PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET
M. le président. La séance est reprise.
ÉLOGE FUNÈBRE DE ROBERT CALMEJANE,
SÉNATEUR DE SEINE-SAINT-DENIS
M. le président. Messieurs les secrétaires d'Etat, mes chers collègues, je vais prononcer l'éloge funèbre de Robert Calmejane. (MM. les secrétaires d'Etat, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)
C'est le 10 décembre dernier, en pleine activité, dans les murs mêmes de notre maison, que Robert Calmejane a été terrassé par un malaise cardiaque. L'émotion suscitée par son décès subit et les circonstances dans lesquelles il est survenu ont été ressenties, avec une cruelle acuité, par le Sénat tout entier.
Robert Calmejane est né le 19 mai 1929, à Paris. Son enfance, passée à Romainville, fut durement marquée par la guerre. Privé de l'affection et des conseils de son père prisonnier en Allemagne, il ne pourra, hélas ! poursuivre de longues études.
Sitôt obtenu son certificat d'études, il manifeste, très jeune, une aptitude et un goût affirmés pour l'engagement au service d'autrui. Il milite dans de nombreuses associations d'entraide : scoutisme, Croix-Rouge, secours aux personnes âgées, notamment.
La guerre terminée, la ive République s'installe. Robert Calmejane adhère au RPF, le Rassemblement du peuple français, en 1947, à l'âge de dix-huit ans. Il répond à ce nouvel appel du général de Gaulle, faute d'avoir pu, en raison de son jeune âge, répondre à celui du 18 juin 1940. Son tempérament de militant s'affirme et le fait vite remarquer. A peine âgé de dix-neuf ans, il représente le « secteur jeunes » au congrès du RPF qui se tient à Nice en 1948.
Après avoir accompli ses obligations militaires, dans les troupes d'occupation en Allemagne, il est démobilisé en décembre 1950. Il entre alors dans la vie active et poursuit son action militante de façon quasi simultanée.
Responsable de la section RPF de Romainville, il y fait une campagne active aux élections municipales de 1953. Elu conseiller municipal avec trois de ses campagnons, il s'engage résolument dans la défense de l'idéal gaulliste dans un département - la Seine, qui deviendra plus tard la Seine-Saint-Denis - où il y avait quelque mérite à le faire.
Sa carrière professionnelle commence vraiment l'année où il entre dans l'entreprise SOMECA, à Saint-Denis. Il est très vite élu délégué du personnel. Il fonde et organise le syndicat indépendant CGSI et parvient, en 1955, à ravir dans cette entreprise la majorité aux autres centrales concurrentes.
L'année suivante, il est appelé aux Fonderies modernes de Bondy par le groupe SIMCA, dont faisait partie la SOMECA. Il exerce les fonctions d'agent technique tout en menant une action syndicale déterminée. Secrétaire de l'intergroupe des syndicats indépendants du groupe des usines SIMCA, il est chargé de mission dans divers établissements.
Parallèlement, il est élu membre du comité directeur national des Républicains sociaux au congrès de Bordeaux en février 1957.
L'année suivante - 1958 - sera déterminante pour la France. Elle le sera aussi pour Robert Calmejane.
La IVe République s'effondre sous le contrecoup des événements d'Algérie. Robert Calmejane participe, d'avril à mai 1958, au regroupement des militants gaullistes à Bondy et à Romainville, puis mène campagne pour le « oui » au référendum qui donnera naissance à la constitution de la Ve République.
Il se présente aux élections législatives du 30 novembre 1958 et est élu brillamment, pour la première fois, député de la 43e circonscription de la Seine. Il n'a pas trente ans.
Membre de la commission de la production et des échanges de l'Assemblée nationale, il est également membre du bureau politique départemental de l'UNR, l'Union pour la nouvelle République.
En 1964, après le décès du maire de Villemomble, il se présente à l'élection municipale où, élu largement, il devient le plus jeune maire de la région parisienne. Les Villemomblois lui renouvelleront avec fidélité leur confiance jusqu'en 1977, puis de 1983 à 1999, date à laquelle son fils Patrice lui succédera.
Pour compléter son enracinement politique, Robert Calmejane se présente dès 1964 au conseil général du département de la Seine, où il représente le canton de Villemomble. Parallèlement, il occupe les fonctions de membre du conseil d'administration du district de la région de Paris, future région d'Ile-de-France, et préside la société d'économie mixte de construction du département.
Battu aux élections législatives de 1967, il retrouve son siège au Palais-Bourbon en juin 1968, siège qu'il occupera jusqu'en 1973.
Sa carrière d'élu régional s'affirme. Il devient vice-président du district de la région de Paris et siège à la commission du Plan, de la programmation et des projets.
En 1977 et en 1978, la faveur des urnes lui est disputée à la mairie et à l'Assemblée nationale. Ces revers ne sont pas de nature à décourager Robert Calmejane. La force de ses convictions, son énergie et sa puissance de travail seront, sa vie durant, le socle de son action publique. Elu membre du bureau politique par le comité central du RPR, il est confirmé dans ses fonctions de secrétaire départemental. Il retrouve la mairie de Villemomble en 1983, puis siège au conseil régional d'Ile-de-France en 1986, élu à la tête de la liste RPR qu'il conduisait en Seine-Saint-Denis.
En 1986, il est élu au Palais du Luxembourg. Il y sera le premier sénateur gaulliste de la Seine-Saint-Denis. La loi sur le cumul l'oblige à se démettre de ses mandats à la région et au conseil général. Il aura la joie de voir lui succéder à l'assemblée départementale son fils Patrice.
Très attaché au Sénat où il travaillera, comme dans ses autres fonctions électives, avec énergie, compétence et ténacité, notre collègue siégera à la commission des affaires économiques et du Plan, puis à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Il sera à l'origine de nombreuses interventions au cours de nos débats. La fiscalité locale, les pensions, les transports, le statut des élus locaux et nationaux, les questions touchant à la défense nationale, à la programmation militaire, au service national, à l'éducation, à l'immigration ont été les thèmes favoris de notre défunt collègue.
L'expérience acquise lui avait donné des références solides et vécues pour intervenir avec pertinence dans notre hémicycle. De son jugement émanait une force, une sûreté propre à ces hommes qui ont acquis leur formation à la dure école de la vie.
Homme de combat politique, militant-né, il s'affirmait dans le débat comme un orateur de conviction.
Ne cherchant jamais la facilité, il a porté très haut les idéaux de sa jeunesse, auxquels il est toujours resté très fidèle.
Robert Calmejane a connu au cours de sa vie sa part de succès et sa part d'échecs. Toujours, il saura déployer une inlassable activité au service des autres.
Pour ses collègues du Sénat, la consternation attristée qui suivit l'annonce de son décès brutal a été à la hauteur de l'estime dont bénéficiait notre ami Robert Calmejane.
A ses collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et à ceux du groupe de l'UMP, dont il fut l'un des ardents partisans, je présente les condoléances sincères du Sénat de la République.
A son épouse, à ses enfants Philippe, Michèle et Patrice, à ses proches, j'exprime notre vive sympathie et les assure, avec notre profonde compassion, que nous n'oublierons pas Robert Calmejane.
Messieurs les secrétaires d'Etat, mes chers collègues, je vous invite à observer une minute de silence. (MM. les secrétaires d'Etat, Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Pierre Bédier, secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice. Vous venez de brosser un portrait sincère et par là même émouvant de notre ami Robert Calmejane.
Au-delà de la carrière élective bien remplie qui fut la sienne, c'est l'homme engagé au service des autres que je souhaite saluer.
Engagé, il l'était d'abord dans sa vie ordinaire. Les multiples tâches qu'il s'était choisies n'étaient pas les plus connues ; elles n'en comptaient que plus pour lui. Tout au long de sa vie, il a prêté son dynamisme et son enthousiasme tant au scoutisme qu'à la Croix-Rouge et aux associations d'aide aux personnes âgées. Rien, dans ces domaines, n'a échappé au dévouement discret et efficace de Robert Calmejane.
Engagé, il le fut aussi dans sa carrière professionnelle. Ainsi, jeune agent de planning au sein du groupe SOMECA, il décide de s'investir dans la vie syndicale. Délégué du personnel, il deviendra à vingt-sept ans secrétaire de la Fédération des métaux, après avoir fondé, organisé et imposé au sein de son entreprise puis du groupe SIMCA son syndicat indépendant. Il n'abandonna cette carrière au service des salariés qu'au profit d'un nouveau combat au bénéfice de l'ensemble des Français puisqu'il fut élu, à vingt-neuf ans à peine, député de la Seine en 1958.
Engagé, il l'était enfin au service de ses idées. Qu'il lui fallait du courage et de la force de conviction pour défendre avec la passion qu'on lui connaissait l'idéal du gaullisme dans un département dont l'ancrage politique n'était pas précisément celui-là ! Il s'y attachera pourtant et y exercera tous les mandats - maire, conseiller général, conseiller régional, député -, jusqu'à devenir le premier sénateur gaulliste élu en Seine-Saint-Denis, ce qui lui a valu de siéger, avec bonheur, dans cette Haute Assemblée.
S'il était extrêmement fier de son rôle de sénateur, Robert Calmejane tenait tout particulièrement à un mandat, celui de maire. En homme de terrain, proche de ses concitoyens, de ses administrés, il tenait à ce que nous baptisons aujourd'hui la proximité, car elle était l'essence même de son engagement encore et toujours au service de chacun de ses concitoyens.
Son épouse Claude ne me contredira pas, non plus que le député de Seine-Saint-Denis, son ami Robert Pandraud : sa ville faisait partie de sa famille, et il n'est pas innocent de trouver aujourd'hui à la tête de Villemomble un autre Calmejane, son fils Patrice, qui a repris le flambeau d'une histoire d'amour de près de quarante ans, avec ses hauts et ses bas, une histoire belle et passionnée entre un homme et sa ville.
De même, Robert Calmejane s'est investi avec son extrême énergie dans le développement et la création de notre région, d'abord au sein du district de la région parisienne - il fut membre du conseil d'administration puis vice-président -, ensuite comme conseiller régional d'Ile-de-France, élu lors de la création de l'institution régionale que nous connaissons aujourd'hui.
Il se passionne alors pour le développement de l'Ile-de-France, s'attachant notamment à son équipement à travers la présidence de la société d'économie mixte de construction de la Seine ou au sein de la commission du Plan, de la programmation et des projets du district.
Mais, vous me le pardonnerez, c'est enfin au militant que je voudrais rendre un dernier hommage. Un militant, quels que soient ses idées et ses choix, est avant tout un homme de coeur, c'est-à-dire un homme de passion et de générosité.
Il faut beaucoup de coeur, en effet, pour se battre pour des idées. La vie d'un militant est une vie faite d'abnégation, de sacrifices familiaux et professionnels. Philippe, Michèle et Patrice ont su très jeunes qu'ils avaient à partager leur père avec une passion dévorante et irrépressible. Et, comme pour tout ce qu'il a fait dans sa vie, Robert Calmejane s'est donné pleinement à la politique.
Le mouvement gaulliste en avait fait tout naturellement l'un de ses préfets, lui qui, dès dix-huit ans, avait rejoint le Rassemblement pour la France et le général de Gaulle. Pendant vingt ans, il a bataillé tant pour convaincre les Franciliens de la pertinence des idées gaullistes qu'au sein des instances du mouvement pour les organiser, comme il savait le faire. Rarement responsable politique aura autant marqué ses troupes, et c'est avec pudeur que je pense à l'émotion si touchante de notre ami Eric Raoult lorsque nous avons appris ensemble le décès de Robert Calmejane.
Car si, pour lui, les références avaient pour noms Charles de Gaulle, Gaston Palewski, pour beaucoup de militants gaullistes, et bien au-delà pour beaucoup de jeunes élus de Seine-Saint-Denis et d'Ile-de-France, lorsqu'il faut citer un modèle de l'engagement au service d'autrui, c'est le nom de Robert Calmejane qui s'impose, celui d'un homme chaleureux, convaincu et fidèle, celui d'un homme qui aura eu la joie extrême de vivre à nouveau la victoire de ses idées et de celui qui les incarne.
Qu'il ait été militant, élu, époux ou père de famille, Robert Calmejane a tout assumé avec une égale passion.
Imprégné qu'il était de l'amour de la France, il a porté haut les valeurs qui fondent notre République.
Puisse la Haute Assemblée conserver précieusement le souvenir admirable de ce grand républicain et de cet immense patriote.
M. le président. Messieurs les secrétaires d'Etat, mes chers collègues, selon la tradition, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants, en signe de deuil.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
ORGANISATION DU CONGRÈS
DU PARLEMENT
M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous rappelle que, par un décret en date du 27 février 2003, M. le Président de la République a décidé de convoquer le lundi 17 mars 2003 le Parlement en Congrès en vue du vote sur les deux projets de loi constitutionnelle relatifs au mandat d'arrêt européen et à l'organisation décentralisée de la République.
Je tiens à vous informer que, comme M. le président de l'Assemblée nationale vient de l'annoncer à l'Assemblée nationale après avoir pris mon attache, le Congrès commencera ses travaux en séance plénière le lundi 17 mars 2003 à quatorze heures trente.
RAPPEL AU RÈGLEMENT
M. Robert Bret. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à M. Robert Bret.
M. Josselin de Rohan. Le cinéma commence !
M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, par ce rappel au règlement, nous demandons une réunion de la commission des lois à la suite des faits graves qui se sont déroulés hier matin à l'aéroport de Roissy.
En effet, cinquante-quatre Africains - trente Ivoiriens et vingt-quatre Sénégalais -, escortés par quatre-vingt-dix policiers, ont été expulsés de la zone d'attente de Roissy à destination d'Abidjan et de Dakar, par ce que vous appelez pudiquement, monsieur le ministre, un « vol groupé ».
En réalité, vous venez de remettre en vigueur la pratique des « charters de la honte », instaurée en 1986 par M. Pasqua, alors ministre de l'intérieur. Chacun se souvient, en particulier, que cent un Maliens avaient été expulsés, à l'époque, par le même vol.
Monsieur le ministre, vous justifiez l'organisation de ces « charters » par la nécessité d'assurer les retours au pays dans de « meilleures conditions humanitaires » et avec une « meilleure sécurité », eu égard aux récents décès par arrêt cardiaque de deux hommes, survenus lors de la reconduite forcée de ceux-ci par des vols réguliers.
Le recours à de tels vols, affrétés tout spécialement, et la confidentialité qui les entoure afin d'empêcher toute réaction des associations, des commandants de bord ou des passagers civils ne manqueront pas de transformer très rapidement ces expulsions en opérations clandestines, sans témoins, avec tous les dérapages que cela induit.
Affréter un avion coûte très cher. Dès lors, la tentation est grande de vouloir rentabiliser ces vols, y compris à l'échelon européen, en regroupant par exemple les étrangers par nationalité, ce que confirme d'ailleurs le programme adopté par l'Union européenne, selon lequel « la généralisation de cette pratique présenterait des avantages financiers »...
Lors des précédentes expulsions intervenues en 1986, en 1991 ou en 1996, les avions étaient remplis d'étrangers interpellés sur le territoire français qui pouvaient être assistés d'un avocat et prévenir leur famille ; c'est la première fois qu'un charter est utilisé à la frontière, c'est-à-dire pour expulser des étrangers qui viennent d'arriver. On ne sait même pas s'ils ont formulé une demande d'asile.
Il s'agit, monsieur le ministre, d'une réelle remise en cause du droit d'asile, avant même que le Parlement ait été saisi de la réforme que vous annoncez en la matière.
Je crois utile de rappeler, par ailleurs, que les expulsions collectives sont condamnées par la convention européenne des droits de l'homme, si « un examen raisonnable et individuel n'a pas été effectué ». Ce qui semble, a priori, être le cas en l'espèce.
M. Jean-Patrick Courtois. Non !
M. Robert Bret. Alors que d'autres vols charters sont visiblement prévus pour les prochaines semaines, je vous demande, monsieur le ministre, de mettre un terme à ces refoulements expéditifs,...
M. Jean-Patrick Courtois. Non !
M. Robert Bret. ... à l'abri des regards, indignes d'un pays des droits de l'homme comme la France et qui ne peuvent qu'aviver les tensions et les violences, et ternir l'image de notre pays. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. Je vous donne acte de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
DÉPÔT D'UNE MOTION TENDANT
À DEMANDER UN RÉFÉRENDUM
M. le président. J'informe le Sénat que, en application de l'article 11 de la Constitution et de l'article 67 du règlement, M. Michel Dreyfus-Schmidt et plusieurs de ses collègues présentent une motion tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale aux termes de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, après déclaration d'urgence, relatif à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques.
En application de l'alinéa 1er de l'article 67 du règlement, cette motion doit être signée par au moins trente sénateurs dont la présence est constatée par appel nominal.
Il va donc être procédé à l'appel nominal des signataires.
Huissier, veuillez procéder à l'appel nominal.
(L'appel nominal a lieu.)
M. le président. Acte est donné du dépôt de cette motionOnt déposé cette motion : MM. Michel Dreyfus-Schmidt, Jean-Pierre Masseret, Louis Mermaz, Claude Haut, Claude Domeizel, Gilbert Chabroux, Serge Lagauche, Jean-Claude Frécon, Bernard Piras, Mme Danièle Pourtaud, MM. Jacques Mahéas, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Yves Dauge, Jean-Pierre Godefroy, Roland Courteau, Michel Sergent, François Marc, Simon Sutour, Bernard Frimat, Jean-François Picheral, Jean-Pierre Bel, Jean-Pierre Demerliat, Mme Nicole Borvo, MM. Guy Fischer, Robert Bret, Mme Hélène Luc, MM. François Autain, Mmes Michelle Demessine, Josiane Mathon, MM. André Lejeune, Daniel Raoul, Daniel Reiner, Jean-Noël Guérini, Jean-Marc Todeschini, Mmes Josette Durrieu, Yolande Boyer, MM. Pierre-Yvon Trémel, Guy Penne, Charles Gautier, Michel Moreigne, Marcel Debarge, Jean-Claude Peyronnet et Jean-Pierre Sueur.
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Cette motion sera imprimée sous le n° 196, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
La discussion de cette motion aura lieu conformément à l'article 67, alinéa 2, du règlement « dès la première séance publique suivant son dépôt », c'est-à-dire demain mercredi 5 mars, à quinze heures.
ÉLECTION DES CONSEILLERS RÉGIONAUX
ET DES REPRÉSENTANTS
AU PARLEMENT EUROPÉEN
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 182, 2002-2003) relatif à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale, aux termes de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, après déclaration d'urgence. [Rapport n° 192 (2002-2003).] (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean-Pierre Masseret. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Masseret.
M. Jean-Pierre Masseret. Monsieur le président, votre proposition n'est pas acceptable ! Alors que le Sénat vient d'approuver une motion aux termes de laquelle il est demandé au Président de la République de soumettre ce texte à un référendum, vous voudriez que nous commencions à débattre. C'est totalement incohérent ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.) On ne peut commencer l'examen d'un texte que le Sénat vient de décider de soumettre à un référendum. (Vives protestations sur les mêmes travées.)
M. René Garrec, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Non, on a décidé sur la motion !
M. Jean-Pierre Masseret. Pour l'instant, le Sénat a répondu aux conditions posées par l'article 67 du règlement. Ce texte doit maintenant être renvoyé en commission, laquelle désignera un rapporteur. Un rapport sera ensuite présenté devant la Haute Assemblée. A partir de ce moment-là et en fonction de ce qui aura été décidé en séance publique, on reprendra le débat ou on ne le reprendra pas. (M. Roger Karoutchi s'exclame.) Décider de débattre maintenant, c'est juridiquement inacceptable ! (M. Jean-Patrick Courtois rit.) Et je ne parle pas de l'aspect politique. (Protestations sur les travées de l'UMP.) Ou bien vous respectez le règlement du Sénat ou bien vous vous asseyez dessus, et alors vous n'êtes pas des républicains. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Josselin de Rohan. C'est le président qui fait respecter le règlement !
M. le président. J'ai renvoyé la motion à la commission des lois, conformément au règlement. La commission se réunira. Aucun texte n'interdit de commencer la discussion générale. Celle-ci va donc commencer. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Patrick Courtois. Bravo !
M. Jacques Mahéas. Non !
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP. - Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, où Mmes et MM. les sénateurs se mettent à frapper en cadence sur leur pupitre.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
Mme Nicole Borvo. Rappel au règlement !
M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la réforme des modes de scrutin n'est pas un sujet mineur. (Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste et du groupe CRC continuent de frapper sur leur pupitre, couvrant la voix de M. le ministre.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Si vous imaginiez l'effet que votre attitude peut avoir, mesdames, messieurs les sénateurs de l'opposition, sur l'ensemble de nos concitoyens, vous mettriez un terme à un comportement qui, c'est incontestable, est indigne de la Haute Assemblée. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. - Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste et du groupe CRC continuent de frapper sur leur pupitre.)
M. Bernard Piras. Dictateur !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre !
Mme Nicole Borvo. Rappel au règlement !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Aucun, parmi nous, n'est grandi par un tel comportement !
La réforme des modes de scrutin n'est donc pas un sujet mineur. Ce n'est pas un sujet qui pourrait attendre, sous le prétexte que l'actualité internationale ou de grandes questions de société devraient le reléguer au deuxième rang. (Brouhaha sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, où l'on continue de frapper sur les pupitres.)
M. Bernard Piras. Rappel au règlement !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Je voudrais rassurer les sénateurs de la majorité : il n'y a aucune chance que je me fatigue avant leurs collègues de l'opposition, aucune ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, je demande une suspension de séance.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Parler depuis la tribune de la Haute Assemblée est toujours un honneur et un plaisir. Je parlerai donc pour les sénateurs qui font l'honneur d'écouter le Gouvernement et laisserai les autres se ridiculiser par un comportement qui relève plus d'un préau d'école que de la Haute Assemblée. (Le brouhaha se poursuit sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Certes, le rétablissement de la sécurité publique, les difficultés économiques, les réformes sociales sont au premier plan des préoccupations du Gouvernement. Mais cela ne doit nullement nous amener à négliger la façon dont les Français vivent les échéances électorales. (Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste et du groupe CRC se lèvent et commencent à quitter l'hémicycle.) Voilà qui est sage (Marques d'approbation sur les travées de l'UMP) et qui va permettre de continuer.
M. Jacques Mahéas. Bravo pour la démocratie !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Quel que soit le contexte, les échéances électorales ont toutes leur importance : celle d'une consultation démocratique (Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste et du groupe CRC, qui n'ont pas encore tous quitté l'hémicycle, s'exclament) qui n'a rien d'un luxe, mais qui répond, au contraire, pour chaque scrutin, à une nécessité, la nécessité d'écouter les Français, et non pas ceux qui estiment devoir parler plus fort pour masquer le vide de leurs propos. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, je demande à interrompre le ministre.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Car, en vérité, il s'agit bien de cela, et simplement de cela. Quand on a des arguments justes, on n'hésite pas à les défendre loyalement, de façon républicaine et démocratique.
M. le président. Monsieur le ministre, acceptez-vous d'être interrompu par M. Michel Dreyfus-Schmidt ? (Non ! sur les travées de l'UMP.)
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Monsieur le président, j'accepterais bien volontiers, à condition que M. Michel Dreyfus-Schmidt s'engage à adopter à mon endroit un comportement républicain, c'est-à-dire un comportement qui ne consiste pas à frapper en permanence sur son pupitre pour empêcher l'orateur de s'exprimer. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.) Si tel est le cas, monsieur le président, je cède bien volontiers la parole à l'excellent M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, avec l'autorisation de l'orateur, et pour cinq minutes.
Mme Hélène Luc. Il faut également donner la parole à Mme Borvo, qui l'avait demandée pour un rappel au règlement !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je souhaite faire remarquer à M. le président - je sais ce que vous allez m'objecter, mais je sais ce que je vais vous répondre - que l'article 68, alinéa 1er, du règlement prévoit que « l'adoption par le Sénat d'une motion concluant au référendum suspend, si elle est commencée, la discussion du projet de loi ».
M. Jean-Patrick Courtois. On ne l'a pas adoptée !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. La pratique qui a toujours prévalu ici même est que les débats sont suspendus. C'est ce qui s'est produit pas plus tard qu'en 1997 lors de l'examen du projet de loi sur la nationalité : la discussion générale a été renvoyée à la séance du lendemain, et les débats ont été suspendus.
Mme Hélène Luc. C'est vrai !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, je demande que vous appliquiez la jurisprudence du Sénat, quels que soient les auteurs de la motion tendant à demander un référendum. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Patrick Courtois. On n'a rien voté ! On veut continuer !
M. le président. Monsieur Michel Dreyfus-Schmidt, aucune disposition du règlement n'oblige à agir ainsi. Je donne lecture du premier alinéa de l'article 68 : « L'adoption par le Sénat d'une motion concluant au référendum suspend, si elle est commencée, la discussion du projet de loi. » Or, la motion n'est pour le moment pas adoptée. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) En effet, la motion est renvoyée à la commission. La commission n'a pas délibéré. On ne peut donc engager la discussion sur la motion référendaire. Par conséquent, la discussion du projet de loi continue. (Très bien ! Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais la pratique, vous la connaissez !
M. le président. Je vais interroger M. le président de la commission des lois.
M. René Garrec, président de la commission des lois. Monsieur Michel Dreyfus-Schmidt, vous avez déposé une motion, mais votre motion n'est pas adoptée.
Mme Lucette Michaux-Chevry. Voilà !
M. René Garrec, président de la commission des lois. Donc, je vous renvoie à l'article 67 du règlement du Sénat. Nous nous trouvons exactement dans la configuration que vient de décrire M. le président : la motion est déposée, elle n'est pas adoptée. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et sur plusieurs travées de l'Union centriste.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'était ce que la majorité sénatoriale avait fait le 17 décembre 1997 !
M. René Garrec, président de la commission des lois. Je n'étais pas là !
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, en tout état de cause, la commission devrait se réunir maintenant. Je demande une suspension de séance. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Patrick Courtois. Ce n'est pas vous qui faites le règlement !
M. le président. Aucune disposition du règlement n'impose la suspension des travaux et la réunion immédiate de la commission ! La discussion générale est ouverte. Monsieur le ministre, veuillez poursuivre ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste. - Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste et du groupe CRC encore présents quittent l'hémicycle.)
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Merci, monsieur le président. J'apprécie, bien sûr, que ceux qui avaient tant de choses à dire au Gouvernement estiment nécessaire de quitter l'hémicycle pour entendre les réponses du Gouvernement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. On reviendra !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Toutes les formations politiques républicaines, sans aucune exception - sur ce sujet, il convient d'avoir un débat sérieux, précis, concret - ont été amenées, ces dernières années, à réclamer ou à proposer une réforme des modes de scrutin régionaux ou européens.
M. Jean-Jacques Hyest. Tout à fait !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Je l'affirme : il n'y a pas une formation politique républicaine qui n'ait pas, ces dernières années, proposé de réforme. Il est vrai, mesdames, messieurs les sénateurs, que si tous - tous, sans exception - nous avions l'habitude d'être diserts sur ce sujet avant les élections, nous l'étions moins après.
Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin vous propose de rompre avec l'immobilisme. D'ailleurs, à l'exception d'une disposition du projet de loi, sur laquelle je reviendrai, celle qui concerne le pourcentage d'électeurs nécessaire pour se maintenir au second tour, l'essentiel des modifications que propose le Gouvernement sont consensuelles, au sens où elles ont été successivement proposées ces dernières années par des formations politiques de gauche ou de droite. Le fait que nous ne soyons pas capables de nous écouter, de nous entendre, de supporter même l'expression d'un discours différent sur un sujet qui a fait l'objet de propositions de toutes les formations politiques ces dernières années en dit long sur le prétexte qui est saisi ajourd'hui par l'opposition.
Cette réforme des modes de scrutin répond à deux exigences : d'une part, la lutte contre l'abstention et, d'autre part, l'adaptation indispensable à nos institutions. Pourquoi fallait-il agir ? Les élections régionales et les élections européennes ne mobilisent pas les Français. Rappelons-nous les derniers scores de l'abstention : 41,9 % en 1998 et 52,3 % en 1999. Convenons que ce taux d'abstention exceptionnellement élevé ne marque pas un attachement particulier aux modes de scrutin actuels !
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Un mode de scrutin par lequel plus d'un Français sur deux ne vote pas : convenons au moins, en regardant les faits avec un peu d'objectivité, que cela ne témoigne pas de l'attachement des Français à ce mode de scrutin. Cela devrait pour le moins, me semble-t-il, amener à une certaine modération dans le propos, et donc dans la critique.
Or l'abstention ne doit pas être traitée comme un détail ni comme un hasard. L'abstention reflète bel et bien une incompréhension des Français devant les institutions. Elle est aussi le prélude aux votes extrêmes, protestataires, parce que les Français ne se reconnaissent plus dans le mode d'expression qui leur est proposé. Considérons donc l'abstention non pas comme un silence, mais comme un message délivré aux responsables publics.
Ce message appelle de notre part une réponse, sans plus attendre. Une partie - et une partie seulement - de cette réponse réside dans l'aménagement des modes de scrutin, afin de permettre l'identification des candidats proposés. C'est d'ailleurs dans le même esprit que le Gouvernement présentera, au printemps, dans le cadre du projet de loi d'habilitation en matière de simplification, une réforme du vote par procuration.
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Le vote par procuration, reconnaissons-le aujourd'hui, s'apparente à une course d'obstacles. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Dominique Braye. Effectivement !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Pourquoi donc, au nom de quel principe, en vertu de quel raisonnement et dans quel but, compliquer à ce point la vie de tous ceux qui ne veulent que faire leur devoir civique ?
M. Jean-Pierre Schosteck. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. On devrait faciliter la tâche de ceux qui votent par procuration, et non la leur compliquer. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.) La vie moderne est difficile. Elle implique, pour les familles, pour les électeurs, des contraintes, et celles-ci ne peuvent pas toujours être facilement levées. Facilitons donc le vote par procuration. Là encore, l'immobilisme serait incompréhensible.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. La deuxième exigence de ce projet de loi, c'est donc l'adaptation nécessaire aux changements institutionnels en cours. Car les institutions, qu'il s'agisse des régions ou de l'Europe, sont en train de changer. Changement assez considérable, dont nous devons tirer les conséquences en matière de lois électorales.
Nous sommes en effet en train de vivre la deuxième étape de la décentralisation, après le premier mouvement du début des années quatre-vingt. L'organisation territoriale de la France va s'en trouver profondément décentralisée. La région va s'imposer comme chef de file de l'action économique, de l'aménagement de l'espace et de la formation professionnelle. Ses responsabilités seront accrues. Ses moyens seront renforcés. Son rôle devient capital. Il est donc devenu indispensable que les élections régionales permettent de dégager des majorités claires, stables, représentatives, sans possibilité de tractations partisanes hors de la vue des électeurs. C'est ainsi que les Français se reconnaîtront dans leur scrutin régional. Et qu'il me soit permis de dire qu'après les sinistres élections régionales de 1998 nous avons été nombreux à affirmer sur toutes les travées de la Haute Assemblée : plus jamais cela !
M. Serge Vinçon. C'est vrai !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Le Gouvernement vous propose de passer de la rhétorique à l'action. C'est son devoir. A quoi aurait-il servi de protester en 1998 pour demeurer immobile en 2003 ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Par ailleurs, nous nous préparons à l'élargissement de l'Europe, qui va être incontestablement un événement majeur et qui aura des conséquences très concrètes sur la vie des Français.
Comment ne pas en tirer les conséquences, à quelques mois des prochains scrutins régionaux et européens, en respectant la tradition républicaine de stabilité des règles un an avant les échéances ?
Un débat serein n'a pas pu se dérouler sur ce texte à l'Assemblée nationale. Je l'ai regretté. En effet, comment dire que ce texte est important et refuser de débattre ? De mon point de vue, que les choses soient claires : personne n'est sorti gagnant de cet affrontement stérile, démesuré et plein d'arrière-pensées. Cet affrontement a fait beaucoup de mal à l'ensemble des forces politiques de notre pays. (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.)
MM. Dominique Braye et Eric Doligé. Absolument !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Et personne ne peut croire que frapper sur son pupitre serve d'argument et que quelque électeur que ce soit ait mandé quelque sénateur que ce soit de se comporter de cette façon !
L'opposition - c'était son droit, et peut-être même son devoir - n'a cessé de demander des explications sur le texte, mais elle a empêché dans les faits que ces explications lui soient données. J'ai moi-même dû affronter cinq suspensions de séance avant de pouvoir prendre la parole seulement pour présenter le texte du Gouvernement. Et je passe sur la nature des quelque 13 200 amendements déposés par le biais de l'informatique ! Le Gouvernement a donc tiré les conséquences de cette situation de blocage et de cet état de fait, en engageant sa responsabilité sur ce texte.
Un sénateur de l'UMP. Il a bien fait !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Le Gouvernement revient aujourd'hui avec calme et sérénité devant le Sénat. En effet, qui mieux que vous, mesdames, messieurs les sénateurs, comprendra l'importance de ce texte ? Tout autant que l'action gouvernementale, tout autant que le contrôle parlementaire, les institutions locales, les institutions européennes et leur mode de désignation doivent être un puissant vecteur de démocratie.
Le premier objectif de ce texte est donc de resserrer les liens entre les électeurs et leurs élus, à la fois, en permettant d'identifier ces élus et en les rapprochant du territoire.
Le scrutin de liste ne doit pas être destiné à distendre les liens avec les élus. Un élu n'est pas un numéro sur une liste : c'est une femme, un homme qui, quel que soit son mandat, représente des mandants et leur rend des comptes sur son action.
Les électeurs doivent pouvoir choisir des élus qu'ils connaissent et qu'ils peuvent identifier aisément comme leurs représentants ; cela fait partie intégrante d'un nécessaire rapprochement des Français et de leurs institutions.
En ce qui concerne les élections régionales, un ancrage départemental des candidats est nécessaire : je crois que tous, sur ces travées, vous en êtes également convaincus. C'est pourquoi il est proposé que les listes régionales soient présentées par sections départementales, même si la circonscription de base demeure d'essence régionale.
Ces sections départementales conforteront la représentation des territoires, notamment des plus petits, des moins peuplés, des plus déshérités. Elles garantiront un nombre de représentants conforme à la population de chaque département. Je sais que vous êtes tous très sensibles à cette préoccupation. Sans cette garantie de la section départementale dans le cadre d'une circonscription régionale, les départements ruraux auraient été les grands oubliés de l'élection régionale. (M. Jean-Guy Branger applaudit.)
C'était, à mon sens, la grande faiblesse du texte préparé par le gouvernement Jospin. Il fallait la corriger. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Certes, le Gouvernement reprend la conception de son prédécesseur : il est normal que des élus régionaux soient élus par circonscription régionale. Toutefois, si nous ne protégeons pas les départements les plus ruraux et les moins peuplés par un système de sections départementales, ils seront les grands oubliés des prochaines élections régionales. Ce sera une iniquité, une injustice, mais aussi l'abandon d'une réalité départementale à laquelle la Haute Assemblée croit par-dessus tout.
Ce seul sujet méritait, me semble-t-il, un débat. Seuls les département riches et fortement peuplés doivent-il avoir des représentants au conseil régional ? Le Gouvernement répond : non ! ce serait une injustice. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
Je regrette que l'opposition ne soit pas là pour débattre d'une question qui concerne 70 % du territoire national et qui est loin d'être anodine. Ce débat va bien au-delà de l'avenir de telle ou telle formation politique.
La répartition des sièges du conseil régional aura lieu en deux temps.
Les sièges seront, tout d'abord, attribués au niveau régional entre listes, à la représentation proportionnelle. C'est une répartition qui tient compte des forces politiques en présence.
Une fois calculé le nombre de sièges obtenus par chaque liste, ces sièges seront répartis entre les différentes sections départementales de la liste proportionnellement au nombre de voix obtenues par ladite liste dans chacun des départements. Cette répartition est géographique.
Ce système est juste, cohérent et aisément compréhensible.
Par ailleurs - et c'est toute la cohérence du système que vous propose le Gouvernement -, quel que soit le département dans lequel il vote, l'électeur votera bien pour l'ensemble d'une liste et pas seulement pour les candidats de la section départementale correspondant à son département au sein de la liste. La cohésion de la circonscription régionale sera donc désormais solidement ancrée. C'est une étape décisive de l'inscription de la région comme structure politique de premier plan dans notre pays.
Cette proposition a été, dans son principe, acceptée par les responsables des douze formations politiques que j'ai reçus. Le projet du Gouvernement sur ce point s'inspire, dans ses grandes lignes, à l'exception relevée précédemment, de celui qui avait été présenté et voté par nos prédécesseurs socialistes.
Je précise, notamment à l'intention de M. Alfonsi, que la réforme du scrutin régional ne concerne pas la Corse, cela aussi pour des raisons de cohérence avec la décentralisation : une réforme en Corse ne pourra intervenir, le cas échéant, qu'à l'issue des réflexions engagées sur l'évolution institutionnelle de la Corse. Cette question sera donc traitée dans le courant du printemps.
C'est la même logique de rapprochement qui préside à la réforme du cadre de l'élection des députés européens.
La désignation des représentants français au Parlement européen est désormais bien ancrée dans la vie politique française sans pour autant que l'impact de ces élections ait encore été complètement intégré dans notre pays, à la différence de ce qui se passe chez nombre de nos voisins.
Nous n'avons pas suffisamment pris la mesure de l'augmentation des pouvoirs du Parlement dans l'équilibre institutionnel européen, notamment par rapport à la Commission.
Le processus est loin d'être arrivé à son terme puisque la réforme des institutions européennes dans la perspective de l'élargissement non seulement conduira à une nouvelle donne entre le Conseil, la Commission et le Parlement, mais impliquera aussi une réduction du nombre de représentants des actuels Etats-membres.
C'est ainsi que la France verra à terme diminuer le nombre de ses représentants de 87 à 72, même si l'adhésion plus tardive de la Roumanie et de la Bulgarie permet encore de fixer le nombre de députés européens français à 78 pour les élections de 2004.
Il faut bien reconnaître que, depuis de très nombreuses années, le mode de scrutin utilisé pour les élections européennes fait l'objet de critiques. Tous, sans exception, nous avons dit, nous avons répété que le mode d'élection au Parlement européen n'était pas satisfaisant. De fait, mesdames et messieurs les sénateurs, qui connaît les députés européens par leur région ? A qui ces députés européens peuvent-ils présenter un compte rendu de mandat ? Et, par-dessus tout, quel Français sait comment interpeller son ou ses parlementaires européens ?
Sur cette question également, mesdames, messieurs les sénateurs, il eût été utile que nous ayons un débat avec les représentants de l'opposition : comment les Français peuvent-ils se faire entendre au Parlement européen ?
Lors des entretiens que j'ai eus avec eux, tous les responsables des forces politiques de notre pays m'ont indiqué que le mode de scrutin actuel pour les élections européennes n'était ni satisfaisant pour la démocratie ni efficace pour la représentation de notre pays et donc pour la défense de nos intérêts.
Le consensus autour de la nécessité du changement est complet. Pas une formation n'a demandé le statu quo. Nous avons donc décidé qu'était venu le temps d'agir.
Nous voulons concilier la représentation équitable des familles politiques et le renforcement indispensable du lien avec le citoyen.
Initialement, vous le savez, le Gouvernement avait voulu instituer des sections régionales dans les circonscriptions interrégionales.
Ce système a pu paraître trop sophistiqué. De nombreux parlementaires ont fait part de leur inquétude à ce sujet. C'est pourquoi le Gouvernement a supprimé les sections régionales, revenant ainsi à ce qui avait été proposé, en son temps, et par Michel Barnier et par Lionel Jospin, c'est-à-dire à l'organisation des élections européennes au sein de grandes circonscriptions interrégionales. Je ne vois pas au nom de quoi nos adversaires politiques contesteraient aujourd'hui - et avec quelle violence ! - ce qu'ils avaient eux-mêmes imaginé il n'y a que quelques mois. Un minimum de cohérence n'est pas inutile lorsque l'on souhaite se faire entendre de ses compatriotes ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'Union centriste.)
L'organisation de l'élection des représentants au Parlement européen se fera donc au sein de huit grandes circonscriptions interrégionales.
C'est en effet, mesdames, messieurs les sénateurs, le seul moyen de concilier deux exigences qui, je l'admets bien volontiers, sont contradictoires : l'existence de circonscriptions à taille humaine pour favoriser le rapprochement des citoyens et de leurs élus, mais de circonscriptions dont le poids démographique est suffisant pour garantir un mode de scrutin à la proportionnelle, mode de scrutin qui correspond à un engagement de la France au regard de la réglementation européenne.
Ainsi, nous pourrons mieux garantir l'ancrage territorial des élus européens. Par ailleurs, par souci de cohérence, j'ai souhaité que la règle de cumul applicable aux parlementaires européens soit la même que celle qui est actuellement applicable aux parlementaires nationaux.
MM. Gérard Longuet et Roland du Luart. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. En effet, j'aimerais que l'on m'explique au nom de quoi les contraintes du parlementaire européen en termes de cumul seraient plus fortes que celles du parlementaire national. Si seul l'éloignement justifie cette disparité, pourquoi la loi sur le cumul ne serait pas alors plus dure pour le représentant d'une circonscription éloignée de Paris que pour un parlementaire de la capitale ? Ce serait injuste et mal compris par tous !
M. François Trucy. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Les règles doivent être les mêmes pour tous les parlementaires. Cette harmonisation, en outre, permettra d'ancrer un peu plus le Parlement européen dans des réalités locales. Cela ne pourra lui faire, en vérité, que du bien ; ...
MM. Gérard Longuet et Jean-Patrick Courtois. Bien sûr !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... avec un peu moins de débats intellectuels et plus d'ancrage territorial, les décisions du Parlement européen n'en seront que plus respectées et écoutées. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Notre deuxième objectif est de donner aux électeurs les moyens de désigner une majorité. Un vote, quel qu'il soit, doit être considéré comme un choix, et le choix, quel qu'il soit, doit permettre de conduire une politique.
Notre souci est donc d'assurer l'existence de majorités de Gouvernement dans les régions. Comment se satisfaire d'une situation où des exécutifs impuissants quémandent des voix pour faire passer des délibérations ?
La région sera prochainement une collectivité à valeur constitutionnelle, comme le département et la commune, qui bénéficient tous deux de modes de scrutin permettant de dégager des majorités stables pour assurer leur gestion.
Il est donc essentiel que le scrutin à la proportionnelle, qui permet déjà en lui même une représentation des différents courants politiques, soit tempéré par l'existence d'une prime majoritaire.
Le Gouvernement a fait un choix raisonnable. Il aurait pu retenir la prime majoritaire des élections municipales, fixée à 50 %. Il propose, par respect des minorités, de ne retenir qu'une prime de 25 % pour les élections régionales.
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Il nous a semblé que c'était plus respectueux des courants minoritaires.
Admirez, mesdames, messieurs les sénateurs, la cohérence d'une formation politique qui s'enorgueillit d'avoir, d'un côté, proposé pour les élections municipales, au début des années quatre-vingt, un mode de scrutin retenant une prime majoritaire à 50 % et, de l'autre, protesté contre un mode de scrutin retenant pour les élections régionales une prime majoritaire de 25 % ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Comment peut-on nous reprocher d'étouffer une quelconque minorité alors que nous retenons une prime moitié moins importante que celle que les socialistes avaient proposée pour les élections municipales ?
Cette mesure a besoin, aujourd'hui, d'être complétée, et nous arrivons là au seul point de désaccord. Quel charivari pour un point de désaccord et un seul !
Les élections récentes nous enseignent que les Français, tout en étant attachés à la représentation des différents courants de pensée, souhaitent donner aux élus qu'ils ont portés à la tête des collectivités les moyens de les gérer dans la clarté et dans l'efficacité.
Le Gouvernement propose de fixer le seuil d'accès au second tour à 10 % des inscrits, le seuil permettant la fusion des listes étant fixé à 5 % des suffrages exprimés, ces deux règles étant complémentaires.
S'agissant de la règle de 10 % des inscrits, le Gouvernement avait deux références possibles.
La première est celle des élections cantonales, pour lesquelles peuvent se maintenir au second tour les listes ayant obtenu 10 % des inscrits. Si l'on n'est pas d'accord avec la proposition du Gouvernement, ce qui est un droit, il convient d'être cohérent et de proposer alors de modifier la règle actuelle de 10 % des inscrits pour les élections cantonales. (Oui ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.) On ne peut pas s'opposer à une règle dans un cas et en demander le maintien dans l'autre.
La seconde référence dont pouvait se prévaloir le Gouvernement est celle des élections municipales, pour lesquelles peuvent se maintenir au second tour les listes ayant obtenu 10 % des suffrages exprimés.
Le débat a eu lieu sur ce sujet. Avec la règle de 10 % des inscrits, on favorise l'émergence d'une majorité stable et on garantit l'efficacité ; avec celle de 10 % des suffrages exprimés, on favorise la représentativité de tous les courants, ce qui privilégie la diversité.
Après avoir débattu, le Gouvernement a souhaité privilégier l'efficacité d'une majorité stable tout en prenant soin de veiller à la nécessaire diversité en autorisant les possibilités de fusion entre les listes pour peu que celles-ci aient obtenu 5 % des suffrages exprimés, ce qui, chacun en conviendra, est un résultat bien modeste.
Ainsi, des majorités stables seront privilégiées avec la règle des 10 % des inscrits, mais ces majorités seront fortement encouragées à s'ouvrir aux représentations minoritaires par le biais des fusions. Il me semble qu'il s'agit d'un compromis raisonnable.
On a sous-estimé l'importance de ce seuil de 5 % des suffrages exprimés pour la fusion. Les majorités seront ainsi poussées à l'ouverture et à la conciliation.
Mais cette ouverture, à la différence de ce qui se passe aujourd'hui, devra s'organiser au grand jour, devant les électeurs. Cette solution me semble préférable aux combinaisons post-électorales, qui tiennent les électeurs éloignés et les rendent souvent désabusés !
La majorité de coalition devra s'organiser avant le second tour, devant les électeurs, de la façon la plus transparente qui soit,...
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... puisque, au second tour, on se présentera avec l'équipe de gouvernement que l'on propose pour la région.
Dans la situation antérieure, dans un certain nombre de régions, ceux qui votaient n'avaient aucune idée de celui qui serait le président de la région ni de la composition de son exécutif ! (M. Gérard Longuet fait un signe d'approbation.)
J'affirme donc que la règle de 10 % des inscrits, associée à la règle de 5 % des suffrages pour la fusion, est un compromis raisonnable, qui permettra à la fois d'assurer des majorités stables et de garantir le droit des minorités. (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.)
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Troisième impératif auquel obéit le projet de loi : la parité.
Le principe de la parité est puissamment réaffirmé dans le texte.
La loi de 1998 prévoyait la parité par groupe de six candidats. Le Gouvernement a choisi de proposer la parité par l'alternance.
On peut être pour ou contre la parité. En tout cas, la politique du Gouvernement est de faire en sorte que la sous-représentation des femmes dans les institutions régionales, comme dans l'institution européenne, soit compensée par la parité. Dans ce cas-là, on doit appliquer la règle un homme-une femme. La vraie question qui se pose est de savoir combien de temps doit durer la parité une fois la situation débloquée ?
Quoi qu'il en soit, si on fait le choix de la parité, il faut le faire vraiment, sans arrière-pensée et sans frilosité, de façon que les femmes aient, dans la vie politique, une représentation qui soit conforme à leur importance dans la population totale. C'est ce que le Gouvernement vous propose pour les deux élections.
Quatrième impératif : la cohérence des mandats locaux.
Le Gouvernement propose de porter la durée du mandat de conseiller régional de cinq à six ans. Il convient de rappeler que ce mandat est actuellement de six ans mais que cette durée sera portée à cinq ans, comme l'a prévu le texte déposé par le gouvernement Jospin et voté par sa majorité, si une nouvelle disposition législative n'est pas adoptée à cet égard.
Où est la cohérence, mesdames, messieurs les sénateurs, quand les durées des mandats locaux sont différentes ? Dès lors que les élections régionales et les élections cantonales auront lieu le même jour, qui pourrait comprendre que le mandat d'un conseiller général soit de six ans et celui d'un conseiller régional de cinq ans ?
Nous proposons donc d'aligner la durée de tous les mandats locaux - conseiller municipal, conseiller général et conseiller régional - à six ans.
MM. Dominique Braye et François Trucy. Très bien !
M. Roland du Luart. C'est cohérent !
M. Daniel Hoeffel. Et ici aussi !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Qui pourrait nous reprocher de vouloir simplifier en fixant une durée de mandat identique pour l'exercice des responsabilités locales ?
A ce propos, j'ai entendu ici ou là des remarques sur la complexité qui caractériserait l'ensemble de ces propositions.
Mais combien de Français - et même combien d'entre nous - connaissent précisément les règles, les seuils, les modes de répartition des restes, etc. qui s'appliquent aux élections régionales et aux élections européennes ?
Si c'est la simplicité qui est recherchée en priorité, alors, il faut choisir le scrutin uninominal majoritaire à un tour ! Il est certes très simple, mais il broie impitoyablement les minorités, il étouffe les courants d'opinion. L'argument de la simplicité a été scandé à maintes reprises, mais ceux qui l'ont brandi ont-ils bien réfléchi à ce qu'il implique ?
Le mode de scrutin allemand est souvent présenté comme un modèle parfait de démocratie. Je mets au défi quiconque de l'expliquer de façon complète, exacte et parfaitement claire. (M. Henri de Raincourt s'esclaffe.)
M. Gérard Longuet. C'est en effet difficile !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Comme vous le voyez, mesdames, messieurs, les sénateurs, on peut avoir un mode scrutin complexe et parfaitement démocratique. On peut aussi avoir un mode de scrutin simple et parfaitement anti-démocratique.
L'argument de la simplicité me paraît singulièrement réducteur en ce qu'il ne tient pas compte de la nécessité de concilier deux engagements contradictoires : que les Français connaissent leurs élus et que la taille des circonscriptions soit suffisamment grande pour que la proportionnelle soit respectée.
Par ailleurs, de manière à renforcer l'expression démocratique des courants minoritaires, nous prévoyons, concernant les élections régionales, le passage du seuil de 5 % à 3 % des suffrages exprimés pour le remboursement des frais de propagande électorale. Cela signifie qu'un parti sera remboursé des frais qu'il aura engagés avec des résultats inférieurs à ceux qui étaient auparavant nécessaires pour cela.
En outre, l'accès à la campagne audiovisuelle ne sera plus réservé aux partis et groupements politiques représentés par des groupes parlementaires : y auront également accès ceux auxquels se sont rattachées au moins cinq listes dans cinq circonscriptions régionales.
S'ajoute la modification des règles de financement des partis politiques, mesure dont on n'a guère parlé alors qu'elle est pourtant extrêmement importante.
Le Gouvernement tire là les enseignements des dernières élections législatives. Du fait de l'ouverture du droit à l'aide publique aux partis ayant présenté en métropole au moins cinquante candidats, l'esprit de la loi a été détourné et l'inflation des candidatures s'est trouvée favorisée : on a compté 2 828 candidats au premier tour des élections législatives de 1988, 5 290 en 1993, 6 360 en 1997 et, finalement, 8 444 en 2002 !
J'affirme que ce problème méritait aussi un débat. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Les groupements les plus divers présentent des candidats aux élections législatives non pas dans le but de concourir à l'expression du suffrage universel, mais afin de bénéficier d'un financement public, qui est alors détourné de son objet. C'est ainsi que, dans certaines circonscriptions, les électeurs se sont trouvés face à dix-huit, vingt, voire vingt-deux candidats ! Personne ne peut croire que cela a favorisé l'expression démocratique !
Il est donc nécessaire de limiter le versement de l'aide publique aux partis et groupements politiques concourant effectivement à l'expression du suffrage. Pour autant, le législateur ne doit pas méconnaître l'exigence du pluralisme dans l'expression des courants d'idées et d'opinions, qui constitue le fondement de la démocratie.
C'est pourquoi le Gouvernement vous propose d'exiger des partis souhaitant bénéficier de l'aide publique le rattachement d'au moins cinquante candidats ayant obtenu chacun au moins 1 % des suffrages exprimés. Ce seuil de 1 % permet de concilier le respect du pluralisme et l'exigence d'un minimum de représentativité et de crédibilité de la part de ceux qui sollicitent le suffrage universel.
En la matière, le Gouvernement a tenu compte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui avait, chacun s'en souvient, considéré le seuil de 3 % comme trop élevé. Il est évident que 3 % dans cinquante circonscriptions, c'eût été trop.
Tels sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les commentaires qu'appelle de ma part le projet qui vous est soumis par le Gouvernement.
Compte tenu des enjeux, ce texte mérite un véritable débat,...
M. Michel Mercier. Tout à fait !
M. Nicoles Sarkozy, ministre. ... d'autant qu'il n'a pas pas pu avoir lieu à l'Assemblée nationale. Je ne doute pas qu'un tel débat se déroulera au Sénat, où les clivages s'effacent lorsque l'intérêt général est en jeu. Je sais que la caricature n'aura pas sa place ici. Il est vrai que, si elle n'a pas sa place, c'est parce qu'il y a quelques absents : cela favorise la hauteur des débats ! (Rires et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Quoi qu'il en soit, je suis convaincu que nous saurons montrer ensemble qu'un débat sur la loi électorale se doit d'être un débat de qualité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'Union centriste. - Les sénateurs du groupe socialiste et du groupe CRC font leur retour dans l'hémicycle. - Ah ! sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Masseret. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Masseret.
M. Jean-Pierre Masseret. Permettez-moi de rappeler, en m'appuyant sur le Journal Officiel, ce qui s'était passé en 1997. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Braye. Vous êtes passéiste !
M. Jean-Pierre Masseret. Cela montre bien qu'il y a deux poids, deux mesures.
Après avoir donné acte du dépôt de la motion, le président a interrogé M. Jacques Larché, qui était à l'époque président de la commission des lois. Celui-ci a alors indiqué que la commission devait se réunir, désigner un rapporteur et préparer un rapport, ce qui impliquait qu'elle dispose d'un certain délai. Il a précisé : « Il me semble malgré tout qu'il serait possible de discuter de cette motion en séance publique demain, à partir de quinze heures. »
Aussitôt après, la séance a été levée, et la motion a effectivement été discutée le lendemain à partir de quinze heures.
Nous n'avons pas demandé autre chose !
Pourquoi avons-nous déposé cette motion référendaire ?
M. Jean Chérioux. Pour gagner du temps !
M. Jean-Pierre Masseret. Le Parlement est saisi d'un texte important au regard du fonctionnement de la démocratie dite « de proximité ».
Il s'agit de permettre à des partis émergents... d'émerger et de représenter une partie de nos concitoyens ; il s'agit de faire en sorte que, dans nos assemblées régionales, les minorités puissent être représentées.
Or nous avons constaté qu'il n'y avait pas eu de débat à l'Assemblée nationale en raison de l'application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Dominique Braye. La faute à qui ?
M. Jean-Pierre Masseret. Votre faute ! Personne ne vous a obligés à utiliser le 49-3 ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. Jean Chérioux. Il ne fallait pas déposer tous ces amendements !
M. Jean-Pierre Masseret. De manière exceptionnelle, sur ce texte, aucun amendement n'émane de la majorité sénatoriale. Non que ce texte soit bon ! (Si, si ! sur les mêmes travées.) C'est tout simplement, chers collègues, que vous ne voulez pas débattre de cette question importante.
Nous avons, par conséquent, eu recours à la procédure qui nous paraissait la plus légitime : celle qui permet de saisir le peuple.
Tel est le sens, monsieur le président, de notre motion référendaire, qui sera donc débattue demain. D'ici là, nous dirons au Gouvernement pourquoi nous sommes opposés à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Monsieur Masseret, je vous remercie d'avoir confirmé ce que j'avais indiqué à M. Dreyfus-Schmidt.
L'article 68 du règlement du Sénat précise que « l'adoption par le Sénat d'une motion concluant au référendum suspend, si elle est commencée, la discussion du projet de loi ». Or cette motion n'est pas adoptée.
L'article 68 précise également que « la motion adoptée est transmise sans délai au président de l'Assemblée nationale accompagnée du texte auquel elle se rapporte ». Le débat qui va avoir lieu maintenant permettra donc d'éclairer la commission dans sa réflexion sur la motion et d'y répondre demain. (Rires sur les travées de l'UMP. - Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) C'est bien dans cet esprit que cet article de notre règlement a été rédigé.
Au demeurant, monsieur Masseret, si vous n'aviez pas jugé bon, avec vos collègues, de quitter l'hémicycle - ce que je regrette infiniment -, vous auriez obtenu des réponses très précises aux questions que vous venez de poser il y a un instant à propos des minorités. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous ne respectez même pas votre propre jurisprudence !
Mme Nicole Borvo. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, avant que M. le rapporteur puisse nous expliquer ce que nous devons faire, à savoir ne pas exercer nos droits de parlementaires... (Vives exclamations sur les travées de l'UMP.) Mais si ! Nous l'avons entendu déjà en commission : pas de débat !
M. le président. Rappelez-vous, ma chère collègue, ce que disait Talleyrand à propos de ce qui est excessif !
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, il serait logique que vous demandiez à la commission des lois de se réunir maintenant pour donner son avis sur la motion référendaire.
M. Jean-Patrick Courtois. Non !
Mme Nicole Borvo. C'est pour protester contre cette façon de dénier les droits du Parlement que nous avons, tout à l'heure, quitté l'hémicycle. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. J'ai indiqué que la commission des lois se réunirait demain matin. Elle pourra donc alors examiner la motion référendaire. N'est-ce-pas, monsieur le président de la commission ?
M. René Garrec. président de la commission des lois. Je confirme, monsieur le président, que la commission des lois examinera demain matin la motion, ainsi que les amendements, selon la procédure que prévoit notre règlement et, je l'espère, dans le calme qui sied à ce genre de débat.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à titre préliminaire, je souhaiterais formuler quelques remarques.
Je confirmerai d'abord, pour avoir auditionné des membres de toutes les formations politiques, que le seul point de désaccord réel porte sur les seuils aux élections régionales.
Pour le reste, le texte n'a pas forcément fait l'unanimité, mais un très large consensus est apparu sur la nécessité de réformer les élections régionales et les élections européennes.
Outre les membres des différentes formations politiques, j'ai entendu un certain nombre de professeurs de droit constitutionnel et de science politique, dont les réflexions ont nourri mon rapport sur différents points, s'agissant en particulier des grandes circonscriptions régionales pour les élections européennes.
J'ai eu, d'emblée, la volonté de faire en sorte que, au sein de la Haute Assemblée, s'exerce un véritable débat démocratique. (Rires sur les travées du groupe socialiste.) C'est la raison pour laquelle la commission des lois a rejeté l'idée d'une question préalable, qui aurait eu pour conséquence d'éviter toute discussion, notamment sur les amendements.
Par ailleurs, comme M. le ministre l'a souligné tout à l'heure, nous assistons, à chaque législature, à une révision des modes de scrutin. On ne peut certes pas critiquer ce gouvernement de nous en proposer une puisque tous les gouvernements précédents l'ont fait. En vérité, il y a à cela une raison essentielle : contrairement à ce qu'il en est dans d'autres Etats européens, les modes de scrutin ne sont pas inscrits dans notre texte constitutionnel ; ils ne font pas même l'objet d'une loi organique. Les modes de scrutin relèvent, chez nous, de la loi ordinaire, et la loi ordinaire est toujours perfectible.
Dès lors, il est normal que, en fonction d'un certain nombre d'éléments, on procède à la réforme des modes de scrutin.
Sur ce point, monsieur le ministre, je me permettrai de souligner que notre code électoral est particulièrement mal rédigé et qu'il conviendrait de le remettre sur le métier car, de réforme en réforme, il devient de plus en plus inintelligible.
Ces remarques préliminaires étant faites, je crois utile de rappeler ce que doit être un mode de scrutin, compte tenu de nos règles constitutionnelles et des règles nouvelles que le législateur a progressivement définies.
Sera démocratique, et donc légitime, tout mode de scrutin qui respectera le caractère universel du suffrage, son caractère égal et son caractère secret.
La réforme qui nous est aujourd'hui proposée obéit pleinement à ces trois obligations : les modes de scrutin proposés sont universels, égaux et secrets.
A ces trois exigences s'ajoutent de nouveaux principes qui, peu à peu, se sont imposés au législateur, prenant progressivement valeur constitutionnelle.
Il en est ainsi, tout d'abord, du principe de parité, qui est d'ailleurs maintenant inscrit dans la Constitution.
A ce propos, je me rallie à l'analyse qu'a formulée tout à l'heure M. le ministre : tant que nous n'avons pas atteint cette parité, il nous faut l'inscrire dans les textes électoraux, tout en sachant - en l'espérant, en tout cas - que, dans une dizaine d'années, cette disposition deviendra caduque parce que la parité sera définitivement entrée dans les moeurs.
Mme Hélène Luc. Ce n'est, hélas ! pas pour demain !
M. Patrice Gélard, rapporteur. le principe de proximité constitue également un nouveau principe. Au demeurant, il sera au coeur de la loi constitutionnelle que nous adopterons le 17 mars prochain.
Il est normal, légitime, que l'élu soit reconnu par ses électeurs et que ceux-ci se sentent proches de lui. Or, il faut bien l'admettre, les deux modes de scrutin les plus contestés par les électeurs à l'heure actuelle sont le scrutin européen et le scrutin régional, et cela précisément parce qu'ils ne respectent pas le principe de proximité.
Autre principe qui s'impose désormais : le principe de proportionnalité, auquel le Conseil constitutionnel a donné valeur constitutionnelle.
Enfin, un scrutin doit être, en outre, transparent et efficace.
Les cinq principes que je viens d'énumérer, comme les trois premiers, sont respectés dans le texte qui nous est soumis.
Je rappellerai, d'autre part, qu'un mode de scrutin a deux missions essentielles.
Sa première mission est d'assurer la juste représentation des électeurs. Les partisans du scrutin proportionnel affirmeront que seul celui-ci est juste puisqu'il offre la photographie la plus exacte de l'opinion publique, à l'instar du sondage d'opinion.
Nous connaissons tous l'inconvénient du scrutin proportionnel : il ne permet pas de dégager de majorité. Pis, il ne permet pas à l'électeur de faire un choix pleinement éclairé puisqu'il ne peut pas savoir à l'avance qui gouvernera effectivement. Ce sont en effet des alliances nouées après l'élection qui décideront des véritables orientations politiques qui seront prises.
Autrement dit, si le scrutin proportionnel a l'avantage d'offrir l'image la plus parfaite du corps électoral, il présente l'inconvénient de ne pas dégager des majorités stables, susceptibles de gouverner dans la durée.
D'ailleurs, la France a éprouvé, sous la IVe République, les effets du scrutin proportionnel, comme d'autres Etats européens le font aujourd'hui : dois-je rappeler ici les difficultés que rencontrent les Pays-Bas à constituer, à l'heure actuelle, leur gouvernement, ou bien encore celles que l'Italie a dû surmonter à certains moments de son histoire ? L'Espagne constitue, certes, une exception : le bipartisme y existe malgré le scrutin proportionnel ; mais cette situation s'explique vraisemblablement par l'histoire du peuple espagnol.
Un bon scrutin doit donc permettre d'obtenir une image du corps électoral, mais il doit aussi, surtout lorsqu'il s'agit d'élections locales, permettre de dégager des majorités de gestion. C'est la raison pour laquelle, pour les élections départementales comme pour les élections municipales, le scrutin n'est pas proportionnel mais majoritaire, même si un correctif proportionnel est prévu pour les élections municipales.
Le projet de loi que nous examinons vise donc à mettre en place un tel scrutin majoritaire, avec un correctif proportionnel.
Cette orientation est d'autant plus nécessaire que l'on assiste aujourd'hui à deux déviances graves dans le comportement des électeurs, que le législateur doit s'efforcer non pas de corriger - on ne corrige pas l'électeur - mais de modifier ou d'infléchir.
La première déviance est la multiplication des candidatures, ainsi que nous avons pu le constater au cours des dernières élections. De plus en plus, on assiste à une inflation du nombre des candidats et on voit apparaître des groupements ou des formations politiques, qui n'ayant pas leur place dans le scrutin en cause, utilisent la scène électorale pour s'en faire une tribune ou pour financer d'autres activités.
Lors des dernières élections, qu'il s'agisse de l'élection présidentielle ou des élections régionales ou municipales, on a ainsi vu apparaître des partis sans électeurs qui souhaitaient juste s'assurer qu'ils pouvaient en trouver, tandis que certains groupements non partisans n'avaient d'autre but que de défendre des intérêts particuliers. Encore heureux que nous n'ayons pas encore chez nous, comme dans certains pays d'Europe de l'Est, des partis défendant les buveurs de bières ou telle ou telle catégorie socioprofessionnel !
Mme Hélène Luc. Ah ! Vous êtes vraiment à court d'arguments !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Enfin, nous voyons apparaître des partis politiques qui se situent délibérément en dehors de toute majorité de gestion municipale, départementale ou régionale, et dont le but n'est pas, en réalité, de participer à l'exercice de la gestion régionale, municipale ou départementale, mais d'affirmer une option politique en dehors des règles qui sont celles de la démocratie locale.
Cette multiplication des candidatures rend le choix de l'électeur extrêmement difficile. Ces candidatures deviennent en effet illisibles et ne permettent plus de connaître véritablement les options politiques que les uns ou que les autres veulent défendre.
L'autre déviance à laquelle on assiste - c'est un phénomène grave, d'autant qu'il concerne essentiellement les élections européennes et les élections régionales - est la montée en puissance de l'abstention, qui découle naturellement de la multiplication des candidatures, mais aussi peut-être, monsieur le ministre, du fait que, contrairement à d'autres pays, nous avons maintenu le scrutin le dimanche. Il faudra éventuellement envisager un jour d'organiser des scrutins en semaine...
Permettez-moi sur ce sujet une remarque incidente, monsieur le ministre : pour les futures élections européennes de 2004, il me paraît nécessaire de modifier l'arrêté qui a prévu de convoquer les électeurs jusqu'à vingt-deux heures.
M. Gérard Longuet. Très bien ! C'est en effet impossible !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Pour ceux qui tiennent les bureaux de vote de dix-huit heures à vingt-deux heures, c'est une calamité : personne ne vient, cela ne sert à rien. Il n'y a aucune base légale au maintien de ces heures de scrutin ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Patrick Courtois. Cela vaut un amendement ! (Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Oui, déposez un amendement !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Non, cela relève du domaine du règlement !
Par ailleurs, vous l'avez souligné tout à l'heure, monsieur le ministre, les difficultés du vote par procuration découragent un très grand nombre d'électeurs. Or, surtout depuis l'application de la loi sur les 35 heures, avec les récupérations, tout le monde a pris l'habitude de longs week-ends en famille, ce qui pose un problème quasi insoluble. Par conséquent, il faut simplifier et rendre beaucoup plus aisé le vote par procuration.
Voilà ce qu'il convenait de dire sur les causes de l'accroissement de l'abstention.
J'en viens à la réforme électorale proprement dite.
En premier lieu, je tiens à dire qu'il ne s'agit pas d'une réforme totale de nos modes de scrutin et que seules deux élections sont concernées : les élections régionales et les élections européennes.
Mme Nicole Borvo. Ah, pas les sénatoriales, c'est sûr !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Le projet de loi comporte en outre quelques dispositions générales sur lesquelles il conviendra de dire quelques mots tout à l'heure.
En second lieu - vous l'avez d'ailleurs relevé, monsieur le ministre -, ce n'est ni une innovation ni une surprise : le précédent gouvernement et certains partis politiques avaient déposé des projets ou des propositions de loi qui allaient exactement dans le même sens.
Il faut aussi noter que le présent projet de loi corrige les deux scrutins les plus mal-aimés des Français, le scrutin régional et le scrutin européen. En effet, l'électeur ne se reconnaît pas dans le conseiller régional et, surtout, dix-neuf régions françaises n'ont pas réellement de majorité ; par ailleurs, l'utilisation de l'article 49-3 ou les majorités aléatoires ne permettent pas de donner une image claire de la gestion régionale.
J'espère que nos débats permettront aux électeurs de mieux se rendre compte, surtout compte tenu de ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale, du contenu exact du projet de loi qui nous est soumis.
Si vous me le permettez, je me livrerai donc maintenant à une analyse très brève du texte, en soulignant simplement les aspects qui me paraissent importants et en vous renvoyant à mon rapport écrit pour les détails.
Je commencerai par la fin, c'est-à-dire par le titre III, consacré aux dispositions relatives à l'aide publique aux partis politiques, et par le titre IV, portant dispositions relatives à l'outre-mer.
En ce qui concerne l'aide publique, monsieur le ministre, afin d'éviter, précisément, que l'élection ne soit un prétexte pour récupérer cette aide et pour décourager un certain nombre de candidatures qui n'ont pas de raison d'être dans certains scrutins, vous avez proposé le remboursement de l'aide publique aux seules listes qui seraient déposées dans cinquante circonscriptions et qui obtiendraient 1 % des suffrages. Cette mesure saine a été approuvée par la quasi-totalité des formations politiques que j'ai pu rencontrer.
Pour l'outre-mer, les règles sont différentes, puisqu'il suffit d'être candidat dans une circonscription. Au demeurant, l'application du présent texte en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis-et-Futuna ainsi que le renvoi des modalités d'application de ces dispositions à un décret en Conseil d'Etat n'appellent pas de grands débats et ne soulèvent pas de grandes passions.
S'agissant du scrutin européen, qui fait l'objet du titre III et qui constitue la partie la plus longue du texte, de l'article 12 A à l'article 31, vous avez dit l'essentiel, monsieur le ministre.
Permettez-moi de rappeler simplement quelques modifications de détail qui sont les bienvenues : tout d'abord, l'ouverture de la campagne électorale pour les élections européennes est fixée au deuxième lundi qui précède la date du scrutin et non au troisième samedi, comme à l'heure actuelle, pour la simple raison que, le troisième samedi précédant le scrutin, les panneaux électoraux ne sont pas installés. Il s'agit donc de tenir compte d'une réalité sur le terrain.
Je note par ailleurs que la disposition relative à l'interdiction de la propagande étrangère sera sans doute modifiée ultérieurement, car l'Union européenne envisage la possibilité de présenter à l'avenir des listes transnationales. En attendant, cette disposition est bienvenue dans l'immédiat.
Je relève également que, à l'article 21, vous avez corrigé une erreur de l'ordonnance du 19 avril 2000, qui réservait aux seuls départements et territoires d'outre-mer le droit d'accéder à la commission de contrôle de la propagande électorale. Les candidats de métropole y auront donc désormais accès.
J'évoquerai brièvement le remboursement forfaitaire.
Vous avez abaissé le seuil de 5 % à 3 % des suffrages exprimés, ce qui est également une disposition bienvenue, comme l'est la mesure portant sur la campagne audiovisuelle, qui consacre deux heures aux partis représentés au Parlement et une heure aux partis qui ne le sont pas.
Enfin, vous avez plafonné les dépenses électorales à 1,150 million d'euros par liste régionale, ce qui permettra, puisqu'il y aura huit circonscriptions interrégionales, d'augmenter légèrement les dépenses remboursables en matière électorale.
Voilà pour les dispositions relatives à la propagande. Je reviendrai sur le mode de scrutin tout à l'heure, puisque j'ai pris le texte à l'envers, comme je l'ai indiqué.
S'agissant de la date de convocation des électeurs, elle est avancée, puisqu'il est prévu cinq semaines au lieu de quatre, là encore pour faciliter l'accès aux médias.
Quant aux modalités du vote des Français établis hors de France, elles sont précisées. Toutefois, monsieur le ministre, il faudra que, pour ce qui concerne les procurations, il soit fait en sorte que les Français établis hors de France et ne résidant pas dans l'Union européenne puissent voter plus facilement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. M. Cointat pourra voter notre amendement en ce sens ! (Sourires.)
M. Patrice Gélard, rapporteur. Je voudrais maintenant présenter oralement une remarque - « la plume est serve mais la parole est libre » - concernant la contestation de l'élection, qui va dorénavant relever du Parlement européen et non plus des instances françaises. Il est peut-être un peu dommage que nous ayons perdu la possibilité de constater la vacance du siège d'un député européen, notamment pour des raisons de condamnation ou de poursuites pénales.
Je rappelle que, désormais, le Conseil d'Etat sera compétent pour tous les recours en matière d'élection européenne.
Vous avez considérablement amélioré le texte en faisant en sorte que la répartition des sièges ait lieu à l'échelon de l'interrégion et non plus à travers un système épouvantablement compliqué, comme cela était prévu dans le texte initial.
Les élections européennes auront lieu au scrutin à la représentation proportionnelle avec répartition des restes à la plus forte moyenne, sans panachage ni vote préférentiel. Il n'y a donc pas de différence avec le mode de scrutin actuel. Par ailleurs, il faudra 5 % des suffrages exprimés pour obtenir des sièges, ce qui est également le cas actuellement.
Quant aux huit circonscriptions interrégionales, ce sont non pas de nouvelles circonscriptions administratives - et elles n'ont pas vocation à le devenir - mais de simples circonscriptions électorales.
Vous avez évoqué, monsieur le ministre, le régime des incompatibilités. Nous nous en félicitons tous, les députés européens seront dorénavant traités comme les députés nationaux et comme les sénateurs. On doit également relever la suppression du cautionnement de 15 000 euros, qui me paraît une bonne mesure.
Je n'ai rien à ajouter sur le mode de scrutin européen. Sachez simplement que, selon les simulations auxquelles nous avons procédé, à quelques unités près, il n'y aura pas beaucoup de transformations si le vote est le même qu'en 1999 aux prochaines élections. Il y aura stabilité du corps électoral, et toutes les grandes formations seront représentées.
Comme vous l'avez souligné, le nouveau mode de scrutin va « accrocher » le député européen à un territoire, ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent. Il aura donc - enfin ! - cette possibilité qu'ont la plupart des députés européens des autres pays, notamment des petits pays, de défendre âprement des intérêts locaux. Pour leur part, nos députés européens ne le pouvaient pas, leurs interventions étaient d'une autre nature et, par conséquent, ils étaient moins écoutés que leurs homologues d'autres pays.
J'en viens à mon dernier point, les élections régionales, qui font l'objet du titre Ier du projet de loi.
La durée du mandat a été rétablie à six ans, ce qui relève du bon sens.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et les neuf ans des sénateurs ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. Tous les élus locaux savent parfaitement que le délai de cinq ans n'est pas tenable pour réaliser un programme local compte tenu des difficultés administratives que l'on rencontre pour lancer les études et les marchés, pour obtenir les financements et inscrire des opérations dans le contrat de plan Etat-région. Six ans, c'est un délai minimum pour réaliser de telles actions.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et pour le Sénat, quel est le délai raisonnable ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. La question n'est pas aujourd'hui à l'ordre du jour ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Si !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Cela viendra !
Mme Hélène Luc. Cela n'a pas l'air de venir !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Ne croyez pas ce qu'écrit un journal du soir, qui raconte n'importe quoi en l'espèce ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean Chérioux. Nous savons quelles sont ses sources !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Il faut, en effet, puiser aux bonnes sources...
Nous respectons, naturellement, la parité dans ce texte, même si la Corse...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Tiens donc ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. ... pose un problème particulier en la matière.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pardi !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Que prévoit le texte ? Non pas, comme certains le croient, des scrutins départementaux, mais un scrutin régional avec, à l'intérieur de ce scrutin régional, des sections départementales. Et, puisque nous sommes dans un scrutin régional, le mode de répartition des sièges s'impose tout naturellement : c'est en fonction du nombre de voix recueillies que l'on obtiendra des sièges et non pas en fonction des voix obtenues dans le département voisin, ce qui est tout à fait normal. Par conséquent, ce mode de scrutin me paraît tout à fait défendable.
Mme Danièle Pourtaud. Quel enthousiasme !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Quant au seul point sur lequel les choses se sont quelque peu aggravées, à savoir la fixation d'un seuil de 10 % des inscrits - et non plus de 5 % des suffrages exprimés - pour se maintenir au second tour, je rappelle qu'à l'heure actuelle deux élections imposent des seuils similaires, voire supérieurs. Ainsi, pour se maintenir au second tour des élections législatives, il faut avoir atteint au premier tour le seuil de 12,5 % des inscrits et, pour les cantonales, ce seuil est de 10 % des inscrits.
M. Michel Mercier. Cela n'a rien à voir !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Enfin, s'il est, aux élections municipales, de 10 % des suffrages exprimés, encore faut-il rappeler que la participation au scrutin municipal étant largement supérieure à la participation aux régionales - elle est de l'ordre de 80 % en moyenne - ce seuil correspond en réalité à environ 8 % des inscrits. (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
On aurait pu envisager d'autres moyens. On aurait pu imaginer, par exemple, que seules ont le droit de se maintenir au second tour les deux listes arrivées en tête, comme ont seuls le droit de se présenter au second tour de l'élection présidentielle les deux candidats arrivés en tête au premier tour. Il n'aurait plus alors été question de prévoir 10 % des inscrits !
Il était également envisageable, pour les listes qui ont obtenu 5 % des suffrages exprimés mais qui n'ont pas atteint 10 % des inscrits, de les autoriser à fusionner entre elles pour arriver à ce seuil. Cette solution compliquerait cependant les choses et, avec un tel système, dans un grand nombre de cas, nous n'aurions pas de majorité régionale, même avec la prime de 25 %.
M. Charles Gautier. Il faut augmenter la prime !
M. Patrice Gélard, rapporteur. La prime de 25 % permet un fonctionnement correct même s'il y a deux ou trois listes au second tour.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Augmentez la prime !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Un choix politique a été fait : un seuil de 10 % des inscrits pour l'admission au second tour du scrutin. C'est extrêmement désagréable pour certaines formations politiques, me direz-vous. Peut-être, mais la fusion des listes entre le premier et le second tour a été prévue.
Personnellement, je ne crois pas beaucoup à ce genre de fusion. Je crois davantage aux listes d'union établies avant le premier tour. Et c'est, en réalité, ce à quoi pousse ce mode de scrutin.
M. Gérard Longuet. Exact !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Il faut que les différentes formations s'entendent avant le premier tour pour constituer des listes cohérentes, favoriser la mise en place d'une majorité régionale digne de ce nom qui ne connaîtrait pas de problème pendant les six années pour lesquelles elle aura été élue.
C'est la raison pour laquelle, même si ce texte aurait pu être amélioré, la commission des lois propose, en l'espèce, à la Haute Assemblée d'émettre un vote conforme au texte adopté par l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Mme Nicole Borvo. Quelle mauvaise foi ! Cela devient une habitude !
M. Patrice Gélard, rapporteur. C'est une habitude, en effet.
Mme Nicole Borvo. Encore un vote conforme !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Pour tout ce qui est politique, oui.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous déconsidérez le Sénat !
Mme Nicole Borvo. A quoi sert le Parlement ?
(M. Bernard Angels remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)