Séance du 21 octobre 1999







M. le président. Par amendement n° 8, M. Fauchon, au nom de la commission, propose, après l'article 1er, d'insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Il est inséré dans le titre Ier du livre Ier du code de procédure pénale, après l'article 30-2, un chapitre additionnel ainsi rédigé :

« Chapitre Ier ter
« Du procureur général de la République

« Art. 30-3. - Le procureur général de la République veille à la cohérence de l'exercice de l'action publique et au respect des orientations générales de la politique pénale définies par le ministre de la justice. Il coordonne l'action des procureurs généraux près les cours d'appel et l'application par ceux-ci de ces orientations.
« Art. 30-4. - Le procureur général de la République peut dénoncer aux procureurs généraux près les cours d'appel les infractions autres que celles visées aux titres I et II du livre IV du code pénal dont il a connaissance et leur enjoindre, par des instructions écrites et motivées qui sont versées au dossier, d'engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente des réquisitions écrites qu'il juge opportunes.
« Art. 30-5. - Le procureur général de la République adresse chaque année au Président de la République et au ministre de la justice un rapport sur son activité.
« Art. 30-6. - Le procureur général de la République est nommé par le Président de la République sur une liste de trois personnalités proposées par le Conseil supérieur de la magistrature réuni en formation plénière. Son mandat, d'une durée de cinq ans, n'est pas renouvelable. En cas d'empêchement ou de manquement grave aux obligations de sa charge, le Président de la République met fin à ses fonctions sur décision du Conseil supérieur de la magistrature saisi par le ministre de la justice et statuant en formation plénière à la majorité absolue de ses membres. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous abordons le point le plus significatif non pas du dispositif du projet de loi - nous avons en effet déjà implicitement voté ce matin le point le plus significatif de ce dispositif - mais des propositions de la commission. Cette dernière, une fois la sécurité de l'Etat mise à part, a souscrit à l'idée selon laquelle le ministre n'exercerait plus la fonction de coordination et d'impulsion par voie directe d'instructions écrites versées au dossier, pour ce qui concerne en réalité les quatre cinquièmes, voire les neuf dixièmes du contentieux. Elle considère cependant que l'on ne peut pour autant transférer ce pouvoir aux trente-cinq procureurs généraux, en raison d'un risque de « balkanisation ». Je ne reprendrai pas les explications que j'ai données hier, dans mon intervention liminaire, sur l'emploi de ce terme, qui me paraît correspondre exactement à la situation.
La conclusion à laquelle nous sommes arrivés - nous ne sommes d'ailleurs pas les premiers à le penser, ce qui constitue un encouragement pour nous - est que cette coordination doit avoir lieu. Il faut, pour que cette dernière soit non suspecte de politisation, qu'elle soit confiée à une autorité non politique. C'est d'ailleurs une démarche à laquelle nous sommes habitués - nous l'avons connue pour la monnaie, pour l'audiovisuel ou pour la concurrence - et dont nous connaissons bien la gestion. Il nous faut donc instituer cette autorité dans des conditions telles qu'elle réunisse les caractéristiques que nous souhaitons, c'est-à-dire une autorité non politique, une mission qui cadre avec les missions générales de la justice et qui soit suffisamment clairement définie et, éventuellement, des sanctions. C'est pourquoi je rappellerai brièvement le dispositif élaboré par la commission.
Il est proposé d'insérer un chapitre additionnel rédigé ainsi : « Du procureur général de la République ». Comme vous le constatez, nous n'avons pas été chercher très loin une appellation. Il existe déjà des procureurs de la République et des procureurs généraux ; nous proposons donc l'appellation : « procureur général de la République ».
« Le procureur général de la République veille à la cohérence de l'exercice de l'action publique et au respect des orientations générales de la politique pénale définies par le ministre de la justice » - j'attire l'attention sur ce point. « Il coordonne l'action des procureurs généraux près les cours d'appel et l'application par ceux-ci de ces orientations.
« Le procureur général de la République peut dénoncer aux procureurs généraux près les cours d'appel les infractions autres que celles visées aux titres I et II du livre IV du code pénal dont il a connaissance et leur enjoindre, par des instructions écrites et motivées qui sont versées au dossier, d'engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente des réquisitions écrites qu'il juge opportunes.
« Le procureur général de la République adresse chaque année au Président de la République et au ministre de la justice un rapport sur son activité.
« Le procureur général de la République est nommé par le Président de la République sur une liste de trois personnalités proposées par le Conseil supérieur de la magistrature réuni en formation plénière. Son mandat, d'une durée de cinq ans, n'est pas renouvelable. En cas d'empêchement » - des exemples récents montrent qu'il est important de tout prévoir - « ou de manquement grave aux obligations de sa charge, le Président de la République met fin à ses fonctions sur décision du Conseil supérieur de la magistrature saisi par le ministre de la justice et statuant en formation plénière à la majorité absolue de ses membres. »
Comme je l'ai déjà dit, nous avons essayé de rendre ce dispositif aussi satisfaisant que possible. Mais nous ne sommes pas hostiles à toute amélioration que le Sénat jugerait judicieux d'apporter.
Nous croyons avoir concilié, dans ce texte, ce qu'il faut d'autorité politique et d'indépendance politique. Il est bien évident que la proposition par le Conseil supérieur de la magistrature de trois personnalités, assortie d'un choix par le Président de la République, nous met à l'abri d'un choix de favoritisme, de clientélisme ou d'orientation politique trop marqués, et place cette autorité dans une situation d'indépendance.
Je rappelle qu'il y a des précédents à cet égard - j'ai cité certains exemples tout à l'heure - et que nous sommes assez satisfaits des résultats. Si des critiques techniques sont émises sur les choix, par exemple, de M. Trichet, du CSA ou de la commission de la concurrence, il n'y a pas réellement de critiques politiques. Tout cela est bien ancré dans notre système. Nous avons donc à notre disposition des éléments antérieurs qui nous permettent de faire confiance à ces dispositifs.
Telle est donc, pour conclure, notre proposition. Elle n'est pas fondamentalement opposée à l'option du Gouvernement. Elle constitue simplement une alternative : alors que le Gouvernement renonce à ce pouvoir, laissant aux procureurs généraux le soin de l'exercer, nous demandons qu'il continue à être coordonné au sommet par une autorité ainsi désignée.
Encore une fois, nous ne nous opposons pas au système, mais nous proposons une solution alternative technique.
Cela étant, on a esquissé tout à l'heure - et peut-être serai-je amené à y revenir - une critique de cette proposition et Mme le ministre elle-même y a fait allusion hier, en tout cas brièvement. On nous a dit, ainsi, que cette proposition avait été rejetée par la commission Truche, que nous n'avons d'ailleurs pas citée. On peut ne pas citer la commission Truche ! Si le document qu'elle a produit est tout à fait intéressant, il ne s'agit cependant pas d'un texte de loi ni de la Constitution ! Cela dit, je rappelle que je l'ai citée à deux reprises, en indiquant que ses conclusions débouchaient sur cette idée qu'il faudrait créer une autorité indépendante.
Ainsi, à la page 36 de l'édition dont je dispose, on peut lire : « A ce risque s'oppose celui de voir les poursuites ici ou là engagées alors qu'elles ne le seraient pas ailleurs, rompant l'égalité entre les citoyens, ou qui seraient inutiles et vexatoires parce que non fondées en droit, ou qui risqueraient de troubler plus gravement l'ordre public qu'un classement... On est alors amené à examiner à nouveau la question déjà évoquée de l'intervention d'un directeur national de l'action publique, ou procureur général de la République. »
Toutefois, la commission Truche, à une large majorité - et non pas, je me permets de le signaler à Mme Derycke, à l'unanimité - a rejeté une telle proposition.
M. Robert Bret. Non ! C'est votre interprétation !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Donc, s'il est vrai que la commission Truche n'a pas suivi cette proposition, elle l'a néanmoins présentée comme une proposition crédible, possible, et non pas contraire à ses orientations fondamentales.
Elle s'est expliqué sur ce rejet : cette proposition « protégerait certes le garde des sceaux en éloignant de lui le soupçon d'intervenir dans le fonctionnement de la justice, mais elle susciterait par contre beaucoup trop de difficultés ».
Je vais énumérer ces difficultés et je vous proposerai une solution susceptible de les surmonter, ce qui n'est peut-être pas impossible : à coeur vaillant rien d'impossible !
Première question : « A qui incomberait le choix d'une telle personnalité ? » Il est assez facile de répondre à cette question, je l'ai d'ailleurs déjà fait.
« Quelle serait alors sa légitimité à arrêter une politique nationale, son indépendance, sa responsabilité ? » J'y reviendrai dans un instant.
« Le soupçon écarté du Gouvernement ne se reporterait-il pas sur cette personnalité et, plus largement, sur les magistrats si elle était issue du corps judiciaire ? » Personnellement, je ne vois pas pourquoi il y aurait plus de soupçons sur cette personnalité ! Il y aura forcément toujours des soupçons sur les trente-cinq procureurs généraux de la République, soyez-en tout à fait assuré : celui qui veut soupçonner peut toujours le faire.
Je constate simplement que, dans ce procédé d'institution d'une autorité indépendante, nous avons jusqu'ici assez bien réussi et que nous avons écarté ce soupçon dès lors que les conditions de la nomination et de l'exercice du mandat étaient telles que ce soupçon n'avait pas lieu d'être, à moins d'un comportement anormal. Nous avons au demeurant prévu la possibilité pour le garde des sceaux de dénoncer un tel comportement anormal et abusif au Conseil supérieur de la magistrature, qui est tout de même l'autorité la plus normale en la matière, lequel prendrait une décision à la majorité. Nous vous proposons donc toutes les sécurités convenables.
Reste la question de la constitutionnalité, de la légitimité, de la légalité des poursuites.
En ce qui concerne la constitutionnalité, je ne sais pas très bien ce qu'en pense le Conseil constitutionnel, à qui on peut toujours poser toutes les questions que l'on veut !
Le problème, à ce stade, est, pour nous, de savoir si nous violons des principes fondamentaux de la Constitution. Or tel n'est pas le cas ! Nous avons la conscience tranquille en la matière.
Certes, s'agissant de la constitutionnalité, j'ai entendu des voix très autorisées - peut-être même la plus autorisée parmi nous - faire observer qu'il n'est pas certain qu'une loi simple puisse dépouiller le garde des sceaux de la possibilité de donner des instructions directes aux procureurs. Or c'est bien ce que nous faisons ! Mais si l'on peut transférer, par une simple loi, la capacité de donner des instructions à trente-cinq procureurs généraux, on peut aussi transférer par une loi simple cette capacité à une seule personnalité désignée, en réalité, par le Conseil supérieur de la magistrature !
Je ne crois donc pas qu'il y ait là un grand risque d'inconstitutionnalité, ou alors il viserait probablement l'ensemble de ce texte.
On a parlé de légitimité : ce terme est souvent employé dans la presse et dans les discours publics. Cette notion, d'ailleurs infiniment respectable, a cependant un aspect « tarte à la crème » et je crois qu'il faut appréhender clairement les concepts et les notions juridiques.
Veut-on dire par là que n'est légitime qu'une autorité publique qui procède du suffrage universel ? C'est en tout cas ce qui est généralement sous-entendu. Mais, autant que je sache, la plupart des autorités, dans notre vie publique, ne procèdent pas du suffrage universel ! La justice n'en est pas moins légitime, les procureurs, les présidents de tribunaux et de cours d'appel n'en sont pas moins légitimes. De même, les préfets, comme nombre d'autorités nommées par le pouvoir, sont légitimes.
La question est de savoir si celui qui détient une autorité a été désigné de manière régulière, légale. Or il peut être désigné directement par l'élection ou par un procédé légal qui dérive de manière indirecte de celle-ci, ce qui est le cas de la plupart desdites autorités. Et celui qui serait désigné par le président de la République sur une liste de trois noms proposés par le Conseil supérieur de la magistrature à la majorité absolue ne serait pas légitime ? Il le serait tout autant que la plupart des autorités que nous connaissons ! Je ne pense donc pas que l'argumentation puisse prospérer beaucoup sur le thème de cette légitimité.
Enfin, j'ai entendu dire ce matin - et cela m'a beaucoup surpris - qu'il faudrait changer complètement notre système et, notamment, le transformer en système de la légalité des poursuites, à l'instar de ce qui se ferait au Portugal, en Espagne ou en Angleterre. Outre que, dans ces comparaisons, quelques erreurs de faits me semblent avoir été commises, je ne me risquerai pas, de toute façon, à de telles comparaisons. Ainsi, vous ne m'entendrez pas dire que ce qu'ont fait les Anglais, les Espagnols ou les Portugais est parfait et qu'il n'y a qu'à le transposer dans le système français. Nous savons aussi bien que quiconque que les systèmes juridiques et les cultures sont différents, mais on peut trouver des points d'appui dans une idée intéressante et la reprendre dans le système français, dans le cadre de nos lois, de notre Constitution, de notre culture, et c'est ce que nous avons essayé de faire. Nous n'avons plagié personne !
Nous resterons donc indifférents aux arguments qui consisteraient à dire, par exemple, que le directeur des poursuites publiques en Angleterre est sous les ordres du ministre de la justice. C'est très possible ! Mais les Anglais ont des manières de faire différentes et nous ne prétendons pas les copier en cette manière.
J'ai toutefois cité, c'est vrai, l'exemple de la Grande-Bretagne, parce qu'il est intéressant de savoir que, outre-Manche, on a trouvé qu'il n'était pas normal de créer une autorité autonome - très autonome parce que ce sont les manières anglaises - pour coordonner l'action du ministère public.
Enfin, en ce qui concerne la question de la légalité ou de l'opportunité des poursuites, je me permets de dire que l'argument se retourne contre ceux qui l'utilisent car, si nous étions dans un système de légalité des poursuites, il ne serait point nécessaire de coordonner l'action des procureurs puisque la poursuite serait automatique. Le problème serait effectivement beaucoup plus simple ! Mais, précisément, dans un système d'appréciation de l'opportunité des poursuites, nous devons veiller à ce que cette appréciation soit coordonnée afin qu'on ne puisse pas dire que les citoyens sont inégaux devant la loi. En effet, le procureur général de Rennes pourrait préconiser de poursuivre systématiquement telle catégorie de délits alors que le procureur général de Colmar penserait le contraire.
Cette coordination est indispensable pour parvenir à un minimum de coordination - en tenant compte de l'indépendance des parquets, naturellement - et respecter le principe si important de l'égalité des citoyens devant la loi.
C'est précisément parce que nous conservons le système de l'opportunité des poursuites que nous devons avoir un coordonnateur sur le plan national.
Soit dit en passant, à l'occasion de l'examen de ce texte, je me suis posé la question de la nécessité du maintien de ce système d'opportunité des poursuites et je sais que, parmi nous, notre collègue M. Dreyfus-Schmidt, notamment, y est opposé. A étudier la question de près, je me suis cependant rendu compte que, dans les pays qui pratiquent la légalité des poursuites, en réalité, cette notion se trouve détournée par un certain nombre de procédés. Ainsi, vous ne pouvez pas empêcher un parquet de laisser prescrire une plainte. De même, avec les systèmes d'ordonnances simplifiées, on transmet un paquet de décisions à un juge du fond qui prend des ordonnances sommaires en apposant un tampon sur chacune d'elle. Bref, le système de légalité des poursuites peut être détourné.
J'ai réfléchi très sérieusement à cette question. J'ai même pensé prévoir la légalité des poursuites pour les formes de délinquance plus graves et l'opportunité pour les autres. Mais, après avoir interrogé un certain nombre de personnalités, tout cela ne m'a pas paru réellement praticable. Par conséquent, j'ai été amené - c'est une réflexion personnelle - à ne pas le proposer.
Je termine cette partie de mon argumentation en répétant que l'appréciation de l'opportunité des poursuites entraîne, par voie de conséquence, la nécessité d'une coordination.
La commission Truche n'a pas développé beaucoup tous ces arguments. Mais, en réalité, si la question ne l'a pas beaucoup intéressée, c'est parce qu'elle était chargée de rechercher ce qui importait pour l'indépendance de la justice, alors que, nous, nous recherchons ce qui importe non seulement pour l'indépendance des parquets mais aussi pour l'efficacité de leur action. Nous avons donc cette autre préoccupation, qui est non moins grande : tout le monde le sait et le dit, la criminalité, la petite comme la grande, ne cesse de progresser. Au demeurant, si l'on désignait une nouvelle commission, Truche ou autre, pour réexaminer ces questions sous cet angle-là, on aboutirait peut-être à des conclusions beaucoup plus proches de ce que nous proposons.
Je ferai enfin une dernière observation. Notre démarche est cohérente avec celle qui vient d'être décidée par les chefs d'Etat et de gouvernement, au nombre desquels M. Jospin et le président Chirac, à Tampere, et qui consiste à créer sous le nom d'Eurojust, en liaison avec Europol - la distinction va probablement se décanter avec le temps car tout cela n'est pas facile à mettre en place - un système de parquet européen qui sera une autorité non pas politique mais composée de magistrats - ou de l'équivalent des magistrats selon les cultures nationales diverses - et chargée de coordonner l'action des parquets nationaux. Encore faut-il qu'il y ait des parquets nationaux ! En effet, comme je l'ai dit hier, comment cette institution européenne, qui est mise sur pied à la satisfaction générale - et, je pense, à la satisfaction du garde des sceaux - pourrait-elle coordonner son action avec celle de trente-cinq procureurs généraux ?
Je trouve donc dans cette démarche européenne un renfort qui vient appuyer ce que nous avions d'ailleurs décidé avant de savoir que ce seraient les conclusions de la conférence de Tampere.
En définitive, nous avons le sentiment de vous soumettre une solution qui offre le grand avantage de la clarté alors que, comme l'a si bien dit M. Peyrat ce matin, ce qui nous est proposé n'est en réalité pas très clair : car, si j'ose dire, on reprend d'une main ce qu'on a donné de l'autre, ou on s'en réserve la possibilité. Et ce que je dis là n'est nullement, madame le garde des sceaux, une attaque a l'égard de votre position, que nous respectons d'une manière unanime - cela a déjà été dit et je souscris à ce propos - mais nous sommes bien ogligés de ne pas oublier qu'il y aura d'autres gardes des sceaux et que tel d'entre eux, dans telle autre conjoncture, pourra parfaitement reprendre d'une main, voire des deux mains, ce qui aura été donné du bout des lèvres dans le texte que nous examinons aujourd'hui.
Nous voulons mettre en place un système cohérent. Le garde des sceaux ne veut plus de ce pouvoir d'instruction ? Nous lui en donnons acte et nous créons, dans des conditions que je crois parfaitement correctes et satisfaisantes - au demeurant, s'agissant d'un projet de loi, nous pourrons toujours améliorer le dispositif - une autorité qui sera à même de garantir ce qu'il faut d'indépendance des magistrats en le conciliant avec ce qu'il faut d'efficacité du parquet.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Monsieur le rapporteur, vous proposez la création d'un personnage nouveau et, à vrai dire, inhabituel dans notre système juridique : le procureur général de la République.
Je voudrais, d'abord, faire remarquer que l'institution d'un procureur général de la République n'est pas conforme à la tradition républicaine. Cette idée de procureur général disposant d'un pouvoir propre indépendant du politique ne correspond, en effet, à aucune tradition française. Elle n'a jamais été évoquée par les Révolutionnaires, pour lesquels la justice ne pouvait être qu'une autorité déléguée et non un pouvoir, la légitimité d'un pouvoir ne provenant que du mandat du peuple.
Cette proposition ne résout en rien les questions qui se posent nécessairement et qui ont déjà été formulées par la commission présidée par M. Truche. Je les rappelle brièvement.
Quelle serait la légitimité de ce procureur général de la République ? Son mode de nomination ne procède pas de l'élection. Il disposera pourtant de pouvoirs exorbitants puisqu'il veillera à la cohérence de l'action publique, qu'il coordonnera l'action des procureurs généraux et leur donnera des instructions en tous domaines.
En réalité, ce procureur général de la République conduira la politique pénale. On peut même aller jusqu'à dire qu'il sera conduit à déterminer « sa » politique pénale. En effet, il pourrait mettre en oeuvre à sa guise les orientations générales qu'il recevrait du garde des sceaux, avec lequel il n'entretient pas de relations de nature hiérarchique.
Or, je réaffirme la conviction que j'ai exprimée dans mon discours introductif : seule l'élection est en mesure de donner une légitimité à celui ou celle qui est chargé de conduire les politiques publiques.
Tel ne serait pas le cas avec ce procureur général de la République, qui apparaîtrait rapidement comme un garde des sceaux bis et qui participerait à la confusion des rôles à laquelle le texte que je vous propose vise précisément à mettre un terme.
Votre proposition est également muette sur la question de la responsabilité. Quelle serait, en effet, la responsabilité de ce personnage ? S'agirait-il d'une responsabilité totale ou bien d'une responsabilité de nature politique ? La question se pose car l'amendement prévoit qu'il est mis un terme à ses fonctions « en cas d'empêchement ou de manquement grave aux obligations de sa charge ».
On ne nous dit évidemment pas comment serait contrôlé ce personnage, nouveau venu dans le paysage judiciaire qui ne contribuerait à mon sens en rien à la transparence ou à la responsabilisation.
L'ajout de cette institution supplémentaire aux contours mal définis provoque au contraire deux interrogations ou, plutôt, deux inquiétudes.
D'une part, si le « super-procureur » s'affranchit de toute responsabilité et acquiert une totale indépendance, il constituera la clé de voûte d'un système conduisant au gouvernement des juges.
D'autre part, si, derrière une apparente indépendance - nous ne savons rien en effet de la personnalité qui pourra être choisie - ce « super-procureur » entretient des relations occultes, des amitiés partisanes, nous verrons alors revenir en force la période de la suspicion, marquant toutes les instructions données, même les plus anodines, du soupçon de la connivence et de la complaisance.
Vous mettez en évidence le fait que votre proposition s'inspire d'exemples étrangers : Portugal, Espagne ou Royaume-Uni. Je crois pour ma part que ces exemples ne nous donnent aucune assurance quant à la pertinence de cette proposition. En effet, comme l'a excellement démontré ce matin M. Dreyfus-Schmidt, vous faites référence à des systèmes qui sont très différents du nôtre en ce sens qu'ils sont à dominante accusatoire et que les magistrats du parquet sont des fonctionnaires qui obéissent à des ordres. Ce n'est pas notre système.
C'est en réalité de l'exemple portugais que votre proposition se rapproche le plus mais l'inertie de la justice a justement suscité, voilà quelques années, au Portugal, des manifestations dans certaines villes touchées par l'insécurité, au point que des milices d'autodéfense ont vu le jour !
Compte tenu de l'importance que revêt cette question pour nos concitoyens, il me semble que les réponses publiques à l'insécurité doivent relever de la responsabilité politique et d'aucune autre.
Si ce procureur général de la République est un référant moral au Portugal pour les magistrats du parquet, il est néanmoins soumis à de fortes pressions politiques et médiatiques.
Peu désireuse de prolonger les comparaisons avec les exemples étrangers, je dirai simplement que l'exemple espagnol est éloigné de votre proposition, puisque le statut du procureur général y est proche de celui d'un fonctionnaire. L'exemple du Royaume-Uni est également différent puisque le tout récent Crown Prosecution Service ne donne pas d'instructions. Enfin, au Danemark, le ministre de la justice donne des instructions au Général Prosécutor, qui les répercute aux magistrats du parquet.
Par conséquent, ces exemples ne me paraissent pas probants pour légitimer cette proposition.
Il me paraît encore moins légitime de se référer aux exemples de pays qui ont appartenu à l'ancienne Union soviétique. Nous savons qu'actuellement, dans la Fédération de Russie, le procurateur concentre tous les pouvoirs entre ses mains : pouvoir de poursuite, pouvoir de police, contrôle de légalité.
Pour en avoir parlé avant-hier en détail avec mon homologue russe, M. Tcherkia, je peux vous dire que, même avec les progrès vers la démocratie qu'a enregistrés la Russie, la description qu'il m'a faite de ce double système ne m'inciterait pas à le reproduire chez nous.
Il ne me paraît pas non plus possible de faire référence aux procureurs indépendants des Etats-Unis, cette institution étant aujourd'hui en voie de disparition compte tenu des abus et des dérives qui ont été constatés lors de l'enquête menée par le procureur Starr contre le président Clinton.
Votre rapporteur dira que, finalement, son amendement s'inspire d'une proposition européenne que je soutiens, celle d'un procureur européen, ou plus exactement d'un parquet européen.
M. Jean-Jacques Hyest. Nous y voilà !
M. Michel Charasse. Il ne dit pas que cela !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Vous y voyez un précédent. Permettez-moi de vous dire que cela n'a rien à voir.
Le futur parquet européen, s'il existe et lorsqu'il existera, ne sera compétent que dans des domaines bien précis et bien déterminés. La proposition consiste à créer un parquet européen dans les affaires de criminalité organisée. Par ailleurs, ce parquet européen sera destiné à lancer des enquêtes et à les conduire, et non pas à diriger l'action publique en Europe. Il aura encore moins à se substituer aux parquets des Etats nationaux. D'ailleurs, il ne le pourra pas, puisque sa compétence se limitera aux domaines dans lesquels le droit de l'Union européenne aura enfin été complètement harmonisé. Comment, en effet, peut-on imaginer l'action d'un parquet européen qui serait déconnectée de toute base légale ?
En quelles matières ce droit peut-il être complètement harmonisé ? Sûrement dans le domaine de la fraude au budget communautaire. Je l'espère dans le domaine de la criminalité organisée ; encore faudra-t-il que nous réussissions à définir en commun un droit européen de la criminalité organisée - ce n'est pas pour demain matin, mais j'espère qu'on y arrivera. Je ne vois pas d'autres matières.
M. Aymeri de Montesquiou. Et les droits de l'homme ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Ce n'est pas nécessaire !
Pourquoi ce parquet européen me paraît-il utile pour intervenir sur la criminalité organisée ? Parce que les procédures d'enquêtes nationales sont inopérantes face à une criminalité organisée transnationale très rapide, qui recourt notamment à l'argent électronique. Mais, pour tout le reste, on peut très bien agir dans le cadre de l'entraide, à condition de la faciliter.
S'agissant de la criminalité organisée, il y aura de toute façon, dans le meilleur des cas, lorsque nous aurons un droit européen, coexistence de droits pénaux européens, qu'il sera possible, je l'espère, de rapprocher, mais qui resteront des droits nationaux.
Moi qui suis, comme vous le savez, monsieur le rapporteur, une Européenne convaincue, je pense par ailleurs que, dans ce domaine, il faut faire particulièrement attention au respect du principe de subsidiarité. En effet, si je suis partisane de la création d'un parquet européen compétent dans les domaines bien précis que je viens d'énumérer, j'estime, que même si ce parquet européen existe un jour, il faudra, une fois les enquêtes effectuées, qu'il laisse aux tribunaux nationaux le soin d'organsier les poursuites et de juger les délinquants.
Par conséquent, nous nous trouverons nécessairement face à un système où s'appliquera le principe de subsidiarité.
Pour toutes les raisons que j'ai évoquées, je considère que telle est la voie à suivre. C'est en tout cas ma conception du parquet européen, qui est partagée par les spécialistes - encore peu nombreux - de ce sujet, avec lesquels j'ai beaucoup travaillé depuis maintenant deux ans.
Les parquets nationaux conserveront de toute façon un rôle - heureusement, à mon avis - car nous n'avons pas besoin d'un tribunal pénal européen. Je préfère qu'il revienne aux tribunaux nationaux d'appliquer la législation européenne, à commencer par les droits de l'homme.
J'ai insisté sur ce point car, s'agissant d'un projet en gestation, on peut naturellement faire dire ce que l'on veut au texte du Gouvernement.
Quant à Eurojust, c'est autre chose. Peut-être sera-t-il un jour l'embryon d'un parquet européen. J'y vois pour l'instant un point de contact destiné à faciliter le réseau judiciaire européen, c'est-à-dire le contact direct entre magistrats européens pour éviter ces commissions rogatoires qui reviennent au bout de plusieurs années, ou qui, d'ailleurs, ne reviennent pas.
Nous avons déjà des procureurs nationaux en France. Il n'y a qu'un seul procureur national pour le terrorisme ; c'est le procureur de Paris. Nous en avons un qui est chargé du dépaysement des affaires ; il s'agit du procureur près la Cour de cassation. Nous en avons un à la Cour de justice de la République ; il s'agit du procureur général près la Cour de cassation. Vous le constatez, comme pour le parquet européen, ce sont des domaines bien précis de l'action publique qui sont visés. Il n'y a pas d'attribution générale à un seul personnage. Nous connaissons des centralisations, mais pas une direction unique de l'action publique.
Enfin, j'émettrai moi aussi des doutes sur la constitutionnalité de cette proposition. La commission des lois propose que le procureur général de la République soit nommé par le Président de la République sur une liste de trois personnalités proposées par le Conseil supérieur de la magistrature. Le nouvel article 30-6 du code de procédure pénale conférerait donc au Conseil supérieur de la magistrature une compétence d'autant plus nouvelle que le texte ne tranche pas la question de savoir si ce procureur général serait ou non un magistrat de l'ordre judiciaire.
Cette proposition, vous l'avez compris, ne peut recevoir mon approbation ni dans son principe, ni dans ses modalités. Elle ne satisfait pas l'objectif du projet de loi, qui consiste à restaurer la confiance des Français dans leur justice. A cette fin, il faut assurer l'égalité des citoyens devant la loi et mettre en place un système transparent pour écarter tout soupçon de partialité.
J'aimerais vous convaincre, monsieur le rapporteur, tant je suis persuadée de votre sincérité dans la recherche des arrangements.
Dans le système que je propose, il y a un ministre, et un seul, qui est responsable au nom du Gouvernement devant le Parlement. Il est chargé de prendre les directives de politique pénale et de veiller à la mise en oeuvre des poursuites.
Il y a un directeur d'administration centrale, le directeur des affaires criminelles et des grâces, qui prépare la politique pénale, qui s'informe auprès des procureurs généraux pour suivre cette mise en oeuvre. Il est le directeur des politiques pénales ; il n'est plus le directeur des affaires.
Il y a un inspecteur général des services judiciaires, et un service de l'inspection générale des services judiciaires, chargés d'évaluer et d'instruire les saisines disciplinaires.
Faut-il y ajouter un procureur général de la République ? Je ne le crois pas.
Le système proposé par le Gouvernement nous permet, me semble-t-il, de disposer des outils dont nous avons besoin pour définir, animer, appliquer et évaluer les politiques pénales.
Donc, non seulement votre proposition ne me paraît pas correspondre aux objectifs que je me fixe, mais je la crois de surcroît inutile puisque l'unité de la politique pénale et, par voie de conséquence, l'égalité de tous seront assurées par le système contenu dans le projet de loi. Voilà, monsieur le rapporteur, pourquoi je ne suis pas favorable à votre proposition. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 8.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mes explications seront évidemment facilitées par celles, très fournies et très convaincantes, qui viennent d'être données par Mme la garde des sceaux.
J'essaierai de ne pas répéter ce qu'elle a dit mais d'ajouter à son propos.
D'abord, contrairement à ce que disent certains, le projet est parfaitement constitutionnel puisqu'il laisse au garde des sceaux la responsabilité des directives, ou orientations générales, que les procureurs, qu'ils soient généraux ou de la République, ont l'obligation de mettre en oeuvre.
Avec votre système, c'en serait terminé ! Ce ne serait plus un représentant du Gouvernement, ou le Gouvernement qui aurait la responsabilité de la politique pénale, mais quelqu'un qui n'est pas un élu.
Or, Jean Foyer, que je citais ce matin - et vous ne m'avez pas répondu sur ce point, auquel beaucoup ici devraient pourtant être sensibles - s'interrogeait en répondant à la création éventuelle d'un procureur général de la République : qu'en serait-il de la démocratie ? Cette question vaut, me semble-t-il, que vous vous y arrêtiez.
Monsieur le rapporteur, lorsque je vous ai reproché de ne pas avoir parlé du rapport Truche à ce propos, je visais votre rapport écrit ; en effet, ce matin, à la tribune, vous vous y êtes effectivement référé pour laisser entendre que ce rapport ne serait pas hostile au dispositif que vous proposez. Tout à l'heure encore, vous avez dit que, peut-être, la commission Truche aurait pu changer d'avis.
En effet, c'est à une très large majorité, pour les raisons exposées, que la commission Truche a rejeté le système que vous proposez.
J'en arrive à votre proposition elle-même.
D'abord, il y a des choses que l'on ne sait pas. Il a été dit en commission, par M. le président de la commission des lois, me semble-t-il, que, bien entendu, la nomination par le Président de la République serait soumise au contreseing.
M. Jacques Larché, président de la commission. Cela va de soi !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ainsi, en période de cohabitation, l'opposition aurait un droit de regard.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Tant mieux !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je vous en donne acte, monsieur le rapporteur. Mais, à l'inverse, cela signifie aussi qu'en période de non-cohabitation l'opposition n'aurait aucun droit de regard ! Cet argument mérite tout de même, me semble-t-il, une réponse de votre part.
Vous parlez du Conseil supérieur de la magistrature, qui aurait à proposer et à statuer en formation plénière, formation plénière que la majorité du Sénat, pourtant, nous a-t-il semblé, n'aimait pas beaucoup. Mais, en l'occurrence, elle permet de réunir tous les magistrats, en particulier tous les procureurs, ceux qui seront nommés par les uns et ceux qui seront nommés par les autres, ce qui, en période de non-cohabitation, pourrait permettre de dégager une très nette majorité philosophiquement orientée à droite. C'est un risque.
C'est encore plus vrai avec le Conseil supérieur de la magistrature tel qu'il existe aujourd'hui.
Alors, de quel CSM parlez-vous ? Parlez-vous du CSM d'aujourd'hui ou de celui de demain ? Cela veut-il dire que vous avez l'intention de voter en Congrès à Versailles le texte qui a été adopté par le Parlement ? Cette question-là aussi mériterait une réponse.
Il est tout de même curieux que la majorité sénatoriale, dans un premier temps, se soit accrochée à ce que les procureurs généraux continuent à être nommés en conseil des ministres par l'exécutif et que, maintenant, elle nous propose que seul un unique procureur général soit nommé par l'exécutif et non pas même, bien entendu, par le Conseil supérieur de la magistrature.
La troisième question à laquelle vous n'avez pas répondu a trait à la responsabilité.
Nous sommes très nombreux à avoir souligné que, si une certaine liberté est laissée aux procureurs, aux membres du parquet, cette responsabilité doit être contrebalancée, d'une part, par le fait qu'ils sont tenus d'appliquer les directives générales et, d'autre part, par le droit propre du ministre, et, de surcroît, que les manquements à l'égalité, aux instructions générales, devraient pouvoir être déférés devant le Conseil supérieur de la magistrature par tout citoyen - j'ai demandé que cette possibilité soit donnée aux justiciables.
Or, il n'en est plus question en ce qui concerne le procureur général de la République,...
M. Michel Charasse. C'est vrai, cela !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... qui, lui, serait quasiment irresponsable. Il faudrait en effet vraiment qu'il en fasse beaucoup pour que ses amis, qui l'avaient proposé, en viennent à le révoquer à la majorité absolue. A cet égard, il est magnifique aussi que vous prévoyiez la majorité absolue pour révoquer le procureur général de la République, mais que vous ne la reteniez pas pour le désigner.
Je suis sûr qu'aucun d'entre vous, mes chers collègues, ne demande qu'un procureur général soit mis en place pour une durée de cinq ans, avec les pleins pouvoirs en matière d'action publique, alors même qu'il serait parfaitement irresponsable. C'est pourtant ce qui nous est proposé. J'espère bien que vous n'allez pas suivre le rapporteur et les membres de la commission des lois qui ont cru devoir le suivre, sans d'ailleurs beaucoup d'enthousiasme, si j'en crois M. Bonnet.
Voilà ce que je voulais ajouter aux explications éclairantes de Mme le garde des sceaux.
J'allais dire : la plaisanterie a assez duré, monsieur le rapporteur.
Vous nous dites que la proposition est tempérée. Elle a pourtant surgi d'un coup ; j'ai même dit que c'était un coup de théâtre.
Quant au droit comparé, j'aurais commis des erreurs selon vous. C'est possible, mais qui n'en commet pas ? D'ailleurs, il est assez difficile de trouver des études de droit comparé approfondies. Vous ne doutez pas, j'en suis sûr, de ma bonne foi. Vous avez tout de même reconnu que, pour nombre de critères - la légalité des poursuites, le fait que, dans certains pays, les procureurs ne sont pas des magistrats... - les différences sont telles que les systèmes ne sont pas du tout compatibles.
S'agissant de celui que vous nous proposez, j'avoue avoir plutôt cru à un « coup » qu'à autre chose. Si tel n'est pas le cas, j'espère que nous aurons réussi à vous démontrer que, véritablement, ce n'est pas la bonne solution. Ce n'est pas celle que les Français attendent, qui veulent une justice impartiale - car qui dit justice indépendante, dit justice impartiale - et qui soit la même pour tous. Il n'est pas question de laisser ce soin à quelqu'un qui n'est pas un élu. (Applaudisssements sur les travées socialistes.)
M. Robert Bret. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le rapporteur, avec l'amendement n° 8, vous voulez nous convraincre que la commission des lois fait preuve d'un esprit de conciliation.
Nous voudrions bien vous croire, monsieur Fauchon ! Mais la simple écoute des arguments que vous venez de développer n'est pas pour nous en convaincre.
Sous couvert de « concilier l'indépendance à l'égard du pouvoir politique et la nécessaire coordination de l'action publique », on cherche à établir, en réalité, une double tutelle sur les parquets, comme si une n'y suffisait pas. On voudrait paralyser le parquet qu'on ne s'y prendrait pas autrement !
Il s'agit bien d'une double tutelle donc, puisque, à celle du ministre de la justice, vous proposez de rajouter celle d'un « procureur général de la République ».
Ce procureur général de la République serait indépendant. Permettez-moi pour le moins d'être sceptique : nommé par le Président de la République, comment pourrait-il ne pas apparaître comme un personnage éminemment politique ? Voilà de quoi renforcer la suspicion de manipulation de la justice par le pouvoir politique...
On nous rétorque qu'il est choisi sur une liste de trois noms proposés par le Conseil supérieur de la magistrature. Mais, comme mon collègue M. Michel Dreyfus-Schmidt, je m'interroge : de quel Conseil supérieur de la magistrature s'agit-il ? De l'actuel ou du Conseil supérieur de la magistrature réformé, que vous affichez si peu d'empressement à mettre en place ?
De plus, il n'aura, comme le ministre de la justice, à rendre compte de son action devant aucune autorité. Vous l'instituez irresponsable.
Le procureur général de la République s'apparenterait, dites-vous, à une autorité administrative indépendante. A quoi pensez-vous ? A la Commission nationale de l'informatique et des libertés, au Conseil supérieur de l'audioviduel ? Mais ce sont tous deux des organes collégiaux ! C'est bien là qu'est la différence.
Vous avez raison de dire, cher collègue Fauchon, « comparons ce qui est comparable ». Si vous lisiez attentivement Mireille Delmas-Marty - que vous vous plaisez à citer - vous verriez combien l'exemple britannique est mal choisi.
Le système anglo-saxon, souligne-t-elle, s'illustre par la tradition de non-ingérence de l'Etat dans la recherche et de la poursuite des infractions : c'est la logique du système accusatoire, l'action pénale étant déclenchée par la police.
Ce n'est que très récemment - au milieu des années quatre-vingt -, qu'est né un système paralèlle de poursuites publiques pour remédier aux disparités générées par un système exclusivement accusatoire, qui favorise ceux qui ont les moyens d'avoir un avocat au détriment des plus pauvres.
Quant au système espagnol, il se caractérise par la légalité des poursuites, comme le rappelait mon collègue Michel Dreyfus-Schmidt ce matin, ce qui change, vous en conviendrez, singulièrement le problème.
Je n'ai pas eu le temps d'examiner les systèmes portugais et russe, et je m'en excuse.
Contrairement à ce que vous venez de dire voilà un instant, la commission Truche a rejeté le système que vous préconisez, dans les termes suivants : « A tout prendre, n'est-il pas préférable d'assainir les relations ministre-magistrats du parquet pour que les deux parties, responsables et dans la transparence, enrichissent leurs rapports pour le bien de la justice ? »
M. Jacques Larché, président de la commission. « Préférable ! »
M. Robert Bret. Nous ne chaussons pas les mêmes lunettes, ou nous n'avons pas la même interprétation.
Le bien de la justice ? On peut douter que vous l'ayez eu à l'esprit lorsque vous avez choisi de créer un système, dont la constitutionnalité est pour le moins douteuse. Mme le garde des sceaux et un certain nombre d'entre nous nous nous interrogeons.
La double tutelle serait, de surcroît, source de difficultés insolubles car elle dresserait l'un contre l'autre le ministre de la justice et le procureur général de la République, spécialement en période de cohabitation. Que se passerait-il en cas de conflit sur la nature des infractions en cause, chacun se déclarant habilité à donner des instructions aux procureurs ?
Mais peut-être est-ce ce que vous cherchez en réalité, en instituant un homme du Président chargé des poursuites, face au garde des sceaux : n'avez-vous pas affirmé vous-même, pour justifier le système proposé, qu'« on ne peut pas forcer à boire un âne qui n'a pas soif » ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Retirez ces propos ! C'est ridicule !
M. Robert Bret. Ils figurent dans le compte rendu de la conférence de presse !
Je ne sais qui vous visiez avec des termes aussi infamants, mais vous les avez prononcés, cher collègue Fauchon.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Un peu d'humour, cher ami, les proverbes sont les proverbes !
M. Robert Bret. Je le dis avec humour. C'est vous qui ne faites pas preuve d'humour !
Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons accepter l'amendement présenté par le rapporteur de la commission des lois et nous rejetterons, en conséquence, les amendements qui en découlent.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, mes chers collègues, on l'a bien vu depuis ce matin - sans doute l'avait-on vu précédemment en commission des lois - nous naviguons les uns et les autres un peu à vue, pour essayer de trouver une solution qui satisfasse l'opinion publique - c'est-à-dire les commentateurs,...
M. Jean-Jacques Hyest. Absolument !
M. Michel Charasse. ... puisque l'on fait de plus en plus de lois à partir d'articles de journaux ; c'est pourquoi, d'ailleurs, elles ne sont pas toujours très bien rédigées -...
M. Charles Revet. C'est vrai !
M. Michel Charasse. ... quant à l'impartialité, la neutralité et le fonctionnement harmonieux de l'autorité judiciaire.
Mais là, chers collègues de la commission des lois, avec cet amendement n° 8, vous nous posez un problème redoutable, car il tend à introduire dans nos institutions une règle, une procédure, un système tout à fait contraire à nos traditions républicaines et aux principes fondamentaux écrits de la République.
Mes chers collègues, il ne peut pas y avoir, dans les institutions françaises actuelles, d'écran entre le garde des sceaux et les services extérieurs locaux déconcentrés de son ministère que sont, entre autres, les parquets. C'est au garde des sceaux, c'est-à-dire au Gouvernement et à lui seul, qu'il revient de surveiller les parquets et de veiller à l'application de ses directives, à l'harmonisation de la politique pénale sur l'ensemble du territoire, à l'égalité des citoyens devant la loi pénale et la justice, et de mettre en route, si nécessaire, l'action disciplinaire.
Je ne vois pas très bien comment, avec cet écran, les choses vont ensuite se passer, sauf à ce que le procureur général de la République « moucharde » au garde des sceaux...
En outre, je considère que nous procédons à un nouveau démembrement de la souveraineté, même si ce n'est pas ce que cherchaient forcément nos collègues de la commission des lois, démembrement en particulier des pouvoirs qui sont accordés à l'exécutif par les articles 20 et 21 de la Constitution.
En vérité, la commission nous propose d'instituer une nouvelle autorité administrative indépendante, même si elle est judiciaire, qui s'ajouterait au Conseil supérieur de l'audiovisuel, à la Commission nationale de l'informatique et des libertés, à la Commission des opérations de Bourse... et j'en passe...
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Oui, puisque cela marche !
M. Michel Charasse. ... bref, à toutes ces autorités qui pullulent depuis des années et qui ont pour principal objet de soustraire à la souveraineté nationale - soit au Gouvernement, soit au Parlement - des prérogatives qui ne peuvent être constitutionnellement exercées que par eux, c'est-à-dire par les élus du peuple.
Je ne prendrai qu'un seul exemple, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
A l'article XIV : « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée. »
Article XV : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. »
Mais qu'en est-il des présidents des sociétés publiques de l'audiovisuel une fois qu'ils ont été désignés par le CSA ? Nul, exécutif ou législatif, ne peut rien leur demander ! La redevance représente 12 milliards de francs et l'on n'a plus le droit de poser la moindre question ! Nul ne peut s'aviser de demander la révocation d'un président de l'audiovisuel, même s'il part avec la caisse, car si le CSA ne le veut pas, cela ne se fera pas ! Voilà où en est la démocratie !
Jusqu'à présent, le Conseil constitutionnel a accepté ces démembrements - et, à mon avis, il a eu grand tort - parce que cela ne touchait pas vraiment à des éléments de souveraineté ou à des domaines régaliens.
Mais en ce qui concerne la justice, nous sommes dans un élément de souveraineté, dans un domaine régalien, et j'ai bien peur que les choses aillent beaucoup trop loin.
J'ajouterai, mes chers collègues, que non seulement cet amendement va beaucoup trop loin dans la définition de cette nouvelle autorité indépendante - et je m'en excuse auprès de mes collègues et amis de la commission des lois - mais, en plus, les modalités de désignation me paraissent bizarres, outre tout ce qui a pu être dit par mes amis, voilà un instant, ainsi que par le garde des sceaux.
Je viens de parler des autorités indépendantes : le CSA, la CNIL, etc. Dans ces cas-là, chers amis, la désignation se fait directement par un élu du suffrage universel ; mais, pour le procureur général, on met un écran : le Conseil supérieur de la magistrature. Le procureur général sera donc désigné au second degré.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Eh oui !
M. Michel Charasse. Or l'on sait qu'en droit français l'élu au second degré - nous en sommes l'exemple vivant - ne peut avoir ni le pouvoir ni le dernier mot.
J'en viens au contreseing. Monsieur le rapporteur, si vous voulez que l'article 19 de la Constitution soit respecté, il faut préciser dans votre amendement : « ... est nommé, par décret, par le Président de la République ».
On a adopté une formulation à peu près équivalente pour l'actuel Conseil supérieur de la magistrature. Et au moment où il a fallu procéder à la désignation - je m'en souviens très bien, servant à l'époque le président Mitterrand ; c'était dans les derniers mois de son second septennat - la question s'est posée de la forme de cette désignation. Comme c'était une désignation intuitu personae par le président du Sénat, le président de l'Assemblée nationale et le Président de la République - et l'actuel Président de la République est dans la même situation - nous nous sommes posés la question du contreseing, et l'on nous a dit : pas de contreseing !
Tant et si bien qu'aujourd'hui, pour échapper à la règle de l'article 19, le secrétaire général de l'Elysée fait savoir par téléphone, et confirme par note écrite non signée du Président, le nom de la personnalité que le Président de la République désigne pour le Conseil supérieur de la magistrature, puisque cela ne peut pas être un acte paraissant au Journal officiel, qui serait automatiquement, n'en étant pas dispensé par la Constitution, soumis au contreseing de l'article 19 !
Enfin - cette question n'est pas réglée - s'agit-il d'un magistrat ou d'un non-magistrat ? Ce n'est pas la moindre des questions !
Si c'est un magistrat, c'est le garde des sceaux qui lui donne les instructions et qui le surveille. Si c'est un non-magistrat, en aucun cas cela ne peut être un non-élu.
Ce dispositif ne me paraît pas « s'emboîter » - si je puis employer ce terme de mécanique - dans le dispositif actuel de la République française, tel qu'il existe depuis 125 ans, et même, si l'on remonte plus loin, depuis la Ire ou la IIe République.
A la limite, si on nous proposait que ce procureur général, s'inspirant de systèmes anglo-saxons - mais c'est une autre conception de l'Etat, qu'il s'agisse de monarchies ou de républiques - soit désigné par le vote du Parlement, obligeant les chambres à se mettre d'accord, la question se poserait peut-être différemment.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Charasse.
M. Michel Charasse. Mais comme ce n'est pas le cas, je ne peux, à mon grand regret, que voter contre l'amendement n° 8.
M. Michel Caldaguès. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Caldaguès.
M. Michel Caldaguès. Sur une question aussi fondamentale, je suis bien conscient que l'on ne peut pas avoir une approche manichéenne.
Je rends hommage au travail considérable qui a été accompli par la commission des lois, par son rapporteur en particulier, et à leur souci de sortir de l'impasse. Leur attitude procède de la volonté commune du Gouvernement et de la commission de rechercher à tout prix l'indépendance, c'est-à-dire de courir après une notion qui se dérobe, c'est tout à fait évident !
Je suis donc très troublé par l'affrontement entre une conception qui appelle, après mûre réflexion, à considérer que l'amendement de la commission est parfait, et une autre conception qui consiste à le démolir sans aucune espèce de ménagement.
Au demeurant, ce que je trouve très positif dans ce type de débat juridique, c'est qu'il permet à ceux qui ne sont pas compétents de s'instruire grâce aux enseignements que leur prodiguent quelques collègues plus avertis. Ce n'est pas la première fois que je fais ce constat.
Je voudrais donc poser une question à ces collègues plus avertis, à notre rapporteur notamment, et - pourquoi pas ? - au Gouvernement aussi : que dois-je répondre si l'on me demande, en dehors de cette enceinte, ce qu'est une autorité indépendante ?
Une « autorité indépendante », est-ce une une autorité qui ne rendrait de comptes à personne...
M. Michel Charasse. Oui, elle ne rend de comptes à personne !
M. Michel Caldaguès. ... et qui ne procéderait de personne ?
M. Michel Charasse. Voilà !
M. Michel Caldaguès. Dès lors, elle ne pourrait procéder que de la génération spontanée ! Encore que... ceux qui croient en Dieu considéreraient qu'elle procède d'un décret divin !
La définition de la notion d'indépendance est à ce point difficile qu'il faut s'adresser, me semble-t-il, à un spécialiste comme M. le rapporteur de la commission des lois pour qu'il nous instruise à ce sujet !
Si j'osais, je dirais que tant la commission que le Gouvernement courent après une chimère.
Comme d'autres intervenants, je ne crois pas non plus que l'action publique puisse procéder d'une autorité qui ne soit pas responsable et, nous savons bien qu'en régime démocratique l'autorité politique est responsable devant le peuple, qu'elle procède de lui, qu'elle doit lui rendre des comptes.
Evidemment, il s'agit là de considérations sur l'idéal, car la reddition des comptes du Gouvernement est une notion qui s'est quelque peu « effilochée » !
Il faut se résigner à ce que tout gouvernement soit placé sous le soupçon de ne pas être totalement impartial ! Je dois dire que cela m'est encore plus pénible quand je suis dans l'opposition, cette constatation ne se limitant pas seulement au fait d'être dans l'opposition ou dans la majorité !
Le Gouvernement, lui, croit pouvoir atteindre à l'indépendance en considérant, suivant le mot admirable de M. Michel Dreyfus-Schmidt, qu'il faut laisser une certaine liberté au procureur. Qu'est-ce qu'une « certaine liberté » ? Pour ma part, je ne vois là rien de précis !
En vérité, la seule différence entre la responsabilité politique du garde des sceaux et du Gouvernement quant à l'action publique telle que nous la connaissons dans la tradition républicaine et ce qu'on nous propose, c'est que, dans un cas, l'influence se voit et, dans l'autre, elle tente de ne pas se faire voir.
J'aurai terminé lorsque j'aurai dit, mais vous l'avez compris par avance, que l'autorité indépendante préconisée par notre commission me paraît pour le moins problématique.
M. Philippe de Gaulle. Très bien !
M. Michel Caldaguès. Par conséquent, mon vote procédera de cette très grande perplexité.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je souhaite simplement informer le Sénat que la Cour de cassation vient de déchoir M. Papon de son pourvoi.
M. le président. Merci de cette information, madame le garde des sceaux.
M. Patrice Gélard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Nous sommes là, véritablement, au coeur du débat.
Je vais reprendre les propos qu'a tenus M. Michel Charasse tout à l'heure. Il nous a dit qu'il n'était conforme ni à notre tradition républicaine ni à la Constitution de mettre en place cette autorité indépendante.
Il en va de même du texte que nous propose Mme le garde des sceaux, mon cher collègue. En effet, en supprimant le lien, en réalité traditionnel, qui relève des principes fondamentaux de la République, le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui est contraire à toute notre tradition constitutionnelle.
M. Michel Charasse. Ce n'est pas une raison !
M. Patrice Gélard. On ne peut pas, vous l'avez dit, mon cher collègue, laisser les procureurs faire n'importe quoi. On est obligé de les encadrer. En effet, les procureurs ne sont pas des magistrats, contrairement à ce qu'on nous répète en développant l'ambiguïté entre le statut du magistrat et celui du procureur. Les procureurs ne sont pas indépendants, ils ne sont pas inamovibles. Ils sont là pour représenter la puissance publique, pour être au service de la loi.
M. Michel Charasse. Le procureur, c'est un préfet !
M. Patrice Gélard. A la commission des lois ou au Gouvernement, on n'a peut-être pas fait le bon choix, parce qu'on n'a pas voulu aller au fond des choses, parce qu'on n'a pas voulu véritablement savoir quels sont le rôle, la mission et le statut du procureur face au garde des sceaux.
Bien entendu, je ne suis pas un fanatique des autorités administratives indépendantes, mais, comme chacun le sait, elles rendent bien service aux ministres. A partir du moment où il y a une autorité administrative indépendante, le ministre n'est plus responsable !
M. Michel Charasse. Il n'y a plus de responsable du tout !
M. Patrice Gélard. De plus, la question se pose : existe-t-il réellement une responsabilité politique des ministres ? A ma connaissance, il n'y en a pas ! Il y a une responsabilité collective des membres du Gouvernement, mais pas de responsabilité politique du ministre.
En fait, je m'interroge à haute voix devant vous, mes chers collègues : ce projet de loi n'a-t-il pas pour unique objet de proclamer que le ministre ne veut plus être « enquiquiné » avec les histoires de poursuites, qu'il veut s'en laver les mains, qu'il veut bien en prendre acte, mais pas s'en occuper.
Et puisqu'il ne veut plus s'occuper de certaines questions, il faut bien que quelqu'un le fasse à sa place. La solution que préconise la commission des lois à cet effet n'est peut-être pas parfaite, et la loi organique pourra peut-être la corriger et l'améliorer, en ce qui concerne la responsabilité notamment.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Comment ?
M. Patrice Gélard. C'est cela ou l'ancien système ! Il n'y a pas de place entre les deux !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est ni l'un ni l'autre !
M. Yann Gaillard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gaillard.
M. Yann Gaillard. J'ai scrupule, n'étant pas juriste de formation, à intervenir dans un débat d'une aussi grande qualité. Je suis par ailleurs très sensible aux efforts d'imagination de la commission des lois, pour laquelle j'ai beaucoup de respect, et au talent de notre collègue Pierre Fauchon.
Cela étant, je dois dire que, instinctivement, j'ai beaucoup de mal à prendre véritablement au sérieux cette institution d'un procureur général de la République indépendant. Cela me rappelle une vieille institution militaire du même genre : le Connétable. Ce commandant suprême a mal fini, et je pense que le procureur général de la République ne verra sans doute pas le jour.
Personnellement, je ne peux donc pas voter cet amendement n° 8.
En revanche, je conçois le trouble dans lequel le projet du Gouvernement laisse un certain nombre d'entre nous, car il nie en quelque sorte la constatation bien normale selon laquelle l'action publique doit être placée sous le contrôle du gouvernement issu du suffrage universel. Telle est bien l'origine de toute cette affaire.
Mme Dinah Derycke. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. Je ne reprendrai pas ce que j'ai déjà pu dire lors de la discussion générale d'hier, au cours de laquelle je me suis longuement exprimée sur ce sujet. Je ne reprendrai pas non plus ce qu'ont dit excellemment MM. Charasse et Dreyfus-Schmidt, ni les propos qu'a tenus Mme le garde des sceaux.
Cela étant, on connaît ma position, qui est celle du groupe socialiste et qui consiste à ne pas accepter la proposition de M. le rapporteur.
Je voudrais simplement rappeler que nous sommes partis d'un constat unanime : la réforme de la justice est indispensable pour que nos concitoyens puissent lui faire à nouveau confiance.
La perte de confiance des citoyens en leur justice est un problème grave en démocratie. Ces derniers la soupçonnent d'être au service du politique. Ce soupçon a pu être nourri par quelques affaires, bien entendu. Mais il y avait aussi les instructions individuelles qui, fait aggravant, s'adressent jusqu'à présent, s'adresseront jusqu'à la prochaine réforme du Conseil supérieur de la magistrature, à des magistrats dont la carrière est dans les mains du politique.
Comme je l'ai dit et comme d'autres l'ont répété après moi, monsieur le rapporteur, cette proposition ne lèvera pas ce soupçon de partialité de la justice, ce qui est extrêmement grave pour notre démocratie.
A quel rôle voulez-vous réduire le ministre de la justice ? Est-ce au rôle de gardien des sceaux, comme nous l'avons dit, avec un procureur général de la République, un grand inquisiteur, et sans responsabilités réelles ?
Le fait que le procureur général de la République rédige un rapport et qu'il l'envoie au Président de la République et au Premier ministre, c'est bien peu eu égard à ce que prévoyait Mme le garde des sceaux dans son projet : un rapport devait être soumis à la discussion du Parlement, ce qui accroissait nos prérogatives.
Par ailleurs, je m'interroge sur la nomination de ce responsable. J'observe en effet que cette nouvelle responsabilité confiée au Conseil supérieur de la magistrature modifié, j'imagine, après le vote en Congrès, nécessiterait une nouvelle réforme constitutionnelle.
Je me demande si, au fond, l'objectif recherché n'est pas de repousser la réforme constitutionnelle qui, pourtant, tarde déjà à être présentée. Je m'interroge, d'autant que, devant la commission des lois, à plusieurs reprises, certains ont fait état de multiples révisions constitutionnelles qu'ils trouvent dangereuses et trop nombreuses. Ils ne sont pas toujours très heureux que l'on revienne sans cesse sur la Constitution. Mais si votre texte était adopté, il faudrait bien prévoir une nouvelle révision de la Constitution.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. J'écarterai une série d'arguments qui relèvent du procès d'intention ou de propos gratuits et insaisissables. Si on n'est pas d'accord, on n'est pas d'accord, c'est tout ! Je ne répondrai donc qu'aux arguments qui peuvent prêter à un échange de vues sérieux, car nous sommes sur une affaire tout à fait sérieuse.
M. Michel Dreyfus-Schmidt a longuement évoqué le thème de la responsabilité. Il estime que nous allons créer une autorité qui ne sera pas responsable. C'est effectivement un problème auquel nous nous heurtons.
M. Charasse a déclaré que la création de cette autorité serait une révolution dans la République, avant d'ajouter que l'on avait déjà créé beaucoup d'autres autorités. Dans ces conditions, ce n'est pas vraiment une révolution !
M. Michel Charasse. Ce n'est pas ce que l'on a fait de mieux !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. C'est votre point de vue.
M. Michel Charasse. Tout à fait !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Nous y reviendrons.
On a créé un certain nombre d'autorités, et on s'est parfois aperçu que l'on n'avait prévu aucune sécurité. Il existe d'ailleurs actuellement un exemple dans notre vie publique et on ne sait pas comment résoudre un certain problème...
M. Michel Charasse. C'est une autorité constitutionnelle !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je n'ai peut-être pas besoin d'être plus précis en séance publique.
Dans le cas qui nous occupe, nous avons justement voulu prévoir cette sécurité. Nous sommes prêts à amender notre projet, car nous ne prétendons pas qu'il soit parfait. Pour l'instant, nous nous battons sur l'idée, mais nous ne sommes pas au bout du parcours, je l'espère ; il y aura d'autres lectures.
Nous avons donc prévu la saisine du CSM par le garde des sceaux en cas d'empêchement, ce qui, hélas ! peut toujours arriver, mais surtout en cas de manquement de cette autorité aux devoirs de sa charge, que nous définissons par référence à la loi, aux règlements et à la politique pénale définie par le ministre. Nous avons donc bien intégré la mission de cette autorité dans ce cadre ; ce n'est pas n'importe quoi ! Nous nous situons bien dans l'ensemble des responsabilités globales du garde des sceaux, qui pourra saisir le CSM. Ce dernier pourra alors se pencher sur le problème et prendre une décision. Cet élément, quelque peu novateur dans ce genre de dispositif, donne une sécurité non négligeable.
J'en viens maintenant aux observations de M. Bret, qui ont été nombreuses.
Pouvons-nous nous offrir un moment d'humour avec votre permission, madame la garde des sceaux ?
Il est vrai que, vers la fin d'une conférence de presse, j'ai dit qu'on ne pouvait pas faire boire un âne qui n'a pas soif.
M. Michel Charasse. C'est une expression campagnarde !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. ... qui, en tant que telle, n'est que humoristique. Mais Mme le garde des sceaux s'en est bien douté.
Que s'est-il passé ? J'ai fait mon exposé. Des questions m'ont été posées. L'une des dernières a été : « Pourquoi ne demandez-vous pas au Gouvernement d'assumer ces responsabilités-là ? » C'est à cette question que j'ai répondu que je ne pouvais pas m'exprimer autrement qu'en employant un vieux proverbe et en m'excusant, ce que j'ai d'ailleurs fait expressément, de la grossièreté de la formule, auprès du Gouvernement : « On ne peut pas demander à un âne qui n'a pas soif de boire. » Chacun comprend ce qu'elle signifie et elle ne peut prêter qu'à sourire. Vous souriez vous-même d'ailleurs, monsieur Bret. Ce n'est pas par hasard que vous êtes de Marseille !
Alors, s'il vous plaît, n'argumentons pas sur ce qui n'est qu'un mot ! Mme le garde sait quelle considération j'ai pour elle, pour son action et pour sa personne, et je pense qu'elle ne s'y est pas un instant trompée. (Mme le garde des sceaux fait un signe d'approbation.)

Monsieur Bret, vous avez parlé de double tutelle. Il n'y a pas de double tutelle ! Nous avons tout à fait pris garde à préserver les pouvoirs du garde des sceaux. Il n'y a pas d'égalité. Il n'y a pas un sous-ministre. Il y a quelqu'un qui coordonne l'action publique et qui peut donner des instructions écrites, motivées et versées au dossier, un point c'est tout.
La tutelle de la magistrature, c'est le garde des sceaux qui la conserve. C'est le garde des sceaux qui donne des instructions générales, qui définit la politique générale. C'est lui qui engage l'action disciplinaire. C'est le garde des sceaux qui fait les propositions pour l'avancement, etc. - dans ce et cetera , je comprends implicitement les décorations...
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Tout cela signifie que c'est bien le garde des sceaux qui est le « patron » de la magistrature et que l'autorité dont nous parlons a simplement pour but de veiller à une coordination de l'action publique car, encore une fois, mes chers collègues, Caldaguès et Gaillard, le texte qui prévoit que le Gouvernement ne donnera plus d'instructions, nous l'avons voté ce matin, attention, nous avons brûlé nos vaisseaux - à tort ou à raison, c'est possible - mais nous sommes face à cette situation de vide, de retrait. Pensons-y dans nos votes tout à l'heure.
M. Michel Charasse. Vous aurez les amendements de Mme Derycke tout à l'heure !
M. Pierre Fauchon rapporteur. Enfin, on s'obstine à me dire que cette autorité, nommée par le Président de la République, est suspecte. C'est déjà très bien, entre nous soit dit, d'être nommé par le Président de la République. Cela suffit à laisser entendre que n'importe qui ne pourrait pas être nommé.
Et ce n'est pas simplement nommé par le Président de la République, mais nommé par le Président de la République sur proposition de trois noms par le Conseil supérieur de la magistrature.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Avec contreseing !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Avec contreseing.
Honnêtement, les conditions sont remplies pour que nous ayons quelqu'un de capable, quelqu'un qui ne puisse être suspecté d'avoir une imprégnation politique excessive.
Certes, rien n'est parfait, mais on réunit là des conditions qui sont extrêmement sérieuses et qui, pour tout esprit sérieux, sont satisfaisantes.
Encore une fois, si vous voulez ajouter d'autres précautions, je suis prêt, bien entendu, à aménager le projet.
Quelqu'un a parlé de la collégialité. Mme le garde des sceaux pense aussi que c'est l'un des reproches que l'on peut faire au projet. Je me suis posé la question. Mais, pour les raisons que j'ai expliquées ce matin, il faut quelquefois prendre des décisions dans l'heure. Dans mon esprit, cela concerne surtout des interventions dans les cas les plus graves, comme la grande criminalité. Il faut donc avoir une capacité d'intervention sur le terrain extrêmement rapide. Or, par définition, une formation collégiale ne peut pas le faire. Cela étant, si l'on m'avait proposé des amendements sur ce point, on aurait pu y réfléchir. Je crois qu'une mission comme celle-ci doit être assurée par une seule personne, qui, bien entendu, aura une équipe.
Je voudrais dire à M. Charasse que j'ai trouvé son propos toujours habile, et tellement agréable à entendre, il faut bien le dire, de sorte qu'il y a un effet de séduction auquel on résiste avec difficulté. Mais on se cramponne à sa propre conscience, tout de même...
M. Michel Charasse. N'en jetez plus !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Et ma propre conscience me fait vous dire, avec toute la considération que vous méritez, qu'il y a une contradiction dans votre propos !
En effet, il s'agit selon vous d'une innovation comme on n'en a jamais vu dans la République - comme si, d'ailleurs, vous étiez homme à vous inquiéter de l'innovation ! Ce n'est pas vraiment dans votre emploi ! - puis vous énumérez complaisamment les cinq, six ou sept cas pour lesquels des autorités semblables ont été créées !
M. Michel Charasse. Là, c'est le domaine régalien ; c'est la souveraineté !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Ce n'est plus une innovation alors, puisque c'est un procédé auquel on a déjà eu recours !
Je crois pouvoir dire, sans risquer d'être contredit, que toutes les autorités qui ont ainsi été créées fonctionnent correctement et n'appellent pas de critiques. Vous pouvez le regretter, trouver qu'on aurait dû faire autrement. Le fait est que nous avons agi ainsi les uns et les autres, chacun à notre tour et, autant que je sache, cela fonctionne assez bien. C'est la raison pour laquelle il n'y a pas lieu de jeter une suspicion, a priori, sur ce que nous proposons.
Vous avez aussi parlé d'écran. Mais dès lors que la Chancellerie ne veut plus donner ce genre d'instructions, il n'y a pas de phénomène d'écran ou d'interposition. Cette capacité sera exercée uniquement par l'autorité en question. Pour qu'il y ait un écran, il faut que deux autorités s'opposent !
M. Michel Charasse. Si ce n'est pas de l'écran, qu'est-ce que c'est ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Enfin, vous avez reparlé de légitimité. Excusez-moi de vous le dire : combien y a-t-il dans notre société d'autorités qui ne sont pas issues du suffrage universel, direct ou indirect, et dont personne ne conteste la légitimité ?
M. Michel Charasse. Moi, si !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Dans l'ensemble de la magistrature, les juges ne sont pas élus. Ou alors, il faut demander que les juges soient élus ! C'est la conception anglo-saxonne.
M. Michel Charasse. Ce n'est qu'une autorité !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Ne m'interrompez pas tout le temps, vous me faites perdre mes moyens. Ce n'est pas gentil, monsieur Charasse !
M. Michel Charasse. Quelle modestie !
M. le président. Si vous voulez interrompre M. le rapporteur, dites-le, monsieur Charasse, ce serait plus courtois.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Ménagez-moi si vous voulez que je vous ménage !
Vous parlez de légitimité. Les magistrats ne sont pas jusqu'à présent élus, mais leurs décisions sont légitimes.
Ce n'est jamais qu'un type de magistrat, très particulier, je le reconnais, mais légitime parmi d'autres. Il s'agit d'une autorité originale, mais voyez le nombre d'autorités ! Quand un préfet nous envoie une instruction, ou lorsque le directeur de l'équipement nous écrit, ne me dites pas qu'ils ne sont pas légitimes. La plupart des autorités exerçant un pouvoir dans notre société ne procède pas du suffrage universel. Ce sont des autorités d'un pouvoir dérivé. C'est classique et cela n'a rien d'original. Le Gouverneur de la Banque de France n'est pas élu au suffrage universel, et pourtant il règle le sort de notre monnaie.
Je me souviens du scepticisme qui régnait lors du débat sur la Banque de France, j'étais rapporteur. Tout le monde disait que cela ne marcherait jamais... que c'était révolutionnaire... que c'était la fin d'une grande prérogative de l'Etat,...
M. Emmanuel Hamel. C'est l'abandon de notre souveraineté monétaire ! (Sourires.)
M. Pierre Fauchon, rapporteur. ... que c'était le renoncement à notre souveraineté monétaire. M. Hamel, notre grenadier, était présent, comme toujours dans les grands débats ! Or, maintenant, tout le monde reconnaît que cela fonctionne très bien.
M. Emmanuel Hamel. Au détriment des intérêts du peuple !
M. Robert Bret. Cela se fissure ! Le bateau prend l'eau !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Ne venez pas nous dire que nous sommes dans l'erreur.
Je m'adresse maintenant à M. Caldaguès.
Je comprends bien sa perplexité, ainsi que celle de M. Gaillard. Si vous apparteniez à la commission des lois, vous auriez été plus associé à toutes ces discussions.
Vos propos ont été spontanés et je conçois que ce n'est pas facile. Lorsqu'il s'agit d'innover, cela ne l'est jamais. Mais permettez-moi de vous faire une observation : le vin est tiré,...
M. Emmanuel Hamel. ... il faut le boire !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. ... car nous avons voté ce matin un dispositif en vertu duquel les procureurs généraux ne recevront plus d'instructions ; ils recevront des instructions générales, des circulaires, etc. C'est voté !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Des orientations générales !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. A partir du moment où il y a retrait de l'autorité nationale, il faut en créer une autre, pour qu'il y ait encore une autorité nationale. Je pense que vous devez être attentif à cela, monsieur Caldaguès ; il faut qu'il y ait une autorité nationale !
S'il n'y avait eu que nous, nous aurions demandé au Gouvernement de garder ses prérogatives. Mais nous avons bien vu que nous n'y parviendrions pas. Nous avons donc, à regret, je n'hésite pas à le dire - je n'étais pas spécialement enthousiaste à cette idée -, cherché une autre autorité. A partir du moment où le garde des sceaux ne voulait plus assumer l'autorité et que l'Assemblée nationale allait confirmer cette décision par son vote, il nous a paru expédient, positif, concret, d'affirmer notre conception et notre exigence d'une coordination nationale en créant une nouvelle autorité. Voilà ce qui nous a conduits à cette proposition.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est tomber de Charybde en Scylla !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Vous vous êtes demandé ce qu'était une autorité indépendante.
M. Charles de Cuttoli. Une autorité irresponsable !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Mais non ! J'ai indiqué tout à l'heure, cher ami de Cuttoli, pourquoi elle n'était pas irresponsable. Parce qu'elle peut être citée pour manquement aux devoirs de sa charge devant le Conseil supérieur de la magistrature à la requête du garde des sceaux. Donc, elle n'est pas irresponsable !
M. le président. Mes chers collègues, M. le rapporteur a la parole et il est le seul à l'avoir !
M. Michel Caldaguès. Je prends des notes, monsieur le rapporteur.
M. le président. Ce n'est pas interdit. Mais interrompre l'orateur sans son autorisation, ça l'est !
M. Jean-Jacques Hyest. Sans « votre » autorisation !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Nous avons, tout d'abord, dit que c'est une autorité. Nous disons qu'elle a l'indépendance souhaitable. Cette situation d'indépendance que nous créons procédera de ce mode de nomination que j'ai rappelé tout à l'heure.
Vous avez dit qu'elle n'aura de comptes à rendre à personne. Elle aura à rendre des comptes puisque ses décisions étant écrites et versées au dossier, elles seront connues, publiques, commentées par la presse et donc parfaitement critiquables.
Ensuite, comme je le disais précédemment, si elle sort des devoirs de sa charge, elle pourra être déférée par le garde des sceaux au CSM. Soyez rassuré, elle ne pourra pas faire n'importe quoi ! Elle sera donc bien dans un réseau de responsabilités, tout en étant moralement indépendante, et ce plus, au fond, qu'un magistrat.
En effet, un magistrat qui prend une décision critiquable ne peut pas être déféré, lui. Le procureur général près la cour d'appel, à qui, si vous ne votez pas notre amendement, vous allez confier demain ces pouvoirs, ne répond devant personne pratiquement, sauf à ce que le recours disciplinaire soit exercé, mais c'est encore plus lointain. La situation serait encore pire.
Par conséquent, mes chers collègues, je le répète, nous n'avons plus le choix entre revenir à la situation antérieure ou adopter les propositions de la commission. Le choix n'est plus qu'entre adopter ces propositions ou voir trente-cinq procureurs généraux exercer chacun de son côté, avec sa culture propre, son particularisme propre. (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Michel Caldaguès. Monsieur le rapporteur, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Bien volontiers.
M. le président. La parole est à M. Caldaguès, avec l'autorisation de M. le rapporteur.
M. Michel Caldaguès. En ce qui me concerne, monsieur le rapporteur, il est faux de dire que je n'ai plus le choix. En effet, si je vote contre le texte, j'aurai bien exercé un choix.
M. le président. Monsieur le rapporteur, veuillez poursuivre.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Oh ! excusez-moi, mon cher collègue, vous avez une plus grande expérience que moi, et je vois que vous avez tout prévu. Je m'incline devant cet argument ! (Sourires.)
Nous devons gérer les affaires de la France et nous devons essayer de proposer des solutions qui aient quelque chance d'être opérationnelles. Sur ce point, je pense que vous avez, comme nous tous, le sens de vos responsabilités.
En fait, le problème est extrêmement grave et je ne peux absolument pas accepter les propos de notre collègue M. Dreyfus-Schmidt selon lesquels la plaisanterie a assez duré. Cher ami, il n'est pas question de plaisanter ! Nous nous trouvons face à une société gangrenée par une criminalité galopante, confrontée au phénomène de la criminalité organisée, laquelle est d'ailleurs beaucoup mieux organisée que nous ne le sommes et que ne le sont tous les procureurs de la terre. Nous sommes face au blanchiment de l'argent sale, face aux trafics de drogues, de stupéfiants, d'armes, d'hormones, de substances dangereuses, d'êtres humains - enfants, femmes...
Face à tous ces fléaux, je me permets de vous dire, mes chers collègues, que, sans une coordination de l'action publique, nous n'aurons pas l'efficacité nécessaire. Préservons donc à tout prix ce qui peut être préservé ; préservons cette efficacité qui ne peut être obtenue - c'est tellement évident - que par une coordination à l'échelon national.
En tout cas, si j'osais parler de plaisanterie, je n'attribuerais certainement pas ce mot aux propositions qui sont faites par le Gouvernement !
Face à tous les périls que je viens d'évoquer, je le répète, mes chers collègues, l'action menée par trente-cinq procureurs généraux indépendants me laisse sceptique. C'est la raison pour laquelle je vous demande instamment de voter l'amendement n° 8.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Au terme de ce débat, je voudrais d'abord dire qu'il est faux d'affirmer qu'il n'y aura pas de coordination. Celle-ci existe ; peut-être est-elle conçue selon des modalités qui vous déplaisent, monsieur le rapporteur, et avec lesquelles vous pouvez être en désaccord.
Cette coordination sera même plus efficace à vrai dire que celle qui existait auparavant ; j'ai tâché de le montrer dans la discussion générale et au cours de mes différentes interventions.
Il n'est pas possible non plus de prétendre, comme l'a fait M. Gélard tout à l'heure, que le garde des sceaux ne veut plus assumer de responsabilités. Au contraire, le projet du Gouvernement met constamment l'accent sur cette responsabilité qui est déterminée d'une façon claire et transparente, avec une précision qui n'a jamais été atteinte auparavant, puisque les pouvoirs du garde des sceaux - pouvoir de direction générale, de droit d'action, d'information, etc. - sont désormais définis par le code, ce qui n'était pas le cas antérieurement.
Le garde des sceaux doit rendre compte devant le Parlement. Il doit, par conséquent, faire une évaluation des politiques pénales mises en oeuvre. L'irresponsabilité, c'était, au contraire, le fait du système antérieur, dans lequel cette évaluation des politiques pénales n'existait pas ; que l'addition des politiques et des dossiers individuels ne pouvait en aucun cas constituer une politique pénale.
J'ajouterai que le lien n'est pas coupé : le garde des sceaux est toujours le chef hiérarchique du parquet ; l'article 5 du statut de la magistrature, qui prévoit l'organisation hiérarchique du parquet, n'est pas abrogé, le garde des sceaux peut donner des directives, il peut déplacer un procureur dans l'intérêt du servive.
Il n'est absolument pas touché au pouvoir constitutionnel conféré au garde des sceaux ; ce pouvoir est simplement organisé différement pour qu'il se fonde sur l'intérêt général et non sur le traitement d'affaires particulières.
Par conséquent, mesdames, messieurs les sénateurs, non, je ne démembre pas l'Etat, non, je ne désarme pas l'Etat ; je fais en sorte qu'il y ait enfin dans ce pays une politique pénale ; je fais en sorte que la justice et les élus soient insoupçonnables.
M. Jacques Larché, président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. Devant le caractère passionnel de quelques interventions, je voudrais rappeler les raisons pour lesquelles nous sommes dans la situation présente.
Des initiatives ont été prises en dehors de nous, sans que nous soyons consultés, et dont les conséquences apparaissent aujourd'hui.
Quel est dès lors le devoir de la commission des lois ? De faire en sorte que ces initiatives fassent un minimum de dégâts. Cette ligne de conduite s'est traduite dans l'exigence que nous avons adressée ce matin à Mme la garde des sceaux, qui ne consentait pas à ce que nous lui proposions ; nous l'avons priée, en quelque sorte, de conserver ses pouvoirs dans ces domaines essentiels qui intéressent la sûreté de l'Etat et la lutte contre le terrorisme.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Justement, vous avez eu ce que vous vouliez !
M. Jacques Larché, président de la commission. La proposition qui est faite maintenant par la commission tend à pallier un inconvénient qui résulte de ce cheminement et du système auquel, très logiquement d'ailleurs, les services de la Chancellerie et Mme le garde des sceaux ont abouti, c'est-à-dire l'atomisation de la poursuite publique. Nous ne voulons pas de cette atomisation. Nous avons donc essayé de trouver un moyen de la combattre.
Compte tenu de la signification de la proposition que nous faisons et de l'importance que nous y attachons, je demande que l'amendement n° 8 soit mis aux voix par scrutin public.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?..
Je mets aux voix l'amendement n° 8, repoussé par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?..
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des voix.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 10:

Nombre de votants 304
Nombre de suffrages exprimés 302
Majorité absolue des suffrages 152
Pour l'adoption 198
Contre 104

En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 1er.

Article 1er (suite)