C. LE PARLEMENT TENU A L'ÉCART
1. Une " culture du secret " à Bercy
a) Une déformation professionnelle
Au terme
de leurs travaux, votre commission ne peut que souscrire aux propos de M.
Pierre GISSEROT : "
je serais malhonnête si je ne disais pas
que, dans la tradition du ministère des finances, il existe une certaine
culture du secret. Nos sujets sont délicats et notre citadelle de Bercy
est un symbole de ce que sont les finances
". Le secret de certains
travaux mérite d'être respecté, notamment au stade de la
préparation des lois de finances. Car, comme le souligne M. Denis MORIN,
"
certains documents internes sont destinés à
l'information du ministre, voire du gouvernement. Ces documents n'ont pas
vocation à être sortis des services ni du cabinet
".
Ainsi, le président Alain LAMBERT, lors de l'audition de M. Laurent
FABIUS, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie,
rappelait que : "
nous avons une idée, que je crois
partagée, du bon équilibre de nos institutions. Il ne s'agit
d'aucune façon de gêner le gouvernement car ce ne serait pas bon
pour la France.
" Il ajoutait néanmoins : "
Mais il
faut en même temps que les règles de la démocratie les plus
élémentaires ou les plus fondamentales soient
respectées
".
Dès lors, il importe de trouver un équilibre entre
l'indispensable information de la représentation nationale et la
nécessaire confidentialité des travaux préparatoires du
gouvernement. Par exemple, que doit-il en être s'agissant des
prévisions d'exécution dont M. Christophe BLANCHARD-DIGNAC a
indiqué : "
Les notes d'exécution donnent lieu
à une information du ministre. Le Parlement n'est pas toujours
informé des évolutions
". A ce sujet, on doit relever
que M. Pierre GISSEROT a estimé : "
Il est évident,
à mes yeux, qu'une commission des finances comme la vôtre n'est
pas informée comme elle pourrait souhaiter l'être
".
M. Thierry BERT a également évoqué l'arbitrage entre
confidentialité et transparence : "
la culture du secret
est quelque chose dont mon opinion personnelle et l'analyse qu'on peut avoir de
l'évolution de la société montrent que ce n'est plus
tenable et que c'était souvent indu. Nous avons en permanence le mot
confidentiel sur un certain nombre de choses qui ne le sont pas. S'agissant de
la pratique de diffusion des rapports que j'ai, j'ai clairement dit à
l'ensemble des cabinets qu'un rapport était diffusable dès lors
qu'il ne tombait pas sous le coup des trois interdictions de la loi de 1978 sur
la
communication des documents administratifs, c'est-à-dire le
secret fiscal ou bancaire, le secret industriel et commercial et la
préparation aux décisions gouvernementales.
En revanche, je veux bien admettre qu'une note portée à
l'arbitrage, ou qu'un rapport qui contient des informations nominatives en
grand nombre, ou qu'un rapport de contrôle impliquant des suites
judiciaires, par exemple, doive faire l'objet d'une procédure
secrète
".
La Cour des comptes mieux informée que le Parlement ?
Votre
commission observe que la Cour des comptes dispose de plus d'informations que
les commissions des finances du Parlement. Ainsi, M. François Logerot a
indiqué : "
Lorsqu'on me pose la question de savoir :
" Avez-vous accès aux notes internes des ministères, celles
que les directeurs font pour leur cabinet aux ministres ? ", je dis
oui quand on nous les remet spontanément ou bien quand, en ayant
connaissance, nous les demandons. En effet, à partir du moment où
nous avons connaissance de leur existence et que nous les demandons, on ne peut
pas nous les refuser
"
.
Dans l'état du droit au mois de mars 2000, votre commission des
finances a été dans l'obligation de se constituer en commission
d'enquête afin de pouvoir avoir accès aux mêmes documents
que la Cour des comptes.
b) L'évolution vers plus de transparence
La
décision prise en 1995 par MM. Jean ARTHUIS et Alain LAMASSOURE de
publier à compter de 1996, chaque mois, les situations mensuelles
budgétaires a constitué un progrès dans la voie d'une
meilleure information non seulement du Parlement, mais également du
public. M. Denis MORIN l'atteste en considérant que
"
aujourd'hui nous vivons effectivement sous la contrainte si je puis
dire, c'est sans doute une contrainte positive, de la transparence mensuelle
absolue
". Il a cependant estimé que "
la production de
documents mensuels est évidemment un élément de
transparence mais probablement le document tel qu'il est aujourd'hui
mériterait-il d'être encore clarifié et nourri de plus
d'informations pour que les commentaires faits à partir de ces
informations un peu brutes soient plus pondérés
".
M. Alain LAMASSOURE pour sa part a considéré qu'il fallait aller
plus loin dans la transparence : "
Nous avions
décidé, sur ma proposition, au mois de décembre 1995, que
la situation de trésorerie de l'Etat donnerait lieu à publication
mensuelle, ce qui est fait depuis 1996 et ce qui est déjà un gros
progrès. Je pense que cela ne suffit pas et que rien ne devrait
s'opposer à ce que cette situation soit maintenant publiée toutes
les semaines afin que les commissions des finances, les médias, les
spécialistes de l'opinion puissent connaître l'évolution de
la trésorerie de l'Etat. Cela exige que soient ajoutées certaines
informations complémentaires pour apprendre à lire ce document un
peu particulier. Mais à partir du moment où ces informations
existent, il n'y a pas de raison de ne pas en faire une très grande
diffusion.
".
M. Jean-Jacques FRANÇOIS a inscrit ces évolutions vers plus de
transparence dans une tendance de long terme : "
Il faut
développer le reporting qui est la comptabilité utile et à
la demande. Pour quoi faire ? Pour deux raisons. La première est le
pilotage. Plus le temps passe, plus le pilotage, l'exécution
budgétaire aura d'importance, il faut donc que l'ACCT soit à
même de fournir un reporting de qualité. La seconde est la
communication, encore balbutiante. Actuellement, la communication se fait sur
les projets de loi de finances, tradition franco-française, mais si nous
regardons ce qui s'est passé dans le secteur privé, nous voyons
que la communication se fera également sur la
comptabilité
".
Plus généralement, les progrès de l'information du
Parlement devront résulter d'une modification des rapports entre
celui-ci et l'administration. Ainsi M. Jean ARTHUIS a estimé que
"
nous avons une culture à forger ensemble, Parlement et
administrations, en particulier le ministère des finances
", et
relevé que "
si vous avez l'habitude d'aller dans les services
pour demander des informations, vous allez créer un climat et vous ferez
en sorte que le système d'information soit accessible à tous en
permanence, qu'il soit transparent et vous ferez disparaître ces
suspicions mutuelles. Je ne dis pas que les premières démarches
seront faciles ! Mais je crois que si le Parlement ne se donne pas les
moyens de diligenter des missions d'audit avec détermination, il peut se
rendre complice de certains dysfonctionnements de l'Etat
".