C. LES DIFFICULTÉS SE CONCENTRENT EN FIN D'EXERCICE
Malgré l'affichage de la règle du libre jeu des stabilisateurs automatiques, les gouvernements ne semblent décidés à accepter que le solde constaté en exécution résulte du libre jeu des recettes, les dépenses étant sous contrôle. Au contraire, le solde définitif fait l'objet d'un pilotage politique.
1. Le pilotage politique de la fin d'exercice est avéré et accepté
a) Un constat général
M.
Jacques BONNET, chargé par le Premier ministre en juin 1997 d'une
mission d'audit des finances publiques, a constaté lors de son audition
que "
même en respectant strictement les règles de la
comptabilité publique,
il est possible de faire varier les soldes
dans des proportions pas tout à fait négligeables
, et
permettant dans les nuances de gris d'avoir celle à la mode lorsque l'on
présente les comptes de l'Etat
". Pour obtenir la nuance
souhaitée, le ministre dispose d'une palette d'instruments, en recettes
comme en dépenses
8(
*
)
.
Par exemple, M. Christophe BLANCHARD-DIGNAC, directeur du budget, a
déclaré qu'il n'avait "
pas le droit de dire qu'aucun
budget n'a pu avoir la tentation de jouer sur l'accélération ou
la non accélération, ou le retardement, d'un certain nombre de
dépenses fiscales de type remboursement
".
De son côté, M. Jean-Claude TRICHET, gouverneur de la Banque de
France, ancien directeur du trésor, a remarqué que "
le
ministre des finances encore aujourd'hui, et sans contrevenir à aucune
espèce de règles, a une certaine latitude qui lui est
laissée par l'état actuel du droit et des procédures pour,
dans un certain nombre de cas, attribuer recettes et dépenses à
l'exercice n ou à l'exercice n+1
".
b) Une pratique indissociable de l'existence de la période complémentaire
"
Pour quelle raison y-a-t-il ces
phénomènes
de pilotage ?
" s'est interrogé M. François
LOGEROT, "
il appartient au Sénat d'en apprécier les
raisons politiques. Les raisons techniques existent. Ce sont
l'imprécision des textes relatifs à la comptabilité de
l'Etat, notamment des règles de rattachement des opérations
pendant la période complémentaire d'un mois qui fait qu'en
quelque sorte on arrête la pendule le 31 décembre à
minuit
".
Les raisons " politiques " sont exprimées dans un rapport
consacré aux conditions d'une éventuelle suppression de la
période complémentaire, daté du 1
er
juin
1999 et rédigé conjointement par la direction du budget et la
direction générale de la comptabilité publique :
"
Par sa durée et son contenu, la période
complémentaire permet d'assurer un pilotage à la marge d'un
objectif d'exécution budgétaire
.
Une fois les recettes
fiscales connues, les opérations réciproques
9(
*
)
, certaines recettes du collectif et
l'intervention du comptable dans le visa des ordonnances peuvent être
utilisées pour approcher un objectif et lisser les résultats
budgétaires, comme le ferait une entreprise via d'autres vecteurs
comptables
".
Il ressort des propos de M. François LOGEROT et du rapport
sus-mentionné des services du ministère de l'économie, des
finances et de l'industrie, que le pilotage de fin d'exercice a pour objet
d'ajuster le résultat d'exécution afin d'approcher l'objectif que
s'est fixé le gouvernement
10(
*
)
et que ce pilotage est rendu
possible par l'existence de la période complémentaire, qui est,
selon le rapport des services de Bercy, "
la période
postérieure à la gestion (actuellement du 1
er
au 31
janvier) durant laquelle peuvent être comptabilisées, sous
certaines conditions, des opérations qui sont imputées sur
l'exercice budgétaire précédent
".
Comment fonctionne la période complémentaire ?
Lors de
son audition, M. Jean-Jacques François, trésorier payeur
général, responsable de l'Agence comptable centrale du
trésor, a expliqué que "
cette année, les
comptables normaux arrêtent les opérations le 14 janvier, la
Paierie générale le 28 janvier et l'ACCT le 31 janvier.
Nous appliquons le décret de 1986, modifié en 1996, selon une
mécanique que vous connaissez, pour les recettes jusqu'au 31
décembre, pour les dépenses par ordonnance jusqu'au 10 janvier
et, ensuite, la marge de manoeuvre qui existe, que la Cour souligne depuis une
bonne vingtaine d'années, ce sont les opérations
réciproques.
(...)
Il est vrai que la tradition fait que l'ACCT se mobilise à la fin de
la période complémentaire. Cette période a
été de quinze jours, elle est maintenant d'une journée. Le
31 janvier dernier, un lundi, toutes mes équipes se sont
naturellement mobilisées. A minuit, nous arrêtons la pendule et
toutes les opérations constatées sont comptabilisées,
notamment les opérations de garantie citées par Monsieur le
rapporteur général. Le lendemain les livres sont ouverts à
la Cour des comptes. La tradition veut que le lendemain, à
l'arrivée des membres de la Cour des comptes, tout soit ouvert. Nous
assurons ainsi la traçabilité totale des opérations.
Nous n'émettons pas d'opinion sur les écritures de fin
d'exercice. C'est un point sur lequel nous pourrons peut-être
évoluer
".
Le lien entre la possibilité de piloter le solde et l'existence de la
période complémentaire est confirmé
a contrario
par
le rapport précité, qui relève que "
tous les
scénarios de suppression de la période complémentaire
supposent de renoncer aux souplesses actuelles de pilotage à la marge du
solde d'exécution
". Cette renonciation, si elle devait
intervenir, est qualifiée de "
décision implicite
lourde
".
Dans leur note commentant ce rapport au ministre, datée du 9 juin 1999,
le directeur du budget et le directeur général de la
comptabilité publique indiquent que, dans l'éventualité
d'une suppression de la période complémentaire, "
la
marge de manoeuvre permettant d'infléchir le solde budgétaire
tendanciel, dans le strict respect de la réglementation,
[serait]
fortement amoindrie
" et que
,
"
dès lors, le
" pilotage " à la marge du solde
[serait]
rendu
difficile
".
c) Une souplesse utile ?
Plusieurs personnes auditionnées ont justifié la
pratique du pilotage de fin d'exécution en procédant, comme les
services du ministère des finances dans leur rapport, à une
analogie avec les comportements des entreprises.
Ainsi, M. Jacques BONNET a estimé "
qu'il en va des finances
publiques comme des finances des entreprises. En-dedans d'une certaine limite,
on peut faire du résultat, sinon ce que l'on veut, du moins ce que l'on
souhaite
". M. Jean-Claude TRICHET a jugé qu'il ne lui
paraissait "
pas invraisemblable, puisque c'est le cas dans toutes les
entreprises, que l'on puisse avoir une telle possibilité lorsqu'il
s'agit d'un budget aussi considérable que celui de l'Etat
français, mais encore une fois dans la clarté et la
transparence
".
M. Jean-Jacques FRANÇOIS a déclaré :
"
Les opérations dites réciproques, objets de
débats, sont les opérations existant entre l'Etat et sa
périphérie publique, les organismes en liaison financière
avec l'Etat. Le décret de 1986 a prévu une certaine marge de
manoeuvre, pour deux raisons. La première est que ces opérations
à caractère financier ont une dimension d'opportunité
très importante et la deuxième est qu'il s'agit de la seule marge
de manoeuvre dont disposent les autorités chargées de piloter.
Est-ce choquant ?
".
d) Le pilotage intervient aussi bien en période de bonne conjoncture que de mauvaise conjoncture
Au cours
de son audition, M. François LOGEROT a "
constaté dans
toutes ces années récentes que les gouvernements quels qu'ils
soient ont le souci de piloter le résultat final d'exécution de
la loi de finances dans des proportions importantes
". Ils n'ont
toutefois pas tous agi en fonction des mêmes considérations. Il a
indiqué que "
jusqu'en 1997 à peu près, le
problème était de peser au maximum sur le déficit final,
ce qui a donné lieu à des reports de charge importants.
(...)
Au contraire, depuis les trois dernières années, une
amélioration relative des finances publiques, nous avons assisté
à des reports de recettes sur l'exercice suivant
"
11(
*
)
.
M. Christian SAUTTER a estimé que "
la gestion des fins
d'exercice est plus difficile lorsqu'on a surestimé les recettes
fiscales que lorsqu'on les a sous-estimées. Une surestimation des
recettes fiscales fait courir le risque de voir le déficit
annoncé plus élevé que prévu
".