6. La " surprise " de fin d'année
a) Une accélération tardive de la conjoncture ?
Comme
l'a indiqué le directeur du budget lors de son audition, "
en
début d'année 1999, les meilleurs experts économiques
prévoyaient une situation assez maussade. Ce n'est qu'à partir du
premier semestre que nous avons commencé à y voir clair
".
Contrairement à ce qu'ont indiqué les ministres et certains de
leurs conseillers, ce n'est pas au second semestre, voire à la toute fin
du mois de décembre, que les services du ministère de
l'économie, des finances et de l'industrie se sont aperçus de
l'embellie budgétaire.
Lors de son audition, M. Christian SAUTTER a indiqué que "
au
mois de juillet 1999, les meilleurs spécialistes, en tous cas les bons
spécialistes du ministère, n'avaient pas prévu la
très forte accélération de la conjoncture durant le
deuxième semestre
". Il ne s'agissait pas de prévoir une
accélération, mais simplement de prendre acte des très
bonnes rentrées fiscales de la mi-année. Ce que les services du
ministère ont fait dès le mois de juillet, mais ce que le
gouvernement a refusé obstinément de faire jusqu'à la fin
de l'année malgré les informations dont il disposait.
M. Denis MORIN a également insisté sur le profil
" heurté " de l'année 1999
: "
nous
observons depuis 1994/1995, une succession de phases
d'accélération et de décélération. Depuis
1997, une accélération forte qui n'avait pas forcément
été bien anticipée et une
décélération au deuxième semestre 1998, qui fut
d'abord forte, vous vous rappelez les crises asiatique et russe. Forte reprise
du deuxième semestre 1999 dont l'ampleur et la vigueur n'avaient pas non
plus été vraiment anticipées, au point qu'en 1999, d'une
croissance moyenne au cours du premier semestre de 2 %, nous sommes
passés à une croissance moyenne, au second semestre, de 4 %.
Durant aucune autre année les écarts dans le rythme de croissance
n'ont été aussi importants
".
Il ajoute :
"
En début d'année 1999, les
prévisions étaient plutôt, pour l'ensemble du
ministère des finances, pessimistes. Il n'était pas
évident que l'exécution pourrait être correctement tenue.
Les choses sont inversées par la suite
, notamment à
l'extrême fin de l'année
, en particulier lorsqu'il est apparu
à tous ceux qui sont chargés de faire des révisions
économiques que la réalisation serait très
supérieure à 2 %
".
b) Des réévaluations de recettes régulières
Mais
tout ceci ne se reflète pas dans les notes communiquées par les
services au ministre et à son cabinet. Plusieurs personnes
auditionnées ont parlé du " profil heurté " voir
" chahuté " de l'année 1999 pour sous-entendre
qu'aucune prévision n'était possible. Or, l'année 1999 n'a
en rien été heurtée : la croissance a
été soutenue tout au long de l'année, avec une
montée en charge progressive.
Comme cela vient d'être montré, les quelques inquiétudes
du début d'année ont été entièrement
dissipées dès les résultats du premier semestre connus. Il
n'est donc pas exact d'affirmer que le second semestre aurait permis
" d'inverser " les mauvais résultats du premier semestre.
Quant à l'argument de la modestie des sommes en jeu, par rapport
à l'ensemble du budget de l'Etat - M. Denis MORIN a ainsi indiqué
"
pour autant que ces aléas restent dans les limites
raisonnables, 1 à 2 % ne me paraît pas déraisonnable,
mais c'est une appréciation subjective, il n'y a pas matière
à s'inquiéter outre mesure.
" - on peut rappeler que
M. Dominique STRAUSS-KAHN qualifiait de "
plus forte baisse
d'impôt depuis dix ans
" un plan de réduction de
40 milliards de francs, soit un peu moins que les plus-values fiscales et
non fiscales de 1999. On peut ainsi mesurer le changement de discours sur ce
qui peut être considéré comme important ou non.
c) La " surprise " de Renault
Ultime argument des ministres et de leurs collaborateurs, un seul versement aurait, en quelque sorte, " fait basculer " l'année 1999 : le versement de 6 milliards de francs au titre de l'impôt sur les sociétés par l'entreprise Renault en fin d'année.
Le versement " surprise " de l'impôt sur les sociétés par Renault en 1999
M.
Christian Sautter a, le premier, fait état devant votre commission d'une
information de dernière minute. Selon lui, l'incertitude sur les
rentrées fiscales se serait prolongée jusqu'au tout dernier
moment : "
Le 17 décembre (...), le directeur de la
comptabilité publique m'a téléphoné, me disant que
Renault vient de payer 6 milliards de francs d'impôts sur le
bénéfice des sociétés, alors que Renault n'avait
rien payé l'année antérieure. L'échéance
était donc le 15 ! Je me suis dit que cette information confirmait
que les rentrées d'impôt sur le bénéfice des
sociétés vont être fortes et j'ai proposé en
amendement en première lecture du collectif devant le Sénat un
amendement de hausse de 11 milliards de francs des recettes fiscales nettes,
amendement qui a été voté à
l'unanimité
".
Lors de son audition, M. Denis Morin a indiqué : "
Le 17
décembre 1999, nous avons appris, du comptable local à Boulogne,
qu'une grande entreprise publique paierait pour la première fois
l'impôt sur les sociétés pour un montant
considérable, 6 milliards de francs, alors que l'année
précédente le montant de l'imposition en question avait
été de zéro
"
.
Lors de son audition, M. François Villeroy de Galhau a fait
également état de ce versement : "
facteur individuel
tout à fait important : le fait qu'une grande entreprise, Renault,
au 15 décembre, ait décidé de verser près de 6
milliards de francs d'impôt sur les sociétés au titre du
bénéfice mondial. C'est une décision individuelle que rien
ne laissait prévoir et d'une très grande importance
macro-économique
"
.
L'idée qu'une grande entreprise, publique de surcroît, comme
Renault verse à l'Etat une somme de six milliards de francs en fin
d'année au titre de son impôt sur les sociétés sans
que les services du ministère de l'économie, des finances et de
l'industrie aient pu l'anticiper laisse pour le moins incrédule.
D'autant qu'au début du mois de septembre 1999, les entreprises du
secteur automobile avaient annoncé de très bons résultats
semestriels. Parmi elles, Renault avait annoncé un
bénéfice en hausse de 6,3 % à 720 millions
d'euros, soit 4,7 milliards de francs. Un grand quotidien
économique titrait le 3 septembre : "
Renault enregistre
des résultats semestriels en forte hausse
".
D'une manière générale, contrairement à ce qu'ont
laissé entendre certains conseillers des ministres, la bonne
santé de l'ensemble des entreprises françaises ne faisait aucun
doute à l'issue du premier semestre.
Lors de son audition, M. Denis MORIN a expliqué : "
Nous
essayons de comprendre ce qui s'est passé en 1999 pour l'impôt sur
les sociétés. Il s'est passé un phénomène
sur lequel nous avons été alertés tardivement dans
l'année, car il n'est pas possible de l'anticiper, l'apurement des
reports déficitaires générés par les très
mauvais exercices des entreprises en 1992 et 1993
". Or, un grand
quotidien économique parlait le 9 septembre 1999 de
"
l'été indien des entreprises
françaises
", puis le 18 octobre titrait "
les
analystes ont encore révisé en hausse leurs estimations de
bénéfice pour 2000
".
Tous les indicateurs d'une bonne santé des entreprises françaises
étaient donc visibles et il est difficile de croire que le
ministère de l'économie, des finances et de l'industrie soit
resté aveugle à ces signes. De surcroît, le chef du service
des participations de la direction du Trésor est membre du conseil
d'administration de Renault. Il a assisté aux huit réunions qui
se sont tenues en 1999. Il est également membre du comité des
comptes et de l'audit qui s'est réuni deux fois en 1999.
Sauf à considérer que la participation de la direction du
trésor aux conseils d'administration des grandes entreprises publiques
manque de pertinence, il est difficile de croire que le ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie était dans l'ignorance
de la situation financière de Renault et de ses perspectives
d'imposition.
Enfin, il existe peu de grandes entreprises comme Renault qui soient
assujetties au régime du bénéfice mondial et celui-ci fait
l'objet d'un suivi individualisé par les services fiscaux
compétents. Rien n'empêche ces derniers de s'informer
auprès de leurs correspondants des versements à venir et du
rythme d'apurement des exercices passés. Enfin, des contrôles sont
en principe systématiquement réalisés.