2. 1999 : d'importants reports de recettes non fiscales
Compte tenu des bons résultats en matière de recettes fiscales, le gouvernement fait le choix explicite de reporter d'importantes recettes non fiscales dès la mi-année 1999. Ce mouvement s'amplifiera en fin de gestion, contre l'avis des services du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.
a) Les prélèvements sur les fonds d'épargne
(1) Le choix politique de limiter les versements dès la mi-année
La loi
de finances initiale pour 1999 avait prévu un prélèvement
sur les fonds d'épargne de 17 milliards de francs. Un décret du 3
mai 1999 a fixé à 12,5 milliards de francs le
prélèvement sur le fonds de réserve et de garantie des
caisses d'épargne (FRGCE) au titre de l'année 1999. Une
première tranche de 10 milliards de francs a été
prélevée le 5 mai.
Une note du directeur du trésor au ministre, le 30 août 1999, a
déjà pour objet le "
report de 1999 sur 2000 des
prélèvements sur la Caisse des dépôts et
consignations
".
Cette note indique qu'un arbitrage a
déjà été rendu : "
le cabinet du
secrétariat d'Etat au budget souhaite ne pas opérer les
prélèvements non effectués à ce jour sur la Caisse
des dépôts au titre de l'année 1999
"
.
Le report est envisagé non seulement pour les
prélèvements sur fonds d'épargne mais encore pour la
contribution représentative de l'impôt sur les
sociétés (CRIS).
Le report d'une partie de la CRIS est
toutefois déconseillé par le directeur du trésor pour deux
raisons essentiellement : la réduction des derniers acomptes serait
inférieure à 50 millions de francs et la Cour des comptes
risquerait de s'en émouvoir. Toutefois, le report du
prélèvement sur les fonds d'épargne pose
"
d'importantes difficultés d'affichage, notamment
vis-à-vis de la commission de surveillance de la CDC
". Il est
donc recommandé de laisser la commission de surveillance valider le
prélèvement 2000 de 16,1 milliards de francs, sans
évoquer l'hypothèse d'un report de 7 milliards de francs. Il
serait ensuite possible de ramener le prélèvement 1999 de 17
à 10 milliards de francs en prenant un décret annulant le
décret pris le 3 mai 1999, et qui prévoyait un premier
prélèvement de 12,5 milliards de francs.
Par contre, le directeur du trésor indique clairement, dans sa note,
qu'il sera difficile de prélever en 2000 le montant non
prélevé en 1999 : "
la mise en oeuvre d'un tel
schéma serait particulièrement délicate au plan juridique
et susciterait très certainement de violentes critiques de la part de la
Cour des comptes
".
(2) L'inquiétude de la direction du trésor quant à une possible mise en cause devant la cour de discipline budgétaire et financière
Dans sa
note au ministre du 7 décembre 1999, le directeur du trésor
rappelle la décision de ne pas effectuer la totalité du
prélèvement sur les fonds d'épargne : "
le
ministre m'avait demandé, par retour de la note citée en
référence, de différer le prélèvement du
solde
".
Le directeur du trésor s'inquiète de la
méthode utilisée, et refuse de répondre à la
demande du ministre sans modification du décret du 3 mai 1999 ou,
à défaut, un ordre écrit
: "
la
responsabilité du non prélèvement du solde du
décret susvisé ne peut être assumée que par une
instruction écrite du ministre.
A défaut, les
fonctionnaires " coupables " seraient passibles de la Cour de
discipline budgétaire et financière (CDBF)
".
Cette observation du directeur du trésor se fonde sur la note qu'il a
reçue du directeur des affaires juridiques, M. André-Laurent
MICHELSON, note datée du 30 novembre 1999.
Cette note est pour le moins explicite : les fonctionnaires qui ne
procéderaient pas au prélèvement prévu par
décret seraient passibles de la Cour de discipline budgétaire et
financière.
Prenant appui sur les conclusions de sa direction des affaires juridiques, le
directeur du trésor propose dans sa note du 7 décembre 1999, deux
solutions :
• une modification du décret du 3 mai 1999 afin de limiter
à 10 milliards de francs les prélèvements sur fonds
d'épargne (solution déjà proposée dans sa note du
30 août). Cette procédure nécessite de recueillir de
nouveau l'avis de la commission de surveillance de la Caisse des
dépôts et consignations ;
• une instruction écrite du ministre.
Le ministre ne signe pas le décret que la direction du trésor a
préparé et choisit la seconde solution :
par une note
confidentielle à l'attention du directeur du trésor en date du
27 décembre 1999, le ministre "
demande de limiter le
recouvrement des rémunérations prévues à l'article
1
er
du décret n° 99-336 du 3 mai 1999 à la somme
de 10 milliards de francs
".
Note du directeur des affaires juridiques sur les conséquences du non-prélèvement de la totalité des prélèvements sur fonds d'épargne
L'objet
de la note, en date du 30 novembre 1999, est d'estimer les conséquences
du non-prélèvement de la totalité de la somme fixée
par le décret n° 99-336 du 3 mai 1999, soit 12,5 milliards de
francs. Il s'agit notamment, à la demande du directeur du trésor,
d'évaluer les risques de mise en cause, devant la Cour de discipline
budgétaire et financière (CDBF), de la responsabilité des
fonctionnaires de la direction du trésor.
Le directeur des affaires juridiques fait les observations suivantes :
1 - Les fonctionnaires du trésor sont, comme tous les fonctionnaires,
justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière en
application de l'article L. 312-1 du code des juridictions
financières ;
2 - L'article 82 du décret n° 62-1587 du 29 décembre
1962 autorise les ordonnateurs à ne pas émettre des ordres de
recettes correspondant aux créances dont le montant initial en principal
est inférieur à un minimum fixé par décret, soit,
au terme du décret n° 97-775 du 31 juillet 1997, 200
francs. Ainsi, selon le directeur des affaires juridiques, "
aucune
disposition n'autorise un ordonnateur à ne pas procéder à
l'émission d'un titre de recette correspondant à une
créance de l'Etat dont le montant serait supérieur à
celui, très faible, qui résulte du décret de
1997
".
Il rappelle les termes de l'instruction codificatrice n° 98-134-A7 du
16 novembre 1998 de la direction générale de la
comptabilité publique qui énonce que "
s'abstenir de
constater et de liquider tout ou partie d'une créance de l'Etat
constitue un acte de disposition de deniers publics qui excède les
pouvoirs de tout ordonnateur
".
3 - La direction des affaires juridiques rappelle ensuite plusieurs
arrêts de la CDBF sanctionnant la méconnaissance des règles
relatives à l'exécution des recettes de l'Etat sur le fondement
de l'article L. 313-4 du code des juridictions financières.
4 - La note rapporte ensuite la difficulté de procéder à
un véritable " report " des sommes non prélevées
en 1999. "
Une telle manière de procéder apparaît
contraire tant aux termes du décret du 3 mai 1999 qu'à ceux de
l'article 67 du code des caisses d'épargne et pourrait constituer une
infraction aux règles d'exécution des recettes de l'Etat au sens
de l'article L.313-4 du code des juridictions financières
".
5 - La note conclut que la solution la plus adaptée consisterait
à modifier le décret du 3 mai 1999, "
dans le cas
contraire, l'ensemble des fonctionnaires concernés pourraient voir leur
responsabilité mise en jeu devant la CDBF
".
Toutefois, la note précise que "
la responsabilité des
fonctionnaires serait écartée dans l'hypothèse où
ils pourraient exciper d'un ordre écrit
. En effet, l'article
L. 313-9 du code des juridictions financières dispose que :
" les personnes visées à l'article L. 312-1 ne sont
passibles d'aucune sanction si elles peuvent exciper d'un ordre écrit de
leur supérieur hiérarchique ou de la personne légalement
habilitée à donner un tel ordre, dont la responsabilité se
substituera dans ce cas à la leur, ou donné personnellement par
le ministre compétent, dès lors que ces autorités ont
été dûment informées sur l'affaire
".
b) Les versements de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES)
Tout comme les prélèvements sur fonds d'épargne, les versements de la CADES sont différés à l'année 2000 contre l'avis de la direction du trésor.
Le report du versement de la CADES sur 2000 contraire à l'ordonnance du 24 janvier 1996 selon la direction du trésor
Une note
d'arbitrage pour le ministre en date du 3 décembre 1999,
émanant du bureau A1 de la direction du Trésor (financement de
l'Etat et affaires monétaires)
propose un report du versement de la
CADES à l'Etat au début de l'année 2000
, en raison des
difficultés soulevées par un emprunt de la CADES en fin
d'année : "
La CADES m'a demandé si ce dernier
paiement pouvait être décalé sur le début du mois de
janvier 2000. En effet, la CADES ne disposant pas de cette somme, elle devra
l'emprunter à court terme sur les marchés, à des taux qui
seront vraisemblablement très élevés à cause du
passage à l'an 2000
".
La note précise ensuite tous les avantages d'un paiement en
période complémentaire
: "
S'agissant d'une
opération réciproque, en vertu du décret
n° 86-451 du 14 mars 1986, elle serait imputée sur
l'exécution 1999 si elle est versée avant le 28 janvier
1999. Cette analyse est confirmée par la direction du budget et la
direction générale de la comptabilité publique. En outre,
un versement en janvier permettrait de dégonfler le solde du compte du
trésor traditionnellement élevé en fin d'année.
Enfin, ce décalage se traduirait par une réduction du ratio dette
sur PIB calculé au 31 décembre de l'année, qui est
notifié à la commission dans le cadre de la procédure des
déficits publics excessifs
".
A contrario, elle met solennellement en garde le ministre contre un paiement
au-delà de la période complémentaire :
"
En revanche, le report de ce versement de la CADES sur l'exercice
2000 serait contraire à l'ordonnance du 24 janvier 1996, qui dispose que
la caisse verse chaque année au budget général de l'Etat,
de l'année 1996 à l'année 2008, une somme de 12,5
milliards de francs
".
Un projet de décision autorisant la CADES à verser le solde de la
somme qu'elle doit à l'Etat pour 1999, soit 5 milliards de francs, le 17
janvier 2000, est joint à la note.
Malgré les mises en garde de la direction du trésor, la date
du 17 janvier 2000 ne sera pas retenue et le versement de la CADES sera
reporté sur la gestion 2000.
Dans son rapport sur l'exécution des lois de finances pour 1999, la Cour
des comptes cite les arguments du ministère de l'économie, des
finances et de l'industrie : "
s'agissant du versement du solde,
les tensions de fin d'année sur les marchés monétaires,
liées à la crainte du bogue de l'an 2000, ont conduit à
accorder le report en 2000 de ce versement
".
Contrairement à ce que le ministère a indiqué à
la Cour des comptes, la note de la direction du trésor montre que la
CADES souhaitait un report au début du mois de janvier, soit pendant la
période complémentaire rattachée à l'exercice 1999
et non un report sur l'exercice 2000, comme le ministre l'a
décidé, en contradiction avec les termes de l'ordonnance du 24
janvier 1996.
c) Les prélèvements sur la COFACE
Par une
note du 26 janvier 2000 à l'attention du directeur du budget et du
directeur du trésor, le ministre de l'économie, des finances et
de l'industrie et la secrétaire d'Etat au budget
décident de
ne pas procéder au prélèvement sur la COFACE de 3
milliards de francs prévu en loi de finances rectificative 1999.
Relevons que, dans son rapport sur l'exécution des lois de finances pour
1999, la Cour des comptes note que la somme a été
délibérément laissée en réserve
auprès de la COFACE.