COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. SERGE VINÇON

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

RESPECT DES ENGAGEMENTS

INTERNATIONAUX EN MATIÈRE DE DROITS DE L'HOMME

Discussion d'une question orale avec débat

(Ordre du jour réservé)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 5.

M. Jacques Pelletier attire l'attention de M. le ministre des affaires étrangères sur la situation particulièrement difficile d'un grand nombre d'Etats du monde où des centaines de milliers de personnes sont persécutées en raison de leurs opinions politiques, de leurs croyances ou de leur appartenance à un groupe ethnique. En dépit de l'engagement répété de nombreux Etats en faveur de la Déclaration universelle des droits de l'homme, nous dénombrons toujours des violations graves et systématiques de ces droits, de façon ouverte ou camouflée.

Il lui demande comment le gouvernement français peut, en liaison avec nos partenaires européens, user de son influence pour faire cesser ces pratiques et promouvoir un respect effectif des engagements internationaux pris par les Etats en matière de droits de l'homme.

La parole est à M. Jacques Pelletier, auteur de la question.

M. Jacques Pelletier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est une très grande satisfaction pour le groupe d'études des droits de l'homme, que j'ai l'honneur de présider, que les problèmes liés aux droits de l'homme fassent aujourd'hui l'objet d'un débat au Sénat.

Le groupe d'études des droits de l'homme du Sénat rassemble des parlementaires de toutes tendances qui souhaitent réfléchir à l'approfondissement et à la diffusion des valeurs fondamentales et universelles qui sont à la base de toutes les démocraties et de tous les Etats de droit.

Il n'est bien sûr pas possible d'aborder dans le temps imparti à ce débat les nombreux aspects du sujet. C'est pourquoi nous avons choisi de parler ce matin des questions internationales.

Nous espérons vivement, monsieur le président, que la conférence des présidents décidera, d'ici à la fin de l'année, d'organiser une autre séance consacrée à la discussion d'une question orale en présence de M. le ministre de l'intérieur et de M. le ministre de la justice, qui portera sur les problèmes rencontrés en France.

Incontestablement, les droits de l'homme sont universellement reconnus : de nombreuses conventions internationales les proclament solennellement et prévoient leur mise en application. Mais, si peu d'Etats refusent ces principes, peu d'Etats les respectent complètement.

La vigilance est plus que jamais justifiée. Sans prétendre à l'exhaustivité dans un domaine où, malheureusement, les manifestations sont d'une diversité inouïe, on peut relever qu'aux formes anciennes connues de détentions arbitraires, de tortures, d'assassinats, de traitements dégradants, de privation des droits politiques ou des libertés fondamentales se sont ajoutées des formes particulièrement inquiétantes par leur caractère systématique et délibéré, comme la disparition forcée des personnes, les déplacements massifs de populations ou les tortures médicalisées.

Nombreux - trop nombreux ! - sont encore les Etats pour lesquels la torture est un élément naturel du pouvoir. Des milliers de prisonniers sont placés en détention sans inculpation ni procès. Ils se voient refuser tout moyen de se justifier, voire de connaître ce qu'on leur reproche.

Dans nombre d'Etats, des hommes et des femmes sont ainsi privés de liberté du seul fait de leur origine, de leurs convictions, de leur race, de leur couleur ou de leur préférence sexuelle, comme ce fut le cas récemment en Egypte.

La question, monsieur le ministre, est de savoir comment le Gouvernement, avec l'appui unanime du Parlement, peut agir pour que la France, conformément à sa vocation historique - rappelons-nous la Déclaration de 1789 ou l'oeuvre de René Cassin ! - contribue à ce que les droits de l'homme soient plus respectés dans les relations internationales et que les bienfaits de ces droits fondamentaux profitent à plus d'hommes et de femmes dans le monde.

Malgré le nombre et la qualité des orateurs qui me suivront, il ne nous sera pas possible de dénoncer ici toutes les atteintes aux droits de l'homme, car ce serait, hélas ! beaucoup trop long.

Mme Danielle Bidard-Reydet parlera entre autres de la Palestine, Mme Nicole Borvo des méthodes employées dans la lutte contre le terrorisme, Mme Yolande Boyer de la situation des femmes, qui sont souvent les premières victimes de la violation des droits de l'homme, M. Fernand Demilly des droits de l'homme dans les pays de l'Est, Mme Jacqueline Gourault du trafic des êtres humains, M. Jean Faure de la situation en Afrique et dans l'océan Indien, et M. Jacques Legendre s'exprimera sur l'Afrique et formulera des propositions à propos du problème des enfants soldats, enfin, M. Robert Del Picchia parlera des droits élémentaires des parlementaires, qui sont parfois je dirais même assez souvent violés, et M. Alain Vasselle de la situation très difficile qui prévaut au Tibet.

Bien évidemment, mes collègues ne se cantonneront pas aux sujets que je viens d'évoquer.

Il aurait été nécessaire de parler également du Soudan, qui continue à être dévasté par une effroyable guerre civile dans l'indifférence générale, du sous-continent indien, où tous les prémices d'une guerre de religion sont présents, de l'Algérie, où depuis de trop nombreuses années des massacres injustifiables et impunis sont perpétrés, mais aussi des « narco-pays », où une part importante du territoire, et donc de la population, est soumise à la seule autorité brutale des trafiquants de drogue.

Je pense à cet égard à la Colombie, où tous les ans des milliers de personnes kidnappées disparaissent. Permettez-moi d'avoir une pensée particulière pour Ingrid Betancourt, dont on est sans nouvelles depuis trop longtemps. Nous formons tous des voeux pour que cette femme courageuse retrouve le plus rapidement possible la liberté.

M. Robert Del Picchia. Très bien !

M. Jacques Pelletier. En ce qui concerne l'Irak, monsieur le ministre, nous sommes en plein accord avec la position française. Il n'est pas possible en effet d'envisager une guerre sans l'aval de l'ONU, conduite unilatéralement par les Etats-Unis contre ce pays. Qui souffrirait d'une telle guerre ? Evidemment, les populations civiles. Nous devons donc faire tout notre possible - ce à quoi s'adonne le Gouvernement, et je l'en félicite - pour que cette position soit respectée.

La situation en Tchétchénie est également très préoccupante car tous les Tchétchènes ne sont pas des terroristes. Ce malheureux pays est victime d'une répression aveugle et brutale conduite par des soldats qui me semblent mal formés, mal payés et mal encadrés. Le comité des Nations unies contre la torture a violemment dénoncé les violations des droits de l'homme dans ce pays.

Il faut que les autorités russes facilitent le travail des organismes internationaux chargés d'enquêter sur le respect des droits de l'homme. Elles doivent aussi faciliter l'accès aux populations civiles des organisations humanitaires qui sont présentes sur place et qui ont beaucoup de difficultés à accomplir leur mission.

Par ailleurs, il faut que la population tchétchène, qui a cherché refuge en Ingouchie, soit près de 150 000 personnes, soit protégée et aidée et que, conformément à l'article 3 de la convention de Genève de 1949, il n'y ait aucun déplacement forcé de population.

Et que dire de la peine de mort, encore en vigueur dans de nombreux pays ! Je pense à la Chine, où ont lieu des exécutions publiques - comme cela se faisait chez nous il y a un peu plus de deux siècles -, à l'Arabie saoudite ou aux Etats-Unis. A ce propos, je tiens à saluer l'attitude courageuse de George Bryan, gouverneur de l'Illinois, qui a commué en peines de prison à vie toutes les condamnations à mort en attente d'exécution dans son Etat. Je crois qu'une telle attitude peut faire avancer le problème aux Etats-Unis. En tout cas, monsieur le ministre, nous devons faire pression toujours et partout en faveur de l'abolition de la peine de mort.

L'actualité, que vous me permettrez de qualifier de « tragi-comique », m'amène aussi à vous interroger, monsieur le ministre, sur la crédibilité de la commission des droits de l'homme de l'ONU à partir du moment où celle-ci est présidée par la représentante de la Libye, pays qui n'est pas spécialement connu pour être un ardent défenseur des droits de l'homme.

Ne pouvant pas énumérer et décrire toutes les violations des droits fondamentaux des êtres humains qui existent actuellement dans le monde, je voudrais, si vous me le permettez, réfléchir avec vous sur les fondements et les moyens d'une politique vigoureuse et efficace de la France en faveur des droits de l'homme.

L'équilibre est en effet difficile à trouver entre une incantation théorique, souvent inutile ou hypocrite, et l'efficacité.

La souveraineté nationale reste encore le fondement des rapports entre Etats. S'il est indispensable que la France rappelle toujours et partout l'absolue nécessité du respect des droits de l'homme, il faut aussi s'éloigner des méthodes trop directives que les pays dominants ont parfois eu tendance à employer.

L'Occident, qui pense avoir gagné la guerre froide, ne voit plus de limite à son ascendant et, à cause de sa supériorité technique, a tendance à vouloir imposer partout sa vision des choses.

Or l'époque où beaucoup d'Européens étaient persuadés de leur « devoir de civilisation » est révolue. Il n'est plus possible - ce n'est ni souhaitable ni efficace - de plaquer, dans tous les pays, un schéma unique d'organisation politique perçu par nous comme parfait.

Il ne s'agit, bien entendu, ni de dire que certaines populations ne sont pas faites pour la démocratie ni de justifier des régimes autoritaires qui essaient d'étouffer les aspirations à la démocratie de leur peuple. Mais rappelons-nous notre histoire : notre démocratie ne s'est pas faite en un jour ; nous l'avons construite pierre après pierre.

M. Pierre Fauchon. Et ce n'est pas fini !

M. Jacques Pelletier. Il y a eu des progrès, des retours en arrière ; ce n'est pas un processus linéaire.

Comme le président Mitterrand l'avait proclamé en 1990, lors de la conférence France-Afrique qui eut lieu à La Baule, l'important est que chaque gouvernement soit déterminé à progresser vers un Etat plus démocratique en empruntant ses propres voies pour y accéder.

Plutôt qu'imposer un schéma de l'extérieur, il faut identifier les forces internes des pays qui se battent pour instaurer l'Etat de droit et les aider à développer leur influence. Rappelons-nous la belle phrase d'Albert Camus : « Un peuple qui veut vivre n'attend pas qu'on lui apporte la liberté, il la prend. »

Il faut savoir accompagner les processus si on veut les accélérer sans les faire « capoter ». Pour cela, il existe des techniques, que votre ministère, monsieur le ministre, met en oeuvre.

Prenons deux exemples.

Les collectivités locales sont des espaces où la démocratie s'apprend et s'exprime naturellement et facilement. La coopération française doit donc multiplier les projets d'aide à la création et au soutien des collectivités locales.

De même, au lieu de critiquer de l'extérieur les mauvaises conditions dans lesquelles se déroulent parfois les élections dans certains pays, aidons-les à se doter des outils techniques nécessaires.

C'est ainsi que la France a contribué, en Mauritanie, à l'élaboration d'un service d'état civil efficace, indispensable à l'établissement de listes électorales fiables. Développons ce type de projets qui permettent à la démocratie de s'épanouir.

Dans ses rapports avec les pays étrangers et dans les accords internationaux, la France doit donc manier avec prudence les clauses de conditionnalité ou les sanctions : elle doit encourager et inciter sans bloquer, exiger des avancées réalisables sans provoquer d'explosion.

Disposer d'une administration, d'une justice, d'une police, d'une armée formées et efficaces est évidemment un préalable indispensable à l'existence d'un Etat de droit, seul capable de protéger les droits de l'homme, en particulier pour les plus faibles. A ce titre, la restauration des fonctions régaliennes de l'Etat devrait être une priorité absolue de la coopération française et européenne.

Il est également important de veiller à ce que les nécessaires efforts d'ajustements financiers demandés par les organisations internationales ne conduisent pas à un effondrement des structures étatiques. Empêchons la répétition du mauvais scénario argentin !

Par ailleurs, j'espère très sincèrement que les Ivoiriens vont très rapidement trouver, au cours de la conférence qui se tient actuellement, les voies et les moyens permettant de recréer un Etat dans lequel l'ensemble de la population se reconnaîtra, de façon que ce pays connaisse de nouveau la paix et le développement.

Si l'établissement de l'Etat de droit est un préalable indispensable, force est aussi d'admettre qu'il existe une interdépendance étroite entre droits de l'homme et développement.

Comme le proclame l'article 3 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, le premier droit de tout individu est le « droit à la vie ».

Les nombreuses populations qui disposent à peine de deux dollars de revenu par jour, qui sont ravagées par des épidémies, qui ne peuvent accéder à l'eau potable, qui sont éloignées de toute structure médicale et qui souffrent de famine ou de malnutrition ne jouissent pas des droits de l'homme, quelles que soient les structures politiques qui les encadrent.

L'illettrisme, le manque de formation, l'insalubrité de l'habitat sont autant d'atteintes inadmissibles à la dignité humaine.

Le développement économique et social demeure le facteur essentiel de transformation des sociétés. Nous nous réjouissons donc que notre aide publique au développement se remette à croître et nous espérons que, rapidement, conformément aux engagements du Président de la République, elle atteindra 0,7 % du PNB.

Le droit d'avoir un environnement sain est bien sûr aussi un droit fondamental pour tout être humain. Il faut donc violemment dénoncer les grandes entreprises qui, au mépris des conventions internationales, se débarrassent de leurs déchets polluants et dangereux dans des pays pauvres, où l'ignorance des populations ou la corruption des administrations rendent possible un stockage à bas coût, qui compromettra pour de nombreuses années leur environnement et leur développement.

La France doit se doter de moyens pour que ses entreprises ne participent pas à ce commerce honteux et pour pouvoir dénoncer ceux qui le pratiquent.

Je ne voudrais pas terminer mon propos sans saluer les personnes bénévoles, souvent de modestes citoyens animés par leur foi dans le perfectionnement de l'homme, qui agissent au jour le jour, parfois en prenant de grands risques, pour faire progresser les droits de l'homme au sein de grandes organisations telles que Amnesty International, la LICRA - la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme -, la Ligue des droits de l'homme et bien d'autres. Je tiens à ce que ces hommes et ces femmes sachent combien nous apprécions et soutenons leur combat.

La démocratie et le respect des droits de l'homme sont des processus au démarrage difficile et au développement plus ou moins rapide, mettant en jeu tous les facteurs de changement, qu'ils soient économiques, sociaux ou culturels.

Même si nous savons que ce combat est sans fin, il est de notre dignité de parlementaires de faire progresser les choses.

Sans être péremptoires dans nos jugements ni dogmatiques dans nos prescriptions, nous devons être clairs dans nos mises en garde, pressants dans nos demandes et constructifs dans nos coopérations.

M. Robert Badinter rappelait hier, avec son grand talent, que la haine n'est pas une constante de l'histoire. Nous pouvons montrer aux nombreux pays qui se déchirent aujourd'hui à travers le monde l'exemple de la réconciliation franco-allemande, ravivée en ce moment même par la célébration du quarantième anniversaire du traité de l'Elysée.

Depuis 1789, la promotion et la défense des droits de l'homme sont au coeur de la politique étrangère de la France.

Pouvez-vous, monsieur le ministre, indiquer au Sénat comment vous comptez apporter, avec le soutien unanime de la représentation nationale, votre pierre à cet édifice qui vise, comme le rappelle le préambule de la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948, « à l'avènement d'un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère » ? (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault.

Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à féliciter notre ami le président Jacques Pelletier pour son excellente initiative.

On peut dire en ce début de siècle, que les libertés fondamentales d'expression et de déplacement ont sans aucun doute progressé. Le rideau de fer a disparu ; le système démocratique s'est imposé dans le plus grand nombre de pays, les tentatives d'hégémonie raciale ou ethnique ont été jugulées ou vaincues par la communauté internationale dans certains pays, par exemple en Afrique du Sud et en ex-Yougoslavie.

Cependant, paradoxalement, certaines atteintes aux droits de l'homme ont connu une dramatique expansion. L'apparition de nouveaux réseaux mafieux en Europe, favorisée par l'ouverture des frontières, est à l'origine de l'exploitation de milliers de femmes et d'enfants. Le développement des moyens modernes de communication favorise la criminalité pédophile. Le travail des enfants, que l'on croyait révolu dans le monde développé, réapparaît dans un pays comme l'Argentine, touchée de plein fouet par la crise économique.

Vous l'aurez compris, mon propos sera axé sur les droits de l'enfant et de la femme.

En raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, l'enfant a besoin d'une protection juridique appropriée, avant comme après sa naissance. Cette nécessité a été énoncée dès 1924 dans la déclaration de Genève sur les droits de l'enfant, puis confirmée par la Déclaration universelle des droits de l'homme.

Le 10 novembre 1989, l'assemblée générale de l'ONU approuvait à l'unanimité la convention sur les droits de l'enfant, donnant ainsi un nouveau départ à l'action, pour le respect et la protection des mineurs, en vue d'un développement intégral des potentialités de l'homme, dès l'aube de son existence, dans un climat de dignité, de liberté et de justice.

En effet, cette convention ne se contente pas d'énoncer des principes : elle constitue un lien juridique pour les pays qui l'ont ratifiée. Elle tend à répertorier, d'une manière plus complète que par le passé, toute la gamme des droits qui doivent être reconnus aux enfants et, en même temps, elle désigne les instruments propres à les protéger et à les promouvoir.

Deux types de droits sont reconnus aux enfants : le droit à une éducation gratuite et obligatoire, au moins au niveau des classes élémentaires, et la protection contre toute forme d'exploitation.

Par ailleurs, la commission des droits de l'homme de l'ONU est à l'origine de deux protocoles facultatifs concernant l'engagement d'enfants dans les conflits armés et la vente, la prostitution et la pornographie impliquant des enfants, ainsi que les mesures de base nécessaires pour prévenir et éliminer ces pratiques.

Le fait d'abuser d'enfants ou de les exploiter sexuellement à des fins commerciales est un crime grave, et il est ressenti comme tel par l'opinion publique parce qu'un être est saccagé dans ce qu'il a de plus authentique : son innocence.

Dans le monde, on compte en outre par dizaines de milliers les enfants qui sont utilisés comme soldats dans les conflits armés. Les structures politiques et sociales de pays ravagés par des conflits internes ont éclaté. Les familles sont démembrées et les enfants se retrouvent souvent orphelins ou abandonnés.

Dans ces situations, ils deviennent particulièrement vulnérables et leur recrutement pour les combats n'en est que plus facile. S'il est vrai que certains d'entre eux sont enrôlés de force ou contraints par des menaces contre leurs proches ou leurs parents, il est non moins vrai que d'autres adhèrent « volontairement », parce qu'ils croient qu'ils seront protégés, qu'ils auront la nourriture nécessaire ou encore parce qu'ils sont alléchés par des promesses d'éducation, d'argent ou d'un futur meilleur.

Les conséquences sont dramatiques : ces jeunes êtres sont privés de l'enfance et de l'éducation normales auxquelles ils auraient droit. Ils apprennent à tuer, ils sont dressés à l'agressivité, sont confrontés tous les jours à une violence qu'ils sont obligés de subir. Ils n'ont ni relations affectives, ni lieux pour se réfugier.

L'adoption de deux protocoles facultatifs est avant tout une réponse adéquate aux exigences de clarté et de justice en faveur de toutes ces victimes, mais aussi un geste de solidarité et de sympathie, un sursaut éthique rappelant à la société qu'elle doit protéger et soutenir par tous les moyens la personnalité encore fragile de l'enfant, au lieu de le maltraiter, de le violenter ou d'abuser de sa vulnérabilité.

Il faut sans doute aller plus loin. Ainsi, s'agissant de la pédophilie, une meilleure coopération entre la police et la justice de certains Etats - je pense en particulier aux Etats-Unis, à la France et à la Grande-Bretagne - a permis le démantèlement d'un certain nombre de réseaux diffusant des documents à caractère pornographique sur Internet mettant en scène des enfants : preuve que, au-delà des mots et des engagements, des actions concrètes à l'échelon international peuvent être efficaces. Il faut absolument les renforcer.

Pour ce qui est des femmes, je centrerai mon propos sur la prostitution.

Le constat est lourd en ce domaine. Parce que la prostitution constitue une atteinte faite à la dignité et, plus profondément, à la liberté des femmes, les engagements internationaux en ce domaine me semblent devoir être étudiés avec attention.

La prostitution, qui relevait autrefois d'une problématique strictement nationale, a changé de nature en changeant d'échelle. En effet, sans entrer dans le débat général sur la prostitution, on peut dire sans se tromper que, désormais, cette activité est de plus en plus aux mains de réseaux mafieux et se transforme en une nouvelle forme d'esclavage.

Elle s'inscrit désormais dans le cadre des flux et réseaux qui traversent nos sociétés et qui sont devenus transnationaux.

Un seul chiffre est déjà révélateur : depuis 1999, les jeunes femmes étrangères offrant des services sexuels représentent plus de la moitié du nombre total de prostituées, alors que leur proportion était inférieure à 30 % il y a quelques années.

Ces réseaux fondent souvent leur développement sur la violence pour s'assurer d'une obéissance sans faille des prostituées : viols, menaces sur la famille, confiscation des papiers d'identité. On assiste parfois même à des systèmes de « vente » de certaines femmes et, donc, à la résurgence d'une véritable filière de traite d'êtres humains.

Ce recrutement souvent violent, tant physiquement que moralement, explique pour une large part le faible taux de « sortie » des victimes de ces filières.

Le caractère esclavagiste et international de ces organisations n'est donc plus à prouver.

Le nombre de ses victimes dans le monde dépasserait les quatre millions de personnes et 300 000 femmes venues de l'Est se prostitueraient actuellement au sein de l'Europe occidentale.

Enfin, les réseaux de prostitution sont devenus de gigantesques organisations criminelles internationales qui mêlent trafic de drogue, trafic d'armes et blanchiment d'argent sale.

Fort heureusement, le développement sans précédent et particulièrement alarmant des trafics à fins d'exploitation sexuelle a conduit les organisations internationales - ONU, Union européenne, Conseil de l'Europe - à prendre des initiatives pour lutter contre ce type de traitement fait aux humains.

Au sein de l'Union européenne, la lutte contre les réseaux de proxénétisme est menée dans le cadre du pilier « justice et affaires intérieures ».

Une action commune relative à la lutte contre la traite des êtres humains et l'exploitation sexuelle des enfants a été adoptée en février 1997 par le Conseil européen. Les Etats membres ont accepté à cette occasion de revoir leur droit pénal de manière à ériger certains comportements en infractions pénales et à favoriser la coopération judiciaire.

A la suite du traité d'Amsterdam, dont l'article 29 fait expressément référence à la traite des êtres humains et aux crimes commis sur des enfants, Europol a vu son champ de compétence étendu et devrait voir, à l'avenir, son rôle renforcé.

Son pouvoir de coordination sera accru et cet organisme pourra participer aux équipes d'enquête conjointe prévues par la Convention d'entraide judiciaire en matière pénale. Il sera, par exemple, possible à des enquêteurs français de travailler en utilisant la procédure allemande en coopération avec des experts d'Europol dans le cadre d'une enquête globale menée dans l'espace européen.

A l'échelon international, les premiers grands textes internationaux sur la traite des femmes datent du début du xxe siècle : l'arrangement international de 1904 en vue d'assurer une protection efficace contre le trafic criminel, connu sous le nom de traite des blanches, la convention internationale de 1910 relative à la répression de la traite des blanches la convention internationale de 1921 pour la répression de la traite des femmes et des enfants et, enfin, la convention de 1933, pour la répression de la traite des femmes majeures.

Mais le texte fondateur en ce domaine date de la convention de l'Organisation des Nations unies du 2 décembre 1949 pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui.

Cette convention internationale, qui fait partie des grands textes de l'après-guerre sur les droits de l'homme et qui a d'ailleurs été signée un an seulement après la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, aura été la première à porter dans son préambule un jugement de valeur négatif sur la prostitution : « la prostitution et le mal qui l'accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine et mettent en danger le bien-être de l'individu, de la famille et de la communauté ».

Elle considère la traite comme une conséquence de la prostitution et pénalise, dans ses articles 1er à 4, le proxénétisme.

Elle n'a été ratifiée que par soixante-douze pays, mais l'article 6 de la convention de 1979 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, qui a obtenu la ratification de cent cinquante Etats, a repris sa philosophie.

Plus récemment, lors des négociations de Vienne sur la convention relative à la criminalité transnationale organisée, qui ont eu lieu entre les mois de janvier 1999 et de décembre 2000, la France a de nouveau refusé que soient introduits, dans le protocole sur la traite des personnes, en particulier des femmes, de nouveaux termes qui auraient pu faire régresser les normes universelles des droits humains.

Pour autant, en l'absence de protocoles contraignants, la convention de 1949 a progressivement été attaquée sur la scène internationale. Des pays ont en effet cherché, dans la période récente, à faire admettre par la communauté internationale que la prostitution était acceptable dans certains cas.

A l'échelon européen, si l'on peut se féliciter de la volonté commune de lutter contre ces formes renouvelées d'atteinte aux droits de l'homme, ont doit constater que les politiques actuellement à l'oeuvre ne semblent pas suffisamment efficaces.

Ainsi, la lutte contre la prostitution, parce qu'elle nécessite une coordination de différentes politiques - l'immigration, la protection des victimes ou encore la lutte contre la criminalité - est une politique difficile. De même, les approches différentes entre les Etats sur les activités de prostitution constituent des éléments de blocage vis-à-vis de nouvelles avancées.

Il me semble que, compte tenu de conceptions très différentes d'un Etat à l'autre sur le statut à accorder aux enfants ou sur la prostitution, l'adoption de mesures concrètes en ces domaines reste un véritable défi.

C'est à l'objectif de convergence dans nos approches que nous devons désormais nous attacher pour mieux faire partager notre préoccupation constante s'agissant du respect des droits de l'homme. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Fernand Demilly.

M. Fernand Demilly. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, mon propos concerne les droits de l'homme en Europe de l'Est.

Tout a déjà été dit sur l'attachement de notre pays et de nos partenaires de l'Union européenne aux valeurs fondamentales exprimées dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen. Je ne reviendrai donc pas sur la légitimité de nos grands principes humanistes, que nous voulons universels.

Si la notion de respect des droits de l'homme est largement acquise dans les différents Etats d'Europe de l'Ouest, il en va différemment dans certains pays autrefois « soviétiformes » et aujourd'hui candidats à l'adhésion à l'Union européenne.

Ce débat est donc pour nous l'occasion privilégiée de renouer avec les valeurs morales et politiques de l'esprit et de la philosophie de la Déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen.

L'échec historique de la doctrine collectiviste et de sa mise en application n'est pas dû uniquement à l'épuisement de ses ressources économiques et politiques, il est aussi dû au système, qui voulait faire coexister le progrès social et la violence et qui imposa l'oppression comme mode de vie.

Face à l'histoire tragique ces quarante dernières années dans les Balkans, la Déclaration universelle des droits de l'homme reste un des repères moraux les plus importants. Depuis quinze ans, elle est même devenue la référence incontournable en matière de droits et de dignité de l'homme.

En dehors de quelques pays de l'ancien système reconvertis en néo-démocraties - je pense à l'ex-fédération yougoslave, à l'Albanie et à la Roumanie - les hommes politiques d'Europe de l'Est ont progressivement entraîné leurs pays vers une normalisation des rapports internationaux par la signature et la ratification de toutes les conventions internationales et de tous les accords régionaux relatifs au respect des droits de l'homme et des grands principes fondamentaux. Cependant, tous ces efforts seraient vains si le cloisonnement des personnes à l'intérieur de barrières arbitraire, limitait le droit de communiquer avec le reste du monde, en particulier avec l'Occident.

Ainsi, en matière de droit à la libre circulation des personnes, la chute du mur de Berlin n'a pas toujours changé les restrictions subies par certains ressortissants d'Europe de l'Est. Certes, les droits d'un individu s'arrêtent là où commencent ceux de l'autre et chaque Etat doit défendre ses propres citoyens. Pourtant, les régimes restrictifs des visas n'entravent pas réellement les agissements mafieux du crime organisé, surtout ceux qui portent atteinte au respect de la femme et aux droits de l'enfant. En fait, ces régimes ne portent atteinte qu'aux libertés des personnes hautement qualifiées : scientifiques, artistes et étudiants.

Un haut commissaire des Nations unies aux droits de l'homme déclarait récemment : « Un monde dans lequel les droits économiques, sociaux et culturels sont négligés ne saurait demeurer longtemps un monde où s'épanouissent les droits civils et politiques. Les hypothèses fondamentales qui servent d'assise au régime international des droits de l'homme risquent donc de s'effondrer si l'on n'adopte pas une ligne de conduite équilibrée. » Je suis pour ma part convaincu qu'il existe une étroite corrélation entre la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels et le droit au développement et au respect des droits civils et politiques.

Mes chers collègues, la communauté internationale sait que, dans le cadre du maintien de l'ordre et de la lutte contre la grande délinquance, les pays d'Europe de l'Est sont régulièrement entachés par des actes constituant des violations des droits de l'homme. Il peut s'agir de déplacements de populations, de non-respect des minorités, d'actes de torture pratiqués sur des personnes physiques. Ces pratiques, désormais condamnées par le droit international, sont généralement dues à l'héritage de régimes autoritaires où les services de police et les méthodes utilisées pour faire appliquer la loi ne rencontraient aucune limite.

C'est pourquoi je me félicite que, ces dernières années, des séminaires aient été organisés en Pologne, en Roumanie et en Bulgarie pour former les officiers de police au respect des principes fondamentaux des droits de l'homme.

Ainsi, en 1998, en Roumanie, un projet a été mis en place afin d'améliorer la prévention et la protection des victimes, de rédiger une nouvelle législation destinée à réformer le système carcéral roumain, d'octroyer des cours de formation pour la direction et le personnel des prisons, d'améliorer la formation des magistrats et du personnel auxiliaire des tribunaux, de modifier le code de procédure pénale roumain et d'établir une nouvelle législation visant à éliminer toutes les formes de discrimination.

De même, en Bulgarie, un centre d'assistance aux victimes de la torture est parvenu, dès 1995, à faire modifier la législation et le comportement de certains agents de l'Etat en prévenant la pratique de la torture et les agissements abusifs de ces agents et en fournissant une réhabilitation médicale aux personnes ayant effectivement subi la torture.

Enfin, mes chers collègues, permettez-moi d'attirer votre attention sur un problème complexe, celui des droits de l'environnement, qui sont maintenant aussi essentiels que les droits politiques et sociaux. La crise écologique que connaît le bloc de l'Est, y compris la Russie, est le théâtre de la dégradation des conditions naturelles de la vie de millions de personnes.

Durant les années du totalitarisme, peu de gens connaissaient l'état réel de l'équilibre écologique. Or les gouvernements actuels ont hérité de rivières et de lacs pollués, de mers mortes, de terres infestées par les déchets miniers et d'un air vicié par la radioactivité. La fin de ces régimes a permis la création de mouvements et d'organisations écologiques. Souvent, ces organisations ont stimulé le processus démocratique dans toute l'Europe orientale.

Une conséquence bien palpable de cette démarche est l'adoption, en 1990, au sein de la Constitution bulgare, de dispositions visant à assurer un environnement sain et à reconnaître le droit à l'information en matière d'environnement. Tenter de résoudre les problèmes environnementaux en Europe de l'Est participe ainsi et aussi au cheminement vers la démocratie.

Mais, malgré les progrès d'ensemble observés depuis quelques années en Europe de l'Est, nous devons rester lucides. Là où la communauté internationale n'a pas su ou pu trouver de solutions durables aux différents conflits interethniques et aux atteintes portées à l'intégrité de certaines minorités, dans les Balkans, en Russie même, là où la liberté d'expression et l'économie nationale sont menacées par la corruption et le crime organisé, les principes proclamés par la Déclaration des droits de l'homme sont encore bafoués.

Certes, la torture est en nette régression, mais la liberté d'expression est souvent maltraitée, des opposants sont parfois réduits au silence et, dans certains de ces pays, l'égalité entre les hommes et les femmes n'est qu'une façade.

Partout dans le monde, là où le totalitarisme survit, il est synonyme d'atteintes graves au respect de la personne humaine. Le combat pour les droits de l'être humain y est toujours d'une violente actualité.

Ce combat est aussi un combat économique, tout simplement parce que les droits civils, politiques, sociaux et économiques forment un tout indivisible.

Chacun sait que la guerre, la misère et le manque de développement sont de mauvais terreaux pour les libertés essentielles. C'est pourquoi, monsieur le ministre, notre pays aura a coeur d'aider ces pays, bien souvent de culture commune, à participer à leur épanouissement et, à terme, à leut intégration au sein de l'Union européenne. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Yolande Boyer.

Mme Yolande Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d'abord remercier notre collègue Jacques Pelletier pour l'opportunité qu'il nous donne aujourd'hui de nous exprimer sur la question des droits humains. Son action continue, notamment au sein du groupe « droits de l'homme » du Sénat, est précieuse.

En préalable à mon intervention générale, je souhaite, au nom du groupe socialiste, revenir sur une question qui a surgi au coeur de l'actualité des institutions internationales ces derniers jours et que vous avez évoquée dans votre propos, monsieur Pelletier. Je veux parler de l'accession de la Libye à la présidence de la prochaine session de la commission des droits de l'homme qui se déroulera à Genève, du 17 mars au 25 avril prochains.

Pourrions-nous avoir des indications sur l'attitude que compte adopter la France lors de la prochaine session de la commission, notamment sur la stratégie concertée avec ses partenaires européens ?

M. Raymond Courrière. Très bien !

Mme Yolande Boyer. En effet, les pays européens membres de la commission des droits de l'homme en 2003 - Autriche, Belgique, Allemagne, Irlande, Suède et Grande-Bretagne - se sont abstenus lors du vote du 20 janvier pour l'élection du président. Cette attitude nous choque. La France et ses partenaires européens comptent-ils, à cette occasion, inviter la Libye à prendre des engagements fermes en matière de droits de l'homme ? Cette commission, mécanisme important des Nations unies, reste, à ce jour, la principale instance intergouvernementale accessible aux victimes de violations de droits de l'homme. Nous devons soutenir son travail, nous devons inviter le plus grand nombre de pays qui le souhaitent à faire entendre la voix des victimes en cette occasion. La façon dont les choses se présentent est malheureusement bien inquiétante. C'est la crédibilité de l'ONU qui est en jeu.

J'en viens maintenant à l'essentiel de mon propos. Notre collègue Jacques Pelletier a ouvert par cette question un vaste champ recouvrant de nombreux textes concernant la défense et le respect des droits de l'homme. Pour ma part, je préfère d'ailleurs utiliser l'expression « droits humains », qui me semble mieux répondre à la volonté d'exprimer ces droits pour les hommes et les femmes.

Au nom du groupe socialiste je parlerai exclusivement des droits des femmes.

Parmi les atteintes majeures aux droits humains constatées de par le monde, la situation des femmes est très souvent effrayante. L'avancée des droits, parfois constatée dans certains pays, ne commence jamais par l'examen de la situation des femmes.

La plupart du temps, elles sont malheureusement les dernières à bénéficier du progrès, et ce dans tous les domaines : accès à l'école, travaux difficiles, non-accès au marché du travail, exploitation, subordination permanente, violences domestiques, non-accès aux soins. La liste est, hélas ! bien trop longue.

Les thèmes d'inquiétudes ne manquent pas. L'action menée par l'ONU pour donner une idée exacte de la situation réelle des femmes dans le monde a permis d'établir certaines statistiques, qui sont alarmantes, sur les inégalités économiques et sociales entre les femmes et les hommes. Sur 1,3 milliard d'êtres humains vivant dans la pauvreté, 70 % sont des femmes !

« L'égalité entre la femme et l'homme est une question de droits de la personne et une condition de la justice sociale, elle est aussi une condition préalable, nécessaire et fondamentale de l'égalité, du développement et de la paix. » Ces propos, tenus lors de la Conférence internationale sur la population et le développement en 1994, posent bien la problématique et l'enjeu.

J'en viens à l'état de la législation internationale. Permettez-moi de rappeler deux dates importantes.

Tout d'abord, 1945, avec l'adoption générale de la charte des Nations unies. L'égalité des femmes et des hommes est admise en tant que principe fondamental de la personne.

Ensuite, 1979 : la communauté internationale décide de tenter d'éliminer la discrimination sexuelle qui s'exerce contre les femmes en adoptant la CEDEF, la convention pour l'élimination de toutes formes de discrimination à l'égard des femmes.

Il s'agit du traité international le plus complet en matière de droits fondamentaux des femmes. Il établit l'obligation, légalement contraignante, de mettre fin à la discrimination. Il comptait 168 parties contractantes en 2000.

La CEDEF est considérée comme la charte internationale des droits des femmes ; elle prévoit l'égalité dans l'exercice de tous les droits : civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. La discrimination à l'égard des femmes doit être éliminée par des mesures législatives, par des politiques et des programmes et par des mesures temporaires spéciales propres à accélérer l'avènement de l'égalité entre les sexes, mesures qui sont définies comme non discriminatoires et que l'on qualifie habituellement de discriminations positives.

Les dispositions principales de cette convention sont les suivantes.

Premièrement, les Etats parties sont tenus d'éliminer toutes les formes de discrimination et d'assurer l'égalité avec les hommes dans la vie politique et dans tous les autres domaines : nationalité, éducation, emploi, santé, vie économique et sociale.

Deuxièmement, les Etats sont également tenus d'éliminer la discrimination dans le mariage et la vie familiale, et de s'assurer que la femme est l'égale de l'homme devant la loi.

Troisièmement, les Etats parties doivent également tenir compte des problèmes particuliers qui se posent aux femmes en milieu rural.

La convention est également le seul traité relatif aux droits humains à affirmer les droits des femmes en matière de procréation. En outre, elle fait obligation aux Etats parties de modifier les comportements sociaux et culturels ainsi que les conceptions stéréotypées des rôles de l'homme et de la femme, afin d'éliminer préjugés, coutumes et toutes autres pratiques fondées sur l'idée d'une supériorité ou d'une infériorité de l'un ou l'autre sexe.

Elle institue par ailleurs un organe de contrôle, le comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, qui est composé de vingt-trois experts indépendants. Le comité a pour mandat d'examiner les rapports que lui remettent les Etats parties et de faire des propositions et des recommandations d'ordre général sur la base de ces rapports. Il adresse ses suggestions à l'ensemble du système des Nations unies et ses recommandations générales aux Etats parties.

Je citerai un autre exemple de l'évolution du droit international en la matière. La Cour pénale internationale, lors d'une conférence en 1998, a ajouté à sa définition de crime de guerre un statut contre les auteurs de crimes sexuels, aux termes duquel le viol, l'esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse forcée, la stérilisation forcée et d'autres formes de violence sexuelle constituent de « graves violations », selon les termes des conventions de Genève contre les crimes de guerre.

Ainsi, à l'heure actuelle, de nombreux textes, conventions et protocoles existent. Les principes sont très clairs, mais, du principe à la réalité, de conférence en protocole, où en est-on ?

Monsieur le ministre, quel est l'état actuel la de ratification de la convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes ? Quelles sont les mesures envisagées par le Gouvernement français pour amener les pays « récalcitrants » vers une ratification prochaine ? Les conflits entraînant souvent pour les femmes des situations particulières de violation de leurs droits, quelles sont les actions envisagées par le Gouvernement pour faire progresser le droit international ? Enfin, quelle peut-être l'action de l'Union européenne ?

J'ajouterai que la France peut jouer une rôle fondamental dans le cadre de la francophonie. Plusieurs organismes, soutenus par notre pays, proposent différents programmes d'action. Les objectifs sont principalement l'amélioration du statut de la femme, la lutte contre les mutilations génitales féminines, l'intégration des femmes aux processus de développemment socio-économique.

Un objectif particulier est également poursuivi : la santé des femmes et la lutte contre le sida.

Ces actions doivent être évaluées et leur impact analysé. Quels sont les résultats de l'appel public à propositions lancé par l'Agence intergouvernementale de la francophonie en 2002 ? Quel est le montant des subventions ? Quel type de programmes et d'actions ont été choisis et quels sont les pays concernés par ces programmes ?

Au-delà des idées, au-delà des textes, au-delà des manifestations volontaristes, il y a des faits. Je souhaite ici évoquer quelques-uns de ces faits qui illustrent une situation grave.

Pour donner une note positive, je veux tout d'abord rappeler qu'au cours de cette dernières décennie la violence à l'égard des femmes a été reconnue comme une violation des droits humains. C'est un progrès, car, auparavant, la communauté internationale considérait la violence à l'égard des femmes comme une affaire privée entre individus, et non comme un problème relevant des humains et donc du domaine public, nécessitant des réponses de la part des gouvernements et de la communauté internationale. L'élimination de la violence à l'égard des femmes a d'ailleurs constitué l'un des thèmes les plus importants de la quatrième conférence mondiale sur les femmes, qui s'est tenue à Pékin en 1995.

Dans de nombreux pays, les droits des femmes à disposer de leur vie sont totalement niés. Certains pays sont coutumiers d'atteintes manifestes au droit des femmes à disposer de leur corps : atteintes corporelles, mutilations y sont monnaie courante, et le contrôle de la natalité y est proscrit. Rares sont ceux qui permettent aux femmes de s'exprimer dans la société, notamment dans la vie politique.

J'ai choisi trois exemples concrets pour illustrer ces propos.

Le premier exemple concerne le droit des femmes à disposer de leur vie et à jouir de leur liberté.

Human Rights Watch, dans un récent rapport intitulé : « Nous voulons vivre comme des être humains : répression des femmes et des filles dans l'ouest de l'Afghanistan », insiste sur les mesures de restriction de plus en plus sévères imposées aux femmes et aux jeunes filles par un gouverneur local de l'ouest de l'Afghanistan qui a pourtant bénéficié d'une assistance militaire et financière des Etats-Unis.

Human Rights Watch rapporte que la situation est symptomatique de ce qui se passe à travers le pays, que les femmes et les filles sont victimes de nouvelles limitations dans plusieurs autres régions du pays, et affirme : « Beaucoup de gens en dehors du pays pensent que les femmes et les filles ont recouvré leurs droits. C'est tout simplement faux. » Et ce n'est là qu'une source parmi d'autres.

Face à ces constats, monsieur le ministre, quelles peuvent être les contributions de la France et de l'Europe à l'administration de transition afghane à Kaboul et aux institutions naissantes qui pourraient permettre de prendre des mesures urgentes en faveur de femmes d'Af-ghanistan ?

Le deuxième exemple concerne le droit des femmes à disposer de leur corps. Les mutilations génitales féminines, communément appelées excisions, qui perdurent aujourd'hui à grande échelle dans plus de vingt-cinq pays sont intolérables. Selon les chiffres de l'Organisation mondiale de la santé, l'OMS, plus de 130 millions de femmes et d'enfants sont victimes dans le monde de tels sévices. La plupart des pays dans lesquels ils se produisent ont pourtant ratifié les instruments internationaux existants en matière de droits humains. Monsieur le ministre, quelles sont les actions menées par la France en la matière et comment pensez-vous faire avancer ce sujet sur le plan européen ? N'oublions pas non plus qu'un certain nombre de femmes et d'enfants subissent également de telles mutilations en France !

Certaines régions du Nigeria sont malheureusement exemplaires en matière de non-respect du droit des femmes à disposer de leur corps. Je vous avais interrogé, monsieur le ministre, sur le cas d'Amina Lawal, condamnée à être lapidée. La cour a prononcé cette sentence après avoir déclaré la jeune femme coupable d'avoir eu des relations sexuelles avant le mariage, déniant ainsi aux femmes le moindre droit à contrôler leur autonomie sexuelle. Vous m'avez répondu dans le courant du mois de décembre, ce dont je vous remercie, mais je souhaiterais, à l'occasion de cette discussion, savoir si vous êtes en possession d'éléments nouveaux sur ce dossier.

La contraception et le contrôle des naissances sont également un combat sans cesse à recommencer à l'échelon international. J'appelle votre attention, monsieur le ministre, sur l'attitude adoptée par les Etats-Unis en matière d'octroi d'aides aux plannings familiaux. Le président Bush impose en effet ses propres convictions aux femmes des pays en voie de développement en interdisant l'aide du gouvernement américain aux organisations de planification familiale appuyant l'avortement. Pourtant, dans nombre de pays, les plannings aident justement à prévenir les avortements par des politiques adaptées et préservent ainsi la santé des femmes. De telles politiques obscurantistes et aveugles condamnent malheureusement un grand nombre de ces femmes.

Le troisième exemple concerne le droit des femmes à exister dans la vie publique et politique.

Je souhaite aborder un cas que vous avez vous-même évoqué, monsieur le président, et qui me tient particulièrement à coeur, celui de la sénatrice colombienne Ingrid Betancourt. C'est un témoignage très personnel, puisque je connais Ingrid Betancourt et que son combat me touche.

Jeune femme de courage dans un pays de violence en proie à la guérilla, à la corruption et au trafic de drogue, elle a osé dire, elle a osé s'opposer, elle a osé dénoncer. Elle s'est lancée dans la campagne présidentielle.

Depuis qu'elle a été enlevée par les Forces armées révolutionnaires de Colombie, les FARC, en pleine campagne électorale, le 23 février 2002, ses proches sont sans nouvelles d'elle.

A l'occasion d'un séjour du groupe d'amitié France-Amérique du Sud du Sénat, nous avons eu l'occasion de rencontrer sa mère et sa soeur. Puis, au nom du groupe socialiste, j'ai rencontré son mari à Paris.

Les pressions internationales se multiplient. Elles ne doivent pas faiblir, car Ingrid Betancourt est devenue un symbole : elle représente les milliers d'otages de ce pays, les nombreux élus qui sont enlevés et parfois sauvagement assassinés.

S'émouvoir et dénoncer l'absence ou la carence dans la reconnaissance des droits des hommes et des femmes dans le monde met aussi inévitablement en exergue les décalages entre le droit français et le droit de certains pays auquel nos concitoyens se rendant à l'étranger peuvent se trouver confrontés, voire dont ils peuvent être les victimes.

La question du soutien de la nation à ces personnes est récurrente. Si l'information faite aux voyageurs et aux personnes résidant à l'étranger par les services du ministère des affaires étrangères est une réalité, l'assistance à ces personnes peut parfois poser question.

A titre d'exemple, ma collègue Mme Monique Cerisier-ben Guiga, sénatrice représentant les Français établis hors de France, manifestait récemment sa très vive préoccupation à l'égard de Mme Touria Tiouli, actuellement détenue à Dubaï.

Effectivement, si le respect et la préservation des relations s'imposent à notre diplomatie, il n'en demeure pas moins que l'assistance à porter à toute concitoyenne et à tout concitoyen en difficulté ne semble pas faire l'objet d'une procédure automatique. Certes, les autorités françaises ont effectué plusieurs interventions ayant abouti à la remise en liberté de l'intéressé, mais de nombreuses questions restent en suspens.

Enfin, je tiens particulièrement à ce que nous n'oubliions jamais que la possibilité de faire des remarques à nombre de pays concernant les droits humains, spécialement les droits des femmes, appelle de notre part à une action nationale exemplaire. Ce n'est malheureusement pas toujours le cas.

Je m'interroge notamment sur les mesures qui sont en discussion concernant les prostituées, particulièrement étrangères. Je souhaite aussi attirer l'attention sur la situation de nombreuses femmes issues des banlieues, pour qui la liberté n'est pas toujours une réalité. Enfin, je n'oublie pas non plus les statistiques sur les violences domestiques. La France a encore des progrès à faire !

Pour conclure, je vais citer l'un de nos illustres prédécesseurs, Victor Hugo - nous venons de célébrer le bicentenaire de sa naissance -, qui a été l'un des plus farouches défenseurs des droits humains. Ecoutons ce qu'il écrivait en 1872 à Léon Richer, rédacteur en chef de L'Avenir des femmes.

« Nous philosophes, nous contemplateurs de l'idéal social, ne nous lassons pas, continuons notre oeuvre. Etudions toutes ses faces et, avec une bonne volonté croissante, ce pathétique problème de la femme dont la solution résoudrait presque la question sociale tout entière.

« L'homme à lui seul n'est pas l'homme, l'homme plus la femme, plus l'enfant, cette créature une et triple constitue la vraie unité humaine. Toute l'organisation sociale doit découler de là. Assurer le droit de l'homme sous cette triple forme, tel doit être le but de cette providence d'en bas que nous appelons la loi. » (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo.

Mme Nicole Borvo. Je voudrais, moi aussi, remercier M. Jacques Pelletier d'avoir persévéré, il faut le dire, pour que nous puissions avoir ce débat sur les droits de l'homme.

Je centrerai mon propos sur le terrorisme et le respect de ces droits.

L'horreur perpétrée le 11 septembre 2001 a profondément marqué le monde et confirmé combien le terrorisme, apparu ce jour-là dans son expression extrême, nie la civilisation, l'humanité. Il faut absolument le combattre sans la moindre ambiguïté. Aucune cause, aucun désespoir ne peut justifier le massacre d'innocents, l'atteinte absolue à l'être humain !

Cela ne saurait cependant nous faire oublier le terreau qu'offre ce monde, où existent les potentialités pour chaque être humain de vivre décemment, mais où la majeure partie de l'humanité subit les pires souffrances, un monde de plus en plus militarisé, unipolaire, dominé par une superpuissance économique et militaire.

Face à des actes aussi ignobles que les actes terroristes - dont les auteurs, je le rappelle, ont souvent été abrités par ces mêmes pays qui les condamnent -, la force des démocraties réside dans le respect des valeurs fondamentales qu'elles se sont forgées, dans celui du droit. Elle est dans le regard qu'elles portent, en toute transparence, sur elles-mêmes et sur la marche du monde.

De nombreux textes - tant les principes fondateurs de l'ONU, comme la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 ; que les nombreuses dispositions ultérieures, comme la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discriminations raciales de 1965, le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et le pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, ou encore les textes adoptés par le Conseil de l'Europe, comme la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales de 1950, ou encore les nombreux protocoles additionnels ultérieurs, comme la charte des droits fondamentaux de Nice - tous ces textes demeurent des fondements sur lesquels la communauté internationale doit continuer à se reconnaître pour contribuer à bâtir un monde capable d'opposer à la barbarie non pas la vengeance, mais la justice. Sans cela, il ne peut y avoir ni stabilité politique ni progrès économique et social.

Or, sous couvert de lutte contre le terrorisme, les Etats-Unis légitiment aujourd'hui pour le monde la mise en cause de pans entiers de liberté, de démocraties et de citoyenneté. Ils le font non seulement en Tchétchénie, avec la violence que l'on connaît, mais aussi partout, insidieusement. Les militants interpellés à Gênes ne sont-ils pas passibles d'être jugés pour terrorisme dans l'Italie de Berlusconi ?

La superpuissance américaine se comporte en gendarme du monde, cherche à imposer partout sa domination, « aidant » ici un pays, favorisant ailleurs tensions et conflits.

Elle s'arroge le droit de décider seule du sort des peuples, de qui peut ou non détenir des armes. Mais, quand l'amitié change de camp, elle fait la guerre aux ex-amis devenus, pour la circonstance, « Etats voyous ». C'est ainsi qu'elle a décidé de bombarder l'Afghanistan, faisant de nombreuses victimes.

En n'exigeant pas du Gouvernement israélien l'application des décisions de l'ONU, elle accroît l'humiliation, les souffrances du peuple palestinien. Ma collègue Mme Danielle Bidard-Reydet en parlera.

Aujourd'hui, les Etats-Unis veulent attaquer à nouveau l'Irak, alors que, sous la dictature sanglante de Saddam Hussein, l'embargo a aggravé la situation de plus de 20 millions d'Irakiens et que la guerre du Golfe a tué de 170 000 à 250 000 personnes.

Et 150 000 soldats sont sur le pied de guerre, prêts à déclencher un engrenage dont personne ne peut aujourd'hui prévoir les conséquences, tant pour la région que pour le monde entier.

En réalité, chacun le sait, l'enjeu véritable, c'est l'accès au deuxième plus grand champ pétrolifère du monde.

L'écrivain John Le Carré évoque un « accès de folie ». Il écrit ceci : « La réaction au 11 septembre doit dépasser les espoirs les plus fous d'Oussama : comme à l'époque de McCarthy, les droits et les libertés publiques que le monde entier envie à l'Amérique se voient systématiquement grignotés. »

Car, si les droits des peuples sont bafoués, ceux des individus le sont aussi, surtout s'ils ont le malheur d'être d'origine étrangère, donc a priori complices de « l'Axe du mal ». Le Patriot Act fait des victimes.

Les coupables des atrocités du 11 septembre doivent être recherchés, jugés, condamnés. Mais c'est le respect du droit qui donnera force et légitimité aux jugements.

C'est pourquoi j'ai soutenu les parlementaires américains engagés contre la création de tribunaux militaires d'exception pour juger les ressortissants étrangers.

Quant aux prisonniers de Guantanamo, qui comptent parmi eux un journaliste de la chaîne du Qatar, Al-Jazira, leurs conditions de détention ont provoqué une grande émotion.

Au mépris des dispositions de la convention de Genève, les Etats-Unis ont inventé pour eux seuls un nouveau statut : ni prisonniers de guerre ni prisonniers de droit commun, mais combattants illégaux. Où est alors leur droit à un procès équitable ? Et je ne compte pas les quelques centaines de détenus par l'armée américaine sur le sol afghan.

Il y aussi Zacarias Moussaoui, à propos duquel, revenant sur la décision de son prédécesseur, le gouvernement français collabore avec les autorités américaines. Pourtant, Zacarias Moussaoui risque la peine de mort, qui plus est sur le fondement d'une intention de tuer et non d'un passage à l'acte. Le condamner à mort dans ces conditions constituerait un dangereux précédent. D'autant qu'il est aujourd'hui question qu'il soit jugé par un tribunal militaire, à huis clos.

Ainsi, le combat pour les droits de l'homme est partout plus actuel que jamais.

Alors, quand, ici même en France, de bons esprits, et jusqu'à un ministre de la République, fustigent le « droit-de-l'hommisme », expression créée par l'extrême droite, permettez-moi d'être inquiète.

Il est plus que jamais nécessaire de favoriser le « vivre ensemble », dans le monde comme dans nos villes ou dans nos quartiers. Tout ce qui divise le rejet de l'étranger ou de l'autre, ne peut qu'alimenter les tensions.

C'est pourquoi les dispositions stigmatisantes du projet de loi pour la sécurité intérieure sont inquiétantes, comme le sont les annonces faites par M. Sarkozy en matière de droit d'asile. Les autorités rendront-elles compte des deux morts de Roissy ? La logique à l'oeuvre ne manquera pas de peser sur notre rapport avec les citoyens issus de l'immigration.

Il est pourtant dans les valeurs, dans les traditions de notre pays d'être une terre de dialogue entre les peuples.

Permettez-moi, pour finir, de citer Irène Khan, secrétaire générale d'Amnesty International : « Les droits humains ne doivent pas être sacrifiés sur l'autel de la sécurité. »

Notre pays se réclame souvent de son histoire de patrie des droits de l'homme. Nombreux sont ceux qui, dans le monde, veulent continuer à compter sur la France pour faire prévaloir le droit sur la force et pour défendre leurs libertés.

Pour assumer et mériter cette confiance, il est de notre devoir de faire prévaloir la logique du droit dans notre propre pays. C'est la raison pour laquelle le groupe CRC s'oppose avec détermination à l'orientation de plus en plus sécuritaire de la politique actuelle. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle.

M. Alain Vasselle. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de remercier M. Jacques Pelletier d'avoir pris cette heureuse initiative. Je sais combien il est sensible à toutes ces questions relatives aux droits de l'homme, une sensibilité que partagent tous les membres de la Haute Assemblée ; les propos tenus par les orateurs qui m'ont précédé en portent témoignage.

Je tiens également à vous remercier, monsieur le ministre, d'avoir accepté que cette question orale avec débat soit inscrite à l'ordre du jour de nos travaux de ce matin.

Intervenant notamment au nom de mon collègue Louis de Broissia, président du groupe d'amitié France-Tibet, je vous rappelle que le Tibet connaît, depuis des décennies, une situation particulièrement difficile.

Le groupe sénatorial d'information sur le Tibet, que je représente aujourd'hui en tant que vice-président, est ravi de pouvoir interroger aujourd'hui le Gouvernement sur la situation actuelle du Tibet, en particulier sur la politique que conduit la France à l'égard de ce pays et de ce peuple.

Avant de vous interroger, monsieur le ministre, permettez-moi de rappeler à la Haute Assemblée la situation du Tibet et de son peuple.

Depuis l'invasion chinoise de 1950, c'est-à-dire depuis plus de cinquante ans, le Tibet vit sous l'oppression visible de la Chine, qui mène une politique de sinisation particulièrement violente à l'égard des Tibétains, sous le couvert d'une lutte contre des forces féodales ou religieuses.

La répression chinoise s'est accentuée en 1959 consécutivement au soulèvement national du peuple tibétain et au départ en exil du Dalaï Lama. Depuis cette date, le gouvernement tibétain en exil estime à plus de 1 million - sur un total de 6 millions - le nombre de Tibétains morts directement ou indirectement des suites de l'occupation chinoise.

La politique chinoise au Tibet, consiste à faire disparaître une culture, une religion, une nation tout entière. Les violations constantes des droits fondamentaux de la personne humaine, la migration massive de colons chinois - qui sont majoritaires au Tibet, puisqu'ils sont aujourd'hui entre 8 et 9 millions -, les politiques coercitives de contrôle démographiques - l'avortement et la stérilisation forcées -, la sinisation de l'enseignement, la destruction du patrimoine culturel, l'interdiction de pratiquer la religion bouddhique, les attaques répétées à l'encontre de l'autorité spirituelle du Dalaï Lama - prix Nobel de la paix en 1989, je le rappelle -, les atteintes contre l'environnement, sont autant de griefs que l'on peut opposer aux autorités chinoises.

A cet égard, la commission internationale de juristes, organisation non gouvernementale basée à Genève, a publié trois rapports sur le Tibet. Dans le dernier, elle constate que la répression a augmenté tout particulièrement depuis les années quatre-vingt-dix, que la torture des détenus s'est généralisée et que la liberté d'expression est sévèrement limitée.

Combien de prisonniers politiques, en grande majorité des moines et des nonnes, condamnés lourdement et torturés, sont-ils emprisonnés dans les prisons chinoises au Tibet pour avoir voulu pratiquer leur religion et refuser de dénigrer leur chef spirituel ?

La violation des droits de l'homme et l'aggravation inquiétante de la situation sont telles que les Tibétains comparent cette période à une seconde « révolution culturelle ».

Nous respectons la République populaire de Chine. C'est pourquoi, au sein des groupes parlementaires consacrés au Tibet, nous lui demandons d'agir en tant que telle et de cesser cette politique inacceptable à l'égard d'un peuple éminemment pacifique, politique qui n'est pas digne de ce grand pays. Telle est la mission des parlementaires engagés en faveur de cette cause.

Ainsi souhaitons-nous contribuer à faire connaître la cause tibétaine au Parlement - dans ses aspects tant territorial et national qu'humain et spirituel trop souvent occultés en raison d'impératifs économiques, il faut bien l'avouer, monsieur le ministre -, mais aussi à alerter les pouvoirs publics chaque fois que les intérêts et les libertés du Tibet sont visiblement menacés, à soutenir les projets qui oeuvrent réellement en faveur du développement économique et culturel et du respect de la liberté religieuse et politique du Tibet.

Notre engagement en faveur du peuple tibétain est marqué par notre volonté que se noue rapidement un dialogue ouvert entre les autorités chinoises et les représentants du Dalaï Lama.

L'action des parlementaires français est accompagnée, sur le plan européen, par nombre de groupes parlementaires, notamment par l'intergroupe Tibet constitué au sein du Parlement européen, avec lequel nous partageons une communauté de vues sur les actions à mener auprès des autorités de nos pays respectifs, des institutions européennes et de la communauté internationale.

L'intergroupe Tibet a permis l'adoption au Parlement européen de plusieurs résolutions, dont celle du 11 avril 2002 qui, après l'instauration du poste de coordinateur spécial pour le Tibet aux Etats-Unis, a pour objet la désignation spécifique d'un représentant de l'Union européenne, et celle du 6 juillet 2002 exprimant notre voeu que, si des négociations n'étaient pas ouvertes rapidement entre les autorités chinoises et les représentants du Dalaï Lama, le gouvernement tibétain en exil soit officiellement reconnu par les gouvernements de l'Union européenne.

Permettez-moi de vous rappeler que ce gouvernement, élu par les représentants de l'Assemblée des députés du peuple tibétain a été voulu par le Dalaï Lama, qui souhaite poursuivre la démocratisation de la politique tibétaine.

Monsieur le ministre, nous voulons non seulement incriminer la Chine, mais également mettre en cause le silence des nations à ce sujet. Cependant, notre message est clair : la République populaire de Chine doit cesser ces violations répétées aux droits de l'homme si elle veut tenir sa place au sein de la communauté internationale. Nous ne demandons pas l'indépendance pour le Tibet, mais nous soutenons les demandes du Dalaï Lama qui, conformément au principe fondamental du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, prône le droit à l'autodétermination pour les Tibétains et réclame l'autonomie du Tibet.

La Chine doit faire des gestes pour prouver à la communauté internationale sa volonté de faire évoluer sa politique au Tibet. La visite d'une délégation de représentants du Dalaï Lama en Chine, la récente libération de cette jeune nonne, Ngawang Sangdrol, torturée pendant de nombreuses années dans les geôles chinoises au Tibet et qui se trouve aujourd'hui dans un état de santé préoccupant, étaient encore récemment, sans aucun doute, des signes, timides mais encourageants.

Saluant ces avancées, le gouvernement tibétain en exil avait demandé aux associations qui militent à travers le monde de ne plus prendre à partie la Chine, afin de contribuer à détendre le climat politique.

Malheureusement, la Chine n'a pas poursuivi dans cette voie. En effet, nous avons appris, à la fin de l'année 2002, la condamnation à mort de deux religieux tibétains en faveur desquels les groupes parlementaires européens sont intervenus. Nous attendons,, d'ailleurs avec impatience des informations sur leur situation. J'espère, monsieur le ministre, que vous pourrez nous en donner.

Ainsi, les différents témoignages que nous avons obtenus dans nos enceintes parlementaires et les documentaires que nous avons visionnés sont concordants pour dénoncer l'attitude coercitive de la politique chinoise au Tibet : détentions abusives - permettez-moi d'avoir ici une pensée pour ce jeune dignitaire de treize ans, le Panchen Lama, retenu depuis près de sept ans avec sa famille dans un lieu tenu secret -, tortures, interdiction de s'exprimer librement, interdiction d'exercer une pratique religieuse, destruction quasi systématique des monastères, et j'en passe.

La France et la communauté internationale ne peuvent accepter qu'un partenaire incontournable comme la Chine persiste dans une politique qu'elles ne cessent de dénoncer avec force.

Face à cette situation dramatique, la France et l'Union européenne privilégient la voie dite du « dialogue critique » avec Pékin, méthode qui, aujourd'hui, a montré ses limites en ne donnant que peu de résultats.

Si, à l'évidence, cette politique ne doit pas être abandonnée, il convient d'examiner d'autres voies. Dans ce domaine, la France a un rôle important à jouer au sein même des instances internationales pour mettre la Chine devant ses responsabilités au regard du respect des droits de l'homme au Tibet.

La France et l'Union européenne doivent continuer à apporter leur soutien, afin de faciliter l'ouverture de négociations entre les autorités chinoises et le Dalaï Lama.

Je sais, monsieur le ministre, que notre pays est attentif à la situation du Tibet et de son peuple. Aussi pourriez-vous nous indiquer la position française sur la question tibétaine et les intentions du Gouvernement pour qu'enfin un véritable dialogue puisse s'établir entre les parties en présence.

Quelles initiatives avez-vous l'intention de prendre, au niveau tant européen qu'international, afin de sensibiliser nos partenaires à agir au-delà d'un dialogue critique sans lendemain avec la Chine ?

Le peuple tibétain devra-t-il encore, et pour combien de temps, rester un peuple sacrifié ? A quand la reconnaissance du gouvernement tibétain en exil par l'Union européenne ?

Monsieur le ministre, la France et les Tibétains vous écoutent. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Danielle Bidard-Reydet.

Mme Danielle Bidard-Reydet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après la Seconde Guerre mondiale et les atrocités subies par des millions d'êtres humains, la communauté internationale a voulu empêcher à tout jamais le renouvellement d'une telle barbarie. Elle a fait sienne l'analyse visionnaire de Henri Lacordaire, prédicateur à Notre-Dame, qui déclarait, dans les années 1830 : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. »

Une série de textes a complété la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen proclamée au xviiie siècle. Aujourd'hui, le problème réside dans leur non-application, et la situation au Moyen-Orient en est l'illustration.

En novembre 1947, la résolution 181 de l'ONU disposait : « Le mandat pour la Palestine prendra fin le 1er août 1948 au plus tard (...). Les Etats indépendants arabe et juif commenceront d'exister. » L'Etat d'Israël a été proclamé dès mai 1948 ; l'Etat palestinien n'existe toujours pas.

En décembre 1948, la Déclaration universelle des droits de l'homme était adoptée et définissait, dans ses trente articles, les droits civiques, politiques et sociaux.

En août 1949, dans ses 159 articles, la IVe Convention de Genève s'attachait à la protection des personnes civiles en temps de guerre.

En novembre 1967, la résolution 242 de l'ONU exigeait « le retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit ». Après l'espoir d'un règlement politique défini à Oslo en 1993, la situation s'est considérablement détériorée. L'armée israélienne continue d'occuper les territoires palestiniens, l'extension des colonies n'a jamais cessé et, depuis peu, un mur de séparation entre Israéliens et Palestiniens est en cours de construction. Le président de l'Autorité palestinienne est prisonnier dans son propre pays.

Une mission de la commission des affaires étrangères du Sénat s'est rendue sur place en mars 2002 et a constaté que les droits de l'homme ne sont plus respectés.

Le droit de circulation est annulé par les bouclages systématiques, les check-points, les couvre-feux.

Le droit de propriété est bafoué par les expropriations, les destructions de maisons, l'arrachage des agrumes et des oliviers.

Les droits à l'éducation, à la santé et au travail sont devenus quasi inexistants. Le chômage frappe de 50 % à 80 % des Palestiniens ; la moitié d'entre eux vivent en dessous du seuil de pauvreté ; beaucoup d'enfants sont atteints de malnutrition.

Devant ce constat, où toute reprise du dialogue direct semblait plus éloignée que jamais, la commission concluait à l'urgence d'un engagement international pour dépasser ce blocage. Elle proposait la convocation d'une conférence internationale, ainsi qu'une présence d'observation, d'interposition ou de sécurisation. Rien n'a été concrétisé.

Aujourd'hui, la spirale des violences quotidiennes touche toutes les familles israéliennes et palestiniennes.

Si le peuple palestinien, spolié, meurtri, continue, dans sa majorité, à espérer l'application du droit international, le peuple israélien vit dans la crainte et la peur d'attentats imprévisibles. Le peuple israélien est conscient que son système politique, en se militarisant à l'extrême, risque de fragiliser ses valeurs sociales et démocratiques et de mettre en cause sa démarche d'humanité ; dans sa majorité, il aspire à un règlement politique.

L'avenir d'Israël ne peut être sécurisé et conforté que dans un environnement apaisé et moyennant l'établissement de rapports de partenariat avec ses voisins, notamment l'Etat palestinien. La communauté internationale a l'ardente obligation d'inciter à ce dénouement, en faisant respecter les engagements qui ont été souscrits.

L'Union européenne, par son histoire et les liens qui l'attachent au Moyen-Orient, peut jouer un rôle essentiel. Pour cela, il lui faut être crédible en se faisant respecter. Ayant des devoirs de solidarité et de coopération avec les peuples de la région, l'Union a aussi des droits : droit de vérifier l'utilisation des fonds versés, droit de réagir quand les infrastructures qu'elle a financées sont systématiquement détruites, droit pour ses délégations d'être traitées avec considération, droit de faire appliquer toutes les clauses des accords qu'elle a conclus.

Dans une résolution adoptée le 10 avril 2002, le Parlement européen, constatant la tragédie humaine vécue par les Israéliens et par les Palestiniens, appuyant les résolutions du Conseil de sécurité, a demandé à la Commission et au Conseil européens de suspendre l'accord d'association entre l'Union et Israël.

Ce vote majoritaire était un signal d'alarme devant le non-respect, par le gouvernement israélien, des engagements internationaux pris en matière de droits de l'homme. A ce jour, rien n'est encore décidé.

Pour se faire respecter et arrêter l'engrenage infernal, l'Union européenne ne peut plus rester silencieuse. Elle doit avoir le courage politique d'appliquer ses propres décisions. C'est une question de morale, une question de justice. Nous souhaitons que le Gouvernement fasse sienne cette démarche.

Aujourd'hui, on assiste, sur le plan international, à un véritable bras de fer historique opposant deux conceptions : l'une repose sur le respect des règles établies par l'ensemble de la communauté internationale sur la valeur des droits des êtres humains ; l'autre repose sur l'emploi de la force au service des intérêts particuliers d'un pays qui se veut hégémonique. Cela concerne l'Irak, mais aussi le Proche-Orient.

Les communistes veulent soutenir de toutes leurs forces le respect du droit international, seule voie pour établir des relations civilisées entre les pays, seule voie pour construire la paix, le développement et la coopération. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre.

M. Jacques Legendre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il faut en effet féliciter notre collègue Jacques Pelletier de son heureuse initiative. Cependant, en organisant la discussion de cette question orale, nous prenons aujourd'hui collectivement le risque de nous livrer ici à un débat sans portée concrète, sur des valeurs auxquelles nous sommes pourtant profondément attachés et alors même que l'actualité des problèmes évoqués est brûlante. Nous pourrions donner l'impression ainsi de nous exonérer un peu facilement, au nom des grands principes, d'une action qui est finalement de la responsabilité et des parlementaires et du Gouvernement. Or notre pays est l'un des grands acteurs de la vie internationale.

L'exercice présent nous conduira évidemment à passer en revue les situations respectives de toute une série d'Etats de la planète. Cela ne doit pas pour autant nous pousser au scepticisme ou à la démission, et nous devons, au contraire, y trouver l'occasion d'exprimer la volonté farouche de voir notre pays intervenir concrètement pour mettre un terme à des abus.

J'évoquerai maintenant un sujet qui m'est cher, et je sais, monsieur le ministre, que vous partagez ma préoccupation.

Il y a moins de deux ans, l'assemblée parlementaire de la francophonie avait organisé, à Québec, le premier « Parlement des jeunes de la francophonie ». Nous avions tenu, à cette occasion, à avoir parmi nous un invité exceptionnel, un témoin, un grand écrivain ivoirien : je veux parler de M. Ahmadou Kourouma.

Dans son dernier livre, Allah n'est pas obligé, qui est une dénonciation du recours aux enfants soldats, l'auteur décrit, sans les nommer, la situation dans deux pays d'Afrique qui venaient alors d'être ravagés par une guerre civile inexpiable : la Sierra Leone et le Liberia. M. Ahmadou Kourouma n'avait pas imaginé que ces horreurs, ce recours à des enfants soldats, risquait, quelque temps plus tard, d'affecter son propre pays.

Certaines informations laissent en effet à penser que les parties en présence dans le drame ivoirien sont tentées également de mobiliser des enfants au service de leur cause.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, il doit être, dit, en ce moment et ici, que de telles pratiques sont intolérables. La France, qui fait actuellement un effort exemplaire - et nécessaire - pour aider à la résolution du conflit ivoirien, ne pourrait pas considérer comme partenaires ou comme susceptibles de participer au rétablissement d'un Etat de droit en Côte d'Ivoire des acteurs politiques qui se seraient laisser aller à mobiliser les enfants de leur propre pays au service de leur cause.

M. Emmanuel Hamel. Très bien !

M. Jacques Legendre. Il n'y a sans doute pas de crime plus grand que celui de salir l'enfance en la mettant au service des armes. On sait comment cela se passe ; on sait que cet embrigadement s'accompagne du recours à la drogue, du recours au meurtre auquel on pousse ces enfants pour rendre leur engagement irréversible et inéluctable. Voilà qui est totalement insupportable et qui doit être considéré comme un crime de guerre.

Je souhaite, monsieur le ministre, que vous puissiez nous rappeler la position de la France sur ce point et nous préciser de quelles inculpations relèveraient éventuellement ceux qui recourraient à de telles méthodes.

Je m'inquiétais à l'instant de la situation en Côte d'Ivoire, mais on sait malheureusement que de telles méthodes ont eu cours et ont cours encore dans d'autres pays, et pas seulement sur le continent africain.

Alors, pensons plutôt à ce que signifient les droits des enfants, non seulement leur protection concrète contre l'embrigadement dans des forces militaires ou paramilitaires, bien sûr, mais aussi, plus simplement, leur droit à la santé, leur droit à l'éducation, autrement dit leur droit à la vie.

Des assises consacrées précisément à la situation des systèmes éducatifs africains devaient se tenir en Côte d'Ivoire. Les événements ont fait - on le comprend - qu'elles n'ont pas pu avoir lieu à Abidjan comme prévu. Il faut souhaiter que, sur ce point, notre pays puisse participer avec les pays africains à la restauration de systèmes éducatifs qui connaissent actuellement de graves difficultés. Qu'y a-t-il, en effet, de plus important que de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour assurer aux jeunes de la planète la possibilité d'accéder au moins à une éducation de base ? On sait l'importance que, pour ma part, j'attache à la francophonie, et nous sommes ici nombreux à partager cet attachement. Mais qu'est-ce que la francophonie sinon la possibilité d'apprendre non seulement le français, mais également sa langue maternelle, de recevoir une éducation dans la langue de son pays, dans chaque pays du monde ? Qu'est-ce que la francophonie sinon le respect des valeurs humanistes fondamentales auxquelles la France a attaché son nom et auxquelles elle tient.

Si nous voulons éviter l'accusation d'hypocrisie, il nous faut veiller à ce que, dans cet univers francophone, notre pays soit engagé, et très concrètement, au service de ces valeurs auxquelles nous tenons pour nos propres enfants, dans notre propre pays.

J'ajoute après d'autres, monsieur le ministre, que nous attachons également beaucoup d'importance à une action concrète au service de la promotion de la femme. Au sein de l'assemblée parlementaire de la francophonie vient de se constituer un réseau des femmes parlementaires leur permettant de se concerter. Il s'agit, bien sûr, pour elles de faire progresser la participation des femmes aux décisions et au pouvoir dans leur pays, ce qui est, certes, très important, mais aussi, et surtout, de promouvoir, avant même cette participation au pouvoir, la simple possibilité pour de nombreuses femmes de par le monde de faire respecter leurs droits de citoyennes.

J'espère que ce réseau de femmes parlementaires pourra pleinement jouer son rôle. Sa première réunion se tiendra au début du mois de mars à Ouagadougou, au Burkina Faso. Nous savons que cette initiative a rencontré un écho très favorable en Afrique centrale et en Afrique de l'Ouest.

Je pourrais bien sûr évoquer d'autres sujets. Qu'il me suffise d'espérer que ce débat, aujourd'hui, aura montré combien nous sommes résolus à prendre une part active à la concrétisation des idéaux qui sont les nôtres. C'est ainsi que notre discussion aura connu toute son utilité. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Jean Faure.

M. Jean Faure. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d'abord, permettez-moi d'adresser des remerciements et des félicitations et de formuler un regret.

Je remercie notre ami Jacques Pelletier d'avoir permis la discussion de cette question orale avec débat, sur un sujet si important. Quant à vous, monsieur le ministre, je vous félicite : vous savez quelle estime je vous porte et quelles qualités vous avez, à mes yeux, pour occuper les fonctions que le Gouvernement vous a confiées. Enfin, je regrette de constater que, même si nos rangs se sont un peu étoffés au cours de la matinée, un sujet aussi important n'ait pu intéresser que si peu de participants.

En effet, notre assemblée a trop rarement l'occasion d'aborder de façon approfondie ces questions essentielles des droits de l'homme, des droits des femmes, et des enfants, bien sûr, du droit au développement, du droit à l'éducation, du droit à l'environnement, des droits politiques démocratiques, du droit à une justice impartiale, de la peine de mort, de la torture, de la condition des prisonniers.

Il est vrai que, l'actualité nationale et internationale étant très chargée, nous n'avons que peu de temps pour évoquer la situation de certains pays du monde et pour nous interroger sur ce que pourrait faire la France pour y faire progresser le respect des droits de l'homme.

Ce débat en est aujourd'hui l'occasion et, personnellement, je m'en réjouis, car il s'agit là de sujets qui me tiennent, comme à vous tous, particulièrement à coeur.

J'interviens avant tout en tant que président du groupe interparlementaire France-Madagascar et pays de l'océan Indien. Ce groupe, que j'ai fondé au sein de notre assemblée il y a près de dix-huit ans, rassemble un nombre important de nos collègues qui suivent, comme moi, avec beaucoup d'attention l'évolution des pays de la zone.

Or l'année 2002 a été fertile en événements, là-bas comme dans beaucoup d'autres zones d'Afrique. Cependant, à l'inverse d'autres régions, on peut dire que, globalement, les choses y évoluent bien. Je voudrais donc, monsieur le ministre, faire le point avec vous sur la situation de ces pays au regard de la démocratie et des droits de l'homme, puis évoquer un thème qui me paraît très important aujourd'hui, celui de l'implantation et du respect de l'Etat de droit.

Je sais, monsieur le ministre, que vous étiez au Kenya au début de la semaine. Ce pays vient de porter à sa tête un nouveau président, M. Mwai Kibaki, dans des conditions exemplaires. Tous les observateurs présents sur place ont souligné le caractère pacifique, libre et équitable des élections présidentielles et législatives qui ont eu lieu il y a quelques semaines.

Cette alternance politique réussie par le Kenya, qui est la condition d'une démocratie solide et durable, doit être soulignée comme un point très positif dans l'évolution actuelle du continent africain. Il faut notamment évoquer le sens des responsabilités dont ont fait preuve tant le peuple kenyan que les autres acteurs de la vie politique locale, faisant taire, une fois de plus, les commentaires et démentant les prévisions pessimistes de nombreux analystes de nos pays, qui semblent se complaire dans la description d'une Afrique condamnée à avancer sur la voie d'échecs inéluctables. Or, bien au contraire, cette réussite kenyane va renforcer le poids de ce pays dans la région et lui permettre, plus que jamais, d'apporter son appui aux forces de paix et de réconciliation, si nécessaires dans cette partie du monde. Elle va également nous inciter à accroître notre coopération, pour le bénéfice de tous.

Je pense en particulier au rôle important qu'ont joué le président sortant, M. Daniel Arap Moi, et son candidat malheureux de la KANU, la Kenya african national union, le parti dominant depuis l'indépendance du Kenya.

Au Mozambique, un pays résolument entré sur le chemin de la réconciliation, la volonté de démocratisation et d'ouverture permet de préparer dans un bon esprit les prochaines échéances électorales, les municipales en 2003 et les élections générales - présidentielle et législatives - en 2004. La volonté exprimée par le président Chissano de se retirer en 2004 témoigne du souci de préparer dans de bonnes conditions l'alternance politique ; il y a là une décision sage et courageuse, marquée par l'expérience qui est celle du président Chissano au service de son pays.

En Tanzanie aussi, les échéances électorales de l'année 2003 devraient voir le processus de démocratisation progresser.

Aux Comores, après des années très agitées, l'année 2002 a vu le processus de réconciliation nationale franchir une importante étape avec l'élection du président de l'Union des Comores. La situation n'est certes pas encore totalement acquise, mais les élections législatives devraient suivre. Elles seront essentielles pour tourner la page et permettre à l'archipel de revenir sur la voie du développement économique et social.

A Madagascar, enfin, 2002 aura également été une année d'alternance, une alternance, au final, réussie, mais non sans mal, comme je voudrais le rappeler en quelques mots.

Si le peuple malgache a montré une grande maturité lors de l'élection présidentielle de décembre 2001 - je rappelle que des millions de personnes ont défilé dans les rues de Tananarive sans incident notoire, pendant des mois -, il n'en a pas été de même de la part du pouvoir sortant et des diverses autorités alors en place. Toutes les vieilles « recettes » ont été utilisées : intimidations, menaces, manipulations, corruption, fausse propagande, campagnes de diffamation, utilisation indue de la force, mobilisation de réseaux à l'étranger, jusqu'au recours à une bande de mercenaires, qui sévissent, hélas ! aujourd'hui encore, ailleurs sur le continent.

Je tiens à préciser que, si de nombreuses victimes ont été à déplorer dans cette période, c'est uniquement en raison de la famine consécutive au blocus imposé à la capitale, et non à cause d'affrontements intervenus entre la population et l'armée.

Fort heureusement, le calme, la patience et la responsabilité de l'immense majorité du peuple malgache et de la nouvelle classe dirigeante ont permis une résolution pacifique mais au terme d'une crise de huit mois qui a dévasté une économie tout juste renaissante et enfoncé encore plus loin dans la misère un pays qui, plus que tout, espérait le changement.

Les élections législatives du 15 décembre dernier ont permis d'asseoir définitivement et sans aucune ambiguïté le pouvoir du président Marc Ravalomanana et de son gouvernement, mené par le Premier ministre Jacques Sylla. Il me semble que c'est une grande leçon pour nous, qui sommes enclins à en donner et je rappelle à ce propos la formule de Léopold Senghor : « La France, si prompte à dire le droit chemin, mais si habile à emprunter les sentiers tortueux ! »(Sourires.)

M. Emmanuel Hamel. Choisissez d'autres citations !

M. Jean Faure. C'est une phrase dure pour nous,...

M. Robert Bret. Mais elle est réaliste !

M. Jean Faure. ... mais la sagesse qu'a manifestée le peuple malgache dans ses choix et dans sa compréhension de la démocratie mérite d'être soulignée. (M. Jacques Peyrat marque son approbation.)

Après des décennies de mauvaise gouvernance, Madagascar est désormais confronté à une tâche immense : reconstruire un véritable Etat de droit. En effet, au-delà de la mise en place de programmes prioritaires en faveur de l'éducation et de la santé ou de la remise en état de nombreuses infrastructures de base, il s'agit aujourd'hui de lever tous les obstacles au redémarrage durable de l'activité économique, à l'arrivée d'investisseurs - je souligne à cet égard l'organisation, le 27 février prochain, au Sénat, d'une journée destinée aux investisseurs français - et à l'amorce - enfin ! - d'un véritable développement économique et social de l'île.

Comme vous le savez, les richesses naturelles et humaines de Madagascar sont grandes. Elles ont d'ailleurs fait l'objet de nombreuses convoitises au cours de ces dernières années, mais elles ont été plutôt pillées ou indûment exploitées que valorisées et développées : il faut inverser cette tendance. Beaucoup sont prêts à y contribuer, à commencer par nos 25 000 compatriotes qui habitent la Grande Ile, mais aussi de très nombreux Malgaches. Ils ont néanmoins tous besoin d'un cadre juridique solide, ce qui suppose l'existence de lois claires et stables, applicables à tous dans les mêmes conditions et appliquées de façon juste, égale et impartiale.

Le slogan adopté il y a un mois par la commission nationale malgache des droits de l'homme, à l'occasion du cinquante-quatrième anniversaire de la déclaration universelle des droits de l'homme - « le bon citoyen et le droit pour tous » -, traduit parfaitement cette préoccupation.

Pour atteindre cet objectif, il faut instaurer une plus grande transparence dans les procédures institutionnelles et administratives, entamer une lutte sans merci contre la corruption, favoriser une revalorisation de la justice, qui doit devenir réellement indépendante. Je rappelle que la corruption et le manque de justice sont aujourd'hui de véritables gangrènes pour l'appareil administratif de l'Etat malgache.

Il faut s'engager dans une remise à plat de tous les textes, notamment de ceux qui concernent le droit des affaires. Il faut rétablir la confiance du peuple, des acteurs économiques et des investisseurs dans l'Etat malgache et dans ses divers intervenants, à tous les échelons du pouvoir.

Cela suppose bien évidemment une très forte volonté politique, mais également des moyens matériels et financiers.

Tant le président, Marc Ravalomanana, que le Premier ministre, Jacques Sylla, ont manifesté leur profond désir de susciter ces changements à Madagascar, et ce rapidement.

Les institutions internationales ont entendu cet appel ; mais nous, Français, avons une responsabilité particulière, d'abord pour des raisons historiques, mais aussi dans la mesure où nous sommes, depuis longtemps, le premier bailleur de fonds de la Grande Ile. Il est donc essentiel que nous, parlementaires, mais vous aussi, monsieur le ministre, et le Gouvernement tout entier, soyons très présents pour encourager ce processus d'établissement de l'Etat de droit et que nous y consacrions les moyens nécessaires.

Madagascar est l'exemple que je choisis pour illustrer cette dimension particulière des droits de l'homme qu'est le respect de la primauté du droit. Mais il s'agit naturellement d'une priorité à mettre en oeuvre dans tous les pays, notamment sur le continent africain, car seul l'établissement d'un véritable Etat de droit, avec un ordre juridique clair et stable, une justice indépendante et impartiale, des forces de l'ordre compétentes et loyales, une administration honnête et transparente, peut permettre tant un développement économique durable que la défense de tous les autres droits de l'homme.

Monsieur le ministre, je sais que vous partagez avec moi cette idée que la construction d'un Etat de droit est une priorité dans le combat pour les droits de l'homme. Il me semble en effet que c'est le seul moyen d'asseoir véritablement la démocratie dans un pays, objectif dont nous nous réclamons tous depuis maintenant de nombreuses années mais qui manque encore souvent de traductions ou d'engagements concrets.

Pouvez-vous nous indiquer dans quelle mesure cette question est également une priorité pour votre ministère et quels sont les moyens que vous y consacrerez ? Pouvez-vous nous donner des exemples de projets concrets et de réussites ? Quels efforts consentons-nous pour défendre cet objectif dans les enceintes internationales ? Quelle y est notre position ? Comment nous situons-nous par rapport à nos partenaires européens ?

La France, je le rappelle, est le premier contributeur européen en termes d'aide et de coopération ; sommes-nous aussi influents que notre générosité financière nous permettrait de l'être, notamment sur ces questions ?

Enfin, qu'envisagez-vous plus spécifiquement pour Madagascar, monsieur le ministre ? Il y a urgence à aider la Grande Ile !

Vous connaissez, mes chers collègues, mon engagement en faveur de ce pays : j'y assure une présence constante depuis dix-huit ans, et j'apporte un appui sans faille au nouveau pouvoir, en particulier au président Ravalomanana, porteur d'un immense espoir pour les populations.

Nous ne pouvons plus perdre de temps. Allons-nous apporter un soutien significatif et rapide à la remise en ordre de la justice et de la police de ce pays, à la remise à plat de ses textes, seuls moyens d'encourager son développement durable et de montrer à nos compatriotes installés là-bas que nous ne les oublions pas ?

Pour sa part, le Sénat est prêt à apporter sa contribution, dans le cadre de ses compétences. En tant que président de la délégation à la coopération décentralisée, j'y veillerai personnellement. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Robert Del Picchia.

M. Robert Del Picchia. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'interviendrai en tant que sénateur, mais aussi en tant que président exécutif du groupe français de l'Union interparlementaire - mon autre casquette - c'est-à-dire en votre nom, mes chers collègues.

La question des droits de l'homme est aussi au coeur de l'activité parlementaire : le Parlement incarne ce droit fondamental de chacun de participer à la conduite des affaires politiques. L'existence même du Parlement représente l'exercice par excellence d'un des droits de l'homme.

Notre responsabilité est grande puisque, en tant que législateurs, nous sommes les garants des droits de ceux qui nous ont élus. Par les lois que nous élaborons, mais aussi par le contrôle que nous exerçons, nous avons le devoir de les promouvoir et de les protéger.

S'agissant de la défense des droits de l'homme dans une perspective internationale, le Sénat, de par la mission que lui impartit l'article 24 de la Constitution de représentant des Français établis hors de France, a un champ d'action naturel ; mais, au-delà de la représentation de nos compatriotes qui portent l'image de la France à l'étranger, je tiens à souligner d'autres dimensions de l'action internationale de notre Parlement pour la défense des droits de l'homme.

Je citerai tout d'abord notre engagement au sein de l'Union interparlementaire, l'UIP, dont il faut rappeler qu'elle est la doyenne des organisations internationales puisqu'elle fut cofondée en 1889, par un parlementaire français - certains l'ont oublié -, Frédéric Passy, qui reçut le prix Nobel de la paix.

L'article 1er des statuts de l'Union interparlementaire dispose qu'elle doit contribuer « à la défense et à la promotion des droits de la personne, qui ont une portée universelle et dont le respect est un facteur essentiel de la démocratie parlementaire et du développement ». C'était prémonitoire !

C'est dans cette perspective que le groupe français de l'UIP, fort de cent parlementaires - députés et sénateurs -, participe activement aux travaux de l'Union.

Cette dernière a une gamme d'activités très large, à la mesure des préoccupations de ses membres, les parlements. Ayant, bien entendu, tendance à privilégier les questions qui préoccupent davantage les élus du peuple ou qui leur sont familières, elle a ainsi porté un intérêt soutenu à de nombreux aspects des droits civils et politiques, qui sont des éléments essentiels de la démocratie.

Tout en indiquant que, loin de nous borner à veiller au respect des droits civils et politiques, nous portons un intérêt naturel et particulier aux droits économiques, sociaux et culturels, je mettrai l'accent sur deux sujets fondamentaux : le droit des minorités et l'égalité entre les hommes et les femmes.

Le respect du droit des minorités, c'est bien évidemment, tout d'abord, le droit de l'opposition au sein de nos assemblées ; mais c'est surtout la question de la représentation institutionnelle de la diversité nationale.

Dans un certain nombre de pays à l'histoire récente, qui peinent à se constituer en nations, où les frontières ont été définies de manière artificielle, ou encore dans lesquels les populations d'origine ne se sont vu reconnaître des droits que de manière récente, le respect des minorités est une question vitale dont l'occultation entraîne fréquemment des conflits sanglants ou des guérillas interminables.

La représentation des minorités donne bien évidemment la possibilité d'exprimer pacifiquement les oppositions et de contribuer à résoudre les conflits. Dans cette perspective, le bicamérisme offre une solution institutionnelle efficace. Nous savons combien le président du Sénat et, avec lui, toute notre assemblée sont attachés à promouvoir les secondes chambres dans le monde.

Depuis la réunion des Sénats du monde, en mars 2000, des associations régionales se sont constituées en Europe, dont celle qui réunit les secondes chambres des pays membres et de ceux qui vont rejoindre l'Union européenne. On peut également citer l'Association des Sénats d'Afrique et des pays arabes, qui va prochainement tenir sa troisième réunion au Yémen.

En permettant la représentation et l'expression de la diversité nationale quelle qu'elle soit - ethnique, socio-professionnelle, politique, etc. -, les secondes chambres, pourvu qu'elles se différencient clairement des premières par leur mode d'élection ou par leur mission constitutionnelle, sont de puissants instruments de démocratie et contribuent fortement à l'amélioration du travail parlementaire.

Ces questions seront abordées au cours des débats qui se dérouleront à l'occasion de la prochaine réunion de l'Union interparlementaire à Santiago du Chili ; l'un des thèmes en sera « le rôle et la place des Parlements dans le renforcement des institutions démocratiques et le développement humain dans un monde fragmenté ».

Le groupe français de l'UIP, dont la motion est à l'origine de ce thème, prendra naturellement une part active à ce débat, qui est au coeur de la défense des droits de l'homme.

L'union interparlementaire joue également un rôle de pionnier en ce qui concerne la promotion des droits de la femme en tant qu'élément des droits de l'homme en général.

Elle a principalement axé ses efforts sur le rôle de la femme en politique. C'est ainsi qu'elle a institué la réunion des femmes parlementaires, qui siège lors de chacune des assemblées plénières. Un comité de coordination assure tout au long de l'année la poursuite et le suivi des actions pour l'égalité des sexes en politique. Il existe également un groupe du partenariat hommes-femmes.

Les débats qui ont eu lieu lors de la réunion parlementaire qui s'est tenue à l'occasion de la dernière session de l'ONU, au cours de laquelle l'UIP a obtenu le statut d'observateur, ont montré le rôle central des femmes en matière de sécurité humaine.

De ce point de vue, l'UIP attache une importance particulière à la résolution 1325 du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité, qui met en lumière l'importance du rôle des femmes dans le traitement des conflits, mais aussi, malheureusement, le changement de nature de la guerre, qui fait aujourd'hui de la violence sexuelle une arme de guerre.

La participation des femmes à la vie politique de leur pays est ainsi un des axes fondamentaux du travail de l'Union interparlementaire.

D'une manière générale, l'action de l'UIP pour la défense des droits de l'homme contribue à créer des normes internationales et à encourager l'action normative des Parlements nationaux en les incitant à mettre en oeuvre dans les législations nationales les instruments internationaux et à s'assurer de leur application effective, ce qui n'est pas toujours le plus facile.

Enfin, l'Union a mis en place depuis 1976 une procédure plus spécialisée d'examen et de traitement des violations des droits de l'homme dont sont victimes les parlementaires.

En effet, nous le lisons fréquemment dans la presse, les parlementaires, précisément parce qu'ils sont les garants des droits des citoyens dont ils sont les représentants, sont souvent les victimes de leur engagement. Les assassinats, les privations de liberté, les disparitions, les accusations diverses, les procès ou les pressions exercées sur les personnes et sur les familles constituent les instruments de ces persécutions.

M. Robert Bret. Eh oui !

M. Robert Del Picchia. Le comité des droits de l'homme des parlementaires, auquel notre collègue François Autain a longuement participé, est l'instance chargée d'instruire les dossiers reçus. Au travers d'une procédure écrite que viennent compléter des auditions ou des missions, ce comité traite chaque année de nombreux dossiers. Un certain nombre de cas peuvent être résolus sans être rendus publics, dans le cadre d'une action diplomatique efficace. D'autres font l'objet d'interventions publiques à chacune des réunions de l'Union. Le groupe français est naturellement très actif et très attentif en ce domaine.

En 2002, à l'occasion d'une session de la commission des droits de l'homme des Nations unies, l'UIP a organisé pour la première fois une journée parlementaire. Elle a prévu d'organiser systématiquement de telles réunions, afin de mieux impliquer les Parlements et leurs membres dans le travail sur les droits de l'homme effectué par les Nations unies.

Enfin, je mentionnerai le répertoire mondial des instances parlementaires pour les droits de l'homme, qui n'est pas toujours connu, dont l'UIP est en train de mettre à jour la dernière édition.

Tels sont, mes chers collègues, les quelques mots que je voulais vous adresser sur ce sujet si sensible et si important.

Je peux vous assurer, monsieur le ministre, mes chers collègues, que le groupe français, que j'ai l'honneur de diriger, attache une importance toute particulière à ces questions des droits de l'homme et qu'il s'investit au sein de l'Union interparlementaire, mais aussi avec elle, pour promouvoir et défendre les droits de l'homme dans ses dimensions nationale et internationale. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d'abord d'excuser le ministre des affaires étrangères, M. Dominique de Villepin. Vous le savez certainement, puisque certains membres du Parlement, notamment des sénateurs, sont également concernés, la célébration du quarantième anniversaire du traité sur la coopération franco-allemande, le traité de l'Elysée, a imposé aujourd'hui à un certain nombre de ministres et de parlementaires, en particulier aux membres des commissions des affaires étrangères, un déplacement à Berlin, ce qui me vaut l'honneur de participer à ce très important débat introduit par la question orale de M. Jacques Pelletier, président de l'intergroupe parlementaire des droits de l'homme, que je salue.

Je remercie les oratrices et les orateurs qui se sont exprimés et que j'ai écoutés avec une grande attention. De nombreux sujets ont été abordés, ce qui est bien naturel sur un tel thème. Je ne suis pas certain de pouvoir répondre ce matin à la totalité des questions posées. Je m'y efforcerai, mais je suis bien entendu prêt à poursuivre la discussion et à apporter les compléments d'information que vous avez souhaités.

Si le thème de ce débat est très important, il est aussi très difficile. Le respect des droits de l'homme est une quête sans fin, un combat permanent : aucune situation n'est jamais assurée pour toujours, même dans des pays aux traditions démocratiques établies de longue date. Notre pays, pour ne citer que nous-mêmes, en a fait la douloureuse expérience voilà à peine plus de soixante ans, beaucoup d'entre nous s'en souviennent très précisément.

Les mutations des sociétés, comme les événements font apparaître de nouvelles formes d'atteintes aux droits individuels et collectifs. La pauvreté, l'analphabétisme, la destruction des structures sociales créent un terreau favorable au développement de la violence, qui devient la seule référence, le seul mode de fonctionnement de la vie collective.

C'est le retour à la loi de la jungle, et nous en avons, hélas ! quotidiennement la démonstration.

Cependant, comme l'a souligné à juste titre M. Jean Faure, aucune situation n'est désespérée, et nombre de pays progressent. Il ne faut donc jamais baisser les bras.

Lorsque je parlais de la loi de la jungle et de la destructuration de la vie sociale, je pensais, comme vous, monsieur Faure, à certaines parties du continent africain, mais aussi à l'Amérique latine, dans certains cas, et même à l'Europe puisque nous avons connu, dans les Balkans, des situations comparables.

Pour nous en tenir au continent africain, qui m'est, comme à vous, cher, reconnaissons en effet qu'il y a aussi des situations encourageantes. Le Kenya, pays dans lequel je me suis rendu il y a trois jours, vient de connaître, dans des conditions démocratiques tout à fait satisfaisantes, une véritable transition. D'autres Etats africains ont des atouts comparables et nous devons les aider.

Je connais par ailleurs l'attachement de M. Jean Faure à Madagascar. Je peux lui confirmer que l'intention du Gouvernement - la mienne en particulier - est bien de donner le plus d'appuis possible à ce pays, où je compte d'ailleurs me rendre, pour l'aider à se reconstruire et à restructurer ses institutions. J'espère que M. Faure pourra m'accompagner afin que nous puissions ensemble contribuer à cet effort.

Les progrès font moins de bruit que les guerres civiles, mais ils n'en sont pas moins réels et ils nous encouragent à poursuivre notre tâche en faveur de l'amélioration du respect des droits de l'homme, tâche ô combien difficile et qui exige de la détermination.

Sur un autre plan, se pose le problème du choix des moyens les plus efficaces pour concourir à la défense et au progrès des droits de l'homme : dénonciation et sanction, voire embargo, ou discussion et négociation ?

En réalité, nous le savons tous, il faut combiner les deux approches, mais le dosage - et là réside toute la difficulté - doit varier selon les situations à traiter. C'est ce qui rend, j'en conviens avec vous, monsieur Vasselle, la pratique si délicate, notamment dans des cas aussi complexes, et aussi anciens, que celui du Tibet et de la Chine.

Lorsqu'il s'est exprimé, le 31 mars 2001, devant la commission des droits de l'homme des Nations unies, le Président de la République française a rappelé que « les droits de l'homme, le souci de l'homme et de sa dignité, sont depuis bien longtemps une passion de la France ».

Notre pays a, il est vrai, de par son histoire, ou, plus exactement, de par les meilleurs moments de son histoire, de par les valeurs philosophiques et morales auxquelles il est attaché, une responsabilité particulière en matière de défense des droits universels de la personne humaine.

Cette responsabilité occupe une part importante de notre action diplomatique et de notre politique de coopération, comme l'atteste la nomination d'un ambassadeur chargé des droits de l'homme au ministère des affaires étrangères.

Je veux brièvement rappeler les principes qui nous inspirent avant de vous exposer la démarche du Gouvernement et la façon dont elle est mise en oeuvre, en concertation avec nos partenaires européens.

Je tiens d'abord à souligner notre attachement à l'universalité des droits inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948.

Ces droits reflètent les valeurs dont s'inspire notre République ; ils sont au coeur des principes de la nation. Même si chaque pays ou chaque peuple porte en lui une culture singulière dont la dignité doit être reconnue, nous ne devons pas pour autant transiger sur le respect de ces droits universels, qui doivent être le socle commun de toute l'humanité.

Nous avons en même temps la conviction que tous les droits sont indissociables, qu'ils soient civils et politiques ou économiques, sociaux et culturels.

Quelle démocratie en effet sans accès à l'éducation ou à la santé ? Quel développement économique sans la liberté de penser, de créer et de s'exprimer, sans un Etat de droit, sans une justice réelle ?

Aussi est-il de notre devoir de promouvoir le respect des droits et des libertés dans le monde, par-delà les frontières.

La conférence mondiale de Vienne sur les droits de l'homme, dont nous fêterons, au mois de juin prochain, le dixième anniversaire, n'a-t-elle pas reconnu que les droits de l'homme sont une préoccupation légitime de la communauté internationale ?

Comment mettre en oeuvre ces principes ?

D'une part, nous veillons à élaborer des normes plus fortes et à les diffuser le plus largement possible. D'autre part, nous nous efforcerons de faire respecter ces normes par les Etats qui les ont acceptées.

A ces deux stades, la concertation avec nos partenaires européens joue un rôle important, car elle donne plus d'efficacité à notre démarche.

La première nécessité est, à notre sens, de renforcer les normes internationales visant à garantir le respect des droits de l'homme.

Les Etats sont, de cette façon, amenés à préciser leurs obligations, de même que les limites de leur intervention dans la vie des citoyens. Par la formulation de règles écrites, ils sont incités à prendre des engagements dont ils sont ensuite redevables. En cas de manquement, ces engagements peuvent leur être rappelés soit par d'autres Etats, soit par les organes internationaux compétents, soit par leurs ressortissants, soit par la société civile.

Le renforcement de la norme contribue dont à l'édification progressive d'un ordre international fondé sur le droit.

Le régime de protection des droits de l'homme doit tenir compte de l'évolution des sociétés et des moeurs en même temps que traduire l'exigence croissante, sur tous les continents, de liberté et de dignité.

Dans ce combat, la France occupe une place éminente dans toutes les grandes instances internationales chargées de défendre et de promouvoir les droits de l'homme. Son souci de respecter ses obligations internationales n'en est que plus affirmé.

Les Nations unies, organisation universelle, jouent, naturellement, le premier rôle dans la consécration et la protection des droits de l'individu.

La France attache la plus grande importance à leur action et contribue activement à leurs travaux. Le Président de la République recevra d'ailleurs, le 6 février prochain, le nouveau Haut commissaire aux droits de l'homme, M. Vieira de Mello.

La France oeuvre aux Nations unies en faveur du renforcement du droit. Ainsi, notre ambassadeur à Genève préside à l'élaboration d'un instrument juridique contraignant qui vise à protéger les personnes contre les disparitions forcées, pratique criminelle qui a marqué et qui marque encore si durement et si tratégiquement le continent latino-américain - le cas d'Ingrid Betancourt a été cité plusieurs fois ce matin - et d'autres régions du monde.

A l'Assemblée générale des Nations unies, nous avons aussi activement contribué à l'adoption, il y a un mois, d'un protocole additionnel à la convention contre la torture.

Ce protocole, qui s'inspire d'un système prôné par le Conseil européen de prévention de la torture, organe du Conseil de l'Europe, prévoit en particulier la visite des lieux de détention afin de prévenir les mauvais traitements et les sévices que peuvent subir, dans de trop nombreux pays, les prisonniers.

Les normes adoptées au sein du Conseil de l'Europe, à commencer par la première d'entre elles, la convention européenne des droits de l'homme, sont en effet souvent des « pionnières » : de nombreux pays s'en inspirent par la suite.

Le Conseil de l'Europe représente également pour la France un relais, à l'échelle tant européenne que mondiale, de son combat contre les nouvelles formes de violation des droits de l'homme. Ainsi, c'est sur l'initiative de la France, de la Belgique et de l'Allemagne que le Conseil de l'Europe a adopté en novembre dernier un protocole additionnel à la convention sur la cybercriminalité, qui vise notamment les actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais des réseaux informatiques ou à l'occasion de leur utilisation.

Les nouveaux défis, par exemple ceux de la bioéthique, doivent tout autant nous mobiliser. Aussi la France et l'Allemagne ont-elles pris l'initiative de proposer aux Nations unies d'élaborer une convention internationale interdisant le clonage humain à des fins reproductives.

Au sein des Nations unies, la France a été membre de la commission des droits de l'homme de manière presque continue depuis la création de celle-ci, en 1947.

Vous connaissez les règles de fonctionnement de cette commission, qui est le principal organe des Nations unies dans le domaine des droits de l'homme : elle est renouvelée chaque année, par tiers et par groupe géographique, selon un système de rotation de nature mécanique qui n'avait pas, jusqu'à présent, particulièrement retenu l'attention. Notons toutefois que, du fait de ce système, des Etats qui n'étaient pas forcément exemplaires - c'est un euphémisme - en matière de respect des droits de l'homme y étaient représentés.

Or, et je vais maintenant me faire l'écho des propos tenus tant par Mme Boyer que par M. Pelletier, le groupe des Etats africains, auquel revenait d'assurer la présidence tournante, a choisi de faire élire l'ambassadrice de Libye auprès des Nations unies pour occuper cette fonction, ce qui a bouleversé les habitudes de fonctionnement de la commission : la désignation à la présidence ne se fait pas d'ordinaire par la voie d'une élection, mais de façon consensuelle, les membres de la commission prenant tout simplement acte de la désignation, par le groupe géographique à qui revient la présidence, du pays de son choix.

En l'occurrence, le choix de la Libye a, évidemment, « interpellé » plusieurs Etats membres de la commission, dont la France et ses partenaires européens. Lors du vote qui, contrairement aux habitudes, a donc eu lieu, ces derniers ont décidé, comme un certain nombre d'autres pays, de s'abstenir.

Cette abstention n'est pas anodine. Elle a un sens : constat d'une situation, entre majorité et minorité, et d'une pratique, c'est en même temps une mise en garde adressée au pays qui a été choisi pour assurer la présidence de la commission pendant un an.

La France est déterminée à faire montre, durant cette période, de la plus grande vigilance. Nous veillerons avec nos partenaires européens et africains à ce que la Libye anime les travaux de la 59e session dans le strict et fidèle respect des principes et des règles de fonctionnement de la commission des droits de l'homme des Nations unies, afin de garantir la crédibilité de cette dernière.

J'ajoute que la Libye a vivement souhaité assurer cette présidence. Elle s'expose ainsi à répondre devant la communauté internationale de la façon dont elle appliquera elle-même les règles concernant les droits de l'homme.

J'en reviens à l'élaboration des nouvelles normes que j'évoquais. Ces normes n'auront de sens que si leur diffusion est assurée. Nous encourageons ainsi la ratification par le plus grand nombre possible d'Etats des principales conventions internationales afin que celles-ci puissent entrer effectivement en vigueur.

De grands progrès ont été accomplis au cours des dernières années dans ce domaine, mais il nous faut continuer sur cette voie.

Cette démarche est également liée au processus d'élargissement de l'Union européenne. La France a joué un rôle actif dans l'extension des normes de protection des droits de l'homme à de nouveaux pays, en particulier en Europe de l'Est, dans le cadre de l'élargissement de l'Europe. Le respect de ces droits est en effet un des critères définis lors du Conseil européen de Copenhague : tout pays désireux d'entrer dans l'Union européenne se doit bien évidemment d'y satisfaire.

Je veux maintenant souligner le rôle important que joue l'Organisation internationale de la francophonie dans la diffusion des droits de l'homme, en réponse à l'intervention de M. Legendre, qui est aussi secrétaire général parlementaire de l'Assemblée parlementaire de la francophonie, et que je salue tout particulièrement.

La déclaration de Bamako a incontestablement donné naissance à une nouvelle dynamique de l'enracinement des droits de l'homme dans l'espace francophone. Grâce à l'action déterminée et assidue de l'Assemblée parlementaire de la francophonie et de sa section française, les pays de l'Organisation internationale de la francophonie ont été et restent à l'avant-garde s'agissant, par exemple, de la ratification du statut de Rome, qui institue la Cour pénale internationale.

Il est satisfaisant de constater que, grâce à la mobilisation des pays francophones, le nombre de ratifications nécessaires pour l'entrée en vigueur de la Cour pénale internationale a pu être atteint dans des délais extrêmement brefs.

Voilà un domaine dans lequel la francophonie a concrètement démontré sa capacité et sa force sur le plan international, et elle l'a fait au service d'une très belle cause.

J'ajoute que l'Organisation de la francophonie a vu les moyens dont elle dispose pour le volet « paix, démocratie et justice » augmentés en 2003 de 28 %, ce qui permet d'espérer qu'elle développera ses actions dans ce domaine.

Il faut donc agir en faveur de l'élaboration et de la diffusion de normes juridiques internationales pour garantir les droits de la personne, mais il faut ensuite faire en sorte que ces normes soient respectées par les pays.

A cet égard, nous avons à coeur de réaliser des projets concrets. Nous nous refusons à nous donner occasionnellement bonne conscience par de simples déclarations vertueuses ou par des condamnations purement verbales. Notre souci d'efficacité nous conduit à moduler nos actions selon chaque situation et à agir aussi bien sur le court que sur le long terme, avec la même constance et la même détermination.

Le respect du droit passe, bien sûr, par la dénonciation des violations. Il revient à la communauté internationale de réagir face à des violations graves et systématiques des droits de l'homme. C'est essentiel.

La France, dans certains cas en son propre nom, dans d'autres cas avec ses partenaires, prend position sur les violations et les condamne officiellement. Elle entreprend également les démarches les plus insistantes auprès des autorités des pays en cause afin d'obtenir qu'il soit mis un terme à ces comportements.

Ce fut le cas à l'égard du Nigeria, exemple cité par Mme Boyer, où une femme accusée d'adultère avait été condamnée à la lapidation. Nous avons également dénoncé l'attentat qui, au Zimbabwe, a frappé la radio indépendante Voice of the people en août 2002. Par ailleurs, depuis le début de la crise ivoirienne, la France a été amenée à dénoncer sans ambiguïté les graves violations des droits de l'homme commises dans ce pays.

Dans d'autres cas, la dénonciation est collective : elle émane de l'Union européenne ou des Nations unies, mais notre pays joue toujours un rôle actif dans ces initiatives, par exemple pour que le Conseil de sécurité prenne en considération les droits de la personne et de l'individu dans ses résolutions ou dans ses décisions comme dans le règlement des conflits.

Cette exigence de l'ONU s'est manifestée récemment, sur notre initiative, s'agissant de la Côte d'Ivoire, j'en parlais à l'instant : c'est en effet la France qui a saisi le Haut commissaire aux droits de l'homme d'une demande d'enquête sur les exactions commises par les parties depuis le début de la crise.

M. Jacques Legendre. Très bien !

M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué. Le haut commissaire a envoyé son adjoint en mission sur le terrain. Son rapport doit être présenté au Conseil de sécurité le 28 janvier prochain.

Je voudrais maintenant évoquer, à la suite de M. Jacques Legendre, qui s'est exprimé avec force et émotion, le drame des enfants soldats. Notre pays a organisé dernièrement au Conseil de sécurité des Nations unies, dont il assure la présidence au mois de janvier, un débat sur la situation et l'utilisation des enfants dans les conflits armés. Le secrétaire général des Nations unies, la directrice de l'UNICEF et les représentants de quarante-deux pays y ont participé, ce qui montre bien que le sort des enfants soldats préoccupe la communauté internationale.

La résolution préparée par la France, qui prend en considération les avis des organisations non gouvernementales les plus mobilisées sur ce sujet, devrait être adoptée dans les jours qui viennent. Elle vise notamment à mettre fin à l'enrôlement des enfants soldats, dont le nombre est évalué à quelque 300 000, et à poursuivre les auteurs de ces enrôlements devant la justice internationale.

Enfin, pour souligner l'attachement de la France au respect des droits de l'enfant, je voudrais rappeler que c'est le Président de la République lui-même qui a signé, à New York, les deux protocoles ajoutés à la convention sur les droits de l'enfant, que nous avons récemment ratifiée. La France est également l'auteur, avec ses partenaires européens, des résolutions sur les droits de l'enfant que les Nations unies adoptent régulièrement.

Le rapport sur cette question soumis par le secrétaire général des Nations unies, M. Kofi Annan, au Conseil de sécurité dresse pour la première fois, sur notre initiative, la liste des belligérants ayant recours à l'enrôlement d'enfants soldats. Sur cette liste figurent des mouvements armés en Afghanistan, au Burundi, en République démocratique du Congo, au Liberia, en Somalie, mais aussi, malheureusement, les forces armées officielles de ces quatre derniers pays africains.

Le rapport et la résolution évoquent en outre les autres répercussions des conflits sur la vie des enfants : l'exploitation sexuelle, la contamination par le sida, les déplacement forcés. Ils préconisent des mesures pour les protéger et les réinsérer dans la société.

La France est enfin à l'origine de la déclaration du Conseil de sécurité du 15 janvier dernier dénonçant les graves violations des droits de l'homme commises dans l'est de la République démocratique du Congo.

Notre pays veille par ailleurs à ce que toutes les formes d'atteintes aux droits de la personne soient prises en compte. Nous présentons notamment, dans le cadre des Nations unies, des propositions visant à combattre l'extrême pauvreté, véritable négation de la dignité de l'individu, mais aussi la détention arbitraire.

Nous sommes également très soucieux de renforcer la lutte contre le racisme - les racismes -, la xénophobie, l'intolérance et la discrimination en général.

Notre vigilance s'exerce tout particulièrement à l'égard des droits des femmes, premières victimes de la violence, du fanatisme et de la pauvreté, thème qui a été évoqué par Mme Yolande Boyer. Le régime des talibans a montré que l'obscurantisme pouvait conduire à dénier aux femmes les droits les plus élémentaires. Cependant, nous savons bien que la chute de ce régime est loin d'avoir tout résolu et qu'il existe, hélas ! bien d'autres exemples du même ordre, moins connus que celui que je viens de citer. Dans bien des régions du monde, les droits des femmes à l'éducation et à l'intégrité physique, ainsi que leurs droits politiques, ne sont pas encore respectés.

J'ajouterai brièvement à l'adresse de Mme Boyer, qui m'a interrogé sur la position de la France au regard de plusieurs conventions internationales relatives à la situation des femmes, que la France est très attachée à la défense des acquis des conférences de Pékin et du Caire, notamment de ceux qui ont trait à la ratification universelle de la convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, à la protection de leur intégrité physique et à leurs droits en matière de reproduction.

Les femmes sont souvent les victimes de violences spécifiques à l'occasion de conflits. L'usage du viol comme arme de guerre, sujet évoqué par M. Del Picchia, dont on connaît l'action dans le cadre de l'Union interparlementaire, a été dénoncé, en particulier, durant la guerre de Yougoslavie. Il est puni par le statut de la Cour pénale internationale ; néanmoins, il perdure, comme nous le prouvent les conflits actuels en Afrique.

Les femmes sont également victimes de la traite des êtres humains, que les réseaux criminels jugent plus fructueuse que d'autres trafics. Mme Jacqueline Gourault a fort justement et très complètement décrit ce fléau, et j'approuve les propos qu'elle a tenus.

Grâce à la coopération internationale, grâce notamment à la convention contre la criminalité transnationale organisée et à ses protocoles relatifs à la traite et au trafic d'êtres humains, nous avons les moyens de lutter contre ce phénomène en expansion.

Notre vigilance s'exerce aussi à l'égard des mesures mises en place à la suite des attentats du 11 septembre 2001. La lutte contre le terrorisme, largement évoquée par Mme Nicole Borvo, est essentielle. Pour autant, cette lutte ne saurait aller au-delà des besoins légitimes en matière de sécurité. Nous nous sommes donc félicités de ce que l'Assemblée générale des Nations unies ait adopté de manière consensuelle, au mois de décembre dernier, une résolution rappelant l'obligation de respecter les droits de l'homme dans le cadre de cette lutte contre le terrorisme. Une résolution allant dans le même sens a été adoptée lundi dernier par le Conseil de sécurité, sous présidence française.

Au sein de la commission des droits de l'homme des Nations unies, notre pays est amené, avec ses partenaires de l'Union européenne, à s'exprimer sur bien des cas de violation des droits de l'homme dans le monde. L'Union européenne et ses Etats membres sont ainsi à l'origine de près d'un tiers des textes adoptés par la commission des droits de l'homme, en particulier de résolutions sur l'Irak, la République démocratique du Congo, le Soudan, la Tchétchénie, les colonies israéliennes, la Birmanie.

Le renforcement de la démocratie et de l'Etat de droit, la défense des droits de l'homme et des libertés fondamentales font partie des priorités de la politique extérieure et de sécurité commune de l'Union européenne. La France tient, naturellement, à jouer un rôle très actif dans la définition et dans la mise en oeuvre de la politique européenne en la matière.

Au-delà de la dénonciation, il faut parfois recourir à la sanction.

Il est essentiel de faire en sorte que les violations graves des droits de l'homme ne restent pas impunies. L'impunité favorise en effet l'instabilité des relations internationales et l'enchaînement des cycles de violence. Il ne peut y avoir de règlement de paix ou de réconciliation durable fondés sur l'oubli, voire sur la négation des faits historiques, ni de processus de règlement viable méconnaissant le droit des victimes à la mémoire, le droit de savoir, le droit à la justice.

La France peut se réjouir d'avoir été le premier membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU à ratifier le statut de la Cour pénale internationale, qui est entré en vigueur l'été dernier. Cette dernière sera, si nous le voulons, un instrument déterminant pour lutter contre l'impunité des auteurs de violations graves des droits de l'homme dans le monde, violations qui heurtent la conscience même de l'humanité et qui, par leur ampleur et leur atrocité, concernent non seulement les régions déchirées par les conflits, mais aussi les démocraties, qu'elles menacent par la négation des fondements de l'Etat de droit.

Outre la dénonciation et la sanction, la France et ses partenaires européens s'efforcent de défendre les droits de l'homme par le dialogue, approche qui ne manque pas de susciter régulièrement des débats. Cette réaction est compréhensible, car l'indignation soulevée par les violations des droits de l'homme pousse tout naturellement à la dénonciation et à la condamnation.

Toutefois, dialogue n'est pas synonyme de compromission, et encore moins d'acceptation. L'expérience prouve que le dialogue, s'il est clair et franc, peut souvent être un facteur d'évolution positive pour certains pays.

L'Union européenne s'est donc engagée, ces dernières années, dans des exercices dits de « dialogue droits de l'homme », l'objectif étant d'encourager certains Etats à progresser dans cette voie.

Dans le cadre d'un tel dialogue semestriel avec la Chine, par exemple, sont notamment évoquées la peine de mort, la torture, ou encore la situation au Tibet, sur laquelle M. Alain Vasselle a attiré notre attention avec conviction et de façon très précise. Des libérations de prisonniers, de militants politiques, de représentants de minorités culturelles ou religieuses sont réclamées à l'occasion de chaque rencontre. Nous suivons très attentivement l'évolution de la situation, et je puis vous indiquer, monsieur Vasselle, que nous avons pris acte de la visite à Pékin d'émissaires du Dalaï Lama, au mois de septembre 2002, et que nous encourageons la reprise d'un dialogue entre ce dernier et le gouvernement chinois.

Nous avons en outre effectué avec l'Union européenne, les 11 décembre et 17 janvier derniers, des démarches à propos de la condamnation de deux moines tibétains, afin que les accusés puissent bénéficier de toutes les garanties d'un procès équitable - il a été interjeté appel - et qu'en aucun cas une sentence de mort ne puisse être prononcée et exécutée. Nous suivons, bien entendu, cette affaire de très près.

Grâce à ce dialogue, la Chine a accepté d'adhérer au pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels. Elle s'est également engagée à coopérer avec les rapporteurs de la commission des droits de l'homme des Nations unies et à donner des informations sur des prisonniers.

Tout récemment a été instauré un dialogue avec l'Iran, dont la première session, qui s'est tenue en décembre, s'est déroulée de manière satisfaisante. Téhéran a annoncé, à cette occasion, des mesures dont il conviendra de vérifier l'application : coopération avec la commission des droits de l'homme, moratoire sur les lapidations, rétablissement de la distinction entre la justice du siège et du parquet.

Nous avons à coeur que ces dialogues amènent d'autres résultats concrets.

Par ailleurs, je me dois de rappeler que le dialogue politique sur les questions relatives aux droits de l'homme, à la démocratie et à l'Etat de droit est une dimension essentielle de la politique d'aide au développement de l'Union européenne, notamment dans le cadre de l'accord de partenariat de Cotonou, qui lie l'Union européenne aux soixante-dix-sept pays du groupe Asie-Caraïbes-Pacifique. La mise en oeuvre de cet accord est, en effet, subordonnée au respect des engagements pris en matière de respect des droits de l'homme, dont le défaut entraîne la suspension de l'aide.

Dans la mesure du possible, nous nous efforçons cependant d'aller au-delà de ce dialogue, en pratiquant une véritable politique d'intervention.

Ainsi, en 1998, l'Union européenne a érigé en priorité l'abolition universelle de la peine de mort, ce qui a conduit les Européens à engager de nombreuses démarches dans le monde en vue d'obtenir des moratoires ou de les consolider, d'inciter à l'abolition, de faire commuer des sentences.

C'est sur l'initiative de la France que l'Union européenne s'est portée amicus curiae devant la Cour suprême des Etats-Unis, dans une affaire concernant un aliéné mental. L'Union européenne fait, en outre, adopter chaque année par la commission des droits de l'homme une résolution sur la peine de mort, afin de renforcer sans trêve le mouvement international d'abolition de ce châtiment.

J'évoquerai enfin les efforts que la France accomplit en faveur des droits de l'homme par le biais de sa coopération au développement, qui, dans son ensemble, concourt à la mise en oeuvre effective des droits fondamentaux de la personne, en contribuant notamment à la lutte contre la pauvreté ainsi qu'à la création ou au renforcement d'institutions chargées de garantir l'existence d'un Etat de droit dans des pays auxquels nous apportons notre aide.

Bien souvent, en effet, un pays qui enfreint les droits de l'homme souffre d'un Etat trop faible pour les faire respecter. Cette carence se traduit par une justice inefficace et corrompue, une police mal formée, notamment dans le domaine des droits et des libertés individuels. La pauvreté et le faible niveau d'alphabétisation des populations sont, en même temps, un frein à la progression de ces droits. Aussi notre coopération au développement vise-t-elle à mener des actions dans ces deux domaines.

Ces actions tendent à favoriser la démocratisation des institutions et l'élaboration de cadres juridiques garantissant les libertés fondamentales. Des projets financés par le Fonds de solidarité prioritaire ont notamment pour objet le renforcement des institutions judiciaires, ainsi que la formation de forces de police et d'administration pénitentiaire respectueuses des règles de droit.

L'appui à l'Etat s'accompagne d'un soutien simultané aux acteurs de la société civile.

Depuis 2001, le ministère des affaires étrangères a engagé une nouvelle coopération en matière de droits de l'homme, dotée d'une enveloppe globale de 5,5 millions d'euros. Cette coopération se déroule avec des partenaires à vocation internationale, particulièrement le Haut commissariat des Nations unies aux droits de l'homme et des organisations non gouvernementales spécialisées telles que Penal Reform International et la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme. Nous attachons le plus grand prix à leur action et maintenons un dialogue permanent avec elles, notamment au sein de la commission nationale consultative des droits de l'homme, dont les avis retiennent toute notre attention.

Les droits de l'homme sont donc un souci constant de notre pays et un thème prioritaire de notre politique internationale : nous contribuons, selon les voies les plus appropriées, à rendre leur respect chaque jour plus général.

M. Jacques Pelletier, en ouvrant ce débat, a cité Albert Camus ; c'est à ce même grand écrivain, qui se voulait aussi un grand témoin s'agissant du respect de l'individu, que j'emprunterai ma conclusion, et ses mots devraient stimuler notre vigilance : « La liberté est un bagne aussi longtemps qu'un seul homme est asservi sur la terre. » (Applaudissements.)

M. le président. En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures vingt, est reprise à quinze heures cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)