2. La responsabilité éminente du politique
Lors de son audition, M. Nicolas SARKOZY s'est exprimé sur cette question centrale : " Quelle est la plus-value du politique face à une administration de près de 200.000 agents dont la technicité n'est plus à démontrer, dont la loyauté - c'est mon point de vue - est parfaite et dont la compétence est totale ? A quel niveau doit se situer le politique avec ces 200.000 collaborateurs qui ont naturellement tous une idée précise sur ce qu'il conviendrait de faire ? ".
a) Tenir compte des cultures des différentes directions
MM.
Jacques BONNET et Philippe NASSE ont constaté lors de la
réalisation de leur audit des finances publiques en 1997 que les
priorités des différentes directions n'étaient pas les
mêmes.
Ainsi, "
la direction du budget souhaitait que nous présentions
au gouvernement la situation la plus noire possible, de manière à
dresser un barrage contre les tentations dépensières que la
direction du budget imagine à chaque changement de gouvernement.
Changement de ton complet à la direction du Trésor qui souhaitait
le contraire : elle désirait que nous présentions une
situation aussi proche que possible sinon de l'équilibre, du moins des
critères de convergence de Maastricht, et du besoin de financement des
administrations publiques, parce qu'elle redoutait les conséquences
internationales d'une annonce trop mauvaise de la situation budgétaire
de la France, ses conséquences sur le prix de l'argent et sur le
coût de financement du déficit de l'Etat
".
La spécificité de la direction du budget
Selon M.
Jacques Bonnet, il n'est plus à prouver que "
la direction du
budget pratique plus volontiers l'apocalypse que le vaudeville. Il est clair
que ses notes sont toujours marquées d'un certain
catastrophisme
".
Les ministres auditionnés par votre commission ont porté une
appréciation différente sur cette caractéristique de la
direction du budget. Selon M. Jean Arthuis, "
il est permis de penser
que dans certaines circonstances les services ne disent pas tout. Le budget
considère qu'il est le garant de l'équilibre des finances
publiques. Il a tendance à penser que le politique est naturellement
dépensier et que dans ces conditions il doit protéger le
politique contre ses tentations
". Pour M. Nicolas Sarkozy,
"
ils ont les défauts de leurs qualités. Cette
compétence et cette honnêteté les conduisent à un
excès de scrupule (...) Ceci explique, selon moi, que les services sont
plus enclins à vous alerter des mauvaises nouvelles que des
bonnes
".
Selon M. Dominique Strauss-Kahn, cette situation relèverait presque du
cours normal des choses : "
La direction du budget
" pond " tous les jours des listes d'économies
supplémentaires à faire. Fort heureusement, le ministre ne les
voit pas arriver tous les jours et les filtres successifs lui évitent
qu'elles viennent encombrer son bureau. Mais c'est la fonction de la direction
du budget et c'est même un peu sa constitution. Heureusement
d'ailleurs !
".
b) La nécessité pour le politique de mettre en perspective les informations qu'il reçoit
Il n'en
reste pas moins, selon M. Nicolas SARKOZY, qu'il "
existe un
véritable rapport de force ... pour tout politique qui se trouve
à Bercy. Il est très difficile à mettre en oeuvre, parce
qu'il ne faut pas faire n'importe quoi, bien sûr. Mais, en même
temps, nous ne sommes pas là pour faire une politique économique
voulue par le directeur du budget
".
Le témoignage de M. Dominique STRAUSS-KAHN illustre ce rapport de force
entre le ministre et ses services. Evoquant les arbitrages qu'il devait rendre
en matière de prévision macroéconomique et ses options
contraires aux préconisations des services, il observe que "
la
pression des services était forte ! Je citais le directeur de
l'INSEE tout à l'heure mais c'est vrai aussi pour la direction de la
prévision et pour d'autres encore. Cette pression était telle
qu'au bout d'un moment on finit par se dire que l'on doit quand même
avoir tort à être seul à prétendre des choses de ce
genre
".
Ces deux ministres ont développé devant la commission une
conception assez similaire de l'attitude que doit adopter un ministre face
à ses services. M. Nicolas SARKOZY a indiqué que
" l
'administration, fut-elle de grande qualité, et surtout parce
qu'elle est de grande qualité, doit rester au service d'une politique
pour ne pas dire du politique
". De même M. Dominique
STRAUSS-KAHN a estimé : "
Je ne crois pas que nous
puissions avoir des ministres qui n'aient d'autre fonction que de
répéter en public ce que les services écrivent sur les
papiers
".
M. Alain LAMASSOURE a pour sa part fait état d'une conception plus
restreinte de l'autonomie de jugement des ministres par rapport aux
informations provenant des services. Contrairement à M. Dominique
STRAUSS-KAHN qui a jugé que le ministre devait prendre "
des
risques en donnant sa propre appréciation de ce qu'il croit être
l'évolution de l'économie
", il a indiqué qu'
"
il y a deux sujets sur lesquels je m'interdisais de rendre un
arbitrage de nature politique, c'est d'une part, la prévision
macroéconomique et d'autre part, le montant des recettes fiscales.
Concernant les premières, je ne vois pas pourquoi le ministre aurait
plus d'intuition que d'autres
".