
Or un gel de crédit à la « hussarde » vient de tarir le financement de ces structures. Selon les associations, 25 % à 50 % des actions exécutées ont vu leur paiement différé malgré les conventions qui liaient ces associations à l'Etat. Quand l'Etat les paiera, ce sera sur le compte des actions d'insertion de 2004. Si vraiment Bercy n'a plus d'argent, que le Premier ministre ait la décence de suspendre tous les cadeaux fiscaux faits aux plus riches !
La lutte contre l'exclusion exige que l'on commence par entendre les gens concernés : chômeurs, expulsés, SDF, jeunes en déroute, éducateurs, acteurs sociaux, mouvements de chômeurs.
Peut-être, monsieur le ministre, avez-vous vu le film de Michael Moore, Bowling for Columbine, film dans lequel une tuerie dans un collège se révèle être le fait d'un adolescent armé. Michael Moore interroge les élèves, les vendeurs d'armes, les professeurs, les voisins qui déclarent que la mère ne s'occupait pas de son fils.
Moore interroge alors la mère, qui raconte qu'elle était sans emploi depuis des années, qu'elle survivait grâce aux minima sociaux, mais que, dans son Etat, le Colorado, il a été décidé d'« encourager le retour à l'emploi » en conditionnant les minima sociaux à une reprise d'activité. Or, le travail étant rare, cette femme n'a trouvé que quelques heures de nettoyage à faire à quatre-vingts kilomètres de son domicile, partant très tôt le matin, rentrant très tard le soir en bus, laissant l'adolescent en dérive, complètement livré à lui-même. J'ajoute, que dans cet Etat, les budgets favorisés furent ceux de la police et des prisons. N'emboîtons pas le pas à ces mauvaises pratiques !
Monsieur le ministre, les exclus méritent mieux qu'un soupçon et la lutte contre l'exclusion mérite mieux qu'un double dispositif aux effets incertains et aux dégâts garantis.
J'approuve, bien qu'elle ne soit pas de la même sensibilité politique que moi, loin de là ! ma collègue, qui aurait souhaité, depuis son Valenciennois nordique, une grande loi qui couvre l'ensemble des dispositifs.
Monsieur le ministre, n'ajoutez pas aux soucis de ceux qui sont en difficulté, le dilemme difficile à résoudre entre un travail mal payé, précaire, non formateur et le risque d'une éventuelle radiation arbitraire si, d'aventure, le refus de ce parcours était considéré par tel ou tel conseil général comme un refus d'insertion.
Ce risque, non explicite dans le texte, pose toute la question de la pertinence de votre décentralisation, qui n'offre aucune garantie d'égalité de droits aux citoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quand j'entends parler de champ de ruines, de démontage de tous nos systèmes sociaux, je m'interroge (Sourires sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste), je me demande si c'est bien du même sujet que l'on parle, celui qui est traité dans le texte que j'ai lu, et dans les rapports de mes excellents collègues Bernard Seillier et Michel Mercier.
Cela dit, en écoutant les rapporteurs et les orateurs qui m'ont précédé, une question m'est venue à l'esprit : pourquoi, dans notre pays qui se situe parmi les plus développés du monde occidental, l'exclusion et la pauvreté se sont-elles autant développées depuis un certain nombre d'années ? Pourquoi, comme l'a dit M. Chabroux, alors qu'il y a vingt ans notre pays était parmi ceux où l'aide aux plus démunis était la plus importante, avons-nous été dépassés par nos voisins italiens, espagnols, allemands, luxembourgeois, belges et néerlandais ?
L'une des raisons me semble résider dans le fait que les majorités successives - je n'accuse personne en particulier - ont toujours considéré que, pour lutter contre les difficultés touchant les personnes, il fallait élaborer de gigantesques lois nationales s'appliquant à tout le monde, essayant de régler tous les problèmes. Par voie de conséquence, elles passaient à côté des réalités humaines que nous côtoyons sur le terrain.
Monsieur le ministre, je soutiens donc ce texte, d'abord parce qu'il témoigne de la volonté de s'engager enfin, en ce domaine, dans la décentralisation.
Je sais qu'il est de bon ton d'opposer départements riches et départements pauvres. Selon moi, il y a surtout des départements de plus d'un million d'habitants et des départements de moins de 200 000 habitants. Le véritable critère de distinction entre les uns et les autres réside plus dans la taille que dans les ressources.
En tout cas, le fait de supprimer le copilotage, que nous avons tant dénoncé en 1988 et en 1993, et de confier le RMI aux départements, étant entendu que c'est l'Etat qui fixera les barèmes et le montant des allocations, me paraît aller dans le sens d'une amélioration du système, dans la mesure où on le « personnalise ».
Les rapporteurs l'ont dit mais je veux y insister : monsieur le ministre, si vous aviez envisagé de créer un revenu minimum d'activité selon le système actuel du RMI, c'est-à-dire avec le copilotage départemental, avec les commissions locales d'insertion, avec le plan départemental d'insertion, vous étiez assuré d'aller à l'échec. En effet, il est impossible de faire fonctionner un système aussi complexe, faisant appel à tant de responsables différents et s'appliquant de manière uniforme à des situations qui n'ont rien à voir les unes avec les autres.
Ayant réalisé, voilà quelques années, avec la commission des affaires sociales, des enquêtes sur le fonctionnement du RMI à la Réunion, aux Antilles et dans certains départements métropolitains, j'ai pu voir combien, d'un département à l'autre, l'approche des problèmes sociaux pouvait être différente : le RMI à la Réunion n'a rien à voir avec le RMI en Lot-et-Garonne. Vouloir faire une grande loi générale pour régler tous les problèmes régionaux est certainement une ineptie. C'est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, j'approuve la démarche décentralisatrice qui est la vôtre. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
Eclairé par les excellents rapports de MM. Seillier et Mercier, je crois qu'il faut aller un peu plus loin que vous ne le proposez. A partir du moment où ce texte affiche une volonté décentralisatrice, il faut l'assortir de deux « codicilles ».
Tout d'abord, il ne faut pas, à mon sens, maintenir la règle des 17 %, étant entendu que, dans trois ou quatre ans, nous réexaminerions la question si des départements n'avaient pas le comportement qu'on attend d'eux.
Je signale d'ailleurs au passage qu'en matière de prestation spécifique dépendance le département qui s'est le plus mal conduit est celui des Landes, dont le conseil général est présidé par M. Henri Emmanuelli, lequel se situe très à gauche sur l'échiquier politique !
Cela étant, comme l'a excellemment dit M. Mercier, il faut faire confiance a priori aux élus locaux, quitte à prévoir une clause de « revoyure » dans trois ou cinq ans, pour faire le point et envisager éventuellement des modifications du système.
J'en viens au deuxième des codicilles que j'estime souhaitables.
Heureusement, monsieur le ministre, que figure dans votre texte l'article 27, qui permet aux départements de transférer certaines de leurs responsabilités aux communes et aux structures intercommunales. En effet, la décentralisation ne peut pas s'arrêter au département ; elle doit descendre aussi aux niveaux intercommunal et communal.
Si une commune de plus de 100 000 habitants ou une communauté urbaine de plus de 500 000 habitants souhaitent s'occuper elles-mêmes de la lutte contre l'exclusion et de l'insertion professionnelle des allocataires, pourquoi le leur interdire ?
Le deuxième codicille doit donc consister à étendre la décentralisation vers les autres collectivités, de manière à être au plus près du terrain. Les problèmes que connaît le département du Gers, que M. de Montesquiou a évoqué tout à l'heure avec beaucoup d'émotion, ne sont évidemment pas les mêmes que ceux qu'on rencontre dans les Hauts-de-Seine : dans le Gers, il y a peu d'habitants et beaucoup de communes ; dans les Hauts-de-Seine, il y a beaucoup d'habitants, peu de communes et quelques communautés d'agglomération. Cela va de soi, c'est au niveau des grandes communes ou des communautés d'agglomération que doit porter l'effort de personnalisation de l'aide, cet effort d'humanisme dont a parlé mon ami Alain Gournac.
Qu'est-ce qui explique l'échec relatif du RMI, surtout dans son volet « insertion » ?
Comme souvent en matière sociale, on a, me semble-t-il, commis une erreur en considérant que le RMI était exclusivement l'affaire des travailleurs sociaux, leur apanages, en quelque sorte. J'ai beaucoup de respect pour les travailleuses et les travailleurs sociaux, pour les éducateurs, les animateurs, ceux qui travaillent dans les rues, etc., mais je crois qu'ils n'ont pas une notion très précise de ce que peut être l'insertion professionnelle.
Dès lors, le corollaire de la mise en place du RMA doit être, au niveau le plus local possible - que ce soit le canton, comme le suggérait Aymeri de Montesquiou, la communauté d'agglomération ou, dans d'autres cas, le département - la création de structures associant, outre des travailleurs sociaux, des personnes qui connaissent les réalités de l'entreprise, des gens qui se sont occupés d'insertion professionnelle, les représentants des associations intermédiaires.
A ce propos, je répondrai à mes collègues qui, tout à l'heure, nous ont accusés de tout « casser » et ont dénoncé une « régression » : c'est Mme Aubry elle-même qui a réglementé de manière drastique la capacité des associations intermédiaires à employer des RMIstes, ce qui a littéralement brisé un mouvement qui s'amorçait. Dans mon département, la plupart des associations intermédiaires employaient de très nombreux RMIstes ; bien entendu, le fait de limiter le nombre d'heures de travail que ces associations peuvent offrir à des RMIstes a interrompu le processus d'insertion sociale qui était en train de se faire jour.
Il faut donc revenir sur ces règles et faire participer les entreprises intermédiaires à l'action que vous voulez mener en faveur des RMIstes. Comme pour la prestation spécifique dépendance, puis pour l'allocation personnalisée d'autonomie, un groupe de travail pluridisciplinaire doit examiner les situations individuelles partout où c'est possible, de manière à essayer de voir si c'est un problème de logement, un problème de santé, voire un problème d'alcoolisme ou de drogue - nous qui gérons le RMI savons bien ce qu'il en est ! - qu'il s'agit de régler.
Pour faciliter la mise en place du revenu minimum d'activité, il faut que nous puissions travailler avec des personnes qui savent ce que c'est que l'entreprise, la petite entreprise, l'entreprise artisanale. Il faut supprimer les conflits qui ont eu lieu, sur le plan local, entre les fédérations d'artisans, les chambres de métiers, les chambres de commerce et d'industrie et tous ceux qui s'occupent du RMI, de manière à pouvoir donner aux RMIstes cette première chance, à leur permettre de faire ce premier pas vers l'insertion professionnelle.
Bien entendu, personne n'a la naïveté de penser que tous les allocataires du RMI - ils sont environ un million - vont bénéficier du RMA. Mais on peut espérer que 20 % à 30 % d'entre eux pourront en profiter. Ce sera déjà très bien, car cela leur permettra de sortir de l'isolement, du ghetto dans lequel ils sont enfermés. A cet égard, les relations avec les comités locaux d'insertion ou les ANPE, par exemple, sont un élément essentiel dans le processus.
Reste bien sûr - et vous seriez étonnés que je n'en parle pas ! - le problème du financement de l'opération.
Monsieur le ministre, je vous ai rendu hommage en commission en indiquant que l'article 3 du projet de loi était conforme, dans son écriture, au texte constitutionnel que nous avons adopté ici même. (Sourires.)
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. C'est certain !
M. Jean-Pierre Fourcade. Encore faut-il savoir de quel impôt il s'agit !
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Eh oui !
M. Jean-Pierre Fourcade. Encore faut-il savoir comment sera transféré le morceau d'impôt - je préférerais qu'il s'agisse de morceaux de plusieurs impôts, de manière que le financement soit mieux assuré et que l'équilibre des budgets départementaux soit mieux garanti -, quelles seront l'évolution et la modulation de ce transfert. C'est la raison pour laquelle je reste attaché au transfert d'un morceau d'impôt assorti d'une modulation des taux par la collectivité départementale ou par la collectivité régionale : seule cette solution permettrait de faire face aux difficultés que nous rencontrons. Cela n'est pas précisé dans l'article 3 parce que ce n'était pas possible, mais j'espère que cela figurera dans le projet de loi organique relatif à l'autonomie financière des collectivités locales, qui est en préparation. Nous veillerons, en tout cas, à ce que la loi de finances en tire les conséquences.
On ne saurait, en effet, se lancer dans un processus de transfert aussi coûteux pour les collectivités territoriales que le fut celui qui concernait les collèges et les lycées, dont nous avons tous gardé un très mauvais souvenir : l'Etat nous ayant donné ce que lui-même dépensait - c'est-à-dire, passez-moi l'expression, des « clopinettes » -, nous avons été obligés d'augmenter notre fiscalité pour pouvoir faire face aux besoins.
Il faut que, dans notre pays comme dans les autres grands pays européens soit instaurée, entre l'Etat et les collectivités locales, une procédure de révision tous les trois ou cinq ans, opérée par des organismes ad hoc et permettant de faire apparaître l'évolution des flux financiers.
Monsieur le ministe, ayant entendu différents orateurs s'exprimer sur ce texte, je formulerai deux observations.
Tout d'abord, votre texte est nécessaire et il vient à point. Voilà un an que vous êtes au Gouvernement : par conséquent, on ne peut pas dire que vous ayez travaillé de manière précipitée. Il était impossible de conserver le RMI, tel qu'il était, si indispensable que soit cette allocation pour ceux qui en bénéficient, surtout pour leur famille, leurs enfants, étant toutefois observé que 27 % des allocataires sont des célibataires.
Par ailleurs, il est évident qu'il fallait éviter d'attirer les RMIstes vers des contrats aidés du secteur public à l'heure où les collectivités territoriales ont déjà de grosses difficultés financières. Il fallait donc trouver un passage vers le secteur marchand, comme vous l'avez fait pour les jeunes, monsieur le ministre. Car le mécanisme que vous avez mis en place pour les jeunes, sans être extraordinairement bénéfique, fonctionne. Le RMA fonctionnera, lui aussi.
Quant à la grande concertation avec les associations, les éducateurs, les travailleurs, etc., elle a bien eu lieu. Chacun d'entre nous y a procédé chez lui.
Ma deuxième observation a trait aux paramètres que vous avez prévus.
Je vous en prie, monsieur le ministre, acceptez qu'il puisse y avoir des dérogations, comme le propose la commission. Vous qui avez décidé de vous engager dans la voie de la décentralisation, ne faites pas droit à ce travers des administrations centrales qui prétendent tout réglementer, tout décider parce qu'elles considèrent que les élus locaux sont incapables d'avoir la moindre compréhension des problèmes.
En la matière, des personnes peuvent trouver un travail après un an de chômage ; d'autres n'en trouveront jamais pour des raisons liées à la maladie, à l'alcoolisme, etc. Certains peuvent accepter un travail à trois quarts de temps, d'autres à mi-temps, certains un contrat de six mois, d'autres de deux ans.
Monsieur le ministre, je suis persuadé que vous accepterez quelques amendements tendant à assouplir et à rendre plus pragmatique ce texte tout à fait nécessaire. C'est la raison pour laquelle tous les membres de l'UMP seront heureux de l'adopter. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Virapoullé.
M. Jean-Paul Virapoullé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est avec une certaine émotion que je vais m'exprimer parce que le problème dont nous débattons aujourd'hui revêt, dans les départements d'outre-mer, un caractère crucial. Comme en métropole, il touche les plus faibles. Mais, chez nous, les plus faibles sont malheureusement plus nombreux !
La Réunion est un département français depuis une cinquantaire d'années, mais cela n'a pas permis d'effacer toutes les séquelles de la colonisation.
En ce qui concerne la décentralisation, nous allons devoir réclamer un volet spécifique à l'outre-mer.
La métropole compte à peu près 59 millions d'habitants, parmi lesquels 1,1 million bénéficient du RMI, soit environ 2 %. A la Réunion, sur 700 000 habitants, 67 000 sont bénéficiaires du RMI, soit près de 10 %. Dès lors, comme le disait M. le rapporteur, il n'est pas possible de traiter les départements d'outre-mer comme la métropole.
La première raison de l'impossibilité de réaliser outre-mer la centralisation sur les bases métropolitaines est de nature financière.
J'ai lu dans les excellents rapports de nos collègues Bernard Seiller et Michel Mercier qu'il était envisagé de financer ce nouveau transfert de charges grâce à la TIPP. Or, monsieur le ministre, en outre-mer, la TIPP est d'ores et déjà décentralisée : elle est directement perçue par les conseils régionaux de la Réunion, de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane, puis répartie entre le département, la région et les communes.
Si, à la Réunion, le produit de la TIPP est d'environ 250 millions d'euros et que le RMI représente à peu près la même somme, pour que nous puissions financer cette dépense transférée, il n'y aura que deux solutions : soit il faudra doubler le prix de l'essence et le faire passer à 2 euros - vous imaginez la catastrophe ! -, soit il faudra que l'Etat abonde sa dotation d'un montant égal au produit de la TIPP locale. Or ce n'est pas l'orientation que paraît suivre ce projet de loi.
En tout cas, c'est un point qu'il faudra examiner en profondeur, vu les sommes considérables qui sont en jeu.
Autre problème : l'assiette fiscale. Admettons que vous nous transfériez une partie de la TIPP. Même avec 700 000 habitants, le développement du marché automobile est limité - il y a déjà beaucoup d'embouteillages à la Réunion, vous pouver en témoigner, monsieur le ministre (M. le ministre sourit) -, et la croissance de la consommation de produits pétroliers ne sera jamais suffisante ; c'est évident. Le problème est exactement le même à la Martinique et à la Guadeloupe.
Bien sûr, j'aurais préféré que la Réunion compte moins de malheureux, de gens en difficulté, que le progrès économique et industriel y absorbe la croissance démographique. Malheureusement, ce n'est pas le cas aujourd'hui.
Par conséquent, si l'on décentralise la charge de la gestion du RMI et que l'on finance cette dépense supplémentaire à partir de la TIPP, alors que la décentralisation de la TIPP est déjà engagée chez nous, le différentiel de croissance du RMI par rapport à la TIPP, compte tenu de la faiblesse de l'assiette fiscale locale, entraînera très rapidement une asphyxie des finances de chaque département d'outre-mer.
Le troisième problème est celui des ayants droit. Il s'agit de sécurisation de leur droit.
Un collègue des Hauts-de-Seine nous explique qu'il a chez lui 1,8 % de RMIstes. Chez d'autres, c'est 1 %. Chez nous : 10 % ! Il peut être tentant, pour des présidents de conseils généraux, de se faire une clientèle politique sur le dos de la misère des autres.
Mme Odette Terrade. Eh oui !
M. Jean-Paul Virapoullé. J'ai entendu des ayants droit expliquer : « Si vous décentralisez, il faut prévoir des sécurités pour que les droits soient attribués aux familles qui peuvent objectivement prétendre à ce RMI. »
Et puis, il y a la démographie.
En métropole, la population active va baisser ; chez nous, elle va augmenter. Une croissance des dépenses liées au chômage est donc à prévoir.
Dès lors, il est souhaitable que, au cours de la navette, les présidents de conseils régionaux, les parlementaires des DOM puissent, avec vous et peut-être avec Mme la ministre de l'outre-mer, si elle le souhaite, engager une réflexion pour arriver à définir un volet spécifique « DOM » qui soit réaliste, efficace, qui sécurise les droits des RMIstes et assure la faisabilité financière de cette décentralisation.
Le deuxième point concerne le RMA.
Monsieur le ministre, je vous remercie d'être passé d'une logique d'assistance à une logique d'activité, de dignité.
Nous avons déjà parlé de cette question à plusieurs reprises.
En 1997, j'ai même fait voter un RMA à l'Assemblée nationale, en première lecture. Il visait à permettre le cumul du revenu du travail avec la solidarité. Mais il y a eu dissolution et mon RMA est tombé à l'eau !
Quel a été le défaut majeur du RMI que j'ai moi-même voté en 1988 ? C'est l'opposition de la logique de solidarité à la logique du travail. Le péché originel du dispositif, c'est de dire à un RMIste qui gagne 3 000 à 4 000 francs : « Si tu travailles, je te supprime le RMI. » Cela revient à tourner le dos à une logique de dignité, de responsabilité et d'égalité.
En agissant ainsi, on s'est conduit en pharisiens et en hypocrites.
On a poussé à la misère et à l'exclusion des milliers de RMIstes, de familles.
Monsieur le ministre, vous avez aujourd'hui le courage de dire, et le Gouvernement et sa majorité vous soutiennent, que le travail ne s'oppose pas à la solidarité. Je vous en remercie. Mais il ne faut jamais oublier que le travail est le but de la vie, et que la solidarité et l'intégration sont les moyens d'y parvenir.
Le RMA se situe dans une logique d'intégration où travail et solidarité se conjuguent pour aboutir à un projet de vie. Ce projet de vie doit forcément être souple, adapté à la personnalité et à la situation de chaque ayant droit. Un RMA rigide ne serait qu'un corset dans lequel les plus pauvres, les exclus, et même les plus actifs, n'entreraient pas.
Monsieur le ministre, mes propositions rejoignent celles de M. le rapporteur.
Tout d'abord, il faut que le RMA soit voté et qu'il fonctionne bien.
Comme beaucoup d'entre vous, je suis maire. Quand mes concitoyens viennent me voir, c'est pour me dire : « Nous ne voulons pas d'un RMI ; nous voulons travailler. » C'est pour cela que j'avais proposé le RMA en 1997. Je ne l'avais pas inventé !
Aujourd'hui, il s'agit de le voter. Mais je vous en prie, amendons-le suivant deux axes.
En premier lieu, comme l'a souligné M. le rapporteur pour avis, la durée hebdomadaire du travail doit être modulée.
Imaginons que j'ai des notions de mécanique et que je sois au RMI : voyons comment le système devrait fonctionner.
Un mécanicien me dit : « Virapoullé, viens travailler ! » Si j'accepte, je ne perds plus le bénéfice de mon RMI. Je ne vais donc plus aller travailler au noir dans son garage, avec tous les risques que cela comporte si je me blesse. Je vais être déclaré. C'est un progrès.
Je peux dire à mes enfants quand je sors de la maison le matin : « Je vais travailler. » Et si l'assistante sociale leur demande où je suis, ils peuvent lui répondre : « Papa est allé travailler, il touche le RMA », au lieu de : « Papa est sorti pour faire des courses. »
C'est très important sur le plan humain et sur le plan social : le travail, c'est le socle de l'existence de la personne.
Et si le garagiste me dit : « Virapoullé, je te propose de faire trente heures par semaine, j'en ai besoin ! », je dois pouvoir accepter. Mais il faut moduler ce travail dans l'entreprise avec un plan de formation du type ARF, aide au recrutement par la formation.
La modulation et le plan de formation sont des données capitales. Sinon, je serai exploité : je passerai le balai dans le garage et mon employeur percevra une prime à l'emploi. Ce n'est pas le but de l'opération. L'objectif, c'est de m'apprendre à serrer les écrous, à faire les vidanges, à laver les voitures, bref, de m'apprendre à travailler.
Comme je pense ne pas être trop mauvais, mon plan de formation sera de douze mois et je travaillerai douze mois ! Mais si mon plan de formation est de vingt-quatre mois, il ne faut pas, au bout de dix-huit mois, me faire tomber du cheval qui doit me conduire à l'intégration ; il ne faut pas que je sois obligé de retourner travailler au noir, de me cacher pour y aller et de demander à mes enfants de mentir à l'assistante sociale, et de lui dire que leur papa est allé faire une course. Cela irait à l'encontre du respect de la dignité, de la responsabilité et de l'intégration sociale.
Plus les règles relatives au RMA seront souples, plus ce dispositif sera modulable, adapté à la personnalité, à la situation sociale de chacun, plus il sera un vecteur nous permettant d'aller vers plus d'humanisme, de dynamisme, de liberté, de responsabilité et de dignité, plus il sera un facteur d'intégration sociale. C'est ce RMA que nous devons voter, mes chers collègues, aujourd'hui au Sénat et demain à l'Assemblée nationale.
C'est pour défendre ce RMA que je suis parmi vous à l'occasion de la discussion de ce projet de loi. Je fais confiance au Gouvernement pour le mettre en oeuvre.
Enfin, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme la décentralisation du RMI, le RMA aura besoin d'un volet spécifique aux départements d'outre-mer.
Outre-mer, pour les RMIstes, nous disposons du contrat d'insertion par l'activité, de l'allocation de retour à l'emploi et, depuis quelques jours, du CAE, le contrat d'accès à l'emploi. Il convient donc d'harmoniser ces dispositifs afin que le RMIste ne croie pas que l'on est en train de le mener en bateau.
Sous réserve de ces observations, monsieur le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, je vous remercie pour ce projet qui honore le Gouvernement.
J'espère que j'ai parlé avec suffisamment de sincérité et de conviction pour vous avoir convaincu du bien-fondé de ces amendements. Et je remercie le Sénat et le Gouvernement de les adopter sur la base de la proposition de M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon, ministre. Je me félicite d'abord de la qualité des débats que nous avons eus cet après-midi. Je n'en suis pas étonné, puisque, comme je l'ai souligné dans mon propos introductif, le Sénat est très impliqué non seulement dans l'effort de décentralisation, mais aussi dans la recherche d'une plus grande efficacité dans la lutte contre la précarité. A plusieurs reprises, il a pris des initiatives dont nous nous sommes inspirés pour préparer ce projet de loi.
Je remercie tout particulièrement le rapporteur, M. Bernard Seillier. Chacun connaît son implication dans ces domaines, en tant que président du Conseil national de luttre contre l'exclusion et responsable d'une réflexion sur les emplois aidés, dont nous aurons l'occasion de reparler très bientôt. Par la manière dont il a abordé ce projet de loi, il en a beaucoup amélioré la perception et - nous le constaterons tout au long du débat - la rédaction.
Je remercie également M. Michel Mercier qui, au nom de la commission des finances, a non seulement posé quelques principes qui pourront être utiles pour la suite du débat sur la décentralisation, mais a aussi accompagné le Gouvernement, en tant que président du conseil général du Rhône, pour la rédaction du projet qui vous est soumis aujourd'hui, à l'instar de Bernard Seillier. Il se propose maintenant de l'améliorer encore grâce à un certain nombre d'amendements.
Je remercie enfin le président de la commission des affaires sociales et l'ensemble des membres de cette commission qui ont accepté de travailler vite pour que ce texte puisse s'inscrire dans un calendrier parlementaire parfois un peu chargé.
Je m'emploierai maintenant à répondre aux principales critiques, inquiétudes ou suggestions qui se sont exprimées au cours de la discussion générale.
La première d'entre elles porte sur le manque d'ambition du projet de loi et sur le fait que le Gouvernement n'ait pas choisi de mettre à plat tous les systèmes de contrats aidés.
En tant que parlementaire, on a souvent la tentation de réécrire l'ensemble de la loi, d'essayer de tout mettre à plat pour élaborer des textes très rationnels, plus simples et plus efficaces.
Par nature, mais aussi à la suite d'une longue expérience à la fois de parlementaire et de responsable de collectivité locale, je doute de l'efficacité de cette méthode. Notre société est complexe, et on n'y changera rien. Les monuments législatifs que nous rédigions autrefois ne correspondent plus, me semble-t-il, à notre époque et à sa complexité.
Je préfère, je vous le dis franchement, une réforme plus pragmatique, plus expérimentale et peut-être plus modeste qui s'attache en permanence à adapter les dispositifs à la réalité de la société.
Lorsque l'on a construit une grande cathédrale législative et que l'on a consacré beaucoup de temps à cette oeuvre, on ne souhaite en général pas la retoucher, en dépit des réactions très nombreuses, et souvent inutiles, que l'on a suscitées.
Je propose une autre méthode qui consiste à avancer pas à pas. C'est la méthode que nous allons adopter pour les contrats aidés puisque l'ensemble du dispositif aura été remis à plat d'ici à la fin de l'année. Je proposerai alors la création d'un contrat unique rassemblant les CES et les CEC Mais avant de m'engager plus avant sur ce sujet, je souhaiterais connaître les conclusions du rapport de M. Seillier.
Mme Blandin et M. Chabroux ont critiqué le calendrier en faisant état de la précipitation avec laquelle ce projet est examiné. Or je vous rappelle que de nombreux rapports ont été élaborés, de nombreuses évaluations ont eu lieu. Depuis plusieurs années, on a surtout observé un certain manque de courage à agir sur ces sujets parce que l'on n'a pas voulu s'exposer à des critiques analogues à celles que nous avons entendues sur la nature de certains dispositifs.
Nous nous bornons pourtant simplement à constater que l'insertion ne fonctionne pas, que le travail est une valeur essentielle que nous devons remettre au coeur de l'ensemble de nos politiques sociales.
Evidemment, on aurait pu établir d'autres rapports, procéder à d'autres évaluations. Mais, nous, nous pensons qu'il est urgent d'agir parce que l'insertion ne fonctionne pas suffisamment. Il est urgent d'agir parce que, même en période de croissance, le nombre des RMIstes et l'exclusion augmentent. Il est urgent d'agir parce que, dans la société française, se développe - pardonnez-moi de le dire - une critique vive à l'égard du revenu minimum.
Aujourd'hui, si l'on en croit les sondages, plus de 50 % des Français sont relativement critiques - voire hostiles - à l'égard du revenu minimum d'insertion auquel ils attribuent des défauts que nous sommes nombreux à penser qu'il n'a pas. Mais en tout cas, c'est la perception que les Français ont du RMI, perception qui les conduira de plus en plus à des crispations dont nous avons récemment connu certaines manifestations.
Un certain nombre d'interrogations se sont élevées à propos du choix qui est fait de décentraliser complètement le RMI entre les mains du conseil général. C'est un choix fondamental qui correspond, me semble-t-il, à une orientation en matière de décentralisation.
Si nous voulons franchir une nouvelle étape en matière de décentralisation, il faut non pas ajouter des compétences aux uns et aux autres, mais changer la nature même de l'action des collectivités locales, de leur perception par l'opinion publique.
Aujourd'hui, notre système est déresponsabilisant. Il l'est parce que les collectivités locales s'abritent toujours sous le parapluie de l'Etat.
J'ai été maire, président de conseil général et président de conseil régional, et je sais comment cela se passe : une mesure positive à l'égard de la population est prise, dont on se glorifie à l'échelon local, mais, quand cela tourne mal, on dit que la faute en incombe à l'Etat. Et c'est toujours effectivement le cas parce que l'Etat garde toujours, d'une façon ou d'une autre, le contrôle des différents dispositifs et s'expose ainsi à cette déresponsabilisation que je juge dangereuse pour l'avenir même de notre démocratie.
Les Français doivent savoir que le président du conseil général et sa majorité ont la responsabilité du RMI. Si le RMI est mal géré dans un département, la faute en incombe donc au président du conseil général et il faut, le cas échéant, agir comme il convient de le faire dans ce domaine. Il ne faut pas rester dans des systèmes de copilotage où les responsabilités sont tellement partagées que personne n'est plus en mesure d'identifier qui prend les décisions.
Il est vrai que les maires, comme les présidents d'agglomération, comme les associations, sont fortement concernés par le RMI. Pourquoi les associations, les maires et les présidents d'agglomération ne seraient-ils pas capables de s'entendre avec le conseil général comme ils le font avec les services de l'Etat ? Pourquoi faudrait-il des règles, des contraintes, des textes pour fixer la composition de telle ou telle commission ?
C'est toujours la même logique qui l'emporte : si on ne reconnaît pas la responsabilité du président du conseil général - c'est de lui qu'il s'agit en l'espèce, mais on pourrait également parler d'autres responsables locaux pour d'autres dossiers -, la nature des relations entre les collectivités locales n'évoluera jamais. Il arrive, c'est vrai, lorsqu'elles ne sont pas de la même couleur politique, que des villes et le conseil général se combattent. Eh bien, il faudra que les élus changent de comportement ! En effet, il est impossible de poursuivre la décentralisation dans notre pays si, sur des questions essentielles comme le fonctionnement du RMI, des élus d'opinions politiques différentes sont incapables de s'accorder pour développer ensemble une politique cohérente.
Si les élus ne sont pas placés devant leurs responsabilités, leur comportement ne changera pas et cela nous empêchera de devenir un pays moderne dans lequel la décentralisation fonctionne.
J'ai également entendu la critique opposée : les contraintes qui sont maintenues dans le projet de loi sont révélatrices du peu de confiance accordée aux départements.
Personne ne me semble avoir critiqué - et j'en profite pour rassurer Mme Létard qui s'est inquiétée à l'idée qu'il pourrait exister différents RMI d'un département à l'autre - le fait que le projet de loi conserve l'architecture nationale du dispositif sur le montant du RMI, sur les conditions d'attribution et le rôle d'évaluation, voire de contrôle, confié à l'administration de l'Etat.
Nous imposons un niveau obligatoire de dépenses d'insertion parce que certaines associations craignent vivement que des départements lèvent le pied dans ce domaine.
Telle n'est pas ma crainte, je le dis nettement. En revanche, si cette crainte existe, il nous faut trouver ensemble le moyen de l'apaiser, de la réduire. Le Gouvernement est prêt, durant les débats, à étudier cette question et à s'engager dans le sens du contrat de confiance que vous souhaitez entre l'Etat et le département.
S'agissant maintenant du financement, et sans anticiper sur les débats ô combien complexes et importants que vous aurez avec M. le ministre des finances et M. le ministre du budget, je puis vous dire que les charges nouvelles liées au revenu minimum d'activité ne me paraissent pas de nature à bouleverser les équilibres financiers proposés dans le projet gouvernemental.
En effet, dans un certain nombre de cas, le montant perçu par les allocataires est inférieur à celui de l'aide départementale versée à l'employeur au titre du RMA, mais toutes les analyses financières et statistiques que nous avons réalisées, tant celles du ministère des affaires sociales que celles du ministère des finances, montrent que cette hypothèse ne se réalise que dans très peu de cas de figure. Le RMA ajuste le montant de l'aide départementale - 362,30 euros - au montant moyen actuellement versé - 367,46 euros - et le système équilibre globalement le dispositif.
Quant aux transferts de personnels concernés par la décentralisation du RMI, ils sont limités. Il s'agit, pour l'essentiel, de chargés de mission et des secrétaires des commissions locales d'insertion. Leur dénombrement est en cours. Ces transferts représenteront l'équivalent de quelques emplois à temps plein par département. Ils ne sont donc pas une difficulté majeure.
Sur la question plus complexe et plus centrale de l'évolution différenciée de la ressource transférée et de la dépense, je me contenterai de quelques réflexions générales.
Tout d'abord, l'évolution de la TIPP est tout de même assez dynamique. A l'inverse, le nombre des titulaires du RMI est, globalement, pratiquement stable depuis trois ou quatre ans, même si l'évolution du chômage peut effectivement avoir un effet retard.
Vous aurez un débat sur la question de savoir si le financement du dispositif reposera sur la TIPP et dans quelle proportion. Je crois à cet égard que nous avons rempli nos obligations puisque ce texte novateur, voulu par M. le Premier ministre, respecte à la lettre la Constitution.
Au-delà, cependant, il nous faut nous expliquer franchement. Nous pensons que, si nous la transférons aux départements, la gestion du revenu minimum d'insertion sera plus intelligente, plus moderne, plus rigoureuse qu'elle ne l'est aujourd'hui dans un système que je dirai « déresponsabilisé » par les copilotages. En effet, les départements auront plus intérêt à rationaliser la gestion et l'organisation du RMI qu'à laisser filer les dépenses, au risque de voir ce transfert partiel d'une TIPP dynamique ne pas suffire à financer les opérations.
Cela étant, nous sommes d'accord pour mettre en place un système d'évaluation comportant tous les trois ans des rendez-vous au cours desquels serait analysée l'évolution de la situation et qui permettraient de caler la péréquation si des modifications très importantes devaient intervenir ; je pense aux départements dont les caractéristiques démographiques connaîtraient de grandes variations entre le moment du transfert et la date desdits rendez-vous.
Je reviendrai maintenant sur quelques remarques qui ont été formulées à propos du revenu minimum d'activité. Laissant de côté le débat idéologique, qui ne m'intéresse guère et ne trompe personne, je répondrai d'emblée aux interrogations concrètes.
D'abord, pourquoi avons-nous choisi de limiter l'accès au revenu minimum d'activité aux personnes inscrites au RMI depuis plus de deux ans ? Je pourrais vous rappeler que dans plusieurs travaux parlementaires, notamment des propositions de loi d'origine sénatoriale, c'est une durée de trois ans qui avait été retenue - à l'exception notable, cependant, de la proposition de loi de MM. Lambert et Marini, où il n'était fait état d'aucun critère de durée.
Nous pourrons en rediscuter au cours de l'examen des articles, mais je crois qu'il est indispensable de fixer un seuil, ne serait-ce que parce qu'un tiers des RMIstes trouvent une solution en moins de six mois et 45 % d'entre eux en moins d'un an : l'absence de seuil serait, me semble-t-il, assez dangereuse, car elle conduirait, d'une certaine manière, à faciliter le passage au revenu minimum d'activité de ceux qui, sinon, auraient trouvé une sortie « naturellement », au détriment de ceux qui sont plus durablement enfermés dans ce système d'assistance.
S'agissant du choix de l'horaire de vingt heures hebdomadaires, là encore, le Gouvernement est tout à fait prêt à envisager des aménagements. Je rappelle qu'il s'agit d'un dispositif d'insertion, d'accompagnement vers le retour à l'emploi normal. Il s'adresse donc à des personnes qui ne sont pas en mesure de supporter les contraintes du système normal, sans quoi elles y auraient trouvé leur place.
Tout en comprenant bien votre souci de souplesse, je crois donc qu'on ne peut envisager d'adaptation qu'à la hausse.
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Bien sûr !
M. François Fillon, ministre. L'envisager à la baisse, ce serait accepter, notamment dans le secteur marchand, des contrats d'une durée incompatible avec les exigences de la réinsertion et de la recherche de dignité que beaucoup d'entre vous ont évoquées.
Des comparaisons ont été faites entre le RMA, les contrats emploi-solidarité - les CES - et le SMIC, notamment par M. Chabroux. Je souhaiterais donc rectifier quelque peu les chiffres qu'il a avancés : en matière de salaire net, un titulaire du CES perçoit 490 euros, un titulaire du SMIC faisant vingt heures hebdomadaires perçoit 468 euros et un titulaire du RMA percevra 545 euros. Pour l'employeur, le coût net du RMA sera de 257 euros dans le secteur non marchand et de 327 euros dans le secteur marchand. Le coût d'un contrat non aidé équivalent est de 683 euros et celui d'un CES à 65 % de 231 euros.
Ces chiffres traduisent bien une réelle incitation, tant pour le RMIste que pour l'employeur, à choisir le RMA.
Je suis très réservé sur l'idée de porter la durée du contrat à plus de dix-huit mois, car, à l'évidence, le RMA ne doit pas devenir un dispositif dans lequel le bénéficiaire puisse s'installer. Ce serait, me semble-t-il, dangereux et justifierait les critiques qu'ont formulées plusieurs intervenants. Toutefois, celles-ci ne me paraissent pas fondées à l'égard du RMA tel qu'il est conçu dans le présent projet de loi, s'agissant notamment du secteur privé.
Certains ont parlé de « démantèlement de la protection sociale », de « champ de ruines », faisant le procès d'une mondialisation qui, certes, a tous les défauts qui ont été mentionnés, mais qui traduit aussi le nouveau partage des richesses qui est en train de s'instaurer à l'échelle mondiale : les emplois délocalisés profitent aussi à des pays qui, jusqu'à présent, n'avaient pas accès à la production !
Tout cela porterait à sourire si ces critiques n'émanaient pas d'élus qui, pendant cinq ans, ont assisté à la montée de la précarité, de l'extrême pauvreté, alors même que notre taux de croissance était le plus élevé de ces vingt dernières années.
Le projet de loi n'est sûrement pas parfait, mais penser qu'il n'y a pas de marge de progrès en matière d'insertion et que nous pouvons camper sur un dispositif de revenu minimum qui, depuis quinze ans, s'essouffle et suscite à peine 50 % de contrats d'insertion, je crois que c'est une faute. Pour notre part, nous ne sommes pas prêts à la commettre.
Quant à la charge contre la décentralisation, venant de ceux qui s'en sont fait les chantres depuis si longtemps, elle prête vraiment à sourire !
Pour terminer, monsieur Virapoullé, je préciserai que le transfert d'une quote-part de la TIPP est un principe ; il n'est d'ailleurs pas inscrit dans le projet de loi. Ses modalités générales devront évidemment être fixées dans la loi de décentralisation.
Dans les départements d'outre-mer, la TIPP locale ne peut évidemment pas être concernée ; il faudra donc trouver d'autres solutions et transférer soit une fraction de la TIPP nationale, si l'on s'en tient à cette formule, soit une autre ressource. Ce débat aura lieu dans un deuxième temps.
De la même manière, il nous faudra adapter ces dispositions aux conditions particulières de l'outre-mer. Un texte spécifique viendra en discussion dans quelques semaines ; ce sera, je crois, l'occasion de le faire.
Enfin, je voudrais vous remercier très chaleureusement, monsieur Virapoullé, d'avoir mis en valeur, comme M. Gournac, d'ailleurs, l'approche humaniste de ce texte. Je ne sais pas, monsieur le sénateur, si votre démonstration était convaincante quant à vos capacités de mécanicien auto, mais elle a fait la preuve de votre attachement à la valeur que représente le travail et de votre pragmatisme.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Quelle plaidoirie !
M. François Fillon, ministre. Pour défendre ma cause, je prendrai volontiers l'avocat Virapoullé ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.