RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL
Discussion d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 286, 1997-1998),
adopté par l'Assemblée nationale, d'orientation et d'incitation relatif à la
réduction du temps de travail. [Rapport n° 306, (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, le texte que nous examinons aujourd'hui
revêt une importance particulière, puisqu'il concerne la priorité centrale dans
l'action du Gouvernement, la lutte contre le chômage.
Il n'est plus nécessaire, je pense, de justifier cette priorité, chacun
connaît la réalité, chacun connaît les chiffres, chacun sait ce que ces
chiffres cachent : des hommes, des femmes, des jeunes qui, pour certains, ne
croient plus que la société peut leur faire une place, des situations de
détresse et de grande fragilité, le désespoir de ceux qui sont au chômage
depuis très longtemps.
La création d'emplois et la réduction du chômage constituent, nous le savons,
l'attente majeure de nos concitoyens. Ce projet de réduction du temps de
travail en est l'un des volets, car il vise à créer des emplois mais aussi à
libérer du temps et donc à améliorer les conditions de vie de nombre de nos
concitoyens.
Je tiens à le dire d'emblée, nous n'ignorons rien ni de l'évolution du monde
ni de l'interdépendance des économies à l'heure de la mondialisation, mais nous
récusons les logiques d'impuissance. Nous sommes en effet convaincus que, en
vertu de choix clairs, une société mobilisée sur des objectifs partagés autant
qu'il est possible peut changer profondément les choses. Nous sommes convaincus
qu'il n'y a pas de fatalité du chômage dans ce pays.
Le premier levier de l'action, c'est, bien sûr, d'abord, la politique de
croissance. Vous le savez, le premier souci du Gouvernement fut de rompre avec
une politique qui ponctionnait les ménages et avait pénalisé ces dernières
années la consommation et donc la reprise de la croissance interne.
Je vous le rappelle, nous avons enregistré, ces dernières années, un taux de
croissance inférieur à celui de nos partenaires européens. Aussi le
Gouvernement a-t-il décidé de relancer la consommation, bien sûr, en suscitant
la confiance autant que faire se peut, mais aussi en augmentant le revenu de
ceux qui en avaient le plus besoin. Cela s'est traduit par l'augmentation du
montant du SMIC de 4 % en juillet dernier, par le quadruplement de la prime de
rentrée scolaire, par la revalorisation de l'allocation logement, en
particulier en direction des plus modestes.
Dans le même esprit, le Gouvernement a engagé des réformes structurelles qui
visent à mieux équilibrer les prélèvements sur les revenus du travail et du
capital et à réduire le coût du travail, notamment sur les bas salaires. Cela a
été l'une des raisons du transfert des cotisations salariales maladie vers la
contribution sociale généralisée, la CSG, ainsi que de la réforme de l'assiette
des cotisations patronales de sécurité sociale, sur laquelle nous
travaillons.
Le transfert des cotisations maladie vers la CSG a permis aux salariés, dès le
mois de janvier, de constater, sur leur fiche de paie, une augmentation de 1,1
% de leur pouvoir d'achat et à 80 % des non-salariés de bénéficier d'une
croissance ou du maintien de leur pouvoir d'achat.
Parallèlement, nous en sommes tous convaincus, la croissance doit être plus
créatrice d'emplois qu'elle ne l'a été auparavant, surtout par rapport aux
autres pays. C'est la raison pour laquelle nous avons prévu, dans la dernière
loi de finances, un certain nombre de mesures fiscales en faveur de l'aide à la
création d'entreprises et du développement de nouvelles technologies. Là aussi,
nous savons que la France enregistre un retard par rapport à d'autres pays,
notamment, bien sûr, par rapport aux pays d'Amérique du Nord. Il nous faut donc
préparer les métiers de l'avenir. De même, la recherche doit être
encouragée.
Nous devons par ailleurs continuer à prendre des dispositions spécifiques pour
aider les secteurs d'activité fortement créateurs d'emplois ; je pense bien
évidemment ici aux petites et moyennes entreprises, mais aussi au secteur du
bâtiment. Comme l'avait annoncé M. le Premier ministre, le 10 octobre dernier,
des décisions très concrètes viennent d'être prises en ce qui concerne les
formalités administratives des PME, et le mouvement va se poursuivre.
Développer les emplois de demain, c'est aussi, et nous en avons longuement
parlé ici, l'objectif du programme dit « programme pour l'emploi des jeunes ».
Il vise, à partir des besoins de notre économie, de nouvelles activités qui,
aujourd'hui, ne sont pas solvables et donc pas organisées par le marché, et
permettra ainsi à 350 000 jeunes d'anticiper les métiers de demain en répondant
avec des métiers nouveaux à des besoins aujourd'hui mal satisfaits, qu'il
s'agisse des services aux personnes, de la protection de la nature, de la
qualité de la vie, de la sécurité ou encore de la valorisation du
patrimoine.
On peut dire aujourd'hui que ce programme a bien démarré, puisque 50 000
jeunes sont d'ores et déjà embauchés et au travail, tandis que les parcours de
professionnalisation sont en marche.
Cette politique, qui vise très simplement à répondre aux besoins et à redonner
confiance, commence à porter ses fruits : la consommation a repris, alors
qu'elle était quasi étale depuis le début de 1995 dans notre pays ; la
production industrielle s'est accrue de près de 9 % en 1997 ; l'investissement
reprend aussi, comme le montrent les derniers chiffres disponibles, et les
enquêtes d'opinion auprès des chefs d'entreprise comme de l'ensemble des
Français attestent le rétablissement d'une croissance.
Nous sommes donc sur une bonne courbe de croissance. Le Gouvernement met tout
en oeuvre pour que ce mouvement soit durable. Nous espérons, bien sûr,
constater progressivement les effets de cette politique sur le chômage. La
tendance s'améliore sur les quatre derniers mois, et le chômage a baissé,
parfois fortement.
Ce sont, à nos yeux, autant d'encouragements mais, dans un domaine comme
celui-là, nous devons rester prudents, garder le cap et conforter les
engagements et les décisions qui ont déjà été pris. Chacun sait, et ce point
fait l'unanimité des organismes d'études économiques, que, même avec une
croissance annuelle de 3 %, ce qui induit la création d'environ 200 000
emplois, le chômage ne diminue que de 70 000 emplois par an. Voilà ce que nous
pouvons attendre si nous en restons là, c'est-à-dire si nous ne faisons pas
tout pour que cette croissance soit encore plus riche en emplois et si nous
n'ouvrons pas toutes les pistes possibles.
J'ai parlé des nouvelles créations d'activités, mais il me faut aussi évoquer
la réduction du temps de travail.
Bien conduite, cette réduction du temps de travail est un outil puissant de
lutte contre le chômage. Je pense d'ailleurs que cette conviction n'est pas
seulement la nôtre, et qu'elle est de plus en plus largement partagée, ainsi
que j'ai pu le constater au cours des débats à l'Assemblée nationale. Nombre
d'intervenants, et sur tous les bancs de l'hémicycle - je pense, en
particulier, à MM. Barrot et de Robien - se sont en effet clairement exprimés
en ce sens : la réduction du temps de travail est aujourd'hui un outil
indispensable à la lutte contre le chômage. Ce sentiment a également été
exprimé au sein de la commission des affaires sociales du Sénat. Même si son
rapporteur, M. Souvet, conteste la nécessité d'une loi, ce qui nous sépare sur
la méthode, et préfère, pour sa part, un « reprofilage » de la loi Robien, une
majorité de la commission des affaires sociales considère avec lui, que « la
réduction du temps de travail peut sans doute créer des emplois ou en préserver
dans certaines entreprises, en fonction du contexte propre à chacune d'elles et
qu'elle peut permettre d'améliorer les conditions de travail et ainsi
constituer un des éléments du donnant-donnant qui constitue la base de tout
accord ».
Nous sommes donc, finalement, en majorité d'accord sur le fond, même si nous
sommes en désaccord sur la méthode.
J'espère que nos débats pourront montrer que le projet de loi offre de
meilleures conditions possibles, de meilleures chances possibles pour
développer la négociation sociale dans les branches et dans les entreprises et
pour permettre une forte création d'emplois, grâce à cette réduction du temps
de travail.
Il me semble que ce constat est aujourd'hui dresséau-delà de nos frontières,
même si chacun fait référence à son histoire sociale, à ses habitudes
culturelles, pour utiliser les instruments qui lui paraissent les plus
adaptés.
Lors de la réunion du G 8 à Londres, voilà dix jours, j'ai senti la conviction
de tous, y compris des Etats-Unis, du Japon et du Canada - c'est nouveau - que
le chômage et l'exclusion menaçaient non seulement la cohésion sociale mais
aussi le bon fonctionnement de l'économie, et que lutter contre le chômage
aujourd'hui, c'était aussi lutter pour un meilleur développement économique.
Face à ce constat, l'ensemble des représentants des gouvernements présents ont
exprimé la nécessité d'envisager toutes les pistes pour réduire le chômage.
D'ailleurs, dans le relevé de décisions, vous pourrez lire, et pour la première
fois s'agissant de ces instances, la conviction que la réduction et
l'aménagement du temps de travail peuvent être, doivent être, l'une de ces
pistes. D'ailleurs, comment en être surpris ? Comment ne pas penser à réduire
le temps de travail quand on constate que, depuis 1975, notre produit national
s'est accru de 60 %, alors que le volume de travail nécessaire à cette
production n'a pas varié ? Durant le même temps, pourtant, notre population
active s'est accrue de près de 4 millions de personnes. C'est ce décalage qu'il
faut combler par la réduction du temps de travail.
Je ne reprendrai pas ici l'histoire de la réduction du temps de travail que
j'ai été amenée, avec d'autres, d'ailleurs, à retracer devant l'Assemblée
nationale, nous la connaissons, elle fait partie de notre histoire commune.
La réduction du temps de travail est bien, en effet, un processus séculaire
qui va de pair avec l'amélioration de l'efficacité de l'organisation
productive.
C'est un souhait permanent des salariés que leurs efforts pour améliorer la
productivité permettent à chacun, en définitive, de disposer de plus de temps
libre, c'est-à-dire de plus de temps pour se former, pour s'occuper de sa
famille, pour prendre des loisirs ou s'investir dans une activité associative
ou - pourquoi pas ? - politique et, au bout du compte, pour améliorer ses
conditions de vie et pour mieux vivre avec les autres au sein de la société.
Précisément, dans une société en pleine mutation et de plus en plus complexe
comme la nôtre, nous avons besoin de beaucoup de temps, pour comprendre, nous
adapter et, en définitive, pour conserver individuellement et collectivement la
maîtrise de notre avenir et tisser avec nos voisins, dans nos villes, dans nos
quartiers dans nos immeubles, des liens sûrs, pour éviter que la cohésion
sociale ne se distende.
A cet égard, je m'insurge contre ceux qui seraient tentés d'opposer les
chômeurs, qui réclament du travail, aux salariés, qui souhaitent voir diminuer
leur temps de travail. Ces deux mouvements sont profondément cohérents et ils
le sont, en tout cas, dans toute l'histoire du mouvement ouvrier et du
mouvement des travailleurs dans notre pays.
Vouloir du travail traduit un désir évidemment légitime de dignité, de
responsabilité et d'autonomie. Réduire le temps de travail pour que le travail
n'écrase pas l'individu mais, au contraire, le respecte et le libère n'en est
pas moins légitime. Nous devons nous ancrer dans ces deux traditions, qui ne
sont pas contradictoires.
En entreprenant cette démarche, nous ne faisons pas « bande à part », comme je
l'ai entendu prétendre à plusieurs reprises. Les chiffres parlent d'eux-mêmes
et ceux que je cite, parce qu'ils émanent de l'OCDE, ne sont pas contestables :
durant les quinze dernières années, c'est plutôt notre pays, qui, avec la
Grande-Bretagne et le Portugal, a été l'exception en Europe. En effet, si la
durée du travail des salariés à temps plein - je laisse de côté le travail à
temps partiel, qui pose un autre problème - a diminué en Allemagne, aux
Pays-Bas, au Danemark, en Espagne, en Italie et en Belgique, en revanche, en
France, ce mouvement de réduction du temps de travail a cessé depuis 1983,
alors même que subsistent, dans notre pays, des horaires encore très
élevés,...
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Dont acte !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... puisque, aujourd'hui, 12 %
des salariés travaillent encore plus de 43 heures par semaine ! Il s'agit,
aujourd'hui, de reprendre ce mouvement, qui s'est interrompu, et qui est, je le
répète, un mouvement historique que notre pays, comme tous les pays
industrialisés, a connu.
Les experts étrangers le reconnaissent : la réduction du temps de travail a
créé et a préservé des emplois. La commission d'enquête sénatoriale l'a
d'ailleurs bien exprimé en soulignant que « dans certains pays comme aux
Pays-Bas ou, dans une moindre mesure, en Allemagne, la réduction du temps de
travail a favorisé la création d'emplois et la baisse ou la modération du
chômage ». Les modèles macroéconomiques ne disent pas autre chose. Il s'agit,
en la matière, non pas de faire des prévisions, mais bien de mettre en évidence
les conditions auxquelles la réussite d'une réduction du temps de travail se
trouve suspendue, comme l'a justement rappelé la commission d'enquête. Je me
réjouis que nous nous soyons compris sur l'objectif de ces études. C'est ni
plus ni moins ce que j'ai toujours indiqué. C'est dans cet esprit qu'ont été
avancées les possibilités de créations d'emplois liées à notre démarche de
réduction du temps de travail.
L'OFCE, l'Observatoire français des conjonctures économiques, la Banque de
France, mais aussi l'organisme Rexecode proche d'une grande organisation
patronale parviennent finalement aux mêmes conclusions en partant des mêmes
hypothèses. Si nous pensons que les gains de productivité tournent autour de 3
% par an si nous testons les hypothèses d'aide du Gouvernement et aucune autre
- certains nous ont reproché d'avoir donné des hypothèses aux organismes qui
ont réalisé ces études ; quel aurait été l'intérêt de tester des hypothèses qui
ne sont pas celles du projet de loi ? - et si nous considérons qu'une
augmentation salariale de l'ordre de 0,5 à 1 % par an est acceptable, tous les
organismes aboutissent quasiment aux mêmes chiffres, qui sont, je le répète,
des hypothèses, à savoir 450 000 emplois possibles dans les entreprises de plus
de vingt salariés et 700 000 emplois pour l'ensemble des entreprises
privées.
Bien évidemment, tout dépendra de la rapidité et de la qualité de la
négociation. Nous aurions bien plus intérêt dans notre pays à débattre des
conditions dans lesquelles la réduction de la durée du travail peut créer des
emplois que de nous jeter parfois des slogans à la tête. En effet, la situation
en matière d'emploi est telle qu'il faut se mettre le plus vite possible au
travail, c'est-à-dire à une table de négociation, afin de trouver les
meilleures conditions pour créer des emplois.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Dans chacune de ces études, la
seule situation qui conduit à une absence de création d'emploi, mais c'est une
lapalissade, est celle dans laquelle les entreprises ne réduisent pas la durée
du travail. C'est évident !
Il est d'ailleurs intéressant de reprendre la conclusion de M. Bernd Hof,
économiste à l'institut allemand Der Deutschen
Wirtschaft
pour évaluer
notre projet. Vous le citez d'ailleurs dans le rapport de votre commission
d'enquête sénatorale. A partir de l'expérience de son pays, il déclarait : « La
réduction du temps de travail a des effets positifs sur l'emploi, mais la
compensation salariale les réduit. La réduction du temps de travail réduit la
croissance de l'économie, accroît les coûts du travail et fait augmenter les
prix. La réduction du temps de travail entraîne une baisse des déficits
publics. L'emploi et les recettes fiscales augmentent, le chômage et les
transferts sociaux diminuent. » C'est précisément tout cet enchaînement
macroéconomique que nous nous sommes attachés à prendre en compte dans notre
projet de loi pour consolider les aspects positifs et pour contrecarrer les
aspects négatifs du raisonnement de M. Bernd Hof.
Dans notre dispositif, contrairement à ce qui s'est fait en Allemagne, nous
anticipons la baisse des déficits publics sous forme d'un abattement de charges
sociales en faveur des entreprises. De la sorte, nous contenons la hausse du
coût du travail. Nous facilitons, pour les entreprises, la maîtrise de la
compétitivité et, pour les salariés, le maintien du pouvoir d'achat. Nous
évitons dès lors les effets négatifs soulignés sur les prix et sur la
croissance.
Notre projet est tout l'inverse d'une construction intellectuelle comme cela
était indiqué dans le rapport écrit de votre commission. Il s'appuie sur une
analyse économique réaliste, nourrie de l'observation de l'étranger et de
l'expérience des entreprises qui ont réduit le temps de travail. Il traduit la
volonté de créer des emplois, de réduire le chômage et d'améliorer les
conditions de vie des salariés. Il peut constituer pour les entreprises, nous
le savons bien et elles nous le disent, une opportunité de rajeunissement par
l'embauche de jeunes, et de nouvelles compétences, et une occasion
d'intervention dans leur organisation du travail pour la rendre plus
performante.
En effet, il y a dans le fond, pour les entreprises, un formidable enjeu à
repenser l'organisation du travail en fonction des nouvelles exigences du
marché au moment où ce qui fonde la performance est de moins en moins
l'intensité quantitative du travail, mais bien plus la réactivité, les
compétences, les coopérations et l'autonomie.
Je sais que certains s'interrogent : pourquoi ne pas avoir fait confiance au
mouvement spontané de la négociation ? Il faut là regarder la vérité en face.
Moi aussi, je suis convaincue que c'est par la négociation décentralisée que
nous trouverons les solutions les plus adaptées. Nous le savons. Nous savons
aussi que les réponses peuvent être différentes selon que l'on se situe dans
une industrie aux investissements lourds en croissance, qui peut avoir besoin
d'augmenter le temps de fonctionnement de ses machines, dans une entreprise de
services, où il s'agit plutôt d'adapter les horaires à la demande du public, ou
dans nombre de secteurs où il faut prendre en compte la variabilité de la
demande sur l'année ou au gré de la conjoncture. Mais partout il s'agit de
trouver les moyens d'améliorer l'organisation du travail pour qu'elle soit plus
réactive et de meilleure qualité.
De même, nous savons que les souhaits des salariés ne sont pas les mêmes en
zone rurale ou en milieu urbain, selon que l'on a de jeunes enfants et que le
domicile est ou non éloigné du lieu de travail. C'est bien la négociation qui
permettra de prendre tout cela en compte et finalement de faire en sorte que
les accords soient « gagnant-gagnant ».
Pourquoi, dans ce contexte où l'on croit à la négociation, avoir présenté un
projet de loi qui, effectivement, dans son article 1er, « affiche la couleur »,
si j'ose dire, c'est-à-dire les 35 heures au 1er janvier 2000 pour les
entreprises de plus de vingt salariés et au 1er janvier 2002 pour celles qui en
comptent moins de vingt ?
D'abord, tout simplement, il faut le constater, parce que la négociation
spontanée dans ce pays est faible. Je ne connais pas de mouvement majeur en
matière sociale dans lequel la loi n'ait pas réussi sans la négociation, mais
je ne connais pas non plus de vaste mouvement de négociation qui se soit
déroulé seul et spontanément sans un lancement par la loi. C'est ainsi ! Nous
pouvons le regretter, mais telle est l'évolution historique des relations
sociales dans notre pays.
Rappelez-vous l'accord interprofessionnel de 1995. On nous disait alors que la
réduction et l'aménagement du temps de travail étaient en marche dans notre
pays. Or, trente accords de branche ont été conclus qui, pour la plupart,
concernent des « ponts » ou des modalités dans le calcul des pauses, et non la
réduction de la durée du travail. Certes, chaque année, des milliers d'accords
portent sur le temps de travail, mais, en règle générale, ils octroient une
journée exceptionnelle de repos, ils donnent le calendrier des ponts et des
congés, et peu d'entre eux traitent le vrai problème qui est la réduction du
temps de travail.
Il a fallu attendre la loi Robien, ce qui prouve bien que la loi lance le
mouvement, pour que le mouvement de réduction de la durée du travail ait une
impulsion, certes limitée, mais qui a l'intérêt d'exister. Ainsi, on dénombre
quelque 2 000 accords concernant 210 000 salariés depuis le démarrage du
dispositif. C'est sans doute peu, mais c'est nettement mieux qu'avant.
Toutefois, il faudrait, si nous restions dans le dispositif Robien,
soixante-dix ans pour toucher tous les salariés du secteur privé. Les 3
millions de personnes inscrites à l'ANPE, les 5 millions de nos concitoyens qui
recherchent aujourd'hui un emploi souhaitent que nous avancions des réponses
plus urgentes et plus rapides.
C'est pourquoi nous avons voulu, par le texte qui est soumis à votre
assemblée, marquer notre volonté en montrant clairement et fermement un cap,
celui qui est précisé, comme je viens de le dire, dans l'article 1er.
D'abord, la durée légale du travail à 35 heures au 1er janvier 2000 pour les
entreprises dont l'effectif est de plus de vingt salariés n'est pas un
couperet, puisqu'il s'agit justement de la durée légale du travail.
Ensuite, ce n'est pas un butoir, puisque le dispositif d'aide encourage les
entreprises qui vont plus vite et plus loin, notamment vers les 32 heures.
Enfin, ce n'est pas un carcan, et je vais essayer de m'en expliquer, puisque
le champ de la négociation est ouvert et immense. A cet égard, ceux qui
critiquent ce projet de loi formulent parfois des observations contradictoires.
En effet, ils lui reprochent d'être autoritaire mais, en même temps, de ne pas
tout traiter, à savoir les heures supplémentaires, la modulation et le travail
à temps partiel dans tous ses détails.
Or, il faut choisir. Nous avons choisi une loi qui fixe le cap et qui renvoie
à une seconde loi, prévue dans un an et demi, qui tirera les conséquences de
ces négociations. En effet, nous croyons à la négociation qui, je l'espère,
sera susceptible d'écrire un code du travail plus lisible, plus simple et
apportant des garanties, et qui prendra en compte l'état de la situation
économique.
Notre projet est souple puisqu'il laisse le temps de négocier, diversifie les
entreprises en fonction de leur taille et met en place un mécanisme
d'incitation dont le montant est d'autant plus élevé que la baisse de la durée
du travail et les créations d'emplois sont fortes. J'ajoute que l'aide
forfaitaire préconisée, contrairement à l'aide proportionnelle instaurée par la
loi Robien, bénéficiera aux entreprises créatrices de main-d'oeuvre ayant de
bas salaires, ce qui n'était pas le cas auparavant. C'est d'ailleurs ce qui
explique le coût très important de la loi Robien pour les finances
publiques.
La loi indique certains thèmes de la négociation, en particulier le niveau et
les échéances de la réduction du temps de travail, le volume des créations ou
des préservations d'emplois, les modalités d'organisation du temps de travail
et les délais de prévenance. Cependant, le texte renvoie à la négociation et ne
fixe pas les modalités particulières. C'est donc bien à l'échelon de
l'entreprise que doit être négocié l'ensemble des modalités qui feront que le
niveau, en matière d'emploi, sera plus ou moins élevé.
Par ailleurs, trouver un juste équilibre et apporter aux salariés les
garanties qu'ils attendent légitimement est un enjeu important. Si certains
souhaitent aujourd'hui plus de souplesse dans l'entreprise - et je crois
qu'elle est nécessaire et plus facile à réaliser à 35 heures en moyenne
hebdomadaire qu'à 43 heures - il faut que cela se fasse avec un certain nombre
de garanties. Des délais de prévenance, un encadrement des amplitudes, une
amélioration des conditions de travail, des compensations aux travaux pénibles,
c'est bien ce que prévoient les accords qui ont été signés.
L'article 4 du projet de loi comporte des modalités supplémentaires qui
peuvent intéresser tant les entreprises que les salariés, puisqu'elles
prévoient la possibilité de mettre dans un fonds les heures entre 35 et 39
heures, et donc de développer un compte épargne-temps qui pourra être utilisé à
l'intérieur ou au-delà de l'année, dans certaines limites.
Pour faciliter la conclusion d'accords, notre projet de loi prévoient des
possibilités de mandatement. Il s'agit de tirer les conséquences d'une
situation qui n'est pas satisfaisante, mais qui est la réalité : la grande
majorité des entreprises est dépourvue aujourd'hui de délégués syndicaux, et
donc de capacités de négocier. Sans entrer dans les détails - nous y
reviendrons sans doute - je soulignerai que le mandatement que nous avons
imaginé prévoit que ceux qui négocient sont des salariés de l'entreprise, mais
prévoit en même temps des garanties par le suivi que peuvent apporter des
organisations syndicales représentatives au niveau national. J'en arrive à un
des points importans qui a été soulevé lors du débat : le problème des
salaires. C'est bien sûr aux employeurs et aux représentants des salariés de
déterminer, par la négociation, les évolutions justes pour les salariés et
cohérentes avec la situation de l'entreprise et ses perspectives, compte tenu,
bien évidemment, du niveau des salaires et des effets multiples de la réduction
du temps de travail.
Dans ce domaine, le Gouvernement a exprimé son point de vue avec une grande
constance. Compte tenu des évolutions du pouvoir d'achat des salariés au cours
des années récentes, il n'est pas souhaitable que la réduction du temps de
travail se traduise par une baisse des salaires. Nous sommes convaincus que
cela ne serait pas juste pour les salariés et que cela serait néfaste du point
de vue économique, car cela pèserait sur la consommation. Mais affirmer cela ne
veut pas dire que, dans l'avenir, nous continuerons de faire comme s'il ne
s'était rien passé. L'évolution salariale doit tenir compte du fait qu'il y a
eu effectivement réduction du temps de travail dans l'entreprise. En fonction
du niveau de celle-ci, des évolutions de productivité induites par cette
réduction du temps de travail, des aides de l'Etat, des créations d'emplois et
de la situation des salariés au regard de leur situation financière, notamment,
je suis convaincue que l'on trouvera des accords pour que ce soit l'emploi qui
soit gagnant.
S'agissant du SMIC, j'ai donné des orientations, qu'il faudra sans doute
préciser dans le débat. Je les rappellerai simplement en cet instant.
Les salariés se demandaient si la réduction du temps de travail de 39 à 35
heures s'accompagnerait d'une réduction de leur salaire lorsqu'ils sont payés
au SMIC. La réponse est « non », bien sûr. A l'inverse, les entreprises se
demandaient si le SMIC allait augmenter de 11,4 % pour tous les salariés,
quelle que soit leur durée de travail, et quel que soit le mouvement ou le
non-mouvement qui aurait lieu. Là aussi, la réponse est « non ».
M. Charles Descours.
C'est merveilleux !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Ce n'est pas merveilleux, c'est
simplement une réponse qui se veut claire, monsieur le sénateur !
Nous souhaitons simplement, comme cela avait déjà été fait en 1982, maintenir
le SMIC horaire, avec ses modalités et son contenu, qui ne sont absolument pas
modifiés, et prévoir une garantie mensuelle de rémunération pour les salariés
qui sont payés au SMIC, dont la durée du travail est réduite à 35 heures. Voilà
ce que cela signifie !
Bien évidemment, cela pose des problèmes techniques : comment traiter les
heures supplémentaires ? Comment considérer les salariés à temps partiel ?
Comment évoluera cette garantie mensuelle de rémunération ? Il s'agit
d'éléments dont nous parlons actuellement avec les organisations patronales et
syndicales et qui seront traités, comme la loi l'impose - c'est d'ailleurs bien
naturel ! - au sein de la commission nationale de la négociation collective.
Enfin, je rappellerai que c'est dans la seconde loi que seront réécrits, en
principe, les éléments sur la modulation, qui sont extrêmement complexes dans
la loi actuelle et qui fixeront définitivement le statut des heures
supplémentaires, notamment celui de la majoration entre 35 et 39 heures.
Toutefois, pour que les entreprises puissent être totalement éclairées dans
les négociations qui seront les leurs, nous avons clairement indiqué dans
l'exposé des motifs - je le redis devant vous - que la majoration entre 35 et
39 heures ne pourra pas excéder 25 %, ce qui est aujourd'hui la règle
habituelle pour les heures supplémentaires.
Je sais que certaines auraient souhaité que soit fixé dès maintenant dans la
loi l'ensemble des modalités applicables au 1er janvier 2000. Toutefois, c'est
bien à la négociation, me semble-t-il, de nous offrir des solutions, et ce sera
à la représentation nationale d'en déterminer définitivement les modalités,
même si le cap et le coût maximal sont aujourd'hui affichés pour que les
entreprises puissent travailler dans la transparence.
Cette démarche - j'en suis convaincue, mesdames, messieurs les sénateurs - est
la bonne. Elle n'impose pas, mais elle montre le cap. Elle fait confiance aux
acteurs de la négociation et elle met notre pays en mouvement.
Certains s'interrogent, et on peut le comprendre, car la réduction de la durée
du travail engendre des changements profonds dans l'entreprise pour les
salariés, pour l'organisation du travail et pour le mode de fonctionnement de
ce dernier. A nous de les rassurer et de les convaincre que ce texte est
porteur de progrès social, de progrès pour l'emploi mais aussi de progrès
économique.
L'aide que l'Etat met en place - mais nous en reparlerons sans doute - couvre
largement, au-delà même, le coût de la réduction de la durée du travail pour
les bas salaires. Il s'agit d'ailleurs, par là-même, d'une aide à la réduction
du coût du travail pour les salariés les moins qualifiés dans notre pays.
M. Henri Weber.
Très juste !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Au-delà de ce que nous pouvons
entendre sur ce coût, j'invite les entreprises à lire la loi - je me réjouis
d'ailleurs de voir que, chaque jour, elles sont plus nombreuses à le faire
-...
M. Jacques Mahéas.
Eh oui !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... ce qui est sans doute plus
utile que d'écouter des discours parfois un peu réducteurs. Je suis convaincue
que beaucoup d'entre elles, comme certaines commencent à le faire, engageront
des négociations après avoir lu et compris la loi définitive.
Nous avons là une occasion historique de déclencher le cercle vertueux de
l'amélioration de l'emploi et des finances publiques. Et ce projet de loi
offre, à mon avis, une réponse forte à ceux qui considèrent qu'il vaut mieux
payer les gens pour travailler que pour chômer et qui rêvent d'activation des
dépenses passives.
A ceux qui souhaitent légitimement un allégement de charges, nous proposons de
le faire, mais avec l'emploi comme contrepartie et pas de manière générale, ce
qui serait extrêmement coûteux et sans effets importants.
Ce projet de loi annonce deux caps qui seront traités dans le second projet de
loi : d'une part, la volonté de développer un temps partiel choisi et non pas
subi - plusieurs articles du projet de loi vont vers cette moralisation du
travail à temps partiel - et, d'autre part, la volonté de montrer qu'il n'est
plus acceptable, alors que notre pays connaît un taux de chômage aussi
important, que certains salariés travaillent de manière permanente 43 ou 44
heures par semaine.
Certains auraient sans doute souhaité que nous réécrivions tout de suite
l'ensemble du code du travail. Mais nous avons préféré lancer un mouvement et
faire confiance à la négociation.
Je crois que, face au chômage, les Français n'accepteraient pas que nous
laissions de côté une piste majeure pour la création d'emplois. Or, la
réduction du temps de travail en est une, comme tous les pays le reconnaissent
aujourd'hui, même si chacun utilise la voie la plus conforme à sa culture et à
ses relations du travail. Nous avons une chance, là aussi, de redonner espoir à
ceux qui attendent aujourd'hui sur le bord de la route.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la réduction de la durée du travail ne se
fera ni contre les entreprises ni contre les salariés. Elle se fera en faveur
de l'emploi, conformément à l'attente majeure de nos concitoyens.
(Très bien
! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen et sur certaines travées du
RDSE.)
(M. René Monory remplace M. Jean Delaneau au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
madame la ministre, mes chers collègues, après l'Assemblée nationale, c'est
maintenant au tour du Sénat de se prononcer sur le projet de loi d'orientation
et d'incitation relatif à la réduction du temps de travail.
L'urgence n'ayant pas été demandée, je me félicite que nous soyons amenés à
discuter de ce texte en y consacrant le temps nécessaire, avant qu'il ne soit
définitivement adopté. L'importance du sujet justifie en effet pleinement un
débat sérieux et approfondi, comme vous l'avez appelé de vos voeux, madame la
ministre.
Ce débat est d'autant plus nécessaire qu'il s'est à peine esquissé jusqu'à
présent.
(Protestations sur les travées socialistes.)
Le programme du parti socialiste prévoyait certes un abaissement de la
durée légale sans diminution de salaire ; mais il précisait également que cette
démarche devrait être portée par les partenaires sociaux. Or la conférence du
10 octobre n'a donné lieu, je le rappelle, qu'à un débat de façade, le
Gouvernement s'étant contenté de réunir les partenaires sociaux pour leur
annoncer sa décision. Les travaux de la commission d'enquête sénatoriale sur
les 35 heures sont éclairants à cet égard.
M. Alain Gournac.
Merci !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Le débat n'a pas non plus véritablement eu lieu à l'Assemblée
nationale, le Gouvernement étant resté bloqué sur ses propositions
(Protestations sur les travées socialistes),
notamment sur l'article 1er
qui baisse la durée légale à 35 heures.
M. Jacques Mahéas.
Il faut lire les gazettes !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Il nous revient maintenant de vous faire part de nos
remarques, de nos critiques et de nos propositions, car nous gardons en effet
l'espoir de vous faire revenir sur certaines dispositions de votre projet de
loi.
M. René-Pierre Signé.
Sûrement pas !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Tout du moins, nous souhaitons démontrer qu'il est préférable
de poursuivre dans la voie d'une autre philosophie, qui fait de la réduction du
temps de travail un outil utile dans la lutte contre le chômage, mais de
manière négociée, volontaire et constructive, et sur le long terme, à des coûts
moindres pour le budget de l'Etat.
(Exclamations sur les travées
socialistes.)
Nous partageons en effet tous, ici, le souci de faire reculer le chômage qui
s'installe chaque jour un peu plus dans notre société.
M. Jacques Mahéas.
Il faut lire les statistiques !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Certes, nos chemins divergent, mais l'objectif est le
même.
Si le chômage semble stabilisé, voire en légère régression, on constate que
son niveau est très élevé et qu'il devient structurel, ce qui signifie qu'il se
traduit par un chômage de longue durée, qui constitue bien souvent
l'antichambre de l'exclusion.
Nous avons tous constaté les limites des politiques de traitement social du
chômage menées depuis plus de quinze ans. Il importe donc aujourd'hui
d'explorer d'autres voies. Nous sommes tous d'accord là-dessus. Nous devons le
faire rapidement, car les Français s'impatientent, mais sans précipitation,
pour ne pas engager le pays dans une voie sans issue. Or tel est, selon nous,
le risque que vous avez pris, madame la ministre.
(M. Signé
proteste.)
En inscrivant délibérément votre texte dans la continuité historique, vous
espérez ne pas avoir à en justifier la pertinence.
M. Marcel Charmant.
Oh !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Vous avez cité à maintes reprises, à l'Assemblée nationale en
particulier, la loi de 1936 et les mesures adoptées par le Front populaire.
Peut-être peut-on rappeler, madame la ministre, que les accords de Matignon
ont donné lieu à des augmentations de salaires de 20 %, que les congés payés et
la hausse des cotisations sociales ont représenté une hausse du coût du travail
de 6 % et que la majoration du salaire horaire compensant la réduction de la
durée du travail à 40 heures a représenté un surcoût de 20 %, soit, au total,
un accroissement de plus de la moitié du coût horaire de la main-d'oeuvre en
quelques mois ?
M. Bernard Piras.
Il faut le replacer dans le contexte économique de l'époque !
M. Marcel Charmant.
Regrettez-vous les 40 heures ?
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Si vous souhaitez intervenir, faites-le, mais ne
m'interrompez pas constamment de cette manière !
M. Claude Estier.
Vous, vous ne le faites jamais ?
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Ces dispositions ont enclenché une spirale inflationniste
accompagnée d'une dévaluation ; par ailleurs, le chômage a fortement augmenté.
L'échec économique était si évident en juin 1937 que le Sénat a décidé de
mettre un terme à cette expérimentation hasardeuse, en renversant le
gouvernement Blum.
(Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Pierre Mauroy.
Quel Sénat ? Celui de la IIIe République !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Je crains aujourd'hui que les mêmes causes ne produisent
demain sinon les mêmes effets - le contexte est en effet très différent - du
moins des effets que nos concitoyens auront beaucoup de mal à supporter.
M. Pierre Mauroy.
La référence au Sénat de la IIIe République n'en est pas une !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Vous avez également cité la loi du 22 mars 1841 sur le
travail des enfants. Cette référence à François Guizot est à souligner.
Elle rappelle, en effet, qu'une politique économique fondée sur la libre
entreprise peut être conciliée avec des exigences sociales.
Je ne crois pas toutefois qu'il soit opportun de s'inscrire dans une
quelconque continuité, car le monde a changé depuis 1936 et 1982 ; les
errements économiques d'alors ont pu être réparés. Or il n'est pas sûr qu'il
puisse en être de même demain, dans un contexte de guerre économique exacerbée
dans lequel les parts de marché perdues ne peuvent être reconquises et se
traduisent inéluctablement par des chômeurs en plus.
M. Raymond Courrière.
C'est un vieux discours !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Les références aux luttes sociales et aux conquêtes ouvrières
ne suffisent plus à justifier des décisions économiques aléatoires lorsque
notre avenir dépend des nouvelles technologies et que notre destin est
étroitement lié à celui de nos voisins européens. Nous ne pouvons plus nous
permettre ce genre d'incartades.
Vous considérez, madame la ministre, que la croissance ne suffit pas à réduire
le chômage. C'est exact : elle ne peut permettre de réduire que la composante
conjoncturelle du chômage, et c'est pourquoi la reprise qui se fait sentir
aujourd'hui devrait aboutir à une baisse du chômage de quelques centaines de
milliers d'unités, mais pas plus.
Cette légère baisse ne devra rien aux 35 heures et aux emplois-jeunes. Il
reste que la France devra toujours faire face à un taux de chômage sensiblement
supérieur à celui de ses partenaires. Puis-je rappeler que le taux de chômage
français se montait à 12,2 % en décembre, contre 4,7 % aux Etats-Unis,...
M. René-Pierre Signé.
Quels emplois ?
M. Louis Souvet,
rapporteur.
... 4,9 % aux Pays-Bas, 5 % en Suisse et au Royaume-Uni, 7,1
% en Autriche, 7,4 % en Suède et au Danemark ?
M. Claude Estier.
Et combien en Allemagne ?
M. Bernard Piras.
Comparez ce qui est comparable !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Il faudrait que vous nous expliquiez, madame la ministre,
pourquoi vous choisissez une voie que nul autre pays n'a encore empruntée,
alors que les recettes d'une lutte efficace contre le chômage sont maintenant
connues : je vous renvoie d'ailleurs, à ce sujet, à l'excellent rapport de
l'OCDE, l'Organisation de coopération et de développement économiques, sur sa
stratégie pour l'emploi.
Vous nous avez parlé du G 8, voilà un instant, et vous avez dit que tous les
gouvernements s'accordent à reconnaître que c'est bien ; néanmoins, je n'en ai
pas encore vu s'engager dans cette direction.
M. Alain Gournac.
Aucun !
M. Jacques Mahéas.
Nous sommes les précurseurs !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Nous pensons que le chômage n'est pas une fatalité ; nous
considérons également que l'intervention de l'Etat dans l'économie et les
entreprises n'est ni une fatalité ni une obligation. Tous les pays qui
réussissent s'en remettent d'ailleurs aux partenaires sociaux et au bon
fonctionnement des marchés pour trouver des solutions de compromis n'excluant
pas des considérations d'équité et la préservation de la cohésion sociale.
Comme le déclarait récemment Tony Blair
(Exclamations sur les travées
socialistes.)
,...
M. Pierre Mauroy.
Vous avez de bonnes références !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
J'ai de bonnes lectures et de bonnes références !
(Sourires sur les travées socialistes.)
Comme le déclarait donc récemment Tony Blair - je ne cite pas sa fonction,
monsieur le Premier ministre ! - « il faut cesser de faire comme si la
flexibilité était incompatible avec la justice sociale, comme si la flexibilité
signifiait toujours l'injustice, et la justice la rigidité ». Vous le voyez,
j'ai de bonnes lectures !
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Or, le projet de loi que vous nous proposez d'examiner
aujourd'hui constitue l'exemple même des rigidités qui peuvent être imposées
aux entreprises.
M. René-Pierre Signé.
Non !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Il est le reflet d'une conception administrée de l'économie,
qui ne voit de salut qu'en l'intervention de l'Etat.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Votre projet de loi, madame la ministre, bute sur l'article
1er qui prévoit d'abaisser la durée légale du travail à 35 heures hebdomadaires
au 1er janvier 2000 ou au 1er janvier 2002 pour les petites entreprises.
M. Henri Weber.
C'était cela ou rien !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Cette disposition générale et uniforme est incompatible avec
la diversité des situations dans lesquelles se trouvent les entreprises ; par
ailleurs, elle court-circuite les partenaires sociaux et met les entrepreneurs
le « dos au mur » avant les négociations que vous appelez de vos voeux.
J'ai l'impression que, si vous retiriez cet article 1er, nous pourrions
trouver un accord qui satisferait à la fois les entreprises et les salariés.
(Rires sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen).
M. Marcel Charmant.
Non ! Nous ne serions pas d'accord !
M. Jean Chérioux.
Et pourquoi pas ?
M. Michel Duffour.
Provocation !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
L'article 2 invite les partenaires sociaux à négocier.
Toutefois, l'un des termes de la négociation, l'un des éléments du «
donnant-donnant » - la réduction du temps de travail - est fixé à l'avance.
D'ici à penser que l'un des partenaires sociaux devra négocier « le dos au mur
», il n'y a qu'un pas que les entreprises ont unanimement franchi !
Par ailleurs, le projet de loi, différé dans son entrée en vigueur, est
également incomplet dans son dispositif, sur des points aussi essentiels que le
contingent autorisé des heures supplémentaires, le taux exact de leur
majoration ou la nature même du SMIC et de son évolution.
Il est vrai qu'une seconde loi est censée, en 1999, tirer les conséquences des
négociations auxquelles la première loi « appelle » les partenaires sociaux. Il
reste que les entreprises ignorent la teneur exacte de la « menace législative
» qui pèse sur elles si elles s'abstiennent de négocier. Nombreux sont les
juristes qui considèrent d'ailleurs que les entreprises ont intérêt à «
attendre le second texte de loi avant de bouger », cela en dépit du dispositif
financier incitatif.
M. Henri Weber.
Ils sont incompétents !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Peut-on dès lors considérer qu'il s'agit d'une « réduction du
temps de travail bien menée, de manière décentralisée, par la négociation »
qui, seule, selon vous, madame la ministre, « peut créer des emplois, beaucoup
d'emplois » ? Mais vous ne pouvez ignorer que, comme vous l'avez d'ailleurs dit
voilà un instant, la réduction du temps de travail ne sera efficace que sous
condition d'une forte modération salariale. Tous les spécialistes, tous les
entrepreneurs sont d'accord sur ce point, qui n'est pourtant pas précisé dans
le projet de loi dont vous nous avez parlé voilà un instant !
La commission considère que ce dispositif, qui associe une disposition
autoritaire avec une entrée en vigueur reportée et une aide financière, est à
la fois pervers et fragile.
Ce dispositif est pervers, car les articles 1er et 3 constituent une tenaille
qui doit se refermer sur les entreprises pour les amener à créer des
emplois.
M. René-Pierre Signé.
Les Français ont voté en faveur de ce programme !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
L'abaissement de la durée légale du travail, prévu à
l'article 1er, aura pour conséquence une majoration du coût des heures
travaillées entre 35 et 39 heures.
Dès lors, l'entreprise sera confrontée en réaction au choix suivant : ne rien
faire et supporter un surcoût salarial, réduire la durée du travail et
embaucher, substituer du capital au travail, c'est-à-dire réduire le temps de
travail, voire le nombre de travailleurs, au bénéfice d'investissements
matériels - et vous connaissez, madame la ministre, le processus qui passe par
l'informatisation et la mécanisation des postes de travail et qui,
malheureusement, supprime beaucoup d'emplois ou encore augmente la productivité
du travail en réorganisant la production sans embaucher - ou, enfin,
délocaliser son site de production vers un pays plus favorable à l'esprit
d'entreprise.
Il est probable que, sans subvention, les entreprises choisiraient l'une ou
l'autre de ces solutions en fonction de leur situation propre. L'aide publique
de l'article 3 a pour objectif d'influencer ou de guider le choix de
l'entrepreneur en l'amenant à réduire la durée du travail et à embaucher.
Nombre d'entreprises pourraient s'y résoudre puisque, à terme, elles
pourraient considérer qu'elles seront de toute façon confrontées à la baisse de
la durée légale. Dans ces conditions, entrer dans le dispositif pourrait être
considéré comme un moindre mal. Ce dispositif est donc pervers puisqu'il
pourrait amener une entreprise à adopter un comportement qu'elle réprouve pour
parer à une menace encore plus grande.
Par ailleurs, ce dispositif est fragile car il est fondé sur une dynamique de
la contagion. Et, pour peu que les entreprises temporisent jusqu'au second
texte, l'abaissement de la durée légale deviendrait probablement impossible.
La commission des affaires sociales n'a pas admis le caractère autoritaire de
l'article 1er et sa préférence va à un dispositif strictement volontaire qui
évite ce genre de biais et qui est d'autant plus nécessaire que nous
démontrerons au cours du débat que, pour s'assurer du succès politique de son
projet, le Gouvernement n'hésite pas à subventionner totalement les emplois
créés lorsque le salaire est au niveau du SMIC.
Le taux de couverture des salaires des nouveaux embauchés par le montant de
l'aide est de 104 %. Cela signifie que l'entreprise fait un bénéfice en créant
des emplois : on lui demande à peine de faire des gains de productivité. Cette
mesure est, par conséquent, coûteuse, antiéconomique et anticoncurrentielle.
C'est pourquoi la commission des affaires sociales proposera un dispositif
moins coûteux et, surtout, plus vertueux économiquement.
Je ne m'appesantirai pas sur les simulations économiques. Je vous renverrai
sur ce sujet à l'excellent rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur
les conséquences des 35 heures, présidée par notre collègue Alain Gournac et
dont le rapporteur était Jean Arthuis.
Je rappellerai seulement les limites des simulations économiques qui reposent
sur des modèles keynésiens d'économie fermée, alors que l'économie française
s'inscrit au coeur de l'Europe et de l'économie mondiale. Nous avons reçu les
études économiques de la direction de la prévision ce matin ; il était temps !
Ces études sont, à cet égard, très intéressantes, puisqu'elles mettent en avant
le caractère restrictif des hypothèses et, donc, la fragilité extrême des
simulations. Mais je laisserai au président Fourcade le soin d'en parler plus
largement.
Dans ces conditions, même si les 35 heures peuvent effectivement permettre de
créer, par le biais de subventions, 200 000 emplois nets, l'économiste
Christian Saint-Etienne considère que rien ne permet d'exclure que ce chiffre
net puisse être la résultante de 300 000 emplois créés à l'étranger et de 100
000 emplois détruits en France.
La commission des affaires sociales estime, quant à elle, que la loi Robien
avait donné des résultats prometteurs.
M. Henri Weber.
Modestes !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Elle rappelle que cette loi a déjà concerné plus de 150 000
salariés et qu'elle était fondée sur la libre négociation. Elle aurait tout à
fait pu faire l'objet d'un reprofilage. Son auteur vous l'a proposé, madame le
ministre.
Je rappelle qu'un rapport de la commission des finances de l'Assemblée
nationale d'avril 1997 avait évoqué une baisse de la durée d'exonération, une
modification des taux, ou encore un plafonnement.
M. Henri Weber.
Il sentait la déroute !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Plutôt que de vous engager dans cette voie, vous avez choisi
celle d'un projet riche en incertitudes, des incertitudes budgétaires,
économiques et juridiques.
J'évoquerai tout d'abord les incertitudes budgétaires.
Votre dispositif d'aide est complexe. Il associe une aide dégressive en
fonction de la date de conclusion des accords, ainsi que diverses majorations.
On peut en estimer le coût à une cinquantaine de milliards de francs en année
pleine, qui viendront s'ajouter - cela n'a rien à voir, mais cela pèse tout de
même sur les finances publiques - au coût des emplois-jeunes, soit 32 milliards
de francs en vitesse de croisière.
La commission des affaires sociales a en effet estimé le coût brut du
dispositif d'incitation prévu par le projet de loi, selon les hypothèses
retenues, dans une fourchette comprise entre 183 et 312 milliards de francs
hors majorations sur cinq ans. Ces estimations ne prennent pas en compte les
retours attendus, notamment en termes d'indemnités de chômage, mais elles
permettent d'évaluer l'ampleur de l'investissement initial.
Par ailleurs, le principe du remboursement partiel des exonérations aux
caisses de sécurité sociale, que vous évoquez dans le préambule du projet de
loi, est contraire à la loi du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale,
aux termes de laquelle « toute mesure d'exonération, totale ou partielle, de
cotisations de sécurité sociale... donne lieu à compensation intégrale aux
régimes concernés par le budget de l'Etat pendant toute la durée de son
application ».
Votre projet, madame le ministre, présente des incertitudes économiques liées
au SMIC, sur lesquelles le président Fourcade vous a déjà interrogée lors de
votre audition par la commission.
Je soulignerai, quant à moi, les incertitudes juridiques liées aux
conséquences des accords collectifs sur les contrats de travail individuels.
La commission des affaires sociales a procédé à l'audition d'éminents juristes
qui lui ont confirmé qu'une remise en question du salaire à la suite d'un
accord de réduction du temps de travail constituait une modification
essentielle du contrat de travail. Dans ces conditions, les salariés concernés
seraient fondés à demander à être licenciés avec indemnités.
Je vous ai interrogée par écrit, madame la ministre, et, dans votre réponse -
dont je vous remercie - vous avez estimé que ce risque était bien réel mais
qu'il ne devrait pas se réaliser très souvent.
Toutefois, il demeure que, dans certains cas, une entreprise pourrait être
amenée à licencier des salariés, le cas échéant au travers d'un plan social,
avant de pouvoir embaucher pour satisfaire aux exigences d'emploi de votre
dispositif. Cela serait pour le moins paradoxal, vous en conviendrez, madame le
ministre.
Après avoir exposé les incertitudes de votre projet, je soulignerai en
quelques mots les raisons pour lesquelles il pourrait augmenter, à terme, le
chômage et non le réduire.
Il s'avère tout d'abord que la durée du temps de travail ne constitue pas une
cause du chômage français.
(M. Signé rit.)
La Commission européenne
estime à 39,9 heures la durée hebdomadaire du travail dans notre pays, durée
qui est largement comparable à celle de nos voisins européens. De nombreuses
enquêtes montrent d'ailleurs que la réduction du temps de travail n'est pas une
priorité pour les salariés.
M. Alain Gournac.
Cela, c'est sûr !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Dans ces conditions, madame la ministre, on a du mal à
comprendre comment la réduction du temps de travail pourrait réduire le
chômage. Des chômeurs mal formés ou trop exigeants en termes de salaires ne
trouveront pas plus un emploi demain du fait des 35 heures ! La baisse de la
durée légale du travail devrait avant tout se traduire par une augmentation des
salaires réels, et donc, à terme, du chômage structurel. C'est d'autant plus
vrai que nombre de salariés n'ont pas encore saisi si votre projet signifiait
35 heures payées 39 ou 35 heures payées 35, ce qui, bien évidemment, n'a pas le
même impact pour notre économie.
Le chômage français est essentiellement, en effet, de nature structurelle, ce
qui signifie qu'il est lié à un problème de salaires, à des insuffisances en
termes de formation, ou encore à un système d'indemnisation qui n'encourage pas
assez la reprise d'un emploi.
On sait que le Premier ministre a exprimé sa préférence pour une société
fondée sur le travail et non sur l'assistanat. Mais on ne voit pas le début de
la grande réforme du marché du travail qui est pourtant nécessaire, comme l'ont
rappelé encore dernièrement des études de l'OCDE ou de la fondation
Saint-Simon.
Je rappellerai enfin que votre démarche paraît incompatible avec le marché
unique et l'euro. La monnaie unique implique la flexibilité du marché du
travail et le choix d'un abaissement de la durée légale va à l'encontre d'un
tel objectif.
Face à cette démarche incertaine, quelle est la position de la commission des
affaires sociales du Sénat ?
Dans sa majorité, elle a la conviction qu'un dispositif général et autoritaire
de réduction de la durée du travail n'aura pas les effets escomptés sur
l'emploi.
Certes, une comptabilité administrative pourra toujours être tenue des emplois
créés grâce à un engagement des fonds publics. Mais qu'en sera-t-il des effets
d'aubaine, des emplois détruits ou délocalisés ?
Elle considère, en revanche, comme vous l'avez rappelé, madame la ministre, en
citant une phrase de mon rapport, que, librement négociée, associée à une
souplesse indispensable à la compétitivité de l'économie, la réduction du temps
de travail peut sans doute créer des emplois ou en préserver dans certaines
entreprises en fonction du contexte qui est propre à chacune : contexte
économique, contexte social, mais aussi contexte psychologique, c'est-à-dire
volonté commune.
Telle était la philosophie de la loi quinquennale de 1993, de l'accord de 1995
entre les partenaires sociaux, ou encore de la loi Robien de 1996. Telle est la
ligne de conduite dont la majorité sénatoriale continue à s'inspirer.
Dans ces conditions, les propositions de la commission s'articulent autour de
cinq points : premièrement, suppression de l'abaissement autoritaire de la
durée légale du travail ; deuxièmement, maintien d'un dispositif incitatif à la
négociation sur l'aménagement et la réduction du temps de travail ;
troisièmement, introduction d'un délai spécifique de négociation pour les
entreprises de moins de cinquante salariés ; quatrièmement, réaffirmation du
principe de la compensation intégrale pour la sécurité sociale des exonérations
de charges ; enfin, cinquièmement, suppression des principaux obstacles
introduits par le texte au développement du temps partiel.
Les principaux amendements proposés par la commission ont ainsi pour objet de
supprimer l'abaissement autoritaire et général de la durée légale du travail à
35 heures, d'appeler les partenaires sociaux à négocier les modalités d'une
organisation du temps de travail assorties d'une réduction de la durée
hebdomadaire du temps de travail calculée en moyenne annuelle sur tout ou
partie de l'année, de prévoir que la négociation se déroule librement selon la
règle du « donnant-donnant », qu'elle laisse la possibilité de moduler le temps
de travail sur tout ou partie de l'année, et qu'elle est stimulée par le
dispositif incitatif prévu à l'article 3.
Par ailleurs, le dispositif que nous proposons tient compte de la situation
des entreprises de moins de cinquante salariés - seuil plus significatif que
vingt salariés, nous semble-t-il - afin qu'elles disposent d'un délai
supplémentaire pour négocier.
Ces amendements ont enfin pour objet d'instituer un dispositif incitatif à la
négociation.
Le dispositif proposé est un « reprofilage » de la loi Robien ; il en retient
le principe d'une aide non pas forfaitaire mais proportionnelle aux salaires,
afin de ne pas pénaliser l'emploi qualifié ; il tient compte des principales
propositions d'amélioration émises à l'occasion des premiers bilans de la loi,
notamment de l'évaluation de la commission des finances de l'Assemblée
nationale en avril 1997.
L'exonération sera ainsi plafonnée pour que les effets d'aubaine soient
réduits et lissée dans le temps pour que le coût budgétaire soit mieux
maîtrisé. Recentrée dans le temps, l'aide sera accordée pour cinq ans au lieu
de sept dans le dispositif de la loi Robien. Elle sera limitée dans le temps -
les entreprises peuvent signer un accord jusqu'au 1er janvier 2000 ou jusqu'au
1er janvier 2002 pour les entreprises de moins de cinquante salariés - et elle
sera plus facilement accessible pour ce qui est des conditions posées pour les
embauches.
Le principe de la compensation intégrale des exonérations de charge pour la
sécurité sociale est réaffirmé et les dispositions pénalisant le travail à
temps partiel sont supprimées : suppression de l'abaissement du seuil de
déclenchement des repos compensateurs liés aux heures supplémentaires,
suppression des dispositions défavorables au temps partiel à travers la
modification de l'abattement incitatif, suppression des restrictions apportées
par le projet de loi au régime des heures complémentaires pour les salariés à
temps partiel.
Enfin, la perspective d'une extension de la réduction du temps de travail dans
les fonctions publiques est écartée ; il apparaît, en revanche, tout à fait
intéressant que le Parlement soit pleinement informé du bilan du temps de
travail effectif dans l'ensemble de la fonction publique.
Par ailleurs, la commission a souhaité conserver ou compléter un certain
nombre de dispositions du projet telles que la définition du temps de travail
effectif - article 4
bis
- la détermination des temps quotidiens de
repos - article 4
ter
- ou le maintien des cotisations d'assurance
vieillesse en cas de passage au temps partiel - article 8.
En résumé, les propositions de la majorité de la commission des affaires
sociales visent à faire en sorte que le projet de loi ne compromette ni le
dialogue social ni l'équilibre des comptes publics, mais parvienne à la fois à
une réduction progressive du temps de travail effectif et à une amélioration
durable de l'emploi.
Nous entendons fonder la politique de l'avenir non pas sur la méfiance mais
sur la confiance qui devrait s'installer entre nous, non pas sur le désespoir
mais sur l'espoir que notre fonction nous recommande d'inspirer. Et notre
espoir n'a qu'un visage : celui d'une France capable d'offrir du travail à ses
enfants, afin que chacun puisse y vivre dans la dignité.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
madame la ministre, mes chers collègues, nous aurions pu débattre aujourd'hui,
comme nous l'avons fait en 1993 et 1996, du point de savoir si la réduction
effective du temps de travail peut être créatrice d'emplois, à quelles
conditions et selon quelles modalités.
En 1993, mes chers collègues, vous vous en souvenez, nous n'étions pas très
nombreux à penser que c'était une piste à explorer.
M. Henri Weber.
Cela, c'est bien vrai !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Merci de votre approbation, mon cher
collègue, mais je vous dispense de continuer.
(Sourires.)
M. Henri Weber.
Je reconnais les faits !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Mais, depuis lors, les partenaires sociaux se
sont engagés dans cette voie par l'accord du 31 octobre 1995. Nous les avons
aidés et incités à aller dans ce sens par la loi du 11 juin 1996, dite loi
Robien, qui était une loi d'initiative parlementaire.
Je crains que ce débat, madame la ministre, nous ne puissions pas l'avoir
aujourd'hui, car votre projet de loi nous impose d'examiner les conséquences de
la réduction de la durée légale du travail. Il s'agit là de deux questions très
différentes.
Entre la réduction de la durée légale et celle de la durée effective du
travail, il y a une différence qui n'est pas mince : seule la première se
décrète. C'est la raison pour laquelle je crois qu'il serait faux de dire que
nous sommes d'accord sur le fond et que nous divergeons sur la méthode : c'est
sur le fond que nous sommes en désaccord.
M. Henri de Raincourt.
Très bien !
M. Henri Weber.
Oui, sur le fond aussi nous sommes en désaccord !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Ce n'est qu'à la fin des années soixante-dix
que la durée effective du travail s'est approchée des 40 heures, durée légale
décrétée en 1936, quarante ans plus tôt.
M. René-Pierre Signé.
Par les socialistes !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
La baisse, en 1982, de la durée légale de 40
à 39 heures a, semble-t-il, plutôt freiné l'évolution à la baisse de la durée
effective. Vous l'avez vous-même noté, madame la ministre : « Notre durée
hebdomadaire du travail ne diminue plus depuis 1983. » En effet, en 1997, nous
étions encore à 38,81 heures. Est-ce un hasard ?
On n'a jamais pu démontrer que la baisse de la durée légale du travail avait
un effet positif sur l'emploi : l'expérience montre que c'est plutôt le
contraire qui s'est produit.
L'article 1er de votre texte pose donc de sérieux problèmes, madame la
ministre.
(Exclamations sur les travées socialistes).
Monsieur le président, si ce que je dis n'intéresse pas certains, je peux
m'arrêter tout de suite ; mais je pense que, au sein du Sénat de la République,
toutes les opinions peuvent s'exprimer.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M. Marcel Charmant.
Les nôtres aussi !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Vous les exposerez à la tribune tout à
l'heure !
M. René-Pierre Signé.
La parole est encore libre !
M. le président.
Cette attitude me surprend, mes chers collègues. En général, le Sénat est une
maison tolérante et calme, et je souhaite que cela continue.
(Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. René-Pierre Signé.
On ne va tout de même pas tout subir, non !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Madame la ministre, l'article 1er de votre
texte pose de sérieux problème, disais-je. Après l'excellent exposé de mon
collègue et ami Louis Souvet, je veux en mentionner deux : celui du SMIC et
celui des fonctions publiques.
La question du SMIC est bien au coeur du projet. En fixant une nouvelle durée
légale du travail, le Gouvernement, au travers de l'article 1er, conduit
mécaniquement à poser la question du niveau du SMIC mensuel calculé sur 35
heures.
Or, l'évolution du SMIC, qui concerne directement plus de 2 millions de
salariés, mais qui « diffuse », naturellement, à une plus large échelle, est un
choix économique déterminant.
Si la réduction du temps de travail se traduit par une aggravation des coûts
salariaux, vous savez - vous l'avez dit, d'ailleurs - qu'elle entraînera une
perte de compétitivité des entreprises et une augmentation du chômage : c'est
le scénario « catastrophe » que nous craignons tous et dont les emplois les
moins qualifiés seront les premières victimes.
C'est ce que démontre l'étude du ministère de l'économie et des finances que
j'ai reçue ce matin. Dans cette étude, où le ministère a procédé à trois
simulations, il est écrit : « Pour être favorable à l'emploi, le passage aux 35
heures ne doit pas se traduire par une augmentation durable du coût du travail
qui découragerait l'embauche et dégraderait la compétitivité de l'économie
française ».
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants et du RPR.)
M. Alain Gournac.
Tout est dit !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Dans la troisième simulation, qui correspond
à une majoration de 11,4 % du salaire minimum interprofessionnel de croissance,
il est démontré qu'à l'échéance de 2002 il n'y aurait pas de créations
d'emplois supplémentaires.
(Très bien ! sur les mêmes travées.)
Sur un point aussi fondamental, les explications que vous venez de nous
donner, madame la ministre, et que j'avais sollicitées de votre part en
commission ne nous ont pas convaincus.
Vous demandez aux organisations patronales et syndicales de vous donner leur
avis, de vous dire comment elles entendent faire : mais, dès lors que le projet
de loi fixe, dans son article 1er, à 35 heures la nouvelle durée légale du
travail, deux choix clairs sont possibles.
On peut laisser le SMIC horaire inchangé - c'est la règle des 35 heures payées
35 - et le choix net du partage du travail et des rémunérations.
On peut considérer, au contraire, que le passage aux 35 heures se fait sans
diminution de salaire, et on revalorise le SMIC horaire de 11,4 % - c'est la
règle des 35 heures payées 39.
Je ne dis pas que le choix était facile. Vous avez d'ailleurs vous-même
expliqué tout à l'heure, madame la ministre, que, après un certain nombre
d'années de pincement du pouvoir d'achat, parler d'une stabilisation du SMIC
horaire était difficile. Mais vous ne pouviez pas non plus ignorer que vous
alliez vous heurter à cette question inextricable en décidant, par la loi, une
forte baisse de la durée légale du travail.
De fait, vous n'avez pas choisi. Le mécanisme inédit que vous avez esquissé
conjugue en effet un SMIC horaire qui reste en l'état et une rémunération
mensuelle minimale correspondant à l'actuel SMIC mensuel.
Il en résulte que les salariés payés au SMIC qui passeront à 35 heures seront
payés 39 heures. Cela veut dire que leur rémunération horaire progressera de
11,4 %.
Vous avez, en revanche, exclu que la rémunération des salariés restant à 39
heures puisse s'accroître automatiquement de 11,4 %, auxquels s'ajouterait la
rémunération des heures supplémentaires. Vous venez de le dire, et je vous en
donne acte.
Mais je doute, et nous doutons tous ici, que l'on puisse faire coexister
durablement des salariés travaillant 35 heures payées 39 et d'autres
travaillant 39 heures qui seraient payés 40 heures, si l'on accepte votre
hypothèse sur la majoration des heures supplémentaires.
En réalité, en fixant une nouvelle durée légale du travail, je crains qu'avec
ce texte vous n'enclenchiez inéluctablement, sous une forme ou sous une autre,
une forte majoration du SMIC. Cela me semble inévitable pour deux raisons.
La première tient au fait que la priorité pour les salariés, dans leur grande
majorité, particulièrement pour ceux dont les salaires sont bas, ce n'est pas
de travailler moins, c'est de gagner plus. Les organisations syndicales l'ont
bien compris, qui nous l'ont clairement indiqué lors des auditions préalables à
l'examen du texte en commission. Je vous renvoie, à cet égard, au procès-verbal
de l'audition des représentants de la Confédération générale du travail et de
Confédération générale du travail - FO.
La seconde raison, c'est que, le mécanisme que vous voulez mettre en place ne
pouvant se maintenir durablement, vous devrez le faire évoluer. Vous devrez
faire en sorte que la rémunération minimale mensuelle, qui ne peut être qu'un
mécanisme transitoire, soit rapidement absorbée par une série de « coups de
pouce » donnés au SMIC horaire, c'est-à-dire sa revalorisation rapide de 11,4
%.
Cette opération, qui était peut-être possible en 1982, quand vous étiez
Premier ministre, monsieur Mauroy, dans le cadre de la réduction d'une heure de
la durée légale et d'une inflation à deux chiffres, comment le sera-t-elle pour
quatre heures et dans un contexte de stabilité des prix exigée par nos
engagements européens ?
En quelque sorte, en touchant à la durée légale du travail, vous créez le
problème du SMIC, donc de l'élévation du coût du travail peu qualifié. Or, vous
savez comme nous qu'une hausse de 1 % du coût du travail peu qualifié entraîne,
à terme, une baisse de 0,6 % de la demande des employeurs pour ce type de
travail.
Alors, vous devez compenser, par une aide publique spécifique, la charge que
vous créez et le risque d'un chômage accru pour cette catégorie de population
déjà très vulnérable.
Nous sommes loin d'un débat sur l'abaissement du coût du travail peu qualifié,
qui relève de mesures structurelles et pérennes ; nous sommes loin du débat sur
l'impact d'une réduction de la durée effective du travail ; nous sommes dans un
débat sur le risque d'un chômage accru résultant de la baisse de la durée
légales.
MM. Jean Chérioux et Christian de La Malène.
Très bien !
M. René-Pierre Signé.
Vous n'avez jamais pu faire baisser le chômage ; vous pouvez donner des leçons
!
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Le second problème posé par l'article 1er,
c'est celui de son extension aux diverses fonctions publiques, celle de l'Etat,
celle des collectivités territoriales, celle des hôpitaux.
Certes, les cinq millions d'agents publics ne sont pas directemement
concernées par le projet de loi. Mais, d'ores et déjà, le jour même de
l'adoption du texte en première lecture par l'Assemblée nationale, le relevé de
conclusions des négociations salariales dans la fonction publique se proposait
« d'analyser les implications de la perspective des 35 heures ». La formule,
habile, est un peu alambiquée, mais la direction est donnée.
L'article 10 du projet de loi voté par l'Assemblée nationale en première
lecture va dans le même sens puisque le rapport que le Gouvernement doit
remettre dans un an au Parlement devra porter sur « les perspectives de la
réduction du temps de travail pour les agents de la fonction publique ».
Le mouvement est donc lancé, sans que l'on perçoive l'objectif visé.
S'agit-il de créer des emplois dans la fonction publique ?
A priori
non, si j'en crois tant vos déclarations, madame la ministre, que celles du
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie devant la commission des
affaires sociales.
Dans ces conditions, l'objectif est-il d'améliorer les conditions de travail
dans la fonction publique ? La réduction du temps de travail s'inscrirait alors
dans une logique de progrès social dont il me semble que la fonction publique
n'est pas le champ prioritaire compte tenu de la garantie de l'emploi dont
bénéficient ses agents et d'une évolution du pouvoir d'achat plutôt supérieure,
désormais, à celle du secteur privé.
Si l'objectif n'est pas la création d'emplois, faudra-t-il tout de même
recruter pour compenser la réduction du temps de travail ?
Quel en sera le coût pour le budget de l'Etat, pour celui de nos collectivités
locales, qui seront déjà sollicitées au titre des associations qu'elles
subventionnent, pour celui de la sécurité sociale, enfin, à travers la fonction
publique hospitalière ?
Vous le savez, madame la ministre, les dépenses induites par la fonction
publique représentent, à elles seules, 40 % des dépenses du budget général, et
la marge de manoeuvre budgétaire qu'apporte la croissance - marge dont on parle
beaucoup actuellement - est déjà partiellement hypothéquée par le financement
de l'accord salarial dans la fonction publique conclu voilà quelques jours. Là
aussi, le choix de la réduction de la durée légale du travail risque de nous
entraîner dans des complications et des aggravations de dépenses qu'il est
impossible de mesurer aujourd'hui.
Le paradoxe de votre projet de loi sera peut-être, madame la ministre, de
manquer son effet, voire d'avoir un effet contraire, à l'égard des treize
millions de salariés du secteur marchand auxquels il s'applique et d'être un
plein succès à l'égard des cinq millions d'agents publics auxquels il n'est, en
théorie, pas applicable.
M. José Balarello.
Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Telle est la raison pour laquelle le
rapporteur de la commission des affaires sociales, notre excellent collègue
Louis Souvet, propose de supprimer l'article 1er du projet de loi et souhaite
inscrire la réduction du temps de travail dans la philosophie qui était celle
de la loi quinquennale de 1993, de l'accord de 1995 entre les partenaires
sociaux et de la loi de 1996.
M. Alain Gournac.
Très bonne initiative !
M. Henri Weber.
Quel immobilisme !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Madame la ministre, vous avez raison de
constater qu'il existe une forme de consensus sur un point, que vous formulez
ainsi : « Bien menée, de manière décentralisée, par la négociation », la
réduction du temps de travail qui n'est « ni une solution unique ni une
solution miracle », est une « piste à ne pas négliger » de création
d'emplois.
J'ajoute que, au niveau actuel du chômage dans notre pays, il serait vain de
privilégier une piste par rapport aux autres : l'allégement des charges
sociales, notamment pour les travailleurs les moins qualifiés, l'amélioration
de la formation des jeunes, l'assouplissement des règles du code du travail et
la décentralisation des actions en faveur de l'emploi ont autant d'importance
que la réduction de la durée du travail.
C'est pourquoi le dispositif que nous proposons au Sénat d'adopter repose sur
une réduction de la durée effective du travail librement négociée par les
partenaires sociaux et assortie d'une incitation à durée limitée ; c'est la loi
Robien reprofilée.
La loi Robien - vous l'avez dit vous-même, madame le ministre - est un
dispositif qui fonctionne, qui favorise le dialogue social. Certes, ses
conséquences financières sont sans doute trop lourdes, mais elle permet de
relancer la négociation et de stimuler les partenaires sociaux.
Dès lors, mes chers collègues, pourquoi se priver d'un tel instrument ? Au vu
de l'expérience et des premiers bilans, qui étaient prévus par la loi
elle-même, cet instrument peut être stimulé, ajusté, modéré dans son coût sans
perdre son efficacité.
C'est la position qu'a retenue la commission des affaires sociales, dans sa
majorité.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
La croissance revient en Europe, mes chers
collègues, sauf événement dramatique venant d'Asie - mais nous le verrons
l'année prochaine - une croissance qui, dans notre pays, s'est enrichie en
emplois grâce aux mesures prises depuis plusieurs années par les gouvernements
qui se sont succédé, et les résultats que nous enregistrons aujourd'hui sont
autant dus à l'amélioration du commerce mondial qu'à tous les dispositifs qui
ont été mis en place dans ce pays depuis 1993.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Nous sommes aujourd'hui sur une pente
d'environ 300 000 créations d'emplois par an. Ce sont là les chiffres de 1997,
rendus publics par la DARES, la direction de l'animation de la recherche, des
études et des statistiques, qui est ici représentée.
Si notre dispositif permet, comme nous le pensons, de créer ou de préserver
100 000 à 150 000 emplois supplémentaires, nous aurons fait un grand pas en
avant, et ce pour un coût moyen annuel de l'ordre de 12 à 18 milliards de
francs lorsque le dispositif fonctionnera normalement. Nous pensons ainsi
pouvoir éviter les destructions d'emplois qu'entraînerait un dispositif général
et obligatoire de baisse de la durée du travail, qui ne peut évidemment pas
tenir compte de la spécificité des situations dans chaque secteur, dans chaque
entreprise, dans chaque établissement.
Vous avez souhaité, madame la ministre, que les choses bougent. Vous avez
déploré que, dans notre pays, il revienne à la loi de les « faire bouger ».
Votre collègue M. Dominique Strauss-Kahn dans un registre voisin, constatait
et déplorait que les évolutions se fassent, dans notre pays, par « soubresauts
».
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
C'est peut-être là, au-delà de la polémique
et des arguments convenus, que se situe le coeur du débat.
Je crois, pour ma part, que le Gouvernement sous-estime la maturité des
Français ; ...
M. René-Pierre Signé.
Ils sont assez lucides, quand même !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
... ne fait pas assez confiance à la
négociation et néglige les exigences de la construction européenne.
M. Alain Gournac.
Absolument !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
C'est pour ces raisons que je souhaite
vivement que la majorité sénatoriale adopte les propositions raisonnables de sa
commission des affaires sociales.
(Très bien ! et applaudissements sur les
travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union
centriste.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 72 minutes ;
Groupe socialiste, 61 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 52 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 44 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 32 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 29 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
10 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, revendication
sociale majeure, la réduction du temps de travail a de tout temps suscité une
grande hostilité du patronat, celui-ci justifiant son opposition de principe
par un argument classique qu'il n'a eu de cesse de ressortir : la perte de
compétitivité des entreprises qui en résulterait a bloqué et continue de
freiner tout progrès.
Pourtant, depuis la loi dite « des huit heures » de l'après-guerre faisant
toujours suite à de forts mouvements sociaux, l'idée de la réduction du temps
de travail a fait son chemin ; la sacro-sainte compétitivité a pu être
maintenue, que ce soit, d'une part, par voie législative, en 1936, lorsque le
Front populaire a sanctionné légalement la revendication des 40 heures en
accordant deux semaines de congés payés ou, en 1982, lorsqu'un gouvernement de
gauche a fixé à 39 heures la durée hebdomadaire du travail et en allongeant
d'une semaine les congés payés, d'autre part, par voie contractuelle
conventionnelle, notamment par les accords de Grenelle.
Bien sûr, au départ, la question se posait à l'échelle de la journée pour très
vite se déplacer à celle de la semaine.
Certains sont tentés d'aller plus loin en situant le débat à l'échelle de
l'année. Je ne surprendrai personne dans cet hémicycle en réaffirmant notre
opposition farouche à une telle dérive, porte ouverte à tous les abus. J'aurai
d'ailleurs l'occasion de revenir longuement sur ce point.
Qu'en est-il de ce processus ancien et continu ?
Bien que les cadres normatifs soient très différents d'un pays à l'autre, le
Royaume-Uni n'ayant, par exemple, de référence ni légale ni conventionnelle
relative à la durée hebdomadaire du travail, laissant le soin à l'entreprise de
régler cette question, force est tout de même de constater une certaine
homogénéité des durées effectives moyennes annuelles pour les salariés à temps
complet de la Communauté européenne puisqu'elles se situent entre 1 710 et 1810
heures, et ce en tenant compte aussi du fait que le temps partiel qui a
véritablement explosé, surtout dans les Etats d'Europe du Nord, est responsable
le plus souvent de la diversité dans les évolutions récentes.
Quoi qu'il en soit, effectivement, il convient de noter que, dans sa globalité
et sur une longue période, la durée du travail a connu une baisse
indéniable.
Toutefois, en France comme en Europe, ce thème de la réduction du temps de
travail a été supplanté par un autre thème, celui de l'aménagement du temps de
travail.
La réduction du temps de travail, conçue par les salariés et leurs syndicats
comme un facteur efficace de lutte contre le chômage et comme vecteur
d'amélioration des conditions de travail, a été dévoyée par le patronat, les
employeurs n'ayant, le plus souvent, comme seul et unique souci d'intensifier
la production afin de dégager toujours plus de profits. Pour eux, la réduction
du temps de travail est accessoire. C'est une simple mesure d'accompagnement de
la réorganisation du travail rendue nécessaire par les nouvelles contraintes du
marché.
Ainsi, depuis les années quatre-vingt, la diversification des temps travaillés
au sein même de l'entreprise et
a fortiori
de la branche, de
l'organisation du temps de travail ont rendu bien illusoire la baisse effective
du temps de travail.
Dans son rapport, Jean Le Garrec pointe cette montée en puissance de la
volonté patronale de se servir comme d'un banal prétexte des négociations sur
la réductions du temps de travail pour imposer divers aménagements de la norme
hebdomadaire.
Je souscris totalement à ce constat et, durant les débats sur le projet de loi
qui nous est soumis, je dénoncerai sans détour les effets pervers de la
modulation de la norme légale hebdomadaire sur plusieurs semaines, voire sur
l'année, du retour en force du travail de nuit ou le week-end et de
l'augmentation du temps partiel imposé.
Je n'oublierai pas, bien sûr, de mentionner les tentatives diverses du
patronat, relayé par la droite, pour modifier le système de décompte des heures
supplémentaires, leur substituer un repos compensateur ou pour imposer une
modération salariale.
Sous prétexte de crise, l'idée de la nécessaire souplesse organisationnelle
des entreprises, afin de mieux s'adapter aux fluctuations du marché, s'est
répandue, s'est imposée. Sous la pression du chômage de masse dans une période
de forte rentabilité, les atteintes au progrès social ont été justifiées dans
notre pays. Le marché du travail s'en est trouvé complètement déséquilibré, le
rapport de force employés-employeurs induisant des conditions de travail
toujours plus difficiles et des rémunérations toujours tirées vers le bas.
Au regard d'un tel état des lieux, je ne trouve pas surprenant que les
Français jugent les chefs d'entreprise peu soucieux à 61 % du bien-être des
salariés et à 55 % de l'intérêt général. Ce constat, dressé par le journal
La Croix,
témoigne bien de l'état d'esprit dans lequel se trouvent les
salariés.
Majoritairement favorables à la réduction du temps de travail, ils sont
beaucoup plus sceptiques quant aux conséquences pratiques que pourrait avoir
pour eux cette loi. Ils doutent parfois qu'elle soit réellement créatrice
d'emplois.
Je comprends tout à fait leurs craintes concernant l'inaptitude du patronat à
améliorer la situation économique et sociale de la France. Un seul exemple
suffira à étayer mon propos.
Sur l'initiative du patronat en mai 1984, une tentative de négociation sur «
l'adaptation des conditions d'emploi » n'a-t-elle pas été conduite ? L'objectif
était de pouvoir amplifier le processus de dérogation contractuelle introduite
par l'ordonnance de 1982, en étendant la flexibilité à l'ensemble de la
législation relative à la durée du travail.
Le patronat proposait de négocier l'annualisation des horaires, les heures
supplémentaires, les congés payés, le travail à temps choisi, sans toutefois
évoquer de contreparties sous forme de réduction du temps de travail.
Bien entendu, les négociations ont échoué. Toutefois, les accords
d'entreprises sur la modulation hors cadre légal du temps de travail ont
foisonné. Les salariés ont subi.
Pour notre part, c'est avec beaucoup de conviction que nous entendons apporter
notre pierre à travers ce projet de loi d'incitation et d'orientation à la
réduction du temps de travail pour que le texte demeure un projet innovant et
qu'il soit effectivement à la hauteur des attentes des Français.
La France, quatrième puissance mondiale, deuxième pays d'accueil des
investisseurs étrangers en Europe, compte tout de même toujours plus de quatre
millions de chômeurs et RMIstes, près de trois millions de salariés percevant
un bas salaire inférieur au SMIC. Notre pays a lui aussi ses
working
poors
, ses actifs pour qui travail rime malheureusement avec précarité ;
c'est le modèle anglo-saxon.
Des frontières entre chômage et emploi de moins en moins nettes, voilà la
conséquence fâcheuse de cette dérégulation.
Rien d'étonnant alors qu'un peu avant les fêtes de Noël, lorsque les privés
d'emplois ont fait irruption sur la scène sociale, une large frange de la
population ait reconnu leurs revendications comme légitimes !
Les actions convergentes menées côte à côte par les salariés et les privés
d'emplois ont permis de mettre en avant l'imbrication entre hausse des minima
sociaux et revalorisation du SMIC. Elles ont servi à faire prendre conscience
qu'il était impératif que la loi sur les 35 heures puisse se traduire par des
emplois stables.
Dans une étude récente d'
INSEE Première
, un grand quart de Français
interrogés citent le travail comme préoccupation essentielle parce qu'il
procure des revenus, mais aussi et surtout un statut social, comme synonyme du
bonheur.
Cet exemple témoigne, s'il en était encore besoin, de l'acuité du problème du
chômage, des drames qu'il génère, mais surtout de l'urgence de solutions
nouvelles.
Une croissance forte, soutenue, n'est pas à même de résorber seule le chômage.
Pour que celle-ci puisse être riche en emplois, la réduction du temps de
travail est une des pistes qui mérite d'être suivie, explorée.
Conquête sociale, moyen de travailler moins pour travailler tous, ou moyen de
travailler moins pour travailler plus ; vecteur d'amélioration des conditions
de vie familiale, associative, la réduction du temps de travail se présente
aussi et surtout comme un formidable levier pour l'emploi.
Dans le contexte social actuel, cet outil de lutte contre le chômage ne peut
être négligé.
De plus, il doit nécessairement être couplé avec d'autres mesures telles que
la prévention et le contrôle des licenciements, la relance de la consommation,
la réforme de la fiscalité taxant plus les profits financiers, la réforme des
cotisations sociales... Nous espérons que la réduction du temps de travail sera
l'occasion de voir s'affirmer d'autres choix de société, un autre partage -
plus équitable - des richesses dans notre pays.
Revendication ancienne de notre groupe politique, la réduction du temps de
travail sans diminution de salaire, inscrite dans la déclaration commune parti
communiste-parti socialiste d'avant les élections législatives, est aujourd'hui
en passe d'être confirmée légalement.
Je me félicite de cette démarche volontariste du Gouvernement. Voilà bientôt
vingt ans que le processus de réduction du temps de travail était en panne,
faute de négociations collectives.
Pour pallier le manque de dynamisme et modérer l'appétit du patronat dans sa
quête de toujours plus de flexibilité, il était primordial que l'Etat, garant
de l'ordre public social, intervienne pour inverser la tendance.
En fixant un cadre, une nouvelle durée légale du travail, une date butoir, ce
projet de loi a le mérite d'impulser les négociations, de relancer le dialogue
social.
Cherchant à moraliser le temps partiel, le recours aux heures supplémentaires,
le projet de loi entend mettre de l'ordre dans les dérives passées.
Des questions cruciales telles que le SMIC, les heures supplémentaires,
restent tout de même en suspens.
Certains points peuvent être précisés concernant le mandatement.
Je compte sur vous, madame la ministre, sur le jeu des navettes
parlementaires, pour apporter d'utiles précisions au texte, l'améliorer pour
qu'il ne puisse être aucunement dévié de son objectif principal : la création
de milliers d'emplois.
A l'Assemblée nationale, mes amis du groupe communiste et apparenté ont
largement contribué à éviter les dérapages éventuels en faisant adopter un
certain nombre d'amendements : le suivi des accords dans l'entreprise par une
commission paritaire ; le remboursement de l'aide par l'entreprise qui ne
respecte pas ses engagements ; l'assistance du salarié mandaté par un collège
lors des négociations ; le paiement du temps consacré à la négociation.
En revanche, des amendements importants à nos yeux n'ont pu être satisfaits.
Je pense notamment à ceux qui portent sur la nature de l'aide apportée aux
entreprises, sur le volet défensif prévu à l'article 3 et destiné à éviter les
licenciements, sur le niveau de rémunération des heures supplémentaires ou les
contingents d'heures supplémentaires autorisés.
Vous comprendrez, madame la ministre, mes chers collègues, que les points
évoqués précédemment seront intégrés à notre panoplie d'amendements et qu'en
temps utile nous ne manquerons pas d'intervenir pour les défendre.
De plus, étant admis que l'avenir de ce projet de loi se jouera en grande
partie lors des négociations, nous avons tenu à traiter la question de la
qualité de ces accords, de leur validité au regard des accords de branches plus
favorables, du suivi de ceux-ci, avec précision, par le biais d'autres
amendements.
Mon collègue et ami Michel Duffour interviendra d'ailleurs tout à l'heure plus
précisément sur la question des négociations collectives et du mandatement.
Enfin, pour conclure sur notre positionnement dans ce débat, j'indique que le
groupe communiste républicain et citoyen et moi-même, entendons résolument nous
opposer aux modifications substantielles apportées au projet de loi par la
majorité de la commission des affaires sociales.
Cette attitude sans surprise de la droite sénatoriale fait suite au blocage de
principe du CNPF à l'égard du texte relatif à la réduction du temps de travail,
d'une part, et à la constitution de la pseudo-commission d'enquête sur ce
thème, d'autre part.
Pourquoi le CNPF est-il parti véritablement en croisade contre les 35 heures
?
Les risques de perte de compétitivité, de délocalisations, de fuite des
investisseurs étrangers sont-ils réels ou constituent-ils de simples arguments
mensongers servant une tactique politicienne ?
Toutes ces questions trouveront naturellement une réponse au cours des
débats.
Néanmoins, j'apporte tout de suite un premier élément de réponse. Si la
réduction du temps de travail a soulevé autant de controverses, c'est qu'elle
risque non seulement de toucher aux rapports de force existant entre salariés
et employeurs, mais aussi de faire reposer le débat sur le rôle des différentes
générations, des hommes et des femmes dans la société.
Surtout, la réduction du temps de travail sans diminution de salaire touche au
très sensible problème de la répartition des richesses entre profits et
salaires.
Ainsi, lorsque Ernest-Antoine Seillière de Laborde en appelle à l'intérêt des
entreprises, il confond cet intérêt avec celui des seuls chefs d'entreprise et
gros actionnaires qui empochent les dividendes !
Fidèle à son attitude « responsable » et « constructive » déjà adoptée lors de
précédents textes - je fais référence ici aux projets de loi relatif aux
emplois-jeunes ou à celui qui portait sur le financement de la sécurité sociale
- la majorité de la commission a une fois de plus profondément dénaturé le
texte. La réduction du temps de travail n'est plus abordée comme une fin en
soi, mais comme une mesure d'accompagnement de l'annualisation et de la
flexibilité du travail.
Par ailleurs, ces messieurs admettent, contrairement au CNPF, que la réduction
du temps de travail peut être créatrice d'emplois, ils se sont donc employés à
« reprofiler » la loi Robien et à faire sauter les verrous du temps partiel,
vidant ainsi la loi de toute sa potentialité.
Le 13 février 1996, nous avions opposé à la proposition loi Robien une
question préalable...
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Oui !
M. Guy Fischer.
... jugeant que ce texte allait à l'encontre du monde du travail...
Mme Hélène Luc.
Oui !
M. Guy Fischer.
... refusant l'équation : annualisation, réduction du temps de travail.
A l'époque, le rapporteur du texte, M. Souvet, doutait lui-même de
l'opportunité de son adoption. Je constate qu'aujourd'hui ses doutes se sont
dissipés.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Eh oui !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Ce n'est pas aussi simple que cela !
M. Guy Fischer.
A l'époque, il était allé jusqu'à demander un scrutin public !
En ce qui nous concerne, dans les prochains jours, nous entendons faire
entendre une autre voix que celle de l'ultralibéralisme. Ce sera le sens de nos
sous-amendements et des articles additionnels que nous proposerons. Ils auront
au moins le mérite de faire se prononcer le Sénat sur des questions
essentielles. Ce contre-projet, imprégné par l'idée récurrente que, pour créer
des emplois, il suffirait de baisser le coût du travail, ne peut que susciter
notre rejet.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen ainsi que sur certaines travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Gournac.
(Applaudissements sur les travées du
RPR.)
M. Alain Gournac.
Je me suis demandé, madame le ministre, si le dessinateur qui, dans le style
du peintre Fernand Léger, avait mis en scène pour un hebdomadaire le projet de
réduction du temps de travail à 35 heures n'avait pas, à sa manière, assez bien
saisi l'intention du Gouvernement.
C'est comme si ce dessinateur avait compris que, avec ce projet de loi sur les
35 heures, le Gouvernement avait voulu renouer avec l'histoire, notamment avec
1936, dont Fernand Léger semble parfois avoir été l'illustrateur.
M. Henri Weber.
Aucun rapport !
M. Alain Gournac.
C'est comme si ce dessinateur avait décelé que votre projet de loi était, dans
son ambition, également un pastiche des lois de 1936 relatives aux congés payés
et à la semaine de 40 heures. Or, nous sommes dans un contexte économique et
social bien différent.
(MM. Autain et Weber protestent.)
Votre collègue au Gouvernement M. Dominique Strauss-Kahn a raison de souligner
qu'en se plaçant dans une perspective de longue durée, nous assistons à une
baisse tendancielle du temps de travail dans les pays industrialisés.
Toutefois, il me semble important de préciser que, durant tout le XIXe siècle,
notamment depuis la loi du 22 mars 1841 interdisant le travail avant l'âge de
huit ans, c'est essentiellement la lutte contre l'effroyable pénibilité du
travail ouvrier qui constitue la raison première de ces réductions du temps de
travail.
La période de temps considérée par les différentes lois qui se sont succédé a
subi un élargissement progressif. Il s'agit d'abord, au XIXe siècle, de la
journée de travail, puis, dans le premier tiers du XXe siècle, de la semaine de
travail. Il s'agit ensuite de l'année de travail à travers la création et
l'extension des congés payés et, enfin, nous prenons aujourd'hui en compte la
durée de la vie active avec l'âge avancé du départ en retraite.
Cet élargissement de la durée considérée s'accompagne du passage de la prise
de conscience du caractère aliénant du travail au siècle passé à la prise de
conscience du caractère non moins alinéant du manque de travail à notre
époque.
Il est clair que ces deux prises de conscience, pour différentes qu'elles
soient, ne sont pas exclusives l'une de l'autre. Bien au contraire, elles se
conjuguent.
Dans le programme du parti socialiste, elles recevaient deux réponses claires
et distinctes.
Pour lutter contre le chômage, il fallait « créer des emplois », c'était
l'intitulé d'une rubrique.
L'objectif était de créer « 700 000 vrais emplois pour les jeunes ». Pour
lutter contre une certaine pénibilité propre à tout travail il fallait, par
ailleurs « réduire le temps de travail ». « Aujourd'hui, indiquait ce
programme, la machine permet des gains de productivité dont l'homme doit
bénéficier. Nous proposons de ramener progressivement la durée légale du temps
de travail de 39 heures à 35 heures sans diminution de salaire. »
Autrement dit, la baisse tendancielle du temps de travail qu'observe M.
Dominique Strauss-Kahn a une finalité instable et évolutive. Celle-ci était au
départ l'augmentation, pour le travailleur, de son temps de loisir, d'où les 35
heures payées 39.
Cette finalité devient à l'arrivée, sans que l'on ose toutefois la renier
entièrement, 35 heures que l'on n'ose pas payer 39, puisqu'il s'agit
d'augmenter non plus le temps de loisir des salariés, mais le nombre des
emplois.
Toute l'ambiguïté de votre démarche est là, madame le ministre, et je ne suis
pas sûr que les pays vers lesquels vous vous tournez pour conforter vos
analyses et vos décisions aient confondu les deux finalités. Au contraire,
dirai-je même.
Le « mieux vivre » pour chacun et le « plus de travail » pour tous sont des
aspirations qui se sont exprimées parallèlement - je pense notamment au
développement du temps partiel - et mises en place spontanément et sans
confusion dans ces pays.
Votre texte, dont je ne critique pas l'inspiration généreuse...
M. Ivan Renar.
C'est déjà ça !
M. Alain Gournac.
... est, en fait, brutal. Son autoritarisme semble être la seule solution que
vous ayez trouvée pour sortir de l'impasse que constitue cette confusion.
Madame le ministre, si vous n'aviez pas laissé entendre que ces deux finalités
pouvaient être recherchées simultanément, la chose eût été plus simple, le
dialogue possible et l'autoritarisme inutile.
(C'est vrai ! sur les travées du RPR.)
En effet, l'idée de la réduction du temps de travail est assez simple :
il serait possible de diminuer le chômage en partageant le travail. Si l'on
suit cette logique, une diminution du temps de travail d'environ 10 % - ce qui
équivaut au passage de 39 heures à 35 heures hebdomadaires - créerait 10 %
d'emplois supplémentaires.
La question est de savoir qui finance le coût de cette loi ?
Les salariés ? Il faudrait qu'ils acceptent une diminution de leur
rémunération à due concurrence, c'est-à-dire qu'ils abandonnent l'autre
finalité, à savoir « plus de moyens pour plus de loisirs ». Le Premier ministre
a éliminé cette solution comme anti-sociale.
Les entreprises ? Il faudrait qu'elles maintiennent les salaires des
personnels en place tout en embauchant pour compenser les quatre heures non
travaillées. M. le Premier ministre a exclu, à juste titre, cette possibilité
comme anti-économique.
Entre des mesures antisociales et des mesures anti-économiques, la marge de
manoeuvre est étroite, c'est le moins qu'on puisse dire. Le Gouvernement a
inventé un système dont le coût définitif pour le pays est difficilement
chiffrable.
L'aide de l'Etat, si elle est certaine dans son principe, est incertaine dans
son montant. Par ailleurs, les gains de productivité des entreprises qui
pourraient compenser l'augmentation des coûts du travail sont incertains
également et en tous les cas impossibles à évaluer. De plus, l'acceptation par
les salariés d'un gel des salaires, au dire des représentants des organisations
syndicales, n'est pas du tout à l'ordre du jour.
Examinons l'aide de l'Etat. Pour 1998, le dispositif devrait permettre la
création de 21 000 emplois nouveaux. En conséquence, 350 000 salariés seraient
concernés par la réduction du temps de travail. A raison de 9 000 francs de
prime par salarié passé à 35 heures, ce dispositif coûterait environ trois
milliards de francs, qui ont bien été inscrits dans la loi de finances pour
1998.
A partir de l'an 2000, mes chers collègues, la mesure devenant obligatoire
pour les entreprises de plus de vingt salariés, ce sont treize millions de
salariés qui devraient être concernés par une prime cette fois de 5 000 francs,
ce qui représenterait un coût total, par an, pour l'Etat, de soixante-cinq
milliards de francs.
Le Gouvernement affirme que cette évaluation ne prend en compte ni les
recettes engendrées par les cotisations sociales des nouveaux employés ni les
rentrées de TVA consécutives à une consommation qui serait ainsi relancée.
Mes chers collègues, je ne peux partager l'optimisme budgétaire du
Gouvernement.
Je crains que nous ne rencontrions des difficultés budgétaires en pleine
période de transition vers la monnaie unique si l'Etat commence - ce serait
d'ailleurs une première - par verser plusieurs dizaines de milliards avant de
percevoir les recettes escomptées !
Je ne crois pas que les partenaires sociaux accepteront de prendre à leur
charge le manque à gagner de la sécurité sociale dû à l'abattement des
cotisations patronales.
Quant aux gains de productivité, je ne vois pas quelles prévisions sérieuses
il est possible de faire. Dans les services ou les petits commerces, ces gains
seront, à n'en pas douter, fort réduits sinon inexistants.
M. Jean-Patrick Courtois.
Tout à fait !
M. Alain Gournac.
En revanche, dans les secteurs de productivité, pour l'essentiel, ils seront
affectés à la défense des parts de marché afin d'assurer le maintien de la
compétitivité.
Quant aux salariés, toutes les auditions que nous avons organisées avec mes
collègues de la commission d'enquête sur les conséquences des trente-cinq
heures confirment qu'ils ne souhaitent pas travailler moins, mais qu'ils
veulent gagner plus !
M. Jean-Patrick Courtois.
C'est vrai !
M. Alain Gournac.
Devant autant d'incertitudes, pourquoi ne pas adopter une attitude responsable
?
Si nous devons avoir la modestie de reconnaître que nous avons tous échoué
face au chômage - et je vous donne acte de la vôtre, madame le ministre, comme
vous prendrez sans doute acte de la mienne - nous devons continuer sur la
lancée d'une telle modestie et nous méfier dorénavant des théories et des
prévisions sur lesquelles nous fondons en la matière nos décisions.
Etes-vous sûre, madame le ministre, que la réduction autoritaire du temps de
travail exprime une telle prudence... si souvent recommandée par les experts
?
La négociation ne serait-elle pas une forme plus convenable ? Le dialogue
social autour d'une table et non pas dos au mur n'aurait-il pas plus de chances
d'aboutir à des accords susceptibles de conjuguer les deux finalités dont j'ai
parlé tout à l'heure ?
Il y a tant d'incertitudes dans l'affaire qui nous préoccupe et tant
d'assurance dans l'attitude du Gouvernement qu'il y a de quoi être troublé !
L'essentiel est à étudier, à mettre au point... mais la décision est déjà
prise.
Prenons un exemple que vous connaissez, madame le ministre, puisque je vous en
ai déjà fait part. C'est celui d'une entreprise de cent salariés qui embauche
six personnes.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Ah oui !
M. Alain Gournac.
Cette entreprise diminue, bien sûr, son temps de travail de 10 % ! Elle va
toucher - il s'agit de la première année - 106 fois l'aide de l'Etat de 9 000
francs soit 954 000 francs. Elle touche donc, par personne embauchée, 954 000
francs divisés par six personnes, soit 159 000 francs.
M. Serge Vinçon.
Exact !
M. Alain Gournac.
Un commerce avec deux salariés qui embauche une personne - elle diminue, bien
sûr, son temps de travail de 10 % - va toucher trois fois 9 000 francs, soit 27
000 francs, ce qui fait, puisqu'il n'a embauché qu'une personne, 27 000 francs
par personne.
L'application des termes de la loi conduit à des aberrations et à des
injustices. Plus l'entreprise est grande, plus elle bénéficie de l'aide de
l'Etat... par personne embauchée.
Quand on sait que les petites et moyennes entreprises étaient celles qui
créaient véritablement de l'emploi dans le secteur marchand, on reste étonné,
très étonné même, que le texte du Gouvernement puisse les oublier avec une
inconscience qui frise la désinvolture.
Entre 1981 et 1996, en quinze ans, les établissements employant moins de
cinquante salariés ont créé 1 248 000 emplois. Or, pour créer des emplois, ces
PME ont besoin de disposer notamment de souplesse - je suis d'ailleurs heureux,
madame le ministre, de vous avoir entendu parler de souplesse pour la première
fois - dans le domaine du temps de travail.
La réduction obligatoire et uniforme de la durée légale du travail serait
particulièrement grave pour l'ensemble de ces entreprises.
Comment voulez-vous qu'une petite entreprise composée d'emplois spécialisés et
non interchangeables - un ingénieur, un contremaître, un commercial, une
secrétaire, un manutentionnaire - puisse embaucher un ingénieur pour quatre
heures, un commercial pour quatre heures, etc.
Le projet de loi que vous nous proposez risque d'empêcher les PME de profiter
pleinement de la dynamique de croissance qui semble se dessiner pour 1998. Il
risque aussi de porter préjudice à l'emploi, alors que ce sont les PME qui en
ont créé, et plus que d'autres !
Le projet de loi sur la réduction du temps de travail à 35 heures a suscité un
grand débat national. Le Sénat, en la personne, d'une part, de Louis Souvet,
notre excellent rapporteur de la commission des affaires sociales, et, d'autre
part, de Jean-Pierre Fourcade, son président, vous propose de donner à ce débat
national toute la chance de déboucher sur des accords concrets et féconds en
matière de création d'emplois.
Il vous suffirait de remplacer une volonté étatique gouvernementale par la
volonté commune des partenaires sociaux.
C'est au nom de la vertu du dialogue et de la liberté d'entreprendre que je ne
voterai pas, en l'état, le projet de loi de réduction autoritaire du temps de
travail que vous nous présentez et que je soutiendrai, bien évidemment, la
proposition de notre rapporteur.
(Applaudissements sur les travées du RPR,
des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
MM. Jean-Patrick Courtois et Serge Vinçon.
Remarquable !
M. le président.
La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel.
« D'orientation et d'incitation relatif à la réduction du temps de travail »,
tel est l'intitulé du projet de loi qui nous est soumis. « Réduction
autoritaire du temps de travail à 35 heures », tel est le titre du rapport de
la commission d'enquête créée par le Sénat et donc l'interprétation qu'elle
donne du projet de loi, la finalité assignée à ce texte étant prioritairement
la création d'emplois.
Est-ce le moment ? Est-ce un bon moyen ? La procédure proposée est-elle la
plus judicieuse ? Ce sont autant de questions qui sont au coeur de la
controverse que nous vivons depuis quelques mois.
Je voudrais, d'emblée, m'associer aux remerciements adressés non seulement à
la commission des affaires sociales, à son président et à son rapporteur, mais
aussi à la commission d'enquête du Sénat, à son président et à son rapporteur,
Jean Arthuis, qui ont su réaliser un travail préparatoire de grande qualité.
M. Jean Arthuis.
Merci !
M. Daniel Hoeffel.
Dans le combat mené pour l'emploi, aucun moyen susceptible de réduire le
chômage ne doit être négligé, et personne ne saurait reprocher à un
Gouvernement de considérer la réduction du temps de travail comme l'un des
remèdes possibles.
Trop de solutions proposées dans le passé pour améliorer la situation de
l'emploi ayant connu des fortunes diverses, nous devons être modestes dans
l'appréciation portée sur de nouvelles tentatives, et c'est d'une manière
dépassionnée et la plus objective possible que nous devons exprimer un
jugement.
Un texte, quel qu'il soit, doit faire l'objet, en particulier au Sénat, non
d'un rejet abrupt, mais d'une volonté d'amélioration afin de le réorienter, de
le profiler et de lui donner la vision la plus réaliste possible.
Cela suppose en premier lieu que nous évitions d'aborder la réduction du temps
de travail en nous fondant sur des considérations doctrinales. Face à des
partenaires et à des concurrents étrangers qui, quelle que soit par ailleurs
leur orientation politique, font prévaloir la réalité de la vie économique et
sociale sur les théories et sur les programmes, nous devons être pragmatiques
et garder les pieds sur terre.
Il est nécessaire, en deuxième lieu, que nous soyons une fois pour toutes
conscients que tout ce qui est lié au temps de travail ne saurait être dissocié
du contexte général de la mondialisation et de la construction européenne, qui
sont synonymes d'efforts accrus et non de relâchement de l'effort. Nous sommes
trop tributaires de ce qui se passe autour de nous pour que nous puissions agir
au niveau social, en cavalier seul.
Il faut, en troisième lieu, que la France sache à qui elle veut s'en remettre
pour définir une vision claire et constante de sa politique sociale.
Est-ce l'Etat qui doit fixer les orientations, voire les détails de la
politique sociale ? S'en remet-on au contraire à la politique conventionnelle ?
Ou encore - et c'est très souvent le cas - doit-il y avoir interférence entre
décisions étatiques et négociations paritaires ? Il faut reconnaître, à cet
égard, que la politique conventionnelle a, dans notre pays, connue dans les
années soixante, par exemple, des périodes plus fastes qu'aujourd'hui.
Il est nécessaire, dans ces conditions, que nous ne cherchions pas la solution
en cultivant sur ce plan l'exception française, en nous singularisant du point
de vue des objectifs comme des procédures.
Le fait que nous soyons l'un des pays au monde où la durée moyenne du travail
est l'une des plus faibles ne nous donne, dans la compétition internationale,
qu'une marge de manoeuvre très réduite. Et, dans ces conditions, réduire la
durée du travail à 35 heures ne saurait être considéré comme une fin de soi.
La réduction de la durée du temps de travail n'est concevable que dans la
mesure où, d'une part, elle respecte la diversité du tissu économique français
et où, d'autre part, elle préserve la capacité compétitive des entreprises
françaises. Sinon il n'y aura pas, du fait de la réduction du temps de travail,
de créations d'emplois, bien au contraire.
M. Serge Vinçon.
C'est vrai !
M. Daniel Hoeffel.
C'est parce que la commission des affaires sociales apporte sa réponse en
respectant ces objectifs, et parce qu'elle préconise un débat constructif au
niveau du Parlement, que nous approuvons les propositions raisonnables qu'elle
présente, et en particulier quelques principes qui nous paraissent essentiels.
D'abord, il faut respecter la diversité du tissu économique. Il est
inconcevable qu'on puisse appliquer le même schéma aux entreprises, quelle que
soit leur taille, leur appartenance à l'industrie ou aux services, au secteur
privé, à la fonction publique, notamment territoriale, et au monde
associatif.
M. Henri Weber.
C'est une vérité première !
M. Daniel Hoeffel.
Chaque branche économique, chaque entreprise a ses contraintes propres, ses
impératifs liés à la place qui est la sienne sur le marché.
M. Henri Weber.
Ça, personne ne le conteste !
M. Daniel Hoeffel.
La suppression du caractère obligatoire de la réduction découle de ce constat,
il est donc indispensable.
De plus, la diversité ne peut être prise en compte que dans la mesure où le
calcul de la durée du travail est fondé sur la souplesse, ce qui suppose que
l'annualisation et le temps partiel, tout en respectant un certain nombre de
règles, soient libérés des entraves qui s'opposent à leur concrétisation. C'est
d'ailleurs la souplesse qui caractérise la loi Robien et qui explique, de ce
fait, son attractivité.
Ensuite, la mise en oeuvre du projet de loi en l'état entraîne un effort
considérable sur le plan des finances publiques, et elle réduirait probablement
les moyens que les entreprises consacrent actuellement à l'amélioration de leur
compétitivité.
Le rapport Arthuis rappelle à ce propos que « même une réduction du temps de
travail réussie suppose des coûts qu'il convient, pour l'honnêteté du débat,
d'exposer aux Français ».
M. Alain Gournac.
C'est vrai !
M. Daniel Hoeffel.
L'accroissement des aides publiques entraîne des contrôles et surtout une
complexité des dispositions applicables, complexité qui constitue par elle-même
un handicap pour les entreprises, surtout les petites.
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Daniel Hoeffel.
Simplicité et simplification des dispositions applicables doivent donc, sur ce
plan comme d'autres, être poursuivies sans relâche.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Enfin, il faut lever l'ambiguïté quant au rôle respectif de la politique
conventionnelle et de l'intervention de la loi.
Peut-on concevoir la conclusion d'accords paritaires alors que des éléments
essentiels ne seront précisés qu'à l'occasion d'une future loi ? Il est évident
que la politique conventionnelle peut, mieux que la loi, tenir compte de la
spécificité de chaque branche d'activité. Encore faut-il - et c'est un problème
dans notre pays - que les partenaires sociaux aient la volonté d'aboutir en
tenant compte du fait que politique sociale et compétitivité sont
indissociables, ce qui, dans notre culture nationale, n'est pas encore
évident.
M. Henri Weber.
C'est tout le problème !
M. Daniel Hoeffel.
La prise en compte de ces observations pourrait réduire les inconvénients du
projet de loi qui nous est présenté, projet de loi qui, au-delà des
dispositions relatives à l'emploi, peut entraîner des conséquences sur d'autres
plans.
En effet, quelles que soient les précautions prises pour prévoir des délais
d'application variables suivant la taille des entreprises et quel que soit le
seuil fixé, n'est-il pas prévisible que les grands groupes absorberont plus
facilement les nouvelles dispositions que les PME et qu'en fait les fonds
publics contribueront surtout à la réorganisation de ces grands groupes.
M. Alain Gournac.
Bien sûr !
M. Daniel Hoeffel.
L'effet d'aubaine va nécessairement jouer et il est plus à la portée de
certains que d'autres.
Autre question : les nouvelles mesures ne vont-elles pas entraîner des
phénomènes de délocalisation internes et externes d'usines ou d'entreprises ?
N'allons-nous pas accentuer les distorsions du point de vue de la rentabilité
et de la compétitivité des entreprises par rapport aux concurrents étrangers ?
Il n'est pas facile - je le conçois - de répondre avec certitude à ces
questions parce que des facteurs objectifs et des facteurs psychologiques vont
intervenir. Mais ce qui apparaît certain, c'est qu'à un moment particulièrement
délicat de la construction européenne, à la veille de l'échéance de l'euro, à
un moment où la compétition internationale est impitoyable, les 35 heures
n'engendreront probablement pas, sur le plan de l'emploi, des résultats
concrets à la mesure de l'effort financier qui sera consenti.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Puisse le débat parlementaire, notamment celui qui s'est engagé au Sénat,
contribuer à donner à une idée généreuse le contenu réaliste et adapté au
contexte actuel sans lequel elle risque d'aboutir inévitablement à une grande
désillusion.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. Alain Gournac.
Bravo !
M. Ivan Renar.
Silence Gournac !
M. le président.
La parole est à M. Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le chômage est
un problème crucial. Pour le réduire, des fonds publics de plus en plus
importants sont consacrés chaque année aux politiques de l'emploi. Mais, depuis
vingt ans, tous les remèdes ont échoué et le chômage n'a fait que
s'amplifier.
Bien qu'en France le chômage soit indemnisé, il n'en provoque pas moins un
traumatisme non seulement chez les personnes qui y sont confrontées, mais aussi
dans l'imaginaire collectif. Ainsi, une majorité de nos concitoyens pensent
que, au cours de leur vie professionnelle, ils connaîtront le chômage. Ce
pronostic est encore plus marqué quand ils parlent de leurs enfants.
En dépit de cette situation de l'emploi, il est frappant de constater que les
Français continuent de considérer le travail comme une valeur forte
d'intégration sociale ; plus qu'un moyen de subsistance, le travail est le lieu
de création du lien social et, à ce titre, irremplaçable.
Comme ancien industriel, et après avoir participé à la commission d'enquête
sur les effets économiques et sociaux de la réduction du temps de travail à 35
heures, je doute que le projet de loi dont nous discutons aujourd'hui permette
de créer des emplois durables ; de plus, il coûtera cher à la collectivité, et
les petites et moyennes entreprises seront les premières à faire les frais des
35 heures. Le dispositif proposé fait courir à notre pays un grand risque pour
sa position en Europe et dans le monde.
La philosophie de votre texte, madame le ministre, s'appuie sur le partage du
travail. L'idée est généreuse, mais le concept est fondé sur des hypothèses et
des calculs théoriques, alors que l'économie ne se résout pas à l'arithmétique.
Les facteurs psychologiques et humains sont primordiaux, et les leçons du passé
n'ont pas été retenues ; qu'il s'agisse de la réduction du temps de travail à
40 heures en 1936 ou des 39 heures payées 40 en 1982, les résultats n'ont pas
été probants en créations d'emplois, mais l'idéologie a la vie dure...
Faut-il donc rendre le processus de réduction du temps de travail obligatoire,
comme le prévoit l'article 1er du projet de loi ? Nous ne le pensons pas car,
comme dans le passé et pour les mêmes causes, vous allez produire les mêmes
effets.
En premier lieu, la réduction du temps de travail à 35 heures ne permettra pas
de créer des emplois durables. Le grand handicap du dispositif est l'obligation
de négocier sans connaître les conditions qui seront fixées en l'an 2000 ou
2002 selon les cas. « Négociez d'abord, la loi sera précisée ensuite... ». Une
telle méthode indispose les acteurs de la négociation. De fait, 78 % des chefs
d'entreprise regrettent la contrainte, et les syndicats de travailleurs
n'appréhendent pas tous positivement ce processus à marche forcée, même s'ils
aspirent à la réduction du temps de travail. Qu'adviendra-t-il, madame le
ministre, des accords qui n'entreront pas dans le cadre de la loi future ?
Faudra-t-il les renégocier ?
Différentes questions se posent : quel sera le nouveau régime des heures
supplémentaires, des repos compensatoires, de l'épargne-temps, du travail à
temps partiel ? Sur tous ces points, les responsables d'entreprise craignent un
durcissement de la loi, au détriment de la souplesse et de la flexibilité
qu'ils réclament pour s'adapter au mieux à un environnement économique de plus
en plus mouvant. Que dire également du SMIC à deux vitesses, sinon que cette
dualité créera des situations difficilement tenables ?
D'une façon générale, le dispositif proposé tend à compliquer encore un peu
plus notre droit du travail. L'Etat français s'est doté d'une législation
lourde et complexe. Notre code du travail, en quelques années, est devenu plus
copieux que le code civil Napoléon en deux siècles. S'il est relativement aisé
de procéder à une embauche, les règles à appliquer pour une suppression
d'emploi sont très contraignantes et susceptibles de nombreux recours ; la Cour
de cassation a souligné la complexité du droit des licenciements, qui crée une
grande insécurité juridique. Toutes ces procédures découragent l'embauche. Il
en résulte - et c'est le grand grief que je fais à notre code du travail -
qu'un chef d'entreprise retarde toute embauche en comparant ses avantages à
ceux d'une mécanisation accrue. Ainsi, en visant une plus grande protection des
salariés, par excès de réglementation on obtient l'effet inverse.
M. Alain Gournac.
Tout à fait !
M. Hubert Durand-Chastel.
Si les grandes entreprises paraissent armées pour amortir tous les changements
inhérents à la réduction obligatoire à 35 heures du temps de travail -
remarquons tout de même qu'elles licencient pour rester dans la compétition
mondiale - ce sont les petites et moyennes entreprises qui vont subir le choc
le plus rude ; pourront-elles le supporter ? Les PME constituent le vrai
réservoir d'emplois. L'état de leurs marges financières avec l'alourdissement
des coûts salariaux les obligera, dans de nombreux cas, à une compression de
leurs effectifs et non à de nouvelles embauches. Pour ces petites structures,
le rééquilibrage des postes entre eux est quasi impossible, car on ne peut
créer des fractions d'emploi ; les emplois dans les PME sont spécialisés et non
interchangeables ; il existe donc un véritable risque de cessation d'activité
dans de nombreux cas.
La solution pour les petites et moyennes entreprises aurait été la mise en
place de dispositifs favorisant l'aménagement du temps de travail, par la
modulation-annualisation négociée volontairement. La rigidité du dispositif
contraignant à une réduction hebdomadaire du temps de travail ne correspond pas
non plus à la réalité des entreprises saisonnières. Nous en avons beaucoup
d'exemples. Ainsi, l'entreprise Whirpool, fabriquant des machines à laver et à
sécher, que nous avons visitée dans le cadre de la commission d'enquête
sénatoriale, a pu accroître son activité et ses emplois grâce à des accords sur
l'annualisation du temps de travail.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Hubert Durand-Chastel.
Pourquoi refuser le choix de l'annualisation et s'en tenir à la référence
figée des 35 heures hebdomadaires ?
M. Alain Gournac.
Très bien, mon cher collègue !
M. Hubert Durand-Chastel.
Madame le ministre, avec la loi des 35 heures, vous créez une inégalité entre
le secteur privé, obligé d'obtempérer, et le secteur public. Les fonctionnaires
échappent déjà aux 39 heures, selon un rapport de la direction générale de
l'administration et de la fonction publique : en effet, les experts ont recensé
que 70 % des fonctionnaires civils de l'Etat relèvent du régime dérogatoire en
matière de durée du travail. Le Gouvernement a-t-il l'intention d'étendre le
dispositif des 35 heures à la fonction publique en maintenant les dérogations
existantes et de créer les emplois nouveaux qui seraient ainsi nécessaires ?
Cette question a son importance, car il s'agira alors de nouvelles dépenses
pour les finances publiques et d'une augmentation du nombre des fonctionnaires,
qu'il conviendrait plutôt de réduire de 500 000 unités, selon le rapport de
Jean Choussat, ancien directeur du budget.
Si le coût pour les entreprises est important, le coût pour la collectivité
est considérable et peut avoir des conséquences sur le niveau des prélèvements
obligatoires, déjà trop élevé en France.
L'article 2 du projet de loi prévoit en effet des incitations financières sous
forme d'exonération de charges sociales en échange de créations d'emplois. Ce
système d'exonération, préféré aux subventions, est un choix judicieux, madame
le ministre, car il va dans le sens de l'abaissement du coût du travail
préconisé par l'OCDE Mais le coût de ces incitations exercées par l'Etat sera
très important : certaines études l'estiment à plus de 70 milliards de francs
par an. Comment les financera-t-on ?
Mon ultime reproche, madame le ministre, tient au fait qu'en rendant
obligatoire la diminution du temps de travail, vous recourrez, encore une fois,
à l'exception française. Si l'exception française fonctionnait, nos concurrents
nous imiteraient. Comme ce n'est pas le cas, il nous faut en tirer les
conséquences. Notre pays est aujourd'hui le seul à vouloir abaisser
autoritairement et de façon généralisée le temps de travail alors que déjà la
durée effective de travail sur une vie y est la plus courte des pays
industrialisés. Je souhaite que nous ayons raison contre tous ; j'avoue être
sceptique.
La Commission européenne préconise bien des incitations à la réduction du
temps de travail, mais la tendance est à l'annualisation. La flexibilité est
recherchée pour concilier le travail des salariés et la nécessité des
entreprises. La directive de 1993 fixe à quarante-huit heures la durée
hebdomadaire maximale autorisée et à quatre semaines la durée minimale des
congés payés. Le Parlement européen s'est prononcé de son côté pour un
processus non contraignant de réduction du temps de travail.
Enfin, la grosse erreur stratégique est de faire voter cette loi des 35 heures
au moment même de l'instauration de la monnaie unique européenne.
Lors du sommet européen sur l'emploi, en novembre dernier, la France n'a pas
convaincu ses partenaires de la nécessité d'une réduction autoritaire du temps
de travail pour développer l'emploi en Europe. Les documents préparatoires de
ce sommet préconisaient seulement de développer l'esprit d'entreprise, de
rendre le système fiscal plus favorable à l'emploi, d'améliorer la capacité
d'insertion professionnelle des chômeurs et de promouvoir l'adaptabilité des
entreprises par une flexibilité négociée.
Un de nos sociologues, soulevant la question du manque de travail, estime que
le déficit d'emplois est dû à la rigidité des métiers et des lois. Avec
l'accélération inédite des changements de travail à l'échelle d'une vie, c'est
non seulement l'organisation du travail qu'il faut changer mais la société tout
entière.
Le présent projet de loi risquant, au contraire, de bloquer le processus
d'évolution, avec mes collègues, je suivrai les propositions de la commission
des affaires sociales et de notre excellent rapporteur, dont l'objectif est
d'atténuer les effets les plus néfastes du dispositif et d'améliorer les
mesures susceptibles de réduire effectivement le chômage en France.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, aisni que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, travailler
moins pour travailler tous, voilà donc la pierre philosophale découverte par
l'exception française à la barbe du monde entier, qui n'en revient pas d'avoir
eu la légèreté de ne pas y penser plus tôt !
Le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui est la traduction d'un
engagement électoral, peut-être un peu hasardeux, de la majorité plurielle. En
vérité, ce texte consacre une vision malthusienne de l'économie. Il repose sur
une méconnaissance, que je crois vraiment dramatique, des réalités économiques
actuelles, notamment en ce qui concerne les moyennes, les petites et les très
petites entreprises, et il expose notre pays à de graves risques.
En effet, les partisans de la réduction autoritaire et générale du temps de
travail ont de l'activité la vision d'un gâteau à partager. Selon cette
conception « pâtissière »
(Sourires),
on calcule que, là où il y a du
travail pour 22 millions de Français travaillant chacun 1 650 heures par an, il
pourrait y en avoir pour 24 millions travaillant 1 460 heures !
M. Henri Weber.
Mais non, mais non !
M. Bernard Plasait.
Le concept de partage du travail ainsi mis en oeuvre reflète une attitude de
résignation, comme si le volume de travail était une donnée fixe à répartir.
M. Bernard Piras.
Il vaut mieux entendre ça que d'être sourd !
M. Bernard Plasait.
C'est là une approche comptable, arithmétique et malthusienne, qui témoigne,
me semble-t-il, d'une vision défaitiste de l'emploi et, au-delà, d'une vision
défaitiste de la société française et de son aptitude à faire face à l'avenir,
à relever les défis auxquelles elle est confrontée.
« Au banquet de la nature, il n'y a pas assez de couverts pour tout le monde
», disait Malthus. Il préconisait donc de partager la misère, les libéraux
répondant en substance que, au lieu de partager la misère, il valait mieux
partager l'abondance et, tout d'abord, créer l'abondance.
Aujourd'hui, on veut partager le travail. Et bien, nous, libéraux, nous
répondons qu'il faut créer le travail et non le partager.
Si le partage du travail rencontre aujourd'hui un tel succès, c'est parce que
se répand l'idée selon laquelle nos économies modernes ne sont plus capables de
créer de nouveaux emplois, et le progrès de la technique l'internationalisation
des échanges vont être de plus en plus destructeurs d'emplois.
M. Henri Weber.
Quelle erreur !
M. Bernard Plasait.
Certains des partisans du partage du travail ajoutent même qu'il n'est guère
besoin d'augmenter la production car, globalement, nos besoins marchands sont
satisfaits.
C'est méconnaître la réalité de la dynamique qui est à l'origine de la
croissance et du progrès : l'emploi crée l'emploi.
A l'instar de Jean-Baptiste Say, selon qui la production engendre sa propre
demande, nous disons que la création de richesses est la source de l'emploi,
lequel, à son tour, suscite l'activité.
M. Henri Weber.
Et que disait Bastiat ?
M. Bernard Plasait.
Cet enchaînement vertueux se vérifie dans la corrélation entre taux d'activité
et chômage. Ce sont les pays qui ont le dynamisme démographique le plus fort et
le taux d'activité le plus élevé qui ont également le taux de chômage le plus
bas.
Celui qui entreprend, celui qui travaille plus, crée davantage, crée un
surplus de richesse et génère du même coup un pouvoir d'achat supplémentaire
pour de nouveaux produits, de nouveaux services, d'où découleront les créations
de nouveaux emplois.
Les emplois nouveaux résulteront non du partage des emplois actuels mais de
l'invention de nouveaux emplois. Il s'agit non de diviser l'emploi en parts
égales mais de multiplier les créations d'emplois.
En voulant partager le travail, c'est-à-dire interdire à certains d'augmenter
leur travail, on leur interdit du même coup d'acheter le travail des autres.
Le partage du travail n'est, au bout du compte, qu'un partage forcé des
salaires, générateur de pauvreté et de chômage. Comme le dit de façon piquante
le professeur Wyploz, « cela revient à maquiller le nombre de chômeurs à temps
plein en faisant de chaque Français un chômeur à temps partiel ».
Votre projet de loi, madame le ministre, ignore purement et simplement
l'insuffisance de compétitivité dont souffre notre économie...
M. Henri Weber.
Première nouvelle !
M. Bernard Plasait.
... et qui est en grande partie due à des handicaps structurels.
En dépit des bons résultats de notre commerce extérieur,...
M. Henri Weber.
J'allais le dire !
M. Bernard Plasait.
... les performances de la France à l'exportation sont inférieures à celles
des grands pays concurrents. Sans doute alliez-vous le dire aussi, mon cher
collègue...
Notre industrie perd des parts de marché depuis 1990, la France n'ayant
réalisé que 6,3 % des exportations industrielles mondiales en 1995, contre 6,9
% cinq ans plus tôt.
La rentabilité de nos entreprises est inférieure de moitié à celle de nos
concurrentes anglo-saxonnes et hollandaises.
La situation financière des entreprises s'est dégradée et l'investissement en
a pâti. L'investissement industriel était en 1996 à son plus bas niveau
historique, et inférieur d'environ 30 % à son point haut, atteint en 1991.
A cela, il faut encore ajouter que le vieillissement de notre appareil
industriel nous fait accumuler un retard qui menace notre compétitivité et
pourrait réduire nos capacités de rebond industriel.
M. Henri Weber.
Quel pessimisme !
M. Bernard Plasait.
Est-il besoin de rappeler, mes chers collègues, que le coût du travail en
France est l'un des plus élevés et que sa progression est l'une des plus
rapides au sein du monde industrialisé ?
Pourtant, une règle d'or qu'avait édictée un rapport du Commissariat du Plan
en 1994 devrait prévaloir : le coût salarial par tête doit augmenter moins vite
que la productivité, afin que le surplus dégagé par la croissance soit
prioritairement affecté à la création d'emplois.
En outre, la France s'est singularisée par une montée continue des dépenses
collectives publiques et sociales, passées de 46 % du produit intérieur brut en
1980 à 54,5 % en 1996, alors qu'en Allemagne, malgré le coût exorbitant de la
réunification, elles n'ont progressé que de un point, passant de 48 à 49 %.
M. Henri Weber.
Et où en est le chômage allemand ?
M. Bernard Plasait.
Cela explique sans mal notre niveau record de prélèvements obligatoires.
Enfin, et alors que la durée de vie au travail est l'une des plus faibles, la
France a l'une des durées annuelles du travail les plus courtes parmi les
grands pays industrialisés.
M. Henri Weber.
Chanson !
M. Bernard Piras.
Faux !
M. Bernard Plasait.
La France, qui roule déjà moins vite que ses concurrents, espère gagner la
course en levant le pied ! Les Français travaillent, en moyenne, 1 530 heures
par an, soit beaucoup moins que les Britanniques ou les Japonais, qui
travaillent respectivement 1 735 heures et 1 919 heures par an.
M. Bernard Piras.
D'autres exemples encore !
M. le président.
Veuillez laisser parler l'orateur, s'il vous plaît !
M. Henri Weber.
Qu'il cesse de dénigrer l'économie du pays !
M. Jean Chérioux.
Ils sont sectaires !
M. Bernard Plasait.
Or, vous le savez bien, madame le ministre, les pays les moins touchés par le
chômage ne sont pas ceux qui travaillent le moins, au contraire.
Aux Etats-Unis et au Japon, on travaille davantage - respectivement 200 et 350
heures de plus qu'en France - et, pourtant, le chômage est, dans ces pays,
nettement inférieur à ce qu'il est chez nous.
A notre porte, face à un chômage qui s'aggrave, les Allemands ont qualifié d'«
erreur du siècle » leur marche vers les 35 heures et réagissent en se proposant
de « travailler plus » et de revenir aux 40 heures.
M. Pierre Mauroy.
C'est M. Kohl qui dit cela, et il va être battu !
M. Bernard Plasait.
En résumé, au sein des pays du G 7, la France est bien le pays où l'on
travaille le moins,...
M. Henri Weber.
C'est du masochisme !
M. Bernard Plasait.
... à l'exception de l'Allemagne, où le poids des prélèvements publics est le
plus élevé et où le chômage est le plus élevé, à l'exception de l'Italie, qui
n'est pas comparable.
Dans ces conditions, madame le ministre, je crois votre texte anachronique et
anti-économique, car il fait courir de graves risques à notre économie.
En premier lieu, la réduction généralisée du temps de travail se traduira par
une nouvelle montée du chômage et de l'exclusion.
Pour compenser les surcoûts liés à cette réduction de la durée du travail, il
est sûr que les entreprises, à défaut de diminuer les rémunérations,
chercheront à bloquer durablement les augmentations de salaires au cours des
prochaines années, enrayant ainsi un rouage essentiel et naturel de
l'économie.
Pis, les entreprises, contraintes d'affecter leurs progrès de productivité à
une réduction de la durée du travail et non au maintien de leur compétitivité,
risquent d'être supplantées par leur concurrentes étrangères.
Enfin, l'incidence pour les finances publiques est particulièrement
préoccupante puisque, en cinq ans, chaque emploi créé aura coûté 618 000 francs
aux contribuables.
En réalité, la mécanique est toujours la même : toute subvention donnée à un
emploi l'est au détriment d'un autre emploi. L'argent public que l'on dépense
est toujours un argent que l'on prélève.
Laissé entre les mains des entrepreneurs ou des consommateurs, ce même argent
aurait servi à investir, à acheter des produits ou des services et donc à créer
d'autres emplois.
En deuxième lieu, votre projet est inapplicable aux petites entreprises, aux
commerçants et aux artisans, déjà en proie à de très sérieuses difficultés.
Comment ne pas dénoncer un effet pervers qui se profile et dont seront
victimes les PME contraintes aux 35 heures : le développement du travail
clandestin pendant les heures dégagées par la réduction hebdomadaire du temps
de travail ? Dans cette perspective, il serait intéressant de savoir, madame le
ministre, ce que, par anticipation, vous avez prévu pour que ne se développe
pas un tel phénomène.
Enfin, je ne peux que m'associer aux remarques déjà formulées sur le caractère
autoritaire du dispositif proposé, qui attente gravement au dialogue social.
A l'heure où les entreprises ont besoin de flexibilité dans l'organisation du
temps de travail, vous voulez enfermer les emplois dans une durée
hebdomadaire.
« L'évidence a une force terrible », disait Albert Camus. Or il est évident
qu'une entreprise ne peut réduire la durée du travail et embaucher que si cela
ne handicape pas sa compétitivité.
Il n'est donc pas impossible de coupler réduction du temps de travail et
embauche supplémentaire, mais cela ne peut concerner les entreprises qu'au cas
par cas. Il s'agit alors de « flexibilité du temps de travail » et non de «
partage du travail ». C'est cette souplesse qu'il est bon d'encourager :
annualisation de la durée du travail, temps partiel, temps choisi, retraite
progressive, semaine de quatre jours, etc.
L'avenir est au temps libre et non au temps encadré.
Madame le ministre, que ne faites-vous confiance à la vie, aux hommes et aux
femmes, à la liberté ? Faites respecter la règle du jeu, incitez, favorisez,
mais surtout n'obligez pas !
Travailler moins ? Travailler 35 heures ? Bien sûr, si c'est possible, si
c'est utile ! Mais aussi si c'est souhaité. Si le souhait du salarié est, au
contraire, de travailler plus, ...
M. Bernard Piras.
Ben voyons ! Et les chômeurs ?
M. Bernard Plasait
... pour gagner davantage, pour le bien de sa famille, de grâce, madame le
ministre, ne décidez pas de son bonheur à sa place.
M. Bernard Piras.
Et les chômeurs ?
M. Bernard Plasait.
Favorisez au contraire son désir de travail.
M. Pierre Mauroy.
S'il avait fallu vous attendre !
M. le président.
Monsieur Mauroy, les quatre orateurs de votre groupe disposent d'une heure
pour répondre à la majorité sénatoriale. Alors, laissez-la parler si vous
voulez qu'elle vous laisse parler tout à l'heure !
M. Jean Chérioux.
On en fera autant, attention !
(Sourires.)
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Plasait.
M. Bernard Plasait.
C'est l'activité qui crée l'activité et donc l'emploi. Ici, madame le
ministre, les intérêts particuliers rejoignent l'intérêt général.
Telles sont les raisons pour lesquelles j'approuve sans réserve les
propositions de nos excellents collègues M. Louis Souvet, rapporteur de la
commission des affaires sociales, et M. Jean-Pierre Fourcade, président de la
même commission, qui choississent la voie du progrès qu'ambitionne, pour notre
pays, la majorité sénatoriale.
Dans
La tragédie du pouvoir,
Alfred Sauvy qualifia la réduction de la
durée du travail de 1936 « d'erreur d'une dimension exceptionnelle ».
M. Jean Chérioux.
Et Sauvy était un homme de gauche !
M. Bernard Plasait.
Ce fut « le geste le plus généreux, le plus étourdi et le plus dommageable de
notre histoire économique » écrit-il, alors qu'il ne passait pas pour être un
économiste de droite.
M. Alain Gournac.
Ça non ! Pas du tout
M. Bernard Plasait.
Hélas, cette leçon n'est pas entendue.
M. Henri Weber.
Bien sûr que si ! Et à cent pour cent !
M. Bernard Plasait.
Et, avec votre texte, madame le ministre, je crains beaucoup que l'histoire ne
se répète.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains
et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Mauroy.
M. Pierre Mauroy.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la réduction
du temps de travail est une évolution historique, je dirai naturelle, liée à la
découverte de techniques nouvelles, à l'augmentation de la productivité, liée
aussi à la marche de l'humanité vers le progrès et vers une meilleure qualité
de la vie.
Certains peuvent en douter, mais qu'ils ouvrent un livre d'histoire et ils
verront que, depuis plus d'un siècle, la durée du travail n'a cessé de baisser
dans notre pays.
Ce fut d'abord le décret du 9 septembre 1848, instituant la durée maximale de
travail quotidienne à 12 heures, puis la loi du 23 avril 1919, ramenant cette
durée à 8 heures, avancée considérable que nous célébrons tous, d'une certaine
manière, lors de la fête symbolique du 1er mai, qui est la fête des
travailleurs, mais aussi la fête de la diminution du temps de travail.
Enfin, pardonnez-moi de vous contrarier sur ce point, monsieur Plasait, ce
furent les lois de 1936 sur les congés payés et la semaine de 40 heures, deux
mesures qui font encore aujourd'hui du Front populaire un gouvernement mythique
pour les Françaises et les Français.
(Applaudissements sur les travées
socialistes ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. Jean Chérioux.
Il a mal terminé, ce gouvernement ! Il a terminé à Vichy, en juillet 1940.
M. Guy Fischer.
Oh !
M. Pierre Mauroy.
En 1982, l'ordonnance de janvier a permis de passer de 40 heures à 39 heures,
avec, déjà, l'objectif affiché des 35 heures. En un siècle, la durée du travail
est passée de 2 945 heures en 1870 à 1 543 de nos jours. Ainsi, on a travaillé
moins, produit davantage et, surtout, donné des espaces de liberté, de loisirs,
de culture au plus grand nombre.
M. Hilaire Flandre.
Pour le travail au noir !
M. Pierre Mauroy.
Chaque fois, mes chers collègues, dans le contexte de l'époque, la réduction
du temps de travail était une utopie. Mais, dans ce domaine, chaque fois,
l'histoire a rejoint l'utopie.
M. Alain Gournac.
L'utopie « négociée » !
M. Pierre Mauroy.
Voilà la réalité, et c'est le sens de mon intervention.
Et vous voudriez arrêter ce mouvement ? Vous avez mis en place une commission
d'enquête qui, en dépit de tous ses efforts, n'est pas parvenue, loin s'en
faut, à démontrer l'inutilité de la réduction du temps de travail. Et,
pourtant, la commission des affaires sociales du Sénat, comme vient de nous
l'expliquer son rapporteur, a carrément rayé d'un trait de plume l'inscription
dans la loi de l'abaissement de la durée du travail à compter du 1er janvier
2000 ou du 1er janvier 2002.
Nous regrettons cette attitude. Nous la regrettons, parce que ces thèmes de
libération, d'émancipation, de mieux-vivre méritent mieux que les excès, voire
les contrevérités que l'on nous assène depuis plusieurs semaines, ici ou là
d'ailleurs. Je la regrette, parce que le Sénat mérite mieux, sauf à vouloir se
figer dans une image réductrice qui a été la sienne au cours de la IIIe
République.
Avec beaucoup de conviction, Mme Martine Aubry vient de nous présenter son
projet de loi. Il s'agit aujourd'hui d'amplifier et de prolonger la dynamique
historique de réduction du temps de travail.
Et cela, mes chers collègues, ne peut se faire sans la loi. Sous l'impulsion
de l'Etat et de la représentation nationale, le recours à la loi est la
nécessité ainsi que la tradition du droit social français. Dans d'autres pays,
sans la loi, par le jeu du rapport de force entre patronat et organisations
syndicales, le temps de travail est plus faible qu'en France. C'est le cas en
Allemagne, en Suède, en Belgique, au Danemark et aux Pays-Bas. D'autres pays,
au contraire, ne parviennent pas à une telle avancée, mais c'est la traduction
d'un rapport de force. En France, c'est avec la loi et cela a toujours été avec
la loi. S'il n'y avait pas eu de lois, nous n'aurions pas ces avancées
historiques.
La loi serait-elle donc un carcan inutile, la marque d'un autoritarisme
dépassé ? Ceux qui le proclament se trompent. Car l'Etat est dans son rôle en
voulant une loi sur la durée du travail. Il est dans son rôle en provoquant
l'élan nécessaire pour créer une dynamique de négociation. Il est dans son rôle
en s'attaquant avec audace au chômage de masse qui frappe cruellement notre
société et en recherchant la création d'emplois.
La droite elle-même, après avoir, en pure perte, de 1993 à 1995, offert plus
de 80 milliards de francs, de « cadeaux » diraient certains, aux entreprises
sans véritable incidence en termes d'emplois, a compris l'intérêt d'une loi.
Ainsi, elle a voté en 1996 la loi Robien, pour lancer la négociation dans
l'entreprise sur le temps de travail, loi dont nous avons, par ailleurs,
souligné les insuffisances notoires et le coût excessif.
Justement, l'inspiration de la loi présentée aujourd'hui par Mme Martine
Aubry, son esprit même, est de favoriser la création d'emplois. Certes, nous le
savons bien, les 35 heures ne sont pas une solution miracle. Mais là où nous en
sommes, avec un chômage massif, même s'il a tendance à se stabiliser, avec l'un
des plus faibles taux d'activité des moins de vingt-cinq ans et des plus de
cinquante-cinq ans parmi les pays industrialisés, faudrait-il ne rien tenter
qui soit à la mesure du problème posé ?
Faudrait-il renoncer à résorber le chômage, alors que nous savons que la
croissance, qui est pourtant le meilleur remède, ne suffira pas, même si elle
s'annonce plus forte que prévu maintenant ?
La réduction du temps de travail est une pièce maîtresse dans le dispositif
d'ensemble ambitieux et cohérent que le gouvernement de M. Lionel Jospin
construit depuis plusieurs mois : les mesures pour relancer la croissance et la
consommation, la mise en place des emplois-jeunes et le prochain projet de loi
contre l'exclusion.
La réduction du temps de travail, mes chers collègues, crée des emplois. Les
études les plus sérieuses, et concordantes, montrent que, dans une conjoncture
économique difficile, le passage de 40 heures à 39 heures et la cinquième
semaine de congés payés avaient créé environ 140 000 emplois en cinq ans. Les
études menées récemment s'accordent sur le fait que les 35 heures créeront des
centaines de milliers d'emplois avec le temps : 300 000 pour les uns, 700 000
pour les autres ou davantage encore. Mais, bien entendu, et c'est là
l'essentiel, tout dépendra de l'ardeur et de la volonté de mener ce combat.
M. Henri Weber.
Exactement !
M. Pierre Mauroy.
La clé du succès est dans le dialogue social et non dans son rejet.
M. Ivan Renar.
Evidemment !
M. Henri Weber.
Et dans le dialogue entreprise par entreprise !
M. Hilaire Flandre.
Lâchez-nous les baskets !
M. Pierre Mauroy.
L'esprit de cette loi est justement d'ouvrir largement le champ de la
concertation pour faciliter la rénovation de notre système de négociation
collective. En ce sens, elle est une chance pour les entreprises, pour les
syndicats, pour les salariés, si les uns et les autres - et c'est le pari qui
est lancé - assument la responsabilité qui leur est confiée.
C'est toute l'intelligence de ce texte que de prendre en compte de manière
souple la diversité du monde du travail et d'adapter son système d'incitation à
la spécificité de chaque branche, voire de chaque entreprise.
Les aides prévues sous forme d'allégements de charges sociales offrent pour
l'entreprise le double intérêt de la simplicité et d'une réelle efficacité. Je
rappellerai un exemple bien connu : pour une entreprise de main-d'oeuvre qui
réduira la durée du travail de 10 % et augmentera de 7 % ses effectifs, les
allégements de charges couvriront la totalité des coûts salariaux
supplémentaires sur la base du SMIC.
La réduction du temps de travail constitue ainsi, pour les entreprises, une
occasion, et une grande occasion, de s'adapter, voire de se renouveler en
recherchant une plus grande efficacité. Elle leur donne aussi la chance
d'ouvrir un réel dialogue et de contribuer à la recherche d'une paix sociale
souhaitée.
Ce projet de loi offre également aux organisations syndicales une opportunité
évidente de se renforcer et de reprendre toute leur place et leur légitimité
dans les relations du travail. La loi Robien,...
M. Alain Gournac.
Ah !
M. Pierre Mauroy.
... à l'échelle qui était la sienne, a démontré la validité d'un processus de
réduction du temps de travail fondé sur la négociation. Elle a contribué ainsi
à conforter le rôle de l'action syndicale, ce dont témoignent d'ailleurs les
organisations syndicales.
C'est pourquoi elles apprécient le texte dont nous débattons aujourd'hui, qui
est d'une tout autre ampleur et qui est, lui, à la mesure des problèmes
posés.
Le projet de loi que vous défendez, madame la ministre, répond enfin à une
attente extrêmement forte des salariés. J'ai lu avec un grand intérêt les
enquêtes dont fait état, dans son excellent rapport, M. Jean Le Garrec : en
1997, 60 % des Français étaient convaincus des effets positifs de la réduction
de la durée du travail en matière de création d'emplois, et ils étaient plus
nombreux encore à se fier à ce processus plutôt qu'à une réduction des charges
sociales des employeurs. Il est donc légitime, urgent et juste de satisfaire
cette aspiration de nos concitoyens, d'entendre leur souci d'une solidarité
collective et d'un engagement partagé dans la lutte contre le chômage.
La loi votée, chacun sera placé en situation de contribuer au renouvellement
de l'entreprise, à l'amélioration de la relation sociale, en défendant au mieux
les intérêts de chacun. L'intérêt supérieur du pays, mes chers collègues, est
dans cette loi.
Je n'ignore pas les inquiétudes qui se sont manifestées du côté des chefs
d'entreprises, mais ils sont, eux aussi, concernés par le chômage, qui est la
cause de tous les maux que nous dénonçons, violence, exclusion, drogue.
Pourquoi se déroberaient-ils alors à l'effort d'imagination et de dialogue qui
leur est demandé ? Ils sont chefs d'entreprise et citoyens de notre pays.
Il est vrai que M. Seillière et les responsables du CNPF ne semblent pas prêts
à faire un tel effort. Je voudrais leur dire que la dénonciation ne peut tenir
lieu de réflexion, que l'accusation ne masque pas l'absence de propositions. Je
prends même le pari que ceux qui ont voulu diaboliser la réduction du temps de
travail pour discréditer le Gouvernement seront, demain, désavoués s'ils
persistent à refuser tout dialogue. (
Applaudissements sur les travées
socialistes ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.
)
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Très bien !
M. Pierre Mauroy.
Le CNPF, certes, a une tradition de contestation à l'égard de la gauche. Mais
il a aussi une tradition de respect de la loi.
M. Henri Weber.
C'est vrai !
M. Pierre Mauroy.
J'espère qu'il saura prendre les mesures, et peut être les prend-il déjà, pour
amorcer le combat le plus décisif de cette fin de siècle, le combat contre le
chômage.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour la
première fois depuis des années, les conditions économiques permettent
d'envisager une politique offensive de création d'emplois. La croissance
revient. J'ignore pourquoi vous avez voulu caricaturer la situation actuelle,
monsieur Plasait. Vous ne pouvez me démentir lorsque je dis que la croissance
revient. Notre balance extérieure est largement excédentaire.
Plusieurs sénateurs du RPR.
Les clignotants sont au vert !
M. Pierre Mauroy.
Les marges des entreprises sont reconstituées. L'investissement industriel
progressera fortement cette année. Le chômage s'est stabilisé pour la première
fois depuis longtemps.
M. Philippe Marini.
Tout va bien !
M. Pierre Mauroy.
Vous vous êtes trompé de gouvernement. Vous parliez des gouvernements
précédents, et non de celui d'aujourd'hui, permettez-moi de vous le dire !
M. Philippe Marini.
Nous sommes sur la crête !
M. Alain Gournac.
On voit le bout du tunnel !
M. Pierre Mauroy.
Je sais que cela ne vous fait pas plaisir, mes chers collègues, mais c'est la
réalité. Tous les Français en sont d'accord. D'ailleurs, ceux qui, parmi vous,
sont plus raisonnables sur ce plan-là l'acceptent, en disant que cela va sans
doute durer ainsi jusqu'à la fin de la mandature, comme je l'ai entendu dire
par une personnalité de droite, et non des moindres.
Devrions-nous laisser passer cette embellie - selon certains, elle devrait
durer - sans en amplifier les effets, sans exprimer notre solidarité avec ceux
qui n'ont pas de travail et qui vivent dans l'angoisse, parfois même dans
l'exclusion ? Devrions-nous la laisser passer sans avancer dans la voie de la
justice sociale ? Devrions-nous, alors que l'Europe, grâce à l'initiative du
Premier ministre, M. Lionel Jospin, s'est saisie au sommet de Luxembourg de la
question de l'emploi, renoncer à toute capacité d'initiative ?
Voilà près d'un an, les Français ont choisi un programme qui plaçait les 35
heures au coeur de l'action pour l'emploi.
M. Henri Weber.
C'est exact !
M. Pierre Mauroy.
Ce programme, le Gouvernement, notamment Mme Aubry, le réalise avec
intelligence, pragmatisme et avec une très grande volonté.
Vous sentez bien, mes chers collègues, que c'est la volonté du pays. C'est la
volonté de nos concitoyens et c'est aussi leur espoir.
M. François Autain.
Bien sûr !
M. Philippe Marini.
C'est la pensée unique !
M. Pierre Mauroy.
Le Sénat peut-il l'ignorer ? Le Sénat peut-il s'opposer lorsqu'il s'agit d'une
telle avancée sociale ?
Bien sûr, la vie politique est faite d'adhésion et de refus. Cependant,
peut-on, mes chers collègues, au-delà de nos problèmes politiques, nier, sans
risque, le mouvement historique de la réduction du temps de travail ? Le nier,
c'est nier le progrès ! C'est nier l'aspiration à mieux vivre ! C'est nier
l'avenir ! En tout cas, les sénateurs socialistes, et, plus largement, les
sénateurs de gauche, sont fidèles aux engagements qu'ils ont pris devant les
Françaises et les Français. La réduction du temps de travail est conforme à
l'intérêt du pays, elle est déjà inscrite dans le projet d'une société plus
solidaire et plus moderne.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées
socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que
sur certaines travées du RDSE.)
M. Alain Gournac.
C'est bien, mais c'est un discours que l'on a déjà entendu !
M. Philippe Marini.
On se croirait sous la IIIe République !
M. le président.
La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, comme vient de
le dire M. Pierre Mauroy, depuis le début du XIXe siècle, le temps de travail
individuel diminue. Compte tenu de l'accroissement de la population, le pays ne
travaille pas moins, mais chaque Français effectue une durée de travail
journalière, hebdomadaire ou annuelle moins importante.
L'annualisation du temps de travail qui suivit s'accommodait de dérogations
obtenues par négociations, ce qui était la reconnaissance de réalités
incontournables.
Le premier texte soucieux du contexte économique est la loi quinquennale de
1993 relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle. Il a
beaucoup facilité le travail à temps partiel, qui a gagné quatre points grâce,
notamment, aux incitations. Enfin, voilà un an et demi, la loi Robien mettait
en place un système expérimental de réduction du temps de travail assortie
d'embauches pouvant donner lieu, par l'Etat, à des compensations partielles des
cotisations salariales à la charge de l'employeur.
L'intérêt de ces dispositions réside dans la large marge de manoeuvre laissée
aux entreprises dans la recherche de solutions adaptées à chaque situation par
la négociation avec les salariés et les organisations syndicales.
Jusqu'au projet de loi que vous nous proposez aujourd'hui, madame le ministre,
la négociation décentralisée avait été privilégiée pour trouver une flexibilité
de l'emploi articulant la dimension sociale et la dimension économique.
L'objectif essentiel est de concilier le travail des salariés et la nécessité
de l'entreprise, et de trouver des horaires qui conviennent à chacun.
Aucun de ces textes n'a trouvé sa justification dans une incidence sur le taux
de chômage. Pourtant, c'est bien ce que l'on prétend par le présent projet de
loi, bien que, à ce jour, aucune corrélation n'ait été établie entre le temps
de travail et le taux de chômage.
En Espagne, pays où la durée hebdomadaire du travail est de 40,7 heures, le
taux de chômage atteint 21 %. En Finlande et en Grèce, on travaille 40,3 heures
par semaine, mais le taux de chômage est de 16 % en Finlande, contre seulement
10 % en Grèce.
La baisse de la durée du travail a parfois été de pair avec le fléchissement
du chômage : c'est le cas en Allemagne, en Belgique et aux Pays-Bas. Mais on
note aussi que la baisse de la durée du travail a parfois, au contraire,
entraîné une hausse du chômage, comme en Espagne et en Italie.
S'agissant de la Grande-Bretagne où les résultats semblent meilleurs, il est
bon d'avoir présent à l'esprit que la population active est en baisse
constante, alors que, dans notre pays, elle augmente dans les mêmes proportions
: soit deux points et demi en moins d'un côté et deux points et demi en plus de
l'autre. Cela méritait d'être précisé.
Toutefois, on peut retenir certains éléments communs dans les pratiques
européennes en matière de durée du travail.
Le module de la semaine classique tend à disparaître : désormais, 31 % des
salariés européens ont des horaires atypiques ; en Italie, le débat porte non
seulement sur la réduction du temps de travail, mais aussi sur le travail le
dimanche.
Par ailleurs, le dialogue social est totalement décentralisé. La négociation
se fait à l'échelon des branches, des acteurs, des entreprises.
Enfin, la tendance générale est à l'annualisation du temps de travail, qui
offre un espace d'organisation plus recevable à bien des égards.
Le dernier dispositif mis en place à la mi-1996 permet tout cela. Plus de 1
500 conventions ont été signées. Dans une conception négociée et dynamique, ces
accords donnent satisfaction aux partenaires concernés. Le coût des emplois
sauvés ou créés, si mes chiffres sont exacts, se situe entre 24 000 et 65 000
francs, soit trois fois moins que le coût d'un chômeur et deux fois moins qu'un
emploi-jeune.
Face au mauvais procès fait aux entrepreneurs de ne s'attacher qu'aux
avantages incitatifs en faisant fi des contreparties, il convient de mettre en
avant le fait que ceux qui ont eu recours aux dispositions de la loi Robien ont
largement rempli leur contrat avec un accroissement d'emplois de 11,4 %.
En même temps, cette flexibilité est bien liée à toute une série d'activités
économiques et, en particulier, adaptée à l'industrie française la plus
importante en matière d'emploi, je veux parler du tourisme. Cette flexibilité
peut être très demandée par certaines entreprises et par leur personnel dans le
cas d'un passage à une moyenne de quatre jours par semaine, modulée soit par
des périodes de trois jours et des périodes de cinq jours, soit par des
périodes bloquées de congés.
Ce passage négocié avec diminution de salaire et recrutements correspondants a
été largement expérimenté. Vous connaissez, je pense, les thèses de M.
Larrouturou et les expériences qui ont été menées avec augmentation des
recrutements, satisfaction des personnels et augmentation de la
compétitivité.
Cela est d'autant plus important dans le monde moderne que le travail des
techniciens, des cadres et des ingénieurs se mesure non en heures, mais en
innovation, et que ce type de travail augmente.
M. Pierre Laffitte.
Très bien !
M. Bernard Joly.
Qu'il eût fallu peaufiner un texte perfectible, nul n'en disconvient. Mais
pourquoi le balayer en raison, notamment, de son caractère provisoire ? Il
était expérimental, et l'expérience n'a pas mal réussi.
Dans le « reprofilage » des aides de la loi Robien proposé par notre
commission des affaires sociales, auquel je souscris, j'aurais aimé une
incitation à l'adresse du système bancaire, afin qu'il soit plus réceptif aux
besoins des entreprises. De nombreux dirigeants de PME prétendent que les
garanties demandées pour les prêts ne tiennent pas compte des carnets de
commande ou que les renégociations d'emprunts sont titanesques. En résumé, on
peut trouver de l'argent quand on n'en a pas besoin.
Au lieu, donc, d'une amélioration fondée sur l'observation d'une situation
vécue, nous sommes devant une réduction autoritaire du temps de travail qui
indispose de toutes parts. Les détracteurs sont non pas des émules du CNPF,
mais des dirigeants de PME-PMI, qui sont le vivier de l'économie nationale. Ce
sont, en effet, ces structures moyennes qui constituent le potentiel d'emplois
et d'activités. Ces chefs d'entreprise, globalement, ne veulent pas de ce
texte.
M. Henri Weber.
Et alors ?
M. Bernard Joly.
Les critiques sont variées : le travail au noir va connaître une embellie avec
une demi-journée supplémentaire qui lui sera consacrée,...
M. Pierre Mauroy.
Oh !
M. Bernard Joly.
... les améliorations de productivité se feront au profit de machines, les
heures supplémentaires augmenteront de 188 heures majorées à 25 %, le coût
horaire de la main-d'oeuvre s'accroîtra de 15 % et la production baissera de 10
%. Par ailleurs, le SMIC a crû bien plus que les salaires moyens, au point de
rattraper les premières catégories de salariés ; ainsi, le nombre de personnes
concernées augmente à chaque réajustement alors que le nombre d'emplois de ces
catégories devrait diminuer avec la désindustrialisation de notre société.
Selon certains travaux, une augmentation de un point du SMIC engendrerait même
un demi-point de chômage. Qu'adviendrait-il, dans le cas de la réduction du
temps de travail que nous examinons, si la solution consiste à payer 39 heures
pour 35 heures de travail ? Ni les salariés ni les entreprises ne doivent faire
les frais d'une expérience hasardeuse.
L'Etat doit initier, impulser, susciter, mais ne doit en aucun cas se
substituer aux acteurs. C'est pourtant ce qu'il fait. Comment peut-on envisager
de décider, aujourd'hui, ce qui est bon pour l'ensemble d'un pays en matière
d'organisation du temps, pour lequel un ministère avait été spécialement créé
en 1981 ?
Si un seuil de revenu minimum doit être garanti par la collectivité en cas de
défaillance, au-delà des choix individuels doivent prévaloir. Les dispositifs
doivent constituer des accompagnements dans le respect des règles de la société
au premier rang desquelles figure le bon fonctionnement de ladite société. Ce
projet inverse les termes. Je ne peux donc y souscrire tel qu'il nous est
présenté.
(Applaudissements sur certaines travées du RDSE, sur les travées
des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de
loi est un texte capital, comme mon collègue et ami M. Guy Fischer l'a rappelé
dans son intervention. Il s'agit, en effet, de réussir, après la création des
emplois-jeunes, la seconde réforme de structure du Gouvernement. A l'évidence,
le processus amorcé peut s'inscrire dans l'histoire des avancées sociales, à
l'image de la loi de 1906 instituant le repos dominical obligatoire, de la loi
de 1919 sur la journée de huit heures, de la grande loi de 1936, comme cela a
été dit à plusieurs reprises, instituant la semaine de quarante heures et les
deux semaines de congés payés.
Le devenir des 35 heures se jouera dans les négociations de branche et
d'entreprise. Compte tenu des positions du patronat, la partie va être rude.
Nous ne faisons pas du patronat un bloc. Le dialogue n'aura pas forcément la
forme brutale prônée par les instances du CNPF.
Il n'en demeure pas moins que la pensée unique est si présente chez nos chefs
d'entreprise - nous dirons, à leur décharge, qu'ils ne sont pas les seuls à
avoir le dogme de la rentabilité comme unique référence idéologique - que
l'idée selon laquelle il faut penser le devenir et l'efficacité de l'outil de
travail en lien avec la promotion des individus et l'intervention citoyenne
aura du mal à faire son chemin.
L'analyse de 1 400 accords signés dans le cadre du dispositif Robien donne
une indication des enjeux. L'organisation de la production a été au centre des
discussions dans trois négociations sur quatre. C'est normal. Mais dans plus
d'un cas sur deux il s'agit seulement de moduler le temps de travail en
fonction des fluctuations de l'activité. C'est seulement dans un cas sur six
que l'on imagine pouvoir amorcer des économies sur le coût des équipements en
les utilisant plus.
Aucun accord recensé ne mentionne un débat sur les autres coûts, les charges
d'intérêt, les coûts de structure.
Systématiquement, l'approche consistant à faire des économies sur la
main-d'oeuvre prime sur la réflexion autour des projets de développement.
Ce projet de loi, par son ampleur et ses ambitions, va donc heurter bien des
raisonnements.
Tout doit donc être fait pour aider à l'élargissement du débat, pour conforter
l'aspiration au dialogue, pour développer l'échange démocratique.
Ce projet de loi, a-t-il été souvent dit, ne peut être mis en oeuvre de
manière mécanique.
Il est certain que l'organisation du travail est beaucoup plus complexe que
jadis. La souplesse permettant l'adaptation est donc une voie obligée. Mais la
gauche n'a aucun intérêt à jouer avec les mots. Nous sommes bien d'accord avec
vous, madame la ministre, lorsque vous affirmez refuser toute « flexibilité
portant atteinte au droit du travail ».
La recherche de flexibilité a une histoire et l'expérience des quinze
dernières années marque beaucoup de consciences. Le code du travail n'a cessé,
depuis le début des années quatre-vingt, d'évoluer dans le sens souhaité par le
patronat. Cette inflexion est réversible.
Pour que le projet de diminution du temps de travail et de création d'emplois
atteigne son but, il faut une participation confiante des salariés, la
certitude pour eux d'être protégés, une législation plus bienveillante pour les
organisations syndicales, une liberté d'information permettant aux acteurs du
dialogue d'être à armes égales.
Le projet de loi amorce des pas en cette direction. Nous aimerions que leur
portée soit renforcée.
Nous nous félicitons de l'amélioration du texte en première lecture de façon à
créer un cadre et un socle assez solide favorisant les négociations.
Nous approuvons le fait que les salariés aient obtenu des droits nouveaux pour
suivre la mise en place des accords de réduction du temps de travail et que des
instances paritaires spécifiquement créées à cet effet voient le jour. Nous
nous réjouissons de ce qu'une organisation syndicale ou son représentant puisse
saisir l'autorité administrative en cas de difficulté d'application d'un
accord, que le salarié mandaté soit accompagné, lors des séances de
négociation, par un salarié de l'entreprise choisi par lui ou encore que le
salarié mandaté à la négociation de l'accord ainsi qu'aux réunions nécessaires
pour son suivi soit payé comme étant en temps de travail. Madame la ministre,
j'ai pris bonne note de votre engagement pris à l'Assemblée nationale de
préciser les droits pour les salariés mandatés lors de la deuxième lecture.
C'est en effet, à mon avis, une question sur laquelle il nous faut avancer
rapidement.
Nous estimons nécessaire de renforcer à court terme le cadre juridique et les
conditions dans lesquelles ces négociations vont se dérouler.
Nous avions jugé négativement l'accord interprofessionnel du 31 octobre 1995
permettant la signature d'accords collectifs dans les entreprises dépourvues de
délégué syndical. Je rappelle que cet accord a été intégré dans le code du
travail par la loi Juppé du 12 novembre 1996 contre l'avis des partis de gauche
et de nombreux observateurs du droit du travail. Aujourd'hui, ce texte devient
un instrument majeur de la négociation de la réduction du temps de travail et -
nous ne le cachons pas - cela nous inquiète.
Dans ces conditions, la question de l'élargissement des pouvoirs des salariés
et de leurs organisations syndicales se pose. Nous avons déposé plusieurs
amendements pour signifier notre souci de progresser dans cette direction. Ces
organisations doivent participer à des réunions d'information même là où elles
ne sont pas représentées. La transparence et le contrôle doivent aussi être
développés, en s'appuyant sur la population et les élus. Nous proposons que les
aides prévues à l'article 39-1 soient attribuées après avis conforme du comité
départemental de la formation professionnelle, de la promotion sociale et de
l'emploi, le CODEF, et du comité départemental de financement des entreprises,
le CODEFI, sur la base d'un rapport de l'inspection du travail.
La démocratisation de la négociation collective implique d'ores et déjà, selon
nous, que seule une représentativité majoritaire puisse valider un accord après
consultation du personnel et que l'on abaisse les seuils pour la mise en place
des institutions représentatives ; elle appelle un renforcement de la
protection des représentants du personnel, l'institution de règles de
transparence, d'informations et de bonne foi dans la négociation, ainsi que la
suspension de toute aide ou exonération en cas d'absence de représentation élue
et syndicale du personnel.
Le champ de la démocratie est considérable. Nous pensons qu'il faut, avec
beaucoup de courage, l'occuper. Tout le dispositif du Gouvernement en dépend.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Gérard Larcher.
(Applaudissements sur les travées du
RPR.)
M. Gérard Larcher.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je pense que
l'on ne pourra me reprocher, dans cet hémicycle, de ne pas être ouvert à une
réflexion sur l'aménagement du temps de travail.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Certes !
M. Gérard Larcher.
En 1993, M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires
sociales, et moi-mêmes avons été à l'origine des premières expérimentations sur
la réduction négociée du temps de travail à travers un amendement adopté par le
Sénat lors de la discussion de la loi quinquennale relative au travail, à
l'emploi et à la formation professionnelle, après un débat assez passionné au
sein de cet hémicycle, débat au cours duquel la gauche de cette assemblée
s'était montrée particulièrement dogmatique, tout comme elle l'a été lors de la
discussion de la proposition de loi Robien.
Nous avions pensé à l'époque que, si l'aménagement du temps de travail pouvait
être un outil en faveur de la lutte contre le chômage, il n'était néanmoins
qu'un outil parmi d'autres qui devait être exploré et qu'il convenait
d'expérimenter.
L'expérimentation s'est d'ailleurs révélée plutôt positive.
Notre premier devoir de politiques, dans la diversité de nos sensibilités,
consiste à ne pas faire rêver, surtout dans ce domaine si sensible.
MM. Jean Chérioux et Serge Vinçon.
Eh oui !
M. Gérard Larcher.
Il consiste à répéter encore et toujours que ni l'emploi ni la croissance ne
se décrètent, mais qu'il nous faut faire de ces deux objectifs nos priorités,
en sachant que si l'une, la croissance, est indispensable à l'autre, l'emploi,
la seule croissance - et je me réjouis comme chacun d'entre vous, mes chers
collègues, de la voir au rendez-vous de ce début d'année - même si elle
atteignait 5 % par an, ne pourrait permettre à elle seule d'apporter une
réponse à plus de 3 millions de nos concitoyens qui sont aujourd'hui exclus de
l'emploi.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Alain Gournac.
C'est la réalité !
M. Gérard Larcher.
En 1993, nous disions - cela est d'ailleurs toujours vrai - qu'il serait
fallacieux de faire croire aux Français qu'une réduction de la durée du temps
de travail pourrait être mise en oeuvre sans, à tout le moins, une
stabilisation de la masse salariale et, de fait, une réduction modulée dans la
durée d'un certain nombre de salaires.
On ne peut pas imaginer d'abaisser de 11 % la durée du temps de travail tout
en maintenant systématiquement tous les salaires à un niveau comparable. Toute
affirmation contraire me paraît être source de désillusion future.
Nous disions à cette époque que la solution à nos difficultés économiques et
sociales ne pouvait provenir d'une réduction massive, uniforme et surtout
autoritaire de la durée du temps de travail.
M. Serge Vinçon.
C'est vrai !
M. Gérard Larcher.
Eh bien, aujourd'hui comme il y a quatre ans, nous ne voulons pas être des
illusionnistes. Oui - et cela m'a parfois d'ailleurs différencié d'un certain
nombre de mes amis - je suis pour un aménagement du temps de travail à 32
heures ou à 35 heures, mais je suis favorable à un aménagement du temps de
travail négocié librement...
M. Alain Gournac.
Oui, librement !
M. Gérard Larcher.
... entre les partenaires sociaux, entreprise par entreprise, avec de fortes
incitations financières et fiscales. Je crois très sincèrement qu'une réduction
du temps de travail autoritaire et systématique, indifférenciée malgré la
diversité des entreprises, est une erreur économique et sociale et que, pour
s'en sortir, les entreprises comme les services de l'Etat devront trouver des «
marges de souplesse » qui ne seront pas dans ce texte.
Madame le ministre, votre texte me paraît être une approche trop idéologique
et pas assez économique.
Certes, ce projet figurait dans le programme électoral du parti socialiste.
Mais la priorité devrait être au dialogue social plutôt qu'à l'uniformité et à
la réglementation autoritaire. Et si j'ai un reproche majeur à adresser au
patronat et aux syndicats, à l'exception notable de la CFDT, c'est qu'ensemble
ils n'ont pas joué le jeu de l'accord de l'automne 1995 signé sous l'égide de
M. Alain Juppé.
M. Henri Weber.
C'est tout le problème !
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Gérard Larcher.
Oui, imposer ainsi les 35 heures, c'est faire une erreur de fond sur
l'appréciation des vrais leviers de l'emploi. La résorption du chômage
nécessite aussi une politique qui favorise l'investissement, la valorisation
des outils de travail, l'allégement des contraintes administratives et la
recherche d'un coût salarial nous laissant des marges de compétitivité.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
Pour améliorer la situation de l'emploi, il faut rendre l'investissement plus
attractif. Aujourd'hui, dans notre pays, la majorité des usines tournent à
nouveau à pleine capacité, ce dont nous pouvons nous réjouir. Mais, pour
embaucher, il faudrait en fait favoriser les dépenses d'équipement en France
même et non ailleurs, que ce soit en Europe, en Asie ou en Amérique ! Voilà
pourquoi je m'inquiète de certaines rumeurs quant à l'éventualité d'un impôt
sur l'outil de travail qui se profilerait pour l'automne prochain.
Les contraintes que vous allez faire peser sur les entreprises, madame le
ministre, vont à mon avis conduire certaines d'entre elles, souvent contre la
volonté initiale, à opérer des délocalisations pour demeurer compétitives.
D'ailleurs, ne le font-elles pas déjà, dans la situation actuelle ?
M. Henri Weber.
Pas trop !
M. Gérard Larcher
Il est évident que le développement de l'emploi passe par une modération du
coût du travail et par une meilleure valorisation du savoir-faire des
salariés.
La France et l'Europe - M. Hoeffel le rappelait tout à l'heure - sont
confrontées à la grande vague de la globalisation des marchés. Elles n'ont pas
la possibilité de s'y opposer, mais peuvent judicieusement se positionner. Les
travailleurs français sont aujourd'hui en concurrence avec les travailleurs
d'Asie et d'Amérique, non pas à cause des intentions plus ou moins
malveillantes des industriels, mais à cause des consommateurs eux-mêmes, qui
imposent, par leurs choix journaliers, une logique économique implacable.
M. Henri Weber.
Et alors ?
M. Gérard Larcher.
A propos de coût social, je souhaiterais, madame le ministre, connaître les
prévisions de croissance de la contribution sociale généralisée pour combler le
déficit de la sécurité sociale créé par le refus du Gouvernement de respecter
la loi du 24 juillet 1994 l'obligeant à compenser toute exonération des charges
sociales.
Je m'interroge aussi sur le niveau de préparation technique des modalités
d'application des 35 heures.
M. le président de la commission des affaires sociales a évoqué tout à l'heure
le SMIC, et je n'y reviendrai donc pas. Je dirai simplement que je partage à ce
sujet les interrogations qu'il a formulées.
Le temps partiel est source de création d'emplois ; il permet à certains
salariés, à leur demande, de mieux organiser leur temps de travail, et il est
donc étonnant, madame le ministre, que vous dressiez des barrières à cet
égard.
Ainsi, alors qu'un certain nombre d'autres gouvernements européens, y compris
des gouvernements socio-démocrates, n'hésitent pas à adopter cette voie, vous
rigidifiez le recours au travail à temps partiel pour en réduire, en fait,
l'usage.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Gérard Larcher.
C'est oublier que le temps partiel est bien souvent le premier pas d'une
insertion professionnelle...
M. Jean Chérioux.
C'est vrai !
M. Gérard Larcher.
... ou la solution pour une personne - je pense notamment aux mères d'enfants
en bas âge, aux salariés en retraite progressive - de continuer à exercer une
activité professionnelle.
Mme Dinah Derycke.
Pas du tout !
M. Gérard Larcher.
En outre, on sait que le développement du temps partiel a des effets positifs
sur l'emploi. L'exemple des Pays-Bas est à méditer à cet égard. Pourquoi donc
décourager les acteurs économiques d'y recourir ?
A titre d'exemple, j'évoquerai un secteur qui me paraît particulièrement
menacé, dans lequel le nombre d'emplois non qualifiés nécessaires pour répondre
aux problèmes que nous rencontrons dans nos villes est particulièrement
important : le secteur de la propreté-nettoyage.
Il existe un accord de branche dans ce secteur qui emploie quelque 250 000
salariés en France : il prévoit le transfert des personnels lorsqu'un marché
est gagné par une autre entreprise.
Que se passera-t-il si ces nouveaux personnels font passer à l'entreprise la
barre des vingt salariés au-delà de laquelle la réforme sera appliquée dès l'an
2000 ?
Que se passera-t-il si les nouveaux personnels transférés bénéficient des 35
heures, mais pas ceux qui sont dans l'entreprise qui les intègre ?
Les vacations des personnels des entreprises de propreté ne pouvant se
dérouler qu'en dehors des heures de bureau, comment respecter le délai maximal
de deux heures entre deux vacations...
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Ce sont des exceptions !
M. Gérard Larcher.
... si celles-ci ne peuvent être effectuées que tôt le matin et tard le soir ?
La solution serait de permettre aux salariés de ne faire qu'une seule vacation
par jour !
M. Alain Gournac.
Oui !
M. Gérard Larcher.
Je souhaite qu'il soit prévu, à cet égard, un certain nombre de dérogations et
d'adaptations pour répondre à cette préoccupation spécifique.
M. Henri Weber.
C'est le bon sens même !
M. Gérard Larcher.
Mais, à côté de la modulation de la répartition du temps de travail, qui peut
être un outil,...
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Cela figure déjà dans la loi
!
M. Gérard Larcher.
... il nous faut réfléchir aux facteurs de compétitivité qui sont les leviers
essentiels pour développer l'emploi et s'interroger sur les entraves réelles à
l'emploi.
Quelle est la durée annuelle du travail dans le monde ? Les statistiques dont
je vais faire état proviennent de deux sources : Eurostat et la DG XII. Aux
Etats-Unis, elle est de 1 951 heures ; au Japon, de 1 919 heures ; au
Royaume-Uni, de 1 723 heures ; en France, de 1 529 heures ; en Allemagne, de 1
508 heures.
Quel est le poids des cotisations sociales en pourcentage du salaire ? En
Irlande, il est de 20 % ; aux Etats-Unis, de 21 % ; au Royaume-Uni, de 22 % ;
en Allemagne, de 35 %. La France est en tête avec l'Italie, avec le double du
Royaume-Uni !
Quel est le coût réel de la main-d'oeuvre dans l'industrie ? Quand il est de
110 au Royaume-Uni, il est de 135 aux Etats-Unis, de 150 en France. Seule
l'Allemagne nous devance aujourd'hui, avec 158. Or on connaît aujourd'hui la
situation sociale et économique de nos amis allemands !
Que représentent les prélèvements obligatoires, en pourcentage du PIB ? En
1996, ils étaient, aux Etats-Unis, de 27,9 % ; en Allemagne, de 38,2 % ; au
Royaume-Uni, de 35,3 % ; en France, de 45,7 %.
Et permettez-moi de citer quelques chiffres comparatifs sur l'emploi, ainsi
que, sujet qui nous préoccupe tous quelles que soient les formations politiques
auxquelles nous appartenons, sur le taux d'activité des jeunes de quinze à
vingt-quatre ans : aux Etats-Unis, ce taux est de 65,5 % ; en Allemagne, de
55,7 % ; au Royaume-Uni, de 70,7 % ; en France, de moins de 30 %.
M. Henri Weber.
Eh oui !
M. Gérard Larcher.
Quel est le taux des emplois de type administratif ? Aux Etats-Unis, il est de
15,4 % ; en Allemagne, de 15,7 % ; au Royaume-Uni, de 14,4 % ; en France, de
24,5 %.
M. Henri Weber.
Qu'est-ce que cela prouve ?
M. Gérard Larcher.
Comparons maintenant les formalités nécessaires pour créer une entreprise en
France, en Irlande et en Grande-Bretagne : en France, il faut de dix à vingt et
un documents et, en moyenne, de un à cent cinq jours.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Qu'avez-vous fait depuis cinq
ans ?
M. Gérard Larcher.
En Irlande, il faut de deux à six documents et de un à vingt-six jours ; en
Grande-Bretagne, il faut de quatre à huit documents et de un à quarante-deux
jours.
M. Henri Weber.
C'est aujourd'hui que vous vous en rendez compte ?
M. Gérard Larcher.
Voilà quelques-uns des constats, madame le ministre, mes chers collègues, dont
nous partageons tous la responsabilité.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Ah, quand même !
M. Gérard Larcher.
Il n'est pas question de jeter des statistiques à la figure du gouvernement
actuel.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
C'est bien de le reconnaître
!
M. Gérard Larcher.
... pas plus qu'on ne peut le faire à l'égard des gouvernements précédents.
Mais il existe d'autres clés pour lutter contre le chômage, contre nos
rigidités à l'égard de l'emploi, et ces clés, il faut aussi les actionner.
Le découplage des politiques économiques et sociales n'est pas l'horreur
absolue, mais devrait permettre de retrouver une dynamique, ce qui n'exclut
nullement une politique sociale hardie de justice et de compensations sociales
: je pense à l'impôt négatif, à l'aide spécifique aux plus défavorisés et aux
jeunes en insertion professionnelle, je pense au logement et au niveau de
protection sociale.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du
RPR).
Comme vous, madame le ministre, je souhaite lutter contre le chômage et
utiliser tous les outils possibles, parmi lesquels la réduction du temps de
travail.
Notre collègue Louis Souvet a fourni un travail de réflexion approfondi et des
propositions que nous soutiendrons. Ce sont d'ailleurs les gouvernements
d'Edouard Balladur et d'Alain Juppé qui ont ouvert le chemin de l'adaptation du
temps de travail, et je suis de ceux qui ont soutenu tant les amendements de la
loi quinquennale que la proposition de loi de notre collègue Gilles de
Robien.
Certes, aujourd'hui, il fallait avancer sur ce chemin d'une manière plus
déterminée - car nous n'avions pas été assez déterminés - ...
M. Henri Weber.
C'est le moins que l'on puisse dire !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Ils ont voté contre. Qu'ils se taisent !
M. Gérard Larcher.
... mais un texte trop généraliste et autoritaire tel que celui-ci ne
correspond pas à la diversité de la situation de nos entreprises. Certaines,
les plus grandes d'entre elles, apprivoiseront ce texte ou « braconneront à la
marge », utilisant les effets d'aubaine.
(Très bien ! sur les travées du
RPR.)
En douceur, avec professionnalisme, ce texte peut même leur permettre
d'organiser de manière différente leur productivité.
Celles-ci ne m'inquiètent pas trop car, de toute façon, elles devront obéir à
la logique des coûts et de la concurrence et, n'en doutons pas, si nécessaire,
elles iront produire ailleurs car elles n'auront pas d'autre choix.
Celles qui m'inquiètent le plus, ce sont nos petites et moyennes entreprises,
qui sont aujourd'hui le dynamisme de l'emploi et la trame du territoire. Elles
risquent, pour les plus fragiles ou les plus nouvelles d'entre elles, de se
recroqueviller, de rechercher toutes les voies pour maîtriser leurs coûts en
débauchant, en ne remplaçant pas. J'en sens d'ailleurs les prémices.
Madame le ministre, le marché ignore la loi, les idéologies et nos débats. Il
est aujourd'hui mondial ; il n'est ni apprivoisable ni « décrétable ». Face à
lui, nous n'avons qu'une seule alternative,...
M. Henri Weber.
Nous soumettre !
M. Gérard Larcher.
... le gagner.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains
et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c'est non pas
la réduction de la durée du travail en tant que telle que nous rejetons, mais
bien l'application que le Gouvernement fait de cette évolution.
Nous ne sommes pas
a priori
contre la réduction du temps de travail, et
nous l'avons prouvé dans le passé en votant l'article 39 de la loi quinquennale
du 30 mars 1994 relative au travail, à l'emploi et à la formation
professionnelle, et en votant la loi Robien du 11 juin 1996, tendant à
favoriser l'emploi par l'aménagement et la réduction conventionnelle du temps
de travail.
C'est la raison pour laquelle, avec mes collègues du groupe de l'Union
centriste et avec la majorité sénatoriale tout entière, nous ne pourrons que
soutenir aujourd'hui le rapporteur de la commission des affaires sociales en
adoptant l'ensemble des amendements qu'il proposera au nom de la commission,
souhaitant ainsi marquer une position qui soit en phase avec les réalités
économiques de notre pays.
Nous voterons donc la suppression de l'article 1er pour supprimer, par là
même, le caractère obligatoire et autoritaire de la réduction de la durée du
travail, que nous jugeons totalement irréaliste, principalement en raison de la
diversité des entreprises qui fait la richesse du système économique dans notre
pays.
Une loi carcan telle que celle que vous nous proposez n'a aucune chance de se
solder par la réussite. C'est pourquoi nous avons choisi de l'assouplir en
favorisant la négociation, l'annualisation, la flexibilité, le temps partiel,
la protection des petites et moyennes entreprises, qui jouent un rôle
considérable dans l'économie française et qui constituent, sans aucun doute, le
terreau de l'emploi de demain.
Quelle définition peut-on retenir pour la petite et moyenne entreprise pour
demain : vingt salariés, cinquante salariés, ou deux cent cinquante salariés ?
C'est là une vraie question.
La réduction de la durée légale du travail doit s'inscrire dans une logique
d'annualisation du temps de travail pour répondre à une meilleure répartition
de celui-ci sur l'année calendaire.
C'est la raison pour laquelle il convient de quitter le module hebdomadaire
pour aller vers un module annuel. Les entreprises du bâtiment et des travaux
publics sont disposées aujourd'hui à prendre les risques de l'expérimentation
dans ce domaine.
Le système de l'aménagement-réduction du temps de travail doit permettre
d'atteindre un équilibre entre les besoins de souplesse des entreprises et les
conditions de vie des salariés, et il impose des solutions différenciées selon
les branches et les entreprises.
Dès lors que le projet de loi est particulièrement rigide en ce qui concerne
l'objectif des 35 heures, il nous a paru essentiel d'équilibrer le cadre
général des négociations. Cela ne peut passer que par l'annualisation,
revendication principale des chefs d'entreprise qui souhaitent sincèrement
s'engager dans une démarche d'aménagement-réduction du temps de travail, dans
l'intérêt mutuel des entreprises et des salariés.
La notion moderne d'aménagement du temps de travail est devenue une composante
majeure de tout discours macro-économique et s'impose aujourd'hui aux décideurs
pour orienter leur stratégie d'entreprise.
Il s'agit désormais, sinon de vaincre la crise, du moins d'adapter au mieux
les ressources humaines au nouvel ordre économique, mais également aux
aspirations individuelles des salariés. Il s'agit d'évoluer vers une culture
d'entreprise qui gère la ressource humaine comme un investissement à long
terme.
Une forte réduction de la durée individuelle n'est pas en elle-même suffisante
pour créer de nouveaux postes de travail.
Pour les entreprises dont l'activité est très saisonnière, les horaires
variables permettront non seulement d'éviter le surcoût des heures
supplémentaires, mais surtout de rester à flot, c'est-à-dire de rester dans la
course et de ne pas licencier pour, ensuite, déposer le bilan.
Les débats sur la flexibilité, la réduction du temps de travail, le partage du
travail et le temps choisi ont traversé le champ public de façon récurrente
jusqu'à s'imposer comme un paramètre premier de toute réflexion prospective sur
le devenir de nos sociétés.
Faute d'entraîner une création nette d'emplois par une croissance soutenue, il
s'agit désormais de prévenir le chômage par une politique d'aménagement du
temps de travail adaptée.
Dans cette logique, il faut noter l'expansion sensible, dans notre pays, du
temps partiel, décliné sur des formes variables et favorisé notamment par
certaines dispositions de la loi quinquennale du 30 mars 1994, qui concerne
aujourd'hui près de 3,2 millions de salariés, soit près de 14 % de la
population active salariée. Le développement du temps partiel aurait ainsi
permis la création de 115 000 emplois en l'espace de vingt-quatre mois.
Le temps partiel doit toutefois rester du temps partiel et non tendre vers le
temps plein ; c'est cette notion que nous voulons protéger en soutenant les
amendements de la commission des affaires sociales. Avec le passage aux 35
heures, la limite supérieure du temps partiel passe de 32 à 28 heures ; à 29
heures, on n'est donc plus dans le temps partiel. Cela n'a guère de sens.
Il faut donc modifier la définition du travail à temps partiel pour la
conformer à la définition de bon sens donnée par la directive européenne du 15
décembre 1997, selon laquelle sont considérés comme horaires à temps partiel
les horaires inférieurs à la durée légale du travail.
La commission des affaires sociales et son rapporteur ont donc opté pour un
reprofilage de la loi Robien et, avec la majorité sénatoriale tout entière,
nous approuvons et soutenons ce choix.
Les entreprises craignent davantage les conséquences du coût des 35 heures que
la réorganisation du travail qu'elles impliquent. Nous savons tous que la
réussite de votre loi, madame le ministre, dépend des importants sacrifices
salariaux qui vont être demandés aux salariés en général, et surtout aux
salariés à revenus moyens et aux cadres.
En l'état, votre loi va indéniablement accroître le coût du travail et sera
donc, à terme, destructrice d'emplois : l'objectif inverse de celui que vous
cherchez à atteindre.
Réduire la durée du travail diminue la production par individu. Cette baisse
de la productivité entraîne un coût qui peut être supporté soit par les
salariés s'ils acceptent, en échange d'un temps de travail réduit, un salaire
mensuel plus bas, soit par les entreprises si elles diminuent leurs marges,
soit encore par le consommateur si les entreprises répercutent la hausse des
coûts dans les prix. Ce coût peut être diminué, à l'échelle de l'entreprise,
par une hausse induite de la productivité du travail ou d'autres facteurs de
production.
Telle est la problématique de la réduction du temps de travail.
Puis-je encore me permettre de rappeler quelques règles de trois, madame le
ministre ?
Réduire la durée du travail est coûteux. Un passage généralisé, imposé et
effectué par tous de 39 à 35 heures - c'est-à-dire correspondant à une baisse
de 10 % de la durée du travail - conduirait à la création de quelque deux
millions d'emplois et à une baisse d'un million et demi du nombre des chômeurs.
C'est donc une très bonne piste.
Mais à une telle baisse de la durée du travail est associé un coût, que l'on
peut estimer à plusieurs dizaines de milliards de francs par an, ce qui
correspond à 10 % de la masse salariale.
Qui va devoir prendre en charge ce coût ? Ce peut être les salariés, qui ne
recevront alors aucune compensation salariale ; les entreprises, qui
augmenteront probablement leurs prix, d'environ 6 % ; ou bien encore l'Etat,
qui accroîtra son déficit.
Toutes les études faites - dont celle qu'avait réalisée l'OFCE en 1993 -
démontrent que la réduction de la durée du travail est indissociable d'une
baisse des revenus des salariés en place.
En résumé, les 35 heures ne sont possibles et créatrices d'emplois qu'avec une
loi souple, privilégiant la négociation et l'aménagement du temps de travail,
surtout si les salariés acceptent des sacrifices et si les employeurs sont
d'accord, de leur côté, pour revoir le fonctionnement de leurs entreprises.
Les salariés sont-ils prêts à être payés moins pour que d'autres travaillent
plus ? C'est peu probable, et c'est la véritable question, car il n'y a qu'une
certitude : les entreprises françaises ne peuvent pas produire plus cher que
leurs voisins, sous peine de mettre la clef sous la porte et, par voie de
conséquence, de voir les salariés se retrouver au chômage.
(Applaudissements
sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une
heures trente-cinq, sous la présidence de M. Jean Faure.)