Séance du 16 novembre 1998
M. le président. « Art. 15. - I. - L'article L. 321-1 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
« 1° Au 1°, après les mots : ", des frais d'analyses et d'examens de laboratoire,", sont insérés les mots : "y compris la couverture des frais relatifs aux actes d'investigation individuels," ; »
« 2° Après le 7°, il est ajouté un 8° ainsi rédigé :
« 8° La couverture des frais relatifs aux examens de dépistage effectués dans le cadre des programmes arrêtés en application des dispositions de l'article L. 55 du code de la santé publique. »
« II. - L'article L. 322-3 du code de la sécurité sociale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« 16° Pour les frais d'examens de dépistage effectués dans le cadre des programmes mentionnés au 8° de l'article L. 321 1. »
« III. - L'article L. 615-14 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
« 1° Il est inséré, après le douzième alinéa (11°), un alinéa ainsi rédigé :
« 12° Des frais relatifs aux actes d'investigation exécutés ou réalisés à des fins de dépistage. » ;
« 2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« 5° La couverture des frais relatifs aux examens de dépistage effectués dans le cadre de programmes arrêtés en application des dispositions de l'article L. 55 du code de la santé publique. »
« IV. - A l'article L. 615-18 du code de la sécurité sociale, les mots : "des 10°, 11° et 12° de l'article L. 322-3" sont remplacés par les mots : "des 10°, 11°, 12° et 16° de l'article L. 322-3". »
« V. - Après le titre II du livre Ier du code de la santé publique, il est inséré un titre II bis ainsi rédigé :
« TITRE II BIS
« LUTTE CONTRE LES MALADIES
AUX CONSÉQUENCES MORTELLES ÉVITABLES
«
Art. L. 55
. - Au vu des conclusions de la conférence nationale de
santé, des programmes de dépistage organisé de maladies aux conséquences
mortelles évitables sont mis en oeuvre dans des conditions fixées par voie
réglementaire, sans préjudice de l'application de l'article 68 de la loi de
finances pour 1964 (n° 63-1241 du 19 décembre 1963).
« La liste de ces programmes est fixée par arrêté des ministres chargés de la
santé et de la sécurité sociale, après avis de l'Agence nationale
d'accréditation et d'évaluation en santé et de la Caisse nationale de
l'assurance maladie des travailleurs salariés.
« Les professionnels et organismes qui souhaitent participer à la réalisation
des programmes susmentionnés s'engagent contractuellement auprès des organismes
d'assurance maladie, sur la base d'une convention type fixée par arrêté
interministériel pris après avis de la Caisse nationale de l'assurance maladie
des travailleurs salariés, à respecter les conditions de mise en oeuvre de ces
programmes. Celles-ci concernent notamment l'information du patient, la qualité
des examens, des actes et soins complémentaires, le suivi des personnes et la
transmission des informations nécessaires à l'évaluation des programmes de
dépistage dans le respect des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978
relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
« La médecine du travail peut accompagner par des actions de prévention les
programmes de dépistage visant à réduire les risques de maladies aux
conséquences mortelles évitables par des actions de sensibilisation collectives
ou individuelles.
« Un décret fixe la liste des examens et tests de dépistage qui ne peuvent
être réalisés que par des professionnels et des organismes ayant souscrit à la
convention type mentionnée à l'alinéa précédent.
« L'Etat participe aux actions d'accompagnement, de suivi et d'évaluation de
ces programmes. »
Sur l'article, la parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Je voudrais aborder, à l'occassion de la discussion de l'article 15, qui tend
notamment à insérer dans le code de la santé publique un titre intitulé : «
Lutte contre les maladies aux conséquences mortelles évitables », la question
de la santé dans son rapport dialectique fondamental avec le travail.
Le corps et le cerveau du travailleur sont engagés huit heures par jour dans
l'effort plus ou moins violent de la production, exposés à la pression
psychologique, au froid et à la chaleur, à l'usure physique, à des produits
dangereux.
L'inégalité sociale à cet égard est terriblement accusatrice pour notre
société : les ouvriers meurent huit à neuf ans plus tôt que les membres des
professions libérales, et l'écart grandit d'année en année. Cette inégalité de
la durée de vie nous semble cristalliser l'ensemble des inégalités. Ainsi, les
ouvriers meurent trois fois plus de cancer que les personnes exerçant une
profession libérale, ce qui s'explique : ils y sont trois fois plus exposés.
Selon une enquête de la DARES, la direction de l'animation, de la recherche,
des études et des statistiques, un million de salariés sont exposés à des
produits cancérogènes. Parmi eux, sont plus particulièrement menacés les
mécaniciens automobiles, les ouvriers du bois, les ouvriers d'entretien en
mécanique, les salariés du bâtiment et des travaux publics ainsi que ceux de la
métallurgie.
Le travail répétitif sous contrainte de temps, à l'origine de 7 000 cas de
lésions par efforts répétés ou troubles musculo-squelettiques, est aussi l'une
des causes de la montée des souffrances psychologiques, base de la
surconsommation des antidépresseurs en France. Il explique également le
développement inégalitaire des suicides, les ouvriers se suicidant cinq à six
fois plus que les professions libérales entre vingt-cinq et quarante-neuf
ans.
Je citerai encore l'exemple - je pourrais en évoquer bien d'autres - des 200
000 soudeurs de notre pays parmi lesquels les victimes de troubles
respiratoires aigus sont de 30 % à 40 % plus nombreux que dans l'ensemble de la
population.
L'état sanitaire de la France est donc déterminé essentiellement par le
travail et reproduit fidèlement les inégalités de classes. L'article 15 de ce
projet de loi de financement constitue de la sorte, avec l'article 31, un enjeu
primordial au regard de la politique sanitaire.
Je souhaite que le Gouvernement prenne l'engagement d'ouvrir rapidement un
débat sur ce sujet.
Accidents et maladies professionnels ne devraient pas faire l'objet de mesures
parcellaires, et donc forcément tardives, visant à rouvrir des dossiers quand
des milliers de travailleurs sont condamnés, sinon déjà morts.
Nous savons tous que c'est la prévention qui doit être privilégiée, mais je ne
suis pas sûre que nous parlions tous de la même chose lorsque nous évoquons la
prévention. Celle-ci consiste à empêcher l'apparition des maladies en en
supprimant les causes. Il est cruel, pour les travailleurs malades, d'entendre
sans cesse mentionner seulement le tabagisme et l'alcoolisme. Les causes
majeures des cancers et de presque tous les maux sont inscrites dans le
travail, et c'est le travail qu'il faut « soigner » pour soigner la maladie.
Une mesure est prise, cette année, concernant l'indemnisation des cancers
causés par exposition à l'amiante, à la suite d'une importante couverture
médiatique de certains scandales. Dans le même temps, des milliers de salariés
travaillent quotidiennement en contact avec des éthers de glycol, reconnus
toxiques et tératogènes depuis 1979, interdits dans les médicaments et les
cosmétiques par des arrêtés de janvier 1998, mais autorisés à des doses fortes
dans l'industrie.
D'une manière générale, 30 % des salariés sont exposés à des substances
chimiques dont on ne connaît pas toutes les conséquences.
Madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, nous souhaitons que la
prévention, au plein sens du terme, soit au centre des prochains états généraux
de la santé, que des moyens nouveaux soient rapidement dégagés et qu'une autre
législation, permettant d'améliorer notre système de médecine du travail, soit
non moins rapidement adoptée.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat à la santé.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Madame le sénateur, vous avez évidemment raison sur le
fond.
L'attention du Gouvernement, des parlementaires et des médecins est depuis
longtemps attirée sur les conséquences sanitaires de certaines tâches et sur
les facteurs de risques que vous avez évoqués.
Très récemment encore, nous avons porté au problème de l'amiante une
considération dont on n'avait pas suffisamment su faire preuve dans notre
pays.
Bien sûr, il existe d'autres substances cancérigènes. Bien sûr, il faut aussi
s'intéresser à certaines corrélations entre travail et accidents cardiaques,
suicides ou usage de psychotropes, et nous le faisons.
Il reste que le travail n'apparaît pas comme le premier facteur de cancer.
Pour prendre l'exemple des trois principaux cancers dans notre pays, que le
présent projet de loi va d'ailleurs permettre de dépister de manière beaucoup
plus systématique, à savoir le cancer du col de l'utérus, le cancer du sein et
le cancer colorectal, je ne pense pas qu'ils trouvent leur origine dans les
facteurs de risques que vous avez cités.
Je partage totalement votre analyse sur la nécessité d'un effort en matière de
prévention, mais cet effort doit porter en priorité, s'agissant des cancers,
sur ceux qui sont le plus largement destructeurs.
Je n'en disconviens pas, l'amiante a causé les ravages que nous savons, mais
le tabac existe aussi, et ce n'est pas parce qu'il est à l'abri de l'amiante
qu'un fumeur ne développera pas un cancer du poumon. Les 60 000 morts que cause
le tabac dans notre pays chaque année ne sont pas des victimes de la lutte des
classes ! Ce sont les victimes d'une pathologie dont il faut absolument
dénoncer la cause et contre laquelle il est impératif de lutter.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article 15.
(L'article 15 est adopté.)
Article 16