B. DES INFORMATIONS BUDGÉTAIRES ET FINANCIÈRES NOMBREUSES MAIS DE MAUVAISE QUALITÉ
Les services du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie adressent chaque année plusieurs centaines de notes au ministre et à son cabinet. Les autorités politiques reçoivent donc des informations budgétaires et financières régulières et abondantes concernant la situation du budget de l'Etat au risque même d'être " submergées " par des informations parfois peu utilisables.
Le
jugement sévère des auteurs du rapport d'audit de 1997
sur le
système d'information
MM.
Jacques Bonnet et Philippe Nasse, magistrats à la Cour des comptes, et
auteurs d'un rapport sur la situation budgétaire de la France à
l'été 1997, ont porté un jugement sévère sur
la qualité des informations transmises au ministre par ses
services : "
l'administration met à la disposition du
ministre ce qu'elle a, et c'était d'une qualité tout de
même assez médiocre pour 1997
".
M. Philippe Nasse a du reste fait part à votre commission de
ses interro-gations empreintes d'un certain fatalisme: "
le
gouvernement est-il correctement informé ? A l'évidence, je
dois répondre non car l'information de base est mauvaise. Est-il
informé de façon non sincère ? Les personnes
chargées de l'informer font-elles au mieux ou pas avec cette information
de mauvaise qualité ? Je crois qu'il faut reconnaître que
l'information est de mauvaise qualité
[...]
, mais que les
services essaient de faire au mieux avec
".
En revanche, les informations relatives à l'exécution
budgétaire tardent à être délivrées à
la représentation nationale, ou bien alors ne le sont que de
façon réticente. Sans doute faut-il y voir la culture du secret
qui, selon M. Pierre GISSEROT, constitue "
la tradition du
ministère des finances "
, déplorant à ce titre
qu'
" une commission des finances comme la vôtre n'est pas
informée comme elle pourrait souhaiter l'être
".
Toujours est-il qu'il convient de ne pas mésestimer le rôle des
autorités politiques : le ministre et son cabinet ont pour
tâche de traduire les informations reçues des services au contenu
le plus souvent très technique en arbitrages politiques. Dès
lors, la non-divulgation de certaines informations ne résulte pas d'une
volonté délibérée des services de cacher ces
informations, elle est une décision éminemment politique.
Toutefois, il est apparu à votre commission que l'essentiel de ces
informations en matière de dépenses étaient souvent de
qualité médiocre, et essentiellement quantitative, revêtant
un caractère soit extrêmement formel, soit incomplet, en raison du
recours à un cadre comptable largement obsolète et à une
absence d'évaluation très dommageable.
1. Des informations - trop ? - nombreuses et pas toujours pertinentes
a) Des informations régulières sur l'évolution des dépenses du budget
Ces
informations proviennent de différentes sources.
•
La direction de la prévision
, s'agissant du
contexte macro-économique, fournit habituellement deux séries de
notes au ministre dans le cadre des budgets économiques d'hiver et
d'été. D'une manière générale, elle
élabore différents
scenarii
budgétaires, afin de
prendre en considération les conséquences possibles de
l'introduction de mesures nouvelles.
•
La direction du budget
adresse trois notes au ministre dans
l'année, dans le cadre de la préparation du projet de loi de
finances.
M. Laurent FABIUS a lui-même, au cours de son audition devant votre
commission, présenté ces trois notes : "
au mois de
février, une note synthétise les travaux de la direction du
budget sur une projection pluriannuelle - trois ans - des dépenses
publiques en grands postes de dépenses. Il s'agit non pas d'une
projection tendancielle des dépenses, mais d'une série de
propositions qui visent à nourrir la réflexion du gouvernement
sur les réformes à envisager afin de faciliter le respect des
objectifs de dépenses fixés. Au mois d'avril, une note est
consacrée à l'année à venir et aux propositions de
dépenses associées au projet de loi de finances en vue de
l'engagement des négociations avec les ministères. En juin, une
troisième note fait le point sur le résultat des
conférences budgétaires et propose au ministre des positions sur
les sujets qui n'ont pas été réglés entre les
services
".
S'agissant de l'exécution, la direction du budget adresse quatre fois
par an
39(
*
)
au ministre une
note relative à la prévision d'exécution du budget de
l'année en cours, qui retrace et synthétise les principaux
écarts à la loi de finances en dépenses comme en recettes.
•
La direction du trésor
adresse au ministre des
notes sur tous les sujets qui portent sur les chapitres ou crédits
qu'elle gère.
Surtout, elle informe régulièrement le ministre des
prévisions de charges de la dette sur l'exercice, notamment dans le
courant de l'été, dans le cadre de la préparation du
projet de finances, ainsi qu'en cours d'exercice, en fonction de
l'évolution des conditions de marché.
•
La direction générale de la comptabilité
publique
, en liaison avec la direction du budget, confectionne les
documents relatifs à la situation financière et comptable de
l'Etat, à un rythme hebdomadaire, mensuel, trimestriel, ou annuel.
Elle produit également des informations relatives aux conditions
d'exécution de la dépense publique, telles que les délais
de paiement publics, le recensement des aides économiques des
collectivités locales, ou la gestion des fonds européens.
b) Des informations pas toujours pertinentes
Si les
informations transmises au ministre et à son cabinet sont
extrêmement nombreuses, elles manquent parfois de pertinence.
•
Ces informations, en premier lieu, souffrent d'insuffisances
importantes en matière d'analyse économique, l'économie
réelle évoluant plus rapidement que la science
économique.
Ainsi, la plupart des théories économiques continuent de reposer
sur les modèles d'une économie fermée, alors que
l'économie française est totalement ouverte au niveau
européen et qu'elle l'est très largement au niveau international,
comme l'a fait remarquer M. Alain LAMASSOURE.
•
Ces informations sont également souvent contradictoires, les
services n'étant pas toujours d'accord entre eux.
M. Nicolas SARKOZY a souligné ce point lors de son audition devant votre
commission : "
Il y a tellement de débats... Le premier
s'instaure entre les directions. Pas une n'est d'accord avec l'autre, c'est une
tradition... Chacun est persuadé d'avoir la vérité, chacun
ayant une légitimité à l'avoir, chacun ayant un angle de
vision propre, car la comptabilité publique n'a pas la même vision
que la DLF et, naturellement, la direction du budget considère comme
illégitimes les prévisions optimistes des autres
".
L'existence d'informations contradictoires n'en rend que plus indispensable le
rôle d'un cabinet fort et efficace placé auprès du ministre.
•
La crédibilité de certaines informations varie en
fonction de la façon dont elles sont présentées.
C'est le cas lorsque le périmètre du budget de l'Etat change
régulièrement, appréhendant des catégories de
dépenses différentes selon les années. Lors de son
audition devant votre commission, M. Denis MORIN, a indiqué sur ce
point : "
pendant de longues années, il y a eu des
écarts de périmètre substantiels entre les dépenses
budgétaires, au sens de ce que nous appelons la comptabilité
budgétaire, présentées en loi de finances initiale, les
dépenses telles qu'elles sont retracées en exécution et
les dépenses appréciées par les comptables nationaux. Il y
a là trois éléments dont le recoupement n'est pas toujours
d'une extrême simplicité
".
Ainsi, par exemple, le gouvernement présente les dépenses de la
loi de finances initiale en additionnant les dépenses du budget
général, à l'exclusion des remboursements et
dégrèvements d'impôts, et en ajoutant le solde des comptes
spéciaux du trésor. Les commissions des finances des
assemblées parlementaires, quant à elles, présentent
l'article d'équilibre d'une façon différente. M. Denis
MORIN a ainsi relevé : "
ce qui est fâcheux pour la
qualité de la présentation du budget est qu'il n'y ait pas de
présentation normalisée
", ajoutant : "
je
dois reconnaître que la diversité des concepts et des modes de
présentation des dépenses de l'Etat nuit un peu à la
lisibilité de ces différents exercices
".
Quant à M. Jacques BONNET, il a fait part à votre commission de
son jugement sur les modifications de présentation du budget :
"
même en respectant les règles de la comptabilité
publique, il est possible de faire varier les soldes dans des proportions pas
tout à fait négligeables, et permettant dans les nuances de gris
d'avoir celle à la mode lorsque l'on présente les comptes de
l'Etat
".
•
Certaines informations macro-économiques deviennent
obsolètes.
Le 21 janvier 1999, soit trois semaines après l'entrée en vigueur
de la loi de finances de l'année, la direction de la prévision a
ainsi adressé au ministre une note relative à l'impact sur les
finances publiques d'une révision de l'inflation à la baisse de
0,8 point, l'hypothèse de hausse des prix retenue dans le budget
étant de 1,3 %. Or, comme l'indique cette note, la révision de
l'inflation "
conduit à une dégradation spontanée
du solde des administrations publiques
". De surcroît,
"
le coût approximatif pour 1999 d'une surestimation de
l'inflation de 0,8 point en 1999 s'établirait à environ
4 milliards de francs
".
Votre commission s'interroge, par ailleurs, sur le fait que le gouvernement
n'ait pas envisagé cette révision du taux d'inflation au cours
des débats parlementaires, alors qu'elle était pressentie, comme
le prouve la note de la direction de la prévision. Il a toutefois
procédé à cette révision à l'occasion du
projet de collectif pour 1999.
•
Il arrive que des prévisions fluctuent de manière
importante dans le temps.
C'est le cas, par exemple, des prévisions relatives aux charges de la
dette, telles qu'elles apparaissent dans plusieurs notes successives de la
direction du trésor, comme le montre le tableau ci-après :
Prévisions de la charge de la dette pour 1999 et 2000
(en milliards de francs)
|
Note du
|
Note du
|
Note
du
|
Note du
|
||||
|
Dette brute |
Dette nette |
Dette brute |
Dette nette |
Dette brute |
Dette nette |
Dette brute |
Dette nette |
1999 |
253,8 |
237,8 |
- |
233,8 |
243,3 |
229,3 |
243,5 |
229,5 |
2000 |
- |
- |
- |
- |
247,5 |
232,1 |
251,5 |
234,7 |
Source : direction du trésor
Ainsi, les prévisions de charges de la dette nette pour 1999 ont
évolué, entre la note du 29 juin 1998 et celle du 10 août
1999, de 237,8 milliards de francs à 229,5 milliards, en
raison de la baisse des taux d'intérêt. Un mouvement inverse
semble se dessiner pour 2000, les prévisions de charges de la dette
nette s'étant accrues de 2,6 milliards en deux mois, passant de 232,1
milliards de francs à 234,7 milliards de francs.